Marcel Proust Le Côté de Guermantes -- [The Guermantes Way] Edición bilingüe, francés-español, de Miguel Garci-Gomez -- --
I
Names of People: The Duchesse de Guermantes — Saint-Loup at Doncières — Mme. de Villeparisis at home — My grandmother′s illness — Bergotte′s illness — The Duke and the Doctor — Decline and death of my grandmother.
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Le pépiement matinal des oiseaux semblait insipide à Françoise. Chaque parole des «bonnes» la faisait sursauter; incommodée par tous leurs pas, elle s′interrogeait sur eux; c′est que nous avions déménagé. Certes les domestiques ne remuaient pas moins, dans le «sixième» de notre ancienne demeure; mais elle les connaissait; elle avait fait de leurs allées et venues des choses amicales. Maintenant elle portait au silence même une attention douloureuse. Et comme notre nouveau quartier paraissait aussi calme que le boulevard sur lequel nous avions donné jusque-là était bruyant, la chanson (distincte de loin, quand elle est faible, comme un motif d′orchestre) d′un homme qui passait, faisait venir des larmes aux yeux de Françoise en exil. Aussi, si je m′étais moqué d′elle qui, navrée d′avoir eu à quitter un immeuble où l′on était «si bien estimé, de partout» et où elle avait fait ses malles en pleurant, selon les rites de Combray, et en déclarant supérieure à toutes les maisons possibles celle qui avait été la nôtre, en revanche, moi qui assimilais aussi difficilement les nouvelles choses que j′abandonnais aisément les anciennes, je me rapprochai de notre vieille servante quand je vis que l′installation dans une maison où elle n′avait pas reçu du concierge qui ne nous connaissait pas encore les marques de considération nécessaires à sa bonne nutrition morale, l′avait plongée dans un état voisin du dépérissement. Elle seule pouvait me comprendre; ce n′était certes pas son jeune valet de pied qui l′eût fait; pour lui qui était aussi peu de Combray que possible, emménager, habiter un autre quartier, c′était comme prendre des vacances où la nouveauté des choses donnait le même repos que si l′on eût voyagé; il se croyait à la campagne; et un rhume de cerveau lui apporta, comme un «coup d′air» pris dans un wagon où la glace ferme mal, l′impression délicieuse qu′il avait vu du pays; à chaque éternuement, il se réjouissait d′avoir trouvé une si chic place, ayant toujours désiré des maîtres qui voyageraient beaucoup. Aussi, sans songer à lui, j′allai droit à Françoise; comme j′avais ri de ses larmes à un départ qui m′avait laissé indifférent, elle se montra glaciale à l′égard de ma tristesse, parce qu′elle la partageait. Avec la «sensibilité» prétendue des nerveux grandit leur égoî²e; ils ne peuvent supporter de la part des autres l′exhibition des malaises auxquels ils prêtent chez eux-mêmes de plus en plus d′attention. Françoise, qui ne laissait pas passer le plus léger de ceux qu′elle éprouvait, si je souffrais détournait la tête pour que je n′eusse pas le plaisir de voir ma souffrance plainte, même remarquée. Elle fit de même dès que je voulus lui parler de notre nouvelle maison. Du reste, ayant dû au bout de deux jours aller chercher des vêtements oubliés dans celle que nous venions de quitter, tandis que j′avais encore, à la suite de l′emménagement, de la «température» et que, pareil à un boa qui vient d′avaler un boeuf, je me sentais péniblement bossué par un long bahut que ma vue avait à «digérer», Françoise, avec l′infidélité des femmes, revint en disant qu′elle avait cru étouffer sur notre ancien boulevard, que pour s′y rendre elle s′était trouvée toute «déroutée», que jamais elle n′avait vu des escaliers si mal commodes, qu′elle ne retournerait pas habiter là-bas «pour un empire» et lui donnât-on des millions — hypothèse gratuite — que tout (c′est-à-dire ce qui concernait la cuisine et les couloirs) était beaucoup mieux «agencé» dans notre nouvelle maison. Or, il est temps de dire que celle-ci — et nous étions venus y habiter parce que ma grand′mère ne se portant pas très bien, raison que nous nous étions gardés de lui donner, avait besoin d′un air plus pur —était un appartement qui dépendait de l′hôtel de Guermantes.
The twittering of the birds at daybreak sounded insipid to Françoise. Every word uttered by the maids upstairs made her jump; disturbed by all their running about, she kept asking herself what they could be doing. In other words, we had moved. Certainly the servants had made no less noise in the attics of our old home; but she knew them, she had made of their comings and goings familiar events. Now she faced even silence with a strained attention. And as our new neighbourhood appeared to be as quiet as the boulevard on to which we had hitherto looked had been noisy, the song (distinct at a distance, when it was still quite faint, like an orchestral motif) of a passer-by brought tears to the eyes of a Françoise in exile. And so if I had been tempted to laugh at her in her misery at having to leave a house in which she was ‘so well respected on all sides′ and had packed her trunks with tears, according to the Use of Combray, declaring superior to all possible houses that which had been ours, on the other hand I, who found it as hard to assimilate new as I found it easy to abandon old conditions, I felt myself drawn towards our old servant when I saw that this installation of herself in a building where she had not received from the hall-porter, who did not yet know us, the marks of respect necessary to her moral wellbeing, had brought her positively to the verge of dissolution. She alone could understand what I was feeling; certainly her young footman was not the person to do so; for him, who was as unlike the Combray type as it was possible to conceive, packing up, moving, living in another district, were all like taking a holiday in which the novelty of one′s surroundings gave one the same sense of refreshment as if one had actually travelled; he thought he was in the country; and a cold in the head afforded him, as though he had been sitting in a draughty railway carriage, the delicious sensation of having seen the world; at each fresh sneeze he rejoiced that he had found so smart a place, having always longed to be with people who travelled a lot. And so, without giving him a thought, I went straight to Françoise, who, in return for my having laughed at her tears over a removal which had left me cold, now shewed an icy indifference to my sorrow, but because she shared it. The ‘sensibility′ claimed by neurotic people is matched by their egotism; they cannot abide the flaunting by others of the sufferings to which they pay an ever increasing attention in themselves. Françoise, who would not allow the least of her own ailments to pass unnoticed, if I were in pain would turn her head from me so that I should not have the satisfaction of seeing my sufferings pitied, or so much as observed. It was the same as soon as I tried to speak to her about our new house. Moreover, having been obliged, a day or two later, to return to the house we had just left, to retrieve some clothes which had been overlooked in our removal, while I, as a result of it, had still a ‘temperature,′ and like a boa constrictor that has just swallowed an ox felt myself painfully distended by the sight of a long trunk which my eyes had still to digest, Françoise, with true feminine inconstancy, came back saying that she had really thought she would stifle on our old boulevard, it was so stuffy, that she had found it quite a day′s journey to get there, that never had she seen such stairs, that she would not go back to live there for a king′s ransom, not if you were to offer her millions — a pure hypothesis — and that everything (everything, that is to say, to do with the kitchen and ‘usual offices′) was much better fitted up in the new house. Which, it is high time now that the reader should be told — and told also that we had moved into it because my grandmother, not having been at all well (though we took care to keep this reason from her), was in need of better air — was a flat forming part of the Hôtel de Guermantes.
A l′âge où les Noms, nous offrant l′image de l′inconnaissable que nous avons versé en eux, dans le même moment où ils désignent aussi pour nous un lieu réel, nous forcent par là à identifier l′un à l′autre au point que nous partons chercher dans une cité une âme qu′elle ne peut contenir mais que nous n′avons plus le pouvoir d′expulser de son nom, ce n′est pas seulement aux villes et aux fleuves qu′ils donnent une individualité, comme le font les peintures allégoriques, ce n′est pas seulement l′univers physique qu′ils diaprent de différences, qu′ils peuplent de merveilleux, c′est aussi l′univers social: alors chaque château, chaque hôtel ou palais fameux a sa dame, ou sa fée, comme les forêts leurs génies et leurs divinités les eaux. Parfois, cachée au fond de son nom, la fée se transforme au gré de la vie de notre imagination qui la nourrit; c′est ainsi que l′atmosphère où Mme de Guermantes existait en moi, après n′avoir été pendant des années que le reflet d′un verre de lanterne magique et d′un vitrail d′église, commençait à éteindre ses couleurs, quand des rêves tout autres l′imprégnèrent de l′écumeuse humidité des torrents.
At the age when a Name, offering us an image of the unknowable which we have poured into its mould, while at the same moment it connotes for us also an existing place, forces us accordingly to identify one with the other to such a point that we set out to seek in a city for a soul which it cannot embody but which we have no longer the power to expel from the sound of its name, it is not only to towns and rivers that names give an individuality, as do allegorical paintings, it is not only the physical universe which they pattern with differences, people with marvels, there is the social universe also; and so every historic house, in town or country, has its lady or its fairy, as every forest has its spirit, as there is a nymph for every stream. Sometimes, hidden in the heart of its name, the fairy is transformed to suit the life of our imagination by which she lives; thus it was that the atmosphere in which Mme. de Guermantes existed in me, after having been for years no more than the shadow cast by a magic lantern slide or the light falling through a painted window, began to let its colours fade when quite other dreams impregnated it with the bubbling coolness of her flowing streams.
Cependant, la fée dépérit si nous nous approchons de la personne réelle à laquelle correspond son nom, car, cette personne, le nom alors commence à la refléter et elle ne contient rien de la fée; la fée peut renaître si nous nous éloignons de la personne; mais si nous restons auprès d′elle, la fée meurt définitivement et avec elle le nom, comme cette famille de Lusignan qui devait s′éteindre le jour où disparaîtrait la fée Mélusine. Alors le Nom, sous les repeints successifs duquel nous pourrions finir par retrouver à l′origine le beau portrait d′une étrangère que nous n′aurons jamais connue, n′est plus que la simple carte photographique d′identité à laquelle nous nous reportons pour savoir si nous connaissons, si nous devons ou non saluer une personne qui passe. Mais qu′une sensation d′une année d′autrefois — comme ces instruments de musique enregistreurs qui gardent le son et le style des différents artistes qui en jouèrent — permette à notre mémoire de nous faire entendre ce nom avec le timbre particulier qu′il avait alors pour notre oreille, et ce nom en apparence non changé, nous sentons la distance qui sépare l′un de l′autre les rêves que signifièrent successivement pour nous ses syllabes identiques. Pour un instant, du ramage réentendu qu′il avait en tel printemps ancien, nous pouvons tirer, comme des petits tubes dont on se sert pour peindre, la nuance juste, oubliée, mystérieuse et fraîche des jours que nous avions cru nous rappeler, quand, comme les mauvais peintres, nous donnions à tout notre passé étendu sur une même toile les tons conventionnels et tous pareils de la mémoire volontaire. Or, au contraire, chacun des moments qui le composèrent employait, pour une création originale, dans une harmonie unique, les couleurs d′alors que nous ne connaissons plus et qui, par exemple, me ravissent encore tout à coup si, grâce à quelque hasard, le nom de Guermantes ayant repris pour un instant après tant d′années le son, si différent de celui d′aujourd′hui, qu′il avait pour moi le jour du mariage de Mlle Percepied, il me rend ce mauve si doux, trop brillant, trop neuf, dont se veloutait la cravate gonflée de la jeune duchesse, et, comme une pervenche incueillissable et refleurie, ses yeux ensoleillés d′un sourire bleu. Et le nom de Guermantes d′alors est aussi comme un de ces petits ballons dans lesquels on a enfermé de l′oxygène ou un autre gaz: quand j′arrive à le crever, à en faire sortir ce qu′il contient, je respire l′air de Combray de cette année-là, de ce jour-là, mêlé d′une odeur d′aubépines agitée par le vent du coin de la place, précurseur de la pluie, qui tour à tour faisait envoler le soleil, le laissait s′étendre sur le tapis de laine rouge de la sacristie et le revêtir d′une carnation brillante, presque rose, de géranium, et de cette douceur, pour ainsi dire wagnérienne, dans l′allégresse, qui conserve tant de noblesse à la festivité. Mais même en dehors des rares minutes comme celles-là, où brusquement nous sentons l′entité originale tressaillir et reprendre sa forme et sa ciselure au sein des syllabes mortes aujourd′hui, si dans le tourbillon vertigineux de la vie courante, où ils n′ont plus qu′un usage entièrement pratique, les noms ont perdu toute couleur comme une toupie prismatique qui tourne trop vite et qui semble grise, en revanche quand, dans la rêverie, nous réfléchissons, nous cherchons, pour revenir sur le passé, à ralentir, à suspendre le mouvement perpétuel où nous sommes entraînés, peu à peu nous revoyons apparaître, juxtaposées, mais entièrement distinctes les unes des autres, les teintes qu′au cours de notre existence nous présenta successivement un même nom.
And yet the fairy must perish if we come in contact with the real person to whom her name corresponds, for that person the name then begins to reflect, and she has in her nothing of the fairy; the fairy may revive if we remove ourself from the person, but if we remain in her presence the fairy definitely dies and with her the name, as happened to the family of Lusignan, which was fated to become extinct on the day when the fairy Mélusine should disappear. Then the Name, beneath our successive ‘restorations′ of which we may end by finding, as their original, the beautiful portrait of a strange lady whom we are never to meet, is nothing more than the mere photograph, for identification, to which we refer in order to decide whether we know, whether or not we ought to bow to a person who passes us in the street. But let a sensation from a bygone year — like those recording instruments which preserve the sound and the manner of the various artists who have sung or played into them — enable our memory to make us hear that name with the particular ring with which it then sounded in our ears, then, while the name itself has apparently not changed, we feel the distance that separates the dreams which at different times its same syllables have meant to us. For a moment, from the clear echo of its warbling in some distant spring, we can extract, as from the little tubes which we use in painting, the exact, forgotten, mysterious, fresh tint of the days which we had believed ourself to be recalling, when, like a bad painter, we were giving to the whole of our past, spread out on the same canvas, the tones, conventional and all alike, of our unprompted memory. Whereas on the contrary, each of the moments that composed it employed, for an original creation, in a matchless harmony, the colour of those days which we no longer know, and which, for that matter, will still suddenly enrapture me if by any chance the name ‘Guermantes,′ resuming for a moment, after all these years, the sound, so different from its sound to-day, which it had for me on the day of Mile. Percepied′s marriage, brings back to me that mauve — so delicate, almost too bright, too new — with which the billowy scarf of the young Duchess glowed, and, like two periwinkle flowers, growing beyond reach and blossoming now again, her two eyes, sunlit with an azure smile. And the name Guermantes of those days is also like one of those little balloons which have been filled wilh oxygen, or some such gas; when I come to explode it, to make it emit what it contains, I breathe the air of the Combray of that year, of that day, mingled with a fragrance of hawthorn blossom blown by the wind from the corner of the square, harbinger of rain, which now sent the sun packing, now let him spread himself over the red woollen carpet to the sacristy, steeping it in a bright geranium scarlet, with that, so to speak, Wagnerian harmony in its gaiety which makes the wedding service always impressive. But even apart from rare moments such as these, in which suddenly we feel the original entity quiver and resume its form, carve itself out of the syllables now soundless, dead; if, in the giddy rush of daily life, in which they serve only the most practical purposes, names have lost all their colour, like a prismatic top that spins too quickly and seems only grey, when, on the other hand, in our musings we reflect, we seek, so as to return to the past, to slacken, to suspend the perpetual motion by which we are borne alcng, gradually we see once more appear, side by side, but entirely distinct from one another, the tints which in the course of our existence have been successively presented to us by a single name.
Sans doute quelque forme se découpait à mes yeux en ce nom de Guermantes, quand ma nourrice — qui sans doute ignorait, autant que moi-même aujourd′hui, en l′honneur de qui elle avait été composée — me berçait de cette vieille chanson: Gloire à la Marquise de Guermantes ou quand, quelques années plus tard, le vieux maréchal de Guermantes remplissant ma bonne d′orgueil, s′arrêtait aux Champs-Élysées en disant: «Le bel enfant!» et sortait d′une bonbonnière de poche une pastille de chocolat, cela je ne le sais pas. Ces années de ma première enfance ne sont plus en moi, elles me sont extérieures, je n′en peux rien apprendre que, comme pour ce qui a eu lieu avant notre naissance, par les récits des autres. Mais plus tard je trouve successivement dans la durée en moi de ce même nom sept ou huit figures différentes; les premières étaient les plus belles: peu à peu mon rêve, forcé par la réalité d′abandonner une position intenable, se retranchait à nouveau un peu en deçà jusqu′à ce qu′il fût obligé de reculer encore. Et, en même temps que Mme de Guermantes, changeait sa demeure, issue elle aussi de ce nom que fécondait d′année en année telle ou telle parole entendue qui modifiait mes rêveries, cette demeure les reflétait dans ses pierres mêmes devenues réfléchissantes comme la surface d′un nuage ou d′un lac. Un donjon sans épaisseur qui n′était qu′une bande de lumière orangée et du haut duquel le seigneur et sa dame décidaient de la vie et de la mort de leurs vassaux avait fait place — tout au bout de ce «côté de Guermantes» où, par tant de beaux après-midi, je suivais avec mes parents le cours de la Vivonne —à cette terre torrentueuse où la duchesse m′apprenait à pêcher la truite et à connaître le nom des fleurs aux grappes violettes et rougeâtres qui décoraient les murs bas des enclos environnants; puis ç‘avait été la terre héréditaire, le poétique domaine où cette race altière de Guermantes, comme une tour jaunissante et fleuronnée qui traverse les âges, s′élevait déjà sur la France, alors que le ciel était encore vide là où devaient plus tard surgir Notre–Dame de Paris et Notre–Dame de Chartres; alors qu′au sommet de la colline de Laon la nef de la cathédrale ne s′était pas posée comme l′Arche du Déluge au sommet du mont Ararat, emplie de Patriarches et de Justes anxieusement penchés aux fenêtres pour voir si la colère de Dieu s′est apaisée, emportant avec elle les types des végétaux qui multiplieront sur la terre, débordante d′animaux qui s′échappent jusque par les tours où des boeufs, se promenant paisiblement sur la toiture, regardent de haut les plaines de Champagne; alors que le voyageur qui quittait Beauvais à la fin du jour ne voyait pas encore le suivre en tournoyant, dépliées sur l′écran d′or du couchant, les ailes noires et ramifiées de la cathédrale. C′était, ce Guermantes, comme le cadre d′un roman, un paysage imaginaire que j′avais peine à me représenter et d′autant plus le désir de découvrir, enclavé au milieu de terres et de routes réelles qui tout à coup s′imprégneraient de particularités héraldiques, à deux lieues d′une gare; je me rappelais les noms des localités voisines comme si elles avaient été situées au pied du Parnasse ou de l′Hélicon, et elles me semblaient précieuses comme les conditions matérielles — en science topographique — de la production d′un phénomène mystérieux. Je revoyais les armoiries qui sont peintes aux soubassements des vitraux de Combray et dont les quartiers s′étaient remplis, siècle par siècle, de toutes les seigneuries que, par mariages ou acquisitions, cette illustre maison avait fait voler à elle de tous les coins de l′Allemagne, de l′Italie et de la France: terres immenses du Nord, cités puissantes du Midi, venues se rejoindre et se composer en Guermantes et, perdant leur matérialité, inscrire allégoriquement leur donjon de sinople ou leur château d′argent dans son champ d′azur. J′avais entendu parler des célèbres tapisseries de Guermantes et je les voyais, médiévales et bleues, un peu grosses, se détacher comme un nuage sur le nom amarante et légendaire, au pied de l′antique forêt où chassa si souvent Childebert et ce fin fond mystérieux des terres, ce lointain des siècles, il me semblait qu′aussi bien que par un voyage je pénétrerais dans leurs secrets, rien qu′en approchant un instant à Paris Mme de Guermantes, suzeraine du lieu et dame du lac, comme si son visage et ses paroles eussent dû posséder le charme local des futaies et des rives et les mêmes particularités séculaires que le vieux coutumier de ses archives. Mais alors j′avais connu Saint–Loup; il m′avait appris que le château ne s′appelait Guermantes que depuis le XVIIe siècle où sa famille l′avait acquis. Elle avait résidé jusque-là dans le voisinage, et son titre ne venait pas de cette région. Le village de Guermantes avait reçu son nom du château, après lequel il avait été construit, et pour qu′il n′en détruisît pas les perspectives, une servitude restée en vigueur réglait le tracé des rues et limitait la hauteur des maisons. Quant aux tapisseries, elles étaient de Boucher, achetées au XIXe siècle par un Guermantes amateur, et étaient placées, à côté de tableaux de chasse médiocres qu′il avait peints lui-même, dans un fort vilain salon drapé d′andrinople et de peluche. Par ces révélations, Saint–Loup avait introduit dans le château des éléments étrangers au nom de Guermantes qui ne me permirent plus de continuer à extraire uniquement de la sonorité des syllabes la maçonnerie des constructions. Alors au fond de ce nom s′était effacé le château reflété dans son lac, et ce qui m′était apparu autour de Mme de Guermantes comme sa demeure, ç‘avait été son hôtel de Paris, l′hôtel de Guermantes, limpide comme son nom, car aucun élément matériel et opaque n′en venait interrompre et aveugler la transparence. Comme l′église ne signifie pas seulement le temple, mais aussi l′assemblée des fidèles, cet hôtel de Guermantes comprenait tous ceux qui partageaient la vie de la duchesse, mais ces intimes que je n′avais jamais vus n′étaient pour moi que des noms célèbres et poétiques, et, connaissant uniquement des personnes qui n′étaient elles aussi que des noms, ne faisaient qu′agrandir et protéger le mystère de la duchesse en étendant autour d′elle un vaste halo qui allait tout au plus en se dégradant.
What form was assumed in my mind by this name Guermantes when my first nurse — knowing no more, probably, than I know to-day in whose honour it had been composed — sang me to sleep with that old ditty, Gloire à la Marquise de Guermantes, or when, some years later, the veteran Maréchal de Guermantes, making my nursery-maid′s bosom swell with pride, stopped in the Champs-Elysées to remark: “A fine child that!” and gave me a chocolate drop from his comfit-box, I cannot, of course, now say. Those years of my earliest childhood are no longer a part of myself; they are external to me; I can learn nothing of them save as we learn things that happened before we were born — from the accounts given me by other people. But more recently I find in the period of that name′s occupation of me seven or eight different shapes which it has successively assumed; the earliest were the most beautiful; gradually my musings, forced by reality to abandon a position that was no longer tenable, established themselves anew in one slightly less advanced until they were obliged to retire still farther. And, with Mme. de Guermantes, was transformed simultaneously her dwelling, itself also the offspring of that name, fertilised from year to year by some word or other that came to my ears and modulated the tone of my musings; that dwelling of hers reflected them in its very stones, which had turned to mirrors, like the surface of a cloud or of a lake. A dungeon keep without mass, no more indeed than a band of orange light from the summit of which the lord and his lady dealt out life and death to their vassals, had given place — right at the end of that ‘Guermantes way′ along which, on so many summer afternoons, I retraced with my parents the course of the Vivonne — to that land of bubbling streams where the Duchess taught me to fish for trout and to know the names of the flowers whose red and purple clusters adorned the walls of the neighbouring gardens; then it had been the ancient heritage, famous in song and story, from which the proud race of Guermantes, like a carved and mellow tower that traverses the ages, had risen already over France when the sky was still empty at those points where, later, were to rise Notre Dame of Paris and Notre Dame of Chartres, when on the summit of the hill of Laon the nave of its cathedral had not yet been poised, like the Ark of the Deluge on the summit of Mount Ararat, crowded with Patriarchs and Judges anxiously leaning from its windows to see whether the wrath of God were yet appeased, carrying with it the types of the vegetation that was to multiply on the earth, brimming over with animals which have escaped even by the towers, where oxen grazing calmly upon the roof look down over the plains of Champagne; when the traveller who left Beauvais at the close of day did not yet see, following him and turning with his road, outspread against the gilded screen of the western sky, the black, ribbed wings of the cathedral. It was, this ‘Guermantes,′ like the scene of a novel, an imaginary landscape which I could with difficulty picture to myself and longed all the more to discover, set in the midst of real lands and roads which all of a sudden would become alive with heraldic details, within a few miles of a railway station; I recalled the names of the places round it as if they had been situated at the foot of Parnassus or of Helicon, and they seemed precious to me, as the physical conditions — in the realm of topographical science — required for the production of an unaccountable phenomenon. I saw again the escutcheons blazoned beneath the windows of Combray church; their quarters filled, century after century, with all the lordships which, by marriage or conquest, this illustrious house had brought flying to it from all the corners of Germany, Italy and France; vast territories in the North, strong cities in the South, assembled there to group themselves in Guermantes, and, losing their material quality, to inscribe allegorically their dungeon vert, or castle triple-towered argent upon its azure field. I had heard of the famous tapestries of Guermantes, I could see them, mediaeval and blue, a trifle coarse, detach themselves like a floating cloud from the legendary, amaranthine name at the foot of the ancient forest in which Childebert went so often hunting; and this delicate, mysterious background of their lands, this vista of the ages, it seemed to me that, as effectively as by journeying to see them, I might penetrate all their secrets simply by coming in contact for a moment in Paris with Mme. de Guermantes, the princess paramount of the place and lady of the lake, as if her face, her speech must possess the local charm of forest groves and streams, and the same secular peculiarities as the old customs recorded in her archives. But then I had met Saint-Loup; he had told me that the castle had borne the name of Guermantes only since the seventeenth century, when that family had acquired it. They had lived, until then, in the neighbourhood, but their title was not taken from those parts. The village of Guermantes had received its name from the castle round which it had been built, and so that it should not destroy the view from the castle, a servitude, still in force, traced the line of its streets and limited the height of its houses. As for the tapestries, they were by Boucher, bought in the nineteenth century by a Guermantes with a taste for the arts, and hung, interspersed with a number of sporting pictures of no merit which he himself had painted, in a hideous drawing-room upholstered in ‘adrianople′ and plush. By these revelations Saint-Loup had introduced into the castle elements foreign to the name of Guermantes which made it impossible for me to continue to extract solely from the resonance of the syllables the stone and mortar of its walls. And so, in the heart of the name, was effaced the castle mirrored in its lake, and what now became apparent to me, surrounding Mme. de Guermantes as her dwelling, had been her house in Paris, the Hôtel de Guermantes, limpid like its name, for no material and opaque element intervened to interrupt and blind its transparence. As the word church signifies not only the temple but the assembly of the faithful also, this Hôtel de Guermantes comprised all those who shared the life of the Duchess, but these intimates on whom I had never set eyes were for me only famous and poetic names, and knowing exclusively persons who themselves also were names only, did but enhance and protect the mystery of the Duchess by extending all round her a vast halo which at the most declined in brilliance as its circumference increased.
Dans les fêtes qu′elle donnait, comme je n′imaginais pour les invités aucun corps, aucune moustache, aucune bottine, aucune phrase prononcée qui fût banale, ou même originale d′une manière humaine et rationnelle, ce tourbillon de noms introduisant moins de matière que n′eût fait un repas de fantômes ou un bal de spectres autour de cette statuette en porcelaine de Saxe qu′était Mme de Guermantes, gardait une transparence de vitrine à son hôtel de verre. Puis quand Saint–Loup m′eut raconté des anecdotes relatives au chapelain, aux jardiniers de sa cousine, l′hôtel de Guermantes était devenu — comme avait pu être autrefois quelque Louvre — une sorte de château entouré, au milieu de Paris même, de ses terres, possédé héréditairement, en vertu d′un droit antique bizarrement survivant, et sur lesquelles elle exerçait encore des privilèges féodaux. Mais cette dernière demeure s′était elle-même évanouie quand nous étions venus habiter tout près de Mme de Villeparisis un des appartements voisins de celui de Mme de Guermantes dans une aile de son hôtel. C′était une de ces vieilles demeures comme il en existe peut-être encore et dans lesquelles la cour d′honneur — soit alluvions apportées par le flot montant de la démocratie, soit legs de temps plus anciens où les divers métiers étaient groupés autour du seigneur — avait souvent sur ses côtés des arrière-boutiques, des ateliers, voire quelque échoppe de cordonnier ou de tailleur, comme celles qu′on voit accotées aux flancs des cathédrales que l′esthétique des ingénieurs n′a pas dégagées, un concierge savetier, qui élevait des poules et cultivait des fleurs — et au fond, dans le logis «faisant hôtel», une «comtesse» qui, quand elle sortait dans sa vieille calèche à deux chevaux, montrant sur son chapeau quelques capucines semblant échappées du jardinet de la loge (ayant à côté du cocher un valet de pied qui descendait corner des cartes à chaque hôtel aristocratique du quartier), envoyait indistinctement des sourires et de petits bonjours de la main aux enfants du portier et aux locataires bourgeois de l′immeuble qui passaient à ce moment-là et qu′elle confondait dans sa dédaigneuse affabilité et sa morgue égalitaire.
In the parties which she gave, since I could not imagine the guests as having any bodies, any moustaches, any boots, as making any utterances that were commonplace, or even original in a human and rational way, this whirlpool of names, introducing less material substance than would a phantom banquet or a spectral ball, round that statuette in Dresden china which was Madame de Guermantes, kept for her palace of glass the transparence of a showcase. Then, after Saint-Loup had told me various anecdotes about his cousin′s chaplain, her gardener, and the rest, the Hôtel de Guermantes had become — as the Louvre might have been in days gone by — a kind of castle, surrounded, in the very heart of Paris, by its own domains, acquired by inheritance, by virtue of an ancient right that had quaintly survived, over which she still enjoyed feudal privileges. But this last dwelling itself vanished when we had come to live beside Mme. de Villeparisis in one of the flats adjoining that occupied by Mme. de Guermantes in a wing of the Hôtel. It was one of those old town houses, a few of which are perhaps still to be found, in which the court of honour — whether they were alluvial deposits washed there by the rising tide of democracy, or a legacy from a more primitive time when the different trades were clustered round the overlord — is flanked by little shops and workrooms, a shoemaker′s, for instance, or a tailor′s, such as we see nestling between the buttresses of those cathedrals which the aesthetic zeal of the restorer has not swept clear of such accretions; a porter who also does cobbling, keeps hens, grows flowers, and, at the far end, in the main building, a ‘Comtesse′ who, when she drives out in her old carriage and pair, flaunting on her hat a few nasturtiums which seem to have escaped from the plot by the porter′s lodge (with, by the coachman′s side on the box, a footman who gets down to leave cards at every aristocratic mansion in the neighbourhood), scatters vague little smiles and waves her hand in greeting to the porter′s children and to such of her respectable fellow-tenants as may happen to be passing, who, to her contemptuous affability and levelling pride, seem all the same.
Dans la maison que nous étions venus habiter, la grande dame du fond de la cour était une duchesse, élégante et encore jeune. C′était Mme de Guermantes, et grâce à Françoise, je possédais assez vite des renseignements sur l′hôtel. Car les Guermantes (que Françoise désignait souvent par les mots de «en dessous», «en bas») étaient sa constante préoccupation depuis le matin, où, jetant, pendant qu′elle coiffait maman, un coup d′oeil défendu, irrésistible et furtif dans la cour, elle disait: «Tiens, deux bonnes soeurs; cela va sûrement en dessous» ou «oh! les beaux faisans à la fenêtre de la cuisine, il n′y a pas besoin de demander d′où qu′ils deviennent, le duc aura-t-été à la chasse», jusqu′au soir, où, si elle entendait, pendant qu′elle me donnait mes affaires de nuit, un bruit de piano, un écho de chansonnette, elle induisait: «Ils ont du monde en bas, c′est à la gaieté»; dans son visage régulier, sous ses cheveux blancs maintenant, un sourire de sa jeunesse animé et décent mettait alors pour un instant chacun de ses traits à sa place, les accordait dans un ordre apprêté et fin, comme avant une contredanse.
In the house in which we had now come to live, the great lady at the end of the courtyard was a Duchess, smart and still quite young. She was, in fact, Mme. de Guermantes and, thanks to Françoise, I soon came to know all about her household. For the Guermantes (to whom Françoise regularly alluded as the people ‘below,′ or ‘downstairs′) were her constant preoccupation from the first thing in the morning when, as she did Mamma′s hair, casting a forbidden, irresistible, furtive glance down into the courtyard, she would say: “Look at that, now; a pair of holy Sisters; that′ll be for downstairs, surely;” or, “Oh! just look at the fine pheasants in the kitchen window; no need to ask where they came from, the Duke will have been out with his gun!”— until the last thing at night when, if her ear, while she was putting out my night-things, caught a few notes of a song, she would conclude: “They′re having company down below; gay doings, I′ll be bound;” whereupon, in her symmetrical face, beneath the arch of her now snow-white hair, a smile from her young days, sprightly but proper, would for a moment set each of her features in its place, arranging them in an intricate and special order, as though for a country-dance.
Mais le moment de la vie des Guermantes qui excitait le plus vivement l′intérêt de Françoise, lui donnait le plus de satisfaction et lui faisait aussi le plus de mal, c′était précisément celui où la porte cochère s′ouvrant à deux battants, la duchesse montait dans sa calèche. C′était habituellement peu de temps après que nos domestiques avaient fini de célébrer cette sorte de pâque solennelle que nul ne doit interrompre, appelée leur déjeuner, et pendant laquelle ils étaient tellement «tabous» que mon père lui-même ne se fût pas permis de les sonner, sachant d′ailleurs qu′aucun ne se fût pas plus dérangé au cinquième coup qu′au premier, et qu′il eût ainsi commis cette inconvenance en pure perte, mais non pas sans dommage pour lui. Car Françoise (qui, depuis qu′elle était une vieille femme se faisait à tout propos ce qu′on appelle une tête de circonstance) n′eût pas manqué de lui présenter toute la journée une figure couverte de petites marques cunéiformes et rouges qui déployaient au dehors, mais d′une façon peu déchiffrable, le long mémoire de ses doléances et les raisons profondes de son mécontentement. Elle les développait d′ailleurs, à la cantonade, mais sans que nous puissions bien distinguer les mots. Elle appelait cela — qu′elle croyait désespérant pour nous, «mortifiant», «vexant» — dire toute la sainte journée des «messes basses».
But the moment in the life of the Guermantes which excited the keenest interest in Françoise, gave her the most complete satisfaction and at the same time the sharpest annoyance was that at which, the two halves of the great gate having been thrust apart, the Duchess stepped into her carriage. It was generally a little while after our servants had finished the celebration of that sort of solemn passover which none might disturb, called their midday dinner, during which they were so far taboo that my father himself was not allowed to ring for them, knowing moreover that none of them would have paid any more attention to the fifth peal than to the first, and that the discourtesy would therefore have been a pure waste of time and trouble, though not without trouble in store for himself. For Françoise (who, in her old age, lost no opportunity of standing upon her dignity) would without fail have presented him, for the rest of the day, with a face covered with the tiny red cuneiform hieroglyphs by which she made visible — though by no means legible — to the outer world the long tale of her griefs and the profound reasons for her dissatisfactions. She would enlarge upon them, too, in a running ‘aside,′ but not so that we could catch her words. She called this practice — which, she imagined, must be infuriating, ‘mortifying′ as she herself put it,‘vexing′ to us —‘saying low masses all the blessed day.′
Les derniers rites achevés, Françoise, qui était à la fois, comme dans l′église primitive, le célébrant et l′un des fidèles, se servait un dernier verre de vin, détachait de son cou sa serviette, la pliait en essuyant à ses lèvres un reste d′eau rougie et de café, la passait dans un rond, remerciait d′un oeil dolent «son» jeune valet de pied qui pour faire du zèle lui disait: «Voyons, madame, encore un peu de raisin; il est esquis», et allait aussitôt ouvrir la fenêtre sous le prétexte qu′il faisait trop chaud «dans cette misérable cuisine». En jetant avec dextérité, dans le même temps qu′elle tournait la poignée de la croisée et prenait l′air, un coup d′oeil désintéressé sur le fond de la cour, elle y dérobait furtivement la certitude que la duchesse n′était pas encore prête, couvait un instant de ses regards dédaigneux et passionnés la voiture attelée, et, cet instant d′attention une fois donné par ses yeux aux choses de la terre, les levait au ciel dont elle avait d′avance deviné la pureté en sentant la douceur de l′air et la chaleur du soleil; et elle regardait à l′angle du toit la place où, chaque printemps, venaient faire leur nid, juste au-dessus de la cheminée de ma chambre, des pigeons pareils à ceux qui roucoulaient dans sa cuisine, à Combray.
The last rites accomplished, Françoise, who was at one and the same time, as in the primitive church, the celebrant and one of the faithful, helped herself to a final glass, undid the napkin from her throat, folded it after wiping from her lips a stain of watered wine and coffee, slipped it into its ring, turned a doleful eye to thank ‘her′ young footman who, to shew his zeal in her service, was saying: “Come, ma′am, a drop more of the grape; it′s d′licious to-day,” and went straight across to the window, which she flung open, protesting that it was too hot to breathe in ‘this wretched kitchen.′ Dexterously casting, as she turned the latch and let in the fresh air, a glance of studied indifference into the courtyard below, she furtively elicited the conclusion that the Duchess was not ready yet to start, brooded for a moment with contemptuous, impassioned eyes over the waiting carriage, and, this meed of attention once paid to the things of the earth, raised them towards the heavens, whose purity she had already divined from the sweetness of the air and the warmth of the sun; and let them rest on a corner of the roof, at the place where, every spring, there came and built, immediately over the chimney of my bedroom, a pair of pigeons like those she used to hear cooing from her kitchen at Combray.
— Ah! Combray, Combray, s′écriait-elle. (Et le ton presque chanté sur lequel elle déclamait cette invocation eût pu, chez Françoise, autant que l′arlésienne pureté de son visage, faire soupçonner une origine méridionale et que la patrie perdue qu′elle pleurait n′était qu′une patrie d′adoption. Mais peut-être se fût-on trompé, car il semble qu′il n′y ait pas de province qui n′ait son «midi» et, combien ne rencontre-t-on pas de Savoyards et de Bretons chez qui l′on trouve toutes les douces transpositions de longues et de brèves qui caractérisent le méridional.) Ah! Combray, quand est-ce que je te reverrai, pauvre terre! Quand est-ce que je pourrai passer toute la sainte journée sous tes aubépines et nos pauvres lilas — en écoutant les pinsons et la Vivonne qui fait comme le murmure de quelqu′un qui chuchoterait, au lieu d′entendre cette misérable sonnette de notre jeune maître qui ne reste jamais une demi-heure sans me faire courir le long de ce satané couloir. Et encore il ne trouve pas que je vais assez vite, il faudrait qu′on ait entendu avant qu′il ait sonné, et si vous êtes d′une minute en retard, il «rentre» dans des colères épouvantables. Hélas! pauvre Combray! peut-être que je ne te reverrai que morte, quand on me jettera comme une pierre dans le trou de la tombe. Alors, je ne les sentirai plus tes belles aubépines toutes blanches. Mais dans le sommeil de la mort, je crois que j′entendrai encore ces trois coups de la sonnette qui m′auront déjà damnée dans ma vie.
“Ah! Combray, Combray!” she cried. And the almost singing tone in which she declaimed this invocation might, taken with the Arlesian purity of her features, have made the onlooker suspect her of a Southern origin and that the lost land which she was lamenting was no more, really, than a land of adoption. If so, he would have been wrong, for it seems that there is no province that has not its own South-country; do we not indeed constantly meet Savoyards and Bretons in whose speech we find all those pleasing transpositions of longs and shorts that are characteristic of the Southerner? “Ah, Combray, when shall I look on thee again, poor land! When shall I pass the blessed day among thy hawthorns, under our own poor lily-oaks, hearing the grasshoppers sing, and the Vivonne making a little noise like someone whispering, instead of that wretched bell from our young master, who can never stay still for half an hour on end without having me run the length of that wicked corridor. And even then he makes out I don′t come quick enough; you′d need to hear the bell ring before he has pulled it, and if you′re a minute late, away he flies into the most towering rage. Alas, poor Combray; maybe I shall see thee only in death, when they drop me like a stone into the hollow of the tomb. And so, nevermore shall I smell thy lovely hawthorns, so white and all. But in the sleep of death I dare say I shall still hear those three peals of the bell which will have driven me to damnation in this world.”
Mais elle était interrompue par les appels du giletier de la cour, celui qui avait tant plu autrefois à ma grand′mère le jour où elle était allée voir Mme de Villeparisis et n′occupait pas un rang moins élevé dans la sympathie de Françoise. Ayant levé la tête en entendant ouvrir notre fenêtre, il cherchait déjà depuis un moment à attirer l′attention de sa voisine pour lui dire bonjour. La coquetterie de la jeune fille qu′avait été Françoise affinait alors pour M. Jupien le visage ronchonneur de notre vieille cuisinière alourdie par l′âge, par la mauvaise humeur et par la chaleur du fourneau, et c′est avec un mélange charmant de réserve, de familiarité et de pudeur qu′elle adressait au giletier un gracieux salut, mais sans lui répondre de la voix, car si elle enfreignait les recommandations de maman en regardant dans la cour, elle n′eût pas osé les braver jusqu′à causer par la fenêtre, ce qui avait le don, selon Françoise, de lui valoir, de la part de Madame, «tout un chapitre». Elle lui montrait la calèche attelée en ayant l′air de dire: «Des beaux chevaux, hein!» mais tout en murmurant: «Quelle vieille sabraque!» et surtout parce qu′elle savait qu′il allait lui répondre, en mettant la main devant la bouche pour être entendu tout en parlant à mi-voix: «Vous aussi vous pourriez en avoir si vous vouliez, et même peut-être plus qu′eux, mais vous n′aimez pas tout cela.»
Her soliloquy was interrupted by the voice of the waistcoat-maker downstairs, the same who had so delighted my grandmother once, long ago, when she had gone to pay a call on Mme. de Villeparisis, and now occupied no less exalted a place in Franchise′s affections. Having raised his head when he heard our window open, he had already been trying for some time to attract his neighbour′s attention, in order to bid her good day. The coquetry of the young girl that Françoise had once been softened and refined for M. Jupien the querulous face of our old cook, dulled by age, ill-temper and the heat of the kitchen fire, and it was with a charming blend of reserve, familiarity and modesty that she bestowed a gracious salutation on the waistcoat-maker, but without making any audible response, for if she did infringe Mamma′s orders by looking into the courtyard, she would never have dared to go the length of talking from the window, which would have been quite enough (according to her) to bring down on her ‘a whole chapter′ from the Mistress. She pointed to the waiting carriage, as who should say: “A fine pair, eh!” though what she actually muttered was: “What an old rattle-trap!” but principally because she knew that he would be bound to answer, putting his hand to his lips so as to be audible without having to shout: “You could have one too if you liked, as good as they have and better, I dare say, only you don′t care for that sort of thing.”
Et Françoise après un signe modeste, évasif et ravi dont la signification était à peu près: «Chacun son genre; ici c′est à la simplicité», refermait la fenêtre de peur que maman n′arrivât. Ces «vous» qui eussent pu avoir plus de chevaux que les Guermantes, c′était nous, mais Jupien avait raison de dire «vous», car, sauf pour certains plaisirs d′amour-propre purement personnels — comme celui, quand elle toussait sans arrêter et que toute la maison avait peur de prendre son rhume, de prétendre, avec un ricanement irritant, qu′elle n′était pas enrhumée — pareille à ces plantes qu′un animal auquel elles sont entièrement unies nourrit d′aliments qu′il attrape, mange, digère pour elles et qu′il leur offre dans son dernier et tout assimilable résidu, Françoise vivait avec nous en symbiose; c′est nous qui, avec nos vertus, notre fortune, notre train de vie, notre situation, devions nous charger d′élaborer les petites satisfactions d′amour-propre dont était formée — en y ajoutant le droit reconnu d′exercer librement le culte du déjeuner suivant la coutume ancienne comportant la petite gorgée d′air à la fenêtre quand il était fini, quelque flânerie dans la rue en allant faire ses emplettes et une sortie le dimanche pour aller voir sa nièce — la part de contentement indispensable à sa vie. Aussi comprend-on que Françoise avait pu dépérir, les premiers jours, en proie, dans une maison où tous les titres honorifiques de mon père n′étaient pas encore connus, à un mal qu′elle appelait elle-même l′ennui, l′ennui dans ce sens énergique qu′il a chez Corneille ou sous la plume des soldats qui finissent par se suicider parce qu′ils s′«ennuient» trop après leur fiancée, leur village. L′ennui de Françoise avait été vite guéri par Jupien précisément, car il lui procura tout de suite un plaisir aussi vif et plus raffiné que celui qu′elle aurait eu si nous nous étions décidés à avoir une voiture. —«Du bien bon monde, ces Jupien, de bien braves gens et ils le portent sur la figure.» Jupien sut en effet comprendre et enseigner à tous que si nous n′avions pas d′équipage, c′est que nous ne voulions pas. Cet ami de Françoise vivait peu chez lui, ayant obtenu une place d′employé dans un ministère. Giletier d′abord avec la «gamine» que ma grand′mère avait prise pour sa fille, il avait perdu tout avantage à en exercer le métier quand la petite qui presque encore enfant savait déjà très bien recoudre une jupe, quand ma grand′mère était allée autrefois faire une visite à Mme de Villeparisis, s′était tournée vers la couture pour dames et était devenue jupière. D′abord «petite main» chez une couturière, employée à faire un point, à recoudre un volant, à attacher un bouton ou une «pression», à ajuster un tour de taille avec des agrafes, elle avait vite passé deuxième puis première, et s′étant faite une clientèle de dames du meilleur monde, elle travaillait chez elle, c′est-à-dire dans notre cour, le plus souvent avec une ou deux de ses petites camarades de l′atelier qu′elle employait comme apprenties. Dès lors la présence de Jupien avait été moins utile. Sans doute la petite, devenue grande, avait encore souvent à faire des gilets. Mais aidée de ses amies elle n′avait besoin de personne. Aussi Jupien, son oncle, avait-il sollicité un emploi. Il fut libre d′abord de rentrer à midi, puis, ayant remplacé définitivement celui qu′il secondait seulement, pas avant l′heure du dîner. Sa «titularisation» ne se produisit heureusement que quelques semaines après notre emménagement, de sorte que la gentillesse de Jupien put s′exercer assez longtemps pour aider Françoise à franchir sans trop de souffrances les premiers temps difficiles. D′ailleurs, sans méconnaître l′utilité qu′il eut ainsi pour Françoise à titre de «médicament de transition», je dois reconnaître que Jupien ne m′avait pas plu beaucoup au premier abord. A quelques pas de distance, détruisant entièrement l′effet qu′eussent produit sans cela ses grosses joues et son teint fleuri, ses yeux débordés par un regard compatissant, désolé et rêveur, faisaient penser qu′il était très malade ou venait d′être frappé d′un grand deuil. Non seulement il n′en était rien, mais dès qu′il parlait, parfaitement bien d′ailleurs, il était plutôt froid et railleur. Il résultait de ce désaccord entre son regard et sa parole quelque chose de faux qui n′était pas sympathique et par quoi il avait l′air lui-même de se sentir aussi gêné qu′un invité en veston dans une soirée où tout le monde est en habit, ou que quelqu′un qui ayant à répondre à une Altesse ne sait pas au juste comment il faut lui parler et tourne la difficulté en réduisant ses phrases à presque rien. Celles de Jupien — car c′est pure comparaison —étaient au contraire charmantes. Correspondant peut-être à cette inondation du visage par les yeux (à laquelle on ne faisait plus attention quand on le connaissait), je discernai vite en effet chez lui une intelligence rare et l′une des plus naturellement littéraires qu′il m′ait été donné de connaître, en ce sens que, sans culture probablement, il possédait ou s′était assimilé, rien qu′à l′aide de quelques livres hâtivement parcourus, les tours les plus ingénieux de la langue. Les gens les plus doués que j′avais connus étaient morts très jeunes. Aussi étais-je persuadé que la vie de Jupien finirait vite. Il avait de la bonté, de la pitié, les sentiments les plus délicats, les plus généreux. Son rôle dans la vie de Françoise avait vite cessé d′être indispensable. Elle avait appris à le doubler.
And Franoise, after a modest, evasive signal of delight, the meaning of which was, more or less: “Tastes differ, you know; simplicity′s the rule in this house,” shut the window again in case Mamma should come in. These ‘you′ who might have had more horses than the Guermantes were ourselves, but Jupien was right in saying ‘you′ since, except for a few purely personal gratifications, such as, when she coughed all day long without ceasing and everyone in the house was afraid of catching her cold, that of pretending, with an irritating little titter, that she had not got a cold, like those plants that an animal to which they are wholly attached keeps alive with food which it catches, eats and digests for them and of which it offers them the ultimate and easily assimilable residue, Françoise lived with us in full community; it was we who, with our virtues, our wealth, our style of living, must take on ourselves the task of concocting those little sops to her vanity out of which was formed — with the addition of the recognised rights of freely practising the cult of the midday dinner according to the traditional custom, which included a mouthful of air at the window when the meal was finished, a certain amount of loitering in the street when she went out to do her marketing, and a holiday on Sundays when she paid a visit to her niece — the portion of happiness indispensable to her existence. And so it can be understood that Françoise might well have succumbed in those first days of our migration, a victim, in a house where my father′s claims to distinction were not yet known, to a malady which she herself called ‘wearying,′ wearying in the active sense in which the word ennui is employed by Corneille, or in the last letters of soldiers who end by taking their own lives because they are wearying for their girls or for their native villages. Françoise′s wearying had soon been cured by none other than Jupien, for he at once procured her a pleasure no less keen, indeed more refined than she would have felt if we had decided to keep a carriage. “Very good class, those Juliens,” (for Françoise readily assimilated new names to those with which she was already familiar) “very worthy people; you can see it written on their faces.” Jupien was in fact able to understand, and to inform the world that if we did not keep a carriage it was because we had no wish for one. This new friend of Françoise was very little at home, having obtained a post in one of the Government offices. A waistcoat-maker first of all, with the ‘chit of a girl′ whom my grandmother had taken for his daughter, he had lost all interest in the exercise of that calling after his assistant (who, when still little more than a child, had shewn great skill in darning a torn skirt, that day when my grandmother had gone to call on Mme. de Villeparisis) had turned to ladies′ fashions and become a seamstress. A prentice hand, to begin with, in a dressmaker′s workroom, set to stitch a seam, to fasten a flounce, to sew on a button or to press a crease, to fix a waistband with hooks and eyes, she had quickly risen to be second and then chief assistant, and having formed a connexion of her own among ladies of fashion now worked at home, that is to say in our courtyard, generally with one or two of her young friends from the workroom, whom she had taken on as apprentices. After this, Jupien′s presence in the place had ceased to matter. No doubt the little girl (a big girl by this time) had often to cut out waistcoats still. But with her friends to assist her she needed no one besides. And so Jupien, her uncle, had sought employment outside. He was free at first to return home at midday, then, when he had definitely succeeded the man whose substitute only he had begun by being, not before dinner-time. His appointment to the ‘regular establishment′ was, fortunately, not announced until some weeks after our arrival, so that his courtesy could be brought to bear on her long enough to help Françoise to pass through the first, most difficult phase without undue suffering. At the same time, and without underrating his value to Françoise as, so to speak, a sedative during the period of transition, I am bound to say that my first impression of Jupien had been far from favourable. At a little distance, entirely ruining the effect that his plump cheeks and vivid colouring would otherwise have produced, his eyes, brimming with a compassionate, mournful, dreamy gaze, led one to suppose that he was seriously ill or had just suffered a great bereavement. Not only was he nothing of the sort, but as soon as he opened his mouth (and his speech, by the way, was perfect) he was quite markedly cynical and cold. There resulted from this discord between eyes and lips a certain falsity which was not attractive, and by which he had himself the air of being made as uncomfortable as a guest who arrives in morning dress at a party where everyone else is in evening dress, or as a commoner who having to speak to a Royal Personage does not know exactly how he ought to address him and gets round the difficulty by cutting down his remarks to almost nothing. Jupien′s (here the comparison ends) were, on the contrary, charming. Indeed, corresponding possibly to this overflowing of his face by his eyes (which one ceased to notice when one came to know him), I soon discerned in him a rare intellect, and one of the most spontaneously literary that it has been my privilege to come across, in the sense that, probably without education, he possessed or had assimilated, with the help only of a few books skimmed in early life, the most ingenious turns of speech. The most gifted people that I had known had died young. And so I was convinced that Jupien′s life would soon be cut short. Kindness was among his qualities, and pity, the most delicate and the most generous feelings for others. But his part in the life of Françoise had soon ceased to be indispensable. She had learned to put up with understudies.
Même quand un fournisseur ou un domestique venait nous apporter quelque paquet, tout en ayant l′air de ne pas s′occuper de lui, et en lui désignant seulement d′un air détaché une chaise, pendant qu′elle continuait son ouvrage, Françoise mettait si habilement à profit les quelques instants qu′il passait dans la cuisine, en attendant la réponse de maman, qu′il était bien rare qu′il repartît sans avoir indestructiblement gravée en lui la certitude que «si nous n′en avions pas, c′est que nous ne voulions pas». Si elle tenait tant d′ailleurs à ce que l′on sût que nous avions «d′argent», (car elle ignorait l′usage de ce que Saint–Loup appelait les articles partitifs et disait: «avoir d′argent», «apporter d′eau»), à ce qu′on nous sût riches, ce n′est pas que la richesse sans plus, la richesse sans la vertu, fût aux yeux de Françoise le bien suprême, mais la vertu sans la richesse n′était pas non plus son idéal. La richesse était pour elle comme une condition nécessaire de la vertu, à défaut de laquelle la vertu serait sans mérite et sans charme. Elle les séparait si peu qu′elle avait fini par prêter à chacune les qualités de l′autre, à exiger quelque confortable dans la vertu, à reconnaître quelque chose d′édifiant dans la richesse.
Indeed, when a tradesman or servant came to our door with a parcel or message, while seeming to pay no attention and merely pointing vaguely to an empty chair, Françoise so skilfully put to the best advantage the few seconds that he spent in the kitchen, while he waited for Mamma′s answer, that it was very seldom that the stranger went away without having ineradicably engraved upon his memory the conviction that, if we ‘did not have′ any particular thing, it was because we had ‘no wish′ for it. If she made such a point of other people′s knowing that we ‘had money′ (for she knew nothing of what Saint-Loup used to call partitive articles, and said simply ‘have money,′ ‘fetch water′), of their realising that we were rich, it was not because riches with nothing else besides, riches without virtue, were in her eyes the supreme good in life; but virtue without riches was not her ideal either. Riches were for her, so to speak, a necessary condition of virtue, failing which virtue itself would lack both merit and charm. She distinguished so little between them that she had come in time to invest each with the other′s attributes, to expect some material comfort from virtue, to discover something edifying in riches.
Une fois la fenêtre refermée, assez rapidement — sans cela, maman lui eût, paraît-il, «raconté toutes les injures imaginables»— Françoise commençait en soupirant à ranger la table de la cuisine.
As soon as she had shut the window again, which she did quickly — otherwise Mamma would, it appeared, have heaped on her ‘every conceivable insult′— Françoise began with many groans and sighs to put straight the kitchen table.
— Il y a des Guermantes qui restent rue de la Chaise, disait le valet de chambre, j′avais un ami qui y avait travaillé; il était second cocher chez eux. Et je connais quelqu′un, pas mon copain alors, mais son beau-frère, qui avait fait son temps au régiment avec un piqueur du baron de Guermantes. «Et après tout allez-y donc, c′est pas mon père!» ajoutait le valet de chambre qui avait l′habitude, comme il fredonnait les refrains de l′année, de parsemer ses discours des plaisanteries nouvelles.
“There are some Guermantes who stay in the Rue de la Chaise,” began my father′s valet; “I had a friend who used to be with them; he was their second coachman. And I know a fellow, not my old pal, but his brother-in-law, who did his time in the Army with one of the Baron de Guermantes′s stud grooms. Does your mother know you′re out?” added the valet, who was in the habit, just as he used to hum the popular airs of the season, of peppering his conversation with all the latest witticisms.
Françoise, avec la fatigue de ses yeux de femme déjà âgée et qui d′ailleurs voyaient tout de Combray, dans un vague lointain, distingua non la plaisanterie qui était dans ces mots, mais qu′il devait y en avoir une, car ils n′étaient pas en rapport avec la suite du propos, et avaient été lancés avec force par quelqu′un qu′elle savait farceur. Aussi sourit-elle d′un air bienveillant et ébloui et comme si elle disait: «Toujours le même, ce Victor!» Elle était du reste heureuse, car elle savait qu′entendre des traits de ce genre se rattache de loin à ces plaisirs honnêtes de la société pour lesquels dans tous les mondes on se dépêche de faire toilette, on risque de prendre froid. Enfin elle croyait que le valet de chambre était un ami pour elle car il ne cessait de lui dénoncer avec indignation les mesures terribles que la République allait prendre contre le clergé. Françoise n′avait pas encore compris que les plus cruels de nos adversaires ne sont pas ceux qui nous contredisent et essayent de nous persuader, mais ceux qui grossissent ou inventent les nouvelles qui peuvent nous désoler, en se gardant bien de leur donner une apparence de justification qui diminuerait notre peine et nous donnerait peut-être une légère estime pour un parti qu′ils tiennent à nous montrer, pour notre complet supplice, à la fois atroce et triomphant.
Françoise, with the tired eyes of an ageing woman, eyes which moreover saw everything from Combray, in a hazy distance, made out not the witticism that underlay the words, but that there must be something witty in them since they bore no relation to the rest of his speech and had been uttered with considerable emphasis by one whom she knew to be a joker. She smiled at him, therefore, with an air of benevolent bewilderment, as who should say: “Always the same, that Victor!” And she was genuinely pleased, knowing that listening to smart sayings of this sort was akin — if remotely — to those reputable social pleasures for which, in every class of society, people make haste to dress themselves in their best and run the risk of catching cold. Furthermore, she believed the valet to be a friend after her own heart, for he never left off denouncing, with fierce indignation, the appalling measures which the Republic was about to enforce against the clergy. Françoise had not yet learned that our cruellest adversaries are not those who contradict and try to convince us, but those who magnify or invent reports which may make us unhappy, taking care not to include any appearance of justification, which might lessen our discomfort, and perhaps give us some slight regard for a party which they make a point of displaying to us, to complete our torment, as being at once terrible and triumphant.
«La duchesse doit être alliancée avec tout ça, dit Françoise en reprenant la conversation aux Guermantes de la rue de la Chaise, comme on recommence un morceau à l′andante. Je ne sais plus qui m′a dit qu′un de ceux-là avait marié une cousine au Duc. En tout cas c′est de la même «parenthèse». C′est une grande famille que les Guermantes!» ajoutait-elle avec respect, fondant la grandeur de cette famille à la fois sur le nombre de ses membres et l′éclair de son illustration, comme Pascal la vérité de la Religion sur la Raison et l′autorité des Écritures. Car n′ayant que ce seul mot de «grand» pour les deux choses, il lui semblait qu′elles n′en formaient qu′une seule, son vocabulaire, comme certaines pierres, présentant ainsi par endroit un défaut et qui projetait de l′obscurité jusque dans la pensée de Françoise. «Je me demande si ce serait pas euss qui ont leur château à Guermantes, à dix lieues de Combray, alors ça doit être parent aussi à leur cousine d′Alger. (Nous nous demandâmes longtemps ma mère et moi qui pouvait être cette cousine d′Alger, mais nous comprîmes enfin que Françoise entendait par le nom d′Alger la ville d′Angers. Ce qui est lointain peut nous être plus connu que ce qui est proche. Françoise, qui savait le nom d′Alger à cause d′affreuses dattes que nous recevions au jour de l′an, ignorait celui d′Angers. Son langage, comme la langue française elle-même, et surtout la toponymie, était parsemé d′erreurs.) Je voulais en causer à leur maître d′hôtel. — Comment donc qu′on lui dit?» s′interrompit-elle comme se posant une question de protocole; elle se répondit à elle-même: «Ah oui! c′est Antoine qu′on lui dit», comme si Antoine avait été un titre. «C′est lui qu′aurait pu m′en dire, mais c′est un vrai seigneur, un grand pédant, on dirait qu′on lui a coupé la langue ou qu′il a oublié d′apprendre à parler. Il ne vous fait même pas réponse quand on lui cause», ajoutait Françoise qui disait: «faire réponse», comme Mme de Sévigné. «Mais, ajouta-t-elle sans sincérité, du moment que je sais ce qui cuit dans ma marmite, je ne m′occupe pas de celle des autres. En tout cas tout ça n′est pas catholique. Et puis c′est pas un homme courageux (cette appréciation aurait pu faire croire que Françoise avait changé d′avis sur la bravoure qui, selon elle, à Combray, ravalait les hommes aux animaux féroces, mais il n′en était rien. Courageux signifiait seulement travailleur). On dit aussi qu′il est voleur comme une pie, mais il ne faut pas toujours croire les cancans. Ici tous les employés partent, rapport à la loge, les concierges sont jaloux et ils montent la tête à la Duchesse. Mais on peut bien dire que c′est un vrai feignant que cet Antoine, et son «Antoinesse» ne vaut pas mieux que lui», ajoutait Françoise qui, pour trouver au nom d′Antoine un féminin qui désignât la femme du maître d′hôtel, avait sans doute dans sa création grammaticale un inconscient ressouvenir de chanoine et chanoinesse. Elle ne parlait pas mal en cela. Il existe encore près de Notre–Dame une rue appelée rue Chanoinesse, nom qui lui avait été donné (parce qu′elle n′était habitée que par des chanoines) par ces Français de jadis, dont Françoise était, en réalité, la contemporaine. On avait d′ailleurs, immédiatement après, un nouvel exemple de cette manière de former les féminins, car Françoise ajoutait: — Mais sûr et certain que c′est à la Duchesse qu′est le château de Guermantes. Et c′est elle dans le pays qu′est madame la mairesse. C′est quelque chose.
“The Duchess must be connected with all that lot,” said Françoise, bringing the conversation back to the Guermantes of the Rue de la Chaise, as one plays a piece over again from the andante. “I can′t recall who it was told me that one of them had married a cousin of the Duke. It′s the same kindred, anyway. Ay, they′re a great family, the Guermantes!” she added, in a tone of respect founding the greatness of the family at once on the number of its branches and the brilliance of its connexions, as Pascal founds the truth of Religion on Reason and on the Authority of the Scriptures. For since there was but the single word ‘great′ to express both meanings, it seemed to her that they formed a single idea, her vocabulary, like cut stones sometimes, shewing thus on certain of its facets a flaw which projected a ray of darkness into the recesses of her mind. “I wonder now if it wouldn′t be them that have their castle at Guermantes, not a score of miles from Combray; then they must be kin to their cousin at Algiers, too.” My mother and I long asked ourselves who this cousin at Algiers could be until finally we discovered that Françoise meant by the name ‘Algiers′ the town of Angers. What is far off may be more familiar to us than what is quite near. Françoise, who knew the name ‘Algiers′ from some particularly unpleasant dates that used to be given us at the New Year, had never heard of Angers. Her language, like the French language itself, and especially that of place-names, was thickly strewn with errors. “I meant to talk to their butler about it. What is it again you call him?” she interrupted herself as though putting a formal question as to the correct procedure, which she went on to answer with: “Oh, of course, it′s Antoine you call him!” as though Antoine had been a title. “He′s the one who could tell me, but he′s quite the gentleman, he is, a great scholar, you′d say they′d cut his tongue out, or that he′d forgotten to learn to speak. He makes no response when you talk to him,” went on Françoise, who used ‘make response′ in the same sense as Mme. de Sévigné. “But,” she added, quite untruthfully, “so long as I know what′s boiling in my pot, I don′t bother my head about what′s in other people′s. Whatever he is, he′s not a Catholic. Besides, he′s not a courageous man.” (This criticism might have led one to suppose that Françoise had changed her mind about physical bravery which, according to her, in Combray days, lowered men to the level of wild beasts. But it was not so. ‘Courageous′ meant simply a hard worker.) “They do say, too, that he′s thievish as a magpie, but it doesn′t do to believe all one hears. The servants never stay long there because of the lodge; the porters are jealous and set the Duchess against them. But it′s safe to say that he′s a real twister, that Antoine, and his Antoinesse is no better,” concluded Françoise, who, in furnishing the name ‘Antoine′ with a feminine ending that would designate the butler′s wife, was inspired, no doubt, in her act of word-formation by an unconscious memory of the words chanoine and chanoinesse. If so, she was not far wrong. There is still a street near Notre-Dame called Rue Chanoinesse, a name which must have been given to it (since it was never inhabited by any but male Canons) by those Frenchmen of olden days of whom Françoise was, properly speaking, the contemporary. She proceeded, moreover, at once to furnish another example of this way of forming feminine endings, for she went on: “But one thing sure and certain is that it′s the Duchess that has Guermantes Castle. And it′s she that is the Lady Mayoress down in those parts. That′s always something.”
— Je comprends que c′est quelque chose, disait avec conviction le valet de pied, n′ayant pas démêlé l′ironie.
“I can well believe that it is something,” came with conviction from the footman, who had not detected the irony.
— Penses-tu, mon garçon, que c′est quelque chose? mais pour des gens comme «euss», être maire et mairesse c′est trois fois rien. Ah! si c′était à moi le château de Guermantes, on ne me verrait pas souvent à Paris. Faut-il tout de même que des maîtres, des personnes qui ont de quoi comme Monsieur et Madame, en aient des idées pour rester dans cette misérable ville plutôt que non pas aller à Combray dès l′instant qu′ils sont libres de le faire et que personne les retient. Qu′est-ce qu′ils attendent pour prendre leur retraite puisqu′ils ne manquent de rien; d′être morts? Ah! si j′avais seulement du pain sec à manger et du bois pour me chauffer l′hiver, il y a beau temps que je serais chez moi dans la pauvre maison de mon frère à Combray. Là-bas on se sent vivre au moins, on n′a pas toutes ces maisons devant soi, il y a si peu de bruit que la nuit on entend les grenouilles chanter à plus de deux lieues.
“You think so, do you, my boy, you think it′s something? Why, for folk like them to be Mayor and Mayoress, it′s just thank you for nothing. Ah, if it was mine, that Guermantes Castle, you wouldn′t see me setting foot in Paris, I can tell you. I′m sure a family who′ve got something to go on with, like Monsieur and Madame here, must have queer ideas to stay on in this wretched town rather than get away down to Combray the moment they′re free to start, and no one hindering them. Why do they put off retiring? They′ve got everything they want. Why wait till they′re dead? Ah, if I had only a crust of dry bread to eat and a faggot to keep me warm in winter, a fine time I′d have of it at home in my brother′s poor old house at Combray. Down there you do feel you′re alive; you haven′t all these houses stuck up in front of you, there is so little noise at night-time, you can hear the frogs singing five miles off and more.”
—
Ça doit être vraiment beau, madame, s′écriait le jeune valet de pied avec enthousiasme, comme si ce dernier trait avait été aussi particulier à Combray que la vie en gondole à Venise. D′ailleurs, plus récent dans la maison que le valet de chambre, il parlait à Françoise des sujets qui pouvaient intéresser non lui-même, mais elle. Et Françoise, qui faisait la grimace quand on la traitait de cuisinière, avait pour le valet de pied qui disait, en parlant d′elle, «la gouvernante», la bienveillance spéciale qu′éprouvent certains princes de second ordre envers les jeunes gens bien intentionnés qui leur donnent de l′Altesse.
“That must indeed be fine!” exclaimed the young footman with enthusiasm, as though this last attraction had been as peculiar to Combray as the gondola is to Venice. A more recent arrival in the household than my father′s valet, he used to talk to Françoise about things which might interest not himself so much as her. And Françoise, whose face wrinkled up in disgust when she was treated as a mere cook, had for the young footman, who referred to her always as the ‘housekeeper,′ that peculiar tenderness which Princes not of the blood royal feel towards the well-meaning young men who dignify them with a ‘Highness.′
— Au moins on sait ce qu′on fait et dans quelle saison qu′on vit. Ce n′est pas comme ici qu′il n′y aura pas plus un méchant bouton d′or à la sainte Pâques qu′à la Noël, et que je ne distingue pas seulement un petit angélus quand je lève ma vieille carcasse. Là-bas on entend chaque heure, ce n′est qu′une pauvre cloche, mais tu te dis: «Voilà mon frère qui rentre des champs», tu vois le jour qui baisse, on sonne pour les biens de la terre, tu as le temps de te retourner avant d′allumer ta lampe. Ici il fait jour, il fait nuit, on va se coucher qu′on ne pourrait seulement pas plus dire que les bêtes ce qu′on a fait.
“At any rate one knows what one′s about, there, and what time of year it is. It isn′t like here where you won′t find one wretched buttercup flowering at holy Easter any more than you would at Christmas, and I can′t hear so much as the tiniest angélus ring when I lift my old bones out of bed in the morning. Down there, you can hear every hour; there′s only the one poor bell, but you say to yourself: ‘My brother will be coming in from the field now,′ and you watch the daylight fade, and the bell rings to bless the fruits of the earth, and you have time to take a turn before you light the lamp. But here it′s daytime and it′s nighttime, and you go to bed, and you can′t say any more than the dumb beasts what you′ve been about all day.”
— Il paraît que Méséglise aussi c′est bien joli, madame, interrompit le jeune valet de pied au gré de qui la conversation prenait un tour un peu abstrait et qui se souvenait par hasard de nous avoir entendus parler à table de Méséglise.
“I gather Méséglise is a fine place, too, Madame,” broke in the young footman, who found that the conversation was becoming a little too abstract for his liking, and happened to remember having heard us, at table, mention Méséglise.
— Oh! Méséglise, disait Françoise avec le large sourire qu′on amenait toujours sur ses lèvres quand on prononçait ces noms de Méséglise, de Combray, de Tansonville. Ils faisaient tellement partie de sa propre existence qu′elle éprouvait à les rencontrer au dehors, à les entendre dans une conversation, une gaieté assez voisine de celle qu′un professeur excite dans sa classe en faisant allusion à tel personnage contemporain dont ses élèves n′auraient pas cru que le nom pût jamais tomber du haut de la chaire. Son plaisir venait aussi de sentir que ces pays-là étaient pour elle quelque chose qu′ils n′étaient pas pour les autres, de vieux camarades avec qui on a fait bien des parties; et elle leur souriait comme si elle leur trouvait de l′esprit, parce qu′elle retrouvait en eux beaucoup d′elle-même.
“Oh! Méséglise, is it?” said Françoise with the broad smile which one could always bring to her lips by uttering any of those names — Méséglise, Combray, Tansonville. They were so intimate a part of her life that she felt, on meeting them outside it, on hearing them used in conversation, a hilarity more or less akin to that which a professor excites in his class by making an allusion to some contemporary personage whose name the students had never supposed could possibly greet their ears from the height of the academic chair. Her pleasure arose also from the feeling that these places were something to her which they were not for the rest of the world, old companions with whom one has shared many delights; and she smiled at them as if she found in them something witty, because she did find there a great part of herself.
— Oui, tu peux le dire, mon fils, c′est assez joli Méséglise, reprenait-elle en riant finement; mais comment que tu en as eu entendu causer, toi, de Méséglise?
“Yes, you may well say so, son, it is a pretty enough place is Méséglise;” she went on with a tinkling laugh, “but how did you ever come to hear tell of Méséglise?”
— Comment que j′ai entendu causer de Méséglise? mais c′est bien connu; on m′en a causé et même souventes fois causé, répondait-il avec cette criminelle inexactitude des informateurs qui, chaque fois que nous cherchons à nous rendre compte objectivement de l′importance que peut avoir pour les autres une chose qui nous concerne, nous mettent dans l′impossibilité d′y réussir.
“How did I hear of Méséglise? But it′s a well-known place; people have told me about it — yes, over and over again,” he assured her with that criminal inexactitude of the informer who, whenever we attempt to form an impartial estimate of the importance that a thing which matters to us may have for other people, makes it impossible for us to succeed.
— Ah! je vous réponds qu′il fait meilleur là sous les cerisiers que près du fourneau.
“I can tell you, it′s better down there, under the cherry trees, than standing before the fire all day.”
Elle leur parlait même d′Eulalie comme d′une bonne personne. Car depuis qu′Eulalie était morte, Françoise avait complètement oublié qu′elle l′avait peu aimée durant sa vie comme elle aimait peu toute personne qui n′avait rien à manger chez soi, qui «crevait la faim», et venait ensuite, comme une propre à rien, grâce à la bonté des riches, «faire des manières». Elle ne souffrait plus de ce qu′Eulalie eût si bien su se faire chaque semaine «donner la pièce» par ma tante. Quant à celle-ci, Françoise ne cessait de chanter ses louanges.
She spoke to them even of Eulalie as a good person. For since Eulalie′s death Françoise had completely forgotten that she had loved her as little in her lifetime as she loved every one whose cupboard was bare, who was dying of hunger, and after that came, like a good for nothing, thanks to the bounty of the rich, to ‘put on airs.′ It no longer pained her that Eulalie had so skilfully managed, Sunday after Sunday, to secure her ‘trifle′ from my aunt. As for the latter, Françoise never left off singing her praises.
— Mais c′est à Combray même, chez une cousine de Madame, que vous étiez, alors? demandait le jeune valet de pied.
“But it was at Combray, surely, that you used to be, with a cousin of Madame?” asked the young footman.
— Oui, chez Mme Octave, ah! une bien sainte femme, mes pauvres enfants, et où il y avait toujours de quoi, et du beau et du bon, une bonne femme, vous pouvez dire, qui ne plaignait pas les perdreaux, ni les faisans, ni rien, que vous pouviez arriver dîner à cinq, à six, ce n′était pas la viande qui manquait et de première qualité encore, et vin blanc, et vin rouge, tout ce qu′il fallait. (Françoise employait le verbe plaindre dans le même sens que fait La Bruyère.) Tout était toujours à ses dépens, même si la famille, elle restait des mois et années-. (Cette réflexion n′avait rien de désobligeant pour nous, car Françoise était d′un temps où «dépens» n′était pas réservé au style judiciaire et signifiait seulement dépense.) Ah! je vous réponds qu′on ne partait pas de là avec la faim. Comme M. le curé nous l′a eu fait ressortir bien des fois, s′il y a une femme qui peut compter d′aller près du bon Dieu, sûr et certain que c′est elle. Pauvre Madame, je l′entends encore qui me disait de sa petite voix: «Françoise, vous savez, moi je ne mange pas, mais je veux que ce soit aussi bon pour tout le monde que si je mangeais.» Bien sûr que c′était pas pour elle. Vous l′auriez vue, elle ne pesait pas plus qu′un paquet de cerises; il n′y en avait pas. Elle ne voulait pas me croire, elle ne voulait jamais aller au médecin. Ah! ce n′est pas là-bas qu′on aurait rien mangé à la va vite. Elle voulait que ses domestiques soient bien nourris. Ici, encore ce matin, nous n′avons pas seulement eu le temps de casser la croûte. Tout se fait à la sauvette. Elle était surtout exaspérée par les biscottes de pain grillé que mangeait mon père. Elle était persuadée qu′il en usait pour faire des manières et la faire «valser». «Je peux dire, approuvait le jeune valet de pied, que j′ai jamais vu ça!» Il le disait comme s′il avait tout vu et si en lui les enseignements d′une expérience millénaire s′étendaient à tous les pays et à leurs usages parmi lesquels ne figurait nulle part celui du pain grillé. «Oui, oui, grommelait le maître d′hôtel, mais tout cela pourrait bien changer, les ouvriers doivent faire une grève au Canada et le ministre a dit l′autre soir à Monsieur qu′il a touché pour ça deux cent mille francs.» Le maître d′hôtel était loin de l′en blâmer, non qu′il ne fût lui-même parfaitement honnête, mais croyant tous les hommes politiques véreux, le crime de concussion lui paraissait moins grave que le plus léger délit de vol. Il ne se demandait même pas s′il avait bien entendu cette parole historique et il n′était pas frappé de l′invraisemblance qu′elle eût été dite par le coupable lui-même à mon père, sans que celui-ci l′eût mis dehors. Mais la philosophie de Combray empêchait que Françoise pût espérer que les grèves du Canada eussent une répercussion sur l′usage des biscottes: «Tant que le monde sera monde, voyez-vous, disait-elle, il y aura des maîtres pour nous faire trotter et des domestiques pour faire leurs caprices.» En dépit de la théorie de cette trotte perpétuelle; depuis un quart d′heure ma mère, qui n′usait probablement pas des mêmes mesures que Françoise pour apprécier la longueur du déjeuner de celle-ci, disait: «Mais qu′est-ce qu′ils peuvent bien faire, voilà plus de deux heures qu′ils sont à table.» Et elle sonnait timidement trois ou quatre fois. Françoise, son valet de pied, le maître d′hôtel entendaient les coups de sonnette non comme un appel et sans songer à venir, mais pourtant comme les premiers sons des instruments qui s′accordent quand un concert va bientôt recommencer et qu′on sent qu′il n′y aura plus que quelques minutes d′entr′acte. Aussi quand, les coups commençant à se répéter et à devenir plus insistants, nos domestiques se mettaient à y prendre garde et estimant qu′ils n′avaient plus beaucoup de temps devant eux et que la reprise du travail était proche, à un tintement de la sonnette un peu plus sonore que les autres, ils poussaient un soupir et, prenant leur parti, le valet de pied descendait fumer une cigarette devant la porte; Françoise, après quelques réflexions sur nous, telles que «ils ont sûrement la bougeotte», montait ranger ses affaires dans son sixième, et le maître d′hôtel ayant été chercher du papier à lettres dans ma chambre expédiait rapidement sa correspondance privée.
“Yes, with Mme. Octave — oh, a dear, good, holy woman, my poor friends, and a house where there was always enough and to spare, and all of the very best, a good woman, you may well say, who had no pity on the partridges, or the pheasants, or anything; you might turn up five to dinner or six, it was never the meat that was lacking, and of the first quality too, and white wine, and red wine, and everything you could wish.” (Françoise used the word ‘pity′ in the sense given it by Labruyère.) “It was she that paid the damages, always, even if the family stayed for months and years.” (This reflection was not really a slur upon us, for Françoise belonged to an epoch when the words ‘damages′ was not restricted to a legal use and meant simply expense.) “Ah, I can tell you, people didn′t go empty away from that house. As his reverence the Curé has told us, many′s the time, if there ever was a woman who could count on going straight before the Throne of God, it was she. Poor Madame, I can hear her saying now, in the little voice she had: ‘You know, Françoise, I can eat nothing myself, but I want it all to be just as nice for the others as if I could.′ They weren′t for her, the victuals, you may be quite sure. If you′d only seen her, she weighed no more than a bag of cherries; there wasn′t that much of her. She would never listen to a word I said, she would never send for the doctor. Ah, it wasn′t in that house that you′d have to gobble down your dinner. She liked her servants to be fed properly. Here, it′s been just the same again to-day; we haven′t had time for so much as to break a crust of bread; everything goes like ducks and drakes.” What annoyed her more than anything were the rusks of pulled bread that my father used to eat. She was convinced that he had them simply to give himself airs and to keep her ‘dancing.′ “I can tell you frankly,” the young footman assured her, “that I never saw the like.” He said it as if he had seen everything, and as if in him the range of a millennial experience extended over all countries and their customs, among which was not anywhere to be found a custom of eating pulled bread. “Yes, yes,” the butler muttered, “but that will all be changed; the men are going on strike in Canada, and the Minister told Monsieur the other evening that he′s clearing two hundred thousand francs out of it.” There was no note of censure in his tone, not that he was not himself entirely honest, but since he regarded all politicians as unsound the crime of peculation seemed to him less serious than the pettiest larceny. He did not even stop to ask himself whether he had heard this historic utterance aright, and was not struck by the improbability that such a thing would have been admitted by the guilty party himself to my father without my father′s immediately turning him out of the house. But the philosophy of Combray made it impossible for Françoise to expect that the strikes in Canada could have any repercussion on the use of pulled bread. “So long as the world goes round, look, there′ll be masters to keep us on the trot, and servants to do their bidding.” In disproof of this theory of perpetual motion, for the last quarter of an hour my mother (who probably did not employ the same measures of time as Françoise in reckoning the duration of the latter′s dinner) had been saying: “What on earth can they be doing? They′ve been at least two hours at their dinner.” And she rang timidly three or four times. Françoise, ‘her′ footman, the butler, heard the bell ring, not as a summons to themselves, and with no thought of answering it, but rather like the first sounds of the instruments being tuned when the next part of a concert is just going to begin, and one knows that there will be only a few minutes more of interval. And so, when the peals were repeated and became more urgent, our servants began to pay attention, and, judging that they had not much time left and that the resumption of work was at hand, at a peal somewhat louder than the rest gave a collective sigh and went their several ways, the footman slipping downstairs to smoke a cigarette outside the door, Françoise, after a string of reflexions on ourselves, such as: “They′ve got the jumps to-day, surely,” going up to put her things tidy in her attic, while the butler, having supplied himself first with note-paper from my bedroom, polished off the arrears of his private correspondence.
Malgré l′air de morgue de leur maître d′hôtel, Françoise avait pu, dès les premiers jours, m′apprendre que les Guermantes n′habitaient pas leur hôtel en vertu d′un droit immémorial, mais d′une location assez récente, et que le jardin sur lequel il donnait du côté que je ne connaissais pas était assez petit, et semblable à tous les jardins contigus; et je sus enfin qu′on n′y voyait ni gibet seigneurial, ni moulin fortifié, ni sauvoir, ni colombier à piliers, ni four banal, ni grange à nef, ni châtelet, ni ponts fixes ou levis, voire volants, non plus que péages, ni aiguilles, chartes, murales ou montjoies. Mais comme Elstir, quand la baie de Balbec ayant perdu son mystère, étant devenue pour moi une partie quelconque interchangeable avec toute autre des quantités d′eau salée qu′il y a sur le globe, lui avait tout d′un coup rendu une individualité en me disant que c′était le golfe d′opale de Whistler dans ses harmonies bleu argent, ainsi le nom de Guermantes avait vu mourir sous les coups de Françoise la dernière demeure issue de lui, quand un vieil ami de mon père nous dit un jour en parlant de la duchesse: «Elle a la plus grande situation dans le faubourg Saint–Germain, elle a la première maison du faubourg Saint–Germain.» Sans doute le premier salon, la première maison du faubourg Saint–Germain, c′était bien peu de chose auprès des autres demeures que j′avais successivement rêvées. Mais enfin celle-ci encore, et ce devait être la dernière, avait quelque chose, si humble ce fût-il, qui était, au delà de sa propre matière, une différenciation secrète.
Despite the apparent stiffness of their butler, Françoise had been in a position, from the first, to inform me that the Guermantes occupied their mansion by virtue not of an immemorial right but of a quite recent tenancy, and that the garden over which it looked on the side that I did not know was quite small and just like all the gardens along the street; and I realised at length that there were not to be seen there pit and gallows or fortified mill, secret chamber, pillared dovecot, manorial bakehouse or tithe-barn, dungeon or drawbridge, or fixed bridge either for that matter, any more than toll-houses or pinnacles, charters, muniments, ramparts or commemorative mounds. But just as Elstir, when the bay of Balbec, losing its mystery, had become for me simply a portion, interchangeable with any other, of the total quantity of salt water distributed over the earth′s surface, had suddenly restored to it a personality of its own by telling me that it was the gulf of opal, painted by Whistler in his ‘Harmonies in Blue and Silver,′ so the name Guermantes had seen perish under the strokes of Françoise′s hammer the last of the dwellings that had issued from its syllables when one day an old friend of my father said to us, speaking of the Duchess: “She is the first lady in the Faubourg Saint-Germain; hers is the leading house in the Faubourg Saint-Germain.” No doubt the most exclusive drawing-room, the leading house in the Faubourg Saint-Germain was little or nothing after all those other mansions of which in turn I had dreamed. And yet in this one too (and it was to be the last of the series), there was something, however humble, quite apart from its material components, a secret differentiation.
Et cela m′était d′autant plus nécessaire de pouvoir chercher dans le «salon» de Mme de Guermantes, dans ses amis, le mystère de son nom, que je ne le trouvais pas dans sa personne quand je la voyais sortir le matin à pied ou l′après-midi en voiture. Certes déjà, dans l′église de Combray, elle m′était apparue dans l′éclair d′une métamorphose avec des joues irréductibles, impénétrables à la couleur du nom de Guermantes, et des après-midi au bord de la Vivonne, à la place de mon rêve foudroyé, comme un cygne ou un saule en lequel a été changé un Dieu ou une nymphe et qui désormais soumis aux lois de la nature glissera dans l′eau ou sera agité par le vent. Pourtant ces reflets évanouis, à peine les avais-je quittés qu′ils s′étaient reformés comme les reflets roses et verts du soleil couché, derrière la rame qui les a brisés, et dans la solitude de ma pensée le nom avait eu vite fait de s′approprier le souvenir du visage. Mais maintenant souvent je la voyais à sa fenêtre, dans la cour, dans la rue; et moi du moins si je ne parvenais pas à intégrer en elle le nom de Guermantes, à penser qu′elle était Mme de Guermantes, j′en accusais l′impuissance de mon esprit à aller jusqu′au bout de l′acte que je lui demandais; mais elle, notre voisine, elle semblait commettre la même erreur; bien plus, la commettre sans trouble, sans aucun de mes scrupules, sans même le soupçon que ce fût une erreur. Ainsi Mme de Guermantes montrait dans ses robes le même souci de suivre la mode que si, se croyant devenue une femme comme les autres, elle avait aspiré à cette élégance de la toilette dans laquelle des femmes quelconques pouvaient l′égaler, la surpasser peut-être; je l′avais vue dans la rue regarder avec admiration une actrice bien habillée; et le matin, au moment où elle allait sortir à pied, comme si l′opinion des passants dont elle faisait ressortir la vulgarité en promenant familièrement au milieu d′eux sa vie inaccessible, pouvait être un tribunal pour elle, je pouvais l′apercevoir devant sa glace, jouant avec une conviction exempte de dédoublement et d′ironie, avec passion, avec mauvaise humeur, avec amour-propre, comme une reine qui a accepté de représenter une soubrette dans une comédie de cour, ce rôle, si inférieur à elle, de femme élégante; et dans l′oubli mythologique de sa grandeur native, elle regardait si sa voilette était bien tirée, aplatissait ses manches, ajustait son manteau, comme le cygne divin fait tous les mouvements de son espèce animale, garde ses yeux peints des deux côtés de son bec sans y mettre de regards et se jette tout d′un coup sur un bouton ou un parapluie, en cygne, sans se souvenir qu′il est un Dieu. Mais comme le voyageur, déçu par le premier aspect d′une ville, se dit qu′il en pénétrera peut-être le charme en en visitant les musées, en liant connaissance avec le peuple, en travaillant dans les bibliothèques, je me disais que si j′avais été reçu chez Mme de Guermantes, si j′étais de ses amis, si je pénétrais dans son existence, je connaîtrais ce que sous son enveloppe orangée et brillante son nom enfermait réellement, objectivement, pour les autres, puisque enfin l′ami de mon père avait dit que le milieu des Guermantes était quelque chose d′à part dans le faubourg Saint–Germain.
And it became all the more essential that I should be able to explore in the drawing-room of Mme. de Guermantes, among her friends, the mystery of her name, since I did not find it in her person when I saw her leave the house in the morning on foot, or in the afternoon in her carriage. Once before, indeed, in the church at Combray, she had appeared to me in the blinding flash of a transfiguration, with cheeks irreducible to, impenetrable by, the colour of the name Guermantes and of afternoons on the banks of the Vivonne, taking the place of my shattered dream like a swan or willow into which has been changed a god or nymph, and which henceforward, subjected to natural laws, will glide over the water or be shaken by the wind. And yet, when that radiance had vanished, hardly had I lost sight of it before it formed itself again, like the green and rosy afterglow of sunset after the sweep of the oar has broken it, and in the solitude of my thoughts the name had quickly appropriated to itself my impression of the face. But now, frequently, I saw her at her window, in the courtyard, in the street, and for myself at least if I did not succeed in integrating in her the name Guermantes, I cast the blame on the impotence of my mind to accomplish the whole act that I demanded of it; but she, our neighbour, she seemed to make the same error, nay more to make it without discomfiture, without any of my scruples, without even suspecting that it was an error. Thus Mme. de Guermantes shewed in her dresses the same anxiety to follow the fashions as if, believing herself to have become simply a woman like all the rest, she had aspired to that elegance in her attire in which other ordinary women might equal and perhaps surpass her; I had seen her in the street gaze admiringly at a well-dressed actress; and in the morning, before she sallied forth on foot, as if the opinion of the passers-by, whose vulgarity she accentuated by parading familiarly through their midst her inaccessible life, could be a tribunal competent to judge her, I would see her before the glass playing, with a conviction free from all pretence or irony, with passion, with ill-humour, with conceit, like a queen who has consented to appear as a servant-girl in theatricals at court, this part, so unworthy of her, of a fashionable woman; and in this mythological oblivion of her natural grandeur, she looked to see whether her veil was hanging properly, smoothed her cuffs, straightened her cloak, as the celestial swan performs all the movements natural to his animal species, keeps his eyes painted on either side of his beak without putting into them any glint of life, and darts suddenly after a bud or an umbrella, as a swan would, without remembering that he is a god. But as the traveller, disappointed by the first appearance of a strange town, reminds himself that he will doubtless succeed in penetrating its charm if he visits its museums and galleries, so I assured myself that, had I been given the right of entry into Mme. de Guermantes′s house, were I one of her friends, were I to penetrate into her life, I should then know what, within its glowing orange-tawny envelope, her name did really, objectively enclose for other people, since, after all, my father′s friend had said that the Guermantes set was something quite by itself in the Faubourg Saint-Germain.
La vie que je supposais y être menée dérivait d′une source si différente de l′expérience, et me semblait devoir être si particulière, que je n′aurais pu imaginer aux soirées de la duchesse la présence de personnes que j′eusse autrefois fréquentées, de personnes réelles. Car ne pouvant changer subitement de nature, elles auraient tenu là des propos analogues à ceux que je connaissais; leurs partenaires se seraient peut-être abaissés à leur répondre dans le même langage humain; et pendant une soirée dans le premier salon du faubourg Saint–Germain, il y aurait eu des instants identiques à des instants que j′avais déjà vécus: ce qui était impossible. Il est vrai que mon esprit était embarrassé par certaines difficultés, et la présence du corps de Jésus-Christ dans l′hostie ne me semblait pas un mystère plus obscur que ce premier salon du Faubourg situé sur la rive droite et dont je pouvais de ma chambre entendre battre les meubles le matin. Mais la ligne de démarcation qui me séparait du faubourg Saint–Germain, pour être seulement idéale, ne m′en semblait que plus réelle; je sentais bien que c′était déjà le Faubourg, le paillasson des Guermantes étendu de l′autre côté de cet Équateur et dont ma mère avait osé dire, l′ayant aperçu comme moi, un jour que leur porte était ouverte, qu′il était en bien mauvais état. Au reste, comment leur salle à manger, leur galerie obscure, aux meubles de peluche rouge, que je pouvais apercevoir quelquefois par la fenêtre de notre cuisine, ne m′auraient-ils pas semblé posséder le charme mystérieux du faubourg Saint–Germain, en faire partie d′une façon essentielle, y être géographiquement situés, puisque avoir été reçu dans cette salle à manger, c′était être allé dans le faubourg Saint–Germain, en avoir respiré l′atmosphère, puisque ceux qui, avant d′aller à table, s′asseyaient à côté de Mme de Guermantes sur le canapé de cuir de la galerie, étaient tous du faubourg Saint–Germain? Sans doute, ailleurs que dans le Faubourg, dans certaines soirées, on pouvait voir parfois trônant majestueusement au milieu du peuple vulgaire des élégants l′un de ces hommes qui ne sont que des noms et qui prennent tour à tour quand on cherche à se les représenter l′aspect d′un tournoi et d′une forêt domaniale. Mais ici, dans le premier salon du faubourg Saint–Germain, dans la galerie obscure, il n′y avait qu′eux. Ils étaient, en une matière précieuse, les colonnes qui soutenaient le temple. Même pour les réunions familières, ce n′était que parmi eux que Mme de Guermantes pouvait choisir ses convives, et dans les dîners de douze personnes, assemblés autour de la nappe servie, ils étaient comme les statues d′or des apôtres de la Sainte–Chapelle, piliers symboliques et consécrateurs, devant la Sainte Table. Quant au petit bout de jardin qui s′étendait entre de hautes murailles, derrière l′hôtel, et où l′été Mme de Guermantes faisait après dîner servir des liqueurs et l′orangeade; comment n′aurais-je pas pensé que s′asseoir, entre neuf et onze heures du soir, sur ses chaises de fer — douées d′un aussi grand pouvoir que le canapé de cuir — sans respirer les brises particulières au faubourg Saint–Germain, était aussi impossible que de faire la sieste dans l′oasis de Figuig, sans être par cela même en Afrique? Il n′y a que l′imagination et la croyance qui peuvent différencier des autres certains objets, certains êtres, et créer une atmosphère. Hélas! ces sites pittoresques, ces accidents naturels, ces curiosités locales, ces ouvrages d′art du faubourg Saint–Germain, il ne me serait sans doute jamais donné de poser mes pas parmi eux. Et je me contentais de tressaillir en apercevant de la haute mer (et sans espoir d′y jamais aborder) comme un minaret avancé, comme un premier palmier, comme le commencement de l′industrie ou de la végétation exotiques, le paillasson usé du rivage.
The life which I supposed them to lead there flowed from a source so different from anything in my experience, and must, I felt, be so indissolubly associated with that particular house that I could not have imagined the presence, at the Duchess′s parties, of people in whose company I myself had already been, of people who really existed. For not being able suddenly to change their nature, they would have carried on conversations there of the sort that I knew; their partners would perhaps have stooped to reply to them in the same human speech; and, in the course of an evening spent in the leading house in the Faubourg Saint-Germain, there would have been moments identical with moments that I had already lived. Which was impossible. It was thus that my mind was embarrassed by certain difficulties, and the Presence of Our Lord′s Body in the Host seemed to me no more obscure a mystery than this leading house in the Faubourg, situated here, on the right bank of the river, and so near that from my bed, in the morning, I could hear its carpets being beaten. But the line of demarcation that separated me from the Faubourg Saint-Germain seemed to me all the more real because it was purely ideal. I felt clearly that it was already part of the Faubourg, when I saw the Guermantes doormat, spread out beyond that intangible Equator, of which my mother had made bold to say, having like myself caught a glimpse of it one day when their door stood open, that it was a shocking state. For the rest, how could their dining-room, their dim gallery upholstered in red plush, into which I could see sometimes from our kitchen window, have failed to possess in my eyes the mysterious charm of the Faubourg Saint-Germain, to form part of it in an essential fashion, to be geographically situated within it, since to have been entertained to dinner in that room was to have gone into the Faubourg Saint-Germain, to have breathed its atmosphere, since the people who, before going to table, sat down by the side of Mme. de Guermantes on the leather-covered sofa in that gallery were all of the Faubourg Saint-Germain. No doubt elsewhere than in the Faubourg, at certain parties, one might see now and then, majestically enthroned amid the vulgar herd of fashion, one of those men who were mere names and varyingly assumed, when one tried to form a picture of them, the aspect of a tournament or of a royal forest. But here, in the leading house in the Faubourg Saint-German, in the drawing-room, in the dim gallery, there were only they. They were wrought of precious materials, the columns that upheld the temple. Indeed for quiet family parties it was from among them only that Mme. de Guermantes might select her guests, and in the dinners for twelve, gathered around the dazzling napery and plate, they were like the golden statues of the Apostles in the Sainte-Chapelle, symbolic, consecrative pillars before the Holy Table. As for the tiny strip of garden that stretched between high walls at the back of the house, where on summer evenings Mme. de Guermantes had liqueurs and orangeade brought out after dinner, how could I not have felt that to sit there of an evening, between nine and eleven, on its iron chairs — endowed with a magic as potent as the leathern sofa — without inhaling the breezes peculiar to the Faubourg Saint-Germain was as impossible as to take a siesta in the oasis of Figuig without thereby being necessarily in Africa. Only imagination and belief can differentiate from the rest certain objects, certain people, and can create an atmosphere. Alas, those picturesque sites, those natural accidents, those local curiosities, those works of art of the Faubourg Saint-Germain, never probably should I be permitted to set my feet among them. And I must content myself with a shiver of excitement as I sighted, from the deep sea (and without the least hope of ever landing there) like an outstanding minaret, like the first palm, like the first signs of some exotic industry or vegetation, the well-trodden doormat of its shore.
Mais si l′hôtel de Guermantes commençait pour moi à la porte de son vestibule, ses dépendances devaient s′étendre beaucoup plus loin au jugement du duc qui, tenant tous les locataires pour fermiers, manants, acquéreurs de biens nationaux, dont l′opinion ne compte pas, se faisait la barbe le matin en chemise de nuit à sa fenêtre, descendait dans la cour, selon qu′il avait plus ou moins chaud, en bras de chemise, en pyjama, en veston écossais de couleur rare, à longs poils, en petits paletots clairs plus courts que son veston, et faisait trotter en main devant lui par un de ses piqueurs quelque nouveau cheval qu′il avait acheté. Plus d′une fois même le cheval abîma la devanture de Jupien, lequel indigna le duc en demandant une indemnité. «Quand ce ne serait qu′en considération de tout le bien que madame la Duchesse fait dans la maison et dans la paroisse, disait M. de Guermantes, c′est une infamie de la part de ce quidam de nous réclamer quelque chose.» Mais Jupien avait tenu bon, paraissant ne pas du tout savoir quel «bien» avait jamais fait la duchesse. Pourtant elle en faisait, mais, comme on ne peut l′étendre sur tout le monde, le souvenir d′avoir comblé l′un est une raison pour s′abstenir à l′égard d′un autre chez qui on excite d′autant plus de mécontentement. A d′autres points de vue d′ailleurs que celui de la bienfaisance, le quartier ne paraissait au duc — et cela jusqu′à de grandes distances — qu′un prolongement de sa cour, une piste plus étendue pour ses chevaux. Après avoir vu comment un nouveau cheval trottait seul, il le faisait atteler, traverser toutes les rues avoisinantes, le piqueur courant le long de la voiture en tenant les guides, le faisant passer et repasser devant le duc arrêté sur le trottoir, debout, géant, énorme, habillé de clair, le cigare à la bouche, la tête en l′air, le monocle curieux, jusqu′au moment où il sautait sur le siège, menait le cheval lui-même pour l′essayer, et partait avec le nouvel attelage retrouver sa maîtresse aux Champs-Élysées. M. de Guermantes disait bonjour dans la cour à deux couples qui tenaient plus ou moins à son monde: un ménage de cousins à lui, qui, comme les ménages d′ouvriers, n′était jamais à la maison pour soigner les enfants, car dès le matin la femme partait à la «Schola» apprendre le contrepoint et la fugue et le mari à son atelier faire de la sculpture sur bois et des cuirs repoussés; puis le baron et la baronne de Norpois, habillés toujours en noir, la femme en loueuse de chaises et le mari en croque-mort, qui sortaient plusieurs fois par jour pour aller à l′église. Ils étaient les neveux de l′ancien ambassadeur que nous connaissions et que justement mon père avait rencontré sous la voûte de l′escalier mais sans comprendre d′où il venait; car mon père pensait qu′un personnage aussi considérable, qui s′était trouvé en relation avec les hommes les plus éminents de l′Europe et était probablement fort indifférent à de vaines distinctions aristocratiques, ne devait guère fréquenter ces nobles obscurs, cléricaux et bornés. Ils habitaient depuis peu dans la maison; Jupien étant venu dire un mot dans la cour au mari qui était en train de saluer M. de Guermantes, l′appela «M. Norpois», ne sachant pas exactement son nom.
But if the Hôtel de Guermantes began for me at its hall-door, its dependencies must be regarded as extending a long way farther, according to the Duke, who, looking on all the other tenants as farmers, peasants, purchasers of forfeited estates, whose opinion was of no account, shaved himself every morning in his nightshirt at the window, came down into the courtyard, according to the warmth or coldness of the day, in his shirtsleeves, in pyjamas, in a plaid coat of startling colours, with a shaggy nap, in little light-coloured coats shorter than the jackets beneath, and made one of his grooms lead past him at a trot some horse that he had just been buying. More than once, indeed, the horse broke the window of Jupien′s shop, whereupon Jupien, to the Duke′s indignation, demanded compensation. “If it were only in consideration of all the good that Madame la Duchesse does in the house, here, and in the parish,” said M. de Guermantes, “it is an outrage on this fellow′s part to claim a penny from us.” But Jupien had stuck to his point, apparently not having the faintest idea what ‘good′ the Duchess had ever done. And yet she did do good, but — since one cannot do good to everybody at once — the memory of the benefits that we have heaped on one person is a valid reason for our abstaining from helping another, whose discontent we thereby make all the stronger. From other points of view than that of charity the quarter appeared to the Duke — and this over a considerable area — to be only an extension of his courtyard, a longer track for his horses. After seeing how a new acquisition trotted by itself he would have it harnessed and taken through all the neighbouring streets, the groom running beside the carriage holding the reins, making it pass to and fro before the Duke who stood on the pavement, erect, gigantic, enormous in his vivid clothes, a cigar between his teeth, his head in the air, his eyeglass scrutinous, until the moment when he sprang on the box, drove the horse up and down for a little to try it, then set off with his new turn-out to pick up his mistress in the Champs-Elysées. M. de Guermantes bade good day, before leaving the courtyard, to two couples who belonged more or less to his world; the first, some cousins of his who, like working-class parents, were never at home to look after their children, since every morning the wife went off to the Schola to study counterpoint and fugue, and the husband to his studio to carve wood and beat leather; and after them the Baron and Baronne de Norpois, always dressed in black, she like a pew-opener and he like a mute at a funeral, who emerged several times daily on their way to church. They were the nephew and niece of the old Ambassador who was our friend, and whom my father had, in fact, met at the foot of the staircase without realising from where he came; for my father supposed that so important a personage, one who had come in contact with the most eminent men in Europe and was probably quite indifferent to the empty distinctions of rank, was hardly likely to frequent the society of these obscure, clerical and narrow-minded nobles. They had not been long in the place; Jupien, who had come out into the courtyard to say a word to the husband just as he was greeting M. de Guermantes, called him ‘M. Norpois,′ not being certain of his name.
— Ah! monsieur Norpois, ah! c′est vraiment trouvé! Patience! bientôt ce particulier vous appellera citoyen Norpois! s′écria, en se tournant vers le baron, M. de Guermantes. Il pouvait enfin exhaler sa mauvaise humeur contre Jupien qui lui disait «Monsieur» et non «Monsieur le Duc».
“Monsieur Norpois, indeed! Oh, that really is good! Just wait a little! This individual will be calling you Comrade Norpois next!” exclaimed M. de Guermantes, turning to the Baron. He was at last able to vent his spleen against Jupien who addressed him as ‘Monsieur,′ instead of ‘Monsieur le Duc.′
Un jour que M. de Guermantes avait besoin d′un renseignement qui se rattachait à la profession de mon père, il s′était présenté lui-même avec beaucoup de grâce. Depuis il avait souvent quelque service de voisin à lui demander, et dès qu′il l′apercevait en train de descendre l′escalier tout en songeant à quelque travail et désireux d′éviter toute rencontre, le duc quittait ses hommes d′écuries, venait à mon père dans la cour, lui arrangeait le col de son pardessus, avec la serviabilité héritée des anciens valets de chambre du Roi, lui prenait la main, et la retenant dans la sienne, la lui caressant même pour lui prouver, avec une impudeur de courtisane, qu′il ne lui marchandait pas le contact de sa chair précieuse, il le menait en laisse, fort ennuyé et ne pensant qu′à s′échapper, jusqu′au delà de la porte cochère. Il nous avait fait de grands saluts un jour qu′il nous avait croisés au moment où il sortait en voiture avec sa femme; il avait dû lui dire mon nom, mais quelle chance y avait-il pour qu′elle se le fût rappelé, ni mon visage? Et puis quelle piètre recommandation que d′être désigné seulement comme étant un de ses locataires! Une plus importante eût été de rencontrer la duchesse chez Mme de Villeparisis qui justement m′avait fait demander par ma grand′mère d′aller la voir, et, sachant que j′avais eu l′intention de faire de la littérature, avait ajouté que je rencontrerais chez elle des écrivains. Mais mon père trouvait que j′étais encore bien jeune pour aller dans le monde et, comme l′état de ma santé ne laissait pas de l′inquiéter, il ne tenait pas à me fournir des occasions inutiles de sorties nouvelles.
One day when M. de Guermantes required some information upon a matter of which my father had professional knowledge, he had introduced himself to him with great courtesy. After that, he had often some neighbourly service to ask of my father and, as soon as he saw him begin to come downstairs, his mind occupied with his work and anxious to avoid any interruption, the Duke, leaving his stable-boys, would come up to him in the courtyard, straighten the collar of his great-coat, with the serviceable deftness inherited from a line of royal body-servants in days gone by, take him by the hand, and, holding it in his own, patting it even to prove to my father, with a courtesan′s or courtier′s shamelessness, that he, the Duc de Guermantes, made no bargain about my father′s right to the privilege of contact with the ducal flesh, lead him, so to speak, on leash, extremely annoyed and thinking only how he might escape, through the carriage entrance out into the street. He had given us a sweeping bow one day when we had come in just as he was going out in the carriage with his wife; he was bound to have told her my name; but what likelihood was there of her remembering it, or my face either? And besides, what a feeble recommendation to be pointed out simply as being one of her tenants! Another, more valuable, would have been my meeting the Duchess in the drawing-room of Mme. de Villeparisis, who, as it happened, had just sent word by my grandmother that I was to go and see her, and, remembering that I had been intending to go in for literature, had added that I should meet several authors there. But my father felt that I was still a little young to go into society, and as the state of my health continued to give him uneasiness he did not see the use of establishing precedents that would do me no good.
Comme un des valets de pied de Mme de Guermantes causait beaucoup avec Françoise, j′entendis nommer quelques-uns des salons où elle allait, mais je ne me les représentais pas: du moment qu′ils étaient une partie de sa vie, de sa vie que je ne voyais qu′à travers son nom, n′étaient-ils pas inconcevables?
As one of Mme. de Guermantes′s footmen was in the habit of talking to Françoise, I picked up the names of several of the houses which she frequented, but formed no impression of any of them; from the moment in which they were a part of her life, of that life which I saw only through the veil of her name, were they not inconceivable?
— Il y a ce soir grande soirée d′ombres chinoises chez la princesse de Parme, disait le valet de pied, mais nous n′irons pas, parce que, à cinq heures, Madame prend le train de Chantilly pour aller passer deux jours chez le duc d′Aumale, mais c′est la femme de chambre et le valet de chambre qui y vont. Moi je reste ici. Elle ne sera pas contente, la princesse de Parme, elle a écrit plus de quatre fois à Madame la Duchesse.
“To-night there′s a big party with a Chinese shadow show at the Princesse de Parme′s,” said the footman, “but we shan′t be going, because at five o′clock Madame is taking the train to Chantilly, to spend a few days with the Due d′Aumale; but it′ll be the lady′s maid and valet that are going with her. I′m to stay here. She won′t be at all pleased, the Princesse de Parme won′t, that′s four times already she′s written to Madame la Duchesse.”
— Alors vous n′êtes plus pour aller au château de Guermantes cette année?
“Then you won′t be going down to Guermantes Castle this year?”
— C′est la première fois que nous n′y serons pas: à cause des rhumatismes à Monsieur le Duc, le docteur a défendu qu′on y retourne avant qu′il y ait un calorifère, mais avant ça tous les ans on y était pour jusqu′en janvier. Si le calorifère n′est pas prêt, peut-être Madame ira quelques jours à Cannes chez la duchesse de Guise, mais ce n′est pas encore sûr.
“It′s the first time we shan′t be going there: it′s because of the Duke′s rheumatics, the doctor says he′s not to go there till the hot pipes are in, but we′ve been there every year till now, right on to January. If the hot pipes aren′t ready, perhaps Madame will go for a few days to Cannes, to the Duchesse de Guise, but nothing′s settled yet.”
— Et au théâtre, est-ce que vous y allez?
“And to the theatre, do you go, sometimes?”
— Nous allons quelquefois à l′Opéra, quelquefois aux soirées d′abonnement de la princesse de Parme, c′est tous les huit jours; il paraît que c′est très chic ce qu′on voit: il y a pièces, opéra, tout. Madame la Duchesse n′a pas voulu prendre d′abonnements mais nous y allons tout de même une fois dans une loge d′une amie à Madame, une autre fois dans une autre, souvent dans la baignoire de la princesse de Guermantes, la femme du cousin à Monsieur le Duc. C′est la soeur au duc de Bavière.
“We go now and then to the Opéra, usually on the evenings when the Princesse de Parme has her box, that′s once a week; it seems it′s a fine show they give there, plays, operas, everything. Madame refused to subscribe to it herself, but we go all the same to the boxes Madame′s friends take, one one night, another another, often with the Princesse de Guermantes, the Duke′s cousin′s lady. She′s sister to the Duke of Bavaria.
— Et alors vous remontez comme ça chez vous, disait le valet de pied qui, bien qu′identifié aux Guermantes, avait cependant des maîtres en général une notion politique qui lui permettait de traiter Françoise avec autant de respect que si elle avait été placée chez une duchesse. Vous êtes d′une bonne santé, madame.
And so you′ve got to run upstairs again now, have you?” went on the footman, who, albeit identified with the Guermantes, looked upon masters in general as a political estate, a view which allowed him to treat Françoise with as much respect as if she too were in service with a duchess. “You enjoy good health, ma′am.”
— Ah! ces maudites jambes! En plaine encore ça va bien (en plaine voulait dire dans la cour, dans les rues où Françoise ne détestait pas de se promener, en un mot en terrain plat), mais ce sont ces satanés escaliers. Au revoir, monsieur, on vous verra peut-être encore ce soir.
“Oh, if it wasn′t for these cursed legs of mine! On the plain I can still get along” (‘on the plain′ meant in the courtyard or in the streets, where Françoise had no objection to walking, in other words ‘on a plane surface′) “but it′s these stairs that do me in, devil take them. Good day to you, sir, see you again, perhaps, this evening.”
Elle désirait d′autant plus causer encore avec le valet de pied qu′il lui avait appris que les fils des ducs portent souvent un titre de prince qu′ils gardent jusqu′à la mort de leur père. Sans doute le culte de la noblesse, mêlé et s′accommodant d′un certain esprit de révolte contre elle, doit, héréditairement puisé sur les glèbes de France, être bien fort en son peuple. Car Françoise, à qui on pouvait parler du génie de Napoléon ou de la télégraphie sans fil sans réussir à attirer son attention et sans qu′elle ralentît un instant les mouvements par lesquels elle retirait les cendres de la cheminée ou mettait le couvert, si seulement elle apprenait ces particularités et que le fils cadet du duc de Guermantes s′appelait généralement le prince d′Oléron, s′écriait: «C′est beau ça!» et restait éblouie comme devant un vitrail.
She was all the more anxious to continue her conversations with the footman after he mentioned to her that the sons of dukes often bore a princely title which they retained until their fathers were dead. Evidently the cult of the nobility, blended with and accommodating itself to a certain spirit of revolt against it, must, springing hereditarily from the soil of France, be very strongly implanted still in her people. For Françoise, to whom you might speak of the genius of Napoleon or of wireless telegraphy without succeeding in attracting her attention, and without her slackening for an instant the movements with which she was scraping the ashes from the grate or laying the table, if she were simply to be told these idiosyncrasies of nomenclature, and that the younger son of the Duc de Guermantes was generally called Prince d′Oléron, would at once exclaim: “That′s fine, that is!” and stand there dazed, as though in contemplation of a stained window in church.
Françoise apprit aussi par le valet de chambre du prince d′Agrigente, qui s′était lié avec elle en venant souvent porter des lettres chez la duchesse, qu′il avait, en effet, fort entendu parler dans le monde du mariage du marquis de Saint–Loup avec Mlle d′Ambresac et que c′était presque décidé.
Françoise learned also from the Prince d′Agrigente′s valet, who had become friends with her by coming often to the house with notes for the Duchess, that he had been hearing a great deal of talk in society about the marriage of the Marquis de Saint-Loup to Mlle. d′Ambresac, and that it was practically settled.
Cette villa, cette baignoire, où Mme de Guermantes transvasait sa vie, ne me semblaient pas des lieux moins féeriques que ses appartements. Les noms de Guise, de Parme, de Guermantes–Bavière, différenciaient de toutes les autres les villégiatures où se rendait la duchesse, les fêtes quotidiennes que le sillage de sa voiture reliaient à son hôtel. S′ils me disaient qu′en ces villégiatures, en ces fêtes consistait successivement la vie de Mme de Guermantes, ils ne m′apportaient sur elle aucun éclaircissement. Elles donnaient chacune à la vie de la duchesse une détermination différente, mais ne faisaient que la changer de mystère sans qu′elle laissât rien évaporer du sien, qui se déplaçait seulement, protégé par une cloison, enfermé dans un vase, au milieu des flots de la vie de tous. La duchesse pouvait déjeuner devant la Méditerranée à l′époque de Carnaval, mais, dans la villa de Mme de Guise, où la reine de la société parisienne n′était plus, dans sa robe de piqué blanc, au milieu de nombreuses princesses, qu′une invitée pareille aux autres, et par là plus émouvante encore pour moi, plus elle-même d′être renouvelée comme une étoile de la danse qui, dans la fantaisie d′un pas, vient prendre successivement la place de chacune des ballerines ses soeurs, elle pouvait regarder des ombres chinoises, mais à une soirée de la princesse de Parme, écouter la tragédie ou l′opéra, mais dans la baignoire de la princesse de Guermantes.
That villa, that opera-box, into which Mme. de Guermantes transfused the current of her life, must, it seemed to me, be places no less fairylike than her home. The names of Guise, of Parme, of Guermantes-Baviere, differentiated from all possible others the holiday places to which the Duchess resorted, the daily festivities which the track of her bowling wheels bound, as with ribbons, to her mansion. If they told me that in those holidays, in those festivities, consisted serially the life of Mme. de Guermantes, they brought no further light to bear on it. Each of them gave to the life of the Duchess a different determination, but succeeded only in changing the mystery of it, without allowing to escape any of its own mystery which simply floated, protected by a covering, enclosed in a bell, through the tide of the life of all the world. The Duchess might take her luncheon on the shore of the Mediterranean at Carnival time, but, in the villa of Mme. de Guise, where the queen of Parisian society was nothing more, in her white linen dress, among numberless princesses, than a guest like any of the rest, and on that account more moving still to me, more herself by being thus made new, like a star of the ballet who in the fantastic course of a figure takes the place of each of her humbler sisters in succession; she might look at Chinese shadow shows, but at a party given by the Princesse de Parme, listen to tragedy or opera, but from the box of the Princesse de Guermantes.
Comme nous localisons dans le corps d′une personne toutes les possibilités de sa vie, le souvenir des êtres qu′elle connaît et qu′elle vient de quitter, ou s′en va rejoindre, si, ayant appris par Françoise que Mme de Guermantes irait à pied déjeuner chez la princesse de Parme, je la voyais vers midi descendre de chez elle en sa robe de satin chair, au-dessus de laquelle son visage était de la même nuance, comme un nuage au soleil couchant, c′était tous les plaisirs du faubourg Saint–Germain que je voyais tenir devant moi, sous ce petit volume, comme dans une coquille, entre ces valves glacées de nacre rose.
As we localise in the body of a person all the potentialities of that person′s life, our recollections of the people he knows and has just left or is on his way to meet, if, having learned from Françoise that Mme. de Guermantes was going on foot to luncheon with the Princesse de Parme, I saw her, about midday, emerge from her house in a gown of flesh-coloured satin over which her face was of the same shade, like a cloud that rises above the setting sun, it was all the pleasures of the Faubourg Saint-Germain that I saw before me, contained in that small compass, as in a shell, between its twin valves that glowed with roseate nacre.
Mon père avait au ministère un ami, un certain A.J. Moreau, lequel, pour se distinguer des autres Moreau, avait soin de toujours faire précéder son nom de ces deux initiales, de sorte qu′on l′appelait, pour abréger, A.J. Or, je ne sais comment cet A.J. se trouva possesseur d′un fauteuil pour une soirée de gala à l′Opéra; il l′envoya à mon père et, comme la Berma que je n′avais plus vue jouer depuis ma première déception devait jouer un acte de Phèdre[/i.>, ma grand′mère obtint que mon père me donnât cette place.
My father had a friend at the Ministry, one A. J. Moreau, who, to distinguish him from the other Moreaus, took care always to prefix both initials to his name, with the result that people called him, for short, ‘A.J.′ Well, somehow or other, this A. J. found himself entitled to a stall at the Opéra-Comique on a gala night, he sent the ticket to my father, and as Berma, whom I had not been again to see since my first disappointment, was to give an act of Phèdre, my grandmother persuaded my father to pass it on to me.
A vrai dire je n′attachais aucun prix à cette possibilité d′entendre la Berma qui, quelques années auparavant, m′avait causé tant d′agitation. Et ce ne fut pas sans mélancolie que je constatai mon indifférence à ce que jadis j′avais préféré à la santé, au repos. Ce n′est pas que fût moins passionné qu′alors mon désir de pouvoir contempler de près les parcelles précieuses de réalité qu′entrevoyait mon imagination. Mais celle-ci ne les situait plus maintenant dans la diction d′une grande actrice; depuis mes visites chez Elstir, c′est sur certaines tapisseries, sur certains tableaux modernes, que j′avais reporté la foi intérieure que j′avais eue jadis en ce jeu, en cet art tragique de la Berma; ma foi, mon désir ne venant plus rendre à la diction et aux attitudes de la Berma un culte incessant, le «double» que je possédais d′eux, dans mon coeur, avait dépéri peu à peu comme ces autres «doubles» des trépassés de l′ancienne Égypte qu′il fallait constamment nourrir pour entretenir leur vie. Cet art était devenu mince et minable. Aucune âme profonde ne l′habitait plus.
To tell the truth, I attached no importance to this possibility of hearing Berma which, a few years earlier, had plunged me in such a state of agitation. And it was not without a sense of melancholy that I realized the fact of my indifference to what at one time I had put before health, comfort, everything. It was not that there had been any slackening of my desire for an opportunity to contemplate close at hand the precious particles of reality of which my imagination caught a broken glimpse. But my imagination no longer placed these in the diction of a great actress; since my visits to Elstir, it was on certain tapestries, certain modern paintings that I had brought to bear the inner faith I had once had in this acting, in this tragic art of Berma; my faith, my desire, no longer coming forward to pay incessant worship to the diction, the attitudes of Berma, the counterpart that I possessed of them in my heart had gradually perished, like those other counterparts of the dead in ancient Egypt which had to be fed continually in order to maintain their originals in eternal life. This art had become a feeble, tawdry thing. No deep-lying soul inhabited it any more.
Au moment où, profitant du billet reçu par mon père, je montais le grand escalier de l′Opéra, j′aperçus devant moi un homme que je pris d′abord pour M. de Charlus duquel il avait le maintien; quand il tourna la tête pour demander un renseignement à un employé, je vis que je m′étais trompé, mais je n′hésitai pas cependant à situer l′inconnu dans la même classe sociale d′après la manière non seulement dont il était habillé, mais encore dont il parlait au contrôleur et aux ouvreuses qui le faisaient attendre. Car, malgré les particularités individuelles, il y avait encore à cette époque, entre tout homme gommeux et riche de cette partie de l′aristocratie et tout homme gommeux et riche du monde de la finance ou de la haute industrie, une différence très marquée. Là où l′un de ces derniers eût cru affirmer son chic par un ton tranchant, hautain, à l′égard d′un inférieur, le grand seigneur, doux, souriant, avait l′air de considérer, d′exercer l′affectation de l′humilité et de la patience, la feinte d′être l′un quelconque des spectateurs, comme un privilège de sa bonne éducation. Il est probable qu′à le voir ainsi dissimulant sous un sourire plein de bonhomie le seuil infranchissable du petit univers spécial qu′il portait en lui, plus d′un fils de riche banquier, entrant à ce moment au théâtre, eût pris ce grand seigneur pour un homme de peu, s′il ne lui avait trouvé une étonnante ressemblance avec le portrait, reproduit récemment par les journaux illustrés, d′un neveu de l′empereur d′Autriche, le prince de Saxe, qui se trouvait justement à Paris en ce moment. Je le savais grand ami des Guermantes. En arrivant moi-même près du contrôleur, j′entendis le prince de Saxe, ou supposé tel, dire en souriant: «Je ne sais pas le numéro de la loge, c′est sa cousine qui m′a dit que je n′avais qu′à demander sa loge.»
That evening, as, armed with the ticket my father had received from his friend, I was climbing the grand staircase of the Opera, I saw in front of me a man whom I took at first for M. de Charlus, whose bearing he had; when he turned his head to ask some question of one of the staff I saw that I had been mistaken, but I had no hesitation in placing the stranger in the same class of society, from the way not only in which he was dressed but in which he spoke to the man who took the tickets and to the box-openers who were keeping him waiting. For, apart from personal details of similarity, there was still at this period between any smart and wealthy man of that section of the nobility and any smart and wealthy man of the world of finance or ‘big business′ a strongly marked difference. Where one of the latter would have thought he was giving proof of his exclusiveness by adopting a sharp, haughty tone in speaking to an inferior, the great gentleman, affable, pleasant, smiling, had the air of considering, practising an affectation of humility and patience, a pretence of being just one of the audience, as a privilege of his good breeding. It is quite likely that, on seeing him thus dissemble behind a smile overflowing with good nature the barred threshold of the little world apart which he carried in his person, more than one wealthy banker′s son, entering the theatre at that moment, would have taken this great gentleman for a person of no importance if he had not remarked in him an astonishing resemblance to the portrait that had recently appeared in the illustrated papers of a nephew of the Austrian Emperor, the Prince of Saxony, who happened to be in Paris at the time. I knew him to be a great friend of the Guermantes. As I reached the attendant I heard the Prince of Saxony (or his double) say with a smile: “I don′t know the number; it was my cousin who told me I had only to ask for her box.”
Il était peut-être le prince de Saxe; c′était peut-être la duchesse de Guermantes (que dans ce cas je pourrais apercevoir en train de vivre un des moments de sa vie inimaginable, dans la baignoire de sa cousine) que ses yeux voyaient en pensée quand il disait: «sa cousine qui m′a dit que je n′avais qu′à demander sa loge», si bien que ce regard souriant et particulier, et ces mots si simples, me caressaient le coeur (bien plus que n′eût fait une rêverie abstraite), avec les antennes alternatives d′un bonheur possible et d′un prestige incertain. Du moins, en disant cette phrase au contrôleur, il embranchait sur une vulgaire soirée de ma vie quotidienne un passage éventuel vers un monde nouveau; le couloir qu′on lui désigna après avoir prononcé le mot de baignoire, et dans lequel il s′engagea, était humide et lézardé et semblait conduire à des grottes marines, au royaume mythologique des nymphes des eaux. Je n′avais devant moi qu′un monsieur en habit qui s′éloignait; mais je faisais jouer auprès de lui, comme avec un réflecteur maladroit, et sans réussir à l′appliquer exactement sur lui, l′idée qu′il était le prince de Saxe et allait voir la duchesse de Guermantes. Et, bien qu′il fût seul, cette idée extérieure à lui, impalpable, immense et saccadée comme une projection, semblait le précéder et le conduire comme cette Divinité, invisible pour le reste des hommes, qui se tient auprès du guerrier grec.
He may well have been the Prince of Saxony; it was perhaps of the Duchesse de Guermantes (whom, in that event, I should be able to watch in the process of living one of those moments of her unimaginable life in her cousin′s box) that his eyes formed a mental picture when he referred to ‘my cousin who told me I had only to ask for her box,′ so much so that that smiling gaze peculiar to himself, those so simple words caressed my heart (far more gently than would any abstract meditation) with the alternative feelers of a possible happiness and a vague distinction. Whatever he was, in uttering this sentence to the attendant he grafted upon a commonplace evening in my everyday life a potential outlet into a new world; the passage to which he was directed after mentioning the word ‘box′ and along which he now proceeded was moist and mildewed and seemed to lead to subaqueous grottoes, to the mythical kingdom of the water-nymphs. I had before me a gentleman in evening dress who was walking away from me, but I kept playing upon and round him, as with a badly fitting reflector on a lamp, and without ever succeeding in making it actually coincide with him, the idea that he was the Prince of Saxony and was on his way to join the Duchesse de Guermantes. And, for all that he was alone, that idea, external to himself, impalpable, immense, unstable as the shadow projected by a magic lantern, seemed to precede and guide him like that deity, invisible to the rest of mankind, who stands beside the Greek warrior in the hour of battle.
Je gagnai ma place, tout en cherchant à retrouver un vers de Phèdre dont je ne me souvenais pas exactement. Tel que je me le récitais, il n′avait pas le nombre de pieds voulus, mais comme je n′essayai pas de les compter, entre son déséquilibre et un vers classique il me semblait qu′il n′existait aucune commune mesure. Je n′aurais pas été étonné qu′il eût fallu ôter plus de six syllabes à cette phrase monstrueuse pour en faire un vers de douze pieds. Mais tout à coup je me le rappelai, les irréductibles aspérités d′un monde inhumain s′anéantirent magiquement; les syllabes du vers remplirent aussitôt la mesure d′un alexandrin, ce qu′il avait de trop se dégagea avec autant d′aisance et de souplesse qu′une bulle d′air qui vient crever à la surface de l′eau. Et en effet cette énormité avec laquelle j′avais lutté n′était qu′un seul pied.
I took my seat, striving all the time to recapture a line from Phèdre which I could not quite remember. In the form in which I repeated it to myself it had not the right number of feet, but as I made no attempt to count them, between its unwieldiness and a classical line of poetry it seemed as though no common measure could exist. It would not have surprised me to learn that I must subtract at least half a dozen syllables from that portentous phrase to reduce it to alexandrine dimensions. But suddenly I remembered it, the irremediable asperities of an inhuman world vanished as if by magic; the syllables of the line at once filled up the requisite measure, what there was in excess floated off with the ease, the dexterity of a bubble of air that rises to burst on the water′s brink. And, after all, this excrescence with which I had been struggling consisted of but a single foot.
Un certain nombre de fauteuils d′orchestre avaient été mis en vente au bureau et achetés par des snobs ou des curieux qui voulaient contempler des gens qu′ils n′auraient pas d′autre occasion de voir de près. Et c′était bien, en effet, un peu de leur vraie vie mondaine habituellement cachée qu′on pourrait considérer publiquement, car la princesse de Parme ayant placé elle-même parmi ses amis les loges, les balcons et les baignoires, la salle était comme un salon où chacun changeait de place, allait s′asseoir ici ou là, près d′une amie.
A certain number of orchestra stalls had been offered for sale at the box office and bought, out of snobbishness or curiosity, by such as wished to study the appearance of people whom they might not have another opportunity of seeing at close quarters. And it was indeed a fragment of their true social life, ordinarily kept secret, that one could examine here in public, for, the Princesse de Parme having herself distributed among her friends the seats in stalls, balconies and boxes, the house was like a drawing-room in which everyone changed his place, went to sit here or there wherever he caught sight of a woman whom he knew.
A côté de moi étaient des gens vulgaires qui, ne connaissant pas les abonnés, voulaient montrer qu′ils étaient capables de les reconnaître et les nommaient tout haut. Ils ajoutaient que ces abonnés venaient ici comme dans leur salon, voulant dire par là qu′ils ne faisaient pas attention aux pièces représentées. Mais c′est le contraire qui avait lieu. Un étudiant génial qui a pris un fauteuil pour entendre la Berma ne pense qu′à ne pas salir ses gants, à ne pas gêner, à se concilier le voisin que le hasard lui a donné, à poursuivre d′un sourire intermittent le regard fugace, à fuir d′un air impoli le regard rencontré d′une personne de connaissance qu′il a découverte dans la salle et qu′après mille perplexités il se décide à aller saluer au moment où les trois coups, en retentissant avant qu′il soit arrivé jusqu′à elle, le forcent à s′enfuir comme les Hébreux dans la mer Rouge entre les flots houleux des spectateurs et des spectatrices qu′il a fait lever et dont il déchire les robes ou écrase les bottines. Au contraire, c′était parce que les gens du monde étaient dans leurs loges (derrière le balcon en terrasse), comme dans de petits salons suspendus dont une cloison eût été enlevée, ou dans de petits cafés où l′on va prendre une bavaroise, sans être intimidé par les glaces encadrées d′or, et les sièges rouges de l′établissement du genre napolitain; c′est parce qu′ils posaient une main indifférente sur les fûts dorés des colonnes qui soutenaient ce temple de l′art lyrique, c′est parce qu′ils n′étaient pas émus des honneurs excessifs que semblaient leur rendre deux figures sculptées qui tendaient vers les loges des palmes et des lauriers, que seuls ils auraient eu l′esprit libre pour écouter la pièce si seulement ils avaient eu de l′esprit.
Next to me were some common people who, not knowing the regular subscribers, were anxious to shew that they were capable of identifying them and named them aloud. They went on to remark that these subscribers behaved there as though they were in their own drawing-rooms, meaning that they paid no attention to what was being played. Which was the exact opposite of what did happen. A budding genius who had taken a stall in order to hear Berma thinks only of not soiling his gloves, of not disturbing, of making friends with the neighbour whom chance has put beside him, of pursuing with an intermittent smile the fugitive — avoiding with apparent want of politeness the intercepted gaze of a person of his acquaintance whom he has discovered in the audience and to whom, after a thousand indecisions, he makes up his mind to go and talk just as the three hammer-blows from the stage, sounding before he has had time to reach his friend, force him to take flight, like the Hebrews in the Red Sea, through a heaving tide of spectators and spectatresses whom he has obliged to rise and whose dresses he tears as he passes, or tramples on their boots. On the other hand it was because the society people sat in their boxes (behind the general terrace of the balcony, as in so many little drawing-rooms, the fourth walls of which had been removed, or in so many little cafés, to which one might go for refreshment, without letting oneself be intimidated by the mirrors in gilt frames or the red plush seats, in the Neapolitan style, of the establishment), it was because they rested an indifferent hand on the gilded shafts of the columns which upheld this temple of the lyric art, it was because they remained unmoved by the extravagant honours which seemed to be being paid them by a pair of carved figures which held out towards the boxes branches of palm and laurel, that they and they only would have had minds free to listen to the play, if only they had had minds.
D′abord il n′y eut que de vagues ténèbres où on rencontrait tout d′un coup, comme le rayon d′une pierre précieuse qu′on ne voit pas, la phosphorescence de deux yeux célèbres, ou, comme un médaillon d′Henri IV détaché sur un fond noir, le profil incliné du duc d′Aumale, à qui une dame invisible criait: «Que Monseigneur me permette de lui ôter son pardessus», cependant que le prince répondait: «Mais voyons, comment donc, Madame d′Ambresac.» Elle le faisait malgré cette vague défense et était enviée par tous à cause d′un pareil honneur.
At first there was nothing visible but vague shadows, in which one suddenly struck — like the gleam of a precious stone which one cannot see — the phosphorescence of a pair of famous eyes, or, like a medallion of Henri IV on a dark background, the bent profile of the Due d′Aumale, to whom an invisible lady was exclaiming “Monseigneur must allow me to take his coat,” to which the Prince replied, “Oh, come, come! Really, Madame d′Ambresac.” She took it, in spite of this vague prohibition, and was envied by all the rest her being thus honoured.
Mais, dans les autres baignoires, presque partout, les blanches déités qui habitaient ces sombres séjours s′étaient réfugiées contre les parois obscures et restaient invisibles. Cependant, au fur et à mesure que le spectacle s′avançait, leurs formes vaguement humaines se détachaient mollement l′une après l′autre des profondeurs de la nuit qu′elles tapissaient et, s′élevant vers le jour, laissaient émerger leurs corps demi-nus, et venaient s′arrêter à la limite verticale et à la surface clair-obscur où leurs brillants visages apparaissaient derrière le déferlement rieur, écumeux et léger de leurs éventails de plumes, sous leurs chevelures de pourpre emmêlées de perles que semblait avoir courbées l′ondulation du flux; après commençaient les fauteuils d′orchestre, le séjour des mortels à jamais séparé du sombre et transparent royaume auquel ça et là servaient de frontière, dans leur surface liquide et pleine, les yeux limpides et réfléchissant des déesses des eaux. Car les strapontins du rivage, les formes des monstres de l′orchestre se peignaient dans ces yeux suivant les seules lois de l′optique et selon leur angle d′incidence, comme il arrive pour ces deux parties de la réalité extérieure auxquelles, sachant qu′elles ne possèdent pas, si rudimentaire soit-elle, d′âme analogue à la nôtre, nous nous jugerions insensés d′adresser un sourire ou un regard: les minéraux et les personnes avec qui nous ne sommes pas en relations. En deçà, au contraire, de la limite de leur domaine, les radieuses filles de la mer se retournaient à tout moment en souriant vers des tritons barbus pendus aux anfractuosités de l′abîme, ou vers quelque demi-dieu aquatique ayant pour crâne un galet poli sur lequel le flot avait ramené une algue lisse et pour regard un disque en cristal de roche. Elles se penchaient vers eux, elles leur offraient des bonbons; parfois le flot s′entr′ouvrait devant une nouvelle néréide qui, tardive, souriante et confuse, venait de s′épanouir du fond de l′ombre; puis l′acte fini, n′espérant plus entendre les rumeurs mélodieuses de la terre qui les avaient attirées à la surface, plongeant toutes à la fois, les diverses soeurs disparaissaient dans la nuit. Mais de toutes ces retraites au seuil desquelles le souci léger d′apercevoir les oeuvres des hommes amenait les déesses curieuses, qui ne se laissent pas approcher, la plus célèbre était le bloc de demi-obscurité connu sous le nom de baignoire de la princesse de Guermantes.
But in the other boxes, everywhere almost, the white deities who inhabited those sombre abodes had flown for shelter against their shadowy walls and remained invisible. Gradually, however, as the performance went on, their vaguely human forms detached themselves, one by one, from the shades of night which they patterned, and, raising themselves towards the light, allowed their semi-nude bodies to emerge, and rose, and stopped at the limit of their course, at the luminous, shaded surface on which their brilliant faces appeared behind the gaily breaking foam of the feather fans they unfurled and lightly waved, beneath their hyacinthine locks begemmed with pearls, which the flow of the tide seemed to have caught and drawn with it; this side of them, began the orchestra stalls, abode of mortals for ever separated from the transparent, shadowy realm to which, at points here and there, served as boundaries, on its brimming surface, the limpid, mirroring eyes of the water-nymphs. For the folding seats on its shore, the forms of the monsters in the stalls were painted upon the surface of those eyes in simple obedience to the laws of optics and according to their angle of incidence, as happens with those two sections of external reality to which, knowing that they do not possess any soul, however rudimentary, that can be considered as analogous to our own, we should think ourselves mad if we addressed a smile or a glance of recognition: namely, minerals and people to whom we have not been introduced. Beyond this boundary, withdrawing from the limit of their domain, the radiant daughters of the sea kept turning at every moment to smile up at the bearded tritons who clung to the anfractuosities of the cliff, or towards some aquatic demi-god, whose head was a polished stone to which the tides had borne a smooth covering of seaweed, and his gaze a disc of rock crystal. They leaned towards these creatures, offering them sweetmeats; sometimes the flood parted to admit a fresh Nereid who, belated, smiling, apologetic, had just floated into blossom out of the shadowy depths; then, the act ended, having no further hope of hearing the melodious sounds of earth which had drawn them to the surface, plunging back all in a moment the several sisters vanished into the night. But of all these retreats, to the thresholds of which their mild desire to behold the works of man brought the curious goddesses who let none approach them, the most famous was the cube of semi-darkness known to the world as the stage box of the Princesse de Guermantes.
Comme une grande déesse qui préside de loin aux jeux des divinités inférieures, la princesse était restée volontairement un peu au fond sur un canapé latéral, rouge comme un rocher de corail, à côté d′une large réverbération vitreuse qui était probablement une glace et faisait penser à quelque section qu′un rayon aurait pratiquée, perpendiculaire, obscure et liquide, dans le cristal ébloui des eaux. A la fois plume et corolle, ainsi que certaines floraisons marines, une grande fleur blanche, duvetée comme une aile, descendait du front de la princesse le long d′une de ses joues dont elle suivait l′inflexion avec une souplesse coquette, amoureuse et vivante, et semblait l′enfermer à demi comme un oeuf rose dans la douceur d′un nid d′alcyon. Sur la chevelure de la princesse, et s′abaissant jusqu′à ses sourcils, puis reprise plus bas à la hauteur de sa gorge, s′étendait une résille faite de ces coquillages blancs qu′on pêche dans certaines mers australes et qui étaient mêlés à des perles, mosaî°µe marine à peine sortie des vagues qui par moment se trouvait plongée dans l′ombre au fond de laquelle, même alors, une présence humaine était révélée par la motilité éclatante des yeux de la princesse. La beauté qui mettait celle-ci bien au-dessus des autres filles fabuleuses de la pénombre n′était pas tout entière matériellement et inclusivement inscrite dans sa nuque, dans ses épaules, dans ses bras, dans sa taille. Mais la ligne délicieuse et inachevée de celle-ci était l′exact point de départ, l′amorce inévitable de lignes invisibles en lesquelles l′oeil ne pouvait s′empêcher de les prolonger, merveilleuses, engendrées autour de la femme comme le spectre d′une figure idéale projetée sur les ténèbres.
Like a mighty goddess who presides from far aloft over the sports of lesser deities, the Princess had deliberately remained a little way back on a sofa placed sideways in the box, red as a reef of coral, beside a big, glassy splash of reflexion which was probably a mirror and made one think of the section cut by a ray of sunlight, vertical, clear, liquid, through the flashing crystal of the sea. At once plume and blossom, like certain subaqueous growths, a great white flower, downy as the wing of a bird, fell from the brow of the Princess along one of her cheeks, the curve of which it followed with a pliancy, coquettish, amorous, alive, and seemed almost to enfold it like a rosy egg in the softness of a halcyon′s nest. Over her hair, reaching in front to her eyebrows and caught back lower down at the level of her throat, was spread a net upon which those little white shells which are gathered on some shore of the South Seas alternated with pearls, a marine mosaic barely emerging from the waves and at every moment plunged back again into a darkness in the depths of which even then a human presence was revealed by the ubiquitous flashing of the Princess′s eyes. The beauty which set her far above all the other fabulous daughters of the dusk was not altogether materially and comprehensively inscribed on her neck, her shoulders, her arms, her figure. But the exquisite, unfinished line of the last was the exact starting point, the inevitable focus of invisible lines which the eye could not help prolonging, marvellous lines, springing into life round the woman like the spectrum of an ideal form projected upon the screen of darkness.
— C′est la princesse de Guermantes, dit ma voisine au monsieur qui était avec elle, en ayant soin de mettre devant le mot princesse plusieurs p indiquant que cette appellation était risible. Elle n′a pas économisé ses perles. Il me semble que si j′en avais autant, je n′en ferais pas un pareil étalage; je ne trouve pas que cela ait l′air comme il faut.
“That′s the Princesse de Guermantes,” said my neighbour to the gentleman beside her, taking care to begin the word ‘Princesse′ with a string of P′s, to shew that a title like that was absurd. “She hasn′t been sparing with her pearls. I′m sure, if I had as many as that, I wouldn′t make such a display of them; it doesn′t look at all well, not to my mind.”
Et cependant, en reconnaissant la princesse, tous ceux qui cherchaient à savoir qui était dans la salle sentaient se relever dans leur coeur le trône légitime de la beauté. En effet, pour la duchesse de Luxembourg, pour Mme de Morienval, pour Mme de Saint–Euverte, pour tant d′autres, ce qui permettait d′identifier leur visage, c′était la connexité d′un gros nez rouge avec un bec de lièvre, ou de deux joues ridées avec une fine moustache. Ces traits étaient d′ailleurs suffisants pour charmer, puisque, n′ayant que la valeur conventionnelle d′une écriture, ils donnaient à lire un nom célèbre et qui imposait; mais aussi, ils finissaient par donner l′idée que la laideur a quelque chose d′aristocratique, et qu′il est indifférent que le visage d′une grande dame, s′il est distingué, soit beau. Mais comme certains artistes qui, au lieu des lettres de leur nom, mettent au bas de leur toile une forme belle par elle-même, un papillon, un lézard, une fleur, de même c′était la forme d′un corps et d′un visage délicieux que la princesse apposait à l′angle de sa loge, montrant par là que la beauté peut être la plus noble des signatures; car la présence de Mme de Guermantes, qui n′amenait au théâtre que des personnes qui le reste du temps faisaient partie de son intimité, était, aux yeux des amateurs d′aristocratie, le meilleur certificat d′authenticité du tableau que présentait sa baignoire, sorte d′évocation d′une scène de la vie familière et spéciale de la princesse dans ses palais de Munich et de Paris.
And yet, when they caught sight of the Princess, all those who were looking round to see who was in the audience felt springing up for her in their hearts the rightful throne of beauty. Indeed, with the Duchesse de Luxembourg, with Mme. de Morienval, with Mme. de Saint-Euverte, and any number of others, what enabled one to identify their faces would be the juxtaposition of a big red nose to a hare-lip, or of a pair of wrinkled cheeks to a faint moustache. These features were nevertheless sufficient in themselves to attract the eye, since having merely the conventional value of a written document they gave one to read a famous and impressive name; but also they gave one, cumulatively, the idea that ugliness had about it something aristocratic, and that it was unnecessary that the face of a great lady, provided it was distinguished, should be beautiful as well. But like certain artists who, instead of the letters of their names, set at the foot of their canvas a form that is beautiful in itself, a butterfly, a lizard, a flower, so it was the form of a delicious face and figure that the Princess had put in the corner of her box, thereby shewing that beauty can be the noblest of signatures; for the presence there of Mme. de Guermantes-Bavière, who brought to the theatre only such persons as at other times formed part of her intimate circle, was in the eyes of specialists in aristocracy the best possible certificate of the authenticity of the picture which her box presented, a sort of evocation of a scene in the ordinary private life of the Princess in her palaces in Munich and in Paris.
Notre imagination étant comme un orgue de Barbarie détraqué qui joue toujours autre chose que l′air indiqué, chaque fois que j′avais entendu parler de la princesse de Guermantes–Bavière, le souvenir de certaines oeuvres du XVIe siècle avait commencé à chanter en moi. Il me fallait l′en dépouiller maintenant que je la voyais, en train d′offrir des bonbons glacés à un gros monsieur en frac. Certes j′étais bien loin d′en conclure qu′elle et ses invités fussent des êtres pareils aux autres. Je comprenais bien que ce qu′ils faisaient là n′était qu′un jeu, et que pour préluder aux actes de leur vie véritable (dont sans doute ce n′est pas ici qu′ils vivaient la partie importante) ils convenaient en vertu des rites ignorés de moi, ils feignaient d′offrir et de refuser des bonbons, geste dépouillé de sa signification et réglé d′avance comme le pas d′une danseuse qui tour à tour s′élève sur sa pointe et tourne autour d′une écharpe. Qui sait? peut-être au moment où elle offrait ses bonbons, la Déesse disait-elle sur ce ton d′ironie (car je la voyais sourire): «Voulez-vous des bonbons?» Que m′importait? J′aurais trouvé d′un délicieux raffinement la sécheresse voulue, à la Mérimée ou à la Meilhac, de ces mots adressés par une déesse à un demi-dieu qui, lui, savait quelles étaient les pensées sublimes que tous deux résumaient, sans doute pour le moment où ils se remettraient à vivre leur vraie vie et qui, se prêtant à ce jeu, répondait avec la même mystérieuse malice: «Oui, je veux bien une cerise.» Et j′aurais écouté ce dialogue avec la même avidité que telle scène du Mari de la Débutante[/i.>, où l′absence de poésie, de grandes pensées, choses si familières pour moi et que je suppose que Meilhac eût été mille fois capable d′y mettre, me semblait à elle seule une élégance, une élégance conventionnelle, et par là d′autant plus mystérieuse et plus instructive.
Our imagination being like a barrel organ out of order, which always plays some other tune than that shewn on its card, every time that I had heard any mention of the Princesse de Guermantes-Bavière, a recollection of certain sixteenth-century masterpieces had begun singing in my brain. I was obliged to rid myself quickly of this association, now that I saw her engaged in offering crystallised fruit to a stout gentleman in a swallowtail coat. Certainly I was very far from the conclusion that she and her guests were mere human beings like the rest of the audience. I understood that what they were doing there was all only a game, and that as a prelude to the acts of their real life (of which, presumably, this was not where they spent the important part) they had arranged, in obedience to a ritual unknown to me, they were feigning to offer and decline sweetmeats, a gesture robbed of its ordinary significance and regulated beforehand like the step of a dancer who alternately raises herself on her toes and circles about an upheld scarf. For all I knew, perhaps at the moment of offering him her sweetmeats the goddess was saying, with that note of irony in her voice (for I saw her smile): “Do have one, won′t you?” What mattered that to me? I should have found a delicious refinement in the deliberate dryness, in the style of Mérimée or Meilhac, of such words addressed by a goddess to a demi-god who, conscious himself what were the sublime thoughts which they both had in their minds, in reserve, doubtless, until the moment when they would begin again to live their true life, consenting to join in the game, was answering with the same mysterious bitterness: “Thanks; I should like a cherry.” And I should have listened to this dialogue with the same avidity as to a scene from Le Mari de la Débutante, where the absence of poetry, of lofty thoughts, things so familiar to me which, I suppose, Meilhac could easily, had he chosen, have put into it a thousand times over, seemed to me in itself a refinement, a conventional refinement and therefore all the more mysterious and instructive.
— Ce gros-là, c′est le marquis de Ganançay, dit d′un air renseigné mon voisin qui avait mal entendu le nom chuchoté derrière lui.
“That fat fellow is the Marquis de Ganançay,” came in a knowing tone from the man next to me, who had not quite caught the name whispered in the row behind.
Le marquis de Palancy, le cou tendu, la figure oblique, son gros oeil rond collé contre le verre du monocle, se déplaçait lentement dans l′ombre transparente et paraissait ne pas plus voir le public de l′orchestre qu′un poisson qui passe, ignorant de la foule des visiteurs curieux, derrière la cloison vitrée d′un aquarium. Par moment il s′arrêtait, vénérable, soufflant et moussu, et les spectateurs n′auraient pu dire s′il souffrait, dormait, nageait, était en train de pondre ou respirait seulement. Personne n′excitait en moi autant d′envie que lui, à cause de l′habitude qu′il avait l′air d′avoir de cette baignoire et de l′indifférence avec laquelle il laissait la princesse lui tendre des bonbons; elle jetait alors sur lui un regard de ses beaux yeux taillés dans un diamant que semblaient bien fluidifier, à ces moments-là, l′intelligence et l′amitié, mais qui, quand ils étaient au repos, réduits à leur pure beauté matérielle, à leur seul éclat minéralogique, si le moindre réflexe les déplaçait légèrement, incendiaient la profondeur du parterre de feux inhumains, horizontaux et splendides. Cependant, parce que l′acte de Phèdre que jouait la Berma allait commencer, la princesse vint sur le devant de la baignoire; alors, comme si elle-même était une apparition de théâtre, dans la zone différente de lumière qu′elle traversa, je vis changer non seulement la couleur mais la matière de ses parures. Et dans la baignoire asséchée, émergée, qui n′appartenait plus au monde des eaux, la princesse cessant d′être une néréide apparut enturbannée de blanc et de bleu comme quelque merveilleuse tragédienne costumée en Zaî±¥ ou peut-être en Orosmane; puis quand elle se fut assise au premier rang, je vis que le doux nid d′alcyon qui protégeait tendrement la nacre rose de ses joues était, douillet, éclatant et velouté, un immense oiseau de paradis.
The Marquis de Palancy, his face bent downwards at the end of his long neck, his round bulging eye glued to the glass of his monocle, was moving with a leisurely displacement through the transparent shade and appeared no more to see the public in the stalls than a fish that drifts past, unconscious of the press of curious gazers, behind the glass wall of an aquarium. Now and again he paused, a venerable, wheezing monument, and the audience could not have told whether he was in pain, asleep, swimming, about to spawn, or merely taking breath. No one else aroused in me so much envy as he, on account of his apparent familiarity with this box and the indifference with which he allowed the Princess to hold out to him her box of sweetmeats; throwing him, at the same time, a glance from her fine eyes, cut in a pair of diamonds which at such moments wit and friendliness seemed to liquefy, whereas, when they were at rest, reduced to their purely material beauty, to their mineral brilliance alone, if the least reflected flash disturbed them ever so slightly, they set the darkness ablaze with inhuman horizontal splendid fires. But now, because the act of Phèdre in which Berma was playing was due to start, the Princess came to the front of the box; whereupon, as if she herself were a theatrical production, in the zone of light which she traversed, I saw not only the colour but the material of her adornments change. And in the box, dry now, emerging, a part no longer of the watery realm, the Princess, ceasing to be a Nereid, appeared turbanned in white and blue like some marvellous tragic actress dressed for the part of Zaî±¥, or perhaps of Orosmane; finally, when she had taken her place in the front row I saw that the soft halcyon′s nest which tenderly shielded the rosy nacre of her cheeks was — downy, dazzling, velvety, an immense bird of paradise.
Cependant mes regards furent détournés de la baignoire de la princesse de Guermantes par une petite femme mal vêtue, laide, les yeux en feu, qui vint, suivie de deux jeunes gens, s′asseoir à quelques places de moi. Puis le rideau se leva. Je ne pus constater sans mélancolie qu′il ne me restait rien de mes dispositions d′autrefois quand, pour ne rien perdre du phénomène extraordinaire que j′aurais été contempler au bout du monde, je tenais mon esprit préparé comme ces plaques sensibles que les astronomes vont installer en Afrique, aux Antilles, en vue de l′observation scrupuleuse d′une comète ou d′une éclipse; quand je tremblais que quelque nuage (mauvaise disposition de l′artiste, incident dans le public) empêchât le spectacle de se produire dans son maximum d′intensité; quand j′aurais cru ne pas y assister dans les meilleures conditions si je ne m′étais pas rendu dans le théâtre même qui lui était consacré comme un autel, où me semblaient alors faire encore partie, quoique partie accessoire, de son apparition sous le petit rideau rouge, les contrôleurs à oeillet blanc nommés par elle, le soubassement de la nef au-dessus d′un parterre plein de gens mal habillés, les ouvreuses vendant un programme avec sa photographie, les marronniers du square, tous ces compagnons, ces confidents de mes impressions d′alors et qui m′en semblaient inséparables. Phèdre[/i.>, la «Scène de la Déclaration», la Berma avaient alors pour moi une sorte d′existence absolue. Situées en retrait du monde de l′expérience courante, elles existaient par elles-mêmes, il me fallait aller vers elles, je pénétrerais d′elles ce que je pourrais, et en ouvrant mes yeux et mon âme tout grands j′en absorberais encore bien peu. Mais comme la vie me paraissait agréable! l′insignifiance de celle que je menais n′avait aucune importance, pas plus que les moments où on s′habille, où on se prépare pour sortir, puisque au delà existait, d′une façon absolue, bonnes et difficiles à approcher, impossibles à posséder tout entières, ces réalités plus solides, Phèdre[/i.>, la manière dont disait la Berma. Saturé par ces rêveries sur la perfection dans l′art dramatique desquelles on eût pu extraire alors une dose importante, si l′on avait dans ces temps-là analysé mon esprit à quelque minute du jour et peut-être de la nuit que ce fût, j′étais comme une pile qui développe son électricité. Et il était arrivé un moment où malade, même si j′avais cru en mourir, il aurait fallu que j′allasse entendre la Berma. Mais maintenant, comme une colline qui au loin semble faite d′azur et qui de près rentre dans notre vision vulgaire des choses, tout cela avait quitté le monde de l′absolu et n′était plus qu′une chose pareille aux autres, dont je prenais connaissance parce que j′étais là, les artistes étaient des gens de même essence que ceux que je connaissais, tâchant de dire le mieux possible ces vers de Phèdre qui, eux, ne formaient plus une essence sublime et individuelle, séparée de tout, mais des vers plus ou moins réussis, prêts à rentrer dans l′immense matière de vers français où ils étaient mêlés. J′en éprouvais un découragement d′autant plus profond que si l′objet de mon désir têtu et agissant n′existait plus, en revanche les mêmes dispositions à une rêverie fixe, qui changeait d′année en année, mais me conduisait à une impulsion brusque, insoucieuse du danger, persistaient. Tel jour où, malade, je partais pour aller voir dans un château un tableau d′Elstir, une tapisserie gothique, ressemblait tellement au jour où j′avais dû partir pour Venise, à celui où j′étais allé entendre la Berma, ou parti pour Balbec, que d′avance je sentais que l′objet présent de mon sacrifice me laisserait indifférent au bout de peu de temps, que je pourrais alors passer très près de lui sans aller regarder ce tableau, ces tapisseries pour lesquelles j′eusse en ce moment affronté tant de nuits sans sommeil, tant de crises douloureuses. Je sentais par l′instabilité de son objet la vanité de mon effort, et en même temps son énormité à laquelle je n′avais pas cru, comme ces neurasthéniques dont on double la fatigue en leur faisant remarquer qu′ils sont fatigués. En attendant, ma songerie donnait du prestige à tout ce qui pouvait se rattacher à elle. Et même dans mes désirs les plus charnels toujours orientés d′un certain côté, concentrés autour d′un même rêve, j′aurais pu reconnaître comme premier moteur une idée, une idée à laquelle j′aurais sacrifié ma vie, et au point le plus central de laquelle, comme dans mes rêveries pendant les après-midi de lecture au jardin à Combray, était l′idée de perfection.
But now my gaze was diverted from the Princesse de Guermantes′s box by a little woman who came in, ill-dressed, plain, her eyes ablaze with indignation, followed by two young men, and sat down a few places from me. At length the curtain went up. I could not help being saddened by the reflexion that there remained now no trace of my old disposition, at the period when, so as to miss nothing of the extraordinary phenomenon which I would have gone to the ends of the earth to see, I kept my mind prepared, like the sensitive plates which astronomers take out to Africa, to the West Indies, to make and record an exact observation of a comet or an eclipse; when I trembled for fear lest some cloud (a fit of ill humour on the artist′s part or an incident in the audience) should prevent the spectacle from presenting itself with the maximum of intensity; when I should not have believed that I was watching it in the most perfect conditions had I not gone to the very theatre which was consecrated to it like an altar, in which I then felt to be still a part of it, though an accessory part only, the officials with their white carnations, appointed by her, the vaulted balcony covering a pit filled with a shabbily dressed crowd, the women selling programmes that had her photograph, the chestnut trees in the square outside, all those companions, those confidants of my impressions of those days which seemed to me to be inseparable from them. Phèdre, the ‘Declaration Scene,′ Berma, had had then for me a sort of absolute existence. Standing aloof from the world of current experience they existed by themselves, I must go to meet them, I should penetrate what I could of them, and if I opened my eyes and soul to their fullest extent I should still absorb but a very little of them. But how pleasant life seemed to me: the triviality of the form of it that I myself was leading mattered nothing, no more than the time we spend on dressing, on getting ready to go out, since, transcending it, there existed in an absolute form, good and difficult to approach, impossible to possess in their entirety, those more solid realities, Phèdre and the way in which Berma spoke her part. Steeped in these dreams of perfection in the dramatic art (a strong dose of which anyone who had at that time subjected my mind to analysis at any moment of the day or even the night would have been able to prepare from it), I was like a battery that accumulates and stores up electricity. And a time had come when, ill as I was, even if I had believed that I should die of it, I should still have been compelled to go and hear Berma. But now, like a hill which from a distance seems a patch of azure sky, but, as we draw nearer, returns to its place in our ordinary field of vision, all this had left the world of the absolute and was no more than a thing like other things, of which I took cognisance because I was there, the actors were people of the same substance as the people I knew, trying to speak in the best possible way these lines of Phèdre, which themselves no longer formed a sublime and individual essence, distinct from everything else, but were simply more or less effective lines ready to slip back into the vast corpus of French poetry, of which they were merely a part. I felt a discouragement that was all the more profound in that, if the object of my headstrong and active desire no longer existed, the same tendencies, on the other hand, to indulge in a perpetual dream, which varied from year to year but led me always to sudden impulses, regardless of danger, still persisted. The day on which I rose from my bed of sickness and set out to see, in some country house or other, a picture by Elstir or a mediaeval tapestry, was so like the day on which I ought to have started for Venice, or that on which I did go to hear Berma, or start for Balbec, that I felt before going that the immediate object of my sacrifice would, after a little while, leave me cold, that then I might pass close by the place without stopping even to look at that picture, those tapestries for which I would at this moment risk so many sleepless nights, so many hours of pain. I discerned in the instability of its object the vanity of my effort, and at the same time its vastness, which I had not before noticed, like a neurasthenic whose exhaustion we double by pointing out to him that he is exhausted. In the meantime my musings gave a distinction to everything that had any connexion with them. And even in my most carnal desires, magnetised always in a certain direction, concentrated about a single dream, I might have recognised as their primary motive an idea, an idea for which I would have laid down my life, at the innermost core of which, as in my day dreams while I sat reading all afternoon in the garden at Combray, lay the thought of perfection.
Je n′eus plus la même indulgence qu′autrefois pour les justes intentions de tendresse ou de colère que j′avais remarquées alors dans le débit et le jeu d′Aricie, d′Ismène et d′Hippolyte. Ce n′est pas que ces artistes — c′étaient les mêmes — ne cherchassent toujours avec la même intelligence à donner ici à leur voix une inflexion caressante ou une ambigueacute; calculée, là à leurs gestes une ampleur tragique ou une douceur suppliante. Leurs intonations commandaient à cette voix: «Sois douce, chante comme un rossignol, caresse»; ou au contraire: «Fais-toi furieuse», et alors se précipitaient sur elle pour tâcher de l′emporter dans leur frénésie. Mais elle, rebelle, extérieure à leur diction, restait irréductiblement leur voix naturelle, avec ses défauts ou ses charmes matériels, sa vulgarité ou son affectation quotidiennes, et étalait ainsi un ensemble de phénomènes acoustiques ou sociaux que n′avait pas altéré le sentiment des vers récités.
I no longer felt the same indulgence as on the former occasion towards the deliberate expressions of affection or anger which I had then remarked in the delivery and gestures of Aricie, Ismène and Hippolyte. It was not that the players — they were the same, by the way — did not still seek, with the same intelligent application, to impart now a caressing inflexion, or a calculated ambiguity to their voices, now a tragic amplitude, or a suppliant meekness to their movements. Their intonations bade the voice: “Be gentle, sing like a nightingale, caress and woo”; or else, “now wax furious,” and then hurled themselves upon it, trying to carry it off with them in their frenzied rush. But it, mutinous, independent of their diction, remained unalterably their natural voice with its material defects or charms, its everyday vulgarity or affectation, and thus presented a sum-total of acoustic or social phenomena which the sentiment contained in the lines they were repeating was powerless to alter.
De même le geste de ces artistes disait à leurs bras, à leur péplum: «Soyez majestueux.» Mais les membres insoumis laissaient se pavaner entre l′épaule et le coude un biceps qui ne savait rien du rôle; ils continuaient à exprimer l′insignifiance de la vie de tous les jours et à mettre en lumière, au lieu des nuances raciniennes, des connexités musculaires; et la draperie qu′ils soulevaient retombait selon une verticale où ne le disputait aux lois de la chute des corps qu′une souplesse insipide et textile. A ce moment la petite dame qui était près de moi s′écria:
Similarly the gestures of the players said to their arms, to their garments: “Be majestic.” But each of these unsubmissive members allowed to flaunt itself between shoulder and elbow a biceps which knew nothing of the part; they continued to express the triviality of everyday life and to bring into prominence, instead of fine shades of Racinian meaning, mere muscular attachments; and the draperies which they held up fell back again along vertical lines in which the natural law that governs falling bodies was challenged only by an insipid textile pliancy. At this point the little woman who was sitting near me exclaimed:
— Pas un applaudissement! Et comme elle est ficelée! Mais elle est trop vieille, elle ne peut plus, on renonce dans ces cas-là.
“Not a hand! Did you ever see such a get-up? She′s too old; she can′t play the part; she ought to have retired ages ago.”
Devant les «chut» des voisins, les deux jeunes gens qui étaient avec elle tâchèrent de la faire tenir tranquille, et sa fureur ne se déchaînait plus que dans ses yeux. Cette fureur ne pouvait d′ailleurs s′adresser qu′au succès, à la gloire, car la Berma qui avait gagné tant d′argent n′avait que des dettes. Prenant toujours des rendez-vous d′affaires ou d′amitié auxquels elle ne pouvait pas se rendre, elle avait dans toutes les rues des chasseurs qui couraient décommander dans les hôtels des appartements retenus à l′avance et qu′elle ne venait jamais occuper, des océans de parfums pour laver ses chiennes, des dédits à payer à tous les directeurs. A défaut de frais plus considérables, et moins voluptueuse que Cléopâtre, elle aurait trouvé le moyen de manger en pneumatiques et en voitures de l′Urbaine des provinces et des royaumes. Mais la petite dame était une actrice qui n′avait pas eu de chance et avait voué une haine mortelle à la Berma. Celle-ci venait d′entrer en scène. Et alors, ô miracle, comme ces leçons que nous nous sommes vainement épuisés à apprendre le soir et que nous retrouvons en nous, sues par coeur, après que nous avons dormi, comme aussi ces visages des morts que les efforts passionnés de notre mémoire poursuivent sans les retrouver, et qui, quand nous ne pensons plus à eux, sont là devant nos yeux, avec la ressemblance de la vie, le talent de la Berma qui m′avait fui quand je cherchais si avidement à en saisir l′essence, maintenant, après ces années d′oubli, dans cette heure d′indifférence, s′imposait avec la force de l′évidence à mon admiration. Autrefois, pour tâcher d′isoler ce talent, je défalquais en quelque sorte de ce que j′entendais le rôle lui-même, le rôle, partie commune à toutes les actrices qui jouaient Phèdre et que j′avais étudié d′avance pour que je fusse capable de le soustraire, de ne recueillir comme résidu que le talent de Mme Berma. Mais ce talent que je cherchais à apercevoir en dehors du rôle, il ne faisait qu′un avec lui. Tel pour un grand musicien (il paraît que c′était le cas pour Vinteuil quand il jouait du piano), son jeu est d′un si grand pianiste qu′on ne sait même plus si cet artiste est pianiste du tout, parce que (n′interposant pas tout cet appareil d′efforts musculaires, ça et là couronnés de brillants effets, toute cette éclaboussure de notes où du moins l′auditeur qui ne sait où se prendre croit trouver le talent dans sa réalité matérielle, tangible) ce jeu est devenu si transparent, si rempli de ce qu′il interprète, que lui-même on ne le voit plus, et qu′il n′est plus qu′une fenêtre qui donne sur un chef-d′oeuvre. Les intentions entourant comme une bordure majestueuse ou délicate la voix et la mimique d′Aricie, d′Ismène, d′Hippolyte, j′avais pu les distinguer; mais Phèdre se les était intériorisées, et mon esprit n′avait pas réussi à arracher à la diction et aux attitudes, à appréhender dans l′avare simplicité de leurs surfaces unies, ces trouvailles, ces effets qui n′en dépassaient pas, tant ils s′y étaient profondément résorbés. La voix de la Berma, en laquelle ne subsistait plus un seul déchet de matière inerte et réfractaire à l′esprit, ne laissait pas discerner autour d′elle cet excédent de larmes qu′on voyait couler, parce qu′elles n′avaient pu s′y imbiber, sur la voix de marbre d′Aricie ou d′Ismène, mais avait été délicatement assouplie en ses moindres cellules comme l′instrument d′un grand violoniste chez qui on veut, quand on dit qu′il a un beau son, louer non pas une particularité physique mais une supériorité d′âme; et comme dans le paysage antique où à la place d′une nymphe disparue il y a une source inanimée, une intention discernable et concrète s′y était changée en quelque qualité du timbre, d′une limpidité étrange, appropriée et froide. Les bras de la Berma que les vers eux-mêmes, de la même émission par laquelle ils faisaient sortir sa voix de ses lèvres, semblaient soulever sur sa poitrine, comme ces feuillages que l′eau déplace en s′échappant; son attitude en scène qu′elle avait lentement constituée, qu′elle modifierait encore, et qui était faite de raisonnements d′une autre profondeur que ceux dont on apercevait la trace dans les gestes de ses camarades, mais de raisonnements ayant perdu leur origine volontaire, fondus dans une sorte de rayonnement où ils faisaient palpiter, autour du personnage de Phèdre, des éléments riches et complexes, mais que le spectateur fasciné prenait, non pour une réussite de l′artiste mais pour une donnée de la vie; ces blancs voiles eux-mêmes, qui, exténués et fidèles, semblaient de la matière vivante et avoir été filés par la souffrance mi-pane, mi-janséniste, autour de laquelle ils se contractaient comme un cocon fragile et frileux; tout cela, voix, attitudes, gestes, voiles, n′étaient, autour de ce corps d′une idée qu′est un vers (corps qui, au contraire des corps humains, n′est pas devant l′âme comme un obstacle opaque qui empêche de l′apercevoir mais comme un vêtement purifié, vivifié où elle se diffuse et où on la retrouve), que des enveloppes supplémentaires qui, au lieu de la cacher, rendaient plus splendidement l′âme qui se les était assimilées et s′y était répandue, que des coulées de substances diverses, devenues translucides, dont la superposition ne fait que réfracter plus richement le rayon central et prisonnier qui les traverse et rendre plus étendue, plus précieuse et plus belle la matière imbibée de flamme où il est engainé. Telle l′interprétation de la Berma était, autour de l′oeuvre, une seconde oeuvre vivifiée aussi par le génie.
Amid a sibilant protest from their neighbours the two young men with her succeeded in making her keep quiet and her fury raged now only in her eyes. This fury could, moreover, be prompted only by the thought of success, of fame, for Berma, who had earned so much money, was overwhelmed with debts. Since she was always making business or social appointments which she was prevented from keeping, she had messengers flying with apologies along every street in Paris, and what with rooms in hotels which she would never occupy engaged in advance, oceans of scent to bathe her dogs, heavy penalties for breaches of contract with all her managers, failing any more serious expense and being not so voluptuous as Cleopatra, she would have found the means of squandering on telegrams and jobmasters provinces and kingdoms. But the little woman was an actress who had never tasted success, and had vowed a deadly hatred against Berma. The latter had just corne on to the stage. And then — oh, the miracle — like those lessons which we laboured in vain to learn overnight, and find intact, got by heart, on waking up next morning, like, too, those faces of dead friends which the impassioned efforts of our memory pursue without recapturing them, and which, when we are no longer thinking of them, are there before our eyes just as they were in life — the talent of Berma, which had evaded me when I sought so greedily to seize its essential quality, now, after these years of oblivion, in this hour of indifference, imposed itself, with all the force of a thing directly seen, on my admiration. Formerly, in my attempts to isolate the talent, I deducted, so to speak, from what I heard the part itself, a part common to all the actresses who appeared as Phèdre, which I had myself studied beforehand so that I might be capable of subtracting it, of receiving in the strained residue only the talent of Mme. Berma. But this talent which I sought to discover outside the part itself was indissolubly one with it. So with a great musician (it appears that this was the case with Vinteuil when he played the piano), his playing is that of so fine a pianist that one cannot even be certain whether the performer is a pianist at all, since (not interposing all that mechanism of muscular effort, crowned here and there with brilliant effects, all that spattering shower of notes in which at least the listener who does not quite know where he is thinks that he can discern talent in its material, tangible objectivity) his playing is become so transparent, so full of what he is interpreting, that himself one no longer sees and he is nothing now but a window opening upon a great work of art. The intentions which surrounded, like a majestic or delicate border, the voice and mimicry of Aricie, Ismène or Hippolyte I had been able to distinguish, but Phèdre had taken hers into herself, and my mind had not succeeded in wresting from her diction and attitudes, in apprehending in the miserly simplicity of their unbroken surfaces those treasures, those effects of which no sign emerged, so completely had they been absorbed. Berma′s voice, in which not one atom of lifeless matter refractory to the mind remained undissolved, did not allow any sign to be discernible around it of that overflow of tears which one could feel, because they had not been able to absorb it in themselves, trickling over the marble voice of Aricie or Ismène, but had been brought to an exquisite perfection in each of its tiniest cells like the instrument of a master violinist, in whom one means, when one says that his music has a fine sound, to praise not a physical peculiarity but a superiority of soul; and, as in the classical landscape where in the place of a vanished nymph there is an inanimate waterspring, a clear and concrete intention had been transformed into a certain quality of tone, strangely, appropriately, coldly limpid. Berma′s arms, which the lines themselves, by the same dynamic force that made the words issue from her lips, seemed to raise on to her bosom like leaves disturbed by a gush oî water; her attitude, on the stage, which she had gradually built up, which she was to modify yet further, and which was based upon reasonings of a different profundity from those of which traces might be seen in the gestures of her fellow-actors, but of reasonings that had lost their original deliberation, and had melted into a sort of radiance in which they sent throbbing, round the person of the heroine, elements rich and complex, but which the fascinated spectator took not as an artistic triumph but as a natural gift; those white veils themselves, which, tenuous and clinging, seemed to be of a living substance and to have been woven by the suffering, half-pagan, half-Jansenist, around which they drew close like a frail, shrinking chrysalis; all of them, voice, attitude, gestures, veils, were nothing more, round this embodiment of an idea, which a line of poetry is (an embodiment that, unlike our human bodies, covers the soul not with an opaque screen which prevents us from seeing it, but with a purified, a quickened garment through which the soul is diffused and we discover it), than additional envelopes which instead of concealing shewed up in greater splendour the soul that had assimilated them to itself and had spread itself through them, than layers of different substances, grown translucent, the interpolation of which has the effect only of causing a richer refraction of the imprisoned, central ray that pierces through them, and of making more extensive, more precious and more fair the matter purified by fire in which it is enshrined. So Berma′s interpretation was, around Racine′s work, a second work, quickened also by the breath of genius.
Mon impression, à vrai dire, plus agréable que celle d′autrefois, n′était pas différente. Seulement je ne la confrontais plus à une idée préalable, abstraite et fausse, du génie dramatique, et je comprenais que le génie dramatique, c′était justement cela. Je pensais tout à l′heure que, si je n′avais pas eu de plaisir la première fois que j′avais entendu la Berma, c′est que, comme jadis quand je retrouvais Gilberte aux Champs-Élysées, je venais à elle avec un trop grand désir. Entre les deux déceptions il n′y avait peut-être pas seulement cette ressemblance, une autre aussi, plus profonde. L′impression que nous cause une personne, une oeuvre (ou une interprétation) fortement caractérisées, est particulière. Nous avons apporté avec nous les idées de «beauté», «largeur de style», «pathétique», que nous pourrions à la rigueur avoir l′illusion de reconnaître dans la banalité d′un talent, d′un visage corrects, mais notre esprit attentif a devant lui l′insistance d′une forme dont il ne possède pas l′équivalent intellectuel, dont il lui faut dégager l′inconnu. Il entend un son aigu, une intonation bizarrement interrogative. Il se demande: «Est-ce beau? ce que j′éprouve, est-ce de l′admiration? est-ce cela la richesse de coloris, la noblesse, la puissance?» Et ce qui lui répond de nouveau, c′est une voix aiguë, c′est un ton curieusement questionneur, c′est l′impression despotique causée par un être qu′on ne connaît pas, toute matérielle, et dans laquelle aucun espace vide n′est laissé pour la «largeur de l′interprétation». Et à cause de cela ce sont les oeuvres vraiment belles, si elles sont sincèrement écoutées, qui doivent le plus nous décevoir, parce que, dans la collection de nos idées, il n′y en a aucune qui réponde à une impression individuelle.
My own impression, to tell the truth, though more pleasant than on the earlier occasion, was not really different. Only, I no longer put it to the test of a pre-existent, abstract and false idea of dramatic genius, and I understood now that dramatic genius was precisely this. It had just occurred to me that if I had not derived any pleasure from my first hearing of Berma, it was because, as earlier still when I used to meet Gilberte in the Champs-Elysées, I had come to her with too strong a desire. Between my two disappointments there was perhaps not only this resemblance, but another more profound. The impression given us by a person or a work (or a rendering, for that matter) of marked individuality is peculiar to that person or work. We have brought to it the ideas of ‘beauty,′ ‘breadth of style,′ ‘pathos′ and so forth which we might, failing anything better, have had the illusion of discovering in the commonplace show of a ‘correct′ face or talent, but our critical spirit has before it the insistent challenge of a form of which it possesses no intellectual equivalent, in which it must detect and isolate the unknown element. It hears a shrill sound, an oddly interrogative intonation. It asks itself: “Is that good? Is what I am feeling just now admiration? Is that richness of colouring, nobility, strength?” And what answers it again is a shrill voice, a curiously questioning tone, the despotic impression caused by a person whom one does not know, wholly material, in which there is no room left for ‘breadth of interpretation.′ And for this reason it is the really beautiful works that, if we listen to them with sincerity, must disappoint us most keenly, because in the storehouse of our ideas there is none that corresponds to an individual impression.
C′était précisément ce que me montrait le jeu de la Berma. C′était bien cela, la noblesse, l′intelligence de la diction. Maintenant je me rendais compte des mérites d′une interprétation large, poétique, puissante; ou plutôt, c′était cela à quoi on a convenu de décerner ces titres, mais comme on donne le nom de Mars, de Vénus, de Saturne à des étoiles qui n′ont rien de mythologique. Nous sentons dans un monde, nous pensons, nous nommons dans un autre, nous pouvons entre les deux établir une concordance mais non combler l′intervalle. C′est bien un peu, cet intervalle, cette faille, que j′avais à franchir quand, le premier jour où j′étais allé voir jouer la Berma, l′ayant écoutée de toutes mes oreilles, j′avais eu quelque peine à rejoindre mes idées de «noblesse d′interprétation», d′«originalité» et n′avais éclaté en applaudissements qu′après un moment de vide, et comme s′ils naissaient non pas de mon impression même, mais comme si je les rattachais à mes idées préalables, au plaisir que j′avais à me dire: «J′entends enfin la Berma.» Et la différence qu′il y a entre une personne, une oeuvre fortement individuelle et l′idée de beauté existe aussi grande entre ce qu′elles nous font ressentir et les idées d′amour, d′admiration. Aussi ne les reconnaît-on pas. Je n′avais pas eu de plaisir à entendre la Berma (pas plus que je n′en avais à voir Gilberte). Je m′étais dit: «Je ne l′admire donc pas.» Mais cependant je ne songeais alors qu′à approfondir le jeu de la Berma, je n′étais préoccupé que de cela, je tâchais d′ouvrir ma pensée le plus largement possible pour recevoir tout ce qu′il contenait. Je comprenais maintenant que c′était justement cela: admirer.
This was precisely what Berma′s acting shewed me. This was what was meant by nobility, by intelligence of diction. Now I could appreciate the worth of a broad, poetical, powerful interpretation, or rather it was to this that those epithets were conventionally applied, but only as we give the names of Mars, Venus, Saturn to planets which have no place in classical mythology. We feel in one world, we think, we give names to things in another; between the two we can establish a certain correspondence, but not bridge the interval. It was quite narrow, this interval, this fault that I had had to cross when, that afternoon on which I went first to bear Berma, having strained my ears to catch every word, I had found some difficulty in correlating my ideas of ‘nobility of interpretation,′ of ‘originality,′ and had broken out in applause only after a moment of unconsciousness and as if my applause sprang not from my actual impression but was connected in some way with my preconceived ideas, with the pleasure that I found in saying to myself: “At last I am listening to Berma.” And the difference that there is between a person, or a work of art which is markedly individual and the idea of beauty, exists just as much between what they make us feel and the idea of love, or of admiration. Wherefore we fail to recognise them. I had found no pleasure in listening to Berma (any more than, earlier still, in seeing Gilberte). I had said to myself: “Well, I do not admire this.” But then I was thinking only of mastering the secret of Berma′s acting, I was preoccupied with that alone, I was trying to open my mind as wide as possible to receive all that her acting contained. I understood now that all this amounted to nothing more nor less than admiration.
Ce génie dont l′interprétation de la Berma n′était seulement que la révélation, était-ce bien seulement le génie de Racine?
This genius of which Berma′s rendering of the part was only the revelation, was it indeed the genius of Racine and nothing more?
Je le crus d′abord. Je devais être détrompé, une fois l′acte de Phèdre fini, après les rappels du public, pendant lesquels la vieille actrice rageuse, redressant sa taille minuscule, posant son corps de biais, immobilisa les muscles de son visage, et plaça ses bras en croix sur sa poitrine pour montrer qu′elle ne se mêlait pas aux applaudissements des autres et rendre plus évidente une protestation qu′elle jugeait sensationnelle, mais qui passa inaperçue. La pièce suivante était une des nouveautés qui jadis me semblaient, à cause du défaut de célébrité, devoir paraître minces, particulières, dépourvues qu′elles étaient d′existence en dehors de la représentation qu′on en donnait. Mais je n′avais pas comme pour une pièce classique cette déception de voir l′éternité d′un chef-d′oeuvre ne tenir que la longueur de la rampe et la durée d′une représentation qui l′accomplissait aussi bien qu′une pièce de circonstance. Puis à chaque tirade que je sentais que le public aimait et qui serait un jour fameuse, à défaut de la célébrité qu′elle n′avait pu avoir dans le passé, j′ajoutais celle qu′elle aurait dans l′avenir, par un effort d′esprit inverse de celui qui consiste à se représenter des chefs-d′oeuvre au temps de leur grêle apparition, quand leur titre qu′on n′avait encore jamais entendu ne semblait pas devoir être mis un jour, confondu dans une même lumière, à côté de ceux des autres oeuvres de l′auteur. Et ce rôle serait mis un jour dans la liste de ses plus beaux, auprès de celui de Phèdre. Non qu′en lui-même il ne fût dénué de toute valeur littéraire; mais la Berma y était aussi sublime que dans Phèdre[/i.>. Je compris alors que l′oeuvre de l′écrivain n′était pour la tragédienne qu′une matière, à peu près indifférente en soi-même, pour la création de son chef-d′oeuvre d′interprétation, comme le grand peintre que j′avais connu à Balbec, Elstir, avait trouvé le motif de deux tableaux qui se valent, dans un bâtiment scolaire sans caractère et dans une cathédrale qui est, par elle-même, un chef-d′oeuvre. Et comme le peintre dissout maison, charrette, personnages, dans quelque grand effet de lumière qui les fait homogènes, la Berma étendait de vastes nappes de terreur, de tendresse, sur les mots fondus également, tous aplanis ou relevés, et qu′une artiste médiocre eût détachés l′un après l′autre. Sans doute chacun avait une inflexion propre, et la diction de la Berma n′empêchait pas qu′on perçut le vers. N′est-ce pas déjà un premier élément de complexité ordonnée, de beauté, quand en entendant une rime, c′est-à-dire quelque chose qui est à la fois pareil et autre que la rime précédente, qui est motivé par elle, mais y introduit la variation d′une idée nouvelle, on sent deux systèmes qui se superposent, l′un de pensée, l′autre de métrique? Mais la Berma faisait pourtant entrer les mots, même les vers, même les «tirades», dans des ensembles plus vastes qu′eux-mêmes, à la frontière desquels c′était un charme de les voir obligés de s′arrêter, s′interrompre; ainsi un poète prend plaisir à faire hésiter un instant, à la rime, le mot qui va s′élancer et un musicien à confondre les mots divers du livret dans un même rythme qui les contrarie et les entraîne. Ainsi dans les phrases du dramaturge moderne comme dans les vers de Racine, la Berma savait introduire ces vastes images de douleur, de noblesse, de passion, qui étaient ses chefs-d′oeuvre à elle, et où on la reconnaissait comme, dans des portraits qu′il a peints d′après des modèles différents, on reconnaît un peintre.
I thought so at first. I was soon to be undeceived when the curtain fell on the act from Phèdre, amid enthusiastic recalls from the audience, through which the old actress, beside herself with rage, drawing her little body up to its full height, turning sideways in her seat, stiffened the muscles of her face and folded her arms on her bosom to shew that she was not joining the others in their applause, and to make more noticeable a protest which to her appeared sensational though it passed unperceived. The piece that followed was one of those novelties which at one time I had expected, since they were not famous, to be inevitably trivial and of no general application, devoid as they were of any existence outside the performance that was being given of them at the moment. But I had not with them as with a classic the disappointment of seeing the infinity and eternity of a masterpiece occupy no more space or time than the width of the footlights and the length of a performance which would finish it as effectively as a piece written for the occasion. Besides, at every fresh passage which, I felt, had appealed to the audience and would onc day be famous, in place of the fame which it was prevented from having won in the past I added that which it would enjoy in the future, by a mental process the converse of that which consists in imagining masterpieces on the day of their first thin performance, when it seemed inconceivable that a title which no one had ever heard before could one day be set, bathed in the same mellow light, beside those of the author′s other works. And this part would be set one day in the list of her finest impersonations, next to that of Phèdre. Not that in itself it was not destitute of all literary merit. But Berma was as sublime in one as in the other. I realised then that the work of the playwright was for the actress no more than the material, the nature of which was comparatively unimportant, for the creation of her masterpiece of interpretation, just as the great painter whom I had met at Balbec, Elstir, had found the inspiration for two pictures of equal merit in a school building without any character and a cathedral which was in itself a work of art. And as the painter dissolves houses, carts, people, in some broad effect of light which makes them all alike, so Berma spread out great sheets of terror or tenderness over words that were all melted together in a common mould, lowered or raised to one level, which a lesser artist would have carefully detached from one another. No doubt each of them had an inflexion of its own, and Berma′s diction did not prevent one from catching the rhythm of the verse. Is it not already a first element of ordered complexity, of beauty, when, on hearing a rhyme, that is to say something which is at once similar to and different from the preceding rhyme, which was prompted by it, but introduces the variety of a new idea, one is conscious of two systems overlapping each other, one intellectual, the other prosodie? But Berma at the same time made her words, her lines, her whole speeches even, flow into lakes of sound vaster than themselves, at the margins of which it was a joy to see them obliged to stop, to break off; thus it is that a poet takes pleasure in making hesitate for a moment at the rhyming point the word which is about to spring forth, and a composer in merging the various words of his libretto in a single rhythm which contradicts, captures and controls them. Thus into the prose sentences of the modern playwright as into the poetry of Racine Berma managed to introduce those vast images of grief, nobility, passion, which were the masterpieces of her own personal art, and in which she could be recognised as, in the portraits which he has made of different sitters, we recognise a painter.
Je n′aurais plus souhaité comme autrefois de pouvoir immobiliser les attitudes de la Berma, le bel effet de couleur qu′elle donnait un instant seulement dans un éclairage aussitôt évanoui et qui ne se reproduisait pas, ni lui faire redire cent fois un vers. Je comprenais que mon désir d′autrefois était plus exigeant que la volonté du poète, de la tragédienne, du grand artiste décorateur qu′était son metteur en scène, et que ce charme répandu au vol sur un vers, ces gestes instables perpétuellement transformés, ces tableaux successifs, c′était le résultat fugitif, le but momentané, le mobile chef-d′oeuvre que l′art théâtral se proposait et que détruirait en voulant le fixer l′attention d′un auditeur trop épris. Même je ne tenais pas à venir un autre jour réentendre la Berma; j′étais satisfait d′elle; c′est quand j′admirais trop pour ne pas être déçu par l′objet de mon admiration, que cet objet fût Gilberte ou la Berma, que je demandais d′avance à l′impression du lendemain le plaisir que m′avait refusé l′impression de la veille. Sans chercher à approfondir la joie que je venais d′éprouver et dont j′aurais peut-être pu faire un plus fécond usage, je me disais comme autrefois certain de mes camarades de collège: «C′est vraiment la Berma que je mets en premier», tout en sentant confusément que le génie de la Berma n′était peut-être pas traduit très exactement par cette affirmation de ma préférence et par cette place de «première» décernée, quelque calme d′ailleurs qu′elles m′apportassent.
I had no longer any desire, as on the former occasion, to be able to arrest and perpetuate Berma′s attitudes, the fine colour effect which she gave for a moment only in a beam of limelight which at once faded never to reappear, nor to make her repeat a single line a hundred times over. I realised that my original desire had been more exacting than the intentions of the poet, the actress, the great decorative artist who supervised her productions, and that that charm which floated over a line as it was spoken, those unstable poses perpetually transformed into others, those successive pictures were the transient result, the momentary object, the changing masterpiece which the art of the theatre undertook to create and which would perish were an attempt made to fix it for all time by a too much enraptured listener. I did not even make a resolution to come back another day and hear Berma again. I was satisfied with her; it was when I admired too keenly not to be disappointed by the object of my admiration, whether that object were Gilberte or Berma, that I demanded in advance, of the impression to be received on the morrow, the pleasure that yesterday′s impression had refused to afford me. Without seeking to analyse the joy which I had begun now to feel, and might perhaps have been turning to some more profitable use, I said to myself, as in the old days I might have said to one of my schoolfellows: “Certainly, I put Berma first!” not without a confused feeling that Berma′s genius was not, perhaps, very accurately represented by this affirmation of my preference, or this award to her of a ‘first′ place, whatever the peace of mind that it might incidentally restore to me.
Au moment où cette seconde pièce commença, je regardai du côté de la baignoire de Mme de Guermantes. Cette princesse venait, par un mouvement générateur d′une ligne délicieuse que mon esprit poursuivait dans le vide, de tourner la tête vers le fond de la baignoire; les invités étaient debout, tournés aussi vers le fond, et entre la double haie qu′ils faisaient, dans son assurance et sa grandeur de déesse, mais avec une douceur inconnue que d′arriver si tard et de faire lever tout le monde au milieu de la représentation mêlait aux mousselines blanches dans lesquelles elle était enveloppée un air habilement na timide et confus qui tempérait son sourire victorieux, la duchesse de Guermantes, qui venait d′entrer, alla vers sa cousine, fit une profonde révérence à un jeune homme blond qui était assis au premier rang et, se retournant vers les monstres marins et sacrés flottant au fond de l′antre, fit à ces demi-dieux du Jockey–Club — qui à ce moment-là, et particulièrement M. de Palancy, furent les hommes que j′aurais le plus aimé être — un bonjour familier de vieille amie, allusion à l′au jour le jour de ses relations avec eux depuis quinze ans. Je ressentais le mystère, mais ne pouvais déchiffrer l′énigme de ce regard souriant qu′elle adressait à ses amis, dans l′éclat bleuté dont il brillait tandis qu′elle abandonnait sa main aux uns et aux autres, et qui, si j′eusse pu en décomposer le prisme, en analyser les cristallisations, m′eût peut-être révélé l′essence de la vie inconnue qui y apparaissait à ce moment-là. Le duc de Guermantes suivait sa femme, les reflets de son monocle, le rire de sa dentition, la blancheur de son oeillet ou de son plastron plissé, écartant pour faire place à leur lumière ses sourcils, ses lèvres, son frac; d′un geste de sa main étendue qu′il abaissa sur leurs épaules, tout droit, sans bouger la tête, il commanda de se rasseoir aux monstres inférieurs qui lui faisaient place, et s′inclina profondément devant le jeune homme blond. On eût dit que la duchesse avait deviné que sa cousine dont elle raillait, disait-on, ce qu′elle appelait les exagérations (nom que de son point de vue spirituellement français et tout modéré prenaient vite la poésie et l′enthousiasme germaniques) aurait ce soir une de ces toilettes où la duchesse la trouvait «costumée», et qu′elle avait voulu lui donner une leçon de goût. Au lieu des merveilleux et doux plumages qui de la tête de la princesse descendaient jusqu′à son cou, au lieu de sa résille de coquillages et de perles, la duchesse n′avait dans les cheveux qu′une simple aigrette qui dominant son nez busqué et ses yeux à fleur de tête avait l′air de l′aigrette d′un oiseau. Son cou et ses épaules sortaient d′un flot neigeux de mousseline sur lequel venait battre un éventail en plumes de cygne, mais ensuite la robe, dont le corsage avait pour seul ornement d′innombrables paillettes soit de métal, en baguettes et en grains, soit de brillants, moulait son corps avec une précision toute britannique. Mais si différentes que les deux toilettes fussent l′une de l′autre, après que la princesse eut donné à sa cousine la chaise qu′elle occupait jusque-là, on les vit, se retournant l′une vers l′autre, s′admirer réciproquement.
Just as the curtain was rising on this second play I looked up at Mme. de Guermantes′s box. The Princess was in the act — by a movement that called into being an exquisite line which my mind pursued into the void — of turning her head towards the back of the box; her party were all standing, and also turning towards the back, and between the double hedge which they thus formed, with all the assurance, the grandeur of the goddess that she was, but with a strange meekness which so late an arrival, making every one else get up in the middle of the performance, blended with the white muslin in which she was attired, just as an adroitly compounded air of simplicity, shyness and confusion tempered her triumphant smile, the Duchesse de Guermantes, who had at that moment entered the box, came towards her cousin, made a profound obeisance to a young man with fair hair who was seated in the front row, and turning again towards the amphibian monsters who were floating in the recesses of the cavern, gave to these demi-gods of the Jockey Club — who at that moment, and among them all M. de Palancy in particular, were the men whom I should most have liked to be — the familiar ‘good evening′ of an old and intimate friend, an allusion to the daily sequence of her relations with them during the last fifteen years. I felt the mystery, but could not solve the riddle of that smiling gaze which she addressed to her friends, in the azure brilliance with which it glowed while she surrendered her hand to one and then to another, a gaze which, could I have broken up its prism, analysed its crystallisation, might perhaps have revealed to me the essential quality of the unknown form of life which became apparent in it at that moment. The Duc de Guermantes followed his wife, the flash of his monocle, the gleam of his teeth, the whiteness of his carnation or of his pleated shirt-front scattering, to make room for their light, the darkness of his eyebrows, lips and coat; with a wave of his outstretched hand which he let drop on to their shoulders, vertically, without moving his head, he commanded the inferior monsters, who were making way for him, to resume their seats, and made a profound bow to the fair young man. One would have said that the Duchess had guessed that her cousin, of whom, it was rumoured, she was inclined to make fun for what she called her ‘exaggerations′ (a name which, from her own point of view, so typically French and restrained, would naturally be applied to the poetry and enthusiasm of the Teuton), would be wearing this evening one of those costumes in which the Duchess thought of her as ‘dressed up,′ and that she had decided to give her a lesson in good taste. Instead of the wonderful downy plumage which, from the crown of the Princess′s head, fell and swept her throat, instead of her net of shells and pearls, the Duchess wore in her hair only a simple aigrette, which, rising above her arched nose and level eyes, reminded one of the crest on the head of a bird. Her neck and shoulders emerged from a drift of snow-white muslin, against which fluttered a swansdown fan, but below this her gown, the bodice of which had for its sole ornament innumerable spangles (either little sticks and beads of metal, or possibly brilliants), moulded her figure with a precision that was positively British. But different as their two costumes were, after the Princess had given her cousin the chair in which she herself had previously been sitting, they could be seen turning to gaze at one another in mutual appreciation.
Peut-être Mme de Guermantes aurait-elle le lendemain un sourire quand elle parlerait de la coiffure un peu trop compliquée de la princesse, mais certainement elle déclarerait que celle-ci n′en était pas moins ravissante et merveilleusement arrangée; et la princesse, qui, par goût, trouvait quelque chose d′un peu froid, d′un peu sec, d′un peu couturier, dans la façon dont s′habillait sa cousine, découvrirait dans cette stricte sobriété un raffinement exquis. D′ailleurs entre elles l′harmonie, l′universelle gravitation préétablie de leur éducation, neutralisaient les contrastes non seulement d′ajustement mais d′attitude. A ces lignes invisibles et aimantées que l′élégance des manières tendait entre elles, le naturel expansif de la princesse venait expirer, tandis que vers elles, la rectitude de la duchesse se laissait attirer, infléchir, se faisait douceur et charme. Comme dans la pièce que l′on était en train de représenter, pour comprendre ce que la Berma dégageait de poésie personnelle, on n′avait qu′à confier le rôle qu′elle jouait, et qu′elle seule pouvait jouer, à n′importe quelle autre actrice, le spectateur qui eût levé les yeux vers le balcon eût vu, dans deux loges, un «arrangement» qu′elle croyait rappeler ceux de la princesse de Guermantes, donner simplement à la baronne de Morienval l′air excentrique, prétentieux et mal élevé, et un effort à la fois patient et coûteux pour imiter les toilettes et le chic de la duchesse de Guermantes, faire seulement ressembler Mme de Cambremer à quelque pensionnaire provinciale, montée sur fil de fer, droite, sèche et pointue, un plumet de corbillard verticalement dressé dans les cheveux. Peut-être la place de cette dernière n′était-elle pas dans une salle où c′était seulement avec les femmes les plus brillantes de l′année que les loges (et même celles des plus hauts étages qui d′en bas semblaient de grosses bourriches piquées de fleurs humaines et attachées au cintre de la salle par les brides rouges de leurs séparations de velours) composaient un panorama éphémère que les morts, les scandales, les maladies, les brouilles modifieraient bientôt, mais qui en ce moment était immobilisé par l′attention, la chaleur, le vertige, la poussière, l′élégance et l′ennui, dans cette espèce d′instant éternel et tragique d′inconsciente attente et de calme engourdissement qui, rétrospectivement, semble avoir précédé l′explosion d′une bombe ou la première flamme d′un incendie.
Possibly a smile would curve the lips of Mme. de Guermantes when next day she referred to the headdress, a little too complicated, which the Princess had worn, but certainly she would declare that it had been, all the same, quite lovely, and marvellously arranged; and the Princess, whose own tastes found something a little cold, a little austere, a little ‘tailor-made′ in her cousin′s way of dressing, would discover in this rigid sobriety an exquisite refinement. Moreover the harmony that existed between them, the universal and pre-established gravitation exercised by their upbringing, neutralised the contrasts not only in their apparel but in their attitude. By those invisible magnetic longitudes which the refinement of their manners traced between them the expansive nature of the Princess was stopped short, while on the other side the formal correctness of the Duchess allowed itself to be attracted and relaxed, turned to sweetness and charm. As, in the play which was now being performed, to realise how much personal poetry Berma extracted from it one had only to entrust the part which she was playing, which she alone could play, to no matter what other actress, so the spectator who should raise his eyes to the balcony might see in two smaller boxes there how an ‘arrangement′ supposed to suggest that of the Princesse de Guermantes simply made the Baronne de Morienval appear eccentric, pretentious and ill-bred, while an effort, as painstaking as it must have been costly, to imitate the clothes and style of the Duchesse de Guermantes only made Mme. de Cambremer look like some provincial schoolgirl, mounted on wires, rigid, erect, dry, angular, with a plume of raven′s feathers stuck vertically in her hair. Perhaps the proper place for this lady was not a theatre in which it was only with the brightest stars of the season that the boxes (even those in the highest tier, which from below seemed like great hampers brimming with human flowers and fastened to the gallery on which they stood by the red cords of their plush-covered partitions) composed a panorama which deaths, scandals, illnesses, quarrels would soon alter, but which this evening was held motionless by attention, heat, giddiness, dust, smartness or boredom, in that so to speak everlasting moment of unconscious waiting and calm torpor which, in retrospect, seems always to have preceded the explosion of a bomb or the first flicker of a fire.
La raison pour quoi Mme de Cambremer se trouvait là était que la princesse de Parme, dénuée de snobisme comme la plupart des véritables altesses et, en revanche, dévorée par l′orgueil, le désir de la charité qui égalait chez elle le goût de ce qu′elle croyait les Arts, avait cédé çà et là quelques loges à des femmes comme Mme de Cambremer qui ne faisaient pas partie de la haute société aristocratique, mais avec lesquelles elle était en relations pour ses oeuvres de bienfaisance. Mme de Cambremer ne quittait pas des yeux la duchesse et la princesse de Guermantes, ce qui lui était d′autant plus aisé que, n′étant pas en relations véritables avec elles, elle ne pouvait avoir l′air de quêter un salut. Être reçue chez ces deux grandes dames était pourtant le but qu′elle poursuivait depuis dix ans avec une inlassable patience. Elle avait calculé qu′elle y serait sans doute parvenue dans cinq ans. Mais atteinte d′une maladie qui ne pardonne pas et dont, se piquant de connaissances médicales, elle croyait connaître le caractère inexorable, elle craignait de ne pouvoir vivre jusque-là. Elle était du moins heureuse ce soir-là de penser que toutes ces femmes qu′elle ne connaissait guère verraient auprès d′elle un homme de leurs amis, le jeune marquis de Beausergent, frère de Mme d′Argencourt, lequel fréquentait également les deux sociétés, et de la présence de qui les femmes de la seconde aimaient beaucoup à se parer sous les yeux de celles de la première. Il s′était assis derrière Mme de Cambremer sur une chaise placée en travers pour pouvoir lorgner dans les autres loges. Il y connaissait tout le monde et, pour saluer, avec la ravissante élégance de sa jolie tournure cambrée, de sa fine tête aux cheveux blonds, il soulevait à demi son corps redressé, un sourire à ses yeux bleus, avec un mélange de respect et de désinvolture, gravant ainsi avec précision dans le rectangle du plan oblique où il était placé comme une de ces vieilles estampes qui figurent un grand seigneur hautain et courtisan. Il acceptait souvent de la sorte d′aller au théâtre avec Mme de Cambremer; dans la salle et à la sortie, dans le vestibule, il restait bravement auprès d′elle au milieu de la foule des amies plus brillantes qu′il avait là et à qui il évitait de parler, ne voulant pas les gêner, et comme s′il avait été en mauvaise compagnie. Si alors passait la princesse de Guermantes, belle et légère comme Diane, laissant traîner derrière elle un manteau incomparable, faisant se détourner toutes les têtes et suivie par tous les yeux (par ceux de Mme de Cambremer plus que par tous les autres), M. de Beausergent s′absorbait dans une conversation avec sa voisine, ne répondait au sourire amical et éblouissant de la princesse que contraint et forcé et avec la réserve bien élevée et la charitable froideur de quelqu′un dont l′amabilité peut être devenue momentanément gênante.
The explanation of Mme. de Cambremer′s presence on this occasion was that the Princesse de Parme, devoid of snobbishness as are most truly royal personages, and to make up for this devoured by a pride in and passion for charity which held an equal place in her heart with her taste for what she believed to be the Arts, had bestowed a few boxes here and there upon women like Mme. de Cambremer who were not numbered among the highest aristocratic society but with whom she was connected in various charitable undertakings. Mme. de Cambremer never took her eyes off the Duchesse and Princesse de Guermantes, which was all the simpler for her since, not being actually acquainted with either, she could not be suspected of angling for recognition. Inclusion in the visiting lists of these two great ladies was nevertheless the goal towards which she had been marching for the last ten years with untiring patience. She had calculated that she might reach it, possibly, in five years more. But having been smitten by a relentless malady, the inexorable character of which — for she prided herself upon her medical knowledge — she thought she knew, she was afraid that she might not live so long. This evening she was happy at least in the thought that all these women whom she barely knew would see in her company a man who was one of their own set, the young Marquis de Beausergent, Mme. d′Argencourt′s brother, who moved impartially in both worlds and with whom the women of the second were greatly delighted to bedizen themselves before the eyes of those of the first. He was seated behind Mme. de Cambremer on a chair placed at an angle, so that he might rake the other boxes with his glasses. He knew everyone in the house, and, to greet his friends, with the irresistible charm of his beautifully curved figure, and fine fair head, he half rose from his seat, stiffening his body, a smile brightening his blue eyes, with a blend of deference and detachment, a picture delicately engraved, in its rectangular frame, and placed at an angle to the wall, like one of those old prints which portray a great nobleman in his courtly pride. He often accepted these invitations to go with Mme. de Cambremer to the play. In the theatre itself, and on their way out, in the lobby, he stood gallantly by her side in the thick of the throng of more brilliant friends whom he saw about him, and to whom he refrained from speaking, to avoid any awkwardness, just as though he had been in doubtful company. If at such moments there swept by him the Princesse de Guermantes, lightfoot and fair as Diana, letting trail behind her the folds of an incomparable cloak, turning after her every head and followed by every eye (and, most of all, by Mme. de Cambremer′s), M. de Beausergent would become absorbed in conversation with his companion, acknowledging the friendly and dazzling smile of the Princess only with constraint, under compulsion, and with the well-bred reserve, the considerate coldness of a person whose friendliness might at the moment have been inconvenient.
Mme de Cambremer n′eût-elle pas su que la baignoire appartenait à la princesse qu′elle eût cependant reconnu que Mme de Guermantes était l′invitée, à l′air d′intérêt plus grand qu′elle portait au spectacle de la scène et de la salle afin d′être aimable envers son hôtesse. Mais en même temps que cette force centrifuge, une force inverse développée par le même désir d′amabilité ramenait l′attention de la duchesse vers sa propre toilette, sur son aigrette, son collier, son corsage et, aussi vers celle de la princesse elle-même, dont la cousine semblait se proclamer la sujette, l′esclave, venue ici seulement pour la voir, prête à la suivre ailleurs s′il avait pris fantaisie à la titulaire de la loge de s′en aller, et ne regardant que comme composée d′étrangers curieux à considérer le reste de la salle où elle comptait pourtant nombre d′amis dans la loge desquels elle se trouvait d′autres semaines et à l′égard de qui elle ne manquait pas de faire preuve alors du même loyalisme exclusif, relativiste et hebdomadaire. Mme de Cambremer était étonnée de voir la duchesse ce soir. Elle savait que celle-ci restait très tard à Guermantes et supposait qu′elle y était encore. Mais on lui avait raconté que parfois, quand il y avait à Paris un spectacle qu′elle jugeait intéressant, Mme de Guermantes faisait atteler une de ses voitures aussitôt qu′elle avait pris le thé avec les chasseurs et, au soleil couchant, partait au grand trot, à travers la forêt crépusculaire, puis par la route, prendre le train à Combray pour être à Paris le soir. «Peut-être vient-elle de Guermantes exprès pour entendre la Berma», pensait avec admiration Mme de Cambremer. Et elle se rappelait avoir entendu dire à Swann, dans ce jargon ambigu qu′il avait en commun avec M. de Charlus: «La duchesse est un des êtres les plus nobles de Paris, de l′élite la plus raffinée, la plus choisie.» Pour moi qui faisais dériver du nom de Guermantes, du nom de Bavière et du nom de Condé la vie, la pensée des deux cousines (je ne le pouvais plus pour leurs visages puisque je les avais vus), j′aurais mieux aimé connaître leur jugement sur Phèdre que celui du plus grand critique du monde. Car dans le sien je n′aurais trouvé que de l′intelligence, de l′intelligence supérieure à la mienne, mais de même nature. Mais ce que pensaient la duchesse et la princesse de Guermantes, et qui m′eût fourni sur la nature de ces deux poétiques créatures un document inestimable, je l′imaginais à l′aide de leurs noms, j′y supposais un charme irrationnel et, avec la soif et la nostalgie d′un fiévreux, ce que je demandais à leur opinion sur Phèdre de me rendre, c′était le charme des après-midi d′été où je m′étais promené du côté de Guermantes.
Had not Mme. de Cambremer known already that the box belonged to the Princess, she could still have told that the Duchesse de Guermantes was the guest from the air of keener interest with which she was surveying the spectacle of stage and stalls, out of politeness to her hostess. But simultaneously with this centrifugal force, an equal and opposite force generated by the same desire to be sociable drew her attention back to her own attire, her plume, her necklace, her bodice and also to that of the Princess, whose subject, whose slave her cousin seemed thus to proclaim herself, come thither solely to see her, ready to follow her elsewhere should it have taken the fancy of the official occupant of the box to rise and leave, and regarding as composed merely of strangers, worth looking at simply as curiosities, the rest of the house, in which, nevertheless, she numbered many friends to whose boxes she regularly repaired on other evenings and with regard to whom she never failed on those occasions to demonstrate a similar loyalism, exclusive, conditional and hebdomadary. Mme. de Cambremer was surprised to see her there that evening. She knew that the Duchess was staying on very late at Guermantes, and had supposed her to be there still. But she had been told, also, that sometimes, when there was some special function in Paris which she considered it worth her while to attend, Mme. de Guermantes would order one of her carriages to be brought round as soon as she had taken tea with the guns, and, as the sun was setting, start out at a spanking pace through the gathering darkness of the forest, then over the high road, to join the train at Combray and so be in Paris the same evening. “Perhaps she has come up from Guermantes on purpose to hear Berma,” thought Mme. de Cambremer, and marvelled at the thought. And she remembered having heard Swann say in that ambiguous jargon which he used in common with M. de Charlus: “The Duchess is one of the noblest souls in Paris, the cream of the most refined, the choicest society.” For myself, who derived from the names Guermantes, Bavaria and Condé what I imagined to be the life, the thoughts of the two cousins (I could no longer so ascribe their faces, having seen them), I would rather have had their opinion of Phèdre than that of the greatest critic in the world. For in his I should have found merely intellect, an intellect superior to my own but similar in kind. But what the Duchesse and Princesse de Guermantes might think, an opinion which would have furnished me with an invaluable clue to the nature of these two poetic creatures, I imagined with the aid of their names, I endowed with an irrational charm, and, with the thirst, the longing of a fever-stricken wretch, what I demanded that their opinion of Phèdre should yield to me was the charm of the summer afternoons that I had spent in wandering along the Guermantes way.
Mme de Cambremer essayait de distinguer quelle sorte de toilette portaient les deux cousines. Pour moi, je ne doutais pas que ces toilettes ne leur fussent particulières, non pas seulement dans le sens où la livrée à col rouge ou à revers bleu appartenait jadis exclusivement aux Guermantes et aux Condé, mais plutôt comme pour un oiseau le plumage qui n′est pas seulement un ornement de sa beauté, mais une extension de son corps. La toilette de ces deux femmes me semblait comme une matérialisation neigeuse ou diaprée de leur activité intérieure, et, comme les gestes que j′avais vu faire à la princesse de Guermantes et que je n′avais pas douté correspondre à une idée cachée, les plumes qui descendaient du front de la princesse et le corsage éblouissant et pailleté de sa cousine semblaient avoir une signification, être pour chacune des deux femmes un attribut qui n′était qu′à elle et dont j′aurais voulu connaître la signification: l′oiseau de paradis me semblait inséparable de l′une, comme le paon de Junon; je ne pensais pas qu′aucune femme pût usurper le corsage pailleté de l′autre plus que l′égide étincelante et frangée de Minerve. Et quand je portais mes yeux sur cette baignoire, bien plus qu′au plafond du théâtre où étaient peintes de froides allégories, c′était comme si j′avais aperçu, grâce au déchirement miraculeux des nuées coutumières, l′assemblée des Dieux en train de contempler le spectacle des hommes, sous un velum rouge, dans une éclaircie lumineuse, entre deux piliers du Ciel. Je contemplais cette apothéose momentanée avec un trouble que mélangeait de paix le sentiment d′être ignoré des Immortels; la duchesse m′avait bien vu une fois avec son mari, mais ne devait certainement pas s′en souvenir, et je ne souffrais pas qu′elle se trouvât, par la place qu′elle occupait dans la baignoire, regarder les madrépores anonymes et collectifs du public de l′orchestre, car je sentais heureusement mon être dissous au milieu d′eux, quand, au moment où en vertu des lois de la réfraction vint sans doute se peindre dans le courant impassible des deux yeux bleus la forme confuse du protozoaire dépourvu d′existence individuelle que j′étais, je vis une clarté les illuminer: la duchesse, de déesse devenue femme et me semblant tout d′un coup mille fois plus belle, leva vers moi la main gantée de blanc qu′elle tenait appuyée sur le rebord de la loge, l′agita en signe d′amitié, mes regards se sentirent croisés par l′incandescence involontaire et les feux des yeux de la princesse, laquelle les avait fait entrer à son insu en conflagration rien qu′en les bougeant pour chercher à voir à qui sa cousine venait de dire bonjour, et celle-ci, qui m′avait reconnu, fit pleuvoir sur moi l′averse étincelante et céleste de son sourire.
Mme. de Cambremer was trying to make out how exactly the cousins were dressed. For my own part, I never doubted that their garments were peculiar to themselves, not merely in the sense in which the livery with red collar or blue facings had belonged once exclusively to the houses of Guermantes and Condé, but rather as is peculiar to a bird the plumage which, as well as being a heightening of its beauty, is an extension of its body. The toilet of these two ladies seemed to me like a materialisation, snow-white or patterned with colour, of their internal activity, and, like the gestures which I had seen the Princesse de Guermantes make, with no doubt in my own mind that they corresponded to some idea latent in hers, the plumes which swept downward from her brow, and her cousin′s glittering spangled bodice seemed each to have a special meaning, to be to one or the other lady an attribute which was hers and hers alone, the significance of which I would eagerly have learned; the bird of paradise seemed inseparable from its wearer as her peacock is from Juno, and I did not believe that any other woman could usurp that spangled bodice, any more than the fringed and flashing aegis of Minerva. And when I turned my eyes to their box, far more than on the ceiling of the theatre, painted with cold and lifeless allegories, it was as though I had seen, thanks to a miraculous rending of the clouds that ordinarily veiled it, the Assembly of the Gods in the act of contemplating the spectacle of mankind, beneath a crimsor canopy, in a clear lighted space, between two pillars of Heaven. I gazed on this brief transfiguration with a disturbance which was partly soothed by the feeling that I myself was unknown to these Immortals; the Duchess had indeed seen me once with her husband, but could surely have kept no memory of that, and it gave me no pain that she found herself, owing to the place that she occupied in the box, in a position to gaze down upon the nameless, collective madrepores of the public in the stalls, for I had the happy sense that my own personality had been dissolved in theirs, when, at the moment in which, by the force of certain optical laws, there must, I suppose, have come to paint itself on the impassive current of those blue eyes the blurred outline of the protozoon, devoid of any individual existence, which was myself, I saw a ray illumine them; the Duchess, goddess turned woman, and appearing in that moment a thousand times more lovely, raised, pointed in my direction the white-gloved hand which had been resting on the balustrade of the box, waved it at me in token of friendship; my gaze felt itself trapped in the spontaneous incandescence of the flashing eyes of the Princess, who had unconsciously set them ablaze merely by turning her head to see who it might be that her cousin was thus greeting, while the Duchess, who had remembered me, showered upon me the sparkling and celestial torrent of her smile.
Maintenant tous les matins, bien avant l′heure où elle sortait, j′allais par un long détour me poster à l′angle de la rue qu′elle descendait d′habitude, et, quand le moment de son passage me semblait proche, je remontais d′un air distrait, regardant dans une direction opposée et levant les yeux vers elle dès que j′arrivais à sa hauteur, mais comme si je ne m′étais nullement attendu à la voir. Même les premiers jours, pour être plus sûr de ne pas la manquer, j′attendais devant la maison. Et chaque fois que la porte cochère s′ouvrait (laissant passer successivement tant de personnes qui n′étaient pas celle que j′attendais), son ébranlement se prolongeait ensuite dans mon coeur en oscillations qui mettaient longtemps à se calmer. Car jamais fanatique d′une grande comédienne qu′il ne connaît pas, allant faire «le pied de grue» devant la sortie des artistes, jamais foule exaspérée ou idolâtre réunie pour insulter ou porter en triomphe le condamné ou le grand homme qu′on croit être sur le point de passer chaque fois qu′on entend du bruit venu de l′intérieur de la prison ou du palais ne furent aussi émus que je l′étais, attendant le départ de cette grande dame qui, dans sa toilette simple, savait, par la grâce de sa marche (toute différente de l′allure qu′elle avait quand elle entrait dans un salon ou dans une loge), faire de sa promenade matinale — il n′y avait pour moi qu′elle au monde qui se promenât — tout un poème d′élégance et la plus fine parure, la plus curieuse fleur du beau temps. Mais après trois jours, pour que le concierge ne pût se rendre compte de mon manège, je m′en allai beaucoup plus loin, jusqu′à un point quelconque du parcours habituel de la duchesse. Souvent avant cette soirée au théâtre, je faisais ainsi de petites sorties avant le déjeuner, quand le temps était beau; s′il avait plu, à la première éclaircie je descendais faire quelques pas, et tout d′un coup, venant sur le trottoir encore mouillé, changé par la lumière en laque d′or, dans l′apothéose d′un carrefour poudroyant d′un brouillard que tanne et blondit le soleil, j′apercevais une pensionnaire suivie de son institutrice ou une laitière avec ses manches blanches, je restais sans mouvement, une main contre mon coeur qui s′élançait déjà vers une vie étrangère; je tâchais de me rappeler la rue, l′heure, la porte sous laquelle la fillette (que quelquefois je suivais) avait disparu sans ressortir. Heureusement la fugacité de ces images caressées et que je me promettais de chercher à revoir les empêchait de se fixer fortement dans mon souvenir. N′importe, j′étais moins triste d′être malade, de n′avoir jamais eu encore le courage de me mettre à travailler, à commencer un livre, la terre me paraissait plus agréable à habiter, la vie plus intéressante à parcourir depuis que je voyais que les rues de Paris comme les routes de Balbec étaient fleuries de ces beautés inconnues que j′avais si souvent cherché à faire surgir des bois de Méséglise, et dont chacune excitait un désir voluptueux qu′elle seule semblait capable d′assouvir.
And now every morning, long before the hour at which she would appear, I went by a devious course to post myself at the corner of the street along which she generally came, and, when the moment of her arrival seemed imminent, strolled homewards with an air of being absorbed in something else, looking the other way and raising my eyes to her face as I drew level with her, but as though I had not in the least expected to see her. Indeed, for the first few mornings, so as to be sure of not missing her, I waited opposite the house. And every time that the carriage gate opened (letting out one after another so many people who were none of them she for whom I was waiting) its grinding rattle continued in my heart in a series of oscillations which it took me a long time to subdue. For never was devotee of a famous actress whom he did not know, posting himself and patrolling the pavement outside the stage door, never was angry or idolatrous crowd, gathered to insult or to carry in triumph through the streets the condemned assassin or the national hero whom it believes to be on the point of coming whenever a sound is heard from the inside of the prison or the palace, never were these so stirred by their emotion as I was, awaiting the emergence of this great lady who in her simple attire was able, by the grace of her movements (quite different from the gait she affected on entering a drawing-room or a box), to make of her morning walk — and for me there was no one in the world but herself out walking — a whole poem of elegant refinement and the finest ornament, the most curious flower of the season. But after the third day, so that the porter should not discover my stratagem, I betook myself much farther afield, to some point upon the Duchess′s usual route. Often before that evening at the theatre I had made similar little excursions before luncheon when the weather was fine; if it had been raining, at the first gleam of sunshine I would hasten downstairs to take a turn, and if, suddenly, coming towards me, on the still wet pavement changed by the sun into a golden lacquer, in the transformation scene of a crossroads dusty with a grey mist which the sun tanned and gilded, I caught sight of a schoolgirl followed by her governess or of a dairy-maid with her white sleeves, I stood motionless, my hand pressed to my heart which was already leaping towards an unexplored form of life; I tried to bear in mind the street, the time, the number of the door through which the girl (whom I followed sometimes) had vanished and failed to reappear. Fortunately the fleeting nature of these cherished images, which I promised myself that I would make an effort to see again, prevented them from fixing themselves with any vividness in my memory. No matter, I was less sad now at the thought of my own ill health, of my never having summoned up courage to set to work, to begin a book, the world appeared to me now a pleasanter place to live in, life a more interesting experience now that I had learned that the streets of Paris, like the roads round Balbec, were aflower with those unknown beauties whom I had so often sought to evoke from the woods of Méséglise, each one of whom aroused a sensual longing which she alone appeared capable of assuaging.
En rentrant de l′Opéra, j′avais ajouté pour le lendemain à celles que depuis quelques jours je souhaitais de retrouver l′image de Mme de Guermantes, grande, avec sa coiffure haute de cheveux blonds et légers; avec la tendresse promise dans le sourire qu′elle m′avait adressé de la baignoire de sa cousine. Je suivrais le chemin que Françoise m′avait dit que prenait la duchesse et je tâcherais pourtant, pour retrouver deux jeunes filles que j′avais vues l′avant-veille, de ne pas manquer la sortie d′un cours et d′un catéchisme. Mais, en attendant, de temps à autre, le scintillant sourire de Mme de Guermantes, la sensation de douceur qu′il m′avait donnée, me revenaient. Et sans trop savoir ce que je faisais, je m′essayais à les placer (comme une femme regarde l′effet que ferait sur une robe une certaine sorte de boutons de pierrerie qu′on vient de lui donner) à côté des idées romanesques que je possédais depuis longtemps et que la froideur d′Albertine, le départ prématuré de Gisèle et, avant cela, la séparation voulue et trop prolongée d′avec Gilberte avaient libérées (l′idée par exemple d′être aimé d′une femme, d′avoir une vie en commun avec elle); puis c′était l′image de l′une ou l′autre des deux jeunes filles que j′approchais de ces idées auxquelles, aussitôt après, je tâchais d′adapter le souvenir de la duchesse. Auprès de ces idées, le souvenir de Mme de Guermantes à l′Opéra était bien peu de chose, une petite étoile à côté de la longue queue de sa comète flamboyante; de plus je connaissais très bien ces idées longtemps avant de connaître Mme de Guermantes; le souvenir, lui, au contraire, je le possédais imparfaitement; il m′échappait par moments; ce fut pendant les heures où, de flottant en moi au même titre que les images d′autres femmes jolies, il passa peu à peu à une association unique et définitive — exclusive de toute autre image féminine — avec mes idées romanesques si antérieures à lui, ce fut pendant ces quelques heures où je me le rappelais le mieux que j′aurais dû m′aviser de savoir exactement quel il était; mais je ne savais pas alors l′importance qu′il allait prendre pour moi; il était doux seulement comme un premier rendez-vous de Mme de Guermantes en moi-même, il était la première esquisse, la seule vraie, la seule faite d′après la vie, la seule qui fût réellement Mme de Guermantes; durant les quelques heures où j′eus le bonheur de le détenir sans savoir faire attention à lui, il devait être bien charmant pourtant, ce souvenir, puisque c′est toujours à lui, librement encore à ce moment-là, sans hâte, sans fatigue, sans rien de nécessaire ni d′anxieux, que mes idées d′amour revenaient; ensuite au fur et à mesure que ces idées le fixèrent plus définitivement, il acquit d′elles une plus grande force, mais devint lui-même plus vague; bientôt je ne sus plus le retrouver; et dans mes rêveries, je le déformais sans doute complètement, car, chaque fois que je voyais Mme de Guermantes, je constatais un écart, d′ailleurs toujours différent, entre ce que j′avais imaginé et ce que je voyais. Chaque jour maintenant, certes, au moment que Mme de Guermantes débouchait au haut de la rue, j′apercevais encore sa taille haute, ce visage au regard clair sous une chevelure légère, toutes choses pour lesquelles j′étais là; mais en revanche, quelques secondes plus tard, quand, ayant détourné les yeux dans une autre direction pour avoir l′air de ne pas m′attendre à cette rencontre que j′étais venu chercher, je les levais sur la duchesse au moment où j′arrivais au même niveau de la rue qu′elle, ce que je voyais alors, c′étaient des marques rouges, dont je ne savais si elles étaient dues au grand air ou à la couperose, sur un visage maussade qui, par un signe fort sec et bien éloigné de l′amabilité du soir de Phèdre[/i.>, répondait à ce salut que je lui adressais quotidiennement avec un air de surprise et qui ne semblait pas lui plaire. Pourtant, au bout de quelques jours pendant lesquels le souvenir des deux jeunes filles lutta avec des chances inégales pour la domination de mes idées amoureuses avec celui de Mme de Guermantes, ce fut celui-ci, comme de lui-même, qui finit par renaître le plus souvent pendant que ses concurrents s′éliminaient; ce fut sur lui que je finis par avoir, en somme volontairement encore et comme par choix et plaisir, transféré toutes mes pensées d′amour. Je ne songeai plus aux fillettes du catéchisme, ni à une certaine laitière; et pourtant je n′espérai plus de retrouver dans la rue ce que j′étais venu y chercher, ni la tendresse promise au théâtre dans un sourire, ni la silhouette et le visage clair sous la chevelure blonde qui n′étaient tels que de loin. Maintenant je n′aurais même pu dire comment était Mme de Guermantes, à quoi je la reconnaissais, car chaque jour, dans l′ensemble de sa personne, la figure était autre comme la robe et le chapeau.
On coming home from the Opéra-Comique I had added for next morning to the list of those which for some days past I had been hoping to meet again the form of Mme. de Guermantes, tall, with her high-piled crown of silky, golden hair; with the kindness promised me in the smile which she had directed at me from her cousin′s box. I would follow the course which Françoise had told me that the Duchess generally took, and I would try at the same time, in the hope of meeting two girls whom I had seen a few days earlier, not to miss the break-up of their respective class and catechism. But in the mean time, ever and again, the scintillating smile of Mme. de Guermantes, the pleasant sensation it had given me, returned. And without exactly knowing what I was doing, I tried to find a place for them (as a woman studies the possible effect on her dress of some set of jewelled buttons that have just been given her) beside the romantic ideas which I had long held and which Albertine′s coldness, Gisèle′s premature departure, ana before them my deliberate and too long sustained separation from Gilberte, had set free (the idea, for instance of being loved by a woman, of having a life in common with her); next, it had been the image of one or other of the two girls seen in the street that I brought into relation with those ideas, to which immediately afterwards I was trying to adapt my memory of the Duchess. Compared with those ideas my memory of Mme. de Guermantes at the Opéra-Comique was a very little thing, a tiny star twinkling beside the long tail of a blazing comet; moreover I had been quite familiar with the ideas long before I came to know Mme. de Guermantes; my memory of her, on the contrary, I possessed but imperfectly; every now and then it escaped me; it was during the hours when, from floating vaguely in my mind in the same way as the images of various other pretty women, it passed gradually into a unique and definite association — exclusive of every other feminine form — with those romantic ideas of so much longer standing than itself, it was during those few hours in which I remembered it most clearly that I ought to have taken steps to find out exactly what it was; but I did not then know the importance which it was to assume for me; it was pleasant merely as a first private meeting with Mme. de Guermantes inside myself, it was the first, the only accurate sketch, the only one taken from life, the only one that was really Mme. de Guermantes; during the few hours in which I was fortunate enough to retain it without having the sense to pay it any attention, it must all the same have been charming, that memory, since it was always to it, and quite freely moreover, to that moment, without haste, without strain, without the slightest compulsion or anxiety, that my ideas of love returned; then, as gradually those ideas fixed it more definitely, it acquired from them a proportionately greater strength but itself became more vague; presently I could no longer recapture it; and in my dreams I probably altered it completely, for whenever I saw Mme. de Guermantes I realised the difference — never twice, as it happened, the same — between what I had imagined and what I saw. And now every morning, certainly at the moment when Mme. de Guermantes emerged from her gateway at the top of the street I saw again her tall figure, her face with its bright eyes and crown of silken hair — all the things for which I was there waiting; but, on the other hand, a minute or two later, when, having first turned my eyes away so as to appear not to be waiting for this encounter which I had come out to seek, I raised them to look at the Duchess at the moment in which we converged, what I saw then were red patches (as to which I knew not whether they were due to the fresh air or to a faulty complexion) on a sullen face which with the curtest of nods, a long way removed from the affability of the Phèdre evening, acknowledged my salute, which I addressed to her daily with an air of surprise, and which did not seem to please her. And yet, after a few days, during which the memory of the two girls fought against heavy odds for the mastery of my amorous feelings against that of Mme. de Guermantes, it was in the end the latter which, as though of its own accord, generally prevailed while its competitors withdrew; it was to it that I finally found myself, deliberately moreover, and as though by preference and for my own pleasure, to have transferred all my thoughts of love. I had ceased to dream of the little girls coming from their catechism, or of a certain dairy-maid; and yet I had also lost all hope of encountering in the street what I had come out to seek, either the affection promised to me, at the theatre, in a smile, or the profile, the bright face beneath its pile of golden hair which were so only when seen from afar. Now I should not even have been able to say what Mme. de Guermantes was like, by what I recognised her, for every day, in the picture which she presented as a whole, the face was different, as were the dress and the hat.
Pourquoi tel jour, voyant s′avancer de face sous une capote mauve une douce et lisse figure aux charmes distribués avec symétrie autour de deux yeux bleus et dans laquelle la ligne du nez semblait résorbée, apprenais-je d′une commotion joyeuse que je ne rentrerais pas sans avoir aperçu Mme de Guermantes? pourquoi ressentais-je le même trouble, affectais-je la même indifférence, détournais-je les yeux de la même façon distraite que la veille à l′apparition de profil dans une rue de traverse et sous un toquet bleu marine, d′un nez en bec d′oiseau, le long d′une joue rouge, barrée d′un oeil perçant, comme quelque divinité égyptienne? Une fois ce ne fut pas seulement une femme à bec d′oiseau que je vis, mais comme un oiseau même: la robe et jusqu′au toquet de Mme de Guermantes étaient en fourrures et, ne laissant ainsi voir aucune étoffe, elle semblait naturellement fourrée, comme certains vautours dont le plumage épais, uni, fauve et doux, a l′air d′une sorte de pelage. Au milieu de ce plumage naturel, la petite tête recourbait son bec d′oiseau et les yeux à fleur de tête étaient perçants et bleus.
Why did I one morning, when I saw bearing down on me beneath a violet hood a sweet, smooth face whose charms were symmetrically arranged about a pair of blue eyes, a face in which the curve of the nose seemed to have been absorbed, gauge from a joyous commotion in my bosom that I was not going to return home without having caught a glimpse of Mme. de Guermantes; and on the next feel the same disturbance, affect the same indifference, turn away my eyes in the same careless manner as on the day before, on the apparition, seen in profile as she crossed from a side street and crowned by a navy-blue toque, of a beak-like nose bounding a flushed cheek chequered with a piercing eye, like some Egyptian deity? Once it was not merely a woman with a bird′s beak that I saw but almost the bird itself; the outer garments, even the toque of Mme. de Guermantes were of fur, and since she thus left no cloth visible, she seemed naturally furred, like certain vultures whose thick, smooth, dusky, downy plumage suggests rather the skin of a wild beast. From the midst of this natural plumage, the tiny head arched out its beak and the two eyes on its surface were piercing-keen and blue.
Tel jour, je venais de me promener de long en large dans la rue pendant des heures sans apercevoir Mme de Guermantes, quand tout d′un coup, au fond d′une boutique de crémier cachée entre deux hôtels dans ce quartier aristocratique et populaire, se détachait le visage confus et nouveau d′une femme élégante qui était en train de se faire montrer des «petits suisses» et, avant que j′eusse eu le temps de la distinguer, venait me frapper, comme un éclair qui aurait mis moins de temps à arriver à moi que le reste de l′image, le regard de la duchesse; une autre fois, ne l′ayant pas rencontrée et entendant sonner midi, je comprenais que ce n′était plus la peine de rester à attendre, je reprenais tristement le chemin de la maison; et, absorbé dans ma déception, regardant sans la voir une voiture qui s′éloignait, je comprenais tout d′un coup que le mouvement de tête qu′une dame avait fait de la portière était pour moi et que cette dame, dont les traits dénoués et pâles, ou au contraire tendus et vifs, composaient sous un chapeau rond, au bas d′une haute aigrette, le visage d′une étrangère que j′avais cru ne pas reconnaître, était Mme de Guermantes par qui je m′étais laissé saluer sans même lui répondre. Et quelquefois je la trouvais en rentrant, au coin de la loge, où le détestable concierge dont je haî²³ais les coup d′oeil investigateurs était en train de lui faire de grands saluts et sans doute aussi des «rapports». Car tout le personnel des Guermantes, dissimulé derrière les rideaux des fenêtres, épiait en tremblant le dialogue qu′il n′entendait pas et à la suite duquel la duchesse ne manquait pas de priver de ses sorties tel ou tel domestique que le «pipelet» avait vendu. A cause de toutes les apparitions successives de visages différents qu′offrait Mme de Guermantes, visages occupant une étendue relative et variée, tantôt étroite, tantôt vaste, dans l′ensemble de sa toilette, mon amour n′était pas attaché à telle ou telle de ces parties changeantes de chair et d′étoffe qui prenaient, selon les jours, la place des autres et qu′elle pouvait modifier et renouveler presque entièrement sans altérer mon trouble parce qu′à travers elles, à travers le nouveau collet la joue inconnue, je sentais que c′était toujours Mme de Guermantes. Ce que j′aimais, c′était la personne invisible qui mettait en mouvement tout cela, c′était elle, dont l′hostilité me chagrinait, dont l′approche me bouleversait, dont j′eusse voulu capter la vie et chasser les amis. Elle pouvait arborer une plume bleue ou montrer un teint de feu, sans que ses actions perdissent pour moi de leur importance.
One day I had been pacing up and down the street for hours on end without a vestige of Mme. de Guermantes when suddenly, inside a pastrycook′s shop tucked in between two of the mansions of this aristocratic and plebeian quarter, there appeared, took shape the vague and unfamiliar face of a fashionably dressed woman who was asking to see some little cakes, and, before I had had time to make her out, there shot forth at me like a lightning flash, reaching me sooner than its accompaniment of thunder, the glance of the Duchess; another time, having failed to meet her and hearing twelve strike, I realised that it was not worth my while to wait for her any longer, I Was sorrowfully making my way homewards; and, absorbed in my own disappointment, looking absently after and not seeing a carriage that had overtaken me, I realised suddenly that the movement of her head which I saw a lady make through the carriage window was meant for me, and that this lady, whose features, relaxed and pale, or it might equally be tense and vivid, composed, beneath a round hat which nestled at the foot of a towering plume, the face of a stranger whom I had supposed that I did not know, was Mme. de Guermantes, by whom I had let myself be greeted without so much as acknowledging her bow. And sometimes I came upon her as I entered the gate, standing outside the lodge where the detestable porter whose scrutinous eye I loathed and dreaded was in the act of making her a profound obeisance and also, no doubt, his daily report. For the entire staff of the Guermantes household, hidden behind the window curtains, were trembling as they watched a conversation which they were unable to overhear, but which meant as they very well knew that one or other of them would certainly have his ‘day out′ stopped by the Duchess to whom this Cerberus was betraying him. In view of the whole series of different faces which Mme. Guermantes displayed thus one after another, faces that occupied a relative and varying extent, contracted one day, vast the next, in her person and attire as a whole, my love was not attached to any one of those changeable and ever-changing elements of flesh and fabric which replaced one another as day followed day, and which she could modify, could almost entirely reconstruct without altering my disturbance because beneath them, beneath the new collar and the strange cheek, I felt that it was still Mme. de Guermantes. What I loved was the invisible person who set all this outward show in motion, her whose hostility so distressed me, whose approach set me trembling, whose life I would fain have made my own and driven out of it her friends. She might flaunt a blue feather or shew a fiery cheek without her actions′ losing their importance for me.
Je n′aurais pas senti moi-même que Mme de Guermantes était excédée de me rencontrer tous les jours que je l′aurais indirectement appris du visage plein de froideur, de réprobation et de pitié qui était celui de Françoise quand elle m′aidait à m′apprêter pour ces sorties matinales. Dès que je lui demandais mes affaires, je sentais s′élever un vent contraire dans les traits rétractés et battus de sa figure. Je n′essayais même pas de gagner la confiance de Françoise, je sentais que je n′y arriverais pas. Elle avait, pour savoir immédiatement tout ce qui pouvait nous arriver, à mes parents et à moi, de désagréable, un pouvoir dont la nature m′est toujours restée obscure. Peut-être n′était-il pas surnaturel et aurait-il pu s′expliquer par des moyens d′informations qui lui étaient spéciaux; c′est ainsi que des peuplades sauvages apprennent certaines nouvelles plusieurs jours avant que la poste les ait apportées à la colonie européenne, et qui leur ont été en réalité transmises, non par télépathie, mais de colline en colline à l′aide de feux allumés. Ainsi dans le cas particulier de mes promenades, peut-être les domestiques de Mme de Guermantes avaient-ils entendu leur maîtresse exprimer sa lassitude de me trouver inévitablement sur son chemin et avaient-ils répété ces propos à Françoise. Mes parents, il est vrai, auraient pu affecter à mon service quelqu′un d′autre que Françoise, je n′y aurais pas gagné. Françoise en un sens était moins domestique que les autres. Dans sa manière de sentir, d′être bonne et pitoyable, d′être dure et hautaine, d′être fine et bornée, d′avoir la peau blanche et les mains rouges, elle était la demoiselle de village dont les parents «étaient bien de chez eux» mais, ruinés, avaient été obligés de la mettre en condition. Sa présence dans notre maison, c′était l′air de la campagne et la vie sociale dans une ferme, il y a cinquante ans, transportés chez nous, grâce à une sorte de voyage inverse où c′est la villégiature qui vient vers le voyageur. Comme la vitrine d′un musée régional l′est par ces curieux ouvrages que les paysannes exécutent et passementent encore dans certaines provinces, notre appartement parisien était décoré par les paroles de Françoise inspirées d′un sentiment traditionnel et local et qui obéissaient à des règles très anciennes. Et elle savait y retracer comme avec des fils de couleur les cerisiers et les oiseaux de son enfance, le lit où était morte sa mère, et qu′elle voyait encore. Mais malgré tout cela, dès qu′elle était entrée à Paris à notre service, elle avait partagé— et à plus forte raison toute autre l′eût fait à sa place — les idées, les jurisprudences d′interprétation des domestiques des autres étages, se rattrapant du respect qu′elle était obligée de nous témoigner, en nous répétant ce que la cuisinière du quatrième disait de grossier à sa maîtresse, et avec une telle satisfaction de domestique, que, pour la première fois de notre vie, nous sentant une sorte de solidarité avec la détestable locataire du quatrième, nous nous disions que peut-être, en effet, nous étions des maîtres. Cette altération du caractère de Françoise était peut-être inévitable. Certaines existences sont si anormales qu′elles doivent engendrer fatalement certaines tares, telle celle que le Roi menait à Versailles entre ses courtisans, aussi étrange que celle d′un pharaon ou d′un doge, et, bien plus que celle du Roi, la vie des courtisans. Celle des domestiques est sans doute d′une étrangeté plus monstrueuse encore et que seule l′habitude nous voile. Mais c′est jusque dans des détails encore plus particuliers que j′aurais été condamné, même si j′avais renvoyé Françoise, à garder le même domestique. Car divers autres purent entrer plus tard à mon service; déjà pourvus des défauts généraux des domestiques, ils n′en subissaient pas moins chez moi une rapide transformation. Comme les lois de l′attaque commandent celles de la riposte, pour ne pas être entamés par les aspérités de mon caractère, tous pratiquaient dans le leur un rentrant identique et au même endroit; et, en revanche, ils profitaient de mes lacunes pour y installer des avancées. Ces lacunes, je ne les connaissais pas, non plus que les saillants auxquels leur entre-deux donnait lieu, précisément parce qu′elles étaient des lacunes. Mais mes domestiques, en se gâtant peu à peu, me les apprirent. Ce fut par leurs défauts invariablement acquis que j′appris mes défauts naturels et invariables, leur caractère me présenta une sorte d′épreuve négative du mien. Nous nous étions beaucoup moqués autrefois, ma mère et moi, de Mme Sazerat qui disait en parlant des domestiques: «Cette race, cette espèce.» Mais je dois dire que la raison pourquoi je n′avais pas lieu de souhaiter de remplacer Françoise par quelque autre est que cette autre aurait appartenu tout autant et inévitablement à la race générale des domestiques et à l′espèce particulière des miens.
I should not myself have felt that Mme. de Guermantes was tired of meeting me day after day, had I not learned it indirectly by reading it on the face, stiff with coldness, disapproval and pity which Françoise shewed when she was helping me to get ready for these morning walks. The moment I asked her for my outdoor things I felt a contrary wind arise in her worn and battered features. I made no attempt to win her confidence, for I knew that I should not succeed. She had, for at once discovering any unpleasant thing that might have happened to my parents or myself, a power the nature of which I have never been able to fathom. Perhaps it was not supernatural, but was to be explained by sourees of information that were open to her alone: as it may happen that the news which often reaches a savage tribe several days before the post has brought it to the European colony has really been transmitted to them not by telepathy but from hill-top to hill-top by a chain of beacon fires. So, in the particular instance of my morning walks, possibly Mme. de Guermantes′s servants had heard their mistress say how tired she was of running into me every day without fail wherever she went, and had repeated her remarks to Françoise. My parents might, it is true, have attached some servant other than Françoise to my person, still I should have been no better off. Françoise was in a sense less of a servant than the others. In her way of feeling things, of being kind and pitiful, hard and distant, superior and narrow, of combining a white skin with red hands, she was still the village maiden whose parents had had ‘a place of their own′ but having come to grief had been obliged to put her into service. Her presence in our household was the country air, the social life of a farm of fifty years ago wafted to us by a sort of reversal of the normal order of travel whereby it is the place that comes to visit the person. As the glass cases in a local museum are filled with specimens of the curious handiwork which the peasants still carve or embroider or whatever it may be in certain parts of the country, so our flat in Paris was decorated with the words of Françoise, inspired by a traditional local sentiment and governed by extremely ancient laws. And she could in Paris find her way back as though by clues of coloured thread to the songbirds and cherry trees of her childhood, to her mother′s deathbed, which she still vividly saw. But in spite of all this wealth of background, once she had come to Paris and had entered our service she had acquired — as, obviously, anyone else coming there in her place would have acquired — the ideas, the system of interpretation used by the servants on the other floors, compensating for the respect which she was obliged to shew to us by repeating the rude words that the cook on the fourth floor had used to her mistress, with a servile gratification so intense that, for the first time in our lives, feeling a sort of solidarity between ourselves and the detestable occupant of the fourth floor flat, we said to ourselves that possibly we too were ‘employers′ after all. This alteration in Françoise′» character was perhaps inevitable. Certain forms of existence are so abnormal that they are bound to produce certain characteristic faults; such was the life led by the King at Versailles among his courtiers, a life as strange as that of a Pharaoh or a Doge — and, far more even than his, the life of his courtiers. The life led by our servants is probably of an even more monstrous abnormality, which only its familiarity can prevent us from seeing. But it was actually in details more intimate still that I should have been obliged, if I had dismissed Françoise, to keep the same servant. For various others might, in years to come, enter my service; already furnished with the defects common to all servants, they underwent nevertheless a rapid transformation with me. As, in the rules of tactics, an attack in one sector compels a counter-attack in another, so as not to be hurt by the asperities of my nature, all of them effected in their own an identical resilience, always at the same points, and to make up for this took advantage of the gaps in my line to thrust out advanced posts. Of these gaps I knew nothing, any more than of the salients to which they gave rise, precisely because they were gaps. But my servants, by gradually becoming spoiled, taught me of their existence. It was from the defects which they invariably acquired that I learned what were my own natural and invariable shortcomings; their character offered me a sort of negative plate of my own. We had always laughed, my mother and I, at Mme. Sazerat, who used, in speaking of her servants, expressions like ‘the lower orders′ or ‘the servant class.′ But I am bound to admit that what made it useless to think of replacing Françoise by anyone else was that her successor would inevitably have belonged just as much to the race of servants in general and to the class of my servants in particular.
Pour en revenir à Françoise, je n′ai jamais dans ma vie éprouvé une humiliation sans avoir trouvé d′avance sur le visage de Françoise des condoléances toutes prêtes; et si, lorsque dans ma colère d′être plaint par elle, je tentais de prétendre avoir au contraire remporté un succès, mes mensonges venaient inutilement se briser à son incrédulité respectueuse, mais visible, et à la conscience qu′elle avait de son infaillibilité. Car elle savait la vérité; elle la taisait et faisait seulement un petit mouvement des lèvres comme si elle avait encore la bouche pleine et finissait un bon morceau. Elle la taisait, du moins je l′ai cru longtemps, car à cette époque-là je me figurais encore que c′était au moyen de paroles qu′on apprend aux autres la vérité. Même les paroles qu′on me disait déposaient si bien leur signification inaltérable dans mon esprit sensible, que je ne croyais pas plus possible que quelqu′un qui m′avait dit m′aimer ne m′aimât pas, que Françoise elle-même n′aurait pu douter, quand elle l′avait lu dans un journal, qu′un prêtre ou un monsieur quelconque fût capable, contre une demande adressée par la poste, de nous envoyer gratuitement un remède infaillible contre toutes les maladies ou un moyen de centupler nos revenus. (En revanche, si notre médecin lui donnait la pommade la plus simple contre le rhume de cerveau, elle si dure aux plus rudes souffrances gémissait de ce qu′elle avait dû renifler, assurant que cela lui «plumait le nez», et qu′on ne savait plus où vivre.) Mais la première, Françoise me donna l′exemple (que je ne devais comprendre que plus tard quand il me fut donné de nouveau et plus douloureusement, comme on le verra dans les derniers volumes de cet ouvrage, par une personne qui m′était plus chère) que la vérité n′a pas besoin d′être dite pour être manifestée, et qu′on peut peut-être la recueillir plus sûrement sans attendre les paroles et sans tenir même aucun compte d′elles, dans mille signes extérieurs, même dans certains phénomènes invisibles, analogues dans le monde des caractères à ce que sont, dans la nature physique, les changements atmosphériques. J′aurais peut-être pu m′en douter, puisque à moi-même, alors, il m′arrivait souvent de dire des choses où il n′y avait nulle vérité, tandis que je la manifestais par tant de confidences involontaires de mon corps et de mes actes (lesquelles étaient fort bien interprétées par Françoise); j′aurais peut-être pu m′en douter, mais pour cela il aurait fallu que j′eusse su que j′étais alors quelquefois menteur et fourbe. Or le mensonge et la fourberie étaient chez moi, comme chez tout le monde, commandés d′une façon si immédiate et contingente, et pour sa défensive, par un intérêt particulier, que mon esprit, fixé sur un bel idéal, laissait mon caractère accomplir dans l′ombre ces besognes urgentes et chétives et ne se détournait pas pour les apercevoir. Quand Françoise, le soir, était gentille avec moi, me demandait la permission de s′asseoir dans ma chambre, il me semblait que son visage devenait transparent et que j′apercevais en elle la bonté et la franchise. Mais Jupien, lequel avait des parties d′indiscrétion que je ne connus que plus tard, révéla depuis qu′elle disait que je ne valais pas la corde pour me pendre et que j′avais cherché à lui faire tout le mal possible. Ces paroles de Jupien tirèrent aussitôt devant moi, dans une teinte inconnue, une épreuve de mes rapports avec Françoise si différente de celle sur laquelle je me complaisais souvent à reposer mes regards et où, sans la plus légère indécision, Françoise m′adorait et ne perdait pas une occasion de me célébrer, que je compris que ce n′est pas le monde physique seul qui diffère de l′aspect sous lequel nous le voyons; que toute réalité est peut-être aussi dissemblable de celle que nous croyons percevoir directement, que les arbres, le soleil et le ciel ne seraient pas tels que nous les voyons, s′ils étaient connus par des êtres ayant des yeux autrement constitués que les nôtres, ou bien possédant pour cette besogne des organes autres que des yeux et qui donneraient des arbres, du ciel et du soleil des équivalents mais non visuels. Telle qu′elle fut, cette brusque échappée que m′ouvrit une fois Jupien sur le monde réel m′épouvanta. Encore ne s′agissait-il que de Françoise dont je ne me souciais guère. En était-il ainsi dans tous les rapports sociaux? Et jusqu′à quel désespoir cela pourrait-il me mener un jour, s′il en était de même dans l′amour? C′était le secret de l′avenir. Alors, il ne s′agissait encore que de Françoise. Pensait-elle sincèrement ce qu′elle avait dit à Jupien? L′avait-elle dit seulement pour brouiller Jupien avec moi, peut-être pour qu′on ne prît pas la fille de Jupien pour la remplacer? Toujours est-il que je compris l′impossibilité de savoir d′une manière directe et certaine si Françoise m′aimait ou me détestait. Et ainsi ce fut elle qui la première me donna l′idée qu′une personne n′est pas, comme j′avais cru, claire et immobile devant nous avec ses qualités, ses défauts, ses projets, ses intentions à notre égard (comme un jardin qu′on regarde, avec toutes ses plates-bandes, à travers une grille) mais est une ombre où nous ne pouvons jamais pénétrer, pour laquelle il n′existe pas de connaissance directe, au sujet de quoi nous nous faisons des croyances nombreuses à l′aide de paroles et même d′actions, lesquelles les unes et les autres ne nous donnent que des renseignements insuffisants et d′ailleurs contradictoires, une ombre où nous pouvons tour à tour imaginer, avec autant de vraisemblance, que brillent la haine et l′amour.
To return to Françoise, I never in my life experienced any humiliation without having seen beforehand on her face a store of condolences prepared and waiting; and if then in my anger at the thought of being pitied by her I tried to pretend that on the contrary I had scored a distinct success, my lies broke feebly on the wall of her respectful but obvious unbelief and the consciousness that she enjoyed of her own infallibility. For she knew the truth. She refrained from uttering it, and made only a slight movement with her lips as if she still bad her mouth full and was finishing a tasty morsel. She refrained from uttering it, or so at least I long believed, for at that time I still supposed that it was by means of words that one communicated the truth to others. Indeed the words that people used to me recorded their meaning so unalterably on the sensitive plate of my mind that I could no more believe it to be possible that anyone who had professed to love me did not love me than Françoise herself could have doubted when she had read it in a newspaper that some clergyman or gentleman was prepared, on receipt of a stamped envelope, to furnish us free of charge with an infallible remedy for every known complaint or with the means of multiplying our income an hundredfold. (If, on the other hand, our doctor were to prescribe for her the simplest ointment to cure a cold in the head, she, so stubborn to endure the keenest suffering, would complain bitterly of what she had been made to sniff, insisting that it tickled her nose and that life was not worth living.) But she was the first person to prove to me by her example (which I was not to understand until, long afterwards, when it was given me afresh and to my greater discomfort, as will be found in the later volumes of this work, by a person who was dearer to me than Françoise) that the truth has no need to be uttered to be made apparent, and that one may perhaps gather it with more certainty, without waiting for words, without even bothering one′s head about them, from a thousand outward signs, even from certain invisible phenomena, analogous in the sphere of human character to what in nature are atmospheric changes. I might perhaps have suspected this. since to myself at that time it frequently occurred that I said things in which there was no vestige of truth, while I made the real truth plain by all manner of involuntary confidences expressed by my body and in my actions (which were at once interpreted by Françoise); I ought perhaps to have suspected it, but to do so I should first have had to be conscious that I myself was occasionally untruthful and dishonest. Now untruthfulness and dishonesty were with me, as with most people; called into being in so immediate, so contingent a fashion, and in self-defence, by some particular interest, that my mind, fixed on some lofty ideal, allowed my character, in the darkness below, to set about those urgent, sordid tasks, and did net look down to observe them. When Françoise, in the evening, was polite to me, and asked my permission before sitting down in my room, it seemed as though her face became transparent and I could see the goodness and honesty that lay beneath. But Jupien, who had lapses into indiscretion of which I learned only later, revealed afterwards that she had told him that I was not worth the price of a rope to hang me, and that I had tried to insult her in every possible way. These words of Jupien set up at once before my eyes, in new and strange colours, a print of the picture of my relations with Françoise so different from that on which I used to like letting my eyes rest, and in which, without the least possibility of doubt, Françoise adored me and lost no opportunity of singing my praises, that I realised that it is not only the material world that is different from the aspect in which we see it; that all reality is perhaps equally dissimilar from what we think ourselves to be directly perceiving; that the trees, the sun and the sky would not be the same as what we see if they were apprehended by creatures having eyes differently constituted from ours, or, better still, endowed for that purpose with organs other than eyes which would furnish trees and sky and sun with equivalents, though not visual. However that might be, this sudden outlet which Jupien threw open for me upon the real world appalled me. So far it was only Françoise that was revealed, and of her I barely thought. Was it the same with all one′s social relations? And in what depths of despair might this not some day plunge me, if it were the same with love? That was the future′s secret. For the present only Françoise was concerned. Did she sincerely believe what she had said to Jupien? Had she said it to embroil Jupien with me, possibly so that we should not appoint Jupien′s girl as her successor? At any rate I realised the impossibility of obtaining any direct and certain knowledge of whether Françoise loved or lothed me. And thus it was she who first gave me the idea that a person does not (as I had imagined) stand motionless and clear before our eyes with his merits, his defects, his plans, his intentions with regard to ourself exposed on his surface, like a garden at which, with all its borders spread out before us, we gaze through a railing, but is a shadow which we can never succeed in penetrating, of which there can be no such thing as direct knowledge, with respect to which we form countless beliefs, based upon his words and sometimes upon his actions, though neither words nor actions can give us anything but inadequate and as it proves contradictory information — a shadow behind which we can alternately imagine, with equal justification, that there burns the flame of hatred and of love.
J′aimais vraiment Mme de Guermantes. Le plus grand bonheur que j′eusse pu demander à Dieu eût été de faire fondre sur elle toutes les calamités, et que ruinée, déconsidérée, dépouillée de tous les privilèges qui me séparaient d′elle, n′ayant plus de maison où habiter ni de gens qui consentissent à la saluer, elle vînt me demander asile. Je l′imaginais le faisant. Et même les soirs où quelque changement dans l′atmosphère ou dans ma propre santé amenait dans ma conscience quelque rouleau oublié sur lequel étaient inscrites des impressions d′autrefois, au lieu de profiter des forces de renouvellement qui venaient de naître en moi, au lieu de les employer à déchiffrer en moi-même des pensées qui d′habitude m′échappaient, au lieu de me mettre enfin au travail, je préférais parler tout haut, penser d′une manière mouvementée, extérieure, qui n′était qu′un discours et une gesticulation inutiles, tout un roman purement d′aventures, stérile et sans vérité, où la duchesse, tombée dans la misère, venait m′implorer, moi qui étais devenu par suite de circonstances inverses riche et puissant. Et quand j′avais passé des heures ainsi à imaginer des circonstances, à prononcer les phrases que je dirais à la duchesse en l′accueillant sous mon toit, la situation restait la même; j′avais, hélas, dans la réalité, choisi précisément pour l′aimer la femme qui réunissait peut-être le plus d′avantages différents et aux yeux de qui, à cause de cela, je ne pouvais espérer avoir aucun prestige; car elle était aussi riche que le plus riche qui n′eût pas été noble; sans compter ce charme personnel qui la mettait à la mode, en faisait entre toutes une sorte de reine.
I was genuinely in love with Mme. de Guermantes. The greatest happiness that I could have asked of God would have been that He should overwhelm her under every imaginable calamity, and that ruined, despised, stripped of all the privileges that divided her from me, having no longer any home of her own or people who would condescend to speak to her, she should come to me for refuge. I imagined her doing so. And indeed on those evenings when some change in the atmosphere or in my own condition brought to the surface of my consciousness some forgotten scroll on which were recorded impressions of other days, instead of profiting by the refreshing strength that had been generated in me, instead of employing it to decipher in my own mind thoughts which as a rule escaped me, instead of setting myself at last to work, I preferred to relate aloud, to plan out in the third person, with a flow of invention as useless as was my declamation of it, a whole novel crammed with adventure, in which the Duchess, fallen upon misfortune, came to implore assistance from me — me who had become, by a converse change of circumstances, rich and powerful. And when I had let myself thus for hours on end imagine the circumstances, rehearse the sentences with which I should welcome the Duchess beneath my roof, the situation remained unaltered; I had, alas, in reality, chosen to love the very woman who, in her own person, combined perhaps the greatest possible number of different advantages; in whose eyes, accordingly, I could not hope, myself, ever to cut any figure; for she was as rich as the richest commoner — and noble also; without reckoning that personal charm which set her at the pinnacle of fashion, made her among the rest a sort of queen.
Je sentais que je lui déplaisais en allant chaque matin au-devant d′elle; mais si même j′avais eu le courage de rester deux ou trois jours sans le faire, peut-être cette abstention qui eût représenté pour moi un tel sacrifice, Mme de Guermantes ne l′eût pas remarquée, ou l′aurait attribuée à quelque empêchement indépendant de ma volonté. Et en effet je n′aurais pu réussir à cesser d′aller sur sa route qu′en m′arrangeant à être dans l′impossibilité de le faire, car le besoin sans cesse renaissant de la rencontrer, d′être pendant un instant l′objet de son attention, la personne à qui s′adressait son salut, ce besoin-là était plus fort que l′ennui de lui déplaire. Il aurait fallu m′éloigner pour quelque temps; je n′en avais pas le courage. J′y songeais quelquefois. Je disais alors à Françoise de faire mes malles, puis aussitôt après de les défaire. Et comme le démon du pastiche, et de ne pas paraître vieux jeu, altère la forme la plus naturelle et la plus sûre de soi, Françoise, empruntant cette expression au vocabulaire de sa fille, disait que j′étais dingo. Elle n′aimait pas cela, elle disait que je «balançais» toujours, car elle usait, quand elle ne voulait pas rivaliser avec les modernes, du langage de Saint–Simon. Il est vrai qu′elle aimait encore moins quand je parlais en maître. Elle savait que cela ne m′était pas naturel et ne me seyait pas, ce qu′elle traduisait en disant que «le voulu ne m′allait pas». Je n′aurais eu le courage de partir que dans une direction qui me rapprochât de Mme de Guermantes. Ce n′était pas chose impossible. Ne serait-ce pas en effet me trouver plus près d′elle que je ne l′étais le matin dans la rue, solitaire, humilié, sentant que pas une seule des pensées que j′aurais voulu lui adresser n′arrivait jamais jusqu′à elle, dans ce piétinement sur place de mes promenades, qui pourraient durer indéfiniment sans m′avancer en rien, si j′allais à beaucoup de lieues de Mme de Guermantes, mais chez quelqu′un qu′elle connût, qu′elle sût difficile dans le choix de ses relations et qui m′appréciât, qui pourrait lui parler de moi, et sinon obtenir d′elle ce que je voulais, au moins le lui faire savoir, quelqu′un grâce à qui, en tout cas, rien que parce que j′envisagerais avec lui s′il pourrait se charger ou non de tel ou tel message auprès d′elle, je donnerais à mes songeries solitaires et muettes une forme nouvelle, parlée, active, qui me semblerait un progrès, presque une réalisation. Ce qu′elle faisait durant la vie mystérieuse de la «Guermantes» qu′elle était, cela, qui était l′objet de ma rêverie constante, y intervenir, même de façon indirecte, comme avec un levier, en mettant en oeuvre quelqu′un à qui ne fussent pas interdits l′hôtel de la duchesse, ses soirées, la conversation prolongée avec elle, ne serait-ce pas un contact plus distant mais plus effectif que ma contemplation dans la rue tous les matins?
I felt that I was annoying her by crossing her path in this way every morning; but even if I had had the courage to refrain, for two or three days consecutively, from doing so, perhaps that abstention, which would have represented so great a sacrifice on my part, Mme. de Guermantes would not have noticed, or would have set it down to some obstacle beyond my control. And indeed I could not have succeeded in making myself cease to track her down except by arranging that it should be impossible for me to do so, for the need incessantly reviving in me to meet her, to be for a moment the object of her attention, the person to whom her bow was addressed, was stronger than my fear of arousing her displeasure. I should have had to go away for some time; and for that I had not the heart. I did think of it more than once. I would then tell Françoise to pack my boxes, and immediately afterwards to unpack them. And as the spirit of imitation, the desire not to appear behind the times, alters the most natural and most positive form of oneself, Françoise, borrowing the expression from her daughter′s vocabulary, used to remark that I was ‘dippy.′ She did not approve of this; she said that I was always ‘balancing,′ for she made use, when she was not aspiring to rival the moderns, of the language of Saint-Simon. It is true that she liked it still less when I spoke to her as master to servant. She knew that this was not natural to me, and did not suit me, a condition which she rendered in words as ‘where there isn′t a will.′ I should never have had the heart to leave Paris except in a direction that would bring me closer to Mme. de Guermantes. This was by no means an impossibility. Should I not indeed find myself nearer to her than I was in the morning, in the street, solitary, abashed, feeling that not a single one of the thoughts which I should have liked to convey to her ever reached her, in that weary patrolling up and down of walks which might be continued, day after day, for ever without the slightest advantage to myself, if I were to go miles away from Mme. de Guermantes, but go to some one of her acquaintance, some one whom she knew to be particular in the choice of his friends and who would appreciate my good qualities, would be able to speak to her about me, and if not to obtain it from her at least to make her know what I wanted, some one by means of whom, in any event, simply because I should discuss with him whether or not it would be possible for him to convey this or that message to her, I should give to my solitary and silent meditations a new form, spoken, active, which would seem an advance, almost a realisation. What she did during the mysterious daily life of the ‘Guermantes′ that she was — this was the constant object of my thoughts; and to break through the mystery, even by indirect means, as with a lever, by employing the services of a person to whom were not forbidden the town house of the Duchess, her parties, unrestricted conversation with her, would not that be a contact more distant but at the same time more effective than my contemplation of her every morning in the street?
L′amitié, l′admiration que Saint–Loup avait pour moi, me semblaient imméritées et m′étaient restées indifférentes. Tout d′un coup j′y attachai du prix, j′aurais voulu qu′il les révélât à Mme de Guermantes, j′aurais été capable de lui demander de le faire. Car dès qu′on est amoureux, tous les petits privilèges inconnus qu′on possède, on voudrait pouvoir les divulguer à la femme qu′on aime, comme font dans la vie les déshérités et les fâcheux. On souffre qu′elle les ignore, on cherche à se consoler en se disant que justement parce qu′ils ne sont jamais visibles, peut-être ajoute-t-elle à l′idée qu′elle a de vous cette possibilité d′avantages qu′on ne sait pas.
The friendship, the admiration that Saint-Loup felt for me seemed to me undeserved and had hitherto left me unmoved. All at once I attached a value to them, I would have liked him to disclose them to Mme. de Guermantes, I was quite prepared even to ask him to do so. For when we are in love, all the trifling little privileges that we enjoy we would like to be able to divulge to the woman we love, as people who have been disinherited and bores of other kinds do to us in everyday life. We are distressed by her ignorance of them; we seek consolation in the thought that just because they are never visible she has perhaps added to the opinion which she already had of us this possibility of further advantages that must remain unknown.
Saint–Loup ne pouvait pas depuis longtemps venir à Paris, soit, comme il le disait, à cause des exigences de son métier, soit plutôt à cause de chagrins que lui causait sa maîtresse avec laquelle il avait déjà été deux fois sur le point de rompre. Il m′avait souvent dit le bien que je lui ferais en allant le voir dans cette garnison dont, le surlendemain du jour où il avait quitté Balbec, le nom m′avait causé tant de joie quand je l′avais lu sur l′enveloppe de la première lettre que j′eusse reçue de mon ami. C′était, moins loin de Balbec que le paysage tout terrien ne l′aurait fait croire, une de ces petites cités aristocratiques et militaires, entourées d′une campagne étendue où, par les beaux jours, flotte si souvent dans le lointain une sorte de buée sonore intermittente qui — comme un rideau de peupliers par ses sinuosités dessine le cours d′une rivière qu′on ne voit pas — révèle les changements de place d′un régiment à la manoeuvre, que l′atmosphère même des rues, des avenues et des places, a fini par contracter une sorte de perpétuelle vibratilité musicale et guerrière, et que le bruit le plus grossier de chariot ou de tramway s′y prolonge en vagues appels de clairon, ressassés indéfiniment aux oreilles hallucinées par le silence. Elle n′était pas située tellement loin de Paris que je ne pusse, en descendant du rapide, rentrer, retrouver ma mère et ma grand′mère et coucher dans mon lit. Aussitôt que je l′eus compris, troublé d′un douloureux désir, j′eus trop peu de volonté pour décider de ne pas revenir à Paris et de rester dans la ville; mais trop peu aussi pour empêcher un employé de porter ma valise jusqu′à un fiacre et pour ne pas prendre, en marchant derrière lui, l′âme dépourvue d′un voyageur qui surveille ses affaires et qu′aucune grand′mère n′attend, pour ne pas monter dans la voiture avec la désinvolture de quelqu′un qui, ayant cessé de penser à ce qu′il veut, a l′air de savoir ce qu′il veut, et ne pas donner au cocher l′adresse du quartier de cavalerie. Je pensais que Saint–Loup viendrait coucher cette nuit-là à l′hôtel où je descendrais afin de me rendre moins angoissant le premier contact avec cette ville inconnue. Un homme de garde alla le chercher, et je l′attendis à la porte du quartier, devant ce grand vaisseau tout retentissant du vent de novembre, et d′où, à chaque instant, car c′était six heures du soir, des hommes sortaient deux par deux dans la rue, titubant comme s′ils descendaient à terre dans quelque port exotique où ils eussent momentanément stationné.
Saint-Loup had not for a long time been able to come to Paris, whether, as he himself explained, on account of his military duties, or, as was more likely, on account of the trouble that he was having with his mistress, with whom he had twice now been on the point of breaking off relations. He had often told me what a pleasure it would be to him if I came to visit him at that garrison town, the name of which, a couple of days after his leaving Balbec, had caused me so much joy when I had read it on the envelope of the first letter I received from my friend. It was (not so far from Balbec as its wholly inland surroundings might have led one to think) one of those little fortified towns, aristocratic and military, set in a broad expanse of country over which on fine days there floats so often into the distance a sort of intermittent haze of sound which — as a screen of poplars by its sinuosities outlines the course of a river which one cannot see — indicates the movements of a regiment on parade, so that the very atmosphere of its streets, avenues and squares has been gradually tuned to a sort of perpetual vibration, musical and martial, while the most ordinary note of cartwheel or tramway is prolonged in vague trumpet calls, indefinitely repeated, to the hallucinated ear, by the silence. It was not too far away from Paris for me to be able, if I took the express, to return, join my mother and grandmother and sleep in my own bed. As soon as I realised this, troubled by a painful longing, I had too little will power to decide not to return to Paris but rather to stay in this town; but also too little to prevent a porter from carrying my luggage to a cab and not to adopt, as I walked behind him, the unburdened mind of a traveller who is looking after his luggage and for whom no grandmother is waiting anywhere at home, to get into the carriage with the complete detachment of a person who, having ceased to think of what it is that he wants, has the air of knowing what he wants, and to give the driver the address of the cavalry barracks. I thought that Saint-Loup might come to sleep that night at the hotel at which I should be staying, so as to make less painful for me the first shock of contact with this strange town. One of the guard went to find him, and I waited at the barrack gate, before that huge ship of stone, booming with the November wind, out of which, every moment, for it was now six o′clock, men were emerging in pairs into the street, staggering as if they were coming ashore in some foreign port in which they found themselves temporarily anchored.
Saint–Loup arriva, remuant dans tous les sens, laissant voler son monocle devant lui; je n′avais pas fait dire mon nom, j′étais impatient de jouir de sa surprise et de sa joie.
Saint-Loup appeared, moving like a whirlwind, his eyeglass spinning in the air before him; I had not given my name, I was eager to enjoy his surprise and delight.
— Ah! quel ennui, s′écria-t-il en m′apercevant tout à coup et en devenant rouge jusqu′aux oreilles, je viens de prendre la semaine et je ne pourrai pas sortir avant huit jours!
“Oh! What a bore!” he exclaimed, suddenly catching sight of me, and blushing to the tips of his ears. “I have just had a week′s leave, and I shan′t be off duty again for another week.”
Et préoccupé par l′idée de me voir passer seul cette première nuit, car il connaissait mieux que personne mes angoisses du soir qu′il avait souvent remarquées et adoucies à Balbec, il interrompait ses plaintes pour se retourner vers moi, m′adresser de petits sourires, de tendres regards inégaux, les uns venant directement de son oeil, les autres à travers son monocle, et qui tous étaient une allusion à l′émotion qu′il avait de me revoir, une allusion aussi à cette chose importante que je ne comprenais toujours pas mais qui m′importait maintenant, notre amitié.
And, preoccupied by the thought of my having to spend this first night alone, for he knew better than anyone my bed-time agonies, which he had often remarked and soothed at Balbec, he broke off his lamentation to turn and look at me, coax me with little smiles, with tender though unsymmetrical glances, half of them coming directly from his eye, the other half through his eyeglass, but both sorts alike an allusion to the emotion that he felt on seeing me again, an allusion also to that important matter which I did not always understand but which concerned me now vitally, our friendship.
— Mon Dieu! et où allez-vous coucher? Vraiment, je ne vous conseille pas l′hôtel où nous prenons pension, c′est à côté de l′Exposition où des fêtes vont commencer, vous auriez un monde fou. Non, il vaudrait mieux l′hôtel de Flandre, c′est un ancien petit palais du XVIIIe siècle avec de vieilles tapisseries.
Ça «fait» assez «vieille demeure historique».
“I say! Where are you going to sleep? Really, I can′t recommend the hotel where we mess; it is next to the Exhibition ground, where there′s a show just starting; you′ll find it beastly crowded. No, you′d better go to the Hôtel de Flandre; it is a little eighteenth-century palace with old tapestries. It ‘makes′ quite an ‘old-world residence.′”
Saint–Loup employait à tout propos ce mot de «faire» pour «avoir l′air», parce que la langue parlée, comme la langue écrite, éprouve de temps en temps le besoin de ces altérations du sens des mots, de ces raffinements d′expression. Et de même que souvent les journalistes ignorent de quelle école littéraire proviennent les «élégances» dont ils usent, de même le vocabulaire, la diction même de Saint–Loup étaient faits de l′imitation de trois esthètes différents dont il ne connaissait aucun, mais dont ces modes de langage lui avaient été indirectement inculqués. «D′ailleurs, conclut-il, cet hôtel est assez adapté à votre hyperesthésie auditive. Vous n′aurez pas de voisins. Je reconnais que c′est un piètre avantage, et comme en somme un autre voyageur peut y arriver demain, cela ne vaudrait pas la peine de choisir cet hôtel-là pour des résultats de précarité. Non, c′est à cause de l′aspect que je vous le recommande. Les chambres sont assez sympathiques, tous les meubles anciens et confortables, ça a quelque chose de rassurant.» Mais pour moi, moins artiste que Saint–Loup, le plaisir que peut donner une jolie maison était superficiel, presque nul, et ne pouvait pas calmer mon angoisse commençante, aussi pénible que celle que j′avais jadis à Combray quand ma mère ne venait pas me dire bonsoir ou celle que j′avais ressentie le jour de mon arrivée à Balbec dans la chambre trop haute qui sentait le vétiver. Saint–Loup le comprit à mon regard fixe.
Saint-Loup employed in every connexion the word ‘makes′ for ‘has the air of,′ because the spoken language, like the written, feels from time to time the need of these alterations in the meanings of words, these refinements of expression. And just as journalists often have not the least idea from what school of literature come the ‘turns of speech′ that they borrow, so the vocabulary, the very diction of Saint-Loup were formed in imitation of three different aesthetes, none of whom he knew personally but whose way of speaking had been indirectly instilled into him. “Besides,” he concluded, “the hotel I mean is more or less adapted to your supersensitiveness of hearing. You will have no neighbours. I quite see that it is a slender advantage, and as, after all, another visitor may arrive to-morrow, it would not be worth your while to choose that particular hotel with so precarious an object in view. No, it is for its appeal to the eye that I recommend it. The rooms are quite attractive, all the furniture is old and comfortable; there is something reassuring about that.” But to me, less of an artist than Saint-Loup, the pleasure that an attractive house could give was superficial, almost non-existent, and could not calm my growing anguish, as painful as that which I used to feel long ago at Combray when my mother did not come upstairs to say good night, or that which I felt on the evening of my arrival at Balbec in the room with the unnaturally high ceiling, which smelt of flowering grasses. Saint-Loup read all this in my fixed gaze.
— Mais vous vous en fichez bien, mon pauvre petit, de ce joli palais, vous êtes tout pâle; moi, comme une grande brute, je vous parle de tapisseries que vous n′aurez pas même le coeur de regarder. Je connais la chambre où on vous mettrait, personnellement je la trouve très gaie, mais je me rends bien compte que pour vous avec votre sensibilité ce n′est pas pareil. Ne croyez pas que je ne vous comprenne pas, moi je ne ressens pas la même chose, mais je me mets bien à votre place.
“A lot you care, though, about this charming palace, my poor fellow; you′re quite pale; and here am I like a great brute talking to you about tapestries which you won′t have the heart to look at, even. I know the room they′ll put you in; personally I find it most enlivening, but I can quite understand that it won′t have the same effect on you with your sensitive nature. You mustn′t think I don′t understand; I don′t feel the same myself, but I can put myself in your place.”
Un sous-officier qui essayait un cheval dans la cour, très occupé à le faire sauter, ne répondant pas aux saluts des soldats, mais envoyant des bordées d′injures à ceux qui se mettaient sur son chemin, adressa à ce moment un sourire à Saint–Loup et, s′apercevant alors que celui-ci avait un ami avec lui, salua. Mais son cheval se dressa de toute sa hauteur, écumant. Saint–Loup se jeta à sa tête, le prit par la bride, réussit à le calmer et revint à moi.
At that moment a serjeant who was exercising a horse on the square, entirely absorbed in making the animal jump, disregarding the salutes of passing troopers, but hurling volleys of oaths at such as got in his way, turned with a smile to Saint-Loup and, seeing that he had a friend with him, saluted us. But his horse at once reared. Saint-Loup flung himself at its head, caught it by the bridle, succeeded in quieting it and returned to my side.
— Oui, me dit-il, je vous assure que je me rends compte, que je souffre de ce que vous éprouvez; je suis malheureux, ajouta-t-il, en posant affectueusement sa main sur mon épaule, de penser que si j′avais pu rester près de vous, peut-être j′aurais pu, en causant avec vous jusqu′au matin, vous ôter un peu de votre tristesse. Je vous prêterais bien des livrés, mais vous ne pourrez pas lire si vous êtes comme cela. Et jamais je n′obtiendrai de me faire remplacer ici; voilà deux fois de suite que je l′ai fait parce que ma gosse était venue.
“Yes,” he resumed; “I assure you that I fully understand; I feel for you as keenly as you do yourself. I am wretched,” he went on, laying his hand lovingly on my shoulder, “when I think that if I could have stayed with you to-night, I might have been able, if we talked till morning, to relieve you of a little of your unhappiness. I can lend you any number of books, but you won′t want to read if you′re feeling like that. And I shan′t be able to get anyone else to take my duty here; I′ve been off now twice running because my girl came down to see me.”
Et il fronçait le sourcil à cause de son ennui et aussi de sa contention à chercher, comme un médecin, quel remède il pourrait appliquer à mon mal.
And he knitted his brows partly with vexation and also in the effort to decide, like a doctor, what remedy he might best apply to my disease.
— Cours donc faire du feu dans ma chambre, dit-il à un soldat qui passait. Allons, plus vite que ça, grouille-toi.
“Run along and light the fire in my quarters,” he called to a trooper who passed us. “Hurry up; get a move on!”
Puis, de nouveau, il se détournait vers moi, et le monocle et le regard myope faisaient allusion à notre grande amitié:
After which he turned once more to me, and his eyeglass and his peering, myopic gaze hinted an allusion to our great friendship.
— Non! vous ici, dans ce quartier où j′ai tant pensé à vous, je ne peux pas en croire mes yeux, je crois que je rêve. En somme, la santé, cela va-t-il plutôt mieux? Vous allez me raconter tout cela tout à l′heure. Nous allons monter chez moi, ne restons pas trop dans la cour, il fait un bon dieu de vent, moi je ne le sens même plus, mais pour vous qui n′êtes pas habitué, j′ai peur que vous n′ayez froid. Et le travail, vous y êtes-vous mis? Non? que vous êtes drôle! Si j′avais vos dispositions, je crois que j′écrirais du matin au soir. Cela vous amuse davantage de ne rien faire. Quel malheur que ce soient les médiocres comme moi qui soient toujours prêts à travailler et que ceux qui pourraient ne veuillent pas! Et je ne vous ai pas seulement demandé des nouvelles de Madame votre grand′mère. Son Proudhon ne me quitte pas.
“No! To see you here, in these barracks where I have spent so much time thinking about you, I can scarcely believe my eyes. I must be dreaming. And how are you? Better, I hope. You must tell me all about yourself presently. We′ll go up to my room; we mustn′t hang about too long on the square, there′s the devil of a draught; I don′t feel it now myself, but you aren′t accustomed to it, I′m afraid of your catching cold. And what about your work; have you started yet? No? You are a quaint fellow! If I had your talent I′m sure I should be writing morning, noon and night. It amuses you more to do nothing? What a pity it is that it′s the useless fellows like me who are always ready to work, and the ones who could if they wanted to, won′t. There, and I′ve clean forgotten to ask you how your grandmother is. Her Proudhons are in safe keeping. I never part from them.”
Un officier, grand, beau, majestueux, déboucha à pas lents et solennels d′un escalier. Saint–Loup le salua et immobilisa la perpétuelle instabilité de son corps le temps de tenir la main à la hauteur du képi. Mais il l′y avait précipitée avec tant de force, se redressant d′un mouvement si sec, et, aussitôt le salut fini, la fit retomber par un déclanchement si brusque en changeant toutes les positions de l′épaule, de la jambe et du monocle, que ce moment fut moins d′immobilité que d′une vibrante tension où se neutralisaient les mouvements excessifs qui venaient de se produire et ceux qui allaient commencer. Cependant l′officier, sans se rapprocher, calme, bienveillant, digne, impérial, représentant en somme tout l′opposé de Saint–Loup, leva, lui aussi, mais sans se hâter, la main vers son képi.
An officer, tall, handsome, majestic, emerged with slow and solemn gait from the foot of a staircase. Saint-Loup saluted him and arrested the perpetual instability of his body for the moment occupied in holding his hand against the peak of his cap. But he had flung himself into the action with so much force, straightening himself with so sharp a movement, and, the salute ended, let his hand fall with so abrupt a relaxation, altering all the positions of shoulder, leg, and eyeglass, that this moment was one not so much of immobility as of a throbbing tension in which were neutralised the excessive movements which he had just made and those on which he was about to embark. Meanwhile the officer, without coming any nearer us, calm, benevolent, dignified, imperial, representing, in short, the direct opposite of Saint-Loup, himself also, but without haste, raised his hand to the peak of his cap.
— Il faut que je dise un mot au capitaine, me chuchota Saint–Loup; soyez assez gentil pour aller m′attendre dans ma chambre, c′est la seconde à droite, au troisième étage, je vous rejoins dans un moment.
“I must just say a word to the Captain,” whispered Saint-Loup. “Be a good fellow, and go and wait for me in my room. It′s the second on the right, on the third floor; I′ll be with you in a minute.”
Et, partant au pas de charge, précédé de son monocle qui volait en tous sens, il marcha droit vers le digne et lent capitaine dont on amenait à ce moment le cheval et qui, avant de se préparer à y monter, donnait quelques ordres avec une noblesse de gestes étudiée comme dans quelque tableau historique et s′il allait partir pour une bataille du premier Empire, alors qu′il rentrait simplement chez lui, dans la demeure qu′il avait louée pour le temps qu′il resterait à Doncières et qui était sise sur une place, nommée, comme par une ironie anticipée à l′égard de ce napoléonide, Place de la République! Je m′engageai dans l′escalier, manquant à chaque pas de glisser sur ces marches cloutées, apercevant des chambrées aux murs nus, avec le double alignement des lits et des paquetages. On m′indiqua la chambre de Saint–Loup. Je restai un instant devant sa porte fermée, car j′entendais remuer; on bougeait une chose, on en laissait tomber une autre; je sentais que la chambre n′était pas vide et qu′il y avait quelqu′un. Mais ce n′était que le feu allumé qui brûlait. Il ne pouvait pas se tenir tranquille, il déplaçait les bûches et fort maladroitement. J′entrai; il en laissa rouler une, en fit fumer une autre. Et même quand il ne bougeait pas, comme les gens vulgaires il faisait tout le temps entendre des bruits qui, du moment que je voyais monter la flamme, se montraient à moi des bruits de feu, mais que, si j′eusse été de l′autre côté du mur, j′aurais cru venir de quelqu′un qui se mouchait et marchait. Enfin, je m′assis dans la chambre. Des tentures de liberty et de vieilles étoffes allemandes du XVIIIe siècle la préservaient de l′odeur qu′exhalait le reste du bâtiment, grossière, fade et corruptible comme celle du pain bis. C′est là, dans cette chambre charmante, que j′eusse dîné et dormi avec bonheur et avec calme. Saint–Loup y semblait presque présent grâce aux livres de travail qui étaient sur sa table à côté des photographies parmi lesquelles je reconnus la mienne et celle de Mme de Guermantes, grâce au feu qui avait fini par s′habituer à la cheminée et, comme une bête couchée en une attente ardente, silencieuse et fidèle, laissait seulement de temps à autre tomber une braise qui s′émiettait, ou léchait d′une flamme la paroi de la cheminée. J′entendais le tic tac de la montre de Saint–Loup, laquelle ne devait pas être bien loin de moi. Ce tic tac changeait de place à tout moment, car je ne voyais pas la montre; il me semblait venir de derrière moi, de devant, d′à droite, d′à gauche, parfois s′éteindre comme s′il était très loin. Tout d′un coup je découvris la montre sur la table. Alors j′entendis le tic tac en un lieu fixe d′où il ne bougea plus. Je croyais l′entendre à cet endroit-là; je ne l′y entendais pas, je l′y voyais, les sons n′ont pas de lieu. Du moins les rattachons-nous à des mouvements et par là ont-ils l′utilité de nous prévenir de ceux-ci, de paraître les rendre nécessaires et naturels. Certes il arrive quelquefois qu′un malade auquel on a hermétiquement bouché les oreilles n′entende plus le bruit d′un feu pareil à celui qui rabâchait en ce moment dans la cheminée de Saint–Loup, tout en travaillant à faire des tisons et des cendres qu′il laissait ensuite tomber dans sa corbeille, n′entende pas non plus le passage des tramways dont la musique prenait son vol, à intervalles réguliers, sur la grand′place de Doncières. Alors que le malade lise, et les pages se tourneront silencieusement comme si elles étaient feuilletées par un dieu. La lourde rumeur d′un bain qu′on prépare s′atténue, s′allège et s′éloigne comme un gazouillement céleste. Le recul du bruit, son amincissement, lui ôtent toute puissance agressive à notre égard; affolés tout à l′heure par des coups de marteau qui semblaient ébranler le plafond sur notre tête, nous nous plaisons maintenant à les recueillir, légers, caressants, lointains comme un murmure de feuillages jouant sur la route avec le zéphir. On fait des réussites avec des cartes qu′on n′entend pas, si bien qu′on croit ne pas les avoir remuées, qu′elles bougent d′elles-mêmes et, allant au-devant de notre désir de jouer avec elles, se sont mises à jouer avec nous. Et à ce propos on peut se demander si pour l′Amour (ajoutons même à l′Amour l′amour de la vie, l′amour de la gloire, puisqu′il y a, paraît-il, des gens qui connaissent ces deux derniers sentiments) on ne devrait pas agir comme ceux qui, contre le bruit, au lieu d′implorer qu′il cesse, se bouchent les oreilles; et, à leur imitation, reporter notre attention, notre défensive, en nous-même, leur donner comme objet à réduire, non pas l′être extérieur que nous aimons, mais notre capacité de souffrir par lui.
And setting off at the double, preceded by his eyeglass which fluttered in every direction, he made straight for the slow and stately Captain whose horse had just been brought round and who, before preparing to mount, was giving orders with a studied nobility of gesture as in some historical painting, and as though he were setting forth to take part in some battle of the First Empire, whereas he was simply going to ride home, to the house which he had taken for the period of his service at Doncières, and which stood in a Square that was named, as though in an ironical anticipation of the arrival of this Napoleonid, Place de la République. I started to climb the staircase, nearly slipping on each of its nail-studded steps, catching glimpses of barrack-rooms, their bare walls edged with a double line of beds and kits. I was shewn Saint-Loup′s room. I stood for a moment outside its closed door, for I could hear some one stirring; he moved something, let fall something else; I felt that the room was not empty, that there must be somebody there. But it was only the freshly lighted fire beginning to burn. It could not keep quiet, it kept shifting its faggots about, and very clumsily. I entered the room; it let one roll into the fender and set another smoking. And even when it was not moving, like an ill-bred person it made noises all the time, which, from the moment I saw the flames rising, revealed themselves to me as noises made by a fire, although if I had been on the other side of a wall I should have thought that they came from some one who was blowing his nose and walking about. I sat down in the room and waited. Liberty hangings and old German stuffs of the eighteenth century managed to rid it of the smell that was exhaled by the rest of the building, a coarse, insipid, mouldy smell like that of stale toast. It was here, in this banning room, that I could have dined and slept with a calm and happy mind Saint-Loup seemed almost to be present by reason of the text-books which littered his table, between his photographs, among which I could make out my own and that of the Duchesse de Guermantes, by the light of the fire which had at length grown accustomed to the grate, and, like an animal crouching in an ardent, noiseless, faithful watchfulness, let fall only now and then a smouldering log which crumbled into sparks, or licked with a tongue of flame the sides of the chimney. I heard the tick of Saint-Loup′s watch, which could not be far away. This tick changed its place every moment ‘for I could not see the watch; it seemed to come from behind, from in front of me, from my right, from my left, sometimes to die away as though at a great distance. Suddenly I caught sight of the watch on the table. Then I heard the tick in a fixed place from which it did not move again. That is to say, I thought I heard it at this place; I did not hear it there; I saw it there, for sounds have no position in space. Or rather we associate them with movements, and in that way they serve the purpose of warning us of those movements, of appearing to make them necessary and natural. Certainly it happens commonly enough that a sick man whose ears have been stopped with cotton-wool ceases to hear the noise of a fire such as was crackling at that moment in Saint-Loup′s fireplace, labouring at the formation of brands and cinders, which it then lets fall into the fender, nor would he hear the passage of the tramway-cars whose music took its flight, at regular intervals, over the Grand′place of Doncières. Let the sick man then read a book, and the pages will turn silently before him, as though they were moved by the fingers of a god. The dull thunder of a bath which is being filled becomes thin, faint and distant as the twittering of birds in the sky. The withdrawal of sound, its dilution, take from it all its power to hurt us; driven mad a moment ago by hammer-blows which seemed to be shattering the ceiling above our head, it is with a quiet delight that we now gather in their sound, light, caressing, distant, like the murmur of leaves playing by the roadside with the passing breeze. We play games of patience with cards which we do not hear, until we imagine that we have not touched them, that they are moving of their own accord, and, anticipating our desire to play with them, have begun to play with us. And in this connexion we may ask ourselves whether, in the case of love (to which indeed we may add the love of life and the love of fame, since there are, it appears, persons who are acquainted with these latter sentiments), we ought not to act like those who, when a noise disturbs them, instead of praying that it may cease, stop their ears; and, with them for our pattern, bring our attention, our defensive strength to bear on ourselves, give ourselves as an objective to capture not the ‘other person′ with whom we are in love but our capacity for suffering at that person′s hands.
Pour revenir au son, qu′on épaississe encore les boules qui ferment le conduit auditif, elles obligent au pianissimo la jeune fille qui jouait au-dessus de notre tête un air turbulent; qu′on enduise une de ces boules d′une matière grasse, aussitôt son despotisme est obéi par toute la maison, ses lois mêmes s′étendent au dehors. Le pianissimo ne suffit plus, la boule fait instantanément fermer le clavier et la leçon de musique est brusquement finie; le monsieur qui marchait sur notre tête cesse d′un seul coup sa ronde; la circulation des voitures et des tramways est interrompue comme si on attendait un Chef d′État. Et cette atténuation des sons trouble même quelquefois le sommeil au lieu de le protéger. Hier encore les bruits incessants, en nous décrivant d′une façon continue les mouvements dans la rue et dans la maison, finissaient par nous endormir comme un livre ennuyeux; aujourd′hui, à la surface de silence étendue sur notre sommeil, un heurt plus fort que les autres arrive à se faire entendre, léger comme un soupir, sans lien avec aucun autre son, mystérieux; et la demande d′explication qu′il exhale suffit à nous éveiller. Que l′on retire pour un instant au malade les cotons superposés à son tympan, et soudain la lumière, le plein soleil du son se montre de nouveau, aveuglant, renaît dans l′univers; à toute vitesse rentre le peuple des bruits exilés; on assiste, comme si elles étaient psalmodiées par des anges musiciens, à la résurrection des voix. Les rues vides sont remplies pour un instant par les ailes rapides et successives des tramways chanteurs. Dans la chambre elle-même, le malade vient de créer, non pas, comme Prométhée, le feu, mais le bruit du feu. Et en augmentant, en relâchant les tampons d′ouate, c′est comme si on faisait jouer alternativement l′une et l′autre des deux pédales qu′on a ajoutées à la sonorité du monde extérieur.
To return to the problem of sounds, we have only to thicken the wads which close the aural passages, and they confine to a pianissimo the girl who has just been playing a boisterous tune overhead; if we go farther, and steep the wad in grease, at once the whole household must obey its despotic rule; its laws extend even beyond our portals. Pianissimo is not enough; the wad instantly orders the piano to be shut, and the music lesson is abruptly ended; the gentleman who was walking up and down in the room above breaks off in the middle of his beat; the movement of carriages and tramways is interrupted as though a Sovereign were expected to pass. And indeed this attenuation of sounds sometimes disturbs our slumbers instead of guarding them. Only yesterday the incessant noise in our ears, by describing to us in a continuous narrative all that was happening in the street and in the house, succeeded at length in making us sleep, like L boring book; to-night, through the sheet of silence that is spread over our sleep a shock, louder than the rest, manages to make itself heard, gentle as a sigh, unrelated to any other sound, mysterious; and the call for an explanation which it emits is sufficient to awaken us. Take away for a moment from the sick man the cotton-wool that has been stopping his ears and in a flash the full daylight, the sun of sound dawns afresh, dazzling him, is born again in his universe; in all haste returns the multitude of exiled sounds; we are present, as though it were the chanting of choirs of angels, at the resurrection of the voice. The empty streets are filled for a moment with the whirr of the swift, consecutive wings of the singing tramway-cars. In the bedroom itself, the sick man has created, not, like Prometheus, fire, but the sound of fire. And when we increase or reduce the wads of cottonwool, it is as though we were pressing alternately one and the other of the two pedals with which we have extended the resonant compass of the outer world.
Seulement il y aussi des suppressions de bruits qui ne sont pas momentanées. Celui qui est devenu entièrement sourd ne peut même pas faire chauffer auprès de lui une bouillotte de lait sans devoir guetter des yeux, sur le couvercle ouvert, le reflet blanc, hyperboréen, pareil à celui d′une tempête de neige et qui est le signe prémonitoire auquel il est sage d′obéir en retirant, comme le Seigneur arrêtant les flots, les prises électriques; car déjà l′oeuf ascendant et spasmodique du lait qui bout accomplit sa crue en quelques soulèvements obliques, enfle, arrondit quelques voiles à demi chavirées qu′avait plissées la crème, en lance dans la tempête une en nacre et que l′interruption des courants, si l′orage électrique est conjuré à temps, fera toutes tournoyer sur elles-mêmes et jettera à la dérive, changées en pétales de magnolia. Mais si le malade n′avait pas pris assez vite les précautions nécessaires, bientôt ses livres et sa montre engloutis, émergeant à peine d′une mer blanche après ce mascaret lacté, il serait obligé d′appeler au secours sa vieille bonne qui, fût-il lui-même un homme politique illustre ou un grand écrivain, lui dirait qu′il n′a pas plus de raison qu′un enfant de cinq ans. A d′autres moments, dans la chambre magique, devant la porte fermée, une personne qui n′était pas là tout à l′heure a fait son apparition, c′est un visiteur qu′on n′a pas entendu entrer et qui fait seulement des gestes comme dans un de ces petits théâtres de marionnettes, si reposants pour ceux qui ont pris en dégoût le langage parlé. Et pour ce sourd total, comme la perte d′un sens ajoute autant de beauté au monde que ne fait son acquisition, c′est avec délices qu′il se promène maintenant sur une Terre presque édénique où le son n′a pas encore été créé. Les plus hautes cascades déroulent pour ses yeux seuls leur nappe de cristal, plus calmes que la mer immobile, comme des cataractes du Paradis. Comme le bruit était pour lui, avant sa surdité, la forme perceptible que revêtait la cause d′un mouvement, les objets remués sans bruit semblent l′être sans cause; dépouillés de toute qualité sonore, ils montrent une activité spontanée, ils semblent vivre; ils remuent, s′immobilisent, prennent feu d′eux-mêmes. D′eux-mêmes ils s′envolent comme les monstres ailés de la préhistoire. Dans la maison solitaire et sans voisins du sourd, le service qui, avant que l′infirmité fût complète, montrait déjà plus de réserve, se faisait silencieusement, est assuré maintenant, avec quelque chose de subreptice, par des muets, ainsi qu′il arrive pour un roi de féerie. Comme sur la scène encore, le monument que le sourd voit de sa fenêtre — caserne, église, mairie — n′est qu′un décor. Si un jour il vient à s′écrouler, il pourra émettre un nuage de poussière et des décombres visibles; mais moins matériel même qu′un palais de théâtre dont il n′a pourtant pas la minceur, il tombera dans l′univers magique sans que la chute de ses lourdes pierres de taille ternisse de la vulgarité d′aucun bruit la chasteté du silence.
Only there are also suppressions of sound which are not temporary. The man who has grown completely deaf cannot even heat a pan of milk by his bedside, but he must keep an eye open to watch, on the tilted lid, for the white, arctic reflexion, like that of a coming snowstorm, which is the warning sign which he is wise to obey, by cutting off (as Our Lord bade the waves be still) the electric current; for already the swelling, jerkily climbing egg of boiling milk-film is reaching its climax in a series of sidelong movements, has filled and set bellying the drooping sails with which the cream has skimmed its surface, sends in a sudden storm a scud of pearly substance flying overboard — sails which the cutting off of the current, if the electric storm is hushed in time, will fold back upon themselves and let fall with the ebbing tide, changed now to magnolia petals. But if the sick man should not be quick enough in taking the necessary precautions, presently, when his drowned books and watch are seen barely emerging from the milky tide, he will be obliged to call the old nurse who, though he be himself an eminent statesman or a famous writer, will tell him that he has no more sense than a child of five. At other times in the magic chamber, between us and the closed door, a person who was not there a moment ago makes his appearance; it is a visitor whom we did not hear coming in, and who merely gesticulates, like a figure in one of those little puppet theatres, so restful for those who have taken a dislike to the spoken tongue. And for this totally deaf man, since the loss of a sense adds as much beauty to the world as its acquisition, it is with ecstasy that he walks now upon an earth grown almost an Eden, in which sound has not yet been created. The highest waterfalls unfold for his eyes alone their ribbons of crystal, stiller than the glassy sea, like the cascades of Paradise. As sound was for him before his deafness the perceptible form in which the cause of a movement was draped, objects moved without sound seemed to be being moved also without cause; deprived of all resonant quality, they shew a spontaneous activity, seem to be alive. They move, halt, become alight of their own accord. Of their own accord they vanish in the air like the winged monsters of prehistoric days. In the solitary and unneighboured home of the deaf man the service which, before his infirmity was complete, was already shewing an increased discretion, was being carried on in silence, is now assured him with a sort of surreptitious deftness, by mutes, as at the court of a fairy-tale king. And, as upon the stage, the building on which the deaf man looks from his window — be it barracks, church, or town hall — is only so much scenery. If one day it should fall to the ground, it may emit a cloud of dust and leave visible ruins; but, less material even than a palace on the stage, though it has not the same exiguity, it will subside in the magic universe without letting the fall of its heavy blocks of stone tarnish, with anything so vulgar as sound, the chastity of the prevailing silence.
Celui, bien plus relatif, qui régnait dans la petite chambre militaire où je me trouvais depuis un moment, fut rompu. La porte s′ouvrit, et Saint–Loup, laissant tomber son monocle, entra vivement.
The silence, though only relative, which reigned in the little barrack-room where I sat waiting was now broken. The door opened and Saint-Loup, dropping his eyeglass, dashed in.
— Ah! Robert, qu′on est bien chez vous, lui dis-je; comme il serait bon qu′il fût permis d′y dîner et d′y coucher!
“Ah, my dear Robert, you make yourself very comfortable here,” I said to him; “how jolly it would be if one were allowed to dine and sleep here.”
Et en effet, si cela n′avait pas été défendu, quel repos sans tristesse j′aurais goûté là, protégé par cette atmosphère de tranquillité, de vigilance et de gaieté qu′entretenaient mille volontés réglées et sans inquiétude, mille esprits insouciants, dans cette grande communauté qu′est une caserne où, le temps ayant pris la forme de l′action, la triste cloche des heures était remplacée par la même joyeuse fanfare de ces appels dont était perpétuellement tenu en suspens sur les pavés de la ville, émietté et pulvérulent, le souvenir sonore; — voix sûre d′être écoutée, et musicale, parce qu′elle n′était pas seulement le commandement de l′autorité à l′obéissance mais aussi de la sagesse au bonheur.
And to be sure, had it not been against the regulations, what repose untinged by sadness I could have tasted there, guarded by that atmosphere of tranquillity, vigilance and gaiety which was maintained by a thousand wills controlled and free from care, a thousand heedless spirits, in that great community called a barracks where, time having taken the form of action, the sad bell that tolled the hours outside was replaced by the same joyous clarion of those martial calls, the ringing memory of which was kept perpetually alive in the paved streets of the town, like the dust that floats in a sunbeam; — a voice sure of being heard, and musical because it was the command not only of authority to obedience but of wisdom to happiness.
— Ah! vous aimeriez mieux coucher ici près de moi que de partir seul à l′hôtel, me dit Saint–Loup en riant.
“So you′d rather stay with me and sleep here, would you, than to go the hotel by yourself?” Saint-Loup asked me, smiling.
— Oh! Robert, vous êtes cruel de prendre cela avec ironie, lui dis-je, puisque vous savez que c′est impossible et que je vais tant souffrir là-bas.
“Oh, Robert, it is cruel of you to be sarcastic about it,” I pleaded; “you know it′s not possible, and you know how wretched I shall be over there.”
— Eh bien! vous me flattez, me dit-il, car j′ai justement eu, de moi-même, cette idée que vous aimeriez mieux rester ici ce soir. Et c′est précisément cela que j′étais allé demander au capitaine.
“Good! You flatter me!” he replied. “It occurred to me just now that you would rather stay here to-night. And that is precisely what I stopped to ask the Captain.”
— Et il a permis? m′écriai-je.
“And he has given you leave?” I cried.
— Sans aucune difficulté.
“He hadn′t the slightest objection.”
— Oh! je l′adore!
“Oh! I adore him!”
— Non, c′est trop. Maintenant laissez-moi appeler mon ordonnance pour qu′il s′occupe de notre dîner, ajouta-t-il, pendant que je me détournais pour cacher mes larmes.
“No; that would be going too far. But now, let me just get hold of my batman and tell him to see about our dinner,” he went on, while I turned away so as to hide my tears.
Plusieurs fois entrèrent l′un ou l′autre des camarades de Saint–Loup. Il les jetait à la porte.
We were several times interrupted by one or other of Saint-Loup′s friends′ coming in. He drove them all out again.
— Allons, fous le camp.
“Get out of here. Buzz off!”
Je lui demandais de les laisser rester.
I begged him to let them stay.
— Mais non, ils vous assommeraient: ce sont des êtres tout à fait incultes, qui ne peuvent parler que courses, si ce n′est pansage. Et puis, même pour moi, ils me gâteraient ces instants si précieux que j′ai tant désirés. Remarquez que si je parle de la médiocrité de mes camarades, ce n′est pas que tout ce qui est militaire manque d′intellectualité. Bien loin de là. Nous avons un commandant qui est un homme admirable. Il a fait un cours où l′histoire militaire est traitée comme une démonstration, comme une espèce d′algèbre. Même esthétiquement, c′est d′une beauté tour à tour inductive et déductive à laquelle vous ne seriez pas insensible.
“No, really; they would bore you stiff; they are absolutely uncultured; all they can talk about is racing, or stables shop. Besides, I don′t want them here either; they would spoil these precious moments I′ve been looking forward to. But you mustn′t think, when I tell you that these fellows are brainless, that everything military is devoid of intellectuality. Far from it. We have a major here who is a splendid chap. He′s given us a course in which military history is treated like a demonstration, like a problem in algebra. Even from the aesthetic point of view there is a curious beauty, alternately inductive and deductive, about it which you couldn′t fail to appreciate.”
— Ce n′est pas le capitaine qui m′a permis de rester ici?
“That′s not the officer who′s given me leave to stay here to-night?”
— Non, Dieu merci, car l′homme que vous «adorez» pour peu de chose est le plus grand imbécile que la terre ait jamais porté. Il est parfait pour s′occuper de l′ordinaire et de la tenue de ses hommes; il passe des heures avec le maréchal des logis chef et le maître tailleur. Voilà sa mentalité. Il méprise d′ailleurs beaucoup, comme tout le monde, l′admirable commandant dont je vous parle. Personne ne fréquente celui-là, parce qu′il est franc-maçon et ne va pas à confesse. Jamais le Prince de Borodino ne recevrait chez lui ce petit bourgeois. Et c′est tout de même un fameux culot de la part d′un homme dont l′arrière-grand-père était un petit fermier et qui, sans les guerres de Napoléon, serait probablement fermier aussi. Du reste il se rend bien un peu compte de la situation ni chair ni poisson qu′il a dans la société. Il va à peine au Jockey, tant il y est gêné, ce prétendu prince, ajouta Robert, qui, ayant été amené par un même esprit d′imitation à adopter les théories sociales de ses maîtres et les préjugés mondains de ses parents, unissait, sans s′en rendre compte, à l′amour de la démocratie le dédain de la noblesse d′Empire.
“No; thank God! The man you ‘adore′ for so very trifling a service is the biggest fool that ever walked the face of the earth. He is perfect at looking after messing, and at kit inspections; he spends hours with the serjeant major and the master tailor. There you have his mentality. Apart from that he has a vast contempt, like everyone here, for the excellent major I was telling you about. No one will speak to him because he′s a freemason and doesn′t go to confession. The Prince de Borodino would never have an outsider like that in his house. Which is pretty fair cheek, when all′s said and done, from a man whose great-grandfather was a small farmer, and who would probably be a small farmer himself if it hadn′t been for the Napoleonic wars. Not that he hasn′t a lurking sense of his own rather ambiguous position in society, where he′s neither flesh nor fowl. He hardly ever shews his face at the Jockey, it makes him feel so deuced awkward, this so-called Prince,” added Robert, who, having been led by the same spirit of imitation to adopt the social theories of his teachers and the worldly prejudices of his relatives, had unconsciously wedded the democratic love of humanity to a contempt for the nobility of the Empire.
Je regardais la photographie de sa tante et la pensée que Saint–Loup possédant cette photographie, il pourrait peut-être me la donner, me fit le chérir davantage et souhaiter de lui rendre mille services qui me semblaient peu de choses en échange d′elle. Car cette photographie c′était comme une rencontre de plus ajoutée à celles que j′avais déjà faites de Mme de Guermantes; bien mieux, une rencontre prolongée, comme si, par un brusque progrès dans nos relations, elle s′était arrêtée auprès de moi, en chapeau de jardin, et m′avait laissé pour la première fois regarder à loisir ce gras de joue, ce tournant de nuque, ce coin de sourcils (jusqu′ici voilés pour moi par la rapidité de son passage, l′étourdissement de mes impressions, l′inconsistance du souvenir); et leur contemplation, autant que celle de la gorge et des bras d′une femme que je n′aurais jamais vue qu′en robe montante, m′était une voluptueuse découverte, une faveur. Ces lignes qu′il me semblait presque défendu de regarder, je pourrais les étudier là comme dans un traité de la seule géométrie qui eût de la valeur pour moi. Plus tard, en regardant Robert, je m′aperçus que lui aussi était un peu comme une photographie de sa tante, et par un mystère presque aussi émouvant pour moi puisque, si sa figure à lui n′avait pas été directement produite par sa figure à elle, toutes deux avaient cependant une origine commune. Les traits de la duchesse de Guermantes qui étaient épinglés dans ma vision de Combray, le nez en bec de faucon, les yeux perçants, semblaient avoir servi aussi à découper — dans un autre exemplaire analogue et mince d′une peau trop fine — la figure de Robert presque superposable à celle de sa tante. Je regardais sur lui avec envie ces traits caractéristiques des Guermantes, de cette race restée si particulière au milieu du monde, où elle ne se perd pas et où elle reste isolée dans sa gloire divinement ornithologique, car elle semble issue, aux âges de la mythologie, de l′union d′une déesse et d′un oiseau.
I was looking at the photograph of his aunt, and the thought that, since Saint-Loup had this photograph in his possession, he might perhaps give it to me, made me feel all the fonder of him and hope to do him a thousand services, which seemed to me a very small exchange for it. For this photograph was like one encounter more, added to all those that I had already had, with Mme. de Guermantes; better still, a prolonged encounter, as if, by some sudden stride forward in our relations, she had stopped beside me, in a garden hat, and had allowed me for the first time to gaze at my leisure at that plump cheek, that arched neck, that tapering eyebrow (veiled from me hitherto by the swiftness of her passage, the bewilderment of my impressions, the imperfection of memory); and the contemplation of them, as well as of the bare bosom and arms of a woman whom I had never seen save in a high-necked and long-sleeved bodice, was to me a voluptuous discovery, a priceless favour. Those lines, which had seemed to me almost a forbidden spectacle, I could study there, as in a text-book of the only geometry that had any value for me. Later on, when I looked at Robert, I noticed that he too was a little like the photograph of his aunt, and by a mysterious process which I found almost as moving, since, if his face had not been directly created by hers, the two had nevertheless a common origin. The features of the Duchesse de Guermantes, which were pinned to my vision of Combray, the nose like a falcon′s beak, the piercing eyes, seemed to have served also as a pattern for the cutting out — in another copy analogous and slender, with too delicate a skin — of Robert′s face, which might almost be superimposed upon his aunt′s. I saw in him, with a keen longing, those features characteristic of the Guermantes, of that race which had remained so individual in the midst of a world with which it was not confounded, in which it remained isolated in the glory of an ornithomorphic divinity, for it seemed to have been the issue, in the age of mythology, of the union of a goddess with a bird.
Robert, sans en connaître les causes, était touché de mon attendrissement. Celui-ci d′ailleurs s′augmentait du bien-être causé par la chaleur du feu et par le vin de Champagne qui faisait perler en même temps des gouttes de sueur à mon front et des larmes à mes yeux; il arrosait des perdreaux; je les mangeais avec l′émerveillement d′un profane, de quelque sorte qu′il soit, quand il trouve dans une certaine vie qu′il ne connaissait pas ce qu′il avait cru qu′elle excluait (par exemple d′un libre penseur faisant un dîner exquis dans un presbytère). Et le lendemain matin en m′éveillant, j′allai jeter par la fenêtre de Saint–Loup qui, située fort haut, donnait sur tout le pays, un regard de curiosité pour faire la connaissance de ma voisine, la campagne, que je n′avais pas pu apercevoir la veille, parce que j′étais arrivé trop tard, à l′heure où elle dormait déjà dans la nuit. Mais de si bonne heure qu′elle fût éveillée, je ne la vis pourtant en ouvrant la croisée, comme on la voit d′une fenêtre de château, du côté de l′étang, qu′emmitouflée encore dans sa douce et blanche robe matinale de brouillard qui ne me laissait presque rien distinguer. Mais je savais qu′avant que les soldats qui s′occupaient des chevaux dans la cour eussent fini leur pansage, elle l′aurait dévêtue. En attendant je ne pouvais voir qu′une maigre colline, dressant tout contre le quartier son dos déjà dépouillé d′ombre, grêle et rugueux. A travers les rideaux ajourés de givre, je ne quittais pas des yeux cette étrangère qui me regardait pour la première fois. Mais quand j′eus pris l′habitude de venir au quartier, la conscience que la colline était là, plus réelle par conséquent, même quand je ne la voyais pas, que l′hôtel de Balbec, que notre maison de Paris auxquels je pensais comme à des absents, comme à des morts, c′est-à-dire sans plus guère croire à leur existence, fit que, même sans que je m′en rendisse compte, sa forme réverbérée se profila toujours sur les moindres impressions que j′eus à Doncières et, pour commencer par ce matin-là, sur la bonne impression de chaleur que me donna le chocolat préparé par l′ordonnance de Saint–Loup dans cette chambre confortable qui avait l′air d′un centre optique pour regarder la colline (l′idée de faire autre chose que la regarder et de s′y promener étant rendue impossible par ce même brouillard qu′il y avait). Imbibant la forme de la colline, associé au goût du chocolat et à toute la trame de mes pensées d′alors, ce brouillard, sans que je pensasse le moins du monde à lui, vint mouiller toutes mes pensées de ce temps-là, comme tel or inaltérable et massif était resté allié à mes impressions de Balbec, ou comme la présence voisine des escaliers extérieurs de grès noirâtre donnait quelque grisaille à mes impressions de Combray. Il ne persista d′ailleurs pas tard dans la matinée, le soleil commença par user inutilement contre lui quelques flèches qui le passementèrent de brillants puis en eurent raison. La colline put offrir sa croupe grise aux rayons qui, une heure plus tard, quand je descendis dans la ville, donnaient aux rouges des feuilles d′arbres, aux rouges et aux bleus des affiches électorales posées sur les murs une exaltation qui me soulevait moi-même et me faisait battre, en chantant, les pavés sur lesquels je me retenais pour ne pas bondir de joie.
Robert, without being aware of its cause, was touched by my evident affection. This was moreover increased by the sense of comfort inspired in me by the heat of the fire and by the champagne which bedewed at the same time my brow with beads of sweat and my cheeks with tears; it washed down the partridges; I ate mine with the dumb wonder of a profane mortal of any sort when he finds in a form of life with which he is not familiar what he has supposed that form of life to exclude — the wonder, for instance, of an atheist who sits down to an exquisitely cooked dinner in a presbytery. And next morning, when I awoke, I rose and went to cast from Saint-Loup′s window, which being at a great height overlooked the whole countryside, a curious scrutiny to make the acquaintance of my new neighbour, the landscape which I had not been able to distinguish the day before, having arrived too late, at an hour when it was already sleeping beneath the outspread cloak of night. And yet, early as it had awoken from its sleep, I could see the ground, when I opened the window and looked out, only as one sees it from the window of a country house, overlooking the lake, shrouded still in its soft white morning gown of mist which scarcely allowed me to make out anything at all. But I knew that, before the troopers who were busy with their horses in the square had finished grooming them, it would have cast its gown aside. In the meantime, I could see only a meagre hill, rearing close up against the side of the barracks a back already swept clear of darkness, rough and wrinkled. Through the transparent curtain of frost I could not take my eyes from this stranger who, too, was looking at me for the first time. But when I had formed the habit of coming to the barracks, my consciousness that the hill was there, more real, consequently, even when I did not see it, than the hotel at Balbec, than our house in Paris, of which I thought as of absent — or dead — friends, that is to say without any strong belief in their existence, brought it about that, even although I was not aware of it myself, its reflected shape outlined itself on the slightest impressions that I formed at Doncières, and among them, to begin with this first morning, on the pleasing impression of warmth given me by the cup of chocolate prepared by Saint-Loup′s batman in this comfortable room, which had the effect of being an optical centre from which to look out at the hill — the idea of there being anything else to do but just gaze at it, the idea of actually climbing it, being rendered impossible by this same mist. Imbibing the shape of the hill, associated with the taste of hot chocolate and with the whole web of my fancies at that particular time, this mist, without my having thought at all about it, succeeded in moistening all my subsequent thoughts about that period, just as a massive and unmelting lump of gold had remained allied to my impressions of Balbec, or as the proximity of the outside stairs of blackish sandstone gave a grey background to my impressions of Combray. It did not, however, persist late into the day; the sun began by hurling at it, in vain, a few darts which sprinkled it with brilliants before they finally overcame it. The hill might expose its grizzled rump to the sun′s rays, which, an hour later, when I went down to the town, gave to the russet tints of the autumn leaves, to the reds and blues of the election posters pasted on the walls, an exaltation which raised my spirits also and made me stamp, singing as I went, on the pavements from which I could hardly keep myself from jumping in the air for joy.
Mais, dès le second jour, il me fallut aller coucher à l′hôtel. Et je savais d′avance que fatalement j′allais y trouver la tristesse. Elle était comme un arome irrespirable que depuis ma naissance exhalait pour moi toute chambre nouvelle, c′est-à-dire toute chambre: dans celle que j′habitais d′ordinaire, je n′étais pas présent, ma pensée restait ailleurs et à sa place envoyait seulement l′habitude. Mais je ne pouvais charger cette servante moins sensible de s′occuper de mes affaires dans un pays nouveau, où je la précédais, où j′arrivais seul, où il me fallait faire entrer en contact avec les choses ce «Moi» que je ne retrouvais qu′à des années d′intervalles, mais toujours le même, n′ayant pas grandi depuis Combray, depuis ma première arrivée à Balbec, pleurant, sans pouvoir être consolé, sur le coin d′une malle défaite.
But after that first night I had to sleep at the hotel. And I knew beforehand that I was doomed to find sorrow there. It was like an unbreathable aroma which all my life long had been exhaled for me by every new bedroom, that is to say by every bedroom; in the one which I usually occupied I was not present, my mind remained elsewhere, and in its place sent only the sense of familiarity. But I could not employ this servant, less sensitive than myself, to look after things for me in a new place, where I preceded him, where I arrived by myself, where I must bring into contact with its environment that ‘Self′ which I rediscovered only at year-long intervals, but always the same, having not grown at all since Combray, since my first arrival at Balbec, weeping, without any possibility of consolation, on the edge of an unpacked trunk.
Or, je m′étais trompé. Je n′eus pas le temps d′être triste, car je ne fus pas un instant seul. C′est qu′il restait du palais ancien un excédent de luxe, inutilisable dans un hôtel moderne, et qui, détaché de toute affectation pratique, avait pris dans son désoeuvrement une sorte de vie: couloirs revenant sur leurs pas, dont on croisait à tous moments les allées et venues sans but, vestibules longs comme des corridors et ornés comme des salons, qui avaient plutôt l′air d′habiter là que de faire partie de l′habitation, qu′on n′avait pu faire entrer dans aucun appartement, mais qui rôdaient autour du mien et vinrent tout de suite m′offrir leur compagnie — sorte de voisins oisifs, mais non bruyants, de fantômes subalternes du passé à qui on avait concédé de demeurer sans bruit à la porte des chambres qu′on louait, et qui chaque fois que je les trouvais sur mon chemin se montraient pour moi d′une prévenance silencieuse. En somme, l′idée d′un logis, simple contenant de notre existence actuelle et nous préservant seulement du froid, de la vue des autres, était absolument inapplicable à cette demeure, ensemble de pièces, aussi réelles qu′une colonie de personnes, d′une vie il est vrai silencieuse, mais qu′on était obligé de rencontrer, d′éviter, d′accueillir, quand on rentrait. On tâchait de ne pas déranger et on ne pouvait regarder sans respect le grand salon qui avait pris, depuis le XVIIIe siècle, l′habitude de s′étendre entre ses appuis de vieil or, sous les nuages de son plafond peint. Et on était pris d′une curiosité plus familière pour les petites pièces qui, sans aucun souci de la symétrie, couraient autour de lui, innombrables, étonnées, fuyant en désordre jusqu′au jardin où elles descendaient si facilement par trois marches ébréchées.
As it happened, I was mistaken. I had no time to be sad, for I was not left alone for an instant. The fact of the matter was that there remained of the old palace a superfluous refinement of structure and decoration, out of place in a modern hotel, which, released from the service of any practical purpose, had in its long spell of leisure acquired a sort of life: passages winding about in all directions, which one was continually crossing in their aimless wanderings, lobbies as long as corridors and as ornate as drawing-rooms, which had the air rather of being dwellers there themselves than of forming part of a dwelling, which could not be induced to enter and settle down in any of the rooms but wandered about outside mine and came up at once to offer me their company — neighbours of a sort, idle but never noisy, menial ghosts of the past who had been granted the privilege of staying, provided they kept quiet, by the doors of the rooms which were let to visitors, and who, every time that I came across them, greeted me with a silent deference. In short, the idea of a lodging, of simply a case for our existence from day to day which shields us only from the cold and from being overlooked by other people, was absolutely inapplicable to this house, an assembly of rooms as real as a colony of people, living, it was true, in silence, but things which one was obliged to meet, to avoid, to appreciate, as one came in. One tried not to disturb them, and one could not look without respect at the great drawing-room which had formed, far back in the eighteenth century, the habit of stretching itself at its ease, among its hangings of old gold and beneath the clouds of its painted ceiling. And one was seized with a more personal curiosity as to the smaller rooms which, without any regard for symmetry, ran all round it, innumerable, startled, fleeing in disorder as far as the garden, to which they had so easy an access down three broken steps.
Si je voulais sortir ou rentrer sans prendre l′ascenseur ni être vu dans le grand escalier, un plus petit, privé, qui ne servait plus, me tendait ses marches si adroitement posées l′une tout près de l′autre, qu′il semblait exister dans leur gradation une proportion parfaite du genre de celles qui dans les couleurs, dans les parfums, dans les saveurs, viennent souvent émouvoir en nous une sensualité particulière. Mais celle qu′il y a à monter et à descendre, il m′avait fallu venir ici pour la connaître, comme jadis dans une station alpestre pour savoir que l′acte, habituellement non perçu, de respirer, peut être une constante volupté. Je reçus cette dispense d′effort que nous accordent seules les choses dont nous avons un long usage, quand je posai mes pieds pour la première fois sur ces marches, familières avant d′être connues, comme si elles possédaient, peut-être déposée, incorporée en elles par les maîtres d′autrefois qu′elles accueillaient chaque jour, la douceur anticipée d′habitudes que je n′avais pas contractées encore et qui même ne pourraient que s′affaiblir quand elles seraient devenues miennes. J′ouvris une chambre, la double porte se referma derrière moi, la draperie fit entrer un silence sur lequel je me sentis comme une sorte d′enivrante royauté; une cheminée de marbre ornée de cuivres ciselés, dont on aurait eu tort de croire qu′elle ne savait que représenter l′art du Directoire, me faisait du feu, et un petit fauteuil bas sur pieds m′aida à me chauffer aussi confortablement que si j′eusse été assis sur le tapis. Les murs étreignaient la chambre, la séparant du reste du monde et, pour y laisser entrer, y enfermer ce qui la faisait complète, s′écartaient devant la bibliothèque, réservaient l′enfoncement du lit des deux côtés duquel des colonnes soutenaient légèrement le plafond surélevé de l′alcôve. Et la chambre était prolongée dans le sens de la profondeur par deux cabinets aussi larges qu′elle, dont le dernier suspendait à son mur, pour parfumer le recueillement qu′on y vient chercher, un voluptueux rosaire de grains d′iris; les portes, si je les laissais ouvertes pendant que je me retirais dans ce dernier retrait, ne se contentaient pas de le tripler, sans qu′il cessât d′être harmonieux, et ne faisaient pas seulement goûter à mon regard le plaisir de l′étendue après celui de la concentration, mais encore ajoutaient, au plaisir de ma solitude, qui restait inviolable et cessait d′être enclose, le sentiment de la liberté. Ce réduit donnait sur une cour, belle solitaire que je fus heureux d′avoir pour voisine quand, le lendemain matin, je la découvris, captive entre ses hauts murs où ne prenait jour aucune fenêtre, et n′ayant que deux arbres jaunis qui suffisaient à donner une douceur mauve au ciel pur.
If I wished to go out or to come in without taking the lift or being seen from the main staircase, a smaller private staircase, no longer in use, offered me its steps so skilfully arranged, one close above another, that there seemed to exist in their gradation a perfect proportion of the same kind as those which, in colours, scents, savours, often arouse in us a peculiar, sensuous pleasure. But the pleasure to be found in going up and downstairs I had had to come here to learn, as once before to a health resort in the Alps to find that the act — as a rule not noticed — of drawing breath could be a perpetual delight. I received that dispensation from effort which is granted to us only by the things to which long use has accustomed us, when I set my feet for the first time on those steps, familiar before ever I knew them, as if they possessed, deposited on them, perhaps, embodied in them by the masters of long ago whom they used to welcome every day, the prospective charm of habits which I had not yet contracted and which indeed could only grow weaker once they had become my own. I looked into a room; the double doors closed themselves behind me, the hangings let in a silence in which I felt myself invested with a sort of exhilarating royalty; a marble mantelpiece with ornaments of wrought brass — of which one would have been wrong to think that its sole idea was to represent the art of the Directory — offered me a fire, and a little easy chair on short legs helped me to warm myself as comfortably as if I had been sitting on the hearthrug. The walls held the room in à close embrace, separating it from the rest of the world and, to let in, to enclose what made it complete, parted to make way for the bookcase, reserved a place for the bed, on either side of which a column airily upheld the raised ceiling of the alcove. And the room was prolonged in depth by two closets as large as itself, the latter of which had hanging from its wall, to scent the occasion on which one had recourse to it, a voluptuous rosary of orris-roots; the doors, if I left them open when I withdrew into this innermost retreat, were not content with tripling its dimensions without its ceasing to be well-proportioned, and not only allowed my eyes to enjoy the delights of extension after those of concentration, but added further to the pleasure of my solitude, which, while still inviolable, was no longer shut in, the sense of liberty. This closet looked out upon a courtyard, a fair solitary stranger whom I was glad to have for a neighbour when next morning my eyes fell on her, a captive between her high walls in which no other window opened, with nothing but two yellowing trees which were enough to give a pinkish softness to the pure sky above.
Avant de me coucher, je voulus sortir de ma chambre pour explorer tout mon féerique domaine. Je marchai en suivant une longue galerie qui me fit successivement hommage de tout ce qu′elle avait à m′offrir si je n′avais pas sommeil, un fauteuil placé dans un coin, une épinette, sur une console un pot de face bleu rempli de cinéraires, et dans un cadre ancien le fantôme d′une dame d′autrefois aux cheveux poudrés mêlés de fleurs bleues et tenant à la main un bouquet d′oeillets. Arrivé au bout, son mur plein où ne s′ouvrait aucune porte me dit naîµ¥ment: «Maintenant il faut revenir, mais tu vois, tu es chez toi», tandis que le tapis moelleux ajoutait pour ne pas demeurer en reste que, si je ne dormais pas cette nuit, je pourrais très bien venir nu-pieds, et que les fenêtres sans volets qui regardaient la campagne m′assuraient qu′elles passeraient une nuit blanche et qu′en venant à l′heure que je voudrais je n′avais à craindre de réveiller personne. Et derrière une tenture je surpris seulement un petit cabinet qui, arrêté par la muraille et ne pouvant se sauver, s′était caché là, tout penaud, et me regardait avec effroi de son oeil-de-boeuf rendu bleu par le clair de lune. Je me couchai, mais la présence de l′édredon, des colonnettes, de la petite cheminée, en mettant mon attention à un cran où elle n′était pas à Paris, m′empêcha de me livrer au traintrain habituel de mes rêvasseries. Et comme c′est cet état particulier de l′attention qui enveloppe le sommeil et agit sur lui, le modifie, le met de plain-pied avec telle ou telle série de nos souvenirs, les images qui remplirent mes rêves, cette première nuit, furent empruntées à une mémoire entièrement distincte de celle que mettait d′habitude à contribution mon sommeil. Si j′avais été tenté en dormant de me laisser réentraîner vers ma mémoire coutumière, le lit auquel je n′étais pas habitué, la douce attention que j′étais obligé de prêter à mes positions quand je me retournais, suffisaient à rectifier ou à maintenir le fil nouveau de mes rêves. Il en est du sommeil comme de la perception du monde extérieur. Il suffit d′une modification dans nos habitudes pour le rendre poétique, il suffit qu′en nous déshabillant nous nous soyons endormi sans le vouloir sur notre lit, pour que les dimensions du sommeil soient changées et sa beauté sentie. On s′éveille, on voit quatre heures à sa montre, ce n′est que quatre heures du matin, mais nous croyons que toute la journée s′est écoulée, tant ce sommeil de quelques minutes et que nous n′avions pas cherché nous a paru descendu du ciel, en vertu de quelque droit divin, énorme et plein comme le globe d′or d′un empereur. Le matin, ennuyé de penser que mon grand-père était prêt et qu′on m′attendait pour partir du côté de Méséglise, je fus éveillé par la fanfare d′un régiment qui tous les jours passa sous mes fenêtres. Mais deux ou trois fois — et je le dis, car on ne peut bien décrire la vie des hommes si on ne la fait baigner dans le sommeil où elle plonge et qui, nuit après nuit, la contourne comme une presqu′île est cernée par la mer — le sommeil interposé fut en moi assez résistant pour soutenir le choc de la musique, et je n′entendis rien. Les autres jours il céda un instant; mais encore veloutée d′avoir dormi, ma conscience, comme ces organes préalablement anesthésiés, par qui une cautérisation, restée d′abord insensible, n′est perçue que tout à fait à sa fin et comme une légère brûlure, n′était touchée qu′avec douceur par les pointes aiguës des fifres qui la caressaient d′un vague et frais gazouillis matinal; et après cette étroite interruption où le silence s′était fait musique, il reprenait avec mon sommeil avant même que les dragons eussent fini de passer, me dérobant les dernières gerbes épanouies du bouquet jaillissant et sonore. Et la zone de ma conscience que ses tiges jaillissantes avaient effleurée était si étroite, si circonvenue de sommeil, que plus tard, quand Saint–Loup me demandait si j′avais entendu la musique, je n′étais pas plus certain que le son de la fanfare n′eût pas été aussi imaginaire que celui que j′entendais dans le jour s′élever après le moindre bruit au-dessus des pavés de la ville. Peut-être ne l′avais-je entendu qu′en un rêve, par la crainte d′être réveillé, ou au contraire de ne pas l′être et de ne pas voir le défilé. Car souvent quand je restais endormi au moment où j′avais pensé au contraire que le bruit m′aurait réveillé, pendant une heure encore je croyais l′être, tout en sommeillant, et je me jouais à moi-même en minces ombres sur l′écran de mon sommeil les divers spectacles auxquels il m′empêchait, mais auxquels j′avais l′illusion d′assister.
Before going to bed I decided to leave the room in order to explore the whole of my fairy kingdom. I walked down a long gallery which did me homage successively with all that it had to offer me if I could not sleep, an armchair placed waiting in a corner, a spinet, on a table against the wall, a bowl of blue crockery filled with cinerarias, and, in an old frame, the phantom of a lady of long ago whose powdered hair was starred with blue flowers, holding in her hand a bunch of carnations. When I came to the end, the bare wall in which no door opened said to me simply “Now you must turn and go back, but, you see, you are at home here, the house is yours,” while the soft carpet, not to be left out, added that if I did not sleep that night I could easily come in barefoot, and′ the unshuttered windows, looking out over the oper, country, assured me that they would hold a sleepless vigil and that, at whatever hour I chose to come in, I need not be afraid of disturbing anyone. And behind a hanging curtain I surprised only a little closet which, stopped by the wall and unable to escape any farther, had hidden itself there with a guilty conscience and gave me a frightened stare from its little round window, glowing blue in the moonlight. I went to bed, but the presence of the eiderdown quilt, of the pillars, of the neat fireplace, by straining my attention to a pitch beyond that of Paris, prevented me from letting myself go upon my habitual train of fancies. And as it is this particular state of strained attention that enfolds our slumbers, acts upon them, modifies them, brings them into line with this or that series of past impressions, the images that filled my dreams that first night were borrowed from a memory entirely distinct from that on which I was in the habit of drawing. If I had been tempted while asleep to let myself be swept back upon my ordinary current of remembrance, the bed to which I was not accustomed, the comfortable attention which I was obliged to pay to the position of my various limbs when I turned over, were sufficient to correct my error, to disentangle and to keep running the new thread of my dreams. It is the same with sleep as with our perception of the external world. It needs only a modification in our habits to make it poetic, it is enough that while undressing we should have dozed off unconsciously upon the bed, for the dimensions of our dream-world to be altered and its beauty felt. We awake, look at our watch, see ‘four o′clock′; it is only four o′clock in the morning, but we imagine that the whole day has gone by, so vividly does this nap of a few minutes, unsought by us, appear to have come down to us from the skies, by virtue of some divine right, full-bodied, vast, like an Emperor′s orb of gold. In the morning, while worrying over the thought that my grandfather was ready, and was waiting for me to start on our walk along the Méséglise way, I was awakened by the blare of a regimental band which passed every day beneath my windows. But on several occasions — and I mention these because one cannot properly describe human life unless one shews it soaked in the sleep in which it plunges, which, night after night, sweeps round it as a promontory is encircled by the sea — the intervening layer of sleep was strong enough to bear the shock of the music and I heard nothing. On the other mornings it gave way for a moment; but, still velvety with the refreshment of having slept, my consciousness (like those organs by which, after a local anaesthetic, a cauterisation, not perceived at first, is felt only at the very end and then as a faint burning smart) was touched only gently by the shrill points of the fifes which caressed it with a vague, cool, matutinal warbling; and after this brief interruption in which the silence had turned to music it relapsed into my slumber before even the dragoons had finished passing, depriving me of the latest opening buds of the sparkling clangorous nosegay. And the zone of my consciousness which its springing stems had brushed was so narrow, so circumscribed with sleep that later on, when Saint-Loup asked me whether I had heard the band, I was no longer ertain that the sound of its brasses had not been as imaginary as that which I heard during the day echo, after the slightest noise, from the paved streets of the town. Perhaps I had heard it only in a dream, prompted by my fear of being awakened, or else of not being awakened and so not seeing the regiment march past. For often, when I was still asleep at the moment when, on the contrary, I had supposed that the noise would awaken me, for the next hour I imagined that I was awake, while still drowsing, and I enacted to myself with tenuous shadow-shapes on the screen of my slumber the various scenes of which it deprived me but at which I had the illusion of looking on.
Ce qu′on aurait fait le jour, il arrive en effet, le sommeil venant, qu′on ne l′accomplisse qu′en rêve, c′est-à-dire après l′inflexion de l′ensommeillement, en suivant une autre voie qu′on n′eût fait éveillé. La même histoire tourne et a une autre fin. Malgré tout, le monde dans lequel on vit pendant le sommeil est tellement différent, que ceux qui ont de la peine à s′endormir cherchent avant tout à sortir du nôtre. Après avoir désespérément, pendant des heures, les yeux clos, roulé des pensées pareilles à celles qu′ils auraient eues les yeux ouverts, ils reprennent courage s′ils s′aperçoivent que la minute précédente a été toute alourdie d′un raisonnement en contradiction formelle avec les lois de la logique et l′évidence du présent, cette courte «absence» signifiant que la porte est ouverte par laquelle ils pourront peut-être s′échapper tout à l′heure de la perception du réel, aller faire une halte plus ou moins loin de lui, ce qui leur donnera un plus ou moins «bon» sommeil. Mais un grand pas est déjà fait quand on tourne le dos au réel, quand on atteint les premiers antres où les «autosuggestions» préparent comme des sorcières l′infernal fricot des maladies imaginaires ou de la recrudescence des maladies nerveuses, et guettent l′heure où les crises remontées pendant le sommeil inconscient se déclancheront assez fortes pour le faire cesser.
What one has meant to do during the day, as it turns out, sleep intervening, one accomplishes only in one′s dreams, that is to say after it has been distorted by sleep into following another line than one would have chosen when awake. The same story branches off and has a different ending. When all is said, the world in which we live when we are asleep is so different that people who have difficulty in going to sleep seek first of all to escape from the waking world. After having desperately, for hours on end, with shut eyes, revolved in their minds thoughts similar to those which they would have had with their eyes open, they take heart again on noticing that the last minute has been crawling under the weight of an argument in formal contradiction of the laws of thought, and their realisation of this, and the brief ‘absence′ to which it points, indicate that the door is now open through which they will perhaps be able, presently, to escape from the perception of the real, to advance to a resting-place more or less remote on the other side, which will mean their having a more or less ‘good′ night. But already a great stride has been made when we turn our back on the real, when we reach the cave in which ‘auto-suggestions′ prepare — like witches — the hell-broth of imaginary maladies or of the recurrence of nervous disorders, and watch for the hour at which the storm that has been gathering during our unconscious sleep will break with sufficient force to make sleep cease.
Non loin de là est le jardin réservé où croissent comme des fleurs inconnues les sommeils si différents les uns des autres, sommeil du datura, du chanvre indien, des multiples extraits de l′éther, sommeil de la belladone, de l′opium, de la valériane, fleurs qui restent closes jusqu′au jour où l′inconnu prédestiné viendra les toucher, les épanouir, et pour de longues heures dégager l′arome de leurs rêves particuliers en un être émerveillé et surpris. Au fond du jardin est le couvent aux fenêtres ouvertes où l′on entend répéter les leçons apprises avant de s′endormir et qu′on ne saura qu′au réveil; tandis que, présage de celui-ci, fait résonner son tic tac ce réveille-matin intérieur que notre préoccupation a réglé si bien que, quand notre ménagère viendra nous dire: il est sept heures, elle nous trouvera déjà prêt. Aux parois obscures de cette chambre qui s′ouvre sur les rêves, et où travaille sans cesse cet oubli des chagrins amoureux duquel est parfois interrompue et défaite par un cauchemar plein de réminiscences la tâche vite recommencée, pendent, même après qu′on est réveillé, les souvenirs des songes, mais si enténébrés que souvent nous ne les apercevons pour la première fois qu′en pleine après-midi quand le rayon d′une idée similaire vient fortuitement les frapper; quelques-uns déjà, harmonieusement clairs pendant qu′on dormait, mais devenus si méconnaissables que, ne les ayant pas reconnus, nous ne pouvons que nous hâter de les rendre à la terre, ainsi que des morts trop vite décomposés ou que des objets si gravement atteints et près de la poussière que le restaurateur le plus habile ne pourrait leur rendre une forme, et rien en tirer. Près de la grille est la carrière où les sommeils profonds viennent chercher des substances qui imprègnent la tête d′enduits si durs que, pour éveiller le dormeur, sa propre volonté est obligée, même dans un matin d′or, de frapper à grands coups de hache, comme un jeune Siegfried. Au delà encore sont les cauchemars dont les médecins prétendent stupidement qu′ils fatiguent plus que l′insomnie, alors qu′ils permettent au contraire au penseur de s′évader de l′attention; les cauchemars avec leurs albums fantaisistes, où nos parents qui sont morts viennent de subir un grave accident qui n′exclut pas une guérison prochaine. En attendant nous les tenons dans une petite cage à rats, où ils sont plus petits que des souris blanches et, couverts de gros boutons rouges, plantés chacun d′une plume, nous tiennent des discours cicéroniens. A côté de cet album est le disque tournant du réveil grâce auquel nous subissons un instant l′ennui d′avoir à rentrer tout à l′heure dans une maison qui est détruite depuis cinquante ans, et dont l′image est effacée, au fur et à mesure que le sommeil s′éloigne, par plusieurs autres, avant que nous arrivions à celle qui ne se présente qu′une fois le disque arrêté et qui coî£ide avec celle que nous verrons avec nos yeux ouverts.
Not far thence is the secret garden in which grow like strange flowers the kinds of sleep, so different one from another, the sleep induced by datura, by the multiple extracts of ether, the sleep of belladonna, of opium, of valerian, flowers whose petals remain shut until the day when the predestined visitor shall come and, touching them, bid them open, and for long hours inhale the aroma of their peculiar dreams into a marvelling and bewildered being. At the end of the garden stands the convent with open windows through which we hear voices repeating the lessons learned before we went to sleep, which we shall know only at the moment of awakening; while, a presage of that moment, sounds the resonant tick of that inward alarum which our preoccupation has so effectively regulated that when our housekeeper comes in with the warning: “It is seven o′clock,” she will find us awake and ready. On the dim walls of that chamber which opens upon our dreams, within which toils without ceasing that oblivion of the sorrows of love whose task, interrupted and brought: to nought at times by a nightmare big with reminiscence, is ever speedily resumed, hang, even after we are awake, the memories of our dreams, but so overshadowed that otten we catch sight of them for the first time only in the broad light of the afternoon when the ray of a similar idea happens by chance to strike them; some of them brilliant and harmonious while we slept, but already so distorted that, having failed to recognise them, we can but hasten to lay them in the earth like dead bodies too quickly decomposed or relics so seriously damaged, so nearly crumbling into dust that the most skilful restorer could not bring them back to their true form or make anything of them. Near the gate is the quarry to which our heavier slumbers repair in search of substances which coat the brain with so unbreakable a glaze that, to awaken the sleeper, his own will is obliged, even on a golden morning, to smite him with mighty blows like a young Siegfried. Beyond this, again, are the nightmares of which the doctors foolishly assert that they tire us more than does insomnia, whereas on the contrary they enable the thinker to escape from the strain of thought; those nightmares with their fantastic picture-books in which our relatives who are dead are shewn meeting with a serious accident which at the same time does not preclude their speedy recovery. Until then we keep them in a little rat-cage, in which they are smaller than white mice and, covered with big red spots, out of each of which a feather sprouts, engage us in Ciceronian dialogues. Next to this picture-book is the revolving disc of awakening, by virtue of which we submit for a moment to the tedium of having to return at once to a house which was pulled down fifty years ago, the memory of which is gradually effaced as sleep grows more distant by a number of others, until we arrive at that memory which the disc presents only when it has ceased to revolve and which coincides with what we shall see with opened eyes.
Quelquefois je n′avais rien entendu, étant dans un de ces sommeils où l′on tombe comme dans un trou duquel on est tout heureux d′être tiré un peu plus tard, lourd, surnourri, digérant tout ce que nous ont apporté, pareilles aux nymphes qui nourrissaient Hercule, ces agiles puissances végétatives, à l′activité redoublée pendant que nous dormons.
Sometimes I had heard nothing, being in one of those slumbers into which we fall as into a pit from which we are heartily glad to be drawn up a little later, heavy, overfed, digesting all that has been brought to us (as by the nymphs who fed the infant Hercules) by those agile, vegetative powers whose activity is doubled while we sleep.
On appelle cela un sommeil de plomb; il semble qu′on soit devenu soi-même, pendant quelques instants après qu′un tel sommeil a cessé, un simple bonhomme de plomb. On n′est plus personne. Comment, alors, cherchant sa pensée, sa personnalité comme on cherche un objet perdu, finit-on par retrouver son propre moi plutôt que tout autre? Pourquoi, quand on se remet à penser, n′est-ce pas alors une autre personnalité que l′antérieure qui s′incarne en nous? On ne voit pas ce qui dicte le choix et pourquoi, entre les millions d′êtres humains qu′on pourrait être, c′est sur celui qu′on était la veille qu′on met juste la main. Qu′est-ce qui nous guide, quand il y a eu vraiment interruption (soit que le sommeil ait été complet, ou les rêves, entièrement différents de nous)? Il y a eu vraiment mort, comme quand le coeur a cessé de battre et que des tractions rythmées de la langue nous raniment. Sans doute la chambre, ne l′eussions-nous vue qu′une fois, éveille-t-elle des souvenirs auxquels de plus anciens sont suspendus. Ou quelques-uns dormaient-ils en nous-mêmes, dont nous prenons conscience? La résurrection au réveil — après ce bienfaisant accès d′aliénation mentale qu′est le sommeil — doit ressembler au fond à ce qui se passe quand on retrouve un nom, un vers, un refrain oubliés. Et peut-être la résurrection de l′âme après la mort est-elle concevable comme un phénomène de mémoire.
That kind of sleep is called ‘sleeping like lead,′ and it seems as though one has become, oneself, and remains for a few moments after such a sleep is ended, simply a leaden image. One is no longer a person. How then, seeking for one′s mind, one′s personality, as one seeks for a thing that is lost, does one recover one′s own self rather than any other? Why, when one begins again to think, is it not another personality than yesterday′s that is incarnate in one? One fails to see what can dictate the choice, or why, among the millions of human beings any one of whom one might be, it is on him who one was overnight that unerringly one lays one′s hand? What is it that guides us, when there has been an actual interruption — whether it be that our unconsciousness has been complete or our dreams entirely different from ourselves? There has indeed been death, as when the heart has ceased to beat and a rhythmical friction of the tongue revives us. No doubt the room, even if we have seen it only once before, awakens memories to which other, older memories cling. Or were some memories also asleep in us of which we now become conscious? The resurrection at our awakening — after that healing attack of mental alienation which is sleep — must after all be similar to what occurs when we recapture a name, a line, a refrain that we had forgotten. And perhaps the resurrection of the soul after death is to be conceived as a phenomenon of memory.
Quand j′avais fini de dormir, attiré par le ciel ensoleillé, mais retenu par la fraîcheur de ces derniers matins si lumineux et si froids où commence l′hiver, pour regarder les arbres où les feuilles n′étaient plus indiquées que par une ou deux touches d′or ou de rose qui semblaient être restées en l′air, dans une trame invisible, je levais la tête et tendais le cou tout en gardant le corps à demi caché dans mes couvertures; comme une chrysalide en voie de métamorphose, j′étais une créature double aux diverses parties de laquelle ne convenait pas le même milieu; à mon regard suffisait de la couleur, sans chaleur; ma poitrine par contre se souciait de chaleur et non de couleur. Je ne me levais que quand mon feu était allumé et je regardais le tableau si transparent et si doux de la matinée mauve et dorée à laquelle je venais d′ajouter artificiellement les parties de chaleur qui lui manquaient, tisonnant mon feu qui brûlait et fumait comme une bonne pipe et qui me donnait comme elle eût fait un plaisir à la fois grossier parce qu′il reposait sur un bien-être matériel et délicat parce que derrière lui s′estompait une pure vision. Mon cabinet de toilette était tendu d′un papier à fond d′un rouge violent que parsemaient des fleurs noires et blanches, auxquelles il semble que j′aurais dû avoir quelque peine à m′habituer. Mais elles ne firent que me paraître nouvelles, que me forcer à entrer non en conflit mais en contact avec elles, que modifier la gaieté et les chants de mon lever, elles ne firent que me mettre de force au coeur d′une sorte de coquelicot pour regarder le monde, que je voyais tout autre qu′à Paris, de ce gai paravent qu′était cette maison nouvelle, autrement orientée que celle de mes parents et où affluait un air pur. Certains jours, j′étais agité par l′envie de revoir ma grand′mère ou par la peur qu′elle ne fût souffrante; ou bien c′était le souvenir de quelque affaire laissée en train à Paris, et qui ne marchait pas: parfois aussi quelque difficulté dans laquelle, même ici, j′avais trouvé le moyen de me jeter. L′un ou l′autre de ces soucis m′avait empêché de dormir, et j′étais sans force contre ma tristesse, qui en un instant remplissait pour moi toute l′existence. Alors, de l′hôtel, j′envoyais quelqu′un au quartier, avec un mot pour Saint–Loup: je lui disais que si cela lui était matériellement possible — je savais que c′était très difficile — il fût assez bon pour passer un instant. Au bout d′une heure il arrivait; et en entendant son coup de sonnette je me sentais délivré de mes préoccupations. Je savais, que si elles étaient plus fortes que moi, il était plus fort qu′elles, et mon attention se détachait d′elles et se tournait vers lui qui avait à décider. Il venait d′entrer; et déjà il avait mis autour de moi le plein air où il déployait tant d′activité depuis le matin, milieu vital fort différent de ma chambre et auquel je m′adaptais immédiatement par des réactions appropriées.
When I had finished sleeping, tempted by the sunlit sky — but discouraged by the chill — of those last autumn mornings, so luminous and so cold, in which winter begins, to get up and look at the trees on which the leaves were indicated now only by a few strokes, golden or rosy, which seemed to have been left in the air, on an invisible web, I raised my head from the pillow and stretched my neck, keeping my body still hidden beneath the bedclothes; like a chrysalis in the process of change I was a dual creature, with the different parts of which a single environment did not agree; for my eyes colour was sufficient, without warmth; my chest on the other hand was anxious for warmth and not for colour. I rose only after my fire had been lighted, and studied the picture, so delicate and transparent, of the pink and golden morning, to which I had now added by artificial means the element of warmth that it lacked, poking my fire which burned and smoked like a good pipe and gave me, as a pipe would have given me, a pleasure at once coarse because it was based upon a material comfort and delicate because beyond it was printed a pure vision. The walls of my dressing-room were covered with a paper on which a violent red background was patterned with black and white flowers, to which it seemed that I should have some difficulty in growing accustomed. But they succeeded only in striking me as novel, in forcing me to enter not into conflict but into contact with them, in modulating the gaiety, the songs of my morning toilet, they succeeded only in imprisoning me in the heart of a sort of poppy, out of which to look at a world which I saw quite differently from in Paris, from the gay screen which was this new dwelling-place, of a different aspect from the house of my parents, and into which flowed a purer air. On certain days, I was agitated by the desire to see my grandmother again, or by the fear that she might be ill, or else it was the memory of some undertaking which I had left half-finished in Paris, and which seemed to have made no progress; sometimes again it was some difficulty in which, even here, I had managed to become involved. One or other of these anxieties had kept me from sleeping, and I was without strength to face my sorrow which in a moment grew to fill the whole of my existence. Then from the hotel I sent a messenger to the barracks, with a line to Saint-Loup: I told him that, should it be materially possible — I knew that it was extremely difficult for him — I should be most grateful if he would look in for a minute. An hour later he arrived; and on hearing his ring at the door I felt myself liberated from my obsessions. I knew that, if they were stronger than I, he was stronger than they, and my attention was diverted from them and concentrated on him who would have to settle them. He had come into the room, and already he had enveloped me in the gust of fresh air in which from before dawn he had been displaying so much activity, a vital atmosphere very different from that of my room, to which I at once adapted myself by appropriate reactions.
— J′espère que vous ne m′en voulez pas de vous avoir dérangé; j′ai quelque chose qui me tourmente, vous avez dû le deviner.
“I hope you weren′t angry with me for bothering you; there is something that is worrying me, as you probably guessed.”
— Mais non, j′ai pensé simplement que vous aviez envie de me voir et j′ai trouvé ça très gentil. J′étais enchanté que vous m′ayez fait demander. Mais quoi? ça ne va pas, alors? qu′est-ce qu′il y a pour votre service?
“Not at all; I just supposed you wanted to see me, and I thought it very nice of you. I was delighted that you should have sent for me. But what is the trouble? Things not going well? What can I do to help?”
Il écoutait mes explications, me répondait avec précision; mais avant même qu′il eût parlé, il m′avait fait semblable à lui; à côté des occupations importantes qui le faisaient si pressé, si alerte, si content, les ennuis qui m′empêchaient tout à l′heure de rester un instant sans souffrir me semblaient, comme à lui, négligeables; j′étais comme un homme qui, ne pouvant ouvrir les yeux depuis plusieurs jours, fait appeler un médecin lequel avec adresse et douceur lui écarte la paupière, lui enlève et lui montre un grain de sable; le malade est guéri et rassuré. Tous mes tracas se résolvaient en un télégramme que Saint–Loup se chargeait de faire partir. La vie me semblait si différente, si belle, j′étais inondé d′un tel trop-plein de force que je voulais agir.
He listened to my explanations, and gave careful answers; but before he had uttered a word he had transformed me to his own likeness; compared with the important occupations which kept him so busy, so alert, so happy, the worries which, a moment ago, I had been unable to endure for another instant seemed to me as to him negligible; I was like a man who, not having been able to open his eyes for some days, sends for a doctor, who neatly and gently raises his eyelid, removes from beneath it and shews him a grain of sand; the sufferer is healed and comforted. All my cares resolved themselves into a telegram which Saint-Loup undertook to dispatch. Life seemed to me so different, so delightful; I was flooded with such a surfeit of strength that I longed for action.
— Que faites-vous maintenant? disais-je à Saint–Loup.
“What are you doing now?” I asked him.
— Je vais vous quitter, car on part en marche dans trois quarts d′heure et on a besoin de moi.
“I must leave you, I′m afraid; we′re going on a route march in three quarters of an hour, and I have to be on parade.”
— Alors ça vous a beaucoup gêné de venir?
“Then it′s been a great bother to you, coming here?”
— Non, ça ne m′a pas gêné, le capitaine a été très gentil, il a dit que du moment que c′était pour vous il fallait que je vienne, mais enfin je ne veux pas avoir l′air d′abuser.
“No, no bother at all, the Captain was very good about it; he told me that if it was for you I must go at once; but you understand, I don′t like to seem to be abusing the privilege.”
— Mais si je me levais vite et si j′allais de mon côté à l′endroit où vous allez manoeuvrer, cela m′intéresserait beaucoup, et je pourrais peut-être causer avec vous dans les pauses.
“But if I got up and dressed quickly and went by myself to the place where you′ll be training, it would interest me immensely, and I could perhaps talk to you during the breaks.”
— Je ne vous le conseille pas; vous êtes resté éveillé, vous vous êtes mis martel en tête pour une chose qui, je vous assure, est sans aucune conséquence, mais maintenant qu′elle ne vous agite plus, retournez-vous sur votre oreiller et dormez, ce qui sera excellent contre la déminéralisation de vos cellules nerveuses; ne vous endormez pas trop vite parce que notre garce de musique va passer sous vos fenêtres; mais aussitôt après, je pense que vous aurez la paix, et nous nous reverrons ce soir à dîner.
“I shouldn′t advise you to do that; you have been lying awake, racking your brains over a thing which, I assure you, is not of the slightest importance, but now that it has ceased to worry you, lay your head down on the pillow and go to sleep, which you will find an excellent antidote to the déminéralisation of your nerve-cells; only you mustn′t go to sleep too soon, because our band-boys will be coming along under your windows; but as soon as they′ve passed I think you′ll be left in peace, and we shall meet again this evening, at dinner.”
Mais un peu plus tard j′allai souvent voir le régiment faire du service en campagne, quand je commençai à m′intéresser aux théories militaires que développaient à dîner les amis de Saint–Loup et que cela devint le désir de mes journées de voir de plus près leurs différents chefs, comme quelqu′un qui fait de la musique sa principale étude et vit dans les concerts a du plaisir à fréquenter les cafés où l′on est mêlé à la vie des musiciens de l′orchestre. Pour arriver au terrain de manoeuvres il me fallait faire de grandes marches. Le soir, après le dîner, l′envie de dormir faisait par moments tomber ma tête comme un vertige. Le lendemain, je m′apercevais que je n′avais pas plus entendu la fanfare, qu′à Balbec, le lendemain des soirs où Saint–Loup m′avait emmené dîner à Rivebelle, je n′avais entendu le concert de la plage. Et au moment où je voulais me lever, j′en éprouvais délicieusement l′incapacité; je me sentais attaché à un sol invisible et profond par les articulations, que la fatigue me rendait sensibles, de radicelles musculeuses et nourricières. Je me sentais plein de force, la vie s′étendait plus longue devant moi; c′est que j′avais reculé jusqu′aux bonnes fatigues de mon enfance à Combray, le lendemain des jours où nous nous étions promenés du côté de Guermantes. Les poètes prétendent que nous retrouvons un moment ce que nous avons jadis été en rentrant dans telle maison, dans un tel jardin où nous avons vécu jeunes. Ce sont là pèlerinages fort hasardeux et à la suite desquels on compte autant de déceptions que de succès. Les lieux fixes, contemporains d′années différentes, c′est en nous-même qu′il vaut mieux les trouver. C′est à quoi peuvent, dans une certaine mesure, nous servir une grande fatigue que suit une bonne nuit. Celles-là du moins, pour nous faire descendre dans les galeries les plus souterraines du sommeil, où aucun reflet de la veille, aucune lueur de mémoire n′éclairent plus le monologue intérieur, si tant est que lui-même n′y cesse pas, retournent si bien le sol et le tuf de notre corps qu′elles nous font retrouver, là où nos muscles plongent et tordent leurs ramifications et aspirent la vie nouvelle, le jardin où nous avons été enfant. Il n′y a pas besoin de voyager pour le revoir, il faut descendre pour le retrouver. Ce qui a couvert la terre n′est plus sur elle, mais dessous; l′excursion ne suffit pas pour visiter la ville morte, les fouilles sont nécessaires. Mais on verra combien certaines impressions fugitives et fortuites ramènent bien mieux encore vers le passé, avec une précision plus fine, d′un vol plus léger, plus immatériel, plus vertigineux, plus infaillible, plus immortel, que ces dislocations organiques.
But soon I was constantly going to see the regiment being trained in field operations, when I began to take an interest in the military theories which Saint-Loup′s friends used to expound over the dinner-table, and when it had become the chief desire of my life to see at close quarters their various leaders, just as a person who makes music his principal study and spends his life in the concert halls finds pleasure in frequenting the cafés in which one mingles with the life of the members of the orchestra. To reach the training ground I used to have to take tremendously long walks. In the evening after dinner the longing for sleep made my head drop every now and then as in a swoon. Next morning I realised that I had no more heard the band than, at Balbec, after the evenings on which Saint-Loup had taken me to dinner at Rivebelle, I used to hear the concert on the beach. And at the moment when I wished to rise I had a delicious feeling of incapacity; I felt myself fastened to a deep, invisible ground by the articulations (of which my tiredness made me conscious) of muscular and nutritious roots. I felt myself full of strength; life seemed to extend more amply before me; this was because I had reverted to the good tiredness of my childhood at Combray on the mornings following days on which we had taken the Guermantes walk. Poets make out that we recapture for a moment the self that we were long ago when we enter some house or garden in which we used to live in our youth. But these are most hazardous pilgrimages, which end as often in disappointment as in success. The fixed places, contemporary with different years, it is in ourselves that we should rather seek to find them. This is where the advantage comes in, to a certain extent, of great exhaustion followed by a good night′s rest. Good nights, to make us descend into the most subterranean galleries of sleep, where no reflexion from overnight, no gleam of memory comes to lighten the inward monologue (if so be that it cease not also), turn so effectively the soil and break through the surface stone of our body that we discover there, where our muscles dive down and throw out their twisted roots and breathe the air of the new life, the garden in which as a child we used to play. There is no need to travel in order to see it again; we must dig down inwardly to discover it. What once covered the earth is no longer upon it but beneath; a mere excursion does not suffice for a visit to the dead city, excavation is necessary also. But we shall see how certain impressions, fugitive and fortuitous, carry us back even more effectively to the past, with a more delicate precision, with a flight more light-winged, more immaterial, more headlong, more unerring, more immortal than these organic dislocations.
Quelquefois ma fatigue était plus grande encore: j′avais, sans pouvoir me coucher, suivi les manoeuvres pendant plusieurs jours. Que le retour à l′hôtel était alors béni! En entrant dans mon lit, il me semblait avoir enfin échappé à des enchanteurs, à des sorciers, tels que ceux qui peuplent les «romans» aimés de notre XVIIe siècle. Mon sommeil et ma grasse matinée du lendemain n′étaient plus qu′un charmant conte de fées. Charmant; bienfaisant peut-être aussi. Je me disais que les pires souffrances ont leur lieu d′asile, qu′on peut toujours, à défaut de mieux, trouver le repos. Ces pensées me menaient fort loin.
Sometimes my exhaustion was greater still; I had, without any opportunity of going to bed, been following the operations for several days on end. How blessed then was my return to the hotel! As I got into bed I seemed to have escaped at last from the hands of enchanters, sorcerers like those who people the ‘romances′ beloved of our forebears in the seventeenth century. My sleep that night and the lazy morning that followed it were no more than a charming fairy tale. Charming; beneficent perhaps also. I reminded myself that the keenest sufferings have their place of sanctuary, that one can always, when all else fails, find repose. These thoughts carried me far.
Les jours où il y avait repos et où Saint–Loup ne pouvait cependant pas sortir, j′allais souvent le voir au quartier. C′était loin; il fallait sortir de la ville, franchir le viaduc, des deux côtés duquel j′avais une immense vue. Une forte brise soufflait presque toujours sur ces hauts lieux, et emplissait les bâtiments construits sur trois côtés de la cour qui grondaient sans cesse comme un antre des vents. Tandis que, pendant qu′il était occupé à quelque service, j′attendais Robert, devant la porte de sa chambre ou au réfectoire, en causant avec tels de ses amis auxquels il m′avait présenté (et que je vins ensuite voir quelquefois, même quand il ne devait pas être là), voyant par la fenêtre, à cent mètres au-dessous de moi, la campagne dépouillée mais où çà et là des semis nouveaux, souvent encore mouillés de pluie et éclairés par le soleil, mettaient quelques bandes vertes d′un brillant et d′une limpidité translucide d′émail, il m′arrivait d′entendre parler de lui; et je pus bien vite me rendre compte combien il était aimé et populaire. Chez plusieurs engagés, appartenant à d′autres escadrons, jeunes bourgeois riches qui ne voyaient la haute société aristocratique que du dehors et sans y pénétrer, la sympathie qu′excitait en eux ce qu′ils savaient du caractère de Saint–Loup se doublait du prestige qu′avait à leurs yeux le jeune homme que souvent, le samedi soir, quand ils venaient en permission à Paris, ils avaient vu souper au Café de la Paix avec le duc d′Uzès et le prince d′Orléans. Et à cause de cela, dans sa jolie figure, dans sa façon dégingandée de marcher, de saluer, dans le perpétuel lancé de son monocle, dans «la fantaisie» de ses képis trop hauts, de ses pantalons d′un drap trop fin et trop rose, ils avaient introduit l′idée d′un «chic» dont ils assuraient qu′étaient dépourvus les officiers les plus élégants du régiment, même le majestueux capitaine à qui j′avais dû de coucher au quartier, lequel semblait, par comparaison, trop solennel et presque commun.
On days when, although there was no parade, Saint-Loup had to stay in barracks, I used often to go and visit him there. It was a long way; I had to leave the town and cross the viaduct, from either side of which I had an immense view. A strong breeze blew almost always over this high ground, and filled all the buildings erected on three sides of the barrack-square, which howled incessantly like a cave of the winds. While I waited for Robert — he being engaged on some duty or other — outside the door of his room or in the mess, talking to some of his friends to whom he had introduced me (and whom later on I came now and then to see, even when he was not to be there), looking down from the window three hundred feet to the country below, bare now except where recently sown fields, often still soaked with rain and glittering in the sun, shewed a few stripes of green, of the brilliance and translucent limpidity of enamel, I could hear him discussed by the others, and I soon learned what a popular favourite he was. Among many of the volunteers, belonging to other squadrons^ sons of rich business or professional men who looked at the higher aristocratic society only from outside and without penetrating its enclosure, the attraction which they naturally felt towards what they knew of Saint-Loup′s character was reinforced by the distinction that attached in their eyes to the young man whom, on Saturday evenings, when they went on pass to Paris, they had seen supping in the Café de la Paix with the Duc d′Uzès and the Prince d′Orléans. And on that account, into his handsome face, his casual way of walking and saluting officers, the perpetual dance of his eyeglass, the affectation shewn in the cut of his service dress — the caps always too high, the breeches of too fine a cloth and too pink a shade — they had introduced the idea of a ‘tone′ which, they were positive, was lacking in the best turned-out officers in the regiment, even the majestic Captain to whom I had been indebted for the privilege of sleeping in barracks, who seemed, in comparison, too pompous and almost common.
L′un disait que le capitaine avait acheté un nouveau cheval. «Il peut acheter tous les chevaux qu′il veut. J′ai rencontré Saint–Loup dimanche matin allée des Acacias, il monte avec un autre chic!» répondait l′autre, et en connaissance de cause; car ces jeunes gens appartenaient à une classe qui, si elle ne fréquente pas le même personnel mondain, pourtant, grâce à l′argent et au loisir, ne diffère pas de l′aristocratie dans l′expérience de toutes celles des élégances qui peuvent s′acheter. Tout au plus la leur avait-elle, par exemple en ce qui concernait les vêtements, quelque chose de plus appliqué, de plus impeccable, que cette libre et négligente élégance de Saint–Loup qui plaisait tant à ma grand′mère. C′était une petite émotion pour ces fils de grands banquiers ou d′agents de change, en train de manger des huîtres après le théâtre, de voir à une table voisine de la leur le sous-officier Saint–Loup. Et que de récits faits au quartier le lundi, en rentrant de permission, par l′un d′eux qui était de l′escadron de Robert et à qui il avait dit bonjour «très gentiment»; par un autre qui n′était pas du même escadron, mais qui croyait bien que malgré cela Saint–Loup l′avait reconnu, car deux ou trois fois il avait braqué son monocle dans sa direction.
One of them said that the Captain had bought a new horse. “He can buy as many horses as he likes. I passed Saint-Loup on Sunday morning in the Allée des Acacias; now he′s got some style on a horse!” replied his companion, and knew what he was talking about, for these young fellows belonged to a class which, if it does not frequent the same houses and know the same people, yet, thanks to money and leisure, does not differ from the nobility in its experience of all those refinements of life which money can procure. At any rate their refinement had, in the matter of clothes, for instance, something about it more studied, more impeccable than that free and easy negligence which had so delighted my grandmother in Saint-Loup. It gave quite a thrill to these sons of big stockbrokers or bankers, as they sat eating oysters after the theatre, to see at an adjoining table Serjeant Saint-Loup. And what a tale there was to tell in barracks on Monday night, after a week-end leave, by one of them who was in Robert′s squadron, and to whom he had said how d′ye do ‘most civilly,′ while another, who was not in the same squadron, was quite positive that, in spite of this, Saint-Loup had recognised him, for two or three times he had put up his eyeglass and stared in the speaker′s direction.
— Oui, mon frère l′a aperçu à «la Paix», disait un autre qui avait passé la journée chez sa maîtresse, il paraît même qu′il avait un habit trop large et qui ne tombait pas bien.
“Yes, my brother saw him at the Paix,” said another, who had been spending the day with his mistress; “my brother says his dress coat was cut too loose and didn′t fit him.”
— Comment était son gilet?
“What was the waistcoat like?”
— Il n′avait pas de gilet blanc, mais mauve avec des espèces de palmes, époilant!
“He wasn′t wearing a white waistcoat; it was purple, with sort of palms on it; stunning!”
Pour les anciens (hommes du peuple ignorant le Jockey et qui mettaient seulement Saint–Loup dans la catégorie des sous-officiers très riches, où ils faisaient entrer tous ceux qui, ruinés ou non, menaient un certain train, avaient un chiffre assez élevé de revenus ou de dettes et étaient généreux avec les soldats), la démarche, le monocle, les pantalons, les képis de Saint–Loup, s′ils n′y voyaient rien d′aristocratique, n′offraient pas cependant moins d′intérêt et de signification. Ils reconnaissaient dans ces particularités le caractère, le genre qu′ils avaient assignés une fois pour toutes à ce plus populaire des gradés du régiment, manières pareilles à celles de personne, dédain de ce que pourraient penser les chefs, et qui leur semblait la conséquence naturelle de sa bonté pour le soldat. Le café du matin dans la chambrée, ou le repos sur les lits pendant l′après-midi, paraissaient meilleurs, quand quelque ancien servait à l′escouade gourmande et paresseuse quelque savoureux détail sur un képi qu′avait Saint–Loup.
To the ‘old soldiers′ (sons of the soil who had never heard of the Jockey Club and simply put Saint-Loup in the category of ultra-rich non-commissioned officers, in which they included all those who, whether bankrupt or not, lived in a certain style, whose income or debts ran into several figures, and who were generous towards their men), the gait, the eyeglass, the breeches, the caps of Saint-Loup, even if they saw in them nothing particularly aristocratic, furnished nevertheless just as much interest and meaning. They recognised in these peculiarities the character, the style which they had assigned once and for all time to this most popular of the ‘stripes′ in the regiment, manners like no one′s else, scornful indifference to what his superior officers might think, which seemed to them the natural corollary of his goodness to his subordinates. The morning cup of coffee in the canteen, the afternoon ‘lay-down′ in the barrack-room seemed pleasanter, somehow, when some old soldier fed the hungering, lazy section with some savoury titbit as to a cap in which Saint-Loup had appeared on parade.
— Aussi haut comme mon paquetage.
“It was the height of my pack.”
— Voyons, vieux, tu veux nous la faire à l′oseille, il ne pouvait pas être aussi haut que ton paquetage, interrompait un jeune licencié ès lettres qui cherchait, en usant de ce dialecte, à ne pas avoir l′air d′un bleu et, en osant cette contradiction, à se faire confirmer un fait qui l′enchantait.
“Come off it, old chap, you don′t expect us to believe that; it couldn′t have been the height of your pack,” interrupted a young college graduate who hoped by using these slang terms not to appear a ‘learned beggar,′ and by venturing on this contradiction to obtain confirmation of a fact the thought of which enchanted him.
— Ah! il n′est pas aussi haut que mon paquetage? Tu l′as mesuré peut-être. Je te dis que le lieutenant-colon le fixait comme s′il voulait le mettre au bloc. Et faut pas croire que mon fameux Saint–Loup s′épatait: il allait, il venait, il baissait la tête, il la relevait, et toujours ce coup du monocle. Faudra voir ce que va dire le capiston. Ah! il se peut qu′il ne dise rien, mais pour sûr que cela ne lui fera pas plaisir. Mais ce képi-là, il n′a encore rien d′épatant. Il paraît que chez lui, en ville, il en a plus de trente.
“Oh, so it wasn′t the height of my pack, wasn′t it? You measured it, I suppose! I tell you this much, the C. O. glared at it as if he′d have liked to put him in clink. But you needn′t think the great Saint-Loup felt squashed; no, he went and he came, and down with his head and up with his head, and that blinking glass screwed in his eye all the time. We′ll see what the ‘Capstan′ has to say when he hears. Oh, very likely he′ll say nothing, but you may be sure he won′t be pleased. But there′s nothing so wonderful about that cap. I hear he′s got thirty of ′em and more at home, at his house in town.”
— Comment que tu le sais, vieux? Par notre sacré cabot? demandait le jeune licencié avec pédantisme, étalant les nouvelles formes grammaticales qu′il n′avait apprises que de fraîche date et dont il était fier de parer sa conversation.
“Where did you hear that, old man? From our blasted corporal-dog?” asked the young graduate, pedantically displaying the new forms of speech which he had only recently acquired and with which he took a pride in garnishing his conversation.
— Comment que je le sais? Par son ordonnance, pardi!
“Where did I hear it? From his batman; what d′you think?”
— Tu parles qu′en voilà un qui ne doit pas être malheureux!
“Ah! Now you′re talking. That′s a chap who knows when he′s well off!”
— Je comprends! Il a plus de braise que moi, pour sûr! Et encore il lui donne tous ses effets, et tout et tout. Il n′avait pas à sa suffisance à la cantine. Voilà mon de Saint–Loup qui s′est amené et le cuistot en à entendu: «Je veux qu′il soit bien nourri, ça coûtera ce que ça coûtera.»
“I should say so! He′s got more in his pocket than I have, certain sure! And besides he gives him all his own things, and everything. He wasn′t getting his grub properly, he says. Along comes de Saint-Loup, and gives cooky hell: ‘I want him to be properly fed, d′you hear,′ he says, ‘and I don′t care what it costs.′”
Et l′ancien rachetait l′insignifiance des paroles par l′énergie de l′accent, en une imitation médiocre qui avait le plus grand succès.
The old soldier made up for the triviality of the words quoted by the emphasis of his tone, in a feeble imitation of the speaker which had an immense success.
Au sortir du quartier je faisais un tour, puis, en attendant le moment où j′allais quotidiennement dîner avec Saint–Loup, à l′hôtel où lui et ses amis avaient pris pension, je me dirigeais vers le mien, sitôt le soleil couché, afin d′avoir deux heures pour me reposer et lire. Sur la place, le soir posait aux toits en poudrière du château de petits nuages rosés assortis à la couleur des briques et achevait le raccord en adoucissant celles-ci d′un reflet. Un tel courant de vie affluait à mes nerfs qu′aucun de mes mouvements ne pouvait l′épuiser; chacun de mes pas, après avoir touché un pavé de la place, rebondissait, il me semblait avoir aux talons les ailes de Mercure. L′une des fontaines était pleine d′une lueur rouge, et dans l′autre déjà le clair de lune rendait l′eau de la couleur d′une opale. Entre elles des marmots jouaient, poussaient des cris, décrivaient des cercles, obéissant à quelque nécessité de l′heure, à la façon des martinets ou des chauves-souris. A côté de l′hôtel, les anciens palais nationaux et l′orangerie de Louis XVI dans lesquels se trouvaient maintenant la Caisse d′épargne et le corps d′armée étaient éclairés du dedans par les ampoules pâles et dorées du gaz déjà allumé qui, dans le jour encore clair, seyait à ces hautes et vastes fenêtres du XVIIIe siècle où n′était pas encore effacé le dernier reflet du couchant, comme eût fait à une tête avivée de rouge une parure d′écaille blonde, et me persuadait d′aller retrouver mon feu et ma lampe qui, seule dans la façade de l′hôtel que j′habitais, luttait contre le crépuscule et pour laquelle je rentrais, avant qu′il fût tout à fait nuit, par plaisir, comme on fait pour le goûter. Je gardais, dans mon logis, la même plénitude de sensation que j′avais eue dehors. Elle bombait de telle façon l′apparence de surfaces qui nous semblent si souvent plates et vides, la flamme jaune du feu, le papier gros bleu de ciel sur lequel le soir avait brouillonné, comme un collégien, les tire-bouchons d′un crayonnage rose, la tapis à dessin singulier de la table ronde sur laquelle une rame de papier écolier et un encrier m′attendaient avec un roman de Bergotte, que, depuis, ces choses ont continué à me sembler riches de toute une sorte particulière d′existence qu′il me semble que je saurais extraire d′elles s′il m′était donné de les retrouver. Je pensais avec joie à ce quartier que je venais de quitter et duquel la girouette tournait à tous les vents. Comme un plongeur respirant dans un tube qui monte jusqu′au-dessus de la surface de l′eau, c′était pour moi comme être relié à la vie salubre, à l′air libre, que de me sentir pour point d′attache ce quartier, ce haut observatoire dominant la campagne sillonnée de canaux d′émail vert, et sous les hangars et dans les bâtiments duquel je comptais pour un précieux privilège, que je souhaitais durable, de pouvoir me rendre quand je voulais, toujours sûr d′être bien reçu.
On leaving the barracks I would take a stroll, and then, to fill up the time before I went, as I did every evening, to dine with Saint-Loup at the hotel in which he and his friends had established their mess, I made for my own, as soon as the sun had set, so as to have a couple of hours in which to rest and read. In the square, the evening light bedecked the pepper-pot turrets of the castle with little pink clouds which matched the colour of the bricks, and completed the harmony by softening the tone of the latter where it bathed them. So strong a current of vitality coursed through my nerves that no amount of movement on my part could exhaust it; each step I took, after touching a stone of the pavement, rebounded off it. I seemed to have growing on my heels the wings of Mercury. One of the fountains was filled with a ruddy glow, while in the other the moonlight had already begun to turn the water opalescent. Between them were children at play, uttering shrill cries, wheeling in circles, obeying some necessity of the hour, like swifts or bats. Next door to the hotel, the old National Courts and the Louis XVI orangery, in which were installed now the savings-bank and the Army Corps headquarters, were lighted from within by the palely gilded globes of their gas-jets which, seen in the still clear daylight outside, suited those vast, tall, eighteenth-century windows from which the last rays of the setting sun had not yet departed, as would have suited a complexion heightened with rouge a headdress of yellow tortoise-shell, and persuaded me to seek out my fireside and the lamp which, alone in the shadowy front of my hotel, was striving to resist the gathering darkness, and for the sake of which I went indoors before it was quite dark, for pleasure, as to an appetising meal. I kept, when I was in my room, the same fulness of sensation that I had felt outside. It gave such an apparent convexity of surface to things which as a rule seem flat and empty, to the yellow flame of the fire, the coarse blue paper on the ceiling, on which the setting sun had scribbled corkscrews and whirligigs, like a schoolboy with a piece of red chalk, the curiously patterned cloth on the round table, on which a ream of essay paper and an inkpot lay in readiness for me, with one of Bergotte′s novels, that ever since then these things have continued to seem to me to be enriched with a whole form of existence which I feel that I should be able to extract from them if it were granted me to set eyes on them again. I thought with joy of the barracks that I had just left and of their weather-cock turning with every wind that blew. Like a diver breathing through a pipe which rises above the surface of the water, I felt that I was in a sense maintaining contact with a healthy, open-air life when I kept as a baiting-place those barracks, that towering observatory, dominating a country-side furrowed with canals of green enamel, into whose various buildings I esteemed as a priceless privilege, which I hoped would last, my freedom to go whenever I chose, always certain of a welcome.
A sept heures je m′habillais et je ressortais pour aller dîner avec Saint–Loup à l′hôtel où il avait pris pension. J′aimais m′y rendre à pied. L′obscurité était profonde, et dès le troisième jour commença à souffler, aussitôt la nuit venue, un vent glacial qui semblait annoncer la neige. Tandis que je marchais, il semble que j′aurais dû ne pas cesser un instant de penser à Mme de Guermantes; ce n′était que pour tâcher d′être rapproché d′elle que j′étais venu dans la garnison de Robert. Mais un souvenir, un chagrin, sont mobiles. Il y a des jours où ils s′en vont si loin que nous les apercevons à peine, nous les croyons partis. Alors nous faisons attention à d′autres choses. Et les rues de cette ville n′étaient pas encore pour moi, comme là où nous avons l′habitude de vivre, de simples moyens d′aller d′un endroit à un autre. La vie que menaient les habitants de ce monde inconnu me semblait devoir être merveilleuse, et souvent les vitres éclairées de quelque demeure me retenaient longtemps immobile dans la nuit en mettant sous mes yeux les scènes véridiques et mystérieuses d′existences où je ne pénétrais pas. Ici le génie du feu me montrait en un tableau empourpré la taverne d′un marchand de marrons où deux sous-officiers, leurs ceinturons posés sur des chaises, jouaient aux cartes sans se douter qu′un magicien les faisait surgir de la nuit, comme dans une apparition de théâtre, et les évoquait tels qu′ils étaient effectivement à cette minute même, aux yeux d′un passant arrêté qu′ils ne pouvaient voir. Dans un petit magasin de bric-à-brac, une bougie à demi consumée, en projetant sa lueur rouge sur une gravure, la transformait en sanguine, pendant que, luttant contre l′ombre, la clarté de la grosse lampe basanait un morceau de cuir, niellait un poignard de paillettes étincelantes, sur des tableaux qui n′étaient que de mauvaises copies déposait une dorure précieuse comme la patine du passé ou le vernis d′un maître, et faisait enfin de ce taudis où il n′y avait que du toc et des croûtes, un inestimable Rembrandt. Parfois je levais les yeux jusqu′à quelque vaste appartement ancien dont les volets n′étaient pas fermés et où des hommes et des femmes amphibies, se réadaptant chaque soir à vivre dans un autre élément que le jour, nageaient lentement dans la grasse liqueur qui, à la tombée de la nuit, sourd incessamment du réservoir des lampes pour remplir les chambres jusqu′au bord de leurs parois de pierre et de verre, et au sein de laquelle ils propageaient, en déplaçant leurs corps, des remous, onctueux et dorés. Je reprenais mon chemin, et souvent dans la ruelle noire qui passe devant la cathédrale, comme jadis dans le chemin de Méséglise, la force de mon désir m′arrêtait; il me semblait qu′une femme allait surgir pour le satisfaire; si dans l′obscurité je sentais tout d′un coup passer une robe, la violence même du plaisir que j′éprouvais m′empêchait de croire que ce frôlement fût fortuit et j′essayais d′enfermer dans mes bras une passante effrayée. Cette ruelle gothique avait pour moi quelque chose de si réel, que si j′avais pu y lever et y posséder une femme, il m′eût été impossible de ne pas croire que c′était l′antique volupté qui allait nous unir, cette femme eût-elle été une simple raccrocheuse postée là tous les soirs, mais à laquelle auraient prêté leur mystère l′hiver, le dépaysement, l′obscurité et le moyen âge. Je songeais à l′avenir: essayer d′oublier Mme de Guermantes me semblait affreux, mais raisonnable et, pour la première fois, possible, facile peut-être. Dans le calme absolu de ce quartier, j′entendais devant moi des paroles et des rires qui devaient venir de promeneurs à demi avinés qui rentraient. Je m′arrêtais pour les voir, je regardais du côté où j′avais entendu le bruit. Mais j′étais obligé d′attendre longtemps, car le silence environnant était si profond qu′il avait laissé passer avec une netteté et une force extrêmes des bruits encore lointains. Enfin, les promeneurs arrivaient non pas devant moi comme j′avais cru, mais fort loin derrière. Soit que le croisement des rues, l′interposition des maisons eussent causé par réfraction cette erreur d′acoustique, soit qu′il soit très difficile de situer un son dont la place ne nous est pas connue, je m′étais trompé, tout autant sur la distance, que sur la direction.
At seven o′clock I dressed myself and went out again to dine with Saint-Loup at the hotel where he took his meals. I liked to go there on foot. It was by now pitch dark, and after the third day of my visit there began to blow, as soon as night had fallen, an icy wind which seemed a harbinger of snow. As I walked, I ought not, strictly speaking, to have ceased for a moment to think of Mme. de Guermantes; it was only in the attempt to draw nearer to her that I had come to visit Robert′s garrison. But a memory, a grief, are fleeting things. There are days when they remove so far that we are barely conscious of them, we think that they have gone for ever. Then we pay attention to other things. And the streets of this town had not yet become for me what streets are in the place where one is accustomed to live, simply means of communication between one part and another. The life led by the inhabitants of this unknown world must, it seemed to me, be a marvellous thing, and often the lighted windows of some dwelling-house kept me standing for a long while motionless in the darkness by laying before my eyes the actual and mysterious scenes of an existence into which I might not penetrate. Here the fire-spirit displayed to me in purple colouring the booth of a chestnut seller in which a couple of serjeants, their belts slung over the backs of chairs, were playing cards, never dreaming that a magician′s wand was making them emerge from the night, like a transparency on the stage, and presenting them in their true lineaments at that very moment to the eyes of an arrested passerby whom they could not see. In a little curiosity shop a candle, burned almost to its socket, projecting its warm glow over an engraving reprinted it in sanguine, while, battling against the darkness, the light of the big lamp tanned a scrap of leather, inlaid a dagger with fiery spangles, on pictures which were only bad copies spread a priceless film of gold like the patina of time or the varnish used by a master, made in fact of the whole hovel, in which there was nothing but pinchbeck rubbish, a marvellous composition by Rembrandt. Sometimes I lifted my gaze to some huge old dwelling-house on which the shutters had not been closed and in which amphibious men and women floated slowly to and fro in the rich liquid that after nightfall rose incessantly from the wells of the lamps to fill the rooms to the very brink of the outer walls of stone and glass, the movement of their bodies sending through it long unctuous golden ripples. I proceeded on my way, and often, in the dark alley that ran past the cathedral, as long ago on the road to Méséglise, the force of my desire caught and held me; it seemed that a woman must be on the point of appearing, to satisfy it; if, in the darkness, I felt suddenly brush past me a skirt, the violence of the pleasure which I then felt made it impossible for me to believe that the contact was accidental and I attempted to seize in my arms a terrified stranger. This gothic alley meant for me something so real that if I had been successful in raising and enjoying a woman there, it would have been impossible for me not to believe that it was the ancient charm of the place that was bringing us together, and even though she were no more than a common street-walker, stationed there every evening, still the wintry night, the strange place, the darkness, the mediaeval atmosphere would have lent her their mysterious glamour. I thought of what might be in store for me; to try to forget Mme. de Guermantes seemed to me a dreadful thing, but reasonable, and for the first time possible, easy perhaps even. In the absolute quiet of this neighbourhood I could hear ahead of me shouted words and laughter which must come from tipsy revellers staggering home. I waited to see them, I stood peering in the direction from which I had heard the sound. But I was obliged to wait for some time, for the surrounding silence was so intense that it allowed to travel with the utmost clearness and strength sounds that were still a long way off. Finally the revellers did appear; not, as I had supposed, in front of me, but ever so far behind. Whether the intersection of sidestreets, the interposition of buildings had, by reverberation, brought about this acoustic error, or because it is very difficult to locate a sound when the place from which it comes is not known, I had been as far wrong over direction as over distance.
Le vent grandissait. Il était tout hérissé et grenu d′une approche de neige; je regagnais la grand′rue et sautais dans le petit tramway où de la plate-forme un officier qui semblait ne pas les voir répondait aux saluts des soldats balourds qui passaient sur le trottoir, la face peinturlurée par le froid; et elle faisait penser, dans cette cité que le brusque saut de l′automne dans ce commencement d′hiver semblait avoir entraînée plus avant dans le nord, à la face rubiconde que Breughel donne à ses paysans joyeux, ripailleurs et gelés.
The wind grew stronger. It was thick and bristling with coming snow. I returned to the main street and jumped on board the little tramway-car on which, from its platform, an officer, without apparently seeing them, was acknowledging the salutes of the loutish soldiers who trudged past along the pavement, their faces daubed crimson by the cold, reminding me, in this little town which the sudden leap from autumn into early winter seemed to have transported farther north, of the rubicund faces which Breughel gives to his merry, junketing, frostbound peasants.
Et précisément à l′hôtel où j′avais rendez-vous avec Saint–Loup et ses amis et où les fêtes qui commençaient attiraient beaucoup de gens du voisinage et d′étrangers, c′était, pendant que je traversais directement la cour qui s′ouvrait sur de rougeoyantes cuisines où tournaient des poulets embrochés, où grillaient des porcs, où des homards encore vivants étaient jetés dans ce que l′hôtelier appelait le «feu éternel», une affluence (digne de quelque «Dénombrement devant Bethléem» comme en peignaient les vieux maîtres flamands) d′arrivants qui s′assemblaient par groupes dans la cour, demandant au patron ou à l′un de ses aides (qui leur indiquaient de préférence un logement dans la ville quand ils ne les trouvaient pas d′assez bonne mine) s′ils pourraient être servis et logés, tandis qu′un garçon passait en tenant par le cou une volaille qui se débattait. Et dans la grande salle à manger que je traversai le premier jour, avant d′atteindre la petite pièce où m′attendait mon ami, c′était aussi à un repas de l′Évangile figuré avec la naîµ¥té du vieux temps et l′exagération des Flandres que faisait penser le nombre des poissons, des poulardes, des coqs de bruyères, des bécasses, des pigeons, apportés tout décorés et fumants par des garçons hors d′haleine qui glissaient sur le parquet pour aller plus vite et les déposaient sur l′immense console où ils étaient découpés aussitôt, mais où— beaucoup de repas touchant à leur fin, quand j′arrivais — ils s′entassaient inutilisés; comme si leur profusion et la précipitation de ceux qui les apportaient répondaient, beaucoup plutôt qu′aux demandes des dîneurs, au respect du texte sacré scrupuleusement suivi dans sa lettre, mais naîµ¥ment illustré par des détails réels empruntés à la vie locale, et au souci esthétique et religieux de montrer aux yeux l′éclat de la fête par la profusion des victuailles et l′empressement des serviteurs. Un d′entre eux au bout de la salle songeait, immobile près d′un dressoir; et pour demander à celui-là, qui seul paraissait assez calme pour me répondre, dans quelle pièce on avait préparé notre table, m′avançant entre les réchauds allumés çà et là afin d′empêcher que se refroidissent les plats des retardataires (ce qui n′empêchait pas qu′au centre de la salle les desserts étaient tenus par les mains d′un énorme bonhomme quelquefois supporté sur les ailes d′un canard en cristal, semblait-il, en réalité en glace, ciselée chaque jour au fer rouge, par un cuisinier sculpteur, dans un goût bien flamand), j′allai droit, au risque d′être renversé par les autres, vers ce serviteur dans lequel je crus reconnaître un personnage qui est de tradition dans ces sujets sacrés et dont il reproduisait scrupuleusement la figure camuse, naîµ¥ et mal dessinée, l′expression rêveuse, déjà à demi presciente du miracle d′une présence divine que les autres n′ont pas encore soupçonnée. Ajoutons qu′en raison sans doute des fêtes prochaines, à cette figuration fut ajouté un supplément céleste recruté tout entier dans un personnel de chérubins et de séraphins. Un jeune ange musicien, aux cheveux blonds encadrant une figure de quatorze ans, ne jouait à vrai dire d′aucun instrument, mais rêvassait devant un gong ou une pile d′assiettes, cependant que des anges moins enfantins s′empressaient à travers les espaces démesurés de la salle, en y agitant l′air du frémissement incessant des serviettes qui descendaient le long de leurs corps en formes d′ailes de primitifs, aux pointes aiguës. Fuyant ces régions mal définies, voilées d′un rideau de palmes, d′où les célestes serviteurs avaient l′air, de loin, de venir de l′empyrée, je me frayai un chemin jusqu′à la petite salle où était la table de Saint–Loup. J′y trouvai quelques-uns de ses amis qui dînaient toujours avec lui, nobles, sauf un ou deux roturiers, mais en qui les nobles avaient dès le collège flairé des amis et avec qui ils s′étaient liés volontiers, prouvant ainsi qu′ils n′étaient pas, en principe, hostiles aux bourgeois, fussent-ils républicains, pourvu qu′ils eussent les mains propres et allassent à la messe. Dès la première fois, avant qu′on se mît à table, j′entraînai Saint–Loup dans un coin de la salle à manger, et devant tous les autres, mais qui ne nous entendaient pas, je lui dis:
And sure enough at the hotel where I was to meet Saint-Loup and his friends and to which the fair now beginning had attracted a number of people from near and far, I found, as I hurried across the courtyard with its glimpses of glowing kitchens in which chickens were turning on spits, pigs were roasting, lobsters being flung, alive, into what the landlord called the ‘everlasting fire,′ an influx (worthy of some Numbering of the People Before Bethlehem such as the old Flemish masters used to paint) of new arrivals who assembled there in groups, asking the landlord or one of his staff (who, if he did not like the look of them, would recommend lodgings elsewhere in the town) whether they could have dinner and beds, while a scullion hurried past holding a struggling fowl by the neck. And similarly, in the big dining-room which I crossed the first day before coming to the smaller room in which my friend was waiting for me, it was of some feast in the Gospels portrayed with a mediaeval simplicity and an exaggeration typically Flemish that one was reminded by the quantity of fish, pullets, grouse, woodcock, pigeons, brought in dressed and garnished and piping hot by breathless waiters who slid over the polished floor to gain speed and set them down on the huge carving table where they were at once cut up but where — for most of the people had nearly finished dinner when I arrived — they accumulated untouched, as though their profusion and the haste of those who brought them in were due not so much to the requirements of the diners as to respect for the sacred text, scrupulously followed in the letter but quaintly illustrated by real details borrowed from local custom, and to an aesthetic and religious scruple for making evident to the eye the solemnity of the feast by the profusion of the victuals and the assiduity of the servers. One of these stood lost in thought at the far end of the room by a sideboard; and to find out from him, who alone appeared calm enough to be capable of answering me, in which room our table had been laid, making my way forward among the chafing-dishes that had been lighted here and there to keep the late comers′ plates from growing cold (which did not, however, prevent the dessert, in the centre of the room, from being piled on the outstretched hands of a huge mannikin, sometimes supported on the wings of a duck, apparently of crystal, but really of ice, carved afresh every day with a hot iron by a sculptor-cook, quite in the Flemish manner), I went straight — at the risk of being knocked down by his colleagues — towards this servitor, in whom I felt that I recognised a character who is traditionally present in all these sacred subjects, for he reproduced with scrupulous accuracy the blunt features, fatuous and ill-drawn, the musing expression, already half aware of the miracle of a divine presence which the others have not yet begun to suspect. I should add that, in view probably of the coming fair, this presentation was strengthened by a celestial contingent, recruited in mass, of cherubim and seraphim. A young angel musician, whose fair hair enclosed a fourteen-year-old face, was not, it was true, playing on any instrument, but stood musing before a gong or a pile of plates, while other less infantile angels flew swiftly across the boundless expanse of the room, beating the air with the ceaseless fluttering of the napkins which fell along the lines of their bodies like the wings in ‘primitive′ paintings, with pointed ends. Fleeing those ill-defined regions, screened by a hedge of palms through which the angelic servitors looked, from a distance, as though they had floated down out of the empyrean, I explored my way to the smaller room in which Saint-Loup′s table was laid. I found there several of his friends who dined with him regularly, nobles except for one or two commoners in whom the young nobles had, in their school days, detected likely friends, and with whom they readily associated, proving thereby that they were not on principle hostile to the middle class, even though it were Republican, provided it had clean hands and went to mass. On the first of these evenings, before we sat down to dinner, I drew Saint-Loup into a corner and, in front of all the rest but so that they should not hear me, said to him:
— Robert, le moment et l′endroit sont mal choisis pour vous dire cela, mais cela ne durera qu′une seconde. Toujours j′oublie de vous le demander au quartier; est-ce que ce n′est pas Mme de Guermantes dont vous avez la photographie sur la table?
“Robert, this is hardly the time or the place for what I am going to say, but I shan′t be a second. I keep on forgetting to ask you when I′m in the barracks; isn′t that Mme. de Guermantes′s photograph that you have on your table?”
— Mais si, c′est ma bonne tante.
“Why, yes; my good aunt.”
— Tiens, mais c′est vrai, je suis fou, je l′avais su autrefois, je n′y avais jamais songé; mon Dieu, vos amis doivent s′impatienter, parlons vite, ils nous regardent, ou bien une autre fois, cela n′a aucune importance.
“Of course she is; what a fool I am; you told me before that she was; I′d forgotten all about her being your aunt. I say, your friends will be getting impatient, we must be quick, they′re looking at us; another time will do; it isn′t at all important.”
— Mais si, marchez toujours, ils sont là pour attendre.
“That′s all right; go on as long as you like. They can wait.”
— Pas du tout, je tiens à être poli; ils sont si gentils; vous savez, du reste, je n′y tiens pas autrement.
“No, no; I do want to be polite to them; they′re so nice; besides, it doesn′t really matter in the least, I assure you.”
— Vous la connaissez, cette brave Oriane?
“Do you know that worthy Oriane, then?”
Cette «brave Oriane», comme il eût dit cette «bonne Oriane», ne signifiait pas que Saint–Loup considérât Mme de Guermantes comme particulièrement bonne. Dans ce cas, bonne, excellente, brave, sont de simples renforcements de «cette», désignant une personne qu′on connaît et dont on ne sait trop que dire avec quelqu′un qui n′est pas de votre intimité. «Bonne» sert de hors-d′oeuvre et permet d′attendre un instant qu′on ait trouvé: «Est-ce que vous la voyez souvent?» ou «Il y a des mois que je ne l′ai vue», ou «Je la vois mardi» ou «Elle ne doit plus être de la première jeunesse».
This ‘worthy Oriane,′ as he might have said, ‘that good Oriane,′ did not imply that Saint-Loup regarded Mme. de Guermantes as especially good. In this instance the words ‘good,′ ‘excellent,′ ‘worthy′ are mere reinforcements of the demonstrative ‘that,′ indicating a person who is known to both parties and of whom the speaker does not quite know what to say to someone outside the intimate circle. The word ‘good′ does duty as a stopgap and keeps the conversation going for a moment until the speaker has hit upon “Do you see much of her?” or “I haven′t set eyes on her for months,” or “I shall be seeing her on Tuesday,” or “She must be getting on, now, you know.”
— Je ne peux pas vous dire comme cela m′amuse que ce soit sa photographie, parce que nous habitons maintenant dans sa maison et j′ai appris sur elle des choses inou (j′aurais été bien embarrassé de dire lesquelles) qui font qu′elle m′intéresse beaucoup, à un point de vue littéraire, vous comprenez, comment dirai-je, à un point de vue balzacien, vous qui êtes tellement intelligent, vous comprenez cela à demi-mot; mais finissons vite, qu′est-ce que vos amis doivent penser de mon éducation!
“I can′t tell you how funny it is that it should be her photograph, because we′re living in her house now, in Paris, and I′ve been hearing the most astounding things” (I should have been hard put to it to say what) “about her, which have made me immensely interested in her, only from a literary point of view, don′t you know, from a — how shall I put it — from a Balzacian point of view; but you′re so clever you can see what I mean; I don′t need to explain things to you; but we must hurry up; what on earth will your friends think of my manners?”
— Mais ils ne pensent rien du tout; je leur ai dit que vous êtes sublime et ils sont beaucoup plus intimidés que vous.
“They will think absolutely nothing; I have told them that you are sublime, and they are a great deal more alarmed than you are.”
— Vous êtes trop gentil. Mais justement, voilà: Mme de Guermantes ne se doute pas que je vous connais, n′est-ce pas?
“You are too kind. But listen, what I want to say is this: I suppose Mme. de Guermantes hasn′t any idea that I know you, has she?”
— Je n′en sais rien; je ne l′ai pas vue depuis l′été dernier puisque je ne suis pas venu en permission depuis qu′elle est rentrée.
“I can′t say; I haven′t seen her since the summer, because I haven′t had any leave since she′s been in town.”
— C′est que je vais vous dire, on m′a assuré qu′elle me croit tout à fait idiot.
“What I was going to say is this: I′ve been told that she looks on me as an absolute idiot.”
— Cela, je ne le crois pas: Oriane n′est pas un aigle, mais elle n′est tout de même pas stupide.
“That I do not believe; Oriane is not exactly an eagle, but all the same she′s by no means stupid.”
— Vous savez que je ne tiens pas du tout en général à ce que vous publiez les bons sentiments que vous avez pour moi, car je n′ai pas d′amour-propre. Aussi je regrette que vous ayez dit des choses aimables sur mon compte à vos amis (que nous allons rejoindre dans deux secondes). Mais pour Mme de Guermantes, si vous pouviez lui faire savoir, même avec un peu d′exagération, ce que vous pensez de moi, vous me feriez un grand plaisir.
“You know that, as a rule, I don′t care about your advertising the good opinion you′re kind enough to hold of me; I′m not conceited. That′s why I′m sorry you should have said flattering things about me to your friends here (we will go back to them in two seconds). But Mme. de Guermantes is different; if you could let her know — if you would even exaggerate a trifle — what you think of me, you would give me great pleasure.”
— Mais très volontiers, si vous n′avez que cela à me demander, ce n′est pas trop difficile, mais quelle importance cela peut-il avoir ce qu′elle peut penser de vous? Je suppose que vous vous en moquez bien; en tout cas si ce n′est que cela, nous pourrons en parler devant tout le monde ou quand nous serons seuls, car j′ai peur que vous vous fatiguiez à parler debout et d′une façon si incommode, quand nous avons tant d′occasions d′être en tête à tête.
“Why, of course I will, if that′s all you want me to do; it′s not very difficult; but what difference can it possibly make to you what she thinks of you? I suppose you think her no end of a joke, really; anyhow, if that′s all you want we can discuss it in front of the others or when we are by ourselves; I′m afraid of your tiring yourself if you stand talking, and it′s so inconvenient too, when we have heaps of opportunities of being alone together.”
C′était bien justement cette incommodité qui m′avait donné le courage de parler à Robert; la présence des autres était pour moi un prétexte m′autorisant à donner à mes propos un tour bref et décousu, à la faveur duquel je pouvais plus aisément dissimuler le mensonge que je faisais en disant à mon ami que j′avais oublié sa parenté avec la duchesse et pour ne pas lui laisser le temps de me poser sur mes motifs de désirer que Mme de Guermantes me sût lié avec lui, intelligent, etc., des questions qui m′eussent d′autant plus troublé que je n′aurais pas pu y répondre.
It was precisely this inconvenience that had given me courage to approach Robert; the presence of the others was for me a pretext that justified my giving my remarks a curt and incoherent form, under cover of which I could more easily dissemble the falsehood of my saying to my friend that I had forgotten his connexion with the Duchess, and also did not give him time to frame — with regard to my reasons for wishing that Mme. de Guermantes should know that I was his friend, was clever, and so forth — questions which would have been all the more disturbing in that I should not have been able to answer them.
— Robert, pour vous si intelligent, cela m′étonne que vous ne compreniez pas qu′il ne faut pas discuter ce qui fait plaisir à ses amis mais le faire. Moi, si vous me demandiez n′importe quoi, et même je tiendrais beaucoup à ce que vous me demandiez quelque chose, je vous assure que je ne vous demanderais pas d′explications. Je vais plus loin que ce que je désire; je ne tiens pas à connaître Mme de Guermantes; mais j′aurais dû, pour vous éprouver, vous dire que je désirerais dîner avec Mme de Guermantes et je sais que vous ne l′auriez pas fait.
“Robert, I′m surprised that a man of your intelligence should fail to understand that one doesn′t discuss the things that will give one′s friends pleasure; one does them. Now I, if you were to ask me no matter what, and indeed I only wish you would ask me to do something for you, I can assure you I shouldn′t want any explanations. I may ask you for more than I really want; I have no desire to know Mme. de Guermantes, but just to test you I ought to have said that I was anxious to dine with Mme. de Guermantes; I am sure you would never have done it.”
— Non seulement je l′aurais fait, mais je le ferai.
“Not only should I have done it, I will do it.”
— Quand cela?
“When?”
— Dès que je viendrai à Paris, dans trois semaines, sans doute.
“Next time I′m in Paris, three weeks from now, I expect.”
— Nous verrons, d′ailleurs elle ne voudra pas. Je ne peux pas vous dire comme je vous remercie.
“We shall see; I dare say she won′t want to see me, though. I can′t tell you how grateful I am.”
— Mais non, ce n′est rien.
“Not at all; it′s nothing.”
— Ne me dites pas cela, c′est énorme, parce que maintenant je vois l′ami que vous êtes; que la chose que je vous demande soit importante ou non, désagréable ou non, que j′y tienne en réalité ou seulement pour vous éprouver, peu importe, vous dites que vous le ferez, et vous montrez par là la finesse de votre intelligence et de votre coeur. Un ami bête eût discuté.
“Don′t say that; it′s everything in the world, because now I can see what sort of friend you are; whether what I ask you to do is important or not, disagreeable or not, whether I am really keen about it or ask you only as a test, it makes no difference; you say you will do it, and there you shew the fmeness of your mind and heart. A stupid friend would have started a discussion.”
C′était justement ce qu′il venait de faire; mais peut-être je voulais le prendre par l′amour-propre; peut-être aussi j′étais sincère, la seule pierre de touche du mérite me semblant être l′utilité dont on pouvait être pour moi à l′égard de l′unique chose qui me semblât importante, mon amour. Puis j′ajoutai, soit par duplicité, soit par un surcroît véritable de tendresse produit par la reconnaissance, par l′intérêt et par tout ce que la nature avait mis des traits mêmes de Mme de Guermantes en son neveu Robert: — Mais voilà qu′il faut rejoindre les autres et je ne vous ai demandé que l′une des deux choses, la moins importante, l′autre l′est plus pour moi, mais je crains que vous ne me la refusiez; cela vous ennuierait-il que nous nous tutoyions?
Which was exactly what he had just been doing; but perhaps I wanted to flatter his self-esteem; perhaps also I was sincere, the sole touchstone of merit seeming to me to be the extent to which a friend could be useful in respect of the one thing that seemed to me to have any importance, namely my love. Then I went on, perhaps from cunning, possibly from a genuine increase of affection inspired by gratitude, expectancy, and the copy of Mme. de Guermantes′s very features which nature had made in producing her nephew Robert: “But, I say, we mustn′t keep them waiting any longer, and I′ve mentioned only one of the two things I wanted to ask you, the less important; the other is more important to me, but I′m afraid you will never consent. Would it bore you if we were to call each other tu?”
— Comment m′ennuyer, mais voyons! joie! pleurs de joie! félicité inconnue[/i.>!
“Bore me? My dear fellow! Joy! Tears of joy! Undreamed-of happiness!”
— Comme je vous remercie . . . te remercie. Quand vous aurez commencé! Cela me fait un tel plaisir que vous pouvez ne rien faire pour Mme de Guermantes si vous voulez, le tutoiement me suffit.
“Thank you — tu I mean; you begin first — ever so much. It is such a pleasure to me that you needn′t do anything about Mme. de Guermantes if you′d rather not, this is quite enough for me.”
— On fera les deux.
“I can do both.”
— Ah! Robert! Écoutez, dis-je encore à Saint–Loup pendant le dîner — oh! c′est d′un comique cette conversation à propos interrompus et du reste je ne sais pas pourquoi — vous savez la dame dont je viens de vous parler?
“I say, Robert! Listen to me a minute,” I said to him later while we were at dinner. “Oh, it′s really too absurd the way our conversation is always being interrupted, I can′t think why — you remember the lady I was speaking to you about just now.”
— Oui.
“Yes.”
— Vous savez bien qui je veux dire?
“You′re quite sure you know who′ I mean?”
— Mais voyons, vous me prenez pour un crétin du Valais, pour un demeuré[/i.>.
“Why, what do you take me for, a village idiot?”
— Vous ne voudriez pas me donner sa photographie?
“You wouldn′t care to give me her photograph, I suppose?”
Je comptais lui demander seulement de me la prêter. Mais au moment de parler, j′éprouvai de la timidité, je trouvai ma demande indiscrète et, pour ne pas le laisser voir, je la formulai plus brutalement et la grossis encore, comme si elle avait été toute naturelle.
I had meant to ask him only for the loan of it. But when the time came to speak I felt shy, I decided that the request was indiscreet, and in order to hide my confusion I put the question more bluntly, and increased my demand, as if it had been quite natural.
— Non, il faudrait que je lui demande la permission d′abord, me répondit-il.
“No; I should have to ask her permission first,” was his answer.
Aussitôt il rougit. Je compris qu′il avait une arrière-pensée, qu′il m′en prêtait une, qu′il ne servirait mon amour qu′à moitié, sous la réserve de certains principes de moralité, et je le détestai.
He blushed as he spoke. I could see that he had a reservation in his mind, that he credited me also with one, that he would give only a partial service to my love, under the restraint of certain moral principles, and for this I hated him.
Et pourtant j′étais touché de voir combien Saint–Loup se montrait autre à mon égard depuis que je n′étais plus seul avec lui et que ses amis étaient en tiers. Son amabilité plus grande m′eût laissé indifférent si j′avais cru qu′elle était voulue; mais je la sentais involontaire et faite seulement de tout ce qu′il devait dire à mon sujet quand j′étais absent et qu′il taisait quand j′étais seul avec lui. Dans nos tête-à-tête, certes, je soupçonnais le plaisir qu′il avait à causer avec moi, mais ce plaisir restait presque toujours inexprimé. Maintenant les mêmes propos de moi, qu′il goûtait d′habitude sans le marquer, il surveillait du coin de l′oeil s′ils produisaient chez ses amis l′effet sur lequel il avait compté et qui devait répondre à ce qu′il leur avait annoncé. La mère d′une débutante ne suspend pas davantage son attention aux répliques de sa fille et à l′attitude du public. Si j′avais dit un mot dont, devant moi seul, il n′eût que souri, il craignait qu′on ne l′eût pas bien compris, il me disait: «Comment, comment?» pour me faire répéter, pour faire faire attention, et aussitôt se tournant vers les autres et se faisant, sans le vouloir, en les regardant avec un bon rire, l′entraîneur de leur rire, il me présentait pour la première fois l′idée qu′il avait de moi et qu′il avait dû souvent leur exprimer. De sorte que je m′apercevais tout d′un coup moi-même du dehors, comme quelqu′un qui lit son nom dans le journal ou qui se voit dans une glace.
At the same time I was touched to see how differently Saint-Loup behaved towards me now that I was no longer alone with him, and that his friends formed an audience. His increased affability would have left me cold had I thought that it was deliberately assumed; but I could feel that it was spontaneous and consisted only of all that he had to say about me in my absence and refrained as a rule from saying when we were together by ourselves. In our private conversations I might certainly suspect the pleasure that he found in talking to me, but that pleasure he almost always left unexpressed. Now, at the same remarks from me which, as a rule, he enjoyed without shewing it, he watched from the corner of his eye to see whether they produced on his friends the effect on which he had counted, an effect corresponding to what he had promised them beforehand. The mother of a girl in her first season could be no more unrelaxing in her attention to her daughter′s responses and to the attitude of the public. If I had made some remark at which, alone in my company, he would merely have smiled, he was afraid that the others might not have seen the point, and put in a “What′s that?” to make me repeat what I had said, to attract attention, and turning at once to his friends and making himself automatically, by facing them with a hearty laugh, the fugleman of their laughter, presented me for the first time with the opinion that he actually held of me and must often have expressed to them. So that I caught sight of myself suddenly from without, like a person who reads his name in a newspaper or sees himself in a mirror.
Il m′arriva un de ces soirs-là de vouloir raconter une histoire assez comique sur Mme Blandais, mais je m′arrêtai immédiatement car je me rappelai que Saint–Loup la connaissait déjà et qu′ayant voulu la lui dire le lendemain de mon arrivée, il m′avait interrompu en me disant: «Vous me l′avez déjà racontée à Balbec.» Je fus donc surpris de le voir m′exhorter à continuer en m′assurant qu′il ne connaissait pas cette histoire et qu′elle l′amuserait beaucoup. Je lui dis: «Vous avez un moment d′oubli, mais vous allez bientôt la reconnaître. — Mais non, je te jure que tu confonds. Jamais tu ne me l′as dite. Va.» Et pendant toute l′histoire il attachait fiévreusement ses regards ravis tantôt sur moi, tantôt sur ses camarades. Je compris seulement quand j′eus fini au milieu des rires de tous qu′il avait songé qu′elle donnerait une haute idée de mon esprit à ses camarades et que c′était pour cela qu′il avait feint de ne pas la connaître. Telle est l′amitié.
It occurred to me, one of these evenings, to tell a mildly amusing story about Mme. Blandais, but I stopped at once, remembering that Saint-Loup knew it already, and that when I had tried to tell him it on the day following my arrival he had interrupted me with: “You told me that before, at Balbec.” I was surprised, therefore, to find him begging me to go on and assuring me that he did not know the story, and that it would amuse him immensely. “You′ve forgotten it for the moment,” I said to him, “but you′ll remember as I go on.” “No, really; I swear you′re mistaken. You′ve never told me. Do go on.” And throughout the story he fixed a feverish and enraptured gaze alternately on myself and on his friends. I realised only after I had finished, amid general laughter, that it had struck him that this story would give his friends a good idea of my wit, and that it was for this reason that he had pretended not to know it. Such is the stuff of friendship.
Le troisième soir, un de ses amis auquel je n′avais pas eu l′occasion de parler les deux premières fois, causa très longuement avec moi; et je l′entendais qui disait à mi-voix à Saint–Loup le plaisir qu′il y trouvait. Et de fait nous causâmes presque toute la soirée ensemble devant nos verres de sauternes que nous ne vidions pas, séparés, protégés des autres par les voiles magnifiques d′une de ces sympathies entre hommes qui, lorsqu′elles n′ont pas d′attrait physique à leur base, sont les seules qui soient tout à fait mystérieuses. Tel, de nature énigmatique, m′était apparu à Balbec ce sentiment que Saint–Loup ressentait pour moi, qui ne se confondait pas avec l′intérêt de nos conversations, détaché de tout lien matériel, invisible, intangible et dont pourtant il éprouvait la présence en lui-même comme une sorte de phlogistique, de gaz, assez pour en parler en souriant. Et peut-être y avait-il quelque chose de plus surprenant encore dans cette sympathie née ici en une seule soirée, comme une fleur qui se serait ouverte en quelques minutes, dans la chaleur de cette petite pièce. Je ne pus me tenir de demander à Robert, comme il me parlait de Balbec, s′il était vraiment décidé qu′il épousât Mlle d′Ambresac. Il me déclara que non seulement ce n′était pas décidé, mais qu′il n′en avait jamais été question, qu′il ne l′avait jamais vue, qu′il ne savait pas qui c′était. Si j′avais vu à ce moment-là quelques-unes des personnes du monde qui avaient annoncé ce mariage, elles m′eussent fait part de celui de Mlle d′Ambresac avec quelqu′un qui n′était pas Saint–Loup et de celui de Saint–Loup avec quelqu′un qui n′était pas Mlle d′Ambresac. Je les eusse beaucoup étonnées en leur rappelant leurs prédictions contraires et encore si récentes. Pour que ce petit jeu puisse continuer et multiplier les fausses nouvelles en en accumulant successivement sur chaque nom le plus grand nombre possible, la nature a donné à ce genre de joueurs une mémoire d′autant plus courte que leur crédulité est plus grande.
On the third evening, one of his friends, to whom I had not had an opportunity before of speaking, conversed with me at great length; and I overheard him telling Saint-Loup how much he had been enjoying himself. And indeed we sat talking together almost all evening, leaving our glasses of sauterne untouched on the table before us, isolated, sheltered from the others by the sumptuous curtains of one of those intuitive sympathies between man and man which, when they are not based upon any physical attraction, are the only kind that is altogether mysterious. Of such an enigmatic nature had seemed to me, at Balbec, that feeling which Saint-Loup had for me, which was not to be confused with the interest of our conversations, a feeling free from any material association, invisible, intangible, and yet a thing of the presence of which in himself, like a sort of inflammatory gas, he had been so far conscious as to refer to it with a smile. And yet there was perhaps something more surprising still in this sympathy born here in a single evening, like a flower that had budded and opened in a few minutes in the warmth of this little room. I could not help asking Robert when he spoke to me about Balbec whether it were really settled that he was to marry Mlle. d′Ambresac. He assured me that not only was it not settled, but there had never been any thought of such a match, he had never seen her, he did not know who she was. If at that moment I had happened to see any of the social gossipers who had told me of this coming event, they would promptly have announced the betrothal of Mlle. d′Ambresac to some one who was not Saint-Loup and that of Saint-Loup to some one who was not Mlle. d′Ambresac. I should have surprised them greatly had I reminded them of their incompatible and still so recent predictions. In order that this little game may continue, and multiply false reports by attaching the greatest possible number to every name in turn, nature has furnished those who play it with a memory as short as their credulity is long.
Saint–Loup m′avait parlé d′un autre de ses camarades qui était là aussi, avec qui il s′entendait particulièrement bien, car ils étaient dans ce milieu les deux seuls partisans de la révision du procès Dreyfus.
Saint-Loup had spoken to me of another of his friends who was present also one with whom he was on particularly good terms just then, since they were the only two advocates in their mess of the retrial of Dreyfus.
De même qu′un frère de cet ami de Saint–Loup, élève à la Schola Cantorum, pensait sur toute nouvelle oeuvre musicale nullement comme son père, sa mère, ses cousins, ses camarades de club, mais exactement comme tous les autres élèves de la Schola, de même ce sous-officier noble (dont Bloch se fit une idée extraordinaire quand je lui en parlai, parce que, touché d′apprendre qu′il était du même parti que lui, il l′imaginait cependant, à cause de ses origines aristocratiques et de son éducation religieuse et militaire, on ne peut plus différent, paré du même charme qu′un natif d′une contrée lointaine) avait une «mentalité», comme on commençait à dire, analogue à celle de tous les dreyfusards en général et de Bloch en particulier, et sur laquelle ne pouvaient avoir aucune espèce de prise les traditions de sa famille et les intérêts de sa carrière. C′est ainsi qu′un cousin de Saint–Loup avait épousé une jeune princesse d′Orient qui, disait-on, faisait des vers aussi beaux que ceux de Victor Hugo ou d′Alfred de Vigny et à qui, malgré cela, on supposait un esprit autre que ce qu′on pouvait concevoir, un esprit de princesse d′Orient recluse dans un palais des Mille et une Nuits[/i.>. Aux écrivains qui eurent le privilège de l′approcher fut réservée la déception, ou plutôt la joie, d′entendre une conversation qui donnait l′idée non de Schéhérazade, mais d′un être de génie du genre d′Alfred de Vigny ou de Victor Hugo.
Just as a brother of this friend of Saint-Loup, who had been trained at the Schola Cantorum, thought about every new musical work not at all what his father, his mother, his cousins, his club friends thought, but exactly what the other students thought at the Schola, so this non-commissioned nobleman (of whom Bloch formed an extraordinary opinion when I told him about him, because, touched to hear that he belonged to the same party as himself, he nevertheless imagined him on account of his aristocratic birth and religious and military upbringing to be as different as possible, endowed with the same romantic attraction as a native of a distant country) had a ‘mentality,′ as people were now beginning to say, analogous to that of the whole body of Dreyfusards in general and of Bloch in particular, on which the traditions of his family and the interests of his career could retain no hold whatever. Similarly one of Saint-Loup′s cousins had married a young Eastern princess who was said to write poetry quite as fine as Victor Hugo′s or Alfred de Vigny′s, and in spite of this was supposed to have a different type of mind from what one would naturally expect, the mind of an Eastern princess immured in an Arabian Nights palace. For the writers who had the privilege of meeting her was reserved the disappointment or rather the joy of listening to conversation which gave the impression not of Scheherazade but of a person of genius of the type of Alfred de Vigny or Victor Hugo.
— Oh! lui, ce n′est pas comme Saint–Loup, c′est un énergumène, me dit mon nouvel ami; il n′est même pas de bonne foi. Au début, il disait: «Il n′y a qu′à attendre, il y a là un homme que je connais bien, plein de finesse, de bonté, le général de Boisdeffre; on pourra, sans hésiter, accepter son avis.» Mais quand il a su que Boisdeffre proclamait la culpabilité de Dreyfus, Boisdeffre ne valait plus rien; le cléricalisme, les préjugés de l′état-major l′empêchaient de juger sincèrement, quoique personne ne soit, ou du moins ne fût aussi clérical, avant son Dreyfus, que notre ami. Alors il nous a dit qu′en tout cas on saurait la vérité, car l′affaire allait être entre les mains de Saussier, et que celui-là, soldat républicain (notre ami est d′une famille ultra-monarchiste), était un homme de bronze, une conscience inflexible. Mais quand Saussier a proclamé l′innocence d′Esterhazy, il a trouvé à ce verdict des explications nouvelles, défavorables non à Dreyfus, mais au général Saussier. C′était l′esprit militariste qui aveuglait Saussier (et remarquez que lui est aussi militariste que clérical, ou du moins qu′il l′était, car je ne sais plus que penser de lui). Sa famille est désolée de le voir dans ces idées-là.
“That fellow? Oh, he′s not like Saint-Loup, he′s a regular devil,” my new friend informed me; “he′s not even straight about it. At first, he used to say: ‘Just wait a little, there′s a man I know well, a clever, kind-hearted fellow, General de Boisdeffre; you need have no hesitation in accepting his decision.′ But as soon as he heard that Boisdeffre had pronounced Dreyfus guilty, Boisdeffre ceased to count: clericalism, staff prejudices, prevented his forming a candid opinion, although there is no one in the world (or was, rather, before this Dreyfus business) half so clerical as our friend. Next he told us that now we were sure to get the truth, the case had been put in the hands of Saussier, and he, a soldier of the Republic (our friend coming of an ultra-monarchist family, if you please), was a man of bronze, a stern unyielding conscience. But when Saussier pronounced Esterhazy innocent, he found fresh reasons to account for the decision, reasons damaging not to Dreyfus but to General Saussier. It was the militarist spirit that blinded Saussier (and I must explain to you that our friend is just as much militarist as clerical, or at least he was; I don′t know what to think of him now). His family are all brokenhearted at seeing him possessed by such ideas.”
— Voyez-vous, dis-je et en me tournant à demi vers Saint–Loup, pour ne pas avoir l′air de m′isoler, ainsi que vers son camarade, et pour le faire participer à la conversation, c′est que l′influence qu′on prête au milieu est surtout vraie du milieu intellectuel. On est l′homme de son idée; il y a beaucoup moins d′idées que d′hommes, ainsi tous les hommes d′une même idée sont pareils. Comme une idée n′a rien de matériel, les hommes qui ne sont que matériellement autour de l′homme d′une idée ne la modifient en rien.
“Don′t you think,” I suggested, turning half towards Saint-Loup so as not to appear to be cutting myself off from him, as well as towards his friend, and so that we might all three join in the conversation, “that the influence we ascribe to environment is particularly true of intellectual environment. One is the man of one′s idea. There are far fewer ideas than men, therefore all men with similar ideas are alike. As there is nothing material in an idea, so the people who are only materially neighbours of the man with an idea can do nothing to alter it.”
A ce moment je fus interrompu par Saint–Loup parce qu′un des jeunes militaires venait en souriant de me désigner à lui en disant: «Duroc, tout à fait Duroc.» Je ne savais pas ce que ça voulait dire, mais je sentais que l′expression du visage intimidé était plus que bienveillante. Quand je parlais, l′approbation des autres semblait encore de trop à Saint–Loup, il exigeait le silence. Et comme un chef d′orchestre interrompt ses musiciens en frappant avec son archet parce que quelqu′un a fait du bruit, il réprimanda le perturbateur: «Gibergue, dit-il, il faut vous taire quand on parle. Vous direz ça après. Allez, continuez», me dit-il.
Je respirai, car j′avais craint qu′il ne me fît tout recommencer. — Et comme une idée, continuai-je, est quelque chose qui ne peut participer aux intérêts humains et ne pourrait jouir de leurs avantages, les hommes d′une idée ne sont pas influencés par l′intérêt. — Dites donc, ça vous en bouche un coin, mes enfants, s′exclama après que j′eus fini de parler Saint–Loup, qui m′avait suivi des yeux avec la même sollicitude anxieuse que si j′avais marché sur la corde raide. Qu′est-ce que vous vouliez dire, Gibergue? — Je disais que monsieur me rappelait beaucoup le commandant Duroc. Je croyais l′entendre. — Mais j′y ai pensé bien souvent, répondit Saint–Loup, il y a bien des rapports, mais vous verrez que celui-ci a mille choses que n′a pas Duroc.
At this point I was interrupted by Saint-Loup, because another of the young men had leaned across to him with a smile and, pointing to me, exclaimed: “Duroc! Duroc all over!” I had no idea what this might mean, but I felt the expression on the shy young face to be more than friendly. While I was speaking, the approbation of the party seemed to Saint-Loup superfluous; he insisted on silence. And just as a conductor stops his orchestra with a rap from his baton because some one in the audience has made a noise, so he rebuked the author of this disturbance: “Gibergue, you must keep your mouth shut when people are speaking. You can tell us about it afterwards.” And to me: “Please go on.” I gave a sigh of relief, for I had been afraid that he was going to make me begin all over again. “And as an idea,” I went on, “is a thing that cannot participate in human interests and would be incapable of deriving any benefit from them, the men who are governed by an idea are not influenced by material considerations.” When I had finished, “That′s one in the eye for you, my boys,” exclaimed Saint-Loup, who had been following me with his gaze with the same anxious solicitude as if I had been walking upon a tight-rope. “What were you going to say, Gibergue?” “I was just saying that your friend reminded me of Major Duroc. I seemed to hear him speaking.” “Why, I′ve often thought so myself,” replied Saint-Loup; “they have several points in common, but you′ll find there are a thousand things in this fellow that Duroc hasn′t got.”
Saint–Loup ne se contenta pas de ce rapprochement. Dans un délire de joie que redoublait sans doute celle qu′il avait à me faire briller devant ses amis, avec une volubilité extrême il me répétait en me bouchonnant comme un cheval arrivé le premier au poteau: «Tu es l′homme le plus intelligent que je connaisse, tu sais.» Il se reprit et ajouta: «avec Elstir. — Cela ne te fâche pas, n′est-ce pas? tu comprends, scrupule. Comparaison: je te le dis comme on aurait dit à Balzac: Vous êtes le plus grand romancier du siècle, avec Stendhal. Excès de scrupule, tu comprends, au fond immense admiration. Non? tu ne marches pas pour Stendhal?» ajoutait-il avec une confiance naîµ¥ dans mon jugement, qui se traduisait par une charmante interrogation souriante, presque enfantine, de ses yeux verts. «Ah! bien, je vois que tu es de mon avis, Bloch déteste Stendhal, je trouve cela idiot de sa part. La Chartreuse, c′est tout de même quelque chose d′énorme! Je suis content que tu sois de mon avis. Qu′est-ce que tu aimes le mieux dans La Chartreuse[/i.>? réponds, me disait-il avec une impétuosité juvénile (et sa force physique, menaçante, donnait presque quelque chose d′effrayant à sa question), Mosca? Fabrice?» Je répondais timidement que Mosca avait quelque chose de M. de Norpois. Sur quoi tempête de rire du jeune Siegfried–Saint-Loup. Je n′avais pas fini d′ajouter: «Mais Mosca est bien plus intelligent, moins pédantesque» que j′entendis Robert crier bravo en battant effectivement des mains, en riant à s′étouffer, et en criant: «D′une justesse! Excellent! Tu es inouí¬¦#187;
Saint-Loup was not satisfied with this comparison. In an ecstasy of joy, into which there no doubt entered the joy that he felt in making me shine before his friends, with extreme volubility, stroking me as though he were rubbing down a horse that had just come first past the post, he reiterated: “You′re the cleverest man I know, do you hear?” He corrected himself, and added: “You and Elstir. — You don′t mind my bracketing him with you, I hope. You understand — punctiliousness. It′s like this: I say it to you as one might have said to Balzac: ‘You are the greatest novelist of the century — you and Stendhal.′ Excessive punctiliousness, don′t you know, and at heart an immense admiration. No? You don′t admit Stendhal?” he went on, with an ingenuous confidence in my judgment which found expression in a charming, smiling, almost childish glance of interrogation from his green eyes. “Oh, good! I see you′re on my side; Bloch can′t stand Stendhal. I think it′s idiotic of him. The Chartreuse is after all an immense work, don′t you think? I am so glad you agree with me. What is it you like best in the Chartreuse, answer me?” he appealed to me with a boyish impetuosity. And the menace of his physical strength made the question almost terrifying. “Mosca? Fabrice?” I answered timidly that Mosca reminded me a little of M. de Norpois. Whereupon peals of laughter from the young Siegfried Saint-Loup. And while I was going on to explain: “But Mosca is far more intelligent, not so pedantic,” I heard Robert cry: “Bravo!” actually clapping his hands, and, helpless with laughter, gasp: “Oh, perfect! Admirable! You really are astounding.”
Je me plaisais surtout à causer avec ce jeune homme, comme avec les autres amis de Robert du reste, et avec Robert lui-même, du quartier, des officiers de la garnison, de l′armée en général. Grâce à cette échelle immensément agrandie à laquelle nous voyons les choses, si petites qu′elles soient, au milieu desquelles nous mangeons, nous causons, nous menons notre vie réelle, grâce à cette formidable majoration qu′elles subissent et qui fait que le reste, absent du monde, ne peut lutter avec elles et prend, à côté, l′inconsistance d′un songe, j′avais commencé à m′intéresser aux diverses personnalités du quartier, aux officiers que j′apercevais dans la cour quand j′allais voir Saint–Loup ou, si j′étais réveillé, quand le régiment passait sous mes fenêtres. J′aurais voulu avoir des détails sur le commandant qu′admirait tant Saint–Loup et sur le cours d′histoire militaire qui m′aurait ravi «même esthétiquement». Je savais que chez Robert un certain verbalisme était trop souvent un peu creux, mais d′autres fois signifiait l′assimilation d′idées profondes qu′il était fort capable de comprendre. Malheureusement, au point de vue armée, Robert était surtout préoccupé en ce moment de l′affaire Dreyfus. Il en parlait peu parce que seul de sa table il était dreyfusard; les autres étaient violemment hostiles à la révision, excepté mon voisin de table, mon nouvel ami, dont les opinions paraissaient assez flottantes. Admirateur convaincu du colonel, qui passait pour un officier remarquable et qui avait flétri l′agitation contre l′armée en divers ordres du jour qui le faisaient passer pour antidreyfusard, mon voisin avait appris que son chef avait laissé échapper quelques assertions qui avaient donné à croire qu′il avait des doutes sur la culpabilité de Dreyfus et gardait son estime à Picquart. Sur ce dernier point, en tout cas, le bruit de dreyfusisme relatif du colonel était mal fondé, comme tous les bruits venus on ne sait d′où qui se produisent autour de toute grande affaire. Car, peu après, ce colonel, ayant été chargé d′interroger l′ancien chef du bureau des renseignements, le traita avec une brutalité et un mépris qui n′avaient encore jamais été égalés. Quoi qu′il en fût et bien qu′il ne se fût pas permis de se renseigner directement auprès du colonel, mon voisin avait fait à Saint–Loup la politesse de lui dire — du ton dont une dame catholique annonce à une dame juive que son curé blâme les massacres de juifs en Russie et admire la générosité de certains Israélites — que le colonel n′était pas pour le dreyfusisme — pour un certain dreyfusisme au moins — l′adversaire fanatique, étroit, qu′on avait représenté.
I took a particular pleasure in talking to this young man, as for that matter to all Robert′s friends and to Robert himself, about their barracks, the officers of the garrison, and the army in general. Thanks to the immensely enlarged scale on which we see the things, however petty they may be, in the midst of which we eat, and talk, and lead our real life; thanks to that formidable enlargement which they undergo, and the effect of which is that the rest of the world, not being present, cannot compete with them, and assumes in comparison the unsubstantiality of a dream, I had begun to take an interest in the various personalities of the barracks, in the officers whom I saw in the square when I went to visit Saint-Loup, or, if I was awake then, when the regiment passed beneath my windows. I should have liked to know more about the major whom Saint-Loup so greatly admired, and about the course of military history which would have appealed to me “even from an aesthetic point of view.” I knew that with Robert the spoken word was, only too often, a trifle hollow, but at other times implied the assimilation of valuable ideas which he was fully capable of grasping. Unfortunately, from the military point of view Robert was exclusively preoccupied at this time with the case of Dreyfus. He spoke little about it, since he alone of the party at table was a Dreyfusard; the others were violently opposed to the idea of a fresh trial, except my other neighbour, my new friend, and his opinions appeared to be somewhat vague. A firm admirer of the colonel, who was regarded as an exceptionally competent officer and had denounced the current agitation against the Army in several of his regimental orders, which won him the reputation of being an anti-Dreyfusard, my neighbour had heard that his commanding officer had let fall certain remarks which had led to the supposition that he had his doubts as to the guilt of Dreyfus and retained his admiration for Picquart. In the latter respect, at any rate, the rumour of Dreyfusism as applied to the colonel was as ill-founded as are all the rumours, springing from none knows where, which float around any great scandal. For, shortly afterwards, this colonel having been detailed to interrogate the former Chief of the Intelligence Branch, had treated him with a brutality and contempt the like of which had never been known before. However this might be (and naturally he had not taken the liberty of going direct to the colonel for his information), my neighbour had paid Saint-Loup the compliment of telling him — in the tone in which a Catholic lady might tell a Jewish lady that her parish priest denounced the pogroms in Russia and might openly admire the generosity of certain Israelites — that their colonel was not, with regard to Dreyfusism — to a certain kind of Dreyfusism, at least — the fanatical, narrow opponent that he had been made out to be.
— Cela ne m′étonne pas, dit Saint–Loup, car c′est un homme intelligent. Mais, malgré tout, les préjugés de naissance et surtout le cléricalisme l′aveuglent. Ah! me dit-il, le commandant Duroc, le professeur d′histoire militaire dont je t′ai parlé, en voilà un qui, paraît-il, marche à fond dans nos idées. Du reste, le contraire m′eût étonné, parce qu′il est non seulement sublime d′intelligence, mais radical-socialiste et franc-maçon.
“I am not surprised,” was Saint-Loup′s comment; “for he′s a sensible man. But in spite of that he is blinded by the prejudices of his caste, and above all by his clericalism. Now,” he turned to me, “Major Duroc, the lecturer on military history I was telling you about; there′s a man who is whole-heartedly in support of our views, or so I′m told. And I should have been surprised to hear that he wasn′t, for he′s not only a brilliantly clever man, but a Radical-Socialist and a freemason.”
Autant par politesse pour ses amis à qui les professions de foi dreyfusardes de Saint–Loup étaient pénibles que parce que le reste m′intéressait davantage, je demandai à mon voisin si c′était exact que ce commandant fît, de l′histoire militaire, une démonstration d′une véritable beauté esthétique.
Partly out of courtesy to his friends, whom these expressions of Saint-Loup′s faith in Dreyfus made uncomfortable, and also because the subject was of more interest to myself, I asked my neighbour if it were true that this major gave a demonstration of military history which had a genuine aesthetic beauty.
— C′est absolument vrai.
“It is absolutely true.”
— Mais qu′entendez-vous par là?
“But what do you mean by that?”
— Eh bien! par exemple, tout ce que vous lisez, je suppose, dans le récit d′un narrateur militaire, les plus petits faits, les plus petits événements, ne sont que les signes d′une idée qu′il faut dégager et qui souvent en recouvre d′autres, comme dans un palimpseste. De sorte que vous avez un ensemble aussi intellectuel que n′importe quelle science ou n′importe quel art, et qui est satisfaisant pour l′esprit.
“Well, all that you read, let us say, in the narrative of a military historian, the smallest facts, the most trivial happenings, are only the outward signs of an idea which has to be analysed, and which often brings to light other ideas, like a palimpsest. So that you have a field for study as intellectual as any science you care to name, or any art, and one that is satisfying to the mind.”
— Exemples, si je n′abuse pas.
“Give me an example or two, if you don′t mind.”
— C′est difficile à te dire comme cela, interrompit Saint–Loup. Tu lis par exemple que tel corps a tenté . . . Avant même d′aller plus loin, le nom du corps, sa composition, ne sont pas sans signification. Si ce n′est pas la première fois que l′opération est essayée, et si pour la même opération nous voyons apparaître un autre corps, ce peut être le signe que les précédents ont été anéantis ou fort endommagés par ladite opération, qu′ils ne sont plus en état de la mener à bien. Or, il faut s′enquérir quel était ce corps aujourd′hui anéanti; si c′étaient des troupes de choc, mises en réserve pour de puissants assauts: un nouveau corps de moindre qualité a peu de chance de réussir là où elles ont échoué. De plus, si ce n′est pas au début d′une campagne, ce nouveau corps lui-même peut être composé de bric et de broc, ce qui, sur les forces dont dispose encore le belligérant, sur la proximité du moment où elles seront inférieures à celles de l′adversaire, peut fournir des indications qui donneront à l′opération elle-même que ce corps va tenter une signification différente, parce que, s′il n′est plus en état de réparer ses pertes, ses succès eux-mêmes ne feront que l′acheminer, arithmétiquement, vers l′anéantissement final. D′ailleurs, le numéro désignatif du corps qui lui est opposé n′a pas moins de signification. Si, par exemple, c′est une unité beaucoup plus faible et qui a déjà consommé plusieurs unités importantes de l′adversaire, l′opération elle-même change de caractère car, dût-elle se terminer par la perte de la position que tenait le défenseur, l′avoir tenue quelque temps peut être un grand succès, si avec de très petites forces cela a suffi à en détruire de très importantes chez l′adversaire. Tu peux comprendre que si, dans l′analyse des corps engagés, on trouve ainsi des choses importantes, l′étude de la position elle-même, des routes, des voies ferrées qu′elle commande, des ravitaillements qu′elle protège est de plus grande conséquence. Il faut étudier ce que j′appellerai tout le contexte géographique, ajouta-t-il en riant. (Et en effet, il fut si content de cette expression, que, dans la suite, chaque fois qu′il l′employa, même des mois après, il eut toujours le même rire.) Pendant que l′opération est préparée par l′un des belligérants, si tu lis qu′une de ses patrouilles est anéantie dans les environs de la position par l′autre belligérant, une des conclusions que tu peux tirer est que le premier cherchait à se rendre compte des travaux défensifs par lesquels le deuxième a l′intention de faire échec à son attaque. Une action particulièrement violente sur un point peut signifier le désir de le conquérir, mais aussi le désir de retenir là l′adversaire, de ne pas lui répondre là où il a attaqué, ou même n′être qu′une feinte et cacher, par ce redoublement de violence, des prélèvements de troupes à cet endroit. (C′est une feinte classique dans les guerres de Napoléon.) D′autre part, pour comprendre la signification d′une manoeuvre, son but probable et, par conséquent, de quelles autres elle sera accompagnée ou suivie, il n′est pas indifférent de consulter beaucoup moins ce qu′en annonce le commandement et qui peut être destiné à tromper l′adversaire, à masquer un échec possible, que les règlements militaires du pays. Il est toujours à supposer que la manoeuvre qu′a voulu tenter une armée est celle que prescrivait le règlement en vigueur dans les circonstances analogues. Si, par exemple, le règlement prescrit d′accompagner une attaque de front par une attaque de flanc, si, cette seconde attaque ayant échoué, le commandement prétend qu′elle était sans lien avec la première et n′était qu′une diversion, il y a chance pour que la vérité doive être cherchée dans le règlement et non dans les dires du commandement. Et il n′y a pas que les règlements de chaque armée, mais leurs traditions, leurs habitudes, leurs doctrines. L′étude de l′action diplomatique toujours en perpétuel état d′action ou de réaction sur l′action militaire ne doit pas être négligée non plus. Des incidents en apparence insignifiants, mal compris à l′époque, t′expliqueront que l′ennemi, comptant sur une aide dont ces incidents trahissent qu′il a été privé, n′a exécuté en réalité qu′une partie de son action stratégique. De sorte que, si tu sais lire l′histoire militaire, ce qui est récit confus pour le commun des lecteurs est pour toi un enchaînement aussi rationnel qu′un tableau pour l′amateur qui sait regarder ce que le personnage porte sur lui, tient dans les mains, tandis que le visiteur ahuri des musées se laisse étourdir et migrainer par de vagues couleurs. Mais, comme pour certains tableaux où il ne suffit pas de remarquer que le personnage tient un calice, mais où il faut savoir pourquoi le peintre lui a mis dans les mains un calice, ce qu′il symbolise par là, ces opérations militaires, en dehors même de leur but immédiat, sont habituellement, dans l′esprit du général qui dirige la campagne, calquées sur des batailles plus anciennes qui sont, si tu veux, comme le passé, comme la bibliothèque, comme l′érudition, comme l′étymologie, comme l′aristocratie des batailles nouvelles. Remarque que je ne parle pas en ce moment de l′identité locale, comment dirais-je, spatiale des batailles. Elle existe aussi. Un champ de bataille n′a pas été ou ne sera pas à travers les siècles que le champ d′une seule bataille. S′il a été champ de bataille, c′est qu′il réunissait certaines conditions de situation géographique, de nature géologique, de défauts même propres à gêner l′adversaire (un fleuve, par exemple, le coupant en deux) qui en ont fait un bon champ de bataille. Donc il l′a été, il le sera. On ne fait pas un atelier de peinture avec n′importe quelle chambre, on ne fait pas un champ de bataille avec n′importe quel endroit. Il y a des lieux prédestinés. Mais encore une fois, ce n′est pas de cela que je parlais, mais du type de bataille qu′on imite, d′une espèce de décalque stratégique, de pastiche tactique, si tu veux: la bataille d′Ulm, de Lodi, de Leipzig, de Cannes. Je ne sais s′il y aura encore des guerres ni entre quels peuples; mais s′il y en a, sois sûr qu′il y aura (et sciemment de la part du chef) un Cannes, un Austerlitz, un Rosbach, un Waterloo, sans parler des autres, quelques-uns ne se gênent pas pour le dire. Le maréchal von Schieffer et le général de Falkenhausen ont d′avance préparé contre la France une bataille de Cannes, genre Annibal, avec fixation de l′adversaire sur tout le front et avance par les deux ailes, surtout par la droite en Belgique, tandis que Bernhardi préfère l′ordre oblique de Frédéric le Grand, Leuthen plutôt que Cannes. D′autres exposent moins crûment leurs vues, mais je te garantis bien, mon vieux, que Beauconseil, ce chef d′escadron à qui je t′ai présenté l′autre jour et qui est un officier du plus grand avenir, a potassé sa petite attaque du Pratzen, la connaît dans les coins, la tient en réserve et que si jamais il a l′occasion de l′exécuter, il ne ratera pas le coup et nous la servira dans les grandes largeurs. L′enfoncement du centre à Rivoli, va, ça se refera s′il y a encore des guerres. Ce n′est pas plus périmé que l′Iliade[/i.>. J′ajoute qu′on est presque condamné aux attaques frontales parce qu′on ne veut pas retomber dans l′erreur de 70, mais faire de l′offensive, rien que de l′offensive. La seule chose qui me trouble est que, si je ne vois que des esprits retardataires s′opposer à cette magnifique doctrine, pourtant un de mes plus jeunes maîtres, qui est un homme de génie, Mangin, voudrait qu′on laisse sa place, place provisoire, naturellement, à la défensive. On est bien embarrassé de lui répondre quand il cite comme exemple Austerlitz où la défense n′est que le prélude de l′attaque et de la victoire.
“It is not very easy to explain,” Saint-Loup broke in. “You read, let us say, that this or that Corps has tried . . . but before we go any further, the serial number of the Corps, its order of battle are not without their significance. If it is not the first time that the operation has been attempted, and if for the same operation we find a different Corps being brought up, it is perhaps a sign that the previous Corps have been wiped out or have suffered heavy casualties in the said operation; that they are no longer in a fit state to carry it through successfully. Next, we must ask ourselves what was this Corps which is now out of action; if it was composed of shock troops, held in reserve for big attacks, a fresh Corps of inferior quality will have little chance of succeeding where the first has failed. Furthermore, if we are not at the start of a campaign, this fresh Corps may itself be a composite formation of odds and ends withdrawn from other Corps, which throws a light on the strength of the forces the belligerent still has at his disposal and the proximity of the moment when his forces shall be definitely inferior to the enemy′s, which gives to the operation on which this Corps is about to engage a different meaning, because, if it is no longer in a condition to make good its losses, its successes even will only help mathematically to bring it nearer to its ultimate destruction. And then, the serial number of the Corps that it has facing it is of no less significance. If, for instance, it is a much weaker unit, which has already accounted for several important units of the attacking force, the whole nature of the operation is changed, since, even if it should end in the loss of the position which the defending force has been holding, simply to have held it for any length of time may be a great success if a very small defending force has been sufficient to disable highly important forces on the other side. You can understand that if, in the analysis of the Corps engaged on both sides, there are all these points of importance, the study of the position itself, of the roads, of the railways which it commands, of the lines of communication which it protects, is of the very highest. One must study what I may call the whole geographical context,” he added with a laugh. And indeed he was so delighted with this expression that, every time he employed it, even months afterwards, it was always accompanied by the same laugh. “While the operation is being prepared by one of the belligerents, if you read that one of his patrols has been wiped out in the neighbourhood of the position by the other belligerent, one of the conclusions which you are entitled to draw is that one side was attempting to reconnoitre the defensive works with which the other intended to resist his attack. An exceptional burst of activity at a given point may indicate the desire to capture that point, but equally well the desire to hold the enemy in check there, not to retaliate at the point at which he has attacked you; or it may indeed be only a feint, intended to cover by an increased activity the relief of troops in that sector. (Which was a classic feint in Napoleon′s wars.) On the other hand, to appreciate the significance of any movement, its probable object, and, as a corollary, the other movements by which it will be accompanied or followed, it is not immaterial to consult, not so much the announcements issued by the Higher Command, which may be intended to deceive the enemy, to mask a possible check, as the manual of field operations in use in the country in question. We are always entitled to assume that the manoeuvre which an army has attempted to carry out is that prescribed by the rules that are applicable to the circumstances. If, for instance, the rule lays down that a frontal attack should be accompanied by a flank attack; if, after the flank attack has failed, the Higher Command makes out that it had no connexion with the main attack and was merely a diversion, there is a strong likelihood that the truth will be found by consulting the rules and not the reports issued from Headquarters. And there are not only the regulations governing each army to be considered, but their traditions, their habits, their doctrines; the study of diplomatic activities, with their perpetual action or reaction upon military activities, must not be neglected either. Incidents apparently insignificant, which at the time are not understood, will explain to you how the enemy, counting upon a support which these incidents shew to have been withheld, was able to carry out only a part of his strategic plan. So that, if you can read between the lines of military history, what is a confused jumble for the ordinary reader becomes a chain of reasoning as straightforward as a picture is for the picture-lover who can see what the person portrayed is wearing and has in his hands, while the visitor hurrying through the gallery is bewildered by a blur of colour which gives him a headache. But just as with certain pictures, in which it is not enough to observe that the figure is holding a chalice, but one must know why the painter chose to place a chalice in his hands, what it is intended to symbolise, so these military operations, apart from their immediate object, are quite regularly traced, in the mind of the general responsible for the campaign, from the plans of earlier battles, which we may call the past experience, the literature, the learning, the etymology, the aristocracy (whichever you like) of the battles of to-day. Observe that I am not speaking for the moment of the local, the (what shall I call it?) spatial identity of battles. That exists also. A battle-field has never been, and never will be throughout the centuries, simply the ground upon which a particular battle has been fought. If it has been a battle-field, that was because it combined certain conditions of geographical position, of geological formation, drawbacks even, of a kind that would obstruct the enemy (a river, for instance, cutting his force in two), which made it a good field of battle. And so what it has been it will continue to be. A painter doesn′t make a studio out of any old room; so you don′t make a battle-field out of any old piece of ground. There are places set apart for the purpose. But, once again, this is not what I was telling you about; it was the type of battle which one follows, in a sort of strategic tracing, a tactical imitation, if you like. Battles like Ulm, Lodi, Leipzig, Cannae. I can′t say whether there is ever going to be another war, or what nations are going to fight in it, but, if a war does come, you may be sure that it will include (and deliberately, on the commander′s part) a Cannae, an Austerlitz, a Rosbach, a Waterloo. Some of our people say quite openly that Marshal von Schieffer and General Falkenhausen have prepared a Battle of Cannae against France, in the Hannibal style, pinning their enemy down along his whole front, and advancing on both flanks, especially through Belgium, while Bernhardi prefers the oblique order of Frederick the Great, Lenthen rather than Cannae. Others expound their views less crudely, but I can tell you one thing, my boy, that Beauconseil, the squadron commander I introduced you to the other day, who is an officer with a very great future before him, has swotted up a little Pratzen attack of his own; he knows it inside out, he is keeping it up his sleeve, and if he ever has an opportunity to put it into practice he will make a clean job of it and let us have it on a big scale. The break through in the centre at Rivoli, too; that′s a thing that will crop up if there′s ever another war. It′s no more obsolete than the Iliad. I must add that we are practically condemned to make frontal attacks, because we can′t afford to repeat the mistake we made in Seventy; we must assume the offensive, and nothing else. The only thing that troubles me is that if I see only the slower, more antiquated minds among us opposing this splendid doctrine, still, one of the youngest of my masters, who is a genius, I mean Mangin, would like us to leave room, provisionally of course, for the defensive. It is not very easy to answer him when he cites the example of Austerlitz, where the defence was merely a prelude to attack and victory.”
Ces théories de Saint–Loup me rendaient heureux. Elles me faisaient espérer que peut-être je n′étais pas dupe dans ma vie de Doncières, à l′égard de ces officiers dont j′entendais parler en buvant du sauternes qui projetait sur eux son reflet charmant, de ce même grossissement qui m′avait fait paraître énormes, tant que j′étais à Balbec, le roi et la reine d′Océanie, la petite société des quatre gourmets, le jeune homme joueur, le beau-frère de Legrandin, maintenant diminués à mes yeux jusqu′à me paraître inexistants. Ce qui me plaisait aujourd′hui ne me deviendrait peut-être pas indifférent demain, comme cela m′était toujours arrivé jusqu′ici, l′être que j′étais encore en ce moment n′était peut-être pas voué à une destruction prochaine, puisque, à la passion ardente et fugitive que je portais, ces quelques soirs, à tout ce qui concernait la vie militaire, Saint–Loup, par ce qu′il venait de me dire touchant l′art de la guerre, ajoutait un fondement intellectuel, d′une nature permanente, capable de m′attacher assez fortement pour que je pusse croire, sans essayer de me tromper moi-même, qu′une fois parti, je continuerais à m′intéresser aux travaux de mes amis de Doncières et ne tarderais pas à revenir parmi eux. Afin d′être plus assuré pourtant que cet art de la guerre fût bien un art au sens spirituel du mot:
The enunciation of these theories by Saint-Loup made me happy. They gave me to hope that perhaps I was not being led astray, in my life at Doncières, with regard to these officers whom I used to hear being discussed while I sat sipping a sauterne which bathed them in its charming golden glint, by the same magnifying power which had swollen to such enormous proportions in my eyes while I was at Balbec the King and Queen of the South Sea Island, the little group of the four epicures, the young gambler, Legrandin′s brother-in-law, now shrunken so in my view as to appear nonexistent. What gave me pleasure to-day would not, perhaps, leave me indifferent to-morrow, as had always happened hitherto; the creature that I still was at this moment was not, perhaps, doomed to immediate destruction since to the ardent and fugitive passion which I had felt on these few evenings for everything connected with military life, Saint-Loup, by what he had just been saying to me, touching the art of war, added an intellectual foundation, of a permanent character, capable of attaching me to itself so strongly that I might, without any attempt to deceive myself, feel assured that after I had left Doncières I should continue to take an interest in the work of my friends there, and should not be long in coming to pay them another visit. At the same time, so as to make quite sure that this art of war was indeed an art in the true sense of the word:
— Vous m′intéressez, pardon, tu m′intéresses beaucoup, dis-je à Saint–Loup, mais dis-moi, il y a un point qui m′inquiète. Je sens que je pourrais me passionner pour l′art militaire, mais pour cela il faudrait que je ne le crusse pas différent à tel point des autres arts, que la règle apprise n′y fût pas tout. Tu me dis qu′on calque des batailles. Je trouve cela en effet esthétique, comme tu disais, de voir sous une bataille moderne une plus ancienne, je ne peux te dire comme cette idée me plaît. Mais alors, est-ce que le génie du chef n′est rien? Ne fait-il vraiment qu′appliquer des règles? Ou bien, à science égale, y a-t-il de grands généraux comme il y a de grands chirurgiens qui, les éléments fournis par deux états maladifs étant les mêmes au point de vue matériel, sentent pourtant à un rien, peut-être fait de leur expérience, mais interprété, que dans tel cas ils ont plutôt à faire ceci, dans tel cas plutôt à faire cela, que dans tel cas il convient plutôt d′opérer, dans tel cas de s′abstenir?
“You interest me — I beg your pardon, tu interest me enormously,” I said to Saint-Loup, “but tell me, there is one point that puzzles me. I feel that I could be keenly thrilled by the art of strategy, but if so I must first be sure that it is not so very different from the other arts, that knowing the rules is not everything. You tell me that plans of battles are copied. I do find something aesthetic, just as you said, in seeing beneath a modern battle the plan of an older one, I can′t tell you how attractive it sounds. But then, does the genius of the commander count for nothing? Does he really do no more than apply the rules? Or, in point of science, are there great generals as there are great surgeons, who, when the symptoms exhibited by two states of ill-health are identical to the outward eye, nevertheless feel, for some infinitesimal reason, founded perhaps on their experience, but interpreted afresh, that in one case they ought to do one thing, in another case another; that in one case it is better to operate, in another to wait?”
— Mais je crois bien! Tu verras Napoléon ne pas attaquer quand toutes les règles voulaient qu′il attaquât, mais une obscure divination le lui déconseillait. Par exemple, vois à Austerlitz ou bien, en 1806, ses instructions à Lannes. Mais tu verras des généraux imiter scolastiquement telle manoeuvre de Napoléon et arriver au résultat diamétralement opposé. Dix exemples de cela en 1870. Mais même pour l′interprétation de ce que peut faire l′adversaire, ce qu′il fait n′est qu′un symptôme qui peut signifier beaucoup de choses différentes. Chacune de ces choses a autant de chance d′être la vraie, si on s′en tient au raisonnement et à la science, de même que, dans certains cas complexes, toute la science médicale du monde ne suffira pas à décider si la tumeur invisible est fibreuse ou non, si l′opération doit être faite ou pas. C′est le flair, la divination genre Mme de Thèbes (tu me comprends) qui décide chez le grand général comme chez le grand médecin. Ainsi je t′ai dit, pour te prendre un exemple, ce que pouvait signifier une reconnaissance au début d′une bataille. Mais elle peut signifier dix autres choses, par exemple faire croire à l′ennemi qu′on va attaquer sur un point pendant qu′on veut attaquer sur un autre, tendre un rideau qui l′empêchera de voir les préparatifs de l′opération réelle, le forcer à amener des troupes, à les fixer, à les immobiliser dans un autre endroit que celui où elles sont nécessaires, se rendre compte des forces dont il dispose, le tâter, le forcer à découvrir son jeu. Même quelquefois, le fait qu′on engage dans une opération des troupes énormes n′est pas la preuve que cette opération soit la vraie; car on peut l′exécuter pour de bon, bien qu′elle ne soit qu′une feinte, pour que cette feinte ait plus de chances de tromper. Si j′avais le temps de te raconter à ce point de vue les guerres de Napoléon, je t′assure que ces simples mouvements classiques que nous étudions, et que tu nous verras faire en service en campagne, par simple plaisir de promenade, jeune cochon; non, je sais que tu es malade, pardon! eh bien, dans une guerre, quand on sent derrière eux la vigilance, le raisonnement et les profondes recherches du haut commandement, on est ému devant eux comme devant les simples feux d′un phare, lumière matérielle, mais émanation de l′esprit et qui fouille l′espace pour signaler le péril aux vaisseaux. J′ai même peut-être tort de te parler seulement littérature de guerre. En réalité, comme la constitution du sol, la direction du vent et de la lumière indiquent de quel côté un arbre poussera, les conditions dans lesquelles se font une campagne, les caractéristiques du pays où on manoeuvre, commandent en quelque sorte et limitent les plans entre lesquels le général peut choisir. De sorte que le long des montagnes, dans un système de vallées, sur telles plaines, c′est presque avec le caractère de nécessité et de beauté grandiose des avalanches que tu peux prédire la marche des armées.
“I should just say so! You will find Napoleon not attacking when all the rules ordered him to attack, but some obscure divination warned him not to. For instance, look at Austerlitz, or in 1806 take his instructions to Lannes. But you will find certain generals slavishly imitating one of Napoleon′s movements and arriving at a diametrically opposite result. There are a dozen examples of that in 1870. But even for the interpretation of what the enemy may do, what he actually does is only a symptom which may mean any number of different things. Each of them has an equal chance of being the right thing, if one looks only to reasoning and science, just as in certain difficult cases all the medical science in the world will be powerless to decide whether the invisible tumour is malignant or not, whether or not the operation ought to be performed. It is his instinct, his divination — like Mme. de Thèbes (you follow me?)— which decides, in the great general as in the great doctor. Thus I′ve been telling you, to take one instance, what might be meant by a reconnaissance on the eve of a battle. But it may mean a dozen other things also, such as to make the enemy think you are going to attack him at one point whereas you intend to attack him at another, to put out a screen which will prevent him from seeing the preparations for your real operation, to force him to bring up fresh troops, to hold them, to immobilise them in a different place from where they are needed, to form an estimate of the forces at his disposal, to feel him, to force him to shew his hand. Sometimes, indeed, the fact that you employ an immense number of troops in an operation is by no means a proof that that is your true objective; for you may be justified in carrying it out, even if it is only a feint, so that your feint may have a better chance of deceiving the enemy. If I had time now to go through the Napoleonic wars from this point of view, I assure you that these simple classic movements which we study here, and which you will come and see us practising in the field, just for the pleasure of a walk, you young rascal — no, I know you′re not well, I apologise! — well, in a war, when you feel behind you the vigilance, the judgment, the profound study of the Higher Command, you are as much moved by them as by the simple lamps of a lighthouse, only a material combustion, but an emanation of the spirit, sweeping through space to warn ships of danger. I may have been wrong, perhaps, in speaking to you only of the literature of war. In reality, as the formation of the soil, the direction of wind and light tell us which way a tree will grow, so the conditions in which a campaign is fought, the features of the country through which you march, prescribe, to a certain extent, and limit the number of the plans among which the general has to choose. Which means that along a mountain range, through a system of valleys, over certain plains, it is almost with the inevitability and the tremendous beauty of an avalanche that you can forecast the line of an army on the march.”
— Tu me refuses maintenant la liberté chez le chef, la divination chez l′adversaire qui veut lire dans ses plans, que tu m′octroyais tout à l′heure.
“Now you deny me that freedom of choice in the commander, that power of divination in the enemy who is trying to discover his plan, which you allowed me a moment ago.”
— Mais pas du tout! Tu te rappelles ce livre de philosophie que nous lisions ensemble à Balbec, la richesse du monde des possibles par rapport au monde réel. Eh bien! c′est encore ainsi en art militaire. Dans une situation donnée, il y aura quatre plans qui s′imposent et entre lesquels le général a pu choisir, comme une maladie peut suivre diverses évolutions auxquelles le médecin doit s′attendre. Et là encore la faiblesse et la grandeur humaines sont des causes nouvelles d′incertitude. Car entre ces quatre plans, mettons que des raisons contingentes (comme des buts accessoires à atteindre, ou le temps qui presse, ou le petit nombre et le mauvais ravitaillement de ses effectifs) fassent préférer au général le premier plan, qui est moins parfait mais d′une exécution moins coûteuse, plus rapide, et ayant pour terrain un pays plus riche pour nourrir son armée. Il peut, ayant commencé par ce premier plan dans lequel l′ennemi, d′abord incertain, lira bientôt, ne pas pouvoir y réussir, à cause d′obstacles trop grands — c′est ce que j′appelle l′aléa né de la faiblesse humaine — l′abandonner et essayer du deuxième ou du troisième ou du quatrième plan. Mais il se peut aussi qu′il n′ait essayé du premier — et c′est ici ce que j′appelle la grandeur humaine — que par feinte, pour fixer l′adversaire de façon à le surprendre là où il ne croyait pas être attaqué. C′est ainsi qu′à Ulm, Mack, qui attendait l′ennemi à l′ouest, fut enveloppé par le nord où il se croyait bien tranquille. Mon exemple n′est du reste pas très bon. Et Ulm est un meilleur type de bataille d′enveloppement que l′avenir verra se reproduire parce qu′il n′est pas seulement un exemple classique dont les généraux s′inspireront, mais une forme en quelque sorte nécessaire (nécessaire entre d′autres, ce qui laisse le choix, la variété), comme un type de cristallisation. Mais tout cela ne fait rien parce que ces cadres sont malgré tout factices. J′en reviens à notre livre de philosophie, c′est comme les principes rationnels, ou les lois scientifiques, la réalité se conforme à cela, à peu près, mais rappelle-toi le grand mathématicien Poincaré, il n′est pas sûr que les mathématiques soient rigoureusement exactes. Quant aux règlements eux-mêmes, dont je t′ai parlé, ils sont en somme d′une importance secondaire, et d′ailleurs on les change de temps en temps. Ainsi pour nous autres cavaliers, nous vivons sur le Service en Campagne de 1895 dont on peut dire qu′il est périmé, puisqu′il repose sur la vieille et désuète doctrine qui considère que le combat de cavalerie n′a guère qu′un effet moral par l′effroi que la charge produit sur l′adversaire. Or, les plus intelligents de nos maîtres, tout ce qu′il y a de meilleur dans la cavalerie, et notamment le commandant dont je te parlais, envisagent au contraire que la décision sera obtenue par une véritable mêlée où on s′escrimera du sabre et de la lance et où le plus tenace sera vainqueur non pas simplement moralement et par impression de terreur, mais matériellement.
“Not at all. You remember that book of philosophy we read together at Balbec, the richness of the world of possibilities compared with the real world. Very well. It is the same again with the art of strategy. In a given situation there will be four plans that offer themselves, one of which the general has to choose, as a disease may pass through various phases for which the doctor has to watch. And here again the weakness and greatness of the human elements are fresh causes of uncertainty. For of these four plans let us assume that contingent reasons (such as the attainment of minor objects, or time, which may be pressing, or the smallness of his effective strength and shortage of rations) lead the general to prefer the first, which is less perfect, but less costly also to carry out, is more rapid, and has for its terrain a richer country for feeding his troops. He may, after having begun with this plan, which the enemy, uncertain at first, will soon detect, find that success lies beyond his grasp, the difficulties being too great (that is what I call the element of human weakness), abandon it and try the second or third or fourth. But it may equally be that he has tried the first plan (and this is what I call human greatness) merely as a feint to pin down the enemy, so as to surprise him later at a point where he has not been expecting an attack. Thus at Ulm, Mack, who expected the enemy to advance from the west, was surrounded from the north where he thought he was perfectly safe. My example is not a very good one, as a matter of fact. And Ulm is a better type of enveloping battle, which the future will see reproduced, because it is not only a classic example from which generals will seek inspiration, but a form that is to some extent necessary (one of several necessities, which leaves room for choice, for variety) like a type of crystallisation. But it doesn′t much matter, really, because these conditions are after all artificial. To go back to our philosophy book; it is like the rules of logic or scientific laws, reality does conform to it more or less, but bear in mind that the great mathematician Poincaré is by no means certain that mathematics are strictly accurate. As to the rules themselves, which I mentioned to you, they are of secondary importance really, and besides they are altered from time to time. We cavalrymen, for instance, have to go by the Field Service of 1895, which, you may say, is out of date since it is based on the old and obsolete doctrine which maintains that cavalry warfare has little more than a moral effect, in the panic that the charge creates in the enemy. Whereas the more intelligent of our teachers, all the best brains in the cavalry, and particularly the major I was telling you about, anticipate on the contrary that the decisive victory will be obtained by a real hand-to-hand encounter in which our weapons will be sabre and lance and the side that can hold out longer will win, not simply morally and by creating panic, but materially.”
— Saint–Loup a raison et il est probable que le prochain Service en Campagne portera la trace de cette évolution, dit mon voisin.
“Saint-Loup is quite right, and it is probable that the next Field Service will shew signs of this evolution,” put in my other neighbour.
— Je ne suis pas fâché de ton approbation, car tes avis semblent faire plus impression que les miens sur mon ami, dit en riant Saint–Loup, soit que cette sympathie naissante entre son camarade et moi l′agaçât un peu, soit qu′il trouvât gentil de la consacrer en la constatant aussi officiellement. Et puis j′ai peut-être diminué l′importance des règlements. On les change, c′est certain. Mais en attendant ils commandent la situation militaire, les plans de campagne et de concentration. S′ils reflètent une fausse conception stratégique, ils peuvent être le principe initial de la défaite. Tout cela, c′est un peu technique pour toi, me dit-il. Au fond, dis-toi bien que ce qui précipite le plus l′évolution de l′art de la guerre, ce sont les guerres elles-mêmes. Au cours d′une campagne, si elle est un peu longue, on voit l′un des belligérants profiter des leçons que lui donnent les succès et les fautes de l′adversaire, perfectionner les méthodes de celui-ci qui, à son tour, enchérit. Mais cela c′est du passé. Avec les terribles progrès de l′artillerie, les guerres futures, s′il y a encore des guerres, seront si courtes qu′avant qu′on ait pu songer à tirer parti de l′enseignement, la paix sera faite.
“I am not ungrateful for your support, for your opinions seem to make more impression upon my friend than mine,” said Saint-Loup with a smile, whether because the growing attraction between his comrade and myself annoyed him slightly or because he thought it graceful to solemnise it with this official confirmation. “Perhaps I may have underestimated the importance of the rules; I don′t know. They do change, that must be admitted. But in the meantime they control the military situation, the plans of campaign and concentration. If they reflect a false conception of strategy they may be the principal cause of defeat. All this is a little too technical for you,” he remarked to me. “After all, you may say that what does most to accelerate the evolution of the art of war is wars themselves. In the course of a campaign, if it is at all long, you will see one belligerent profiting by the lessons furnished him by the successes and mistakes, perfecting the methods of the other, who will improve on him in turn. But all that is a thing of the past. With the terrible advance of artillery, the wars of the future, if there are to be any more wars, will be so short that, before we have had time to think of putting our lessons into practice, peace will have been signed.”
— Ne sois pas si susceptible, dis-je à Saint–Loup, répondant à ce qu′il avait dit avant ces dernières paroles. Je t′ai écouté avec assez d′avidité!
“Don′t be so touchy,” I told Saint-Loup, reverting to the first words ol this speech. “I was listening to you quite eagerly.”
— Si tu veux bien ne plus prendre la mouche et le permettre, reprit l′ami de Saint–Loup, j′ajouterai à ce que tu viens de dire que, si les batailles s′imitent et se superposent, ce n′est pas seulement à cause de l′esprit du chef. Il peut arriver qu′une erreur du chef (par exemple son appréciation insuffisante de la valeur de l′adversaire) l′amène à demander à ses troupes des sacrifices exagérés, sacrifices que certaines unités accompliront avec une abnégation si sublime, que leur rôle sera par là analogue à celui de telle autre unité dans telle autre bataille, et seront cités dans l′histoire comme des exemples interchangeables: pour nous en tenir à 1870, la garde prussienne à Saint–Privat, les turcos à Froeschviller et à Wissembourg.
“If you will kindly not fly into a passion, and will allow me to speak,” his friend went on, “I shall add to what you have just been saying that if battles copy and coincide with one another it is not merely due to the mind of the commander. It may happen that a mistake on his part (for instance, his failure to appreciate the strength of the enemy) will lead him to call upon his men for extravagant sacrifices, sacrifices which certain units will make with an abnegation so sublime that their part in the battle will be analogous to that played by some other unit in some other battle, and these will be quoted in history as interchangeable examples: to stick to 1870, we have the Prussian Guard at Saint-Privat, and the Turcos at Froeschviller and Wissembourg.”
— Ah! interchangeables, très exact! excellent! tu es intelligent, dit Saint–Loup.
“Ah! Interchangeable; very neat! Excellent! The lad has brains,” was Saint-Loup′s comment.
Je n′étais pas indifférent à ces derniers exemples, comme chaque fois que sous le particulier on me montrait le général. Mais pourtant le génie du chef, voilà ce qui m′intéressait, j′aurais voulu me rendre compte en quoi il consistait, comment, dans une circonstance donnée, où le chef sans génie ne pourrait résister à l′adversaire, s′y prendrait le chef génial pour rétablir la bataille compromise, ce qui, au dire de Saint–Loup, était très possible et avait été réalisé par Napoléon plusieurs fois. Et pour comprendre ce que c′était que la valeur militaire, je demandais des comparaisons entre les généraux dont je savais les noms, lequel avait le plus une nature de chef, des dons de tacticien, quitte à ennuyer mes nouveaux amis, qui du moins ne le laissaient pas voir et me répondaient avec une infatigable bonté.
I was not unmoved by these last examples, as always when, beneath the particular instance, I was afforded a glimpse of the general law. Still, the genius of the commander, that was what interested me, I was anxious to discover in what it consisted, what steps, in given circumstances, when the commander who lacked genius could not withstand the enemy, the inspired leader would take to re-establish his jeopardised position, which, according to Saint-Loup, was quite possible and had been done by Napoleon more than once. And to understand what military worth meant I asked for comparisons between the various generals whom I knew by name, which of them had most markedly the character of a leader, the gifts of a tactician; at the risk of boring my new friends, who however shewed no signs of boredom, but continued to answer me with an inexhaustible good nature.
Je me sentais séparé— non seulement de la grande nuit glacée qui s′étendait au loin et dans laquelle nous entendions de temps en temps le sifflet d′un train qui ne faisait que rendre plus vif le plaisir d′être là, ou les tintements d′une heure qui heureusement était encore éloignée de celle où ces jeunes gens devraient reprendre leurs sabres et rentrer — mais aussi de toutes les préoccupations extérieures, presque du souvenir de Mme de Guermantes, par la bonté de Saint–Loup à laquelle celle de ses amis qui s′y ajoutait donnait comme plus d′épaisseur; par la chaleur aussi de cette petite salle à manger, par la saveur des plats raffinés qu′on nous servait. Ils donnaient autant de plaisir à mon imagination qu′à ma gourmandise; parfois le petit morceau de nature d′où ils avaient été extraits, bénitier rugueux de l′huître dans lequel restent quelques gouttes d′eau salée, ou sarment noueux, pampres jaunis d′une grappe de raisin, les entourait encore, incomestible, poétique et lointain comme un paysage, et faisant se succéder au cours du dîner les évocations d′une sieste sous une vigne et d′une promenade en mer; d′autres soirs c′est par le cuisinier seulement qu′était mise en relief cette particularité originale des mets, qu′il présentait dans son cadre naturel comme une oeuvre d′art; et un poisson cuit au court-bouillon était′ apporté dans un long plat en terre, où, comme il se détachait en relief sur des jonchées d′herbes bleuâtres, infrangible mais contourné encore d′avoir été jeté vivant dans l′eau bouillante, entouré d′un cercle de coquillages d′animalcules satellites, crabes, crevettes et moules, il avait l′air d′apparaître dans une céramique de Bernard Palissy.
I felt myself isolated, not only from the great, freezing night which extended far around us and in which we heard from time to time the whistle of a train which only rendered more keen the pleasure of being where we were, or the chime of an hour which, happily, was still a long way short of that at which these young men would have to buckle on their sabres and go, but also from all my external obsessions, almost from the memory of Mme. de Guermantes, by the hospitality of Saint-Loup, to which that of his friends, reinforcing it, gave, so to speak, a greater solidity; by the warmth also of this little dining-room, by the savour of the well-chosen dishes that were set before us. They gave as much pleasure to my imagination as to my appetite; sometimes the little piece of still life from which they had been taken, the rugged holy water stoup of the oyster in which lingered a few drops of brackish water, or the knotted stem, the yellow leaves of a bunch of grapes still enveloped them, inedible, poetic and remote as a landscape, and producing, at different points in the course of the meal, the impressions of rest in the shade of a vine and of an excursion out to sea; on other evenings it was the cook alone who threw into relief these original properties of our food, which he presented in its natural setting, like a work of art; and a fish cooked in wine was brought in on a long earthenware dish, on which, as it stood out in relief on a bed of bluish herbs, unbreakable now but still contorted from having been dropped alive into boiling water, surrounded by a circle of satellite creatures in their shells, crabs, shrimps and mussels, it had the appearance of being part of a ceramic design by Bernard Palissy.
— Je suis jaloux, je suis furieux, me dit Saint–Loup, moitié en riant, moitié sérieusement, faisant allusion aux interminables conversations à part que j′avais avec son ami. Est-ce que vous le trouvez plus intelligent que moi? est-ce que vous l′aimez mieux que moi? Alors, comme ça, il n′y en a plus que pour lui? (Les hommes qui aiment énormément une femme, qui vivent dans une société d′hommes à femmes se permettent des plaisanteries que d′autres qui y verraient moins d′innocence n′oseraient pas.)
“I am jealous, furious,” Saint-Loup attacked me, half smiling, half in earnest, alluding to the interminable conversations aside which I had been having with his friend. “Is it because you find him more intelligent than me; do you like him better than me? Well, I suppose he′s everything now, and no one else is to have a look in!” Men who are enormously in love with a woman, who live in the society of woman-lovers, allow themselves pleasantries on which others, who would see less innocence in them, would never venture.
Dès que la conversation devenait générale, on évitait de parler de Dreyfus de peur de froisser Saint–Loup. Pourtant, une semaine plus tard, deux de ses camarades firent remarquer combien il était curieux que, vivant dans un milieu si militaire, il fût tellement dreyfusard, presque antimilitariste: «C′est, dis-je, ne voulant pas entrer dans des détails, que l′influence du milieu n′a pas l′importance qu′on croit . . . » Certes, je comptais m′en tenir là et ne pas reprendre les réflexions que j′avais présentées à Saint–Loup quelques jours plus tôt. Malgré cela, comme ces mots-là, du moins, je les lui avais dits presque textuellement, j′allais m′en excuser en ajoutant: «C′est justement ce que l′autre jour . . . » Mais j′avais compté sans le revers qu′avait la gentille admiration de Robert pour moi et pour quelques autres personnes. Cette admiration se complétait d′une si entière assimilation de leurs idées, qu′au bout de quarante-huit heures il avait oublié que ces idées n′étaient pas de lui. Aussi en ce qui concernait ma modeste thèse, Saint–Loup, absolument comme si elle eût toujours habité son cerveau et si je ne faisais que chasser sur ses terres, crut devoir me souhaiter la bienvenue avec chaleur et m′approuver.
When the conversation became general, they avoided any reference to Dreyfus for fear of offending Saint-Loup. The following week, however, two of his friends were remarking what a curious thing it was that, living in so military an atmosphere, he was so keen a Dreyfusard, almost an anti-militarist. “The reason is,” I suggested, not wishing to enter into details, “that the influence of environment is not so important as people think . . . ” I intended of course to stop at this point, and not to reiterate the observations which I had made to Saint-Loup a few days earlier. Since, however, I had repeated these words almost textually, I proceeded to excuse myself by adding: “As, in fact, I was saying the other day . . . ” But I had reckoned without the reverse side of Robert′s polite admiration of myself and certain other persons. That admiration reached its fulfilment in so entire an assimilation of their ideas that, in the course of a day or two, he would have completely forgotten that those ideas were not his own. And so, in the matter of my modest theory, Saint-Loup, for all the world as though it had always dwelt in his own brain, and as though I were merely poaching on his preserves, felt it incumbent upon him to greet my discovery with warm approval.
— Mais oui! le milieu n′a pas d′importance.
“Why, yes; environment is of no importance.”
Et avec la même force que s′il avait peur que je l′interrompisse ou ne le comprisse pas:
And with as much vehemence as if he were afraid of my interrupting, or failing to understand him:
— La vraie influence, c′est celle du milieu intellectuel! On est l′homme de son idée!
“The real influence is that of one′s intellectual environment! One is the man of one′s idea!”
Il s′arrêta un instant, avec le sourire de quelqu′un qui a bien digéré, laissa tomber son monocle, et posant son regard comme une vrille sur moi:
He stopped for a moment, with the satisfied smile of one who has digested his dinner, dropped his eyeglass and, fixing me with a gimlet-like stare:
— Tous les hommes d′une même idée sont pareils, me dit-il, d′un air de défi. Il n′avait sans doute aucun souvenir que je lui avais dit peu de jours auparavant ce qu′il s′était en revanche si bien rappelé.
“All men with similar ideas are alike,” he informed me, with a challenging air. Probably he had completely forgotten that I myself had said to him, only a few days earlier, what on the other hand he remembered so well.
Je n′arrivais pas tous les soirs au restaurant de Saint–Loup dans les mêmes dispositions. Si un souvenir, un chagrin qu′on a, sont capables de nous laisser au point que nous ne les apercevions plus, ils reviennent aussi et parfois de longtemps ne nous quittent. Il y avait des soirs où, en traversant la ville pour aller vers le restaurant, je regrettais tellement Mme de Guermantes, que j′avais peine à respirer: on aurait dit qu′une partie de ma poitrine avait été sectionnée par un anatomiste habile, enlevée, et remplacée par une partie égale de souffrance immatérielle, par un équivalent de nostalgie et d′amour. Et les points de suture ont beau avoir été bien faits, on vit assez malaisément quand le regret d′un être est substitué aux viscères, il a l′air de tenir plus de place qu′eux, on le sent perpétuellement, et puis, quelle ambigueacute; d′être obligé de penser une partie de son corps! Seulement il semble qu′on vaille davantage. A la moindre brise on soupire d′oppression, mais aussi de langueur. Je regardais le ciel. S′il était clair, je me disais: «Peut-être elle est à la campagne, elle regarde les mêmes étoiles», et qui sait si, en arrivant au restaurant, Robert ne va pas me dire: «Une bonne nouvelle, ma tante vient de m′écrire, elle voudrait te voir, elle va venir ici.» Ce n′est pas dans le firmament seul que je mettais la pensée de Mme de Guermantes. Un souffle d′air un peu doux qui passait semblait m′apporter un message d′elle, comme jadis de Gilberte dans les blés de Méséglise: on ne change pas, on fait entrer dans le sentiment qu′on rapporte à un être bien des éléments assoupis qu′il réveille mais qui lui sont étrangers. Et puis ces sentiments particuliers, toujours quelque chose en nous s′efforce de les amener à plus de vérité, c′est-à-dire de les faire se rejoindre à un sentiment plus général, commun à toute l′humanité, avec lequel les individus et les peines qu′ils nous causent nous sont seulement une occasion de communiquer. Ce qui mêlait quelque plaisir à ma peine c′est que je la savais une petite partie de l′universel amour. Sans doute de ce que je croyais reconnaître des tristesses que j′avais éprouvées à propos de Gilberte, ou bien quand le soir, à Combray, maman ne restait pas dans ma chambre, et aussi le souvenir de certaines pages de Bergotte, dans la souffrance que j′éprouvais et à laquelle Mme de Guermantes, sa froideur, son absence, n′étaient pas liées clairement comme la cause l′est à l′effet dans l′esprit d′un savant, je ne concluais pas que Mme de Guermantes ne fût pas cette cause. N′y a-t-il pas telle douleur physique diffuse, s′étendant par irradiation dans des régions extérieures à la partie malade, mais qu′elle abandonne pour se dissiper entièrement si un praticien touche le point précis d′où elle vient? Et pourtant, avant cela, son extension lui donnait pour nous un tel caractère de vague et de fatalité, qu′impuissants à l′expliquer, à la localiser même, nous croyions impossible de la guérir. Tout en m′acheminant vers le restaurant je me disais: «Il y a déjà quatorze jours que je n′ai vu Mme de Guermantes.» Quatorze jours, ce qui ne paraissait une chose énorme qu′à moi qui, quand il s′agissait de Mme de Guermantes, comptais par minutes. Pour moi ce n′était plus seulement les étoiles et la brise, mais jusqu′aux divisions arithmétiques du temps qui prenaient quelque chose de douloureux et de poétique. Chaque jour était maintenant comme la crête mobile d′une colline incertaine: d′un côté, je sentais que je pouvais descendre vers l′oubli; de l′autre, j′étais emporté par le besoin de revoir la duchesse. Et j′étais tantôt plus près de l′un ou de l′autre, n′ayant pas d′équilibre stable. Un jour je me dis: «Il y aura peut-être une lettre ce soir» et en arrivant dîner j′eus le courage de demander à Saint–Loup:
I did not arrive at Saint-Loup′s restaurant every evening in the same state of mind. If a memory, a sorrow that weigh on us are able to leave us so effectively that we are no longer aware of them, they can also return and sometimes remain with us for a long time. There were evenings when, as I passed through the town on my way to the restaurant, I felt so keen a longing for Mme. de Guermantes that I could scarcely breathe; you might have said that part of my breast had been cut open by a skilled anatomist, taken out, and replaced by an equal part of immaterial suffering, by an equivalent load of longing and love. And however neatly the wound may have been stitched together, there is not much comfort in life when regret for the loss of another person is substituted for one′s entrails, it seems to be occupying more room than they, one feels it perpetually, and besides, what a contradiction in terms to be obliged to think a part of one′s body. Only it seems that we are worth more, somehow. At the whisper of a breeze we sigh, from oppression, but from weariness also. I would look up at the sky. If it were clear, I would say to myself: “Perhaps she is in the country; she is looking at the same stars; and, for all I know, when I arrive at the restaurant Robert may say to me: ‘Good news! I have just heard from my aunt; she wants to meet you; she is coming down here.′” It was not in the firmament alone that I enshrined the thought of Mme. de Guermantes, A passing breath of air, more fragrant than the rest, seemed to bring me a message from her, as, long ago, from Gilberte in the cornfields of Méséglise. We do not change; we introduce into the feeling with which we regard a person many slumbering elements which that feeling revives but which are foreign to it. Besides, with these feelings for particular people, there is always something in us that is trying to bring them nearer to the truth, that is to say, to absorb them in a more general feeling, common to the whole of humanity, with which people and the suffering that they cause us are merely a means to enable us to communicate. What brought a certain pleasure into my grief was that I knew it to be a tiny fragment of the universal love. Simply because I thought that I recognised sorrows which I had felt on Gilberte′s account, or else when in the evenings at Combray Mamma would not stay in any room, and also the memory of certain pages of Bergotte, in the agony I now felt, to which Mme. de Guermantes, her coldness, her absence, were not clearly linked, as cause is to effect in the mind of a philosopher, I did not conclude that Mme. de Guermantes was not the cause of that agony. Is there not such a thing as a diffused bodily pain, extending, radiating out into other parts, which, however, it leaves, to vanish altogether, if the practitioner lays his finger on the precise spot from which it springs? And yet, until that moment, its extension gave it for us so vague, so fatal a semblance that, powerless to explain or even to locate it, we imagined that there was no possibility of its being healed. As I made my way to the restaurant I said to myself: “A fortnight already since I last saw Mme. de Guermantes.” A fortnight which did not appear so enormous an interval save to me, who, when Mme. de Guermantes was concerned, reckoned time by minutes. For me it was no longer the stars and the breeze merely, but the arithmetical divisions of time that assumed a dolorous and poetic aspect. Each day now was like the loose crest of a crumbling mountain, down one side of which I felt that I could descend into oblivion, but down the other was borne by the necessity of seeing the Duchess again. And I was continually inclining one way or the other, having no stable equilibrium. One day I said to myself: “Perhaps there will be a letter to-night;” and on entering the dining-room I found courage to ask Saint-Loup:
— Tu n′as pas par hasard des nouvelles de Paris?
“You don′t happen to have had any news from Paris?”
— Si, me répondit-il d′un air sombre, elles sont mauvaises.
“Yes,” he replied gloomily; “bad news.”
Je respirai en comprenant que ce n′était que lui qui avait du chagrin et que les nouvelles étaient celles de sa maîtresse. Mais je vis bientôt qu′une de leurs conséquences serait d′empêcher Robert de me mener de longtemps chez sa tante.
I breathed a sigh of relief when I realised that it was only he who was unhappy, and that the news came from his mistress. But I soon saw that one of its consequences would be to prevent Robert, for ever so long, from taking me to see his aunt.
J′appris qu′une querelle avait éclaté entre lui et sa maîtresse, soit par correspondance, soit qu′elle fût venue un matin le voir entre deux trains. Et les querelles, même moins graves, qu′ils avaient eues jusqu′ici, semblaient toujours devoir être insolubles. Car elle était de mauvaise humeur, trépignait, pleurait, pour des raisons aussi incompréhensibles que celles des enfants qui s′enferment dans un cabinet noir, ne viennent pas dîner, refusant toute explication, et ne font que redoubler de sanglots quand, à bout de raisons, on leur donne des claques. Saint–Loup souffrit horriblement de cette brouille, mais c′est une manière de dire qui est trop simple, et fausse par là l′idée qu′on doit se faire de cette douleur. Quand il se retrouva seul, n′ayant plus qu′à songer à sa maîtresse partie avec le respect pour lui qu′elle avait éprouvé en le voyant si énergique, les anxiétés qu′il avait eues les premières heures prirent fin devant l′irréparable, et la cessation d′une anxiété est une chose si douce, que la brouille, une fois certaine, prit pour lui un peu du même genre de charme qu′aurait eu une réconciliation. Ce dont il commença à souffrir un peu plus tard furent une douleur, un accident secondaires, dont le flux venait incessamment de lui-même, à l′idée que peut-être elle aurait bien voulu se rapprocher; qu′il n′était pas impossible qu′elle attendît un mot de lui; qu′en attendant, pour se venger elle ferait peut-être, tel soir, à tel endroit, telle chose, et qu′il n′y aurait qu′à lui télégraphier qu′il arrivait pour qu′elle n′eût pas lieu; que d′autres peut-être profitaient du temps qu′il laissait perdre, et qu′il serait trop tard dans quelques jours pour la retrouver car elle serait prise. De toutes ces possibilités il ne savait rien, sa maîtresse gardait un silence qui finit par affoler sa douleur jusqu′à lui faire se demander si elle n′était pas cachée à Doncières ou partie pour les Indes.
I learned that a quarrel had broken out between him and his mistress, through the post presumably, unless she had come down to pay him a flying visit between trains. And the quarrels, even when relatively slight, which they had previously had, had always seemed as though they must prove insoluble. For she was a girl of violent temper, who would stamp her foot and burst into tears for reasons as incomprehensible as those that make children shut themselves into dark cupboards, not come out for dinner, refuse to give any explanation, and only redouble their sobs when, our patience exhausted, we visit them with a whipping. To say that Saint-Loup suffered terribly from this estrangement would be an understatement of the truth, which would give the reader a false impression of his grief. When he found himself alone, the only picture in his mind being that of his mistress parting from him with the respect which she had felt for him at the sight of his energy, the anxieties which he had had at first gave way before the irreparable, and the cessation of an anxiety is so pleasant a thing that the rupture, once it was certain, assumed for him something of the same kind of charm as a reconciliation. What he began to suffer from, a little later, was a secondary and accidental grief, the tide of which flowed incessantly from his own heart, at the idea that perhaps she would be glad to make it up, that it was not inconceivable that she was waiting for a word from him, that in the mean time, to be avenged on him, she would perhaps on a certain evening, in a certain place, do a certain thing, and that he had only to telegraph to her that he was coming for it not to happen, that others perhaps were taking advantage of the time which he was letting slip, and that in a few days it would be too late to recapture her, for she would be already bespoke. Among all these possibilities he was certain of nothing; his mistress preserved a silence which wrought him up to such a frenzy of grief that he began to ask himself whether she might not be in hiding at Doncières, or have sailed for the Indies.
On a dit que le silence était une force; dans un tout autre sens, il en est une terrible à la disposition de ceux qui sont aimés. Elle accroît l′anxiété de qui attend. Rien n′invite tant à s′approcher d′un être que ce qui en sépare, et quelle plus infranchissable barrière que le silence? On a dit aussi que le silence était un supplice, et capable de rendre fou celui qui y était astreint dans les prisons. Mais quel supplice — plus grand que de garder le silence — de l′endurer de ce qu′on aime! Robert se disait: «Que fait-elle donc pour qu′elle se taise ainsi? Sans doute, elle me trompe avec d′autres?» Il disait encore: «Qu′ai-je donc fait pour qu′elle se taise ainsi? Elle me hait peut-être, et pour toujours.» Et il s′accusait. Ainsi le silence le rendait fou en effet, par la jalousie et par le remords. D′ailleurs, plus cruel que celui des prisons, ce silence-là est prison lui-même. Une clôture immatérielle, sans doute, mais impénétrable, cette tranche interposée d′atmosphère vide, mais que les rayons visuels de l′abandonné ne peuvent traverser. Est-il un plus terrible éclairage que le silence, qui ne nous montre pas une absente, mais mille, et chacune se livrant à quelque autre trahison? Parfois, dans une brusque détente, ce silence, Robert croyait qu′il allait cesser à l′instant, que la lettre attendue allait venir. Il la voyait, elle arrivait, il épiait chaque bruit, il était déjà désaltéré, il murmurait: «La lettre! La lettre!» Après avoir entrevu ainsi une oasis imaginaire de tendresse, il se retrouvait piétinant dans le désert réel du silence sans fin.
It has been said that silence is a force; in another and widely different sense it is a tremendous force in the hands of those who are loved. It increases the anxiety of the lover who has to wait. Nothing so tempts us to approach another person as what is keeping us apart; and what barrier is there so insurmountable as silence? It has been said also that silence is a torture, capable of goading to madness him who is condemned to it in a prison cell. But what a torture — keener than that of having to keep silence — to have to endure the silence of the person one loves! Robert asked himself: “What can she be doing, never to send me a single word, like this? She hates me, perhaps, and will always go on hating me.” And he reproached himself. Thus her silence did indeed drive him mad with jealousy and remorse. Besides, more cruel than the silence of prisons, that kind of silence is in itself a prison. An immaterial enclosure, I admit, but impenetrable, this interposed slice of empty atmosphere through which, despite its emptiness, the visual rays of the abandoned lover cannot pass. Is there a more terrible illumination than that of silence which shews us not one absent love but a thousand, and shews us each of them in the act of indulging in some fresh betrayal? Sometimes, in an abrupt relaxation of his strain, Robert would imagine that this period of silence was just coming to an end, that the long expected letter was on its way. He saw it, it arrived, he started at every sound, his thirst was already quenched, he murmured: “The letter! The letter!” After this glimpse of a phantom oasis of affection, he found himself once more toiling across the real desert of a silence without end.
Il souffrait d′avance, sans en oublier une, toutes les douleurs d′une rupture qu′à d′autres moments il croyait pouvoir éviter, comme les gens qui règlent toutes leurs affaires en vue d′une expatriation qui ne s′effectuera pas, et dont la pensée, qui ne sait plus où elle devra se situer le lendemain, s′agite momentanément, détachée d′eux, pareille à ce coeur qu′on arrache à un malade et qui continue à battre, séparé du reste du corps. En tout cas, cette espérance que sa maîtresse reviendrait lui donnait le courage de persévérer dans la rupture, comme la croyance qu′on pourra revenir vivant du combat aide à affronter la mort. Et comme l′habitude est, de toutes les plantes humaines, celle qui a le moins besoin de sol nourricier pour vivre et qui apparaît la première sur le roc en apparence le plus désolé, peut-être en pratiquant d′abord la rupture par feinte, aurait-il fini par s′y accoutumer sincèrement. Mais l′incertitude entretenait chez lui un état qui, lié au souvenir de cette femme, ressemblait à l′amour. Il se forçait cependant à ne pas lui écrire, pensant peut-être que le tourment était moins cruel de vivre sans sa maîtresse qu′avec elle dans certaines conditions, ou qu′après la façon dont ils s′étaient quittés, attendre ses excuses était nécessaire pour qu′elle conservât ce qu′il croyait qu′elle avait pour lui sinon d′amour, du moins d′estime et de respect. Il se contentait d′aller au téléphone, qu′on venait d′installer à Doncières, et de demander des nouvelles, ou de donner des instructions à une femme de chambre qu′il avait placée auprès de son amie. Ces communications étaient du reste compliquées et lui prenaient plus de temps parce que, suivant les opinions de ses amis littéraires relativement à la laideur de la capitale, mais surtout en considération de ses bêtes, de ses chiens, de son singe, de ses serins et de son perroquet, dont son propriétaire de Paris avait cessé de tolérer les cris incessants, la maîtresse de Robert venait de louer une petite propriété aux environs de Versailles. Cependant lui, à Doncières, ne dormait plus un instant la nuit. Une fois, chez moi, vaincu par la fatigue, il s′assoupit un peu. Mais tout d′un coup, il commença à parler, il voulait courir, empêcher quelque chose, il disait: «Je l′entends, vous ne . . . vous ne. . . . » Il s′éveilla. Il me dit qu′il venait de rêver qu′il était à la campagne chez le maréchal des logis chef. Celui-ci avait tâché de l′écarter d′une certaine partie de la maison. Saint–Loup avait deviné que le maréchal des logis avait chez lui un lieutenant très riche et très vicieux qu′il savait désirer beaucoup son amie. Et tout à coup dans son rêve il avait distinctement entendu les cris intermittents et réguliers qu′avait l′habitude de pousser sa maîtresse aux instants de volupté. Il avait voulu forcer le maréchal des logis de le mener à la chambre. Et celui-ci le maintenait pour l′empêcher d′y aller, tout en ayant un certain air froissé de tant d′indiscrétion, que Robert disait qu′il ne pourrait jamais oublier.
He suffered in anticipation, without a single omission, all the griefs and pains of a rupture which at other moments he fancied he might somehow contrive to avoid, like people who put all their affairs in order with a view to a migration abroad which they never make, whose minds, no longer certain where they will find themselves living next day, flutter helplessly for the time being, detached from them, like a heart that is taken out of a dying man and continues to beat, though disjoined from the rest of his body. Anyhow, this hope that his mistress would return gave him courage to persevere in the rupture, as the belief that one will return alive from the battle helps one to face death. And inasmuch as habit is, of all the plants of human growth, the one that has least need of nutritious soil in order to live, and is the first to appear upon what is apparently the most barren rock, perhaps had he begun by effecting their rupture as a feint he would in the end have grown genuinely accustomed to it. But his uncertainty kept him in a state of emotion which, linked with the memory of the woman herself, was akin to love. He forced himself, nevertheless, not to write to her, thinking perhaps that it was a less cruel torment to live without his mistress than with her in certain conditions, or else that, after the way in which they had parted, it was necessary to wait for excuses from her, if she was to keep what he believed her to feel for him in the way, if not of love, at any rate of esteem and regard. He contented himself with going to the telephone, which had recently been installed at Doncières, and asking for news from, or giving instructions to a lady′s maid whom he had procured and placed with his friend. These communications were, as it turned out, complicated and took up much of his time, since, influenced by what her literary friends preached to her about the ugliness of the capital, but principally for the sake of her animals, her dogs, her monkey, her canaries and her parrokeet, whose incessant din her Paris landlord had declined to tolerate for another moment, Robert′s mistress had now taken a little house in the neighbourhood of Versailles. Meanwhile he, down at Doncières, no longer slept a wink all night. Once, in my room, overcome by exhaustion, he dozed off for a little. But suddenly he began to talk, tried to get up and run, to stop something from happening, said: “I hear her; you shan′t . . . you shan′t. . . . ” He awoke. He had been dreaming, he explained to me, that he was in the country with the serjeant-major. His host had tried to keep him away from a certain part of the house. Saint-Loup had discovered that the serjeant-major had staying with him a subaltern, extremely rich and extremely vicious, whom he knew to have a violent passion for his mistress. And suddenly in his dream he had distinctly heard the spasmodic, regular cries which his mistress was in the habit of uttering at the moment of gratification. He had tried to force the serjeant-major to take him to the room in which she was. And the other had held him back, to keep him from going there, with an air of annoyance at such a want of discretion in a guest which, Robert said, he would never be able to forget.
— Mon rêve est idiot, ajouta-t-il encore tout essoufflé.
“It was an idiotic dream,” he concluded, still quite breathless.
Mais je vis bien que, pendant l′heure qui suivit, il fut plusieurs fois sur le point de téléphoner à sa maîtresse pour lui demander de se réconcilier. Mon père avait le téléphone depuis peu, mais je ne sais si cela eût beaucoup servi à Saint–Loup. D′ailleurs il ne me semblait pas très convenable de donner à mes parents, même seulement à un appareil posé chez eux, ce rôle d′intermédiaire entre Saint–Loup et sa maîtresse, si distinguée et noble de sentiments que pût être celle-ci. Le cauchemar qu′avait eu Saint–Loup s′effaça un peu de son esprit. Le regard distrait et fixe, il vint me voir durant tous ces jours atroces qui dessinèrent pour moi, en se suivant l′un l′autre, comme la courbe magnifique de quelque rampe durement forgée d′où Robert restait à se demander quelle résolution son amie allait prendre.
All the same I could see that, during the hour that followed, he was more than once on the point of telephoning to his mistress to beg for a reconciliation. My father had now had the telephone for some time at home, but I doubt whether that would have been of much use to Saint-Loup. Besides, it hardly seemed to me quite proper to make my parents, or even a mechanical instrument installed in their house, play pander between Saint-Loup and his mistress, ladylike and high-minded as the latter might be. His bad dream began to fade from his memory. With a fixed and absent stare, he came to see me on each of those cruel days which traced in my mind as they followed one after the other the splendid sweep of a staircase forged in hard metal on which Robert stood asking himself what decision his friend was going to take.
Enfin, elle lui demanda s′il consentirait à pardonner. Aussitôt qu′il eut compris que la rupture était évitée, il vit tous les inconvénients d′un rapprochement. D′ailleurs il souffrait déjà moins et avait presque accepté une douleur dont il faudrait, dans quelques mois peut-être, retrouver à nouveau la morsure si sa liaison recommençait. Il n′hésita pas longtemps. Et peut-être n′hésita-t-il que parce qu′il était enfin certain de pouvoir reprendre sa maîtresse, de le pouvoir, donc de le faire. Seulement elle lui demandait, pour qu′elle retrouvât son calme, de ne pas revenir à Paris au 1er janvier. Or, il n′avait pas le courage d′aller à Paris sans la voir. D′autre part elle avait consenti à voyager avec lui, mais pour cela il lui fallait un véritable congé que le capitaine de Borodino ne voulait pas lui accorder.
At length she wrote to ask whether he would consent to forgive her. As soon as he realised that a definite rupture had been avoided he saw all the disadvantages of a reconciliation. Besides, he had already begun to suffer less acutely, and had almost accepted a grief the sharp tooth of which he would have, in a few months perhaps, to feel again if their intimacy were to be resumed. He did not hesitate for long. And perhaps he hesitated only because he was now certain of being able to recapture his mistress, of being able to do it and therefore of doing it. Only she asked him, so that she might have time to recover her equanimity, not to come to Paris at the New Year. Now he had not the heart to go to Paris without seeing her. On the other hand, she had declared her willingness to go abroad with him, bot for that he would need to make a formal application for leave, which Captain de Borodino was unwilling to grant.
— Cela m′ennuie à cause de notre visite chez ma tante qui se trouve ajournée. Je retournerai sans doute à Paris à Pâques.
“I′m sorry about it, because of your meeting with my aunt, which will have to be put off. I dare say I shall be in Paris at Easter.”
— Nous ne pourrons pas aller chez Mme de Guermantes à ce moment-là, car je serai déjà à Balbec. Mais ça ne fait absolument rien.
“We shan′t be able to call on Mme. de Guermantes then, because I shall have gone to Balbec. But, really, it doesn′t matter in the least, I assure you.”
— A Balbec? mais vous n′y étiez allé qu′au mois d′août.
“To Balbec? But you didn′t go there till August.”
— Oui, mais cette année, à cause de ma santé, on doit m′y envoyer plus tôt.
“I know; but next year they′re making me go there earlier, for my health.”
Toute sa crainte était que je ne jugeasse mal sa maîtresse, après ce qu′il m′avait raconté. «Elle est violente seulement parce qu′elle est trop franche, trop entière dans ses sentiments. Mais c′est un être sublime. Tu ne peux pas t′imaginer les délicatesses de poésie qu′il y a chez elle. Elle va passer tous les ans le jour des morts à Bruges. C′est «bien», n′est-ce pas? Si jamais tu la connais, tu verras, elle a une grandeur. . . . » Et comme il était imbu d′un certain langage qu′on parlait autour de cette femme dans des milieux littéraires: «Elle a quelque chose de sidéral et même de vatique, tu comprends ce que je veux dire, le poète qui était presque un prêtre.»
All that he feared was that I might form a bad impression of his mistress, after what he had told me. “She is violent simply because she is too frank, too thorough in her feelings. But she is a sublime creature. You can′t imagine what exquisite poetry there is in her. She goes every year to spend all Souls′ Day at Bruges. ‘Nice′ of her, don′t you think? If you ever do meet her you′ll see what I mean; she has a greatness. . . . ” And, as he was infected with certain of the mannerisms used in the literary circles in which the lady moved: “There is something sidereal about her, in fact something bardic; you know what I mean, the poet merging into the priest.”
Je cherchai pendant tout le dîner un prétexte qui permît à Saint–Loup de demander à sa tante de me recevoir sans attendre qu′il vînt à Paris. Or, ce prétexte me fut fourni par le désir que j′avais de revoir des tableaux d′Elstir, le grand peintre que Saint–Loup et moi nous avions connu à Balbec. Prétexte où il y avait, d′ailleurs, quelque vérité car si, dans mes visites à Elstir, j′avais demandé à sa peinture de me conduire à la compréhension et à l′amour de choses meilleures qu′elle-même, un dégel véritable, une authentique place de province, de vivantes femmes sur la plage (tout au plus lui eussé-je commandé le portrait des réalités que je n′avais pas su approfondir, comme un chemin d′aubépine, non pour qu′il me conservât leur beauté mais me la découvrît), maintenant au contraire, c′était l′originalité, la séduction de ces peintures qui excitaient mon désir, et ce que je voulais surtout voir, c′était d′autres tableaux d′Elstir.
I was searching all through dinner for a pretext which would enable Saint-Loup to ask his aunt to see me without my having to wait until he came to Paris. Now such a pretext was furnished by the desire that I had to see some more pictures by Elstir, the famous painter whom Saint-Loup and I had met at Balbec. A pretext behind which there was, moreover, an element of truth, for if, on my visits to Elstir, what I had asked of his painting had been that it should lead me to the comprehension and love of things better than itself, a real thaw, an authentic square in a country town, live women on a beach (all the more would I have commissioned from it the portraits of the realities which I had not been able to fathom, such as a lane of hawthorn-blossoms, not so much that it might perpetuate their beauty for me as that it might reveal that beauty to me), now, on the other hand, it was the originality, the seductive attraction of those paintings that aroused my desire, and what I wanted above anything else was to look at other pictures by Elstir.
Il me semblait d′ailleurs que ses moindres tableaux, à lui, étaient quelque chose d′autre que les chefs-d′oeuvre de peintres même plus grands. Son oeuvre était comme un royaume clos, aux frontières infranchissables, à la matière sans seconde. Collectionnant avidement les rares revues où on avait publié des études sur lui, j′y avais appris que ce n′était que récemment qu′il avait commencé à peindre des paysages et des natures mortes, mais qu′il avait commencé par des tableaux mythologiques (j′avais vu les photographies de deux d′entre eux dans son atelier), puis avait été longtemps impressionné par l′art japonais.
It seemed to me, also, that the least of his pictures were something quite different from the masterpieces even of greater painters than himself. His work was like a realm apart, whose frontiers were not to be passed, matchless in substance. Eagerly collecting the infrequent periodicals in which articles on him and his work had appeared, I had learned that it was only recently that he had begun to paint landscapes and still life, and that he had started with mythological subjects (I had seen photographs of two of these in his studio), and had then been for long under the influence of Japanese art.
Certaines des oeuvres les plus caractéristiques de ses diverses manières se trouvaient en province. Telle maison des Andelys où était un de ses plus beaux paysages m′apparaissait aussi précieuse, me donnait un aussi vif désir du voyage, qu′un village chartrain dans la pierre meulière duquel est enchâssé un glorieux vitrail; et vers le possesseur de ce chef-d′oeuvre, vers cet homme qui au fond de sa maison grossière, sur la grand′rue, enfermé comme un astrologue, interrogeait un de ces miroirs du monde qu′est un tableau d′Elstir et qui l′avait peut-être acheté plusieurs milliers de francs, je me sentais porté par cette sympathie qui unit jusqu′aux coeurs, jusqu′aux caractères de ceux qui pensent de la même façon que nous sur un sujet capital. Or, trois oeuvres importantes de mon peintre préféré étaient désignées, dans l′une de ces revues, comme appartenant à Mme de Guermantes. Ce fut donc en somme sincèrement que, le soir où Saint–Loup m′avait annoncé le voyage de son amie à Bruges, je pus, pendant le dîner, devant ses amis, lui jeter comme à l′improviste:
Several of the works most characteristic of his various manners were scattered about the provinces. A certain house at les Andelys, in which there was one of his finest landscapes, seemed to me as precious, gave me as keen a desire to go there and see it as did a village in the Chartres district, among whose millstone walls was enshrined a glorious painted window; and towards the possessor of this treasure, towards the man who, inside his ugly house, on the main Street, closeted like an astrologer, sat questioning one of those mirrors of the world which Elstir′s pictures were, and who had perhaps bought it for many thousands of francs, I felt myself borne by that instinctive sympathy which joins the very hearts, the inmost natures of those who think alike upon a vital subject. Now three important works by my favourite painter were described in one of these articles as belonging to Mme. de Guermantes. So that it was, after all, quite sincerely that, on the evening on which Saint-Loup told me of his lady′s projected visit to Bruges, I was able, during dinner, in front of his friends, to let fall, as though on the spur of the moment:
—Écoute, tu permets? dernière conversation au sujet de la dame dont nous avons parlé. Tu te rappelles Elstir, le peintre que j′ai connu à Balbec?
“Listen, if you don′t mind. Just one last word on the subject of the lady we were speaking about. You remember Elstir, the painter I met at Balbec?”
— Mais, voyons, naturellement.
“Why, of course I do.”
— Tu te rappelles mon admiration pour lui?
“You remember how much I admired his work?”
— Très bien, et la lettre que nous lui avions fait remettre.
“I do, quite well; and the letter we sent him.”
— Eh bien, une des raisons, pas des plus importantes, une raison accessoire pour laquelle je désirerais connaître ladite dame, tu sais toujours bien laquelle?
“Very well, one of the reasons — not one of the chief reasons, a subordinate reason — why I should like to meet the said lady — you do know who′ I mean, don′t you?”
— Mais oui! que de parenthèses!
“Of course I do. How involved you′re getting.”
— C′est qu′elle a chez elle au moins un très beau tableau d′Elstir.
“Is that she has in her house one very fine picture, at least, by Elstir.”
— Tiens, je ne savais pas.
“I say, I never knew that.”
— Elstir sera sans doute à Balbec à Pâques, vous savez qu′il passe maintenant presque toute l′année sur cette côte. J′aurais beaucoup aimé avoir vu ce tableau avant mon départ. Je ne sais si vous êtes en termes assez intimes avec votre tante: ne pourriez-vous, en me faisant assez habilement valoir à ses yeux pour qu′elle ne refuse pas, lui demander de me laisser aller voir le tableau sans vous, puisque vous ne serez pas là?
“Elstir will probably be at Balbec at Easter; you know he stays down there now all the year round, practically. I should very much like to have seen this picture before I leave Paris. I don′t know whether you′re on sufficiently intimate terms with your aunt: but couldn′t you manage, somehow, to give her so good an impression of me that she won′t refuse, and then ask her if she′ll let me come and see the picture without you, since you won′t be there?”
— C′est entendu, je réponds pour elle, j′en fais mon affaire.
“That′s all right. I′ll answer for her; I′ll make a special point of it.”
— Robert, comme je vous aime!
“Oh, Robert, you are an angel; I do love you.”
— Vous êtes gentil de m′aimer mais vous le seriez aussi de me tutoyer comme vous l′aviez promis et comme tu avais commencé de le faire.
“It′s very nice of you to love me, but it would be equally nice if you were to call me tu, as you promised, and as you began to do.”
— J′espère que ce n′est pas votre départ que vous complotez, me dit un des amis de Robert. Vous savez, si Saint–Loup part en permission, cela ne doit rien changer, nous sommes là. Ce sera peut-être moins amusant pour vous, mais on se donnera tant de peine pour tâcher de vous faire oublier son absence.
“I hope it′s not your departure that you two are plotting together,” one of Robert′s friends said to me. “You know, if Saint-Loup does go on leave, it needn′t make any difference, we shall still be here. It will be less amusing for you, perhaps, but we′ll do all we can to make you forget his absence.”
En effet, au moment où on croyait que l′amie de Robert irait seule à Bruges, on venait d′apprendre que le capitaine de Borodino, jusque-là d′un avis contraire, venait de faire accorder au sous-officier Saint–Loup une longue permission pour Bruges. Voici ce qui s′était passé. Le Prince, très fier de son opulente chevelure, était un client assidu du plus grand coiffeur de la ville, autrefois garçon de l′ancien coiffeur de Napoléon III. Le capitaine de Borodino était au mieux avec le coiffeur car il était, malgré ses façons majestueuses, simple avec les petites gens. Mais le coiffeur, chez qui le Prince avait une note arriérée d′au moins cinq ans et que les flacons de «Portugal», d′«Eau des Souverains», les fers, les rasoirs, les cuirs enflaient non moins que les shampoings, les coupes de cheveux, etc., plaçait plus haut Saint–Loup qui payait rubis sur l′ongle, avait plusieurs voitures et des chevaux de selle. Mis au courant de l′ennui de Saint–Loup de ne pouvoir partir avec sa maîtresse, il en parla chaudement au Prince ligoté d′un surplis blanc dans le moment que le barbier lui tenait la tête renversée et menaçait sa gorge. Le récit de ces aventures galantes d′un jeune homme arracha au capitaine-prince un sourire d′indulgence bonapartiste. Il est peu probable qu′il pensa à sa note impayée, mais la recommandation du coiffeur l′inclinait autant à la bonne humeur qu′à la mauvaise celle d′un duc. Il avait encore du savon plein le menton que la permission était promise et elle fut signée le soir même. Quant au coiffeur, qui avait l′habitude de se vanter sans cesse et, afin de le pouvoir, s′attribuait, avec une faculté de mensonge extraordinaire, des prestiges entièrement inventés, pour une fois qu′il rendit un service signalé à Saint–Loup, non seulement il n′en fit pas sonner le mérite, mais, comme si la vanité avait besoin de mentir, et, quand il n′y a pas lieu de le faire, cède la place à la modestie, n′en reparla jamais à Robert.
As a matter of fact, just as we had decided that Robert′s mistress would have to go to Bruges by herself, the news came that Captain de Borodino, obdurate hitherto in his refusal, had given authority for Serjeant Saint-Loup to proceed on long leave to Bruges. What had happened was this. The Prince, extremely proud of his luxuriant head of hair, was an assiduous customer of the principal hairdresser in the town, who had started life as a boy under Napoleon III′s barber. Captain de Borodino was on the best of terms with the hairdresser, being, in spite of his air of majesty, quite simple in his dealings with his inferiors. But the hairdresser, through whose books the Prince′s account had been running without payment for at least five years, swollen no less by bottles of Portugal and Eau des Souverains, irons, razors, and strops, than by the ordinary charges for shampooing, haircutting and the like, had a greater respect for Saint-Loup, who always paid on the nail and kept several carriages and saddle-horses. Having learned of Saint-Loup′s vexation at not being able to go with his mistress, he had spoken strongly about it to the Prince at a moment when he was trussed up in a white surplice with his head held firmly over the back of the chair and his throat menaced by a razor. This narrative of a young man′s gallant adventures won from the princely captain a smile of Bonapartish indulgence. It is hardly probable that he thought of his unpaid bill, but the barber′s recommendation tended to put him in as good a humour as one from a duke would have put him in a bad. While his chin was still smothered in soap, the leave was promised, and the warrant was signed that evening. As for the hairdresser, who was in the habit of boasting all day long of his own exploits, and in order to do so claimed for himself, shewing an astonishing faculty for lying, distinctions that were pure fabrications, having for once rendered this signal service to Saint-Loup, not only did he refrain from publishing it broadcast, but, as if vanity were obliged to lie, and when there was no scope for lying gave place to modesty, he never mentioned the matter to Robert again.
Tous les amis de Robert me dirent qu′aussi longtemps que je resterais à Doncières, ou à quelque époque que j′y revinsse, s′il n′était pas là, leurs voitures, leurs chevaux, leurs maisons, leurs heures de liberté seraient à moi et je sentais que c′était de grand coeur que ces jeunes gens mettaient leur luxe, leur jeunesse, leur vigueur au service de ma faiblesse.
All his friends assured me that, as long as I stayed at Doncières, or if I should come there again at any time, even although Robert were away, their horses, their quarters, their time would be at my disposal, and I felt that it was with the greatest cordiality that these young men put their comfort and youth and strength at the service of my weakness.
— Pourquoi du reste, reprirent les amis de Saint–Loup après avoir insisté pour que je restasse, ne reviendriez-vous pas tous les ans? vous voyez bien que cette petite vie vous plaît! Et, même, vous vous intéressez à tout ce qui se passe au régiment comme un ancien.
“Why on earth,” they went on, after insisting that I should stay, “don′t you come down here every year; you see how our quiet life appeals to you! Besides you′re so keen about everything that goes on in the regiment; quite the old soldier.”
Car je continuais à leur demander avidement de classer les différents officiers dont je savais les noms, selon l′admiration plus ou moins grande qu′ils leur semblaient mériter, comme jadis, au collège, je faisais faire à mes camarades pour les acteurs du Théâtre-Français. Si à la place d′un des généraux que j′entendais toujours citer en tête de tous les autres, un Galliffet ou un Négrier, quelque ami de Saint–Loup disait: «Mais Négrier est un officier général des plus médiocres» et jetait le nom nouveau, intact et savoureux de Pau ou de Geslin de Bourgogne, j′éprouvais la même surprise heureuse que jadis quand les noms épuisés de Thiron ou de Febvre se trouvaient refoulés par l′épanouissement soudain du nom inusité d′Amaury. «Même supérieur à Négrier? Mais en quoi? donnez-moi un exemple.» Je voulais qu′il existât des différences profondes jusqu′entre les officiers subalternes du régiment, et j′espérais, dans la raison de ces différences, saisir l′essence de ce qu′était la supériorité militaire. L′un de ceux dont cela m′eût le plus intéressé d′entendre parler, parce que c′est lui que j′avais aperçu le plus souvent, était le prince de Borodino. Mais ni Saint–Loup, ni ses amis, s′ils rendaient en lui justice au bel officier qui assurait à son escadron une tenue incomparable, n′aimaient l′homme. Sans parler de lui évidemment sur le même ton que de certains officiers sortis du rang et francs-maçons, qui ne fréquentaient pas les autres et gardaient à côté d′eux un aspect farouche d′adjudants, ils ne semblaient pas situer M. de Borodino au nombre des autres officiers nobles, desquels à vrai dire, même à l′égard de Saint–Loup, il différait beaucoup par l′attitude. Eux, profitant de ce que Robert n′était que sous-officier et qu′ainsi sa puissante famille pouvait être heureuse qu′il fût invité chez des chefs qu′elle eût dédaignés sans cela, ne perdaient pas une occasion de le recevoir à leur table quand s′y trouvait quelque gros bonnet capable d′être utile à un jeune maréchal des logis. Seul, le capitaine de Borodino n′avait que des rapports de service, d′ailleurs excellents, avec Robert. C′est que le prince, dont le grand-père avait été fait maréchal et prince-duc par l′Empereur, à la famille de qui il s′était ensuite allié par son mariage, puis dont le père avait épousé une cousine de Napoléon III et avait été deux fois ministre après le coup d′État, sentait que malgré cela il n′était pas grand′ chose pour Saint–Loup et la société des Guermantes, lesquels à leur tour, comme il ne se plaçait pas au même point de vue qu′eux, ne comptaient guère pour lui. Il se doutait que, pour Saint–Loup, il était — lui apparenté aux Hohenzollern — non pas un vrai noble mais le petit-fils d′un fermier, mais, en revanche, considérait Saint–Loup comme le fils d′un homme dont le comté avait été confirmé par l′Empereur — on appelait cela dans le faubourg Saint–Germain les comtes refaits — et avait sollicité de lui une préfecture, puis tel autre poste placé bien bas sous les ordres de S.A. le prince de Borodino, ministre d′État, à qui l′on écrivait «Monseigneur» et qui était neveu du souverain.
For I continued my eager demands that they would classify the different officers whose names I knew according to the degree of admiration which they seemed to deserve, just as, in my schooldays, I used to make the other boys classify the actors of the Théâtre-Français. If, in the place of one of the generals whom I had always heard mentioned at the head of the list, such as Galliffet or Négrier, one of Saint-Loup′s friends, with a contemptuous: “But Négrier is one of the feeblest of our general officers,” put the new, intact, appetising name of Pau or Geslin de Bourgogne, I felt the same joyful surprise as long ago when the outworn name of Thiron or Febvre was sent flying by the sudden explosion of the unfamiliar name of Amaury. “Better even than Négrier? But in what respect; give me an example?” I should have liked there to exist profound differences even among the junior officers of the regiment, and I hoped in the reason for these differences to seize the essential quality of what constituted military superiority. The one whom I should have been most interested to hear discussed, because he was the one whom I had most often seen, was the Prince de Borodino. But neither Saint-Loup nor his friends, if they did justice to the fine officer who kept his squadron up to the supreme pitch of efficiency, liked the man. Without speaking of him, naturally, in the same tone as of certain other officers, rankers and freemasons, who did not associate much with the rest and had, in comparison, an uncouth, barrack-room manner, they seemed not to include M. de Borodino among the officers of noble birth, from whom, it must be admitted, he differed considerably in his attitude even towards Saint-Loup. The others, taking advantage of the fact that Robert was only an N.C.O., and that therefore his influential relatives might be grateful were he invited to the houses of superior officers on whom ordinarily they would have looked down, lost no opportunity of having him to dine when any bigwig was expected who might be of use to a young cavalry serjeant. Captain de Borodino alone confined himself to his official relations (which, for that matter, were always excellent) with Robert. The fact was that the Prince, whose grandfather had been made a Marshal and a Prince-Duke by the Emperor, with whose family he had subsequently allied himself by marriage, while his father had married a cousin of Napoleon III and had twice been a Minister after the Coup d′Etat, felt that in spite of all this he did not count for much with Saint-Loup and the Guermantes connexion, who in turn, since he did not look at things from the same point of view as they, counted for very little with him. He suspected that, for Saint-Loup, he himself was — he, a kinsman of the Hohenzollern — not a true noble but the grandson of a farmer, but at the same time he regarded Saint-Loup as the son of a man whose Countship had been confirmed by the Emperor — one of what were known in the Faubourg Saint-Germain as ‘touched-up′ Counts — and who had besought him first for a Prefecture, then for some other post a long way down the list of subordinates to His Highness the Prince de Borodino, Minister of State, who was styled on his letters ‘Monseigneur′ and was a nephew of the Sovereign.
Plus que neveu peut-être. La première princesse de Borodino passait pour avoir eu des bontés pour Napoléon Ier qu′elle suivit à l′île d′Elbe, et la seconde pour Napoléon III. Et si, dans la face placide du capitaine, on retrouvait de Napoléon Ier, sinon les traits naturels du visage, du moins la majesté étudiée du masque, l′officier avait surtout dans le regard mélancolique et bon, dans la moustache tombante, quelque chose qui faisait penser à Napoléon III; et cela d′une façon si frappante qu′ayant demandé après Sedan à pouvoir rejoindre l′Empereur, et ayant été éconduit par Bismarck auprès de qui on l′avait mené, ce dernier levant par hasard les yeux sur le jeune homme qui se disposait à s′éloigner, fut saisi soudain par cette ressemblance et, se ravisant, le rappela et lui accorda l′autorisation que, comme à tout le monde, il venait de lui refuser.
Something more than a nephew, possibly. The first Princesse de Borodino was reputed to have bestowed her favours on Napoleon I, whom she followed to the Isle of Elba, and the second hers on Napoleon III. And if, in the Captain′s placid countenance, one caught a trace of Napoleon I— if not in his natural features, at least in the studied majesty of the mask — the officer had, particularly in his melancholy and kindly gaze, in his drooping moustache, something that reminded one also of Napoleon III; and this in so striking a fashion that, having asked leave, after Sedan, to join the Emperor in captivity, and having been sent away by Bismarck, before whom he had been brought, the latter, happening to look up at the young man who was preparing to leave the room, was at once impressed by the likeness and, reconsidering his decision, recalled him and gave him the authorisation which he, in common with every one else, had just been refused.
Si le prince de Borodino ne voulait pas faire d′avances à Saint–Loup ni aux autres membres de la société du faubourg Saint–Germain qu′il y avait dans le régiment (alors qu′il invitait beaucoup deux lieutenants roturiers qui étaient des hommes agréables), c′est que, les considérant tous du haut de sa grandeur impériale, il faisait, entre ces inférieurs, cette différence que les uns étaient des inférieurs qui se savaient l′être et avec qui il était charmé de frayer, étant, sous ses apparences de majesté, d′une humeur simple et joviale, et les autres des inférieurs qui se croyaient supérieurs, ce qu′il n′admettait pas. Aussi, alors que tous les officiers du régiment faisaient fête à Saint–Loup, le prince de Borodino à qui il avait été recommandé par le maréchal de X . . . se borna à être obligeant pour lui dans le service, où Saint–Loup était d′ailleurs exemplaire, mais il ne le reçut jamais chez lui, sauf en une circonstance particulière où il fut en quelque sorte forcé de l′inviter, et, comme elle se présentait pendant mon séjour, lui demanda de m′amener. Je pus facilement, ce soir-là, en voyant Saint–Loup à la table de son capitaine, discerner jusque dans les manières et l′élégance de chacun d′eux la différence qu′il y avait entre les deux aristocraties: l′ancienne noblesse et celle de l′Empire. Issu d′une caste dont les défauts, même s′il les répudiait de toute son intelligence, avaient passé dans son sang, et qui, ayant cessé d′exercer une autorité réelle depuis au moins un siècle, ne voit plus dans l′amabilité protectrice qui fait partie de l′éducation qu′elle reçoit, qu′un exercice comme l′équitation ou l′escrime, cultivé sans but sérieux, par divertissement, à l′encontre des bourgeois que cette noblesse méprise assez pour croire que sa familiarité les flatte et que son sans-gêne les honorerait, Saint–Loup prenait amicalement la main de n′importe quel bourgeois qu′on lui présentait et dont il n′avait peut-être pas entendu le nom, et en causant avec lui (sans cesser de croiser et de décroiser les jambes, se renversant en arrière, dans une attitude débraillée, le pied dans la main) l′appelait «mon cher». Mais au contraire, d′une noblesse dont les titres gardaient encore leur signification, tout pourvus qu′ils restaient de riches majorats récompensant de glorieux services, et rappelant le souvenir de hautes fonctions dans lesquelles on commande à beaucoup d′hommes et où l′on doit connaître les hommes, le prince de Borodino — sinon distinctement, et dans sa conscience personnelle et claire, du moins en son corps qui le révélait par ses attitudes et ses façons — considérait son rang comme une prérogative effective; à ces mêmes roturiers que Saint–Loup eût touchés à l′épaule et pris par le bras, il s′adressait avec une affabilité majestueuse, où une réserve pleine de grandeur tempérait la bonhomie souriante qui lui était naturelle, sur un ton empreint à la fois d′une bienveillance sincère et d′une hauteur voulue. Cela tenait sans doute à ce qu′il était moins éloigné des grandes ambassades et de la cour, où son père avait eu les plus hautes charges et où les manières de Saint–Loup, le coude sur la table et le pied dans la main, eussent été mal reçues, mais surtout cela tenait à ce que cette bourgeoisie, il la méprisait moins, qu′elle était le grand réservoir où le premier Empereur avait pris ses maréchaux, ses nobles, où le second avait trouvé un Fould, un Rouher.
If the Prince de Borodino was not prepared to make overtures to Saint-Loup nor to the other representatives of Faubourg Saint-Germain society that there were in the regiment (while he frequently invited two subalterns of plebeian origin who were pleasant companions) it was because, looking down upon them all from the height of his Imperial grandeur, he drew between these two classes of inferiors the distinction that one set consisted of inferiors who knew themselves to be such and with whom he was delighted to spend his time, being beneath his outward majesty of a simple, jovial humour, and the other of inferiors who thought themselves his superiors, a claim which he could not allow. And so, while all the other officers of the regiment made much of Saint-Loup, the Prince de Borodino, to whose care the young man had been recommended by Marshal X— — confined himself to being obliging with regard to the military duties which Saint-Loup always performed in the most exemplary fashion, but never had him to his house except on one special occasion when he found himself practically compelled to invite him, and when, as this occurred during my stay at Doncières, he asked him to bring me to dinner also. I had no difficulty that evening, as I watched Saint-Loup sitting at his Captain′s table, in distinguishing, in their respective manners and refinements, the difference that existed between the two aristocracies: the old nobility and that of the Empire. The offspring of a caste the faults of which, even if he repudiated them with all the force of his intellect, had been absorbed into his blood, a caste which, having ceased to exert any real authority for at least a century, saw nothing more now in the protective affability which formed part of its regular course of education, than an exercise, like horsemanship or fencing, cultivated without any serious purpose, as a sport; on meeting representatives of that middle class on which the old nobility so far looked down as to believe that they were nattered by its intimacy and would be honoured by the informality of its tone, Saint-Loup would take the hand of no matter who might be introduced to him, though he had failed perhaps to catch the stranger′s name, in a friendly grip, and as he talked to him (crossing and uncrossing his legs all the time, flinging himself back in his chair in an attitude of absolute unconstraint, one foot in the palm of his hand) call him ‘my dear fellow.′ Belonging o the other hand to a nobility whose titles still preserved their original meaning, provided that their holders still possessed the splendid emoluments given in reward for glorious services and bringing to mind the record of high offices in which one is in command of numberless men and must know how to deal with men, the Prince de Borodino — not perhaps very distinctly or with any clear personal sense of superiority, but at any rate in his body, which revealed it by its attitudes and behaviour generally — regarded his own rank as a prerogative that was still effective; those same commoners whom Saint-Loup would have slapped on the shoulder and taken by the arm he addressed with a majestic affability, in which a reserve instinct with grandeur tempered the smiling good-fellowship that came naturally to him, in a tone marked at once by a genuine kindliness and a stiffness deliberately assumed. This was due, no doubt, to his being not so far removed from the great Embassies, and the Court itself, at which his father had held the highest posts, whereas the manners of Saint-Loup, the elbow on the table, the foot in the hand, would not have been well received there; but principally it was due to the fact that he looked down less upon the middle classes because they were the inexhaustible source from which the first Emperor had chosen his marshals and his nobles and in which the second had found a Rouher and a Fould.
Sans doute, fils ou petit-fils d′empereur, et qui n′avait plus qu′à commander un escadron, les préoccupations de son père et de son grand-père ne pouvaient, faute d′objet à quoi s′appliquer, survivre réellement dans la pensée de M. de Borodino. Mais comme l′esprit d′un artiste continue à modeler bien des années après qu′il est éteint la statue qu′il sculpta, elles avaient pris corps en lui, s′y étaient matérialisées, incarnées, c′était elles que reflétait son visage. C′est avec, dans la voix, la vivacité du premier Empereur qu′il adressait un reproche à un brigadier, avec la mélancolie songeuse du second qu′il exhalait la bouffée d′une cigarette. Quand il passait en civil dans les rues de Doncières un certain éclat dans ses yeux, s′échappant de sous le chapeau melon, faisait reluire autour du capitaine un incognito souverain; on tremblait quand il entrait dans le bureau du maréchal des logis chef, suivi de l′adjudant, et du fourrier comme de Berthier et de Masséna. Quand il choisissait l′étoffe d′un pantalon pour son escadron, il fixait sur le brigadier tailleur un regard capable de déjouer Talleyrand et tromper Alexandre; et parfois, en train de passer une revue d′installage, il s′arrêtait, laissant rêver ses admirables yeux bleus, tortillait sa moustache, avait l′air d′édifier une Prusse et une Italie nouvelles. Mais aussitôt, redevenant de Napoléon III Napoléon Ier, il faisait remarquer que le paquetage n′était pas astiqué et voulait goûter à l′ordinaire des hommes. Et chez lui, dans sa vie privée, c′était pour les femmes d′officiers bourgeois (à la condition qu′ils ne fussent pas francs-maçons) qu′il faisait servir non seulement une vaisselle de Sèvres bleu de roi, digne d′un ambassadeur (donnée à son père par Napoléon, et qui paraissait plus précieuse encore dans la maison provinciale qu′il habitait sur le Mail, comme ces porcelaines rares que les touristes admirent avec plus de plaisir dans l′armoire rustique d′un vieux manoir aménagé en ferme achalandée et prospère), mais encore d′autres présents de l′Empereur: ces nobles et charmantes manières qui elles aussi eussent fait merveille dans quelque poste de représentation, si pour certains ce n′était pas être voué pour toute sa vie au plus injuste des ostracismes que d′être «né», des gestes familiers, la bonté, la grâce et, enfermant sous un émail bleu de roi aussi, des images glorieuses, la relique mystérieuse, éclairée et survivante du regard. Et à propos des relations bourgeoises que le prince avait à Doncières, il convient de dire ceci. Le lieutenant-colonel jouait admirablement du piano, la femme du médecin-chef chantait comme si elle avait eu un premier prix au Conservatoire. Ce dernier couple, de même que le lieutenant-colonel et sa femme, dînaient chaque semaine chez M. de Borodino. Ils étaient certes flattés, sachant que, quand le Prince allait à Paris en permission, il dînait chez Mme de Pourtalès, chez les Murat, etc. Mais ils se disaient: «C′est un simple capitaine, il est trop heureux que nous venions chez lui. C′est du reste un vrai ami pour nous.» Mais quand M. de Borodino, qui faisait depuis longtemps des démarches pour se rapprocher de Paris, fut nommé à Beauvais, il fit son déménagement, oublia aussi complètement les deux couples musiciens que le théâtre de Doncières et le petit restaurant d′où il faisait souvent venir son déjeuner, et à leur grande indignation ni le lieutenant-colonel, ni le médecin-chef, qui avaient si souvent dîné chez lui, ne reçurent plus, de toute leur vie, de ses nouvelles. Un matin, Saint–Loup m′avoua, qu′il avait écrit à ma grand′mère pour lui donner de mes nouvelles et lui suggérer l′idée, puisque un service téléphonique fonctionnait entre Doncières et Paris, de causer avec moi. Bref, le même jour, elle devait me faire appeler à l′appareil et il me conseilla d′être vers quatre heures moins un quart à la poste. Le téléphone n′était pas encore à cette époque d′un usage aussi courant qu′aujourd′hui. Et pourtant l′habitude met si peu de temps à dépouiller de leur mystère les forces sacrées avec lesquelles nous sommes en contact que, n′ayant pas eu ma communication immédiatement, la seule pensée que j′eus ce fut que c′était bien long, bien incommode, et presque l′intention d′adresser une plainte. Comme nous tous maintenant, je ne trouvais pas assez rapide à mon gré, dans ses brusques changements, l′admirable féerie à laquelle quelques instants suffisent pour qu′apparaisse près de nous, invisible mais présent, l′être à qui nous voulions parler, et qui restant à sa table, dans la ville qu′il habite (pour ma grand′mère c′était Paris), sous un ciel différent du nôtre, par un temps qui n′est pas forcément le même, au milieu de circonstances et de préoccupations que nous ignorons et que cet être va nous dire, se trouve tout à coup transporté à des centaines de lieues (lui et toute l′ambiance où il reste plongé) près de notre oreille, au moment où notre caprice l′a ordonné. Et nous sommes comme le personnage du conte à qui une magicienne, sur le souhait qu′il en exprime, fait apparaître dans une clarté surnaturelle sa grand′mère ou sa fiancée, en train de feuilleter un livre, de verser des larmes, de cueillir des fleurs, tout près du spectateur et pourtant très loin, à l′endroit même où elle se trouve réellement. Nous n′avons, pour que ce miracle s′accomplisse, qu′à approcher nos lèvres de la planchette magique et à appeler — quelquefois un peu trop longtemps, je le veux bien — les Vierges Vigilantes dont nous entendons chaque jour la voix sans jamais connaître le visage, et qui sont nos Anges gardiens dans les ténèbres vertigineuses dont elles surveillent jalousement les portes; les Toutes–Puissantes par qui les absents surgissent à notre côté, sans qu′il soit permis de les apercevoir: les Danas de l′invisible qui sans cesse vident, remplissent, se transmettent les urnes des sons; les ironiques Furies qui, au moment que nous murmurions une confidence à une amie, avec l′espoir que personne ne nous entendait, nous crient cruellement: «J′écoute»; les servantes toujours irritées du Mystère, les ombrageuses prêtresses de l′Invisible, les Demoiselles du téléphone!
Son, doubtless, or grandson of an Emperor, who had nothing more important to do than to command a squadron, the preoccupations of his putative father and grandfather could not, for want of an object on which to fasten themselves, survive in any real sense in the mind of M. de Borodino. But as the spirit of an artist continues to model, for many years after he is dead, the statue which he carved, so they had taken shape in him, were materialised, incarnate in him, it was they that his face reflected. It was with, in his voice, the vivacity of the first Emperor that he worded a reprimand to a corporal, with the dreamy melancholy of the second that he puffed out the smoke of a cigarette. When he passed in plain clothes through the streets of Doncières, a certain sparkle in his eyes escaping from under the brim of the bowler hat sent radiating round this captain of cavalry a regal incognito; people trembled when he strode into the serjeant-major′s office, followed by the adjutant and the quartermaster, as though by Berthier and Masséna. When he chose the cloth for his squadron′s breeches, he fastened on the master-tailor a gaze capable of baffling Talleyrand and deceiving Alexander; and at times, in the middle of an inspection, he would stop, let his handsome blue eyes cloud with dreams, twist his moustache, with the air of one building up a new Prussia and a new Italy. But a moment later, reverting from Napoleon III to Napoleon I, he would point out that the equipment was not properly polished, and would insist on tasting the men′s rations. And at home, in his private life, it was for the wives of middle class officers (provided that their husbands were not freemasons) that he would bring out not only a dinner service of royal blue Sèvres, fit for an Ambassador (which had been given to his father by Napoleon, and appeared even more priceless in the commonplace house on a provincial street in which he was living, like those rare porcelains which tourists admire with a special delight in the rustic china-cupboard of some old manor that has been converted into a comfortable and prosperous farmhouse), but other gifts of the Emperor also: those noble and charming manners, which too would have won admiration in some diplomatic post abroad, if, for some men, it did not mean a lifelong condemnation to the most unjust form of ostracism, merely to be well born; his easy gestures, his kindness, his grace, and, embedding beneath an enamel that was of royal blue, also glorious images, the mysterious, illuminated, living reliquary of his gaze. And, in treating of the social relations with the middle classes which the Prince had at Doncières, it may be as well to add these few words. The lieutenant-colonel played the piano beautifully; the senior medical officer′s wife sang like a Conservatoire medallist. This latter couple, as well as the lieutenant-colonel and his wife, used to dine every week with M. de Borodino. They were flattered, unquestionably, knowing that when the Prince went to Paris on leave he dined with Mme. de Pourtalès, and the Murats, and people like that. “But,” they said to themselves, “he′s just a captain, after all; he′s only too glad to get us to come. Still, he′s a real friend, you know.” But when M. de Borodino, who had long been pulling every possible wire to secure an appointment for himself nearer Paris, was posted to Beauvais, he packed up and went, and forgot as completely the two musical couples as he forgot the Doncières theatre and the little restaurant to which he used often to send out for his luncheon, and, to their great indignation, neither the lieutenant-colonel nor the senior medical officer, who had so often sat at his table, ever had so much as a single word from him for the rest of their lives. One morning, Saint-Loup confessed to me that he had written to my grandmother to give her news of me, with the suggestion that, since there was telephonic connexion between Paris and Doncières, she might make use of it to speak to me. In short, that very day she was to give me a call, and he advised me to be at the post office at about a quarter to four. The telephone was not yet at that date as commonly in use as it is to-day. And yet habit requires so short a time to divest of their mystery the sacred forces with which we are in contact, that, not having had my call at once, the only thought in my mind was that it was very slow, and badly managed, and I almost decided to lodge a complaint. Like all of us nowadays I found not rapid enough for my liking in its abrupt changes the admirable sorcery for which a few moments are enough to bring before us, invisible but present, the person to whom we have been wishing to speak, and who, while still sitting at his table, in the town in which he lives (in my grandmother′s case, Paris), under another sky than ours, in weather that is not necessarily the same, in the midst of circumstances and worries of which we know nothing, but of which he is going to inform us, finds himself suddenly transported hundreds of miles (he and all the surroundings in which he remains immured) within reach of our ear, at the precise moment which our fancy has ordained. And we are like the person in the fairy-tale to whom a sorceress, on his uttering the wish, makes appear with supernatural clearness his grandmother or his betrothed in the act of turning over a book, of shedding tears, of gathering flowers, quite close to the spectator and yet ever so remote, in the place in which she actually is at the moment. We need only, so that the miracle may be accomplished, apply our lips to the magic orifice and invoke — occasionally for rather longer than seems to us necessary, I admit — the Vigilant Virgins to whose voices we listen every day without ever coming to know their faces, and who are our Guardian Angels in the dizzy realm of darkness whose portals they so jealously keep; the All Powerful by whose intervention the absent rise up at our side, without our being permitted to set eyes on them; the Danaids of the Unseen who without ceasing empty, fill, transmit the urns of sound; the ironic Furies who, just as we were murmuring a confidence to a friend, in the hope that no one was listening, cry brutally: “I hear you!”; the ever infuriated servants of the Mystery, the umbrageous priestesses of the Invisible, the Young Ladies of the Telephone.
Et aussitôt que notre appel a retenti, dans la nuit pleine d′apparitions sur laquelle nos oreilles s′ouvrent seules, un bruit léger — un bruit abstrait — celui de la distance supprimée — et la voix de l′être cher s′adresse à nous.
And, the moment our call has sounded, in the night filled with phantoms to which our ears alone are unsealed, a tiny sound, an abstract sound — the sound of distance overcome — and the voice of the dear one speaks to us.
C′est lui, c′est sa voix qui nous parle, qui est là. Mais comme elle est loin! Que de fois je n′ai pu l′écouter sans angoisse, comme si devant cette impossibilité de voir, avant de longues heures de voyage, celle dont la voix était si près de mon oreille, je sentais mieux ce qu′il y a de décevant dans l′apparence du rapprochement le plus doux, et à quelle distance nous pouvons être des personnes aimées au moment où il semble que nous n′aurions qu′à étendre la main pour les retenir. Présence réelle que cette voix si proche — dans la séparation effective! Mais anticipation aussi d′une séparation éternelle! Bien souvent, écoutant de la sorte, sans voir celle qui me parlait de si loin, il m′a semblé que cette voix clamait des profondeurs d′où l′on ne remonte pas, et j′ai connu l′anxiété qui allait m′étreindre un jour, quand une voix reviendrait ainsi (seule et ne tenant plus à un corps que je ne devais jamais revoir) murmurer à mon oreille des paroles que j′aurais voulu embrasser au passage sur des lèvres à jamais en poussière.
It is she, it is her voice that is speaking, that is there. But how remote it is! How often have I been unable to listen without anguish, as though, confronted by the impossibility of seeing, except after long hours of journeying, her whose voice has been so close to my ear, I felt more clearly the sham and illusion of meetings apparently most pleasant, and at what a distance we may be from the people we love at the moment when it seems that we have only to stretch out our hand to seize and hold them. A real presence indeed that voice so near — in actual separation. But a premonition also of an eternal separation! Over and again, as I listened in this way, without seeing her who spoke to me from so far away, it has seemed to me that the voice was crying to me from depths out of which one does not rise again, and I have known the anxiety that was one day to wring my heart when a voice should thus return (alone, and attached no longer to a body which I was never more to see), to murmur, in my ear, words I would fain have kissed as they issued from lips for ever turned to dust.
Ce jour-là, hélas, à Doncières, le miracle n′eut pas lieu. Quand j′arrivai au bureau de poste, ma grand′mère m′avait déjà demandé; j′entrai dans la cabine, la ligne était prise, quelqu′un causait qui ne savait pas sans doute qu′il n′y avait personne pour lui répondre car, quand j′amenai à moi le récepteur, ce morceau de bois se mit à parler comme Polichinelle; je le fis taire, ainsi qu′au guignol, en le remettant à sa place, mais, comme Polichinelle, dès que je le ramenais près de moi, il recommençait son bavardage. Je finis, en désespoir de cause, en raccrochant définitivement le récepteur, par étouffer les convulsions de ce tronçon sonore qui jacassa jusqu′à la dernière seconde et j′allai chercher l′employé qui me dit d′attendre un instant; puis je parlai, et après quelques instants de silence, tout d′un coup j′entendis cette voix que je croyais à tort connaître si bien, car jusque-là, chaque fois que ma grand′mère avait causé avec moi, ce qu′elle me disait, je l′avais toujours suivi sur la partition ouverte de son visage où les yeux tenaient beaucoup de place; mais sa voix elle-même, je l′écoutais aujourd′hui pour la première fois. Et parce que cette voix m′apparaissait changée dans ses proportions dès l′instant qu′elle était un tout, et m′arrivait ainsi seule et sans l′accompagnement des traits de la figure, je découvris combien cette voix était douce; peut-être d′ailleurs ne l′avait-elle jamais été à ce point, car ma grand′mère, me sentant loin et malheureux, croyait pouvoir s′abandonner à l′effusion d′une tendresse que, par «principes» d′éducatrice, elle contenait et cachait d′habitude. Elle était douce, mais aussi comme elle était triste, d′abord à cause de sa douceur même presque décantée, plus que peu de voix humaines ont jamais dû l′être, de toute dureté, de tout élément de résistance aux autres, de tout égoî²e; fragile à force de délicatesse, elle semblait à tout moment prête à se briser, à expirer en un pur flot de larmes, puis l′ayant seule près de moi, vue sans le masque du visage, j′y remarquais, pour la première fois, les chagrins qui l′avaient fêlée au cours de la vie.
This afternoon, alas, at Doncières, the miracle did not occur. When I reached the post office, my grandmother′s call had already been received; I stepped into the box; the line was engaged; some one was talking who probably did not realise that there was nobody to answer him, for when I raised the receiver to my ear, the lifeless block began squeaking like Punchinello; I silenced it, as one silences a puppet, by putting it back on its hook, but, like Punchinello, as soon as I took it again in my hand, it resumed its gabbling. At length, giving it up as hopeless, by hanging up the receiver once and for all, I stifled the convulsions of this vociferous stump which kept up its chatter until the last moment, and went in search of the operator, who told me to wait a little; then I spoke, and, after a few seconds of silence, suddenly I heard that voice which I supposed myself, mistakenly, to know so well; for always until then, every time that my grandmother had talked to me, I had been accustomed to follow what she was saying on the open score of her face, in which the eyes figured so largely; but her voice itself I was hearing this afternoon for the first time. And because that voice appeared to me to have altered in its proportions from the moment that it was a whole, and reached me in this way alone and without the accompaniment of her face and features, I discovered for the first time how sweet that voice was; perhaps, too, it had never oeen so sweet, for my grandmother, knowing me to be alone and unhappy, felt that she might let herself go in the outpouring of an affection which, on her principle of education, she usually restrained and kept hidden. It was sweet, but also how sad it was, first of all on account of its very sweetness, a sweetness drained almost — more than any but a few human voices can ever have been — of every element of resistance to others, of all selfishness; fragile by reason of its delicacy it seemed at every moment ready to break, to expire in a pure flow of tears; then, too, having it alone beside me, seen, without the mask of her face, I noticed for the first time the sorrows that had scarred it in the course of a lifetime.
Était-ce d′ailleurs uniquement la voix qui, parce qu′elle était seule, me donnait cette impression nouvelle qui me déchirait? Non pas; mais plutôt que cet isolement de la voix était comme un symbole, une évocation, un effet direct d′un autre isolement, celui de ma grand′mère, pour la première fois séparée de moi. Les commandements ou défenses qu′elle m′adressait à tout moment dans l′ordinaire de la vie, l′ennui de l′obéissance ou la fièvre de la rébellion qui neutralisaient la tendresse que j′avais pour elle, étaient supprimés en ce moment et même pouvaient l′être pour l′avenir (puisque ma grand′mère n′exigeait plus de m′avoir près d′elle sous sa loi, était en train de me dire son espoir que je resterais tout à fait à Doncières, ou en tout cas que j′y prolongerais mon séjour le plus longtemps possible, ma santé et mon travail pouvant s′en bien trouver); aussi, ce que j′avais sous cette petite cloche approchée de mon oreille, c′était, débarrassée des pressions opposées qui chaque jour lui avaient fait contrepoids, et dès lors irrésistible, me soulevant tout entier, notre mutuelle tendresse. Ma grand′mère, en me disant de rester, me donna un besoin anxieux et fou de revenir. Cette liberté qu′elle me laissait désormais, et à laquelle je n′avais jamais entrevu qu′elle pût consentir, me parut tout d′un coup aussi triste que pourrait être ma liberté après sa mort (quand je l′aimerais encore et qu′elle aurait à jamais renoncé à moi). Je criais: «Grand′mère, grand′mère», et j′aurais voulu l′embrasser; mais je n′avais près de moi que cette voix, fantôme aussi impalpable que celui qui reviendrait peut-être, me visiter quand ma grand′mère serait morte. «Parle-moi»; mais alors il arriva que, me laissant plus seul encore, je cessai tout d′un coup de percevoir cette voix. Ma grand′mère ne m′entendait plus, elle n′était plus en communication avec moi, nous avions cessé d′être en face l′un de l′autre, d′être l′un pour l′autre audibles, je continuais à l′interpeller en tâtonnant dans la nuit, sentant que des appels d′elle aussi devaient s′égarer. Je palpitais de la même angoisse que, bien loin dans le passé, j′avais éprouvée autrefois, un jour que petit enfant, dans une foule, je l′avais perdue, angoisse moins de ne pas la retrouver que de sentir qu′elle me cherchait, de sentir qu′elle se disait que je la cherchais; angoisse assez semblable à celle que j′éprouverais le jour où on parle à ceux qui ne peuvent plus répondre et de qui on voudrait au moins tant faire entendre tout ce qu′on ne leur a pas dit, et l′assurance qu′on ne souffre pas. Il me semblait que c′était déjà une ombre chérie que je venais de laisser se perdre parmi les ombres, et seul devant l′appareil, je continuais à répéter en vain: «Grand′mère, grand′mère», comme Orphée, resté seul, répète le nom de la morte. Je me décidais à quitter la poste, à aller retrouver Robert à son restaurant pour lui dire que, allant peut-être recevoir une dépêche qui m′obligerait à revenir, je voudrais savoir à tout hasard l′horaire des trains. Et pourtant, avant de prendre cette résolution, j′aurais voulu une dernière fois invoquer les Filles de la Nuit, les Messagères de la parole, les Divinités sans visage; mais les capricieuses Gardiennes n′avaient plus voulu ouvrir les portes merveilleuses, ou sans doute elles ne le purent pas; elles eurent beau invoquer inlassablement, selon leur coutume, le vénérable inventeur de l′imprimerie et le jeune prince amateur de peinture impressionniste et chauffeur (lequel était neveu du capitaine de Borodino), Gutenberg et Wagram laissèrent leurs supplications sans réponse et je partis, sentant que l′Invisible sollicité resterait sourd.
Was it, however, solely the voice that, because it was alone, gave me this new impression which tore my heart? Not at all; it was rather that this isolation of the voice was like a symbol, a presentation, a direct consequence of another isolation, that of my grandmother, separated, for the first time in my life, from myself. The orders or prohibitions which she addressed to me at every moment in the ordinary course of my life, the tedium of obedience or the fire of rebellion which neutralised the affection that I felt for her were at this moment eliminated, and indeed might be eliminated for ever (since my grandmother no longer insisted on having me with her under her control, was in the act of expressing her hope that I would stay at Doncières altogether, or would at any rate extend my visit for as long as possible, seeing that both my health and my work seemed likely to benefit by the change); also, what I held compressed in this little bell that was ringing in my ear was, freed from the conflicting pressures which had, every day hitherto, given it a counterpoise, and from this moment irresistible, carrying me altogether away, our mutual affection. My grandmother, by telling me to stay, filled me with an anxious, an insensate longing to return. This freedom of action which for the future she allowed me and to which I had never dreamed that she would consent, appeared to me suddenly as sad as might be my freedom of action after her death (when I should still love her and she would for ever have abandoned me). “Granny!” I cried to her, “Granny!” and would fain have kissed her, but I had beside me only that voice, a phantom, as impalpable as that which would come perhaps to revisit me when my grandmother was dead. “Speak to me!” but then it happened that, left more solitary still, I ceased to catch the sound of her voice. My grandmother could no longer hear me; she was no longer in communication with me; we had ceased to stand face to face, to be audible to one another; I continued to call her, sounding the empty night, in which I felt that her appeals also must be straying. I was shaken by the same anguish which, in the distant past, I had felt once before, one day when, a little child, in a crowd, I had lost her, an anguish due less to my not finding her than to the thought that she must be searching for me, must be saying to herself that I was searching for her; an anguish comparable to that which I was to feel on the day when we speak to those who can no longer reply and whom we would so love to have hear all the things that we have not told them, and our assurance that we are not unhappy. It seemed as though it were already a beloved ghost that I had allowed to lose herself in the ghostly world, and, standing alone before the instrument, I went on vainly repeating: “Granny, Granny!” as Orpheus, left alone, repeats the name of his dead wife, is decided to leave the post office, to go and find Robert at his restaurant, in order to tell him that, as I was half expecting a telegram which would oblige me to return to Paris, I wished at all costs to find out at what times the trains left. And yet, before reaching this decision, I felt I must make one attempt more to invoke the Daughters of the Night, the Messengers of the Word, the Deities without form or feature; but the capricious Guardians had not deigned once again to unclose the miraculous portals, or more probably, had not been able; in vain might they untiringly appeal, as was their custom, to the venerable inventor of printing and the young prince, collector of impressionist paintings and driver of motor-cars (who was Captain de Borodino′s nephew); Gutenberg and Wagram left their supplications unanswered, and I came away, feeling that the Invisible would continue to turn a deaf ear.
En arrivant auprès de Robert et de ses amis, je ne leur avouai pas que mon coeur n′était plus avec eux, que mon départ était déjà irrévocablement décidé. Saint–Loup parut me croire, mais j′ai su depuis qu′il avait, dès la première minute, compris que mon incertitude était simulée, et que le lendemain il ne me retrouverait pas. Tandis que, laissant les plats refroidir auprès d′eux, ses amis cherchaient avec lui dans l′indicateur le train que je pourrais prendre pour rentrer à Paris, et qu′on entendait dans la nuit étoilée et froide les sifflements des locomotives, je n′éprouvais certes plus la même paix que m′avaient donnée ici tant de soirs l′amitié des uns, le passage lointain des autres. Ils ne manquaient pas pourtant, ce soir, sous une autre forme à ce même office. Mon départ m′accabla moins quand je ne fus plus obligé d′y penser seul, quand je sentis employer à ce qui s′effectuait l′activité plus normale et plus saine de mes énergiques amis, les camarades de Robert, et de ces autres êtres forts, les trains dont l′allée et venue, matin et soir, de Doncières à Paris, émiettait rétrospectivement ce qu′avait de trop compact et insoutenable mon long isolement d′avec ma grand′mère, en des possibilités quotidiennes de retour.
When I came among Robert and his friends, I withheld the confession that my heart was no longer with them, that my departure was now irrevocably fixed. Saint-Loup appeared to believe me, but I learned afterwards that he had from the first moment realised that my uncertainty was feigned and that he would not see me again next day. And while, letting their plates grow cold, his friends joined him in searching through the time-table for a train which would take me to Paris, and while we heard in the cold, starry night the whistling of the engines on the line, I certainly felt no longer the same peace of mind which on all these last evenings I had derived from the friendship of the former and the latter′s distant passage. And yet they did not fail me this evening, performing the same office in a different way. My departure overpowered me less when I was no longer obliged to think of it by myself, when I felt that there was concentrated on what was to be done the more normal, more wholesome activity of my strenuous friends, Robert′s brothers in arms, and of those other strong creatures, the trains, whose going and coming, night and morning, between Doncières and Paris, broke up in retrospect what had been too compact and insupportable in my long isolation from my grandmother into daily possibilities of return.
— Je ne doute pas de la vérité de tes paroles et que tu ne comptes pas partir encore, me dit en riant Saint–Loup, mais fais comme si tu partais et viens me dire adieu demain matin de bonne heure, sans cela je cours le risque de ne pas te revoir; je déjeune justement en ville, le capitaine m′a donné l′autorisation; il faut que je sois rentré à deux heures au quartier car on va en marche toute la journée. Sans doute, le seigneur chez qui je déjeune, à trois kilomètres d′ici, me ramènera à temps pour être au quartier à deux heures.
“I don′t doubt the truth of what you′re saying, or that you aren′t thinking of leaving us just yet,” said Saint-Loup, smiling; “but pretend you are going, and come and say good-bye to me to-morrow morning; early, otherwise there′s a risk of my not seeing you; I′m going out to luncheon, I′ve got leave from the Captain; I shall have to be back in barracks by two, as we are to be on the march all afternoon. I suppose the man to whose house I′m going, a couple of miles out, will manage to get me back in time.”
A peine disait-il ces mots qu′on vint me chercher de mon hôtel; on m′avait demandé de la poste au téléphone. J′y courus car elle allait fermer. Le mot interurbain revenait sans cesse dans les réponses que me donnaient les employés. J′étais au comble de l′anxiété car c′était ma grand′mère qui me demandait. Le bureau allait fermer. Enfin j′eus la communication. «C′est toi, grand′mère?» Une voix de femme avec un fort accent anglais me répondit: «Oui, mais je ne reconnais pas votre voix.» Je ne reconnaissais pas davantage la voix qui me parlait, puis ma grand′mère ne me disait pas «vous». Enfin tout s′expliqua. Le jeune homme que sa grand′mère avait fait demander au téléphone portait un nom presque identique au mien et habitait une annexe de l′hôtel. M′interpellant le jour même où j′avais voulu téléphoner à ma grand′mère, je n′avais pas douté un seul instant que ce fût elle qui me demandât. Or c′était par une simple coî£idence que la poste et l′hôtel venaient de faire une double erreur.
Scarcely had he uttered these words when a messenger came for me from my hotel; the telephone operator had sent to find me. I ran to the post office, for it was nearly closing time. The word ‘trunks′ recurred incessantly in the answers given me by the officiais. I was in a fever of anxiety, for it was my grandmother who had asked for me. The office was closing for the night. Finally I got my connexion. “Is that you, Granny?” A woman′s voice, with a strong English accent, answered: “Yes, but I don′t know your voice.” Neither did I recognise the voice that was speaking to me; besides, my grandmother called me tu, and not vous. And then all was explained. The young man for whom his grandmother had called on the telephone had a name almost identical with my own, and was staying in an annex of my hotel. This call coming on the very day on which I had been telephoning to my grandmother, I had never for a moment doubted that it was she who was asking for me. Whereas it was by pure coincidence that the post office and the hotel had combined to make a twofold error.
Le lendemain matin, je me mis en retard, je ne trouvai pas Saint–Loup déjà parti pour déjeuner dans ce château voisin. Vers une heure et demie, je me préparais à aller à tout hasard au quartier pour y être dès son arrivée, quand, en traversant une des avenues qui y conduisait, je vis, dans la direction même où j′allais, un tilbury qui, en passant près de moi, m′obligea à me garer; un sous-officier le conduisait le monocle à l′oeil, c′était Saint–Loup. A côté de lui était l′ami chez qui il avait déjeuné et que j′avais déjà rencontré une fois à l′hôtel où Robert dînait. Je n′osais pas appeler Robert comme il n′était pas seul, mais voulant qu′il s′arrêtât pour me prendre avec lui, j′attirai son attention par un grand salut qui était censé motivé par la présence d′un inconnu. Je savais Robert myope, j′aurais pourtant cru que, si seulement il me voyait, il ne manquerait pas de me reconnaître; or, il vit bien le salut et le rendit, mais sans s′arrêter; et, s′éloignant à toute vitesse, sans un sourire, sans qu′un muscle de sa physionomie bougeât, il se contenta de tenir pendant deux minutes sa main levée au bord de son képi, comme il eût répondu à un soldat qu′il n′eût pas connu. Je courus jusqu′au quartier, mais c′était encore loin; quand j′arrivai, le régiment se formait dans la cour où on ne me laissa pas rester, et j′étais désolé de n′avoir pu dire adieu à Saint–Loup; je montai à sa chambre, il n′y était plus; je pus m′informer de lui à un groupe de soldats malades, des recrues dispensées de marche, le jeune bachelier, un ancien, qui regardaient le régiment se former.
The following morning I rose late, and failed to catch Saint-Loup, who had already started for the country house where he was invited to luncheon. About half past one, I had decided to go in any case to the barracks, so as to be there before he arrived, when, as I was crossing one of the avenues on the way there, I noticed, coming behind me in the same direction as myself, a tilbury which, as it overtook me, obliged me to jump out of its way; an N.C.O. was driving it, wearing an eyeglass; it was Saint-Loup. By his side was the friend whose guest he had been at luncheon, and whom I had met once before at the hotel where we dined. I did not dare shout to Robert since he was not alone, but, in the hope that he would stop and pick me up, I attracted his attention by a sweeping wave of my hat, which might be regarded as due to the presence of a stranger. I knew that Robert was short-sighted; still, I should have supposed that, provided he saw me at all, he could not fail to recognise me; he did indeed see my salute, and returned it, but without stopping; driving on at full speed, without a smile, without moving a muscle of his face, he confined himself to keeping his hand raised for a minute to the peak of his cap, as though he were acknowledging the salute of a trooper whom he did not know personally. I ran to the barracks, but it was a long way; when I arrived, the regiment was parading on the square, on which I was not allowed to stand, and I was heart-broken at not having been able to say good-bye to Saint-Loup; I went up to his room, but he had gone; I was reduced to questioning a group of sick details, recruits who had been excused route-marches, the young graduate, one of the ‘old soldiers,′ who were watching the regiment parade.
— Vous n′avez pas vu le maréchal des logis Saint–Loup? demandai-je.
“You haven′t seen Serjeant Saint-Loup, have you, by any chance?” I asked.
— Monsieur, il est déjà descendu, dit l′ancien.
“He′s gone on parade, sir,” said the old soldier.
— Je ne l′ai pas vu, dit le bachelier.
“I never saw him,” said the graduate.
— Tu ne l′as pas vu, dit l′ancien, sans plus s′occuper de moi, tu n′as pas vu notre fameux Saint–Loup, ce qu′il dégotte avec son nouveau phalzard! Quand le capiston va voir ça, du drap d′officier!
“You never saw him,” exclaimed the old soldier, losing all interest in me, “you never saw our famous Saint-Loup, the figure he′s cutting with his new breeches! When the Capstan sees that, officer′s cloth, my word!”
— Ah! tu en as des bonnes, du drap d′officier, dit le jeune bachelier qui, malade à la chambre, n′allait pas en marche et s′essayait non sans une certaine inquiétude à être hardi avec les anciens. Ce drap d′officier, c′est du drap comme ça.
“Oh, you′re a wonder, you are; officer′s cloth,” replied the young graduate, who, reported ‘sick in quarters,′ was excused marching and tried, not without some misgivings, to be on easy terms with the veterans. “This officer′s cloth you speak of is cloth like that, is it?”
— Monsieur? demanda avec colère l′«ancien» qui avait parlé du phalzard.
“Sir?” asked the old soldier angrily.
Il était indigné que le jeune bachelier mît en doute que ce phalzard fût en drap d′officier, mais, Breton, né dans un village qui s′appelle Penguern–Stereden, ayant appris le français aussi difficilement que s′il eût été Anglais ou Allemand, quand il se sentait possédé par une émotion, il disait deux ou trois fois «monsieur» pour se donner le temps de trouver ses paroles, puis après cette préparation il se livrait à son éloquence, se contentant de répéter quelques mots qu′il connaissait mieux que les autres, mais sans hâte, en prenant ses précautions contre son manque d′habitude de la prononciation.
He was indignant that the young graduate should throw doubt on the breeches′ being made of officer′s cloth, but, being a Breton, coming from a village that went by the name of Penguern-Stereden, having learned French with as much difficulty as if it had been English or German, whenever he felt himself overcome by emotion he would go on saying ‘Sir?′ to give himself time to find words, then, after this preparation, let loose his eloquence, confining himself to the repetition of certain words which he knew better than others, but without haste, taking every precaution to gloss over his unfamiliarity with the pronunciation.
— Ah! c′est du drap comme ça? reprit-il, avec une colère dont s′accroissaient progressivement l′intensité et la lenteur de son débit. Ah! c′est du drap comme ça? quand je te dis que c′est du drap d′officier, quand je-te-le-dis, puisque je-te-le-dis, c′est que je le sais, je pense.
“Ah! It is cloth like that,” he broke out, with a fury the intensity of which increased as the speed of his utterance diminished. “Ah! It is cloth like that; when I tell you that it is, officer′s cloth, when-I-tell-you-a-thing, if-I-tell-you-a-thing, it′s because I know, I should think.”
— Ah! alors, dit le jeune bachelier vaincu par cette argumentation. C′est pas à nous qu′il faut faire des boniments à la noix de coco.
“Very well, then;” replied the young graduate, overcome by the force of this argument. “Keep your hair on, old boy.”
— Tiens, v′là justement le capiston qui passe. Non, mais regarde un peu Saint–Loup; c′est ce coup de lancer la jambe; et puis sa tête. Dirait-on un sous-off? Et le monocle; ah! il va un peu partout.
“There, look, there′s the Capstan coming along. No, but just look at Saint-Loup; the way he throws his leg out; and his head. Would you call that a non-com? And his eyeglass; oh, he′s hot stuff, he is.”
Je demandai à ces soldats que ma présence ne troublait pas à regarder aussi par la fenêtre. Ils ne m′en empêchèrent pas, ni ne se dérangèrent. Je vis le capitaine de Borodino passer majestueusement en faisant trotter son cheval, et semblant avoir l′illusion qu′il se trouvait à la bataille d′Austerlitz. Quelques passants étaient assemblés devant la grille du quartier pour voir le régiment sortir. Droit sur son cheval, le visage un peu gras, les joues d′une plénitude impériale, l′oeil lucide, le Prince devait être le jouet de quelque hallucination comme je l′étais moi-même chaque fois qu′après le passage du tramway le silence qui suivait son roulement me semblait parcouru et strié par une vague palpitation musicale. J′étais désolé de ne pas avoir dit adieu à Saint–Loup, mais je partis tout de même, car mon seul souci était de retourner auprès de ma grand′mère: jusqu′à ce jour, dans cette petite ville, quand je pensais à ce que ma grand-mère faisait seule, je me la représentais telle qu′elle était avec moi, mais en me supprimant, sans tenir compte des effets sur elle de cette suppression; maintenant, j′avais à me délivrer au plus vite, dans ses bras, du fantôme, insoupçonné jusqu′alors et soudain évoqué par sa voix, d′une grand′mère réellement séparée de moi, résignée, ayant, ce que je ne lui avais encore jamais connu, un âge, et qui venait de recevoir une lettre de moi dans l′appartement vide où j′avais déjà imaginé maman quand j′étais parti pour Balbec.
I asked these troopers, who did not seem at all embarrassed by my presence, whether I too might look out of the window. They neither objected to my doing so nor moved to make room for me. I saw Captain de Borodino go majestically by, putting his horse into a trot, and apparently under the illusion that he was taking part in the Battle of Austerlitz. A few loiterers had stopped by the gate to see the regiment file out. Erect on his charger, his face inclined to plumpness, his cheeks of an Imperial fulness, his eye lucid, the Prince must have been the victim of some hallucination, as I was myself whenever, after the tramway-car had passed, the silence that followed its rumble seemed to me to throb and echo with a vaguely musical palpitation. I was wretched at not having said good-bye to Saint-Loup, but I went nevertheless, for my one anxiety was to return to my grandmother; always until then, in this little country town, when I thought of what my grandmother must be doing by herself, I had pictured her as she was when with me, suppressing my own personality but without taking into account the effects of such a suppression; now, I had to free myself, at the first possible moment, in her arms, from the phantom, hitherto unsuspected and suddenly called into being by her voice, of a grandmother really separated from me, resigned, having, what I had never yet thought of her as having, a definite age, who had just received a letter from me in an empty house, as I had once before imagined Mamma in a house by herself, when I had left her to go to Balbec.
Hélas, ce fantôme-là, ce fut lui que j′aperçus quand, entré au salon sans que ma grand′mère fût avertie de mon retour, je la trouvai en train de lire. J′étais là, ou plutôt je n′étais pas encore là puisqu′elle ne le savait pas, et, comme une femme qu′on surprend en trahi de faire un ouvrage qu′elle cachera si on entre, elle était livrée à des pensées qu′elle n′avait jamais montrées devant moi. De moi — par ce privilège qui ne dure pas et où nous avons, pendant le court instant du retour, la faculté d′assister brusquement à notre propre absence — il n′y avait là que le témoin, l′observateur, en chapeau et manteau de voyage, l′étranger qui n′est pas de la maison, le photographe qui vient prendre un cliché des lieux qu′on ne reverra plus. Ce qui, mécaniquement, se fit à ce moment dans mes yeux quand j′aperçus ma grand′mère, ce fut bien une photographie. Nous ne voyons jamais les êtres chéris que dans le système animé, le mouvement perpétuel de notre incessante tendresse, laquelle, avant de laisser les images que nous présente leur visage arriver jusqu′à nous, les prend dans son tourbillon, les rejette sur l′idée que nous nous faisons d′eux depuis toujours, les fait adhérer à elle, coî£ider avec elle. Comment, puisque le front, les joues de ma grand′mère, je leur faisais signifier ce qu′il y avait de plus délicat et de plus permanent dans son esprit, comment, puisque tout regard habituel est une nécromancie et chaque visage qu′on aime le miroir du passé, comment n′en eussé-je pas omis ce qui en elle avait pu s′alourdir et changer, alors que, même dans les spectacles les plus indifférents de la vie, notre oeil, chargé de pensée, néglige, comme ferait une tragédie classique, toutes les images qui ne concourent pas à l′action et ne retient que celles qui peuvent en rendre intelligible le but? Mais qu′au lieu de notre oeil ce soit un objectif purement matériel, une plaque photographique, qui ait regardé, alors ce que nous verrons, par exemple dans la cour de l′Institut, au lieu de la sortie d′un académicien qui veut appeler un fiacre, ce sera sa titubation, ses précautions pour ne pas tomber en arrière, la parabole de sa chute, comme s′il était ivre ou que le sol fût couvert de verglas. Il en est de même quand quelque cruelle ruse du hasard empêche notre intelligente et pieuse tendresse d′accourir à temps pour cacher à nos regards ce qu′ils ne doivent jamais contempler, quand elle est devancée par eux qui, arrivés les premiers sur place et laissés à eux-mêmes, fonctionnent mécaniquement à la façon de pellicules, et nous montrent, au lieu de l′être aimé qui n′existe plus depuis longtemps mais dont elle n′avait jamais voulu que la mort nous fût révélée, l′être nouveau que cent fois par jour elle revêtait d′une chère et menteuse ressemblance. Et, comme un malade qui ne s′était pas regardé depuis longtemps, et composant à tout moment le visage qu′il ne voit pas d′après l′image idéale qu′il porte de soi-même dans sa pensée, recule en apercevant dans une glace, au milieu d′une figure aride et déserte, l′exhaussement oblique et rose d′un nez gigantesque comme une pyramide d′Égypte, moi pour qui ma grand′mère c′était encore moi-même, moi qui ne l′avais jamais vue que dans mon âme, toujours à la même place du passé, à travers la transparence des souvenirs contigus et superposés, tout d′un coup, dans notre salon qui faisait partie d′un monde nouveau, celui du temps, celui où vivent les étrangers dont on dit «il vieillit bien», pour la première fois et seulement pour un instant, car elle disparut bien vite, j′aperçus sur le canapé, sous la lampe, rouge, lourde et vulgaire, malade, rêvassant, promenant au-dessus d′un livre des yeux un peu fous, une vieille femme accablée que je ne connaissais pas.
Alas, this phantom was just what I did see when, entering the drawing-room before my grandmother had been told of my return, I found her there, reading. I was in the room, or rather I was not yet in the room since she was not aware of my presence, and, like a woman whom one surprises at a piece of work which she will lay aside if anyone comes in, she had abandoned herself to a train of thoughts which she had never allowed to be visible by me. Of myself — thanks to that privilege which does not last but which one enjoys during the brief moment of return, the faculty of being a spectator, so to speak, of one′s own absence — there was present only the witness, the observer, with a hat and travelling coat, the stranger who does not belong to the house, the photographer who has called to take a photograph of places which one will never see again. The process that mechanically occurred in my eyes when I caught sight of my grandmother was indeed a photograph. We never see the people who are dear to us save in the animated system, the perpetual motion of our incessant love for them, which before allowing the images that their faces present to reach us catches them in its vortex, flings them back upon the idea that we have always had of them, makes them adhere to it, coincide with it. How, since into the forehead, the cheeks of my grandmother I had been accustomed to read all the most delicate, the most permanent qualities of her mind; how, since every casual glance is an act of necromancy, each face that we love a mirror of the past, how could I have failed to overlook what in her had become dulled and changed, seeing that in the most trivial spectacles of our daily life, our eye, charged with thought, neglects, as would a classical tragedy, every image that does not assist the action of the play and retains only those that may help to make its purpose intelligible. But if, in place of our eye, it should be a purely material object, a photographic plate, that has watched the action, then what we shall see, in the courtyard of the Institute, for example, will be, instead of the dignified emergence of an Academician who is going to hail a cab, his staggering gait, his precautions to avoid tumbling upon his back, the parabola of his fall, as though he were drunk, or the ground frozen over. So is it when some casual sport of chance prevents our intelligent and pious affection from coming forward in time to hide from our eyes what they ought never to behold, when it is forestalled by our eyes, and they, arising first in the field and having it to themselves, set to work mechanically, like films, and shew us, in place of the loved friend who has long ago ceased to exist but whose death our affection has always hitherto kept concealed from us, the new person whom a hundred times daily that affection has clothed with a dear and cheating likeness. And, as a sick man who for long has not looked at his own reflexion, and has kept his memory of the face that he never sees refreshed from the ideal image of himself that he carries in his mind, recoils on catching sight in the glass, in the midst of an arid waste of cheek, of the sloping red structure of a nose as huge as one of the pyramids of Egypt, I, for whom my grandmother was still myself, I who had never seen her save in my own soul, always at the same place in the past, through the transparent sheets of contiguous, overlapping memories, suddenly in our drawing-room which formed part of a new world, that of time, that in which dwell the strangers of whom we say “He′s begun to age a good deal,” for the first time and for a moment only, since she vanished at once, I saw, sitting on the sofa, beneath the lamp, red-faced, heavy and common, sick, lost in thought, following the lines of a book with eyes that seemed hardly sane, a dejected old woman whom I did not know.
A ma demande d′aller voir les Elstirs de Mme de Guermantes, Saint–Loup m′avait dit: «Je réponds pour elle.» Et malheureusement, en effet, pour elle ce n′était que lui qui avait répondu. Nous répondons aisément des autres quand, disposant dans notre pensée les petites images qui les figurent, nous faisons manoeuvrer celles-ci à notre guise. Sans doute même à ce moment-là nous tenons compte des difficultés provenant de la nature de chacun, différente de la nôtre, et nous ne manquons pas d′avoir recours à tel ou tel moyen d′action puissant sur elle, intérêt, persuasion, émoi, qui neutralisera des penchants contraires. Mais ces différences d′avec notre nature, c′est encore notre nature qui les imagine; ces difficultés, c′est nous qui les levons; ces mobiles efficaces, c′est nous qui les dosons. Et quand les mouvements que dans notre esprit nous avons fait répéter à l′autre personne, et qui la font agir à notre gré, nous voulons les lui faire exécuter dans la vie, tout change, nous nous heurtons à des résistances imprévues qui peuvent être invincibles. L′une des plus fortes est sans doute celle que peut développer en une femme qui n′aime pas, le dégoût que lui inspire, insurmontable et fétide, l′homme qui l′aime: pendant les longues semaines que Saint–Loup resta encore sans venir à Paris, sa tante, à qui je ne doutai pas qu′il eût écrit pour la supplier de le faire, ne me demanda pas une fois de venir chez elle voir les tableaux d′Elstir.
My request to be allowed to inspect the Elstirs in Mme. de Guermantes′s collection had been met by Saint-Loup with: “I will answer for her.” And indeed, as ill luck would have it, it was he and he alone who did answer. We answer readily enough for other people when, setting our mental stage with the little puppets that represent them, we manipulate these to suit our fancy. No doubt even then we take into account the difficulties due to another person′s nature being different from our own, and we do not fail to have recourse to some plan of action likely to influence that nature, an appeal to his material interest, persuasion, the rousing of emotion, which will neutralise contrary tendencies on his part. But these differences from our own nature, it is still our own nature that is imagining them, these difficulties, it is we that are raising them; these compelling motives, it is we that are applying them. And so with the actions which before our mind′s eye we have made the other person rehearse, and which make him act as we choose; when we wish to see him perform them in real life, the case is altered, we come up against unseen resistances which may prove insuperable. One of the strongest is doubtless that which may be developed in a woman who is not in love with him by the disgust inspired in her, a fetid, insurmountable loathing, by the man who is in love with her; during the long weeks in which Saint-Loup still did not come to Paris, his aunt, to whom I had no doubt of his having written begging her to do so, never once asked me to call at her house to see the Elstirs.
Je reçus des marques de froideur de la part d′une autre personne de la maison. Ce fut de Jupien. Trouvait-il que j′aurais dû entrer lui dire bonjour, à mon retour de Doncières, avant même de monter chez moi? Ma mère me dit que non, qu′il ne fallait pas s′étonner. Françoise lui avait dit qu′il était ainsi, sujet à de brusques mauvaises humeurs, sans raison. Cela se dissipait toujours au bout de peu de temps.
I perceived signs of coldness on the part of another occupant of the building. This was Jupien. Did he consider that I ought to have gone in and said how d′ye do to him, on my return from Doncières, before even going upstairs to our own flat? My mother said no, that there was nothing unusual about it. Françoise had told her that he was like that, subject to sudden fits of ill humour, without any cause. These invariably passed off after a little time.
Cependant l′hiver finissait. Un matin, après quelques semaines de giboulées et de tempêtes, j′entendis dans ma cheminée — au lieu du vent informe, élastique et sombre qui me secouait de l′envie d′aller au bord de la mer — le roucoulement des pigeons qui nichaient dans la muraille: irisé, imprévu comme une première jacinthe déchirant doucement son coeur nourricier pour qu′en jaillît, mauve et satinée, sa fleur sonore, faisant entrer comme une fenêtre ouverte, dans ma chambre encore fermée et noire, la tiédeur, l′éblouissement, la fatigue d′un premier beau jour. Ce matin-là, je me surpris à fredonner un air de café-concert que j′avais oublié depuis l′année où j′avais dû aller à Florence et à Venise. Tant l′atmosphère, selon le hasard des jours, agit profondément sur notre organisme et tire des réserves obscures où nous les avions oubliées les mélodies inscrites que n′a pas déchiffrées notre mémoire. Un rêveur plus conscient accompagna bientôt ce musicien que j′écoutais en moi, sans même avoir reconnu tout de suite ce qu′il jouait.
Meanwhile the winter was drawing to an end. One morning, after several weeks of showers and storms, I heard in my chimney — instead of the wind, formless, elastic, sombre, which convulsed me with a longing to go to the sea — the cooing of the pigeons that were nesting in the wall outside; shimmering, unexpected, like a first hyacinth, gently tearing open its fostering heart that there might shoot forth, purple and satin-soft, its flower of sound, letting in like an opened window into my bedroom still shuttered and dark the heat, the dazzling brightness, the fatigue of a first fine day. That morning, I was surprised to find myself humming a music-hall tune which had never entered my head since the year in which I had been going to Florence and Venice. So profoundly does the atmosphere, as good days and bad recur, act on our organism and draw from dim shelves where we had forgotten them, the melodies written there which our memory rould not decipher. Presently a more conscious dreamer accompanied this musician to whom I was listening inside myself, without having recognised at first what he was playing.
Je sentais bien que les raisons n′étaient pas particulières à Balbec pour lesquelles, quand j′y étais arrivé, je n′avais plus trouvé à son église le charme qu′elle avait pour moi avant que je la connusse; qu′à Florence, à Parme ou à Venise, mon imagination ne pourrait pas davantage se substituer à mes yeux pour regarder. Je le sentais. De même, un soir du Ier janvier, à la tombée de la nuit, devant une colonne d′affiches, j′avais découvert l′illusion qu′il y a à croire que certains jours de fête diffèrent essentiellement des autres. Et pourtant je ne pouvais pas empêcher que le souvenir du temps pendant lequel j′avais cru passer à Florence la semaine sainte ne continuât à faire d′elle comme l′atmosphère de la cité des Fleurs, à donner à la fois au jour de Pâques quelque chose de florentin, et à Florence quelque chose de pascal. La semaine de Pâques était encore loin; mais dans la rangée des jours qui s′étendait devant moi, les jours saints se détachaient plus clairs au bout des jours mitoyens. Touchés d′un rayon comme certaines maisons d′un village qu′on aperçoit au loin dans un effet d′ombre et de lumière, ils retenaient sur eux tout le soleil.
I quite realised that it was not for any reason peculiar to Balbec that on my arrival there I had failed to find in its church the charm which it had had for me before I knew it; that at Florence or Parma or Venice my imagination could no more take the place of my eyes when I looked at the sights there. I realised this. Similarly, one New Year′s afternoon, as night fell, standing before a column of playbills, I had discovered the illusion that lies in our thinking that certain solemn holidays differ essentially from the other days in the calendar. And yet I could not prevent my memory of the time during which I had looked forward to spending Easter in Florence from continuing to make that festival the atmosphere, so to speak, of the City of Flowers, to give at once to Easter Day something Florentine and to Florence something Paschal. Easter was still a long way off; but in the range of days that stretched out before me the days of Holy Week stood out more clearly at the end of those that merely came between. Touched by a far-flung ray, like certain houses in a village which one sees from a distance when the rest are in shadow, they had caught and kept all the sun.
Le temps était devenu plus doux. Et mes parents eux-mêmes, en me conseillant de me promener, me fournissaient un prétexte à continuer mes sorties du matin. J′avais voulu les cesser parce que j′y rencontrais Mme de Guermantes. Mais c′est à cause de cela même que je pensais tout le temps à ces sorties, ce qui me faisait trouver à chaque instant une raison nouvelle de les faire, laquelle n′avait aucun rapport avec Mme de Guermantes et me persuadait aisément que, n′eût-elle pas existé, je n′en eusse pas moins manqué de me promener à cette même heure.
The weather had now become milder. And my parents themselves, by urging me to take more exercise, gave me an excuse for resuming my morning walks. I had meant to give them up, since they meant my meeting Mme. de Guermantes. But it was for this very reason that I kept thinking all the time of those walks, which led to my finding, every moment, a fresh reason for taking them, a reason that had no connexion with Mme. de Guermantes and no difficulty in convincing me that, had she never existed, I should still have taken a walk, without fail, at that hour every morning.
Hélas! si pour moi rencontrer toute autre personne qu′elle eût été indifférent, je sentais que, pour elle, rencontrer n′importe qui excepté moi eût été supportable. Il lui arrivait, dans ses promenades matinales, de recevoir le salut de bien des sots et qu′elle jugeait tels. Mais elle tenait leur apparition sinon pour une promesse de plaisir, du moins pour un effet du hasard. Et elle les arrêtait quelquefois car il y a des moments où on a besoin de sortir de soi, d′accepter l′hospitalité de l′âme des autres, à condition que cette âme, si modeste et laide soit-elle, soit une âme étrangère, tandis que dans mon coeur elle sentait avec exaspération que ce qu′elle eût retrouvé, c′était elle. Aussi, même quand j′avais pour prendre le même chemin une autre raison que de la voir, je tremblais comme un coupable au moment où elle passait; et quelquefois, pour neutraliser ce que mes avances pouvaient avoir d′excessif, je répondais à peine à son salut, ou je la fixais du regard sans la saluer, ni réussir qu′à l′irriter davantage et à faire qu′elle commença en plus à me trouver insolent et mal élevé.
Alas, if to me meeting any person other than herself would not have mattered, I felt that to her meeting anyone in the world except myself would have been endurable. It happened that, in the course of her morning walks, she received the salutations of plenty of fools whom she regarded as such. But the appearance of these in her path seemed to her, if not to hold out any promise of pleasure, to be at any rate the result of mere accident. And she stopped them at times, for there are moments in which one wants to escape from oneself, to accept the hospitality offered by the soul of another person, provided always that the other, however modest and plain it may be, is a different soul, whereas in my heart she was exasperated to feel that what she would have found was herself. And so, even when I had, for taking the same way as she, another reason than my desire to see her, I trembled like a guilty man as she came past; and sometimes, so as to neutralise anything extravagant that there might seem to have been in my overtures, I would barely acknowledge her bow, or would fasten my eyes on her face without raising my hat, and succeed only in making her angrier than ever, and begin to regard me as insolent and ill-bred besides.
Elle avait maintenant des robes plus légères, ou du moins plus claires, et descendait la rue où déjà, comme si c′était le printemps, devant les étroites boutiques intercalées entre les vastes façades des vieux hôtels aristocratiques, à l′auvent de la marchande de beurre, de fruits, de légumes, des stores étaient tendus contre le soleil. Je me disais que la femme que je voyais de loin marcher, ouvrir son ombrelle, traverser la rue, était, de l′avis des connaisseurs, la plus grande artiste actuelle dans l′art d′accomplir ces mouvements et d′en faire quelque chose de délicieux. Cependant elle s′avançait ignorante de cette réputation éparse; son corps étroit, réfractaire et qui n′en avait rien absorbé était obliquement cambré sous une écharpe de surah violet; ses yeux maussades et clairs regardaient distraitement devant elle et m′avaient peut-être aperçu; elle mordait le coin de sa lèvre; je la voyais redresser son manchon, faire l′aumône à un pauvre, acheter un bouquet de violettes à une marchande, avec la même curiosité que j′aurais eue à regarder un grand peintre donner des coups de pinceau. Et quand, arrivée à ma hauteur, elle me faisait un salut auquel s′ajoutait parfois un mince sourire, c′était comme si elle eût exécuté pour moi, en y ajoutant une dédicace, un lavis qui était un chef-d′oeuvre. Chacune de ses robes m′apparaissait comme une ambiance naturelle, nécessaire, comme la projection d′un aspect particulier de son âme. Un de ces matins de carême où elle allait déjeuner en ville, je la rencontrai dans une robe d′un velours rouge clair, laquelle était légèrement échancrée au cou. Le visage de Mme de Guermantes paraissait rêveur sous ses cheveux blonds. J′étais moins triste que d′habitude parce que la mélancolie de son expression, l′espèce de claustration que la violence de la couleur mettait autour d′elle et le reste du monde, lui donnaient quelque chose de malheureux et de solitaire qui me rassurait. Cette robe me semblait la matérialisation autour d′elle des rayons écarlates d′un coeur que je ne lui connaissais pas et que j′aurais peut-être pu consoler; réfugiée dans la lumière mystique de l′étoffe aux flots adoucis elle me faisait penser à quelque sainte des premiers âges chrétiens. Alors j′avais honte d′affliger par ma vue cette martyre. «Mais après tout la rue est à tout le monde.»
She was now wearing lighter, or at any rate brighter, clothes, and would come strolling down the street in which already, as though it were spring, in front of the narrow shops that were squeezed in between the huge fronts of the old aristocratic mansions, over the booths of the butter-woman and the fruit-woman and the vegetable-woman, awnings were spread to protect them from the sun. I said to myself that the woman whom I could see far off, walking, opening her sunshade, crossing the street, was, in the opinion of those best qualified to judge, the greatest living exponent of the art of performing those movements and of making out of them something exquisitely lovely. Meanwhile she was advancing towards me, unconscious of this widespread reputation, her narrow, stubborn body, which had absorbed none of it, was bent stiffly forward under a scarf of violet silk; her clear, sullen eyes looked absently in front of her, and had perhaps caught sight of me; she was biting her lip; I saw her straighten her muff, give alms to a beggar, buy a bunch of violets from a flower-seller, with the same curiosity that I should have felt in watching the strokes of a great painter′s brush. And when, as she reached me, she gave me a bow that was accompanied sometimes by a faint smile, it was as though she had sketched in colour for me, adding a personal inscription to myself, a drawing that was a masterpiece of art. Each of her gowns seemed to me her natural, necessary surroundings, like the projection around her of a particular aspect of her soul. On one of these Lenten mornings, when she was on her way out to luncheon, I met her wearing a gown of bright red velvet, cut slightly open at the throat. The face of Mme. de Guermantes appeared to be dreaming, beneath its pile of fair hair. I was less sad than usual because the melancholy of her expression, the sort of claustration which the startling hue of her gown set between her and the rest of the world, made her seem somehow lonely and unhappy, and this comforted me. The gown struck me as being the materialisation round about her of the scarlet rays of a heart which I did not recognise as hers and might have been able, perhaps, to console; sheltered in the mystical light of the garment with its gently flowing folds, she made me think of some Saint of the early ages of Christianity. After which I felt ashamed of afflicting with the sight of myself this holy martyr. “But, after all, the streets are public.”
«La rue est à tout le monde», reprenais-je en donnant à ces mots un sens différent et en admirant qu′en effet dans la rue populeuse souvent mouillée de pluie, et qui devenait précieuse comme est parfois la rue dans les vieilles cités de l′Italie, la duchesse de Guermantes mêlât à la vie publique des moments de sa vie secrète, se montrant ainsi à chacun, mystérieuse, coudoyée de tous, avec la splendide gratuité des grands chefs-d′oeuvre. Comme je sortais le matin après être resté éveillé toute la nuit, l′après-midi, mes parents me disaient de me coucher un peu et de chercher le sommeil. Il n′y a pas besoin pour savoir le trouver de beaucoup de réflexion, mais l′habitude y est très utile et même l′absence de la réflexion. Or, à ces heures-là, les deux me faisaient défaut. Avant de m′endormir je pensais si longtemps que je ne le pourrais, que, même endormi, il me restait un peu de pensée. Ce n′était qu′une lueur dans la presque obscurité, mais elle suffisait pour faire se refléter dans mon sommeil, d′abord l′idée que je ne pourrais dormir, puis, reflet de ce reflet, l′idée que c′était en dormant que j′avais eu l′idée que je ne dormais pas, puis, par une réfraction nouvelle, mon éveil . . . à un nouveau somme où je voulais raconter à des amis qui étaient entrés dans ma chambre que, tout à l′heure en dormant, j′avais cru que je ne dormais pas. Ces ombres étaient à peine distinctes; il eût fallu une grande et bien vaine délicatesse de perception pour les saisir. Ainsi plus tard, à Venise, bien après le coucher du soleil, quand il semble qu′il fasse tout à fait nuit, j′ai vu, grâce à l′écho invisible pourtant d′une dernière note de lumière indéfiniment tenue sur les canaux comme par l′effet de quelque pédale optique, les reflets des palais déroulés comme à tout jamais en velours plus noir sur le gris crépusculaire des eaux. Un de mes rêves était la synthèse de ce que mon imagination avait souvent cherché à se représenter, pendant la veille, d′un certain paysage marin et de son passé médiéval. Dans mon sommeil je voyais une cité gothique au milieu d′une mer aux flots immobilisés comme sur un vitrail. Un bras de mer divisait en deux la ville; l′eau verte s′étendait à mes pieds; elle baignait sur la rive opposée une église orientale, puis des maisons qui existaient encore dans le XIVe siècle, si bien qu′aller vers elles, c′eût été remonter le cours des âges. Ce rêve où la nature avait appris l′art, où la mer était devenue gothique, ce rêve où je désirais, où je croyais aborder à l′impossible, il me semblait l′avoir déjà fait souvent. Mais comme c′est le propre de ce qu′on imagine en dormant de se multiplier dans le passé, et de paraître, bien qu′étant nouveau, familier, je crus m′être trompé. Je m′aperçus au contraire que je faisais en effet souvent ce rêve.
The streets are public, I reminded myself, giving a different meaning to the words, and marvelling that indeed in the crowded thoroughfare often soaked with rain, which made it beautiful and precious as a street sometimes is in the old towns of Italy, the Duchesse de Guermantes mingled with the public life of the world moments of her own secret life, shewing herself thus to all and sundry, jostled by every passer-by, with the splendid gratuitousness of the greatest works of art. As I had been out in the morning, after staying awake all night, in the afternoon my parents would tell me to lie down for a little and try to sleep. There is no need, when one is trying to find sleep, to give much thought to the quest, but habit is very useful, and even freedom from thought. But in these afternoon hours both were lacking. Before going to sleep, I devoted so much time to thinking that I should not be able to sleep, that even after I was asleep a little of my thought remained. It was no more than a glimmer in the almost total darkness, but it was bright enough to cast a reflexion in my sleep, first of the idea that I could not sleep, and then, a reflexion of this reflexion, that it was in my sleep that I had had the idea that I was not asleep, then, by a further refraction, my awakening . . . to a fresh doze in which I was trying to tell some friends who had come into my room that, a moment earlier, when I was asleep, I had imagined that I was not asleep. These shades were barely distinguishable; it would have required a keen — and quite useless — delicacy of perception to seize them all. Similarly, in later years, at Venice, long after the sun had set, when it seemed to be quite dark, I have seen, thanks to the echo, itself imperceptible, of a last note of light, held indefinitely on the surface of the canals, as though some optical pedal were being pressed, the reflexion of the palaces unfurled, as though for all time, in a darker velvet, on the crepuscular greyness of the water. One of my dreams was the synthesis of what my imagination had often sought to depict, in my waking hours, of a certain seagirt place and its mediaeval past. In my sleep I saw a gothic fortress rising from a sea whose waves were stilled as in a painted window. An arm of the sea cut the town in two; the green water stretched to my feet; it bathed on the opposite shore the foundations of an oriental church, and beyond it houses which existed already in the fourteenth century, so that to go across to them would have been to ascend the stream of time. This dream in which nature had learned from art, in which the sea had turned gothic, this dream in which I longed to attain, in which I believed that I was attaining to the impossible, it seemed to me that I had often dreamed it before. But as it is the property of what we imagine in our sleep to multiply itself in the past, and to appear, even when novel, familiar, I supposed that I was mistaken. I noticed, however, that I did frequently have this dream.
Les amoindrissements mêmes qui caractérisent le sommeil se reflétaient dans le mien, mais d′une façon symbolique: je ne pouvais pas dans l′obscurité distinguer le visage des amis qui étaient là, car on dort les yeux fermés; moi qui me tenais sans fin des raisonnements verbaux en rêvant, dès que je voulais parler à ces amis je sentais le son s′arrêter dans ma gorge, car on ne parle pas distinctement dans le sommeil; je voulais aller à eux et je ne pouvais pas déplacer mes jambes, car on n′y marche pas non plus; et tout à coup, j′avais honte de paraître devant eux, car on dort déshabillé. Telle, les yeux aveugles, les lèvres scellées, les jambes liées, le corps nu, la figure du sommeil que projetait mon sommeil lui-même avait l′air de ces grandes figures allégoriques où Giotto a représenté l′Envie avec un serpent dans la bouche, et que Swann m′avait données.
The limitations, too, that are common to all sleep were reflected in mine, but in a symbolical manner; I could not in the darkness make out the faces of the friends who were in the room, for we sleep with our eyes shut. I, who could carry on endless arguments with myself while I dreamed, as soon as I tried to speak to these friends felt the words stick in my throat, for we do not speak distinctly in our sleep; I wanted to go to them, and I could not move my limbs, for we do not walk when we are asleep either; and suddenly I was ashamed to be seen by them, for we sleep without our clothes. So, my eyes blinded, my lips sealed, my limbs fettered, my body naked, the figure of sleep which my sleep itself projected had the appearance of those great allegorical figures (in one of which Giotto has portrayed Envy with a serpent in her mouth) of which Swann had given me photographs.
Saint–Loup vint à Paris pour quelques heures seulement. Tout en m′assurant qu′il n′avait pas eu l′occasion de parler de moi à sa cousine: «Elle n′est pas gentille du tout, Oriane, me dit-il, en se trahissant naîµ¥ment, ce n′est plus mon Oriane d′autrefois, on me l′a changée. Je t′assure qu′elle ne vaut pas la peine que tu t′occupes d′elle. Tu lui fais beaucoup trop d′honneur. Tu ne veux pas que je te présente à ma cousine Poictiers? ajouta-t-il sans se rendre compte que cela ne pourrait me faire aucun plaisir. Voilà une jeune femme intelligente et qui te plairait. Elle a épousé mon cousin, le duc de Poictiers, qui est un bon garçon, mais un peu simple pour elle. Je lui ai parlé de toi. Elle m′a demandé de t′amener. Elle est autrement jolie qu′Oriane et plus jeune. C′est quelqu′un de gentil, tu sais, c′est quelqu′un de bien.» C′étaient des expressions nouvellement — d′autant plus ardemment — adoptées par Robert et qui signifiaient qu′on avait une nature délicate: «Je ne te dis pas qu′elle soit dreyfusarde, il faut aussi tenir compte de son milieu, mais enfin elle dit: «S′il était innocent quelle horreur ce serait qu′il fût à l′île du Diable.» Tu comprends, n′est-ce pas? Et puis enfin c′est une personne qui fait beaucoup pour ses anciennes institutrices, elle a défendu qu′on les fasse monter par l′escalier de service. Je t′assure, c′est quelqu′un de très bien. Dans le fond Oriane ne l′aime pas parce qu′elle la sent plus intelligente.»
Saint-Loup came to Paris for a few hours only. He came with assurances that he had had no opportunity of mentioning me to his aunt. “She′s not being at all nice just now, Oriane isn′t,” he explained, with innocent self-betrayal. “She′s not my old Oriane any longer, they′ve gone and changed her. I assure you, it′s not worth while bothering your head about her. You pay her far too great a compliment. You wouldn′t care to meet my cousin Poictiers?” he went on, without stopping to reflect that this could not possibly give me any pleasure. “Quite an intelligent young woman, she is; you′d like her. She′s married to my cousin, the Duc de Poictiers, who is a good fellow, but a bit slow for her. I′ve told her about you. She said I was to bring you to see her. She′s much better looking than Oriane, and younger, too. Really a nice person, don′t you know, really a good sort.” These were expressions recently — and all the more ardently — taken up by Robert, which meant that the person in question had a delicate nature. “I don′t go so far as to say she′s a Dreyfusard, you must remember the sort of people she lives among; still, she did say to me: ‘If he is innocent, how ghastly for him to be shut up on the Devil′s Isle.′ You see what I mean, don′t you? And then she′s the sort of woman who does a tremendous lot for her old governesses; she′s given orders that they′re never to be sent in by the servants′ stair, when they come to the house. She′s a very good sort, I assure you. The real reason why Oriane doesn′t like her is that she feels she′s the cleverer of the two.”
Quoique absorbée par la pitié que lui inspirait un valet de pied des Guermantes — lequel ne pouvait aller voir sa fiancée même quand la Duchesse était sortie car cela eût été immédiatement rapporté par la loge — Françoise fut navrée de ne s′être pas trouvée là au moment de la visite de Saint–Loup, mais c′est qu′elle maintenant en faisait aussi. Elle sortait infailliblement les jours où j′avais besoin d′elle. C′était toujours pour aller voir son frère, sa nièce, et surtout sa propre fille arrivée depuis peu à Paris. Déjà la nature familiale de ces visites que faisait Françoise ajoutait à mon agacement d′être privé de ses services, car je prévoyais qu′elle parlerait de chacune comme d′une de ces choses dont on ne peut se dispenser, selon les lois enseignées à Saint–André-des-Champs. Aussi je n′écoutais jamais ses excuses sans une mauvaise humeur fort injuste et à laquelle venait mettre le comble la manière dont Françoise disait non pas: «j′ai été voir mon frère, j′ai été voir ma nièce», mais: «j′ai été voir le frère, je suis entrée «en courant» donner le bonjour à la nièce (ou à ma nièce la bouchère)». Quant à sa fille, Françoise eût voulu la voir retourner à Combray. Mais la nouvelle Parisienne, usant, comme une élégante, d′abréviatifs, mais vulgaires, elle disait que la semaine qu′elle devrait aller passer à Combray lui semblerait bien longue sans avoir seulement «l′Intran». Elle voulait encore moins aller chez la soeur de Françoise dont la province était montagneuse, car «les montagnes, disait la fille de Françoise en donnant à «intéressant» un sens affreux et nouveau, ce n′est guère intéressant». Elle ne pouvait se décider à retourner à Méséglise où «le monde est si bête», où, au marché, les commères, les «pétrousses» se découvriraient un cousinage avec elle et diraient: «Tiens, mais c′est-il pas la fille au défunt Bazireau?» Elle aimerait mieux mourir que de retourner se fixer là-bas, «maintenant qu′elle avait goûté à la vie de Paris», et Françoise, traditionaliste, souriait pourtant avec complaisance à l′esprit d′innovation qu′incarnait la nouvelle «Parisienne» quand elle disait: «Eh bien, mère, si tu n′as pas ton jour de sortie, tu n′as qu′à m′envoyer un pneu.»
Although completely absorbed in the pity which she felt for one of the Guermantes footmen — who had no chance of going to see his girl, even when the Duchess was out, for it would immediately have been reported to her from the lodge — Françoise was heartbroken at not having been in the house at the moment of Saint-Loup′s visit, but this was because now she herself paid visits also. She never failed to go out on the days when I most wanted her. It was always to see her brother, her niece and, more particularly, her own daughter, who had recently come to live in Paris. The intimate nature of these visits itself increased the irritation that I felt at being deprived of her services, for I had a foreboding that she would speak of them as being among those duties from which there was no dispensation, according to the laws laid down at Saint-André-des-Champs. And so I never listened to her excuses without an ill humour which was highly unjust to her, and was brought to a climax by the way Françoise had of saying not: “I have been to see my brother,” or “I have been to see my niece,” but “I have been to see the brother,” “I just looked in as I passed to bid good day to the niece” (or “to my niece the butcheress”). As for her daughter, Françoise would have been glad to see her return to Combray. But this recent Parisian, making use, like a woman of fashion, of abbreviations, though hers were of a vulgar kind, protested that the week she was going shortly to spend at Combray would seem quite long enough without so much as a sight of “the Intran.” She was still less willing to go to Franchise′s sister, who lived in a mountainous country, for “mountains,” said the daughter, giving to the adjective a new and terrible meaning, “aren′t really interesting.” She could not make Up her mind to go back to Méséglise, where “the people are so stupid,” where in the market the gossips at their stalls would call cousins with her, and say “Why, it′s never poor Bazireau′s daughter?” She would sooner die than go back and bury herself down there, now that she had “tasted the life of Paris,” and Françoise, traditionalist as she was, smiled complacently nevertheless at the spirit of innovation that was incarnate in this new Parisian when she said: “Very well, mother, if you don′t get your day out, you have only to send me a pneu.”
Le temps était redevenu froid. «Sortir? pourquoi? pour prendre la crève», disait Françoise qui aimait mieux rester à la maison pendant la semaine que sa fille, le frère et la bouchère étaient allés passer à Combray. D′ailleurs, dernière sectatrice en qui survécût obscurément la doctrine de ma tante Léonie — sachant la physique — Françoise ajoutait en parlant de ce temps hors de saison: «C′est le restant de la colère de Dieu!» Mais je ne répondais à ses plaintes que par un sourire plein de langueur, d′autant plus indifférent à ces prédictions que, de toutes manières, il ferait beau pour moi; déjà je voyais briller le soleil du matin sur la colline de Fiesole, je me chauffais à ses rayons; leur force m′obligeait à ouvrir et à fermer à demi les paupières, en souriant, et, comme des veilleuses d′albâtre, elles se remplissaient d′une lueur rose. Ce n′était pas seulement les cloches qui revenaient d′Italie, l′Italie était venue avec elles. Mes mains fidèles ne manqueraient pas de fleurs pour honorer l′anniversaire du voyage que j′avais dû faire jadis, car depuis qu′à Paris le temps était redevenu froid, comme une autre année au moment de nos préparatifs de départ à la fin du carême, dans l′air liquide et glacial qui les baignait les marronniers, les platanes des boulevards, l′arbre de la cour de notre maison, entr′ouvraient déjà leurs feuilles comme dans une coupe d′eau pure les narcisses, les jonquilles, les anémones du Ponte–Vecchio.
The weather had turned chilly again. “Go out? What for? To catch your death?” said Françoise, who preferred to remain in the house during the week which her daughter and brother and the butcher-niece had gone to spend at Combray. Being, moreover, the last surviving adherent of the sect in whom persisted obscurely the doctrine of my aunt Léonie — a natural philosopher — Françoise would add, speaking of this unseasonable weather: “It is the remnant of the wrath of God!” But I responded to her complaints only in a languid smile; all the more indifferent to these predictions, in that whatever befell it would be fine for me; already I could see the morning sun shine on the slope of Fiesole, I warmed myself in its rays; their strength obliged me to half open, half shut my eyelids, smiling the while, and my eyelids, like alabaster lamps, were filled with a rosy glow. It was not only the bells that came from Italy, Italy had come with them. My faithful hands would not lack flowers to honour the anniversary of the pilgrimage which I ought to have made long ago, for since, here in Paris, the weather had turned cold again as in another year at the time of our preparations for departure at the end of Lent, in the liquid, freezing air which bathed the chestnuts and planes on the boulevards, the tree in the courtyard of our house, there were already opening their petals, as in a bowl of pure water, the narcissi, the jonquils, the anemones of the Ponte Vecchio.
Mon père nous avait raconté qu′il savait maintenant par A.J. où allait M. de Noirpois quand il le rencontrait dans la maison.
My father had informed us that he now knew, from his friend A. J., where M. de Norpois was going when he met him about the place.
— C′est chez Mme de Villeparisis, il la connaît beaucoup, je n′en savais rien. Il paraît que c′est une personne délicieuse, une femme supérieure. Tu devrais aller la voir, me dit-il. Du reste, j′ai été très étonné. Il m′a parlé de M. de Guermantes comme d′un homme tout à fait distingué: je l′avais toujours pris pour une brute. Il paraît qu′il sait infiniment de choses, qu′il a un goût parfait, il est seulement très fier de son nom et de ses alliances. Mais du reste, au dire de Noirpois, sa situation est énorme, non seulement ici, mais partout en Europe. Il paraît que l′empereur d′Autriche, l′empereur de Russie le traitent tout à fait en ami. Le père Noirpois m′a dit que Mme de Villeparisis t′aimait beaucoup et que tu ferais dans son salon la connaissance de gens intéressants. Il m′a fait un grand éloge de toi, tu le retrouveras chez elle et il pourrait être pour toi d′un bon conseil même si tu dois écrire. Car je vois que tu ne feras pas autre chose. On peut trouver cela une belle carrière, moi ce n′est pas ce que j′aurais préféré pour toi, mais tu seras bientôt un homme, nous ne serons pas toujours auprès de toi, et il ne faut pas que nous t′empêchions de suivre ta vocation.
“It′s to see Mme. de Villeparisis, they are great friends; I never knew anything about it. It seems she′s a delightful person, a most superior woman. You ought to go and call on her,” he told me. “Another thing that surprised me very much. He spoke to me of M. de Guermantes as quite a distinguished man; I had always taken him for a boor. It seems, he knows an enormous amount, and has perfect taste, only he′s very proud of his name and his connexions. But for that matter, according to Norpois, he has a tremendous position, not only here but all over Europe. It appears, the Austrian Emperor and the Tsar treat him just like one of themselves. Old Norpois told me that Mme. de Villeparisis had taken quite a fancy to you, and that you would meet all sorts of interesting people in her house. He paid a great tribute to you; you will see him if you go there, and he may have some good advice for you even if you are going to be a writer. For you′re not likely to do anything else; I can see that. It might turn out quite a good career; it′s not what I should have chosen for you, myself; but you′ll be a man in no time now, we shan′t always be here to look after you, and we mustn′t prevent you from following your vocation.”
Si, au moins, j′avais pu commencer à écrire! Mais quelles que fussent les conditions dans lesquelles j′abordasse ce projet (de même, hélas! que celui de ne plus prendre d′alcool, de me coucher de bonne heure, de dormir, de me bien porter), que ce fût avec emportement, avec méthode, avec plaisir, en me privant d′une promenade, en l′ajournant et en la réservant comme récompense, en profitant d′une heure de bonne santé, en utilisant l′inaction forcée d′un jour de maladie, ce qui finissait toujours par sortir de mes efforts, c′était une page blanche, vierge de toute écriture, inéluctable comme cette carte forcée que dans certains tours on finit fatalement par tirer, de quelque façon qu′on eût préalablement brouillé le jeu. Je n′étais que l′instrument d′habitudes de ne pas travailler, de ne pas me coucher, de ne pas dormir, qui devaient se réaliser coûte que coûte; si je ne leur résistais pas, si je me contentais du prétexte qu′elles tiraient de la première circonstance venue que leur offrait ce jour-là pour les laisser agir à leur guise, je m′en tirais sans trop de dommage, je reposais quelques heures tout de même, à la fin de la nuit, je lisais un peu, je ne faisais pas trop d′excès; mais si je voulais les contrarier, si je prétendais entrer tôt dans mon lit, ne boire que de l′eau, travailler, elles s′irritaient, elles avaient recours aux grands moyens, elles me rendaient tout à fait malade, j′étais obligé de doubler la dose d′alcool, je ne me mettais pas au lit de deux jours, je ne pouvais même plus lire, et je me promettais une autre fois d′être plus raisonnable, c′est-à-dire moins sage, comme une victime qui se laisse voler de peur, si elle résiste, d′être assassinée.
If only I had been able to start writing! But whatever the conditions in which I approached the task (as, too, alas, the undertakings not to touch alcohol, to go to bed early, to sleep, to keep fit), whether it were with enthusiasm, with method, with pleasure, in depriving myself of a walk, or postponing my walk and keeping it in reserve as a reward of industry, taking advantage of an hour of good health, utilising the inactivity forced on me by a day of illness, what always emerged in the end from all my effort was a virgin page, undefiled by any writing, ineluctable as that forced card which in certain tricks one invariably is made to draw, however carefully one may first have shuffled the pack. I was merely the instrument of habits of not working, of not going to bed, of not sleeping, which must find expression somehow, cost what it might; if I offered them no resistance, if I contented myself with the pretext they seized from the first opportunity that the day afforded them of acting as they chose, I escaped without serious injury, I slept for a few hours after all, towards morning, I read a little, I did not over-exert myself; but if I attempted to thwart them, if I pretended to go to bed early, to drink only water, to work, they grew restive, they adopted strong measures, they made me really ill, I was obliged to double my dose of alcohol, did not lie down in bed for two days and nights on end, could not even read, and I vowed that another time I would be more reasonable, that is to say less wise, like the victim of an assault who allows himself to be robbed for fear, should he offer resistance, of being murdered.
Mon père dans l′intervalle avait rencontré une fois ou deux M. de Guermantes, et maintenant que M. de Norpois lui avait dit que le duc était un homme remarquable, il faisait plus attention à ses paroles. Justement ils parlèrent, dans la cour, de Mme de Villeparisis. «Il m′a dit que c′était sa tante; il prononce Viparisi. Il m′a dit qu′elle était extraordinairement intelligente. Il a même ajouté qu′elle tenait un bureau d′esprit[/i.>», ajouta mon père impressionné par le vague de cette expression qu′il avait bien lue une ou deux fois dans des Mémoires, mais à laquelle il n′attachait pas un sens précis. Ma mère avait tant de respect pour lui que, le voyant ne pas trouver indifférent que Mme de Villeparisis tînt bureau d′esprit, elle jugea que ce fait était de quelque conséquence. Bien que par ma grand′mère elle sût de tout temps ce que valait exactement la marquise, elle s′en fit immédiatement une idée plus avantageuse. Ma grand′mère, qui était un peu souffrante, ne fut pas d′abord favorable à la visite, puis s′en désintéressa. Depuis que nous habitions notre nouvel appartement, Mme de Villeparisis lui avait demandé plusieurs fois d′aller la voir. Et toujours ma grand′mère avait répondu qu′elle ne sortait pas en ce moment, dans une de ces lettres que, par une habitude nouvelle et que nous ne comprenions pas, elle ne cachetait plus jamais elle-même et laissait à Françoise le soin de fermer. Quant à moi, sans bien me représenter ce «bureau d′esprit», je n′aurais pas été très étonné de trouver la vieille dame de Balbec installée devant un «bureau», ce qui, du reste, arriva.
My father, in the meantime, had met M. de Guermantes once or twice, and, now that M. de Norpois had told him that the Duke was a remarkable man, had begun to pay more attention to what he said. As it happened, they met in the courtyard and discussed Mme. de Villeparisis. “He tells me, she′s his aunt; ‘Viparisi,′ he pronounces it. He tells me, too, she′s an extraordinarily able woman. In fact he said she kept a School of Wit,” my father announced to us, impressed by the vagueness of this expression, which he had indeed come across now and then in volumes of memoirs, but without attaching to it any definite meaning. My mother, so great was her respect for him, when she saw that he did not dismiss as of no importance the fact that Mme. de Villeparisis kept a School of Wit, decided that this must be of some consequence. Albeit from my grandmother she had known all the time the exact amount of the Marquise′s intellectual worth, it was immediately enhanced in her eyes. My grandmother, who was not very well just then, was not in favour at first of the suggested visit, and afterwards lost interest in the matter. Since we had moved into our new flat, Mme. de Villeparisis had several times asked my grandmother to call upon her. And invariably my grandmother had replied that she was not going out just at present, in one of those letters which, by a new habit of hers which we did not understand, she no longer sealed herself, but employed Françoise to lick the envelopes for her. As for myself, without any very clear picture in my mind of this School of Wit, I should not have been greatly surprised to find the old lady from Balbec installed behind a desk, as, for that matter, I eventually did.
Mon père aurait bien voulu par surcroît savoir si l′appui de l′Ambassadeur lui vaudrait beaucoup de voix à l′Institut où il comptait se présenter comme membre libre. A vrai dire, tout en n′osant pas douter de l′appui de M. de Norpois, il n′avait pourtant pas de certitude. Il avait cru avoir affaire à de mauvaises langues quand on lui avait dit au ministère que M. de Norpois désirant être seul à y représenter l′Institut, ferait tous les obstacles possibles à une candidature qui, d′ailleurs, le gênerait particulièrement en ce moment où il en soutenait une autre. Pourtant, quand M. Leroy–Beaulieu lui avait conseillé de se présenter et avait supputé ses chances, avait-il été impressionné de voir que, parmi les collègues sur qui il pouvait compter en cette circonstance, l′éminent économiste n′avait pas cité M. de Norpois. Mon père n′osait poser directement la question à l′ancien ambassadeur mais espérait que je reviendrais de chez Mme de Villeparisis avec son élection faite. Cette visite était imminente. La propagande de M. de Norpois, capable en effet d′assurer à mon père les deux tiers de l′Académie, lui paraissait d′ailleurs d′autant plus probable que l′obligeance de l′Ambassadeur était proverbiale, les gens qui l′aimaient le moins reconnaissant que personne n′aimait autant que lui à rendre service. Et, d′autre part, au ministère sa protection s′étendait sur mon père d′une façon beaucoup plus marquée que sur tout autre fonctionnaire.
My father would have been glad to know, into the bargain, whether the Ambassador′s support would be worth many votes to him at the Institute, for which he had thoughts of standing as an independent candidate. To tell the truth, while he did not venture to doubt that he would have M. de Norpois′s support, he was by no means certain of it. He had thought it merely malicious gossip when they assured him at the Ministry that M. de Norpois, wishing to be himself the only representative there of the Institute, would put every possible obstacle in the way of my father′s candidature, which besides would be particularly awkward for him at that moment, since he was supporting another candidate already. And yet, when M. Leroy-Beaulieu had first advised him to stand, and had reckoned up his chances, my father had been struck by the fact that, among the colleagues upon whom he could count for support, the eminent economist had not mentioned M. de Norpois. He dared not ask the Ambassador point-blank, but hoped that I should return from my call on Mme. de Villeparisis with his election as good as secured. This call was now imminent. That M. de Norpois would carry on propaganda calculated to assure my father the votes of at least two thirds of the Academy seemed to him all the more probable since the Ambassador′s willingness to oblige was proverbial, those who liked him least admitting that no one else took such pleasure in being of service. And besides, at the Ministry, his protective influence was extended over my father far more markedly than over any other official.
Mon père fit une autre rencontre mais qui, celle-là, lui causa un étonnement, puis une indignation extrêmes. Il passa dans la rue près de Mme Sazerat, dont la pauvreté relative réduisait la vie à Paris à de rares séjours chez une amie. Personne autant que Mme Sazerat n′ennuyait mon père, au point que maman était obligée une fois par an de lui dire d′une voix douce et suppliante: «Mon ami, il faudrait bien que j′invite une fois Mme Sazerat, elle ne restera pas tard» et même: «Écoute, mon ami, je vais te demander un grand sacrifice, va faire une petite visite à Mme Sazerat. Tu sais que je n′aime pas t′ennuyer, mais ce serait si gentil de ta part.» Mon père riait, se fâchait un peu, et allait faire cette visite. Malgré donc que Mme Sazerat ne le divertît pas, mon père, la rencontrant, alla vers elle en se découvrant, mais, à sa profonde surprise, Mme Sazerat se contenta d′un salut glacé, forcé par la politesse envers quelqu′un qui est coupable d′une mauvaise action ou est condamné à vivre désormais dans un hémisphère différent. Mon père était rentré fâché, stupéfait. Le lendemain ma mère rencontra Mme Sazerat dans un salon. Celle-ci ne lui tendit pas la main et lui sourit d′un air vague et triste comme à une personne avec qui on a joué dans son enfance, mais avec qui on a cessé depuis lors toutes relations parce qu′elle a mené une vie de débauches, épousé un forçat ou, qui pis est, un homme divorcé. Or de tous temps mes parents accordaient et inspiraient à Mme Sazerat l′estime la plus profonde. Mais (ce que ma mère ignorait) Mme Sazerat, seule de son espèce à Combray, était dreyfusarde. Mon père, ami de M. Méline, était convaincu de la culpabilité de Dreyfus. Il avait envoyé promener avec mauvaise humeur des collègues qui lui avaient demandé de signer une liste révisionniste. Il ne me reparla pas de huit jours quand il apprit que j′avais suivi une ligne de conduite différente. Ses opinions étaient connues. On n′était pas loin de le traiter de nationaliste. Quant à ma grand′ mère que seule de la famille paraissait devoir enflammer un doute généreux, chaque fois qu′on lui parlait de l′innocence possible de Dreyfus, elle avait un hochement de tête dont nous ne comprenions pas alors le sens, et qui était semblable à celui d′une personne qu′on vient déranger dans des pensées plus sérieuses. Ma mère, partagée entre son amour pour mon père et l′espoir que je fusse intelligent, gardait une indécision qu′elle traduisait par le silence. Enfin mon grand-père, adorant l′armée (bien que ses obligations de garde national eussent été le cauchemar de son âge mûr), ne voyait jamais à Combray un régiment défiler devant la grille sans se découvrir quand passaient le colonel et le drapeau. Tout cela était assez pour que Mme Sazerat, qui connaissait à fond la vie de désintéressement et d′honneur de mon père et de mon grand-père, les considérât comme des suppôts de l′Injustice. On pardonne les crimes individuels, mais non la participation à un crime collectif. Dès qu′elle le sut antidreyfusard, elle mit entre elle et lui des continents et des siècles. Ce qui explique qu′à une pareille distance dans le temps et dans l′espace, son salut ait paru imperceptible à mon père et qu′elle n′eût pas songé à une poignée de main et à des paroles lesquelles n′eussent pu franchir les mondes qui les séparaient.
My father had also another encounter about this time, but one at which his extreme surprise ended in equal indignation. In the street one day he ran into Mme. Sazerat, whose life in Paris her comparative poverty restricted to occasional visits to a friend. There was no one who bored my father quite so intensely as did Mme. Sazerat, so much so that Mamma was obliged, once a year, to intercede with him in sweet and suppliant tones: “My dear, I really must invite Mme. Sazerat to the house, just once; she won′t stay long;” and even: “Listen, dear, I am going to ask you to make a great sacrifice; do go and call upon Mme. Sazerat. You know I hate bothering you, but it would be so nice of you.” He would laugh, raise various objections, and go to pay the call. And so, for all that Mme. Sazerat did not appeal to him, on catching sight of her in the street my father went towards her, hat in hand; but to his profound astonishment Mme. Sazerat confined her greeting to the frigid bow enforced by politeness towards a person who is guilty of some disgraceful action or has been condemned to live, for the future, in another hemisphere. My father had come home speechless with rage. Next day my mother met Mme. Sazerat in some one′s house. She did not offer my mother her hand, but only smiled at her with a vague and melancholy air as one smiles at a person with whom one used to play as a child, but with whom one has since severed all one′s relations because she has led an abandoned life, has married a convict or (what is worse still) a co-respondent. Now, from all time my parents had accorded to Mme. Sazerat, and inspired in her, the most profound respect. But (and of this my mother was ignorant) Mme. Sazerat, alone of her kind at Combray, was a Dreyfusard. My father, a friend of M. Méline, was convinced that Dreyfus was guilty. He had flatly refused to listen to some of his colleagues who had asked him to sign a petition demanding a fresh trial. He never spoke to me for a week, after learning that I had chosen to take a different line. His opinions were well known. He came near to being looked upon as a Nationalist. As for my grandmother, in whom alone of the family a generous doubt was likely to be kindled, whenever anyone spoke to her of the possible innocence of Dreyfus, she gave a shake of her head, the meaning of which we did not at the time understand, but which was like the gesture of a person who has been interrupted while thinking of more serious things. My mother, torn between her love for my father and her hope that I might turn out to have brains, preserved an impartiality which she expressed by silence. Finally my grandfather, who adored the Army (albeit his duties with the National Guard had been the bugbear of his riper years), could never, at Combray, see a regiment go by the garden railings without baring his head as the colonel and the colours passed. All this was quite enough to make Mme. Sazerat, who knew every incident of the disinterested and honourable careers of my father and grandfather, regard them as pillars of Injustice. We pardon the crimes of individuals, but not their participation in a collective crime. As soon as she knew my father to be an anti-Dreyfusard she set between him and herself continents and centuries. Which explains why, across such an interval of time and space, her bow had been imperceptible to my father, and why it had not occurred to her to hold out her hand, or to say a few words which would never have carried across the worlds that lay between.
Saint–Loup, devant venir à Paris, m′avait promis de me mener chez Mme de Villeparisis où j′espérais, sans le lui avoir dit, que nous rencontrerions Mme de Guermantes. Il me demanda de déjeuner au restaurant avec sa maîtresse que nous conduirions ensuite à une répétition. Nous devions aller la chercher le matin, aux environs de Paris où elle habitait.
Saint-Loup, who was coming anyhow to Paris, had promised to take me to Mme. de Villeparisis′s, where I hoped, though I had not said so to him, that we might meet Mme. de Guermantes. He invited me to luncheon in a restaurant with his mistress, whom we were afterwards to accompany to a rehearsal. We were to go out in the morning and call for her at her home on the outskirts of Paris.
J′avais demandé à Saint–Loup que le restaurant où nous déjeunerions (dans la vie des jeunes nobles qui dépensent de l′argent le restaurant joue un rôle aussi important que les caisses d′étoffe dans les contes arabes) fût de préférence celui où Aimé m′avait annoncé qu′il devait entrer comme maître d′hôtel en attendant la saison de Balbec. C′était un grand charme pour moi qui rêvais à tant de voyages et en faisais si peu, de revoir quelqu′un qui faisait partie plus que de mes souvenirs de Balbec, mais de Balbec même, qui y allait tous les ans, qui, quand la fatigue ou mes cours me forçaient à rester à Paris, n′en regardait pas moins, pendant les longues fins d′après-midi de juillet, en attendant que les clients vinssent dîner, le soleil descendre et se coucher dans la mer, à travers les panneaux de verre de la grande salle à manger derrière lesquels, à l′heure où il s′éteignait, les ailes immobiles des vaisseaux lointains et bleuâtres avaient l′air de papillons exotiques et nocturnes dans une vitrine. Magnétisé lui-même par son contact avec le puissant aimant de Balbec, ce maître d′hôtel devenait à son tour aimant pour moi. J′espérais en causant avec lui être déjà en communication avec Balbec, avoir réalisé sur place un peu du charme du voyage.
I had asked Saint-Loup that the restaurant to which we went for luncheon (in the lives of young noblemen with money to spend the restaurant plays as important a part as do bales of merchandise in Arabian stories), might, if possible, be that to which Aimé had told me that he would be going as head waiter until the Balbec season started. It was a great attraction to me who dreamed of so many expeditions and made so few to see again some one who formed part not merely of my memories of Balbec but of Balbec itself, who went there year after year, who when ill health or my studies compelled me to stay in Paris would be watching, just the same, through the long July afternoons while he waited for the guests to come in to dinner, the sun creep down the sky and set in the sea, through the glass panels of the great dining-room, behind which, at the hour when the light died, the motionless wings of vessels, smoky blue in the distance, looked like exotic and nocturnal moths in a show-case. Himself magnetised by his contact with the strong lodestone of Balbec, this head waiter became in turn a magnet attracting me. I hoped by talking to him to get at once into communication with Balbec, to have realised here in Paris something of the delights of travel.
Je quittai dès le matin la maison, où je laissai Françoise gémissante parce que le valet de pied fiancé n′avait pu encore une fois, la veille au soir, aller voir sa promise. Françoise l′avait trouvé en pleurs; il avait failli aller gifler le concierge, mais s′était contenu, car il tenait à sa place.
I left the house early, with Françoise complaining bitterly because the footman who was engaged to be married had once again been prevented, the evening before, from going to see his girl. Françoise had found him in tears; he had been itching to go and strike the porter, but had restrained himself, for he valued his place.
Avant d′arriver chez Saint–Loup, qui devait m′attendre devant sa porte, je rencontrai Legrandin, que nous avions perdu de vue depuis Combray et qui, tout grisonnant maintenant, avait gardé son air jeune et candide. Il s′arrêta.
Before reaching Saint-Loup′s, where he was to be waiting for me at the door, I ran into Legrandin, of whom we had lost sight since our Combray days, and who, though now grown quite grey, had preserved his air of youthful candour. Seeing me, he stopped:
— Ah! vous voilà, me dit-il, homme chic, et en redingote encore! Voilà une livrée dont mon indépendance ne s′accommoderait pas. Il est vrai que vous devez être un mondain, faire des visites! Pour aller rêver comme je le fais devant quelque tombe à demi détruite, ma lavallière et mon veston ne sont pas déplacés. Vous savez que j′estime la jolie qualité de votre âme; c′est vous dire combien je regrette que vous alliez la renier parmi les Gentils. En étant capable de rester un instant dans l′atmosphère nauséabonde, irrespirable pour moi, des salons, vous rendez contre votre avenir la condamnation, la damnation du Prophète. Je vois cela d′ici, vous fréquentez les «coeurs légers», la société des châteaux; tel est le vice de la bourgeoisie contemporaine. Ah! les aristocrates, la Terreur a été bien coupable de ne pas leur couper le cou à tous. Ce sont tous de sinistres crapules quand ce ne sont pas tout simplement de sombres idiots. Enfin, mon pauvre enfant, si cela vous amuse! Pendant que vous irez à quelque five o′clock[/i.>, votre vieil ami sera plus heureux que vous, car seul dans un faubourg, il regardera monter dans le ciel violet la lune rose. La vérité est que je n′appartiens guère à cette Terre où je me sens si exilé; il faut toute la force de la loi de gravitation pour m′y maintenir et que je ne m′évade pas dans une autre sphère. Je suis d′une autre planète. Adieu, ne prenez pas en mauvaise part la vieille franchise du paysan de la Vivonne qui est aussi resté le paysan du Danube. Pour vous prouver que je fais cas de vous, je vais vous envoyer mon dernier roman. Mais vous n′aimerez pas cela; ce n′est pas assez déliquescent, assez fin de siècle pour vous, c′est trop franc, trop honnête; vous, il vous faut du Bergotte, vous l′avez avoué, du faisandé pour les palais blasés de jouisseurs raffinés. On doit me considérer dans votre groupe comme un vieux troupier; j′ai le tort de mettre du coeur dans ce que j′écris, cela ne se porte plus; et puis la vie du peuple ce n′est pas assez distingué pour intéresser vos snobinettes. Allons, tâchez de vous rappeler quelquefois la parole du Christ: «Faites cela et vous vivrez.» Adieu, ami.
“Ah! So it′s you,” he exclaimed, “a man of fashion, and in a frock coat too! That is a livery in which my independent spirit would be ill at ease. It is true that you are a man of the world, I suppose, and go out paying calls! To go and dream, as I do, before some half ruined tomb, my flowing tie and jacket are not out of place. You know how I admire the charming quality of your soul; that is why I tell you how deeply I regret that you should go forth and deny it among the Gentiles. By being capable of remaining for a moment in the nauseating atmosphere — which I am unable to breathe — of a drawing-room, you pronounce on your own future the condemnation, the damnation of the Prophet. I can see it all, you frequent the ‘light hearts,′ the houses of the great, that is the vice of our middle class to-day. Ah! Those aristocrats! The Terror was greatly to blame for not cutting the heads off every one of them. They are all sinister debauchees, when they are not simply dreary idiots. Still, my poor boy, if that sort of thing amuses you! While you are on your way to your tea-party your old friend will be more fortunate than you, for alone in an outlying suburb he will be watching the pink moon rise in a violet sky. The truth is that I scarcely belong to this Earth upon which I feel myself such an exile; it takes all the force of the law of gravity to hold me here, to keep nie from escaping into another sphere. I belong to a different planet. Goodbye; do not take amiss the old-time frankness of the peasant of the Vivonne, who has also remained a peasant of the Danube. To prove to you that I am your sincere well-wisher, I am going to send you my last novel. But you will not care for it; it is not deliquescent enough, not fin de siècle enough for you; it is too frank, too honest; what you want is Bergotte, you have confessed it, high game for the jaded palates of pleasure-seeking epicures. I suppose I am looked upon, in your set, as an old campaigner; I do wrong to put my heart into what I write, that is no longer done; besides, the life of the people is not distinguished enough to interest your little snobbicules. Go, get you gone, try to recall at times the words of Christ: ‘Do this and ye shall live.′ Farewell, Friend.”
Ce n′est pas de trop mauvaise humeur contre Legrandin que je le quittai. Certains souvenirs sont comme des amis communs, ils savent faire des réconciliations; jeté au milieu des champs semés de boutons d′or où s′entassaient les ruines féodales, le petit pont de bois nous unissait, Legrandin et moi, comme les deux bords de la Vivonne.
It was not with any particular resentment against Legrandin that I parted from him. Certain memories are like friends in common, they can bring about reconciliations; set down amid fields starred with buttercups, upon which were piled the ruins of feudal greatness, the little wooden bridge still joined us, Legrandin and me, as it joined the two banks of the Vivonne.
Ayant quitté Paris où, malgré le printemps commençant, les arbres des boulevards étaient à peine pourvus de leurs premières feuilles, quand le train de ceinture nous arrêta, Saint–Loup et moi, dans le village de banlieue où habitait sa maîtresse, ce fut un émerveillement de voir chaque jardinet pavoisé par les immenses reposoirs blancs des arbres fruitiers en fleurs. C′était comme une des fêtes singulières, poétiques, éphémères et locales qu′on vient de très loin contempler à époques fixes, mais celle-là donnée par la nature. Les fleurs des cerisiers sont si étroitement collées aux branches, comme un blanc fourreau, que de loin, parmi les arbres qui n′étaient presque ni fleuris, ni feuillus, on aurait pu croire, par ce jour de soleil encore si froid, que c′était de la neige, fondue ailleurs, qui était encore restée après les arbustes. Mais les grands poiriers enveloppaient chaque maison, chaque modeste cour, d′une blancheur plus vaste, plus unie, plus éclatante et comme si tous les logis, tous les enclos du village fussent en train de faire, à la même date, leur première communion.
After coming out of a Paris in which, although spring had begun, the trees on the boulevards had hardly put on their first leaves, it was a marvel to Saint-Loup and myself, when the circle train had set us down at the suburban village in which his mistress was living, to see every cottage garden gay with huge festal altars of fruit trees in blossom. It was like one of those peculiar, poetical, ephemeral, local festivals which people travel long distances to attend on certain fixed occasions, only this one was held by Nature. The bloom of the cherry tree is stuck so close to its branches, like a white sheath, that from a distance, among the other trees that shewed as yet scarcely a flower or leaf, one might have taken it, on this day of sunshine that was still so cold, for snow, melted everywhere else, which still clung to the bushes. But the tall pear trees enveloped each house, each modest courtyard in a whiteness more vast, more uniform, more dazzling, as if all the dwellings, all the enclosed spaces in the village were on their way to make, on one solemn date, their first communion.
Ces villages des environs de Paris gardent encore à leurs portes des parcs du XVIIe et du XVIIIe siècle, qui furent les «folies» des intendants et des favorites. Un horticulteur avait utilisé l′un d′eux situé en contre-bas de la route pour la culture des arbres fruitiers (ou peut-être conservé simplement le dessin d′un immense verger de ce temps-là). Cultivés en quinconces, ces poiriers, plus espacés, moins avancés que ceux que j′avais vus, formaient de grands quadrilatères — séparés par des murs bas — de fleurs blanches sur chaque côté desquels la lumière venait se peindre différemment, si bien que toutes ces chambres sans toit et en plein air avaient l′air d′être celles du Palais du Soleil, tel qu′on aurait pu le retrouver dans quelque Crète; et elles faisaient penser aussi aux chambres d′un réservoir ou de telles parties de la mer que l′homme pour quelque pêche ou ostréiculture subdivise, quand on voyait des branches, selon l′exposition, la lumière venir se jouer sur les espaliers comme sur les eaux printanières et faire déferler ça et là, étincelant parmi le treillage à claire-voie et rempli d′azur des branches, l′écume blanchissante d′une fleur ensoleillée et mousseuse.
It had been a country village, and had kept its old mayor′s office sunburned and brown, in front of which, in the place of maypoles and streamers, three tall pear trees were, as though for some civic and local festival, gallantly beflagged with white satin. These villages in the environs of Paris still have at their gates parks of the seventeenth and eighteenth centuries which were the ‘follies′ of the stewards and favourites of the great. A fruit-grower had utilised one of these which was sunk below the road for his trees, or had simply, perhaps, preserved the plan of an immense orchard of former days. Laid out in quincunxes, these pear trees, less crowded and not so far on as those that I had seen, formed great quadrilaterals — separated by low walls — of snowy blossom, on each side of which the light fell differently, so that all these airy roofless chambers seemed to belong to a Palace of the Sun, such as one might unearth in Crete or somewhere; and made one think also of the different ponds of a reservoir, or of those parts of the sea which man, for some fishery, or to plant oyster-beds, has subdivided, when one saw, varying with the orientation of the boughs, the light fall and play upon their trained arms as upon water warm with spring, and coax into unfolding here and there, gleaming amid the open, azure-panelled trellis of the branches, the foaming whiteness of a creamy, sunlit flower.
C′était un village ancien, avec sa vieille mairie cuite et dorée devant laquelle, en guise de mâts de cocagne et d′oriflammes, trois grands poiriers étaient, comme pour une fête civique et locale, galamment pavoisés de satin blanc.
Â…
Jamais Robert ne me parla plus tendrement de son amie que pendant ce trajet. Seule elle avait des racines dans son coeur; l′avenir qu′il avait dans l′armée, sa situation mondaine, sa famille, tout cela ne lui était pas indifférent certes, mais ne comptait en rien auprès des moindres choses qui concernaient sa maîtresse. Cela seul avait pour lui du prestige, infiniment plus de prestige que les Guermantes et tous les rois de la terre. Je ne sais pas s′il se formulait à lui-même qu′elle était d′une essence supérieure à tout, mais je sais qu′il n′avait de considération, de souci, que pour ce qui la touchait. Par elle, il était capable de souffrir, d′être heureux, peut-être de tuer. Il n′y avait vraiment d′intéressant, de passionnant pour lui, que ce que voulait, ce que ferait sa maîtresse, que ce qui se passait, discernable tout au plus par des expressions fugitives, dans l′espace étroit de son visage et sous son front privilégié. Si délicat pour tout le reste, il envisageait la perspective d′un brillant mariage, seulement pour pouvoir continuer à l′entretenir, à la garder. Si on s′était demandé à quel prix il l′estimait, je crois qu′on n′eût jamais pu imaginer un prix assez élevé. S′il ne l′épousait pas c′est parce qu′un instinct pratique lui faisait sentir que, dès qu′elle n′aurait plus rien à attendre de lui, elle le quitterait ou du moins vivrait à sa guise, et qu′il fallait la tenir par l′attente du lendemain. Car il supposait que peut-être elle ne l′aimait pas. Sans doute, l′affection générale appelée amour devait le forcer — comme elle fait pour tous les hommes —à croire par moments qu′elle l′aimait. Mais pratiquement il sentait que cet amour qu′elle avait pour lui n′empêchait pas qu′elle ne restât avec lui qu′à cause de son argent, et que le jour où elle n′aurait plus rien à attendre de lui elle s′empresserait (victime des théories de ses amis de la littérature et tout en l′aimant, pensait-il) de le quitter. — Je lui ferai aujourd′hui, si elle est gentille, me dit-il, un cadeau qui lui fera plaisir. C′est un collier qu′elle a vu chez Boucheron. C′est un peu cher pour moi en ce moment: trente mille francs. Mais ce pauvre loup, elle n′a pas tant de plaisir dans la vie. Elle va être joliment contente. Elle m′en avait parlé et elle m′avait dit qu′elle connaissait quelqu′un qui le lui donnerait peut-être. Je ne crois pas que ce soit vrai, mais je me suis à tout hasard entendu avec Boucheron, qui est le fournisseur de ma famille, pour qu′il me le réserve. Je suis heureux de penser que tu vas la voir; elle n′est pas extraordinaire comme figure, tu sais (je vis bien qu′il pensait tout le contraire et ne disait cela que pour que mon admiration fût plus grande), elle a surtout un jugement merveilleux; devant toi elle n′osera peut-être pas beaucoup parler, mais je me réjouis d′avance de ce qu′elle me dira ensuite de toi; tu sais, elle dit des choses qu′on peut approfondir indéfiniment, elle a vraiment quelque chose de pythique.
Never had Robert spoken to me so tenderly of his friend as he did during this walk. She alone had taken root in his heart; his future career in the Army, his position in society, his family, he was not, of course, indifferent altogether to these, but they were of no account compared with the veriest trifle that concerned his mistress. That alone had any importance in his eyes, infinitely more importance than the Guermantes and all the kings of the earth put together. I do not know whether he had formulated the doctrine that she was of a superior quality to anyone else, but I do know that he considered, took trouble only about what affected her. Through her and for her he was capable of suffering, of being happy, perhaps of doing murder. There was really nothing that interested, that could excite him except what his mistress wished, was going to do, what was going on, discernible at most in fleeting changes of expression, in the narrow expanse of her face and behind her privileged brow. So nice-minded in all else, he looked forward to the prospect of a brilliant marriage, solely in order to be able to continue to maintain her, to keep her always. If one had asked oneself what was the value that he set on her, I doubt whether one could ever have imagined a figure high enough. If he did not marry her, it was because a practical instinct warned him that as soon as she had nothing more to expect from him she would leave him, or would at least live as she chose, and that he must retain his hold on her by keeping her in suspense from day to day. For he admitted the possibility that she did not love him. No doubt the general affection called love must have forced him — as it forces all men — to believe at times that she did. But in his heart of hearts he felt that this love which she felt for him did not exhaust the possibility of her remaining with him only on account of his money, and that on the day when she had nothing more to expect from him she would make haste (the dupe of her friends and their literary theories, and loving him all the time, really — he thought) to leave him. “If she is nice to me to-day,” he confided to me, “I am going to give her something that she′ll like. It′s a necklace she saw at Boucheron′s. It′s rather too much for me just at present — thirty thousand francs. But, poor puss, she gets so little pleasure out of life. She will be jolly pleased with it, I know. She mentioned it to me and told me she knew somebody who would perhaps give it to her. I don t believe that is true, really, but I wasn′t taking any risks, so I′ve arranged with Boucheron, who is our family jeweller, to keep it for me. I am glad to think that you′re going to meet her; she′s nothing so very wonderful to look at, you know,” (I could see that he thought just the opposite and had said this only so as to make me, when I did see her, admire her all the more) “what she has got is a marvellous judgment; she′ll perhaps be afraid to talk much before you, but, by Jove! the things she′ll say to me about you afterwards, you know she says things one can go on thinking about for hours; there′s really something about her that′s quite Pythian.”
Pour arriver à la maison qu′elle habitait, nous longions de petits jardins, et je ne pouvais m′empêcher de m′arrêter, car ils avaient toute une floraison de cerisiers et de poiriers; sans doute vides et inhabités hier encore comme une propriété qu′on n′a pas louée, ils étaient subitement peuplés et embellis par ces nouvelles venues arrivées de la veille et dont à travers les grillages on apercevait les belles robes blanches au coin des allées.
On our way to her house we passed by a row of little gardens, and I was obliged to stop, for they were all aflower with pear and cherry blossoms; as empty, no doubt, and lifeless only yesterday as a house that no tenant has taken, they were suddenly peopled and adorned by these newcomers, arrived during the night, whose lovely white garments we could see through the railings along the garden paths.
Â…
“Listen; I can see you′d rather stop and look at that stuff, and grow poetical about it,” said Robert, “so just wait for me here, will you; my friend′s house is quite close, I will go and fetch her.”
En l′attendant je fis quelques pas, je passais devant de modestes jardins. Si je levais la tête, je voyais quelquefois des jeunes filles aux fenêtres, mais même en plein air et à la hauteur d′un petit étage, ça et là, souples et légères, dans leur fraîche toilette mauve, suspendues dans les feuillages, de jeunes touffes de lilas se laissaient balancer par la brise sans s′occuper du passant qui levait les yeux jusqu′à leur entresol de verdure. Je reconnaissais en elles les pelotons violets disposés à l′entrée du parc de M. Swann, passé la petite barrière blanche, dans les chauds après-midi du printemps, pour une ravissante tapisserie provinciale. Je pris un sentier qui aboutissait à une prairie. Un air froid y soufflait vif comme à Combray, mais, au milieu de la terre grasse, humide et campagnarde qui eût pu être au bord de la Vivonne, n′en avait pas moins surgi, exact au rendez-vous comme toute la bande de ses compagnons, un grand poirier blanc qui agitait en souriant et opposait au soleil, comme un rideau de lumière matérialisée et palpable, ses fleurs convulsées par la brise, mais lissées et glacées d′argent par les rayons.
While I waited I strolled up and down the road, past these modest gardens. If I raised my head I could see, now and then, girls sitting in the windows, but outside, in the open air, and at the height of a half-landing, here and there, light and pliant, in their fresh pink gowns, hanging among the leaves, young lilac-clusters were letting themselves be swung by the breeze without heeding the passer-by who was turning his eyes towards their green mansions. I recognised in them the platoons in violet uniform posted at the entrance to M. Swann′s park, past the little white fence, in the warm afternoons of spring, like an enchanting rustic tapestry. I took a path which led me into a meadow. A cold wind blew keenly along it, as at Combray, but from the midst of the rich, moist, country soil, which might have been on the bank of the Vivonne, there had nevertheless arisen, punctual at the trysting place like all its band of brothers, a great white pear tree which waved smilingly in the sun′s face, like a curtain of light materialised and made palpable, its flowers shaken by the breeze but polished and frosted with silver by the sun′s rays.
Tout à coup, Saint–Loup apparut accompagné de sa maîtresse et alors, dans cette femme qui était pour lui tout l′amour, toutes les douceurs possibles de la vie, dont la personnalité mystérieusement enfermée dans un corps comme dans un Tabernacle était l′objet encore sur lequel travaillait sans cesse l′imagination de mon ami, qu′il sentait qu′il ne connaîtrait jamais, dont il se demandait perpétuellement ce qu′elle était en elle-même, derrière le voile des regards et de la chair, dans cette femme, je reconnus à l′instant «Rachel quand du Seigneur», celle qui, il y a quelques années — les femmes changent si vite de situation dans ce monde-là, quand elles en changent — disait à la maquerelle: «Alors, demain soir, si vous avez besoin de moi pour quelqu′un, vous me ferez chercher.»
Suddenly Saint-Loup appeared, accompanied by his mistress, and then, in this woman who was for him all the love, every possible delight in life, whose personality, mysteriously enshrined in a body as in a Tabernacle, was the object that still occupied incessantly the toiling imagination of my friend, whom he felt that he would never really know, as to whom he was perpetually asking himself what could be her secret self, behind the veil of eyes and flesh, in this woman I recognised at once ‘Rachel when from the Lord,′ her who, but a few years since — women change their position so rapidly in that world, when they do change — used to say to the procuress: “To-morrow evening, then, if you want me for anyone, you will send round, won′t you?”
Et quand on était «venu la chercher» en effet, et qu′elle se trouvait seule dans la chambre avec ce quelqu′un, elle savait si bien ce qu′on voulait d′elle, qu′après avoir fermé à clef, par précaution de femme prudente, ou par geste rituel, elle commençait à ôter toutes ses affaires, comme on fait devant le docteur qui va vous ausculter, et ne s′arrêtant en route que si le «quelqu′un», n′aimant pas la nudité, lui disait qu′elle pouvait garder sa chemise, comme certains praticiens qui, ayant l′oreille très fine et la crainte de faire se refroidir leur malade, se contentent d′écouter la respiration et le battement du coeur à travers un linge. A cette femme dont toute la vie, toutes les pensées, tout le passé, tous les hommes par qui elle avait pu être possédée, m′étaient chose si indifférente que, si elle me l′eût contée, je ne l′eusse écoutée que par politesse et à peine entendue, je sentis que l′inquiétude, le tourment, l′amour de Saint–Loup s′étaient appliqués jusqu′à faire — de ce qui était pour moi un jouet mécanique — un objet de souffrances infinies, le prix même de l′existence. Voyant ces deux éléments dissociés (parce que j′avais connu «Rachel quand du Seigneur» dans une maison de passe), je comprenais que bien des femmes pour lesquelles des hommes vivent, souffrent, se tuent, peuvent être en elles-mêmes ou pour d′autres ce que Rachel était pour moi. L′idée qu′on pût avoir une curiosité douloureuse à l′égard de sa vie me stupéfiait. J′aurais pu apprendre bien des coucheries d′elle à Robert, lesquelles me semblaient la chose la plus indifférente du monde. Et combien elles l′eussent peiné! Et que n′avait-il pas donné pour les connaître, sans y réussir!
And when they had ‘come round′ for her, and she found herself alone in the room with the ‘anyone,′ she had known so well what was required of her that after locking the door, as a prudent woman′s precaution or a ritual gesture, she would begin to take off all her things, as one does before the doctor who is going to sound one′s chest, never stopping in the process unless the ‘some one,′ not caring for nudity, told her that she might keep on her shift, as specialists do sometimes who, having an extremely fine ear and being afraid of their patient′s catching a chill, are satisfied with listening to his breathing and the beating of his heart through his shirt. On this woman whose whole life, all her thoughts, all her past, all the men who at one time or another had had her were to me so utterly unimportant that if she had begun to tell me about them I should have listened to her only out of politeness, and should barely have heard what she said, I felt that the anxiety, the torment, the love of Saint-Loup had been concentrated in such a way as to make — out of what was for me a mechanical toy, nothing more — the cause of endless suffering, the very object and reward of existence. Seeing these two elements separately (because I had known ‘Rachel when from the Lord′ in a house of ill fame), I realised that many women for the sake of whom men live, suffer, take their lives, may be in themselves or for other people what Rachel was for me. The idea that any one could be tormented by curiosity with regard to her life stupefied me. I could have told Robert of any number of her unchastities, which seemed to me the most uninteresting things in the world. And how they would have pained him! And what had he not given to learn them, without avail!
Je me rendais compte de tout ce qu′une imagination humaine peut mettre derrière un petit morceau de visage comme était celui de cette femme, si c′est l′imagination qui l′a connue d′abord; et, inversement, en quels misérables éléments matériels et dénués de toute valeur pouvait se décomposer ce qui était le but de tant de rêveries, si, au contraire, cela avait été, connue d′une manière opposée, par la connaissance la plus triviale. Je comprenais que ce qui m′avait paru ne pas valoir vingt francs quand cela m′avait été offert pour vingt francs dans la maison de passe, où c′était seulement pour moi une femme désireuse de gagner vingt francs, peut valoir plus qu′un million, que la famille, que toutes les situation enviées, si on a commencé par imaginer en elle un être inconnu, curieux à connaître, difficile à saisir, à garder. Sans doute c′était le même mince et étroit visage que nous voyions Robert et moi. Mais nous étions arrivés à lui par les deux routes opposées qui ne communiqueront jamais, et nous n′en verrions jamais la même face. Ce visage, avec ses regards, ses sourires, les mouvements de sa bouche, moi je l′avais connu du dehors comme étant celui d′une femme quelconque qui pour vingt francs ferait tout ce que je voudrais. Aussi les regards, les sourires, les mouvements de bouche m′avaient paru seulement significatifs d′actes généraux, sans rien d′individuel, et sous eux je n′aurais pas eu la curiosité de chercher une personne. Mais ce qui m′avait en quelque sorte été offert au départ, ce visage consentant, ç‘avait été pour Robert un point d′arrivée vers lequel il s′était dirigé à travers combien d′espoirs, de doutes, de soupçons, de rêves. Il donnait plus d′un million pour avoir, pour que ne fût pas offert à d′autres, ce qui m′avait été offert comme à chacun pour vingt francs. Pour quel motif, cela, il ne l′avait pas eu à ce prix, peut tenir au hasard d′un instant, d′un instant pendant lequel celle qui semblait prête à se donner se dérobe, ayant peut-être un rendez-vous, quelque raison qui la rende plus difficile ce jour-là. Si elle a affaire à un sentimental, même si elle ne s′en aperçoit pas, et surtout si elle s′en aperçoit, un jeu terrible commence. Incapable de surmonter sa déception, de se passer de cette femme, il la relance, elle le fuit, si bien qu′un sourire qu′il n′osait plus espérer est payé mille fois ce qu′eussent dû l′être les dernières faveurs. Il arrive même parfois dans ce cas, quand on a eu, par un mélange de naîµ¥té dans le jugement et de lâcheté devant la souffrance, la folie de faire d′une fille une inaccessible idole, que ces dernières faveurs, ou même le premier baiser, on ne l′obtiendra jamais, on n′ose même plus le demander pour ne pas démentir des assurances de platonique amour. Et c′est une grande souffrance alors de quitter la vie sans avoir jamais su ce que pouvait être le baiser de la femme qu′on a le plus aimée. Les faveurs de Rachel, Saint–Loup pourtant avait réussi par chance à les avoir toutes. Certes, s′il avait su maintenant qu′elles avaient été offertes à tout le monde pour un louis, il eût sans doute terriblement souffert, mais n′eût pas moins donné un million pour les conserver, car tout ce qu′il eût appris n′eût pas pu le faire sortir — car cela est au-dessus des forces de l′homme et ne peut arriver que malgré lui par l′action de quelque grande loi naturelle — de la route dans laquelle il était et d′où ce visage ne pouvait lui apparaître qu′à travers les rêves qu′il avait formés, d′où ces regards, ces sourires, ce mouvement de bouche étaient pour lui la seule révélation d′une personne dont il aurait voulu connaître la vraie nature et posséder à lui seul les désirs. L′immobilité de ce mince visage, comme celle d′une feuille de papier soumise aux colossales pressions de deux atmosphères, me semblait équilibrée par deux infinis qui venaient aboutir à elle sans se rencontrer, car elle les séparait. Et en effet, la regardant tous les deux, Robert et moi, nous ne la voyions pas du même côté du mystère.
I realised also then all that the human imagination can put behind a little scrap of face, such as this girl′s face was, if it is the imagination that was the first to know it; and conversely into what wretched elements, crudely material and utterly without value, might be decomposed what had been the inspiration of countless dreams if, on the contrary, it should be so to speak controverted by the slightest actual acquaintance. I saw that what had appeared to me to be not worth twenty francs when it had been offered to me for twenty francs in the house of ill fame, where it was then for me simply a woman desirous of earning twenty francs, might be worth more than a million, more than one′s family, more than all the most coveted positions in life if one had begun by imagining her to embody a strange creature, interesting to know, difficult to seize and to hold. No doubt it was the same thin and narrow face that we saw, Robert and I. But we had arrived at it by two opposite ways, between which there was no communication, and we should never both see it from the same side. That face, with its stares, its smiles, the movements of its lips, I had known from outside as being simply that of a woman of the sort who for twenty francs would do anything that I asked. And so her stares, her smiles, the movements of her lips had seemed to me significant merely of the general actions of a class without any distinctive quality. And beneath them I should not have had the curiosity to look for a person. But what to me had in a sense been offered at the start, that consenting face, had been for Robert an ultimate goal towards which he had made his way through endless hopes and doubts, suspicions, dreams. He gave more than a million francs in order to have for himself, in order that there might not be offered to others what had been offered to me, as to all and sundry, for a score. That he too should not have enjoyed it at the lower price may have been due to the chance of a moment, the instant in which she who seemed ready to yield herself makes off, having perhaps an assignation elsewhere, some reason which makes her more difficult of access that day. Should the man be a sentimentalist, then, even if she has not observed it, but infinitely more if she has, the direst game begins. Unable to swallow his disappointment, to make himself forget about the woman, he starts afresh in pursuit, she flies him, until a mere smile for which he no longer ventured to hope is bought at a thousand times what should have been the price of the last, the most intimate favours. It happens even at times in such a case, when one has been led by a mixture of simplicity in one′s judgment and cowardice in the face of suffering to commit the crowning folly of making an inaccessible idol of a girl, that these last favours, or even the first kiss one is fated never to obtain, one no longer even ventures to ask for them for fear of destroying one′s chances of Platonic love. And it is then a bitter anguish to leave the world without having ever known what were the embraces of the woman one has most passionately loved. As for Rachel′s favours, however, Saint-Loup had by mere accident succeeded in winning them all. Certainly if he had now learned that they had been offered to all the world for a louis, he would have suffered, of course, acutely, but would still have given a million francs for the right to keep them, for nothing that he might have learned could have made him emerge — since that is beyond human control and can be brought to pass only in spite of it by the action of some great natural law — from the path he was treading, from which that face could appear to him only through the web of the dreams that he had already spun. The immobility of that thin face, like that of a sheet of paper subjected to the colossal pressure of two atmospheres, seemed to me to be being maintained by two infinities which abutted on her without meeting, for she held them apart. And indeed, when Robert and I were both looking at her we did not both see her from the same side of the mystery.
Ce n′était pas «Rachel quand du Seigneur» qui me semblait peu de chose, c′était la puissance de l′imagination humaine, l′illusion sur laquelle reposaient les douleurs de l′amour, que je trouvais grandes. Robert vit que j′avais l′air ému. Je détournai les yeux vers les poiriers et les cerisiers du jardin d′en face pour qu′il crût que c′était leur beauté qui me touchait. Et elle me touchait un peu de la même façon, elle mettait aussi près de moi de ces choses qu′on ne voit pas qu′avec ses yeux, mais qu′on sent dans son coeur. Ces arbustes que j′avais vus dans le jardin, en les prenant pour des dieux étrangers, ne m′étais-je pas trompé comme Madeleine quand, dans un autre jardin, un jour dont l′anniversaire allait bientôt venir, elle vit une forme humaine et «crut que c′était le jardinier»? Gardiens des souvenirs de l′âge d′or, garants de la promesse que la réalité n′est pas ce qu′on croit, que la splendeur de la poésie, que l′éclat merveilleux de l′innocence peuvent y resplendir et pourront être la récompense que nous nous efforcerons de mériter, les grandes créatures blanches merveilleusement penchées au-dessus de l′ombre propice à la sieste, à la pêche, à la lecture, n′était-ce pas plutôt des anges? J′échangeais quelques mots avec la maîtresse de Saint–Loup. Nous coupâmes par le village. Les maisons en étaient sordides. Mais à côté des plus misérables, de celles qui avaient un air d′avoir été brûlées par une pluie de salpêtre, un mystérieux voyageur, arrêté pour un jour dans la cité maudite, un ange resplendissant se tenait debout, étendant largement sur elle l′éblouissante protection de ses ailes d′innocence en fleurs: c′était un poirier. Saint–Loup fit quelques pas en avant avec moi:
It was not ‘Rachel when from the Lord′— who seemed to me a small matter — it was the power of the human imagination, the illusion on which were based the pains of love; these I felt to be vast. Robert noticed that I appeared moved. I turned my eyes to the pear and cherry trees of the garden opposite, so that he might think that it was their beauty that had touched me. And it did touch me in somewhat the same way; it also brought close to me things of the kind which we not only see with our eyes but feel also in our hearts. These trees that I had seen in the garden, likening them in my mind to strange deities, had not my mistake been like the Magdalene′s when, in another garden, she saw a human form and ‘thought it was the gardener.′ Treasurers of our memories of the age of gold, keepers of the promise that reality is not what we suppose, that the splendour of Poetry, the wonderful radiance of innocence may shine in it and may be the recompense which we strive to earn, these great white creatures, bowed in a marvellous fashion above the shade propitious for rest, for angling or for reading, were they not rather angels? I exchanged a few words with Saint-Loup′s mistress. We cut across the village. Its houses were sordid. But by each of the most wretched, of those that looked as though they had been scorched and branded by a rain of brimstone, a mysterious traveller, halting for a day in the accursed city, a resplendent angel stood erect, extending broadly over it the dazzling protection of the wings of flowering innocence: it was a pear tree. Saint-Loup drew me a little way in front to explain.
— J′aurais aimé que nous puissions, toi et moi, attendre ensemble, j′aurais même été plus content de déjeuner seul avec toi, et que nous restions seuls jusqu′au moment d′aller chez ma tante. Mais ma pauvre gosse, ça lui fait tant de plaisir, et elle est si gentille pour moi, tu sais, je n′ai pu lui refuser. Du reste, elle te plaira, c′est une littéraire, une vibrante, et puis c′est une chose si gentille de déjeuner avec elle au restaurant, elle est si agréable, si simple, toujours contente de tout.
“I should have liked it if you and I could have been alone together, in fact I would much rather have had luncheon just with you, and stayed with you until it was time to go to my aunt′s. But this poor girl of mine here, it is such a pleasure to her, and she is so decent to me, don′t you know, I hadn′t the heart to refuse her. You′ll like her, however, she′s literary, you know, a most sensitive nature, and besides it′s such a pleasure to be with her in a restaurant, she is so charming, so simple, always delighted with every, thing.”
Je crois pourtant que, précisément ce matin-là, et probablement pour la seule fois, Robert s′évada un instant hors de la femme que, tendresse après tendresse, il avait lentement composée, et aperçut tout d′un coup à quelque distance de lui une autre Rachel, un double d′elle, mais absolument différent et qui figurait une simple petite grue. Quittant le beau verger, nous allions prendre le train pour rentrer à Paris quand, à la gare, Rachel, marchant à quelques pas de nous, fut reconnue et interpellée par de vulgaires «poules» comme elle était et qui d′abord, la croyant seule, lui crièrent: «Tiens, Rachel, tu montes avec nous? Lucienne et Germaine sont dans le wagon et il y a justement encore de la place; viens, on ira ensemble au skating», et s′apprêtaient à lui présenter deux «calicots», leurs amants, qui les accompagnaient, quand, devant l′air légèrement gêné de Rachel, elles levèrent curieusement les yeux un peu plus loin, nous aperçurent et s′excusant lui dirent adieu en recevant d′elle un adieu aussi, un peu embarrassé mais amical. C′étaient deux pauvres petites poules, avec des collets en fausse loutre, ayant à peu près l′aspect qu′avait Rachel quand Saint–Loup l′avait rencontrée la première fois. Il ne les connaissait pas, ni leur nom, et voyant qu′elles avaient l′air très liées avec son amie, eut l′idée que celle-ci avait peut-être eu sa place, l′avait peut-être encore, dans une vie insoupçonnée de lui, fort différente de celle qu′il menait avec elle, une vie où on avait les femmes pour un louis tandis qu′il donnait plus de cent mille francs par an à Rachel. Il ne fit pas qu′entrevoir cette vie, mais aussi au milieu une Rachel tout autre que celle qu′il connaissait, une Rachel pareille à ces deux petites poules, une Rachel à vingt francs. En somme Rachel s′était un instant dédoublée pour lui, il avait aperçu à quelque distance de sa Rachel la Rachel petite poule, la Rachel réelle, à supposer que la Rachel poule fût plus réelle que l′autre. Robert eut peut-être l′idée alors que cet enfer où il vivait, avec la perspective et la nécessité d′un mariage riche, d′une vente de son nom, pour pouvoir continuer à donner cent mille francs par an à Rachel, il aurait peut-être pu s′en arracher aisément, et avoir les faveurs de sa maîtresse, comme ces calicots celles de leurs grues, pour peu de chose. Mais comment faire? Elle n′avait démérité en rien. Moins comblée, elle serait moins gentille, ne lui dirait plus, ne lui écrirait plus de ces choses qui le touchaient tant et qu′il citait avec un peu d′ostentation à ses camarades, en prenant soin de faire remarquer combien c′était gentil d′elle, mais en omettant qu′il l′entretenait fastueusement, même qu′il lui donnât quoi que ce fût, que ces dédicaces sur une photographie ou cette formule pour terminer une dépêche, c′était la transmutation sous sa forme la plus réduite et la plus précieuse de cent mille francs. S′il se gardait de dire que ces rares gentillesses de Rachel étaient payées par lui, il serait faux — et pourtant ce raisonnement simpliste, on en use absurdement pour tous les amants qui casquent, pour tant de maris — de dire que c′était par amour-propre, par vanité. Saint–Loup était assez intelligent pour se rendre compte que tous les plaisirs de la vanité, il les aurait trouvés aisément et gratuitement dans le monde, grâce à son grand nom, à son joli visage, et que sa liaison avec Rachel, au contraire, était ce qui l′avait mis un peu hors du monde, faisait qu′il y était moins coté. Non, cet amour-propre à vouloir paraître avoir gratuitement les marques apparentes de prédilection de celle qu′on aime, c′est simplement un dérivé de l′amour, le besoin de se représenter à soi-même et aux autres comme aimé par ce qu′on aime tant. Rachel se rapprocha de nous, laissant les deux poules monter dans leur compartiment; mais, non moins que la fausse loutre de celles-ci et l′air guindé des calicots, les noms de Lucienne et de Germaine maintinrent un instant la Rachel nouvelle. Un instant il imagina une vie de la place Pigalle, avec des amis inconnus, des bonnes fortunes sordides, des après-midi de plaisirs na, promenade ou partie de plaisir, dans ce Paris où l′ensoleillement des rues depuis le boulevard de Clichy ne lui sembla pas le même que la clarté solaire où il se promenait avec sa maîtresse, mais devoir être autre, car l′amour, et la souffrance qui fait un avec lui, ont, comme l′ivresse, le pouvoir de différencier pour nous les choses. Ce fut presque comme un Paris inconnu au milieu de Paris même qu′il soupçonna, sa liaison lui apparut comme l′exploration d′une vie étrange, car si avec lui Rachel était un peu semblable à lui-même, pourtant c′était bien une partie de sa vie réelle que Rachel vivait avec lui, même la partie la plus précieuse à cause des sommes folles qu′il lui donnait, la partie qui la faisait tellement envier des amies et lui permettrait un jour de se retirer à la campagne ou de se lancer dans les grands théâtres, après avoir fait sa pelote. Robert aurait voulu demander à son amie qui étaient Lucienne et Germaine, les choses qu′elles lui eussent dites si elle était montée dans leur compartiment, à quoi elles eussent ensemble, elle et ses camarades, passé une journée qui eût peut-être fini comme divertissement suprême, après les plaisirs du skating, à la taverne de l′Olympia, si lui, Robert, et moi n′avions pas été présents. Un instant les abords de l′Olympia, qui jusque-là lui avaient paru assommants, excitèrent sa curiosité, sa souffrance, et le soleil de ce jour printanier donnant dans la rue Caumartin où, peut-être, si elle n′avait pas connu Robert, Rachel fût allée tantôt et eût gagné un louis, lui donnèrent une vague nostalgie. Mais à quoi bon poser à Rachel des questions, quand il savait d′avance que la réponse serait ou un simple silence ou un mensonge ou quelque chose de très pénible pour lui sans pourtant lui décrire rien? Les employés fermaient les portières, nous montâmes vite dans une voiture de première, les perles admirables de Rachel rapprirent à Robert qu′elle était une femme d′un grand prix, il la caressa, la fit rentrer dans son propre coeur où il la contempla, intériorisée, comme il avait toujours fait jusqu′ici — sauf pendant ce bref instant où il l′avait vue sur une place Pigalle de peintre impressionniste — et le train partit.
I fancy nevertheless that, on this same morning, and then probably for the first and last time, Robert did detach himself for a moment from the woman whom out of successive layers of affection he had gradually created, and beheld suddenly at some distance from himself another Rachel, outwardly the double of his but entirely different, who was nothing more or less than a little light of love. We had left the blossoming orchard and were making for the train which was to take us to Paris when, at the station, Rachel, who was walking by herself, was recognised and accosted by a pair of common little ‘tarts′ like herself, who first of all, thinking that she was alone, called out: “Hello, Rachel, you come with us; Lucienne and Germaine are in the train, and there′s room for one more. Come on. We′re all going to the rink,” and were just going to introduce to her two counter-jumpers, their lovers, who were escorting them, when, noticing that she seemed a little uneasy, they looked up and beyond her, caught sight of us, and with apologies bade her a good-bye to which she responded in a somewhat embarrassed, but still friendly tone. They were two poor little ‘tarts′ with collars of sham otter skin, looking more or less as Rachel must have looked when Saint-Loup first met her. He did not know them, or their names even, and seeing that they appeared to be extremely intimate with his mistress he could not help wondering whether she too might not once have had, had not still perhaps her place in a life of which he had never dreamed, utterly different from the life she led with him, a life in which one had women for a louis apiece, whereas he was giving more than a hundred thousand francs a year to Rachel, He caught only a fleeting glimpse of that life, but saw also in the thick of it a Rachel other than her whom he knew, a Rachel like the two little ‘tarts′ in the train, a twenty-franc Rachel. In short, Rachel had for the moment duplicated herself in his eyes, he had seen, at some distance from his own Rachel, the little ‘tart′ Rachel, the real Rachel, assuming that Rachel the ‘tart′ was more real than the other. It may then have occurred to Robert that from the hell in which he was living, with the prospect of a rich marriage, of the sale of his name, to enable him to go on giving Rachel a hundred thousand francs every year, he might easily perhaps have escaped, and have enjoyed the favours of his mistress, as the two counter-jumpers enjoyed those of their girls, for next to nothing. But how was it to be done? She had done nothing to forfeit his regard. Less generously rewarded she would be less kind to him, would stop saying and writing the things that so deeply moved him> things which he would quote, with a touch of ostentation, to his friends, taking care to point out how nice it was of her to say them, but omitting to mention that he was maintaining her in the most lavish fashion, or even that he ever gave her anything at all, that these inscriptions on photographs, or greetings at the end of telegrams were but the conversion into the most exiguous, the most precious of currencies of a hundred thousand francs. If he took care not to admit that these rare kindnesses on Rachel′s part were handsomely paid for by himself, it would be wrong to say — and yet, by a crude piece of reasoning, we do say it, absurdly, of every lover who pays in cash for his pleasure, and of a great many husbands — that this was from self-esteem or vanity. Saint-Loup had enough sense to perceive that all the pleasures which appeal to vanity he could have found easily and without cost to himself in society, on the strength of his historic name and handsome face, and that his connexion with Rachel had rather, if anything, tended to ostracise him, led to his being less sought after. No; this self-esteem which seeks to appear to be receiving gratuitously the outward signs of the affection of her whom one loves is simply a consequence of love, the need to figure in one′s own eyes and in other people′s as loved in return by the person whom one loves so well. Rachel rejoined us, leaving the two ‘tarts′ to get into their compartment; but, no less than their sham otter skins and the self-conscious appearance of their young men, the names Lucienne and Germaine kept the new Rachel alive for a moment longer. For a moment Robert imagined a Place Pigalle existence with unknown associates, sordid love affairs, afternoons spent in simple amusements, excursions or pleasure-parties, in that Paris in which the sunny brightness of the streets from the Boulevard de Clichy onwards did not seem the same as the solar radiance in which he himself strolled with his mistress, but must be something different, for love, and suffering which is one with love, have, like intoxication, the power to alter for us inanimate things. It was almost an unknown Paris in the heart of Paris itself that he suspected, his connexion appeared to him like the exploration of a strange form of life, for if when with him Rachel was somewhat similar to himself, it was nevertheless a part of her real life that she lived with him, indeed the most precious part, in view of his reckless expenditure on her, the part that made her so greatly envied by her friends and would enable her one day to retire to the country or to establish herself in the leading theatres, when she had made her pile. Robert longed to ask her who Lucienne and Germaine were, what they would have said to her if she had joined them in their compartment, how they would all have spent a day which would have perhaps ended, as a supreme diversion, after the pleasures of the rink, at the Olympia Tavern, if Robert and I had not been there. For a moment the purlieus of the Olympia, which until then had seemed to him merely deadly dull, aroused curiosity in him and pain, and the sunshine of this spring day beating upon the Rue Caumartin where, possibly, if she had not known Robert, Rachel might have gone in the course of the evening and nave earned a louis, filled him with a vague longing. But what use was it to ply Rachel with questions when he already knew that her answer would be merely silence, or a lie, or something extremely painful for him to hear, which would yet explain nothing. The porters were shutting the doors; we jumped into a first-class carriage; Rachel′s magnificent pearls reminded Robert that she was a woman of great price, he caressed her, restored her to her place in his heart where he could contemplate her, internalised, as he had always done hitherto — save during this brief instant in which he had seen her in the Place Pigalle of an impressionist painter — and the train began to move.
C′était du reste vrai qu′elle était une «littéraire». Elle ne s′interrompit de me parler livres, art nouveau, tolstoî²e, que pour faire des reproches à Saint–Loup qu′il bût trop de vin.
It was, by the way, quite true that she was ‘literary.′ She never stopped talking to me about books, new art and Tolstoyism except to rebuke Saint-Loup for drinking so much wine:
— Ah! si tu pouvais vivre un an avec moi on verrait, je te ferais boire de l′eau et tu serais bien mieux.
“Ah! If you could live with me for a year, we′d see a fine change. I should keep you on water and you′d be ever so much better.”
— C′est entendu, partons.
“Right you are. Let′s begin now.”
— Mais tu sais bien que j′ai beaucoup à travailler (car elle prenait au sérieux l′art dramatique). D′ailleurs que dirait ta famille?
“But you know quite well I have to work all day!” For she took her art very seriously. “Besides, what would your people say?”
Et elle se mit à me faire sur sa famille des reproches qui me semblèrent du reste fort justes, et auxquels Saint–Loup, tout en désobéissant à Rachel sur l′article du Champagne, adhéra entièrement. Moi qui craignais tant le vin pour Saint–Loup et sentais la bonne influence de sa maîtresse, j′étais tout prêt à lui conseiller d′envoyer promener sa famille. Les larmes montèrent aux yeux de la jeune femme parce que j′eus l′imprudence de parler de Dreyfus.
And she began to abuse his family to me in terms which for that matter seemed to me highly reasonable, and with which Saint-Loup, while disobeying her orders in the matter of champagne, entirely concurred. I, who was so much afraid of the effect of wine on him, and felt the good influence of his mistress, was quite prepared to advise him to let his family go hang. Tears sprang to the young woman′s eyes; I had been rash enough to refer to Dreyfus.
— Le pauvre martyr, dit-elle en retenant un sanglot, ils le feront mourir là-bas.
“The poor martyr!” she almost sobbed; “it will be the death of him in that dreadful place.”
— Tranquillise-toi, Zézette, il reviendra, il sera acquitté, l′erreur sera reconnue.
“Don′t upset yourself, Zézette, he will come back, he will be acquitted all right, they will admit they′ve made a mistake.”
— Mais avant cela il sera mort! Enfin au moins ses enfants porteront un nom sans tache. Mais penser à ce qu′il doit souffrir, c′est ce qui me tue! Et croyez-vous que la mère de Robert, une femme pieuse, dit qu′il faut qu′il reste à l′île du Diable, même s′il est innocent? n′est-ce pas une horreur?
“But long before then he′ll be dead! Oh, well at any rate his children will bear a stainless name. But just think of the agony he must be going through; that′s what makes my heart bleed. And would you believe that Robert′s mother, a pious woman, says that he ought to be left on the Devil′s Isle, even if he is innocent; isn′t it appalling?”
— Oui, c′est absolument vrai, elle le dit, affirma Robert. C′est ma mère, je n′ai rien à objecter, mais il est bien certain qu′elle n′a pas la sensibilité de Zézette.
“Yes, it′s absolutely true, she does say that,” Robert assured me. “She′s my mother, I′ve no fault to find with her, but it′s quite clear she hasn′t got a sensitive nature, like Zézette.”
En réalité, ces déjeuners «choses si gentilles» se passaient toujours fort mal. Car dès que Saint–Loup se trouvait avec sa maîtresse dans un endroit public, il s′imaginait qu′elle regardait tous les hommes présents, il devenait sombre, elle s′apercevait de sa mauvaise humeur qu′elle s′amusait peut-être à attiser, mais que, plus probablement, par amour-propre bête, elle ne voulait pas, blessée par son ton, avoir l′air de chercher à désarmer; elle faisait semblant de ne pas détacher ses yeux de tel ou tel homme, et d′ailleurs ce n′était pas toujours par pur jeu. En effet, que le monsieur qui au théâtre ou au café se trouvait leur voisin, que tout simplement le cocher du fiacre qu′ils avaient pris, eût quelque chose d′agréable, Robert, aussitôt averti par sa jalousie, l′avait remarqué avant sa maîtresse; il voyait immédiatement en lui un de ces êtres immondes dont il m′avait parlé à Balbec, qui pervertissent et déshonorent les femmes pour s′amuser, il suppliait sa maîtresse de détourner de lui ses regards et par là-même le lui désignait. Or, quelquefois elle trouvait que Robert avait eu si bon goût dans ses soupçons, qu′elle finissait même par cesser de le taquiner pour qu′il se tranquillisât et consentît à aller faire une course pour qu′il lui laissât le temps d′entrer en conversation avec l′inconnu, souvent de prendre rendez-vous, quelquefois même d′expédier une passade. Je vis bien dès notre entrée au restaurant que Robert avait l′air soucieux. C′est que Robert avait immédiatement remarqué, ce qui nous avait échappé à Balbec, que, au milieu de ses camarades vulgaires, Aimé, avec un éclat modeste, dégageait, bien involontairement, le romanesque qui émane pendant un certain nombre d′années de cheveux légers et d′un nez grec, grâce à quoi il se distinguait au milieu de la foule des autres serviteurs. Ceux-ci, presque tous assez âgés, offraient des types extraordinairement laids et accusés de curés hypocrites, de confesseurs papelards, plus souvent d′anciens acteurs comiques dont on ne retrouve plus guère le front en pain de sucre que dans les collections de portraits exposés dans le foyer humblement historique de petits théâtres désuets où ils sont représentés jouant des rôles de valets de chambre ou de grands pontifes, et dont ce restaurant semblait, grâce à un recrutement sélectionné et peut-être à un mode de nomination héréditaire, conserver le type solennel en une sorte de collège augural. Malheureusement, Aimé nous ayant reconnus, ce fut lui qui vint prendre notre commande, tandis que s′écoulait vers d′autres tables le cortège des grands prêtres d′opérette. Aimé s′informa de la santé de ma grand′mère, je lui demandai des nouvelles de sa femme et de ses enfants. Il me les donna avec émotion, car il était homme de famille. Il avait un air intelligent, énergique, mais respectueux. La maîtresse de Robert se mit à le regarder avec une étrange attention. Mais les yeux enfoncés d′Aimé, auxquels une légère myopie donnait une sorte de profondeur dissimulée, ne trahirent aucune impression au milieu de sa figure immobile. Dans l′hôtel de province où il avait servi bien des années avant de venir à Balbec, le joli dessin, un peu jauni et fatigué maintenant, qu′était sa figure, et que pendant tant d′années, comme telle gravure représentant le prince Eugène, on avait vu toujours à la même place, au fond de la salle à manger presque toujours vide, n′avait pas dû attirer de regards bien curieux. Il était donc resté longtemps, sans doute faute de connaisseurs, ignorant de la valeur artistique de son visage, et d′ailleurs peu disposé à la faire remarquer, car il était d′un tempérament froid. Tout au plus quelque Parisienne de passage, s′étant arrêtée une fois dans la ville, avait levé les yeux sur lui, lui avait peut-être demandé de venir la servir dans sa chambre avant de reprendre le train, et dans le vide translucide, monotone et profond de cette existence de bon mari et de domestique de province, avait enfoui le secret d′un caprice sans lendemain que personne n′y viendrait jamais découvrir. Pourtant Aimé dut s′apercevoir de l′insistance avec laquelle les yeux de la jeune artiste restaient attachés sur lui. En tout cas elle n′échappa pas à Robert sur le visage duquel je voyais s′amasser une rougeur non pas vive comme celle qui l′empourprait s′il avait une brusque émotion, mais faible, émiettée.
As a matter of fact these luncheons which were said to be ‘such a pleasure′ always ended in trouble. For as soon as Saint-Loup found himself in a public place with his mistress, he would imagine that she was looking at every other man in the room, and his brow would darken; she would remark his ill-humour, which she may have thought it amusing to encourage, or, as was more probable, by a foolish piece of conceit preferred, feeling wounded by his tone, not to appear to be seeking to disarm; and would make a show of being unable to take her eyes off some man or other, not that this was always a mere pretence. In fact, the gentleman who, in theatre or café, happened to sit next to them, or, to go no farther, the driver of the cab they had engaged need only have something attractive about him, no matter what, and Robert, his perception quickened by jealousy, would have noticed it before his mistress; he would see in him immediately one of those foul creatures whom he had denounced to me at Balbec, who corrupted and dishonoured women for their own amusement, would beg his mistress to take her eyes off the man, thereby drawing her attention to him. And sometimes she found that Robert had shewn such good judgment in his suspicion that after a little she even left off teasing him in order that he might calm down and consent to go off by himself on some errand which would give her time to begin conversation with the stranger, often to make an assignation, sometimes even to bring matters quickly to a head. I could see as soon as we entered the restaurant that Robert was looking troubled. The fact of the matter was that he had at once remarked, what had escaped our notice at Balbec, namely that, standing among his coarser colleagues, Aimé, with a modest brilliance, emitted, quite unconsciously of course, that air of romance which emanates until a certain period in life from fine hair and a Grecian nose, features thanks to which he was distinguishable among the crowd of waiters. The others, almost all of them well on in years, presented a series of types, extraordinarily ugly and criminal, of hypocritical priests, sanctimonious confessors, more numerously of comic actors of the old school, whose sugar-loaf foreheads are scarcely to be seen nowadays outside the collections of portraits that hang in the humbly historic green-rooms of little, out of date theatres, where they are represented in the parts of servants or high priests, though this restaurant seemed, thanks to a selective method of recruiting and perhaps to some system of hereditary nomination, to have preserved their solemn type in a sort of College of Augurs. As ill luck would have it, Aimé having recognised us, it was he who came to take our order, while the procession of operatic high priests swept past us to other tables. Aimé inquired after my grandmother′s health; I asked for news of his wife and children. He gave it with emotion, being a family man. He had an intelligent, vigorous, but respectful air. Robert′s mistress began to gaze at him with a strange attentiveness. But Aimé‘s sunken eyes, in which a slight short-sightedness gave one the impression of veiled depths, shewed no sign of consciousness in his still face. In the provincial hotel in which he had served for many years before coming to Balbec, the charming sketch, now a trifle discoloured and faded, which was his face, and which, for all those years, like some engraved portrait of Prince Eugène, had been visible always at the same place, at the far end of a dining-room that was almost always empty, could not have attracted any very curious gaze. He had thus for long remained, doubtless for want of sympathetic admirers, in ignorance of the artistic value of his face, and but little inclined for that matter to draw attention to it, for he was temperamentally cold. At the most, some passing Parisian, stopping for some reason in the town, had raised her eyes to his, had asked him perhaps to bring something to her in her room before she left for the station, and in the pellucid, Monotonous, deep void of this existence of a faithful husband and servant in a country town had hidden the secret of a caprice without sequel which no one would ever bring to light. And yet Aimé must have been conscious of the insistent emphasis with which the eyes of the young actress were fastened upon him now. Anyhow, it did not escape Robert beneath whose skin I saw gathering a flush, not vivid like that which burned his cheeks when he felt any sudden emotion, but faint, diffused.
— Ce maître d′hôtel est très intéressant, Zézette? demanda-t-il à sa maîtresse après avoir renvoyé Aimé assez brusquement. On dirait que tu veux faire une étude d′après lui.
“Anything specially interesting about that waiter, Zézette?” he inquired, after sharply dismissing Aimé. “One would think you were studying the part.”
— Voilà que ça commence, j′en étais sûre!
“There you are, beginning again; I knew it was coming.”
— Mais qu′est-ce qui commence, mon petit? Si j′ai eu tort, je n′ai rien dit, je veux bien. Mais j′ai tout de même le droit de te mettre en garde contre ce larbin que je connais de Balbec (sans cela je m′en ficherais pas mal), et qui est une des plus grandes fripouilles que la terre ait jamais portées.
“Beginning what again, my dear girl? I may have been mistaken; I haven′t said anything, I′m sure. But I have at least the right to warn you against the fellow, seeing that I knew him at Balbec (otherwise I shouldn′t give a damn), and a bigger scoundrel doesn′t walk the face of the earth.”
Elle parut vouloir obéir à Robert et engagea avec moi une conversation littéraire à laquelle il se mêla. Je ne m′ennuyais pas en causant avec elle, car elle connaissait très bien les oeuvres que j′admirais et était à peu près d′accord avec moi dans ses jugements; mais comme j′avais entendu dire par Mme de Villeparisis qu′elle n′avait pas de talent, je n′attachais pas grande importance à cette culture. Elle plaisantait finement de mille choses, et eût été vraiment agréable si elle n′eût pas affecté d′une façon agaçante le jargon des cénacles et des ateliers. Elle l′étendait d′ailleurs à tout, et, par exemple, ayant pris l′habitude de dire d′un tableau s′il était impressionniste ou d′un opéra s′il était wagnérien: «Ah! c′est bien[/i.>», un jour qu′un jeune homme l′avait embrassée sur l′oreille et que, touché qu′elle simulât un frisson, il faisait le modeste, elle dit: «Si, comme sensation, je trouve que c′est bien[/i.>.» Mais surtout ce qui m′étonnait, c′est que les expressions propres à Robert (et qui d′ailleurs étaient peut-être venues à celui-ci de littérateurs connus par elle), elle les employait devant lui, lui devant elle, comme si c′eût été un langage nécessaire et sans se rendre compte du néant d′une originalité qui est à tous.
She seemed anxious to pacify Robert and began to engage me in a literary conversation in which he joined. I found that it did not bore me to talk to her, for she had a thorough knowledge of the books that I most admired, and her opinion of them agreed more or less with my own; but as I had heard Mme. de Villeparisis declare that she had no talent, I attached but little importance to this evidence of culture. She discoursed wittily on all manner of topics, and would have been genuinely entertaining had she not affected to an irritating extent the jargon of the sets and studios. She applied this, moreover, to everything under the sun; for instance, having acquired the habit of saying of a picture, if it were impressionist, or an opera, if Wagnerian, “Ah! That is good!” one day when a young man had kissed her on the ear, and, touched by her pretence of being thrilled, had affected modesty, she said: “Yes, as a sensation I call it distinctly good.” But what more surprised me was that the expressions peculiar to Robert (which, moreover, had come to him, perhaps, from literary men whom she knew) were used by her to him and by him to her as though they had been a necessary form of speech, and without any conception of the pointlessness of an originality that is universal.
Elle était, en mangeant, maladroite de ses mains à un degré qui laissait supposer qu′en jouant la comédie sur la scène elle devait se montrer bien gauche. Elle ne retrouvait de la dextérité que dans l′amour, par cette touchante prescience des femmes qui aiment tant le corps de l′homme qu′elles devinent du premier coup ce qui fera le plus de plaisir à ce corps pourtant si différent du leur.
In eating, she managed her hands so clumsily that one assumed that she must appear extremely awkward upon the stage. She recovered her dexterity only when making love, with that touching prescience latent in women who love the male body so intensely that they immediately guess what will give most pleasure to that body, which is yet so different from their own.
Je cessai de prendre part à la conversation quand on parla théâtre, car sur ce chapitre Rachel était trop malveillante. Elle prit, il est vrai, sur un ton de commisération — contre Saint–Loup, ce qui prouvait qu′elle l′attaquait souvent devant lui — la défense de la Berma, en disant: «Oh! non, c′est une femme remarquable. Évidemment ce qu′elle fait ne nous touche plus, cela ne correspond plus tout à fait à ce que nous cherchons, mais il faut la placer au moment où elle est venue, on lui doit beaucoup. Elle a fait des choses bien, tu sais. Et puis c′est une si brave femme, elle a un si grand coeur, elle n′aime pas naturellement les choses qui nous intéressent, mais elle a eu, avec un visage assez émouvant, une jolie qualité d′intelligence.» (Les doigts n′accompagnent pas de même tous les jugements esthétiques. S′il s′agit de peinture, pour montrer que c′est un beau morceau, en pleine pâte, on se contente de faire saillir le pouce. Mais la «jolie qualité d′esprit» est plus exigeante. Il lui faut deux doigts, ou plutôt deux ongles, comme s′il s′agissait de faire sauter une poussière.) Mais — cette exception faite — la maîtresse de Saint–Loup parlait des artistes les plus connus sur un ton d′ironie et de supériorité qui m′irritait, parce que je croyais — faisant erreur en cela —— que c′était elle qui leur était inférieure. Elle s′aperçut très bien que je devais la tenir pour une artiste médiocre et avoir au contraire beaucoup de considération pour ceux qu′elle méprisait. Mais elle ne s′en froissa pas, parce qu′il y a dans le grand talent non reconnu encore, comme était le sien, si sûr qu′il puisse être de lui-même, une certaine humilité, et que nous proportionnons les égards que nous exigeons, non à nos dons cachés, mais à notre situation acquise. (Je devais, une heure plus tard, voir au théâtre la maîtresse de Saint–Loup montrer beaucoup de déférence envers les mêmes artistes sur lesquels elle portait un jugement si sévère.) Aussi, si peu de doute qu′eût dû lui laisser mon silence, n′en insista-t-elle pas moins pour que nous dînions le soir ensemble, assurant que jamais la conversation de personne ne lui avait autant plu que la mienne. Si nous n′étions pas encore au théâtre, où nous devions aller après le déjeuner, nous avions l′air de nous trouver dans un «foyer» qu′illustraient des portraits anciens de la troupe, tant les maîtres d′hôtel avaient de ces figures qui semblent perdues avec toute une génération d′artistes hors ligne du Palais–Royal; ils avaient l′air d′académiciens aussi: arrêté devant un buffet, l′un examinait des poires avec la figure et la curiosité désintéressée qu′eût pu avoir M. de Jussieu. D′autres, à côté de lui, jetaient sur la salle les regards empreints de curiosité et de froideur que des membres de l′Institut déjà arrivés jettent sur le public tout en échangeant quelques mots qu′on n′entend pas. C′étaient des figures célèbres parmi les habitués. Cependant on s′en montrait un nouveau, au nez raviné, à la lèvre papelarde, qui avait l′air d′église et entrait en fonctions pour la première fois, et chacun regardait avec intérêt le nouvel élu. Mais bientôt, peut-être pour faire partir Robert afin de se trouver seule avec Aimé, Rachel se mit à faire de l′oeil à un jeune boursier qui déjeunait à une table voisine avec un ami.
I ceased to take part in the conversation when it turned upon the theatre, for on that topic Rachel was too malicious for my liking. She did, it was true, take up in a tone of commiseration — against Saint-Loup, which proved that he was accustomed to hearing Rachel attack her — the defence of Berma, saying: “Oh, no, she′s a wonderful person, really. Of course, the things she does no longer appeal to us, they don′t correspond quite to what we are looking for, but one must think of her at the period to which she belongs; we owe her a great deal. She has done good work, you know. And besides she′s such a fine woman, she has such a good heart; naturally she doesn′t care about the things that interest us, but she has had in her time, with a rather impressive face, a charming quality of mind.” (Our ringers, by the way, do not play the same accompaniment to all our aesthetic judgments. If it is a picture that is under discussion, to shew that it is a fine work with plenty of paint, it is enough to stick out one′s thumb. But the ‘charming quality of mind′ is more exacting. It requires two fingers, or rather two fingernails, as though one were trying to flick off a particle of dust.) But, with this single exception, Saint-Loup′s mistress referred to the best-known actresses in a tone of ironical superiority which annoyed me because I believed — quite mistakenly, as it happened — that it was she who was inferior to them. She was clearly aware that I must regard her as an indifferent actress, and on the other hand have a great regard for those she despised. But she shewed no resentment, because there is in all great talent while it is still, as hers was then, unrecognised, however sure it may be of itself, a vein of humility, and because we make the consideration that we expect from others proportionate not to our latent powers but to the position to which we have attained. (I was, an hour or so later, at the theatre, to see Saint-Loup′s mistress shew great deference towards those very artists against whom she was now bringing so harsh a judgment to bear.) And so, in however little doubt my silence may have left her, she insisted nevertheless on our dining together that evening, assuring me that never had anyone′s conversation delighted her so much as mine. If we were not yet in the theatre, to which we were to go after luncheon, we had the sense of being in a green-room hung with portraits of old members of the company, so markedly were the waiters′ faces those which, one thought, had perished with a whole generation of obscure actors of the Palais-Royal; they had a look, also, of Academicians; stopping before a side table one of them was examining a dish of pears with the expression of detached curiosity that M. de Jussieu might have worn. Others, on either side of him, were casting about the room that gaze instinct with curiosity and coldness which Members of the Institute, who have arrived early, throw at the public, while they exchange a few murmured words which one fails to catch. They were faces well known to all the regular guests. One of them, however, was being pointed out, a newcomer with distended nostrils and a smug upper lip, who looked like a cleric; he was entering upon his duties there for the first time, and everyone gazed with interest at this newly elected candidate. But presently, perhaps to drive Robert away so that she might be alone with Aimé, Rachel began to make eyes at a young student, who was feeding with another man at a neighbouring table.
— Zézette, je te prierai de ne pas regarder ce jeune homme comme cela, dit Saint–Loup sur le visage de qui les hésitantes rougeurs de tout à l′heure s′étaient concentrées en une nuée sanglante qui dilatait et fonçait les traits distendus de mon ami; si tu dois nous donner en spectacle, j′aime mieux déjeuner de mon côté et aller t′attendre au théâtre.
“Zézette, let me beg you not to look at that young man like that,” said Saint-Loup, on whose face the hesitating flush of a moment ago had been gathered now into a scarlet tide which dilated and darkened his swollen features, “if you must make a scene here, I shall simply finish eating by myself and join you at the theatre afterwards.”
A ce moment on vint dire à Aimé qu′un monsieur le priait de venir lui parler à la portière de sa voiture. Saint–Loup, toujours inquiet et craignant qu′il ne s′agît d′une commission amoureuse à transmettre à sa maîtresse, regarda par la vitre et aperçut au fond de son coupé, les mains serrées dans des gants blancs rayés de noir, une fleur à la boutonnière, M. de Charlus.
At this point a messenger came up to tell Aimé that he was wanted to speak to a gentleman in a carriage outside. Saint-Loup, ever uneasy, and afraid now that it might be some message of an amorous nature that was to be conveyed to his mistress, looked out of the window and saw there, sitting up in his brougham, his hands tightly buttoned in white gloves with black seams, a flower in his buttonhole, M. de Charlus.
— Tu vois, me dit-il à voix basse, ma famille me fait traquer jusqu′ici. Je t′en prie, moi je ne peux pas, mais puisque tu connais bien le maître d′hôtel, qui va sûrement nous vendre, demande-lui de ne pas aller à la voiture. Au moins que ce soit un garçon qui ne me connaisse pas. Si on dit à mon oncle qu′on ne me connaît pas, je sais comment il est, il ne viendra pas voir dans le café, il déteste ces endroits-là. N′est-ce pas tout de même dégoûtant qu′un vieux coureur de femmes comme lui, qui n′a pas dételé, me donne perpétuellement des leçons et vienne m′espionner!
“There; you see!” he said to me in a low voice, “my family hunt me down even here. Will you, please — I can′t very well do it myself, but you can, as you know the head waiter so well and he′s certain to give us away — ask him not to go to the carriage. He can ahvays send some other waiter who doesn′t know me. I know my uncle; if they tell him that I′m not known here, he′ll never come inside to look for me, he loathes this sort of place. Really, it′s pretty disgusting that an old petticoat-chaser like him, who is still at it, too, should be perpetually lecturing me and coming to spy on me!”
Aimé, ayant reçu mes instructions, envoya un de ses commis qui devait dire qu′il ne pouvait pas se déranger et que, si on demandait le marquis de Saint–Loup, on dise qu′on ne le connaissait pas. La voiture repartit bientôt. Mais la maîtresse de Saint–Loup, qui n′avait pas entendu nos propos chuchotés à voix basse et avait cru qu′il s′agissait du jeune homme à qui Robert lui reprochait de faire de l′oeil, éclata en injures.
Aimé on receiving my instructions sent one of his underlings to explain that he was busy and could not come out at the moment, and (should the gentleman ask for the Marquis de Saint-Loup) that they did not know any such person. But Saint-Loup′s mistress, who had failed to catch our whispered conversation and thought that it was still about the young man at whom Robert had been finding fault with her for making eyes, broke out in a torrent of rage.
— Allons bon! c′est ce jeune homme maintenant? tu fais bien de me prévenir; oh! c′est délicieux de déjeuner dans ces conditions! Ne vous occupez pas de ce qu′il dit, il est un peu piqué et surtout, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, il dit cela parce qu′il croit que ça fait élégant, que ça fait grand seigneur d′avoir l′air jaloux.
“Oh, indeed! So it′s the young man over there, now, is it? Thank you for telling me; it′s a real pleasure to have this sort of thing with one′s meals! Don′t listen to him, please; he′s rather cross to-day, and, you know,” she went on, turning to me, “he just says it because he thinks it smart, that it′s the gentlemanly thing to appear jealous always.”
Et elle se mit à donner avec ses pieds et avec ses mains des signes d′énervement.
And she began with feet and fingers to shew signs of nervous irritation.
— Mais, Zézette, c′est pour moi que c′est désagréable. Tu nous rends ridicules aux yeux de ce monsieur, qui va être persuadé que tu lui fais des avances et qui m′a l′air tout ce qu′il y a de pis.
“But, Zézette, it is I who find it unpleasant. You are making us all ridiculous before that gentleman, who will begin to imagine you′re making overtures to him, and an impossible bounder he looks, too.”
— Moi, au contraire, il me plaît beaucoup; d′abord il a des yeux ravissants, et qui ont une manière de regarder les femmes! on sent qu′il doit les aimer.
“Oh, no, I think he′s charming; for one thing, he′s got the most adorable eyes, and a way of looking at women — you can feel he must love them.”
— Tais-toi au moins jusqu′à ce que je sois parti, si tu es folle, s′écria Robert. Garçon, mes affaires.
“You can at least keep quiet until I′ve left the room, if you have lost your senses,” cried Robert. “Waiter, my things.”
Je ne savais si je devais le suivre.
I did not know whether I was expected to follow him.
— Non, j′ai besoin d′être seul, me dit-il sur le même ton dont il venait de parler à sa maîtresse et comme s′il était tout fâché contre moi. Sa colère était comme une même phrase musicale sur laquelle dans un opéra se chantent plusieurs répliques, entièrement différentes entre elles, dans le livret, de sens et de caractère, mais qu′elle réunit par un même sentiment. Quand Robert fut parti, sa maîtresse appela Aimé et lui demanda différents renseignements. Elle voulait ensuite savoir comment je le trouvais.
“No, I want to be alone,” he told me in the same tone in which he had just been addressing his mistress, and as if he were quite furious with me. His anger was like a single musical phrase to which in an opera several lines are sung which are entirely different from one another, if one studies the words, in meaning and character, but which the music assimilates by a common sentiment. When Robert had gone, his mistress called Aimé and asked him various questions. She then wanted to know what I thought of him.
— Il a un regard amusant, n′est-ce pas? Vous comprenez, ce qui m′amuserait ce serait de savoir ce qu′il peut penser, d′être souvent servie par lui, de l′emmener en voyage. Mais pas plus que ça. Si on était obligé d′aimer tous les gens qui vous plaisent, ce serait au fond assez terrible. Robert a tort de se faire des idées. Tout ça, ça se forme dans ma tête, Robert devrait être bien tranquille. (Elle regardait toujours Aimé.) Tenez, regardez les yeux noirs qu′il a, je voudrais savoir ce qu′il y a dessous.
“An amusing expression, hasn′t he? Do you know what I should like; it would be to know what he really thinks about things, to have him wait on me often, to take him travelling. But that would be all. If we were expected to love all the people who attract us, life would be pretty ghastly, wouldn′t it? It′s silly of Robert to get ideas like that. All that sort of thing, it′s only just what comes into my head, that′s all; Robert has nothing to worry about.” She was still gazing at Aimé. “Do look, what dark eyes he has. I should love to know what there is behind them.”
Bientôt on vint lui dire que Robert la faisait demander dans un cabinet particulier où, en passant par une autre entrée, il était allé finir de déjeuner sans retraverser le restaurant. Je restai ainsi seul, puis à mon tour Robert me fit appeler. Je trouvai sa maîtresse étendue sur un sofa, riant sous les baisers, les caresses qu′il lui prodiguait. Ils buvaient du Champagne. «Bonjour, vous!» lui dit-elle, car elle avait appris récemment cette formule qui lui paraissait le dernier mot de la tendresse et de l′esprit. J′avais mal déjeuné, j′étais mal à l′aise, et sans que les paroles de Legrandin y fussent pour quelque chose, je regrettais de penser que je commençais dans un cabinet de restaurant et finirais dans des coulisses de théâtre cette première après-midi de printemps. Après avoir regardé l′heure pour voir si elle ne se mettrait pas en retard, elle m′offrit du Champagne, me tendit une de ses cigarettes d′Orient et détacha pour moi une rose de son corsage. Je me dis alors: «Je n′ai pas trop à regretter ma journée; ces heures passées auprès de cette jeune femme ne sont pas perdues pour moi puisque par elle j′ai, chose gracieuse et qu′on ne peut payer trop cher, une rose, une cigarette parfumée, une coupe de Champagne.» Je me le disais parce qu′il me semblait que c′était douter d′un caractère esthétique, et par là justifier, sauver ces heures d′ennui. Peut-être aurais-je dû penser que le besoin même que j′éprouvais d′une raison qui me consolât de mon ennui suffisait à prouver que je ne ressentais rien d′esthétique. Quant à Robert et à sa maîtresse, ils avaient l′air de ne garder aucun souvenir de la querelle qu′ils avaient eue quelques instants auparavant, ni que j′y eusse assisté. Ils n′y firent aucune allusion, ils ne lui cherchèrent aucune excuse pas plus qu′au contraste que faisaient avec elle leurs façons de maintenant. A force de boire du Champagne avec eux, je commençai à éprouver un peu de l′ivresse que je ressentais à Rivebelle, probablement pas tout à fait la même. Non seulement chaque genre d′ivresse, de celle que donne le soleil ou le voyage à celle que donne la fatigue ou le vin, mais chaque degré d′ivresse, et qui devrait porter une «cote» différente comme celles qui indiquent les fonds dans la mer, met à nu en nous, exactement à la profondeur où il se trouve, un homme spécial. Le cabinet où se trouvait Saint–Loup était petit, mais la glace unique qui le décorait était de telle sorte qu′elle semblait en réfléchir une trentaine d′autres, le long, d′une perspective infinie; et l′ampoule électrique placée au sommet du cadre devait le soir, quand elle était allumée, suivie de la procession d′une trentaine de reflets pareils à elle-même, donner au buveur même solitaire l′idée que l′espace autour de lui se multipliait en même temps que ses sensations exaltées par l′ivresse et qu′enfermé seul dans ce petit réduit, il régnait pourtant sur quelque chose de bien plus étendu, en sa courbe indéfinie et lumineuse, qu′une allée du «Jardin de Paris». Or, étant alors à ce moment-là ce buveur, tout d′un coup, le cherchant dans la glace, je l′aperçus, hideux, inconnu, qui me regardait. La joie de l′ivresse était plus forte que le dégoût; par gaîté ou bravade, je lui souris et en même temps il me souriait. Et je me sentais tellement sous l′empire éphémère et puissant de la minute où les sensations sont si fortes que je ne sais si ma seule tristesse ne fut pas de penser que, le moi affreux que je venais d′apercevoir, c′était peut-être son dernier jour et que je ne rencontrerais plus jamais cet étranger dans le cours de ma vie.
Presently came a message that Robert was waiting for her in a private room, to which he had gone to finish his luncheon, by another door, without having to pass through the restaurant again. I thus found myself alone, until I too was summoned by Robert. I found his mistress stretched out on a sofa laughing under the kisses and caresses that he was showering on her. They were drinking champagne. “Hallo, you!” she cried to him, having recently picked up this formula which seemed to her the last word in playfulness and wit. I had fed badly, I was extremely uncomfortable, and albeit Legrandin′s words had had no effect on me I was sorry to think that I was beginning in a back room of a restaurant and should be finishing in the wings of a theatre this first afternoon of spring. Looking first at the time to see that she was not making herself late, she offered me a glass of champagne, handed me one of her Turkish cigarettes and unpinned a rose for me from her bodice. Whereupon I said to myself: “I have nothing much to regret, after all; these hours spent in this young woman′s company are not wasted, since I have had from her, charming gifts which could not be bought too dear, a rose, a scented cigarette and a glass of champagne.” I told myself this because I felt that it endowed with an aesthetic character and thereby justified, saved these hours of boredom. I ought perhaps to have reflected that the very need which I felt of a reason that would console me for my boredom was sufficient to prove that I was experiencing no aesthetic sensation. As for Robert and his mistress, they appeared to have no recollection of the quarrel which had been raging between them a few minutes earlier, or of my having been a witness to it. They made no allusion to it, sought no excuse for it any more than for the contrast with it which their present conduct formed. By dint of drinking champagne with them, I began to feel a little of the intoxication that used to come over me at Rivebelle, though probably not quite the same. Not only every kind of intoxication, from that which the sun or travelling gives us to that which we get from exhaustion or wine, but every degree of intoxication — and each must have a different figure, like the numbers of fathoms on a chart — lays bare in us exactly at the depth to which it reaches a different kind of man. The room which Saint-Loup had taken was small, but the mirror which was its sole ornament was of such a kind that it seemed to reflect thirty others in an endless vista; and the electric bulb placed at the top of the frame must at night, when the light was on, followed by the procession of thirty flashes similar to its own, give to the drinker, even when alone, the idea that the surrounding space was multiplying itself simultaneously with his sensations heightened by intoxication, and that, shut up by himself in this little cell, he was reigning nevertheless over something far more extensive in its indefinite luminous curve than a passage in the Jardin de Paris. Being then myself at this moment the said drinker, suddenly, looking for him in the glass, I caught sight of him, hideous, a stranger, who was staring at me. The joy of intoxication was stronger than my disgust; from gaiety or bravado I smiled at him, and simultaneously ne smiled back at me. And I felt myself so much under the ephemeral and Potent sway of the minute in which our sensations are so strong, that I am not sure whether my sole regret was not at the thought that this hideous self of whom I had just caught sight in the glass was perhaps there for the last time on earth, and that I should never meet the stranger again in the whole course of my life.
Robert était seulement fâché que je ne voulusse pas briller davantage aux yeux de sa maîtresse.
Robert was annoyed only because I was not being more brilliant before his mistress.
— Voyons, ce monsieur que tu as rencontré ce matin et qui mêle le snobisme et l′astronomie, raconte-le-lui, je ne me rappelle pas bien — et il la regardait du coin de l′oeil.
“What about that fellow you met this morning, who combines snobbery with astronomy; tell her about him, I′ve forgotten the story,” and he watched her furtively.
— Mais, mon petit, il n′y a rien à dire d′autre que ce que tu viens de dire.
“But, my dear boy, there′s nothing more than what you′ve just said.”
— Tu es assommant. Alors raconte les choses de Françoise aux Champs-Élysées, cela lui plaira tant!
“What a bore you are. Then tell her about Françoise in the Champs-Elysées. She′ll enjoy that.”
— Oh oui! Bobbey m′a tant parlé de Françoise. Et en prenant Saint–Loup par le menton, elle redit, par manque d′invention, en attirant ce menton vers la lumière: «Bonjour, vous!»
“Oh, do! Bobby is always talking about Françoise.” And taking Saint-Loup by the chin, she repeated, for want of anything more original, drawing the said chin nearer to the light: “Hallo, you!”
Depuis que les acteurs n′étaient plus exclusivement, pour moi, les dépositaires, en leur diction et leur jeu, d′une vérité artistique, ils m′intéressaient en eux-mêmes; je m′amusais, croyant avoir devant moi les personnages d′un vieux roman comique, de voir du visage nouveau d′un jeune seigneur qui venait d′entrer dans la salle, l′ingénue écouter distraitement la déclaration que lui faisait le jeune premier dans la pièce, tandis que celui-ci, dans le feu roulant de sa tirade amoureuse, n′en dirigeait pas moins une oeillade enflammée vers une vieille dame assise dans une loge voisine, et dont les magnifiques perles l′avaient frappé; et ainsi, surtout grâce aux renseignements que Saint–Loup me donnait sur la vie privée des artistes, je voyais une autre pièce, muette et expressive, se jouer sous la pièce parlée, laquelle d′ailleurs, quoique médiocre, m′intéressait; car j′y sentais germer et s′épanouir pour une heure, à la lumière de la rampe, faites de l′agglutinement sur le visage d′un acteur d′un autre visage de fard et de carton, sur son âme personnelle des paroles d′un rôle.
Since actors had ceased to be for me exclusively the depositaries, in their diction and playing, of an artistic truth, they had begun to interest me in themselves; I amused myself, pretending that what I saw before me were the characters in some old humorous novel, by watching, struck by the fresh face of the young man who had just come into the stalls, the heroine listen distractedly to the declaration of love which the juvenile lead in the piece was addressing to her, while he, through the fiery torrent of his impassioned speech, still kept a burning gaze fixed on an old lady seated in a stage box, whose magnificent pearls had caught his eye; and thus, thanks especially to the information that Saint-Loup gave me as to the private lives of the players, I saw another drama, mute but expressive, enacted beneath the words of the spoken drama which in itself, although of no merit, interested me also; for I could feel in it that there were budding and opening for an hour in the glare of the footlights, created out of the agglutination on the face of an actor of another face of grease paint and pasteboard, on his own human soul the words of a part.
Ces individualités éphémères et vivaces que sont les personnages d′une pièce séduisante aussi, qu′on aime, qu′on admire, qu′on plaint, qu′on voudrait retrouver encore, une fois qu′on a quitté le théâtre, mais qui déjà se sont désagrégées en un comédien qui n′a plus la condition qu′il avait dans la pièce, en un texte qui ne montre plus le visage du comédien, en une poudre colorée qu′efface le mouchoir, qui sont retournées en un mot à des éléments qui n′ont plus rien d′elles, à cause de leur dissolution, consommée sitôt après la fin du spectacle, font, comme celle d′un être aimé, douter de la réalité du moi et méditer sur le mystère de la mort.
These ephemeral vivid personalities which the characters are in a play that is entertaining also, whom one loves, admires, pities, whom one would like to see again after one has left the theatre, but who by that time are already disintegrated into a comedian who is no longer in the position which he occupied in the play, a text which no longer shews one the comedian′s face, a coloured powder which a handkerchief wipes off, who have returned in short to elements that contain nothing of them, since their dissolution, effected so soon after the end of the show, make us — like the dissolution of a dear friend — begin to doubt the reality of our ego and meditate on the mystery of death.
Un numéro du programme me fut extrêmement pénible. Une jeune femme que détestaient Rachel et plusieurs de ses amies devait y faire dans des chansons anciennes un début sur lequel elle avait fondé toutes ses espérances d′avenir et celles des siens. Cette jeune femme avait une croupe trop proéminente, presque ridicule, et une voix jolie mais trop menue, encore affaiblie par l′émotion et qui contrastait avec cette puissante musculature. Rachel avait aposté dans la salle un certain nombre d′amis et d′amies dont le rôle était de décontenancer par leurs sarcasmes la débutante, qu′on savait timide, de lui faire perdre la tête de façon qu′elle fît un fiasco complet après lequel le directeur ne conclurait pas d′engagement. Dès les premières notes de la malheureuse, quelques spectateurs, recrutés pour cela, se mirent à se montrer son dos en riant, quelques femmes qui étaient du complot rirent tout haut, chaque note flûtée augmentait l′hilarité voulue qui tournait au scandale. La malheureuse, qui suait de douleur sous son fard, essaya un instant de lutter, puis jeta autour d′elle sur l′assistance des regards désolés, indignés, qui ne firent que redoubler les huées. L′instinct d′imitation, le désir de se montrer spirituelles et braves, mirent de la partie de jolies actrices qui n′avaient pas été prévenues, mais qui lançaient aux autres des oeillades de complicité méchante, se tordaient de rire, avec de violents éclats, si bien qu′à la fin de la seconde chanson et bien que le programme en comportât encore cinq, le régisseur fit baisser le rideau. Je m′efforçai de ne pas plus penser à cet incident qu′à la souffrance de ma grand′mère quand mon grand-oncle, pour la taquiner, faisait prendre du cognac à mon grand-père, l′idée de la méchanceté ayant pour moi quelque chose de trop douloureux. Et pourtant, de même que la pitié pour le malheur n′est peut-être pas très exacte, car par l′imagination nous recréons toute une douleur sur laquelle le malheureux obligé de lutter contre elle ne songe pas à s′attendrir, de même la méchanceté n′a probablement pas dans l′âme du méchant cette pure et voluptueuse cruauté qui nous fait si mal à imaginer. La haine l′inspire, la colère lui donne une ardeur, une activité qui n′ont rien de très joyeux; il faudrait le sadisme pour en extraire du plaisir, le méchant croit que c′est un méchant qu′il fait souffrir. Rachel s′imaginait certainement que l′actrice qu′elle faisait souffrir était loin d′être intéressante, en tout cas qu′en la faisant huer, elle-même vengeait le bon goût en se moquant du grotesque et donnait une leçon à une mauvaise camarade. Néanmoins, je préférai ne pas parler de cet incident puisque je n′avais eu ni le courage ni la puissance de l′empêcher; il m′eût été trop pénible, en disant du bien de la victime, de faire ressembler aux satisfactions de la cruauté les sentiments qui animaient les bourreaux de cette débutante.
One number in the programme I found extremely trying. A young woman whom Rachel and some of her friends disliked was, with a set of old songs, to make a first appearance on which she had based all her hopes for the future of herself and her family. This young woman was blessed with unduly, almost grotesquely prominent hips and a pretty but too slight voice, weakened still farther by her excitement and in marked contrast to her muscular development. Rachel had posted among the audience a certain number of friends, male and female, whose business it was by their sarcastic comments to put the novice, who was known to be timid, out of countenance, to make her lose her head so that her turn should prove a complete failure, after which the manager would refuse to give her a contract. At the first notes uttered by the wretched woman, several of the male audience, recruited for that purpose, began pointing to her backward profile with jocular comments, several of the women, also in the plot, laughed out loud, each flute-like note from the stage increased the deliberate hilarity, which grew to a public scandal. The unhappy woman, sweating with anguish through her grease-paint, tried for a little longer to hold out then stopped and looked round the audience with an appealing gaze of misery and anger which succeeded only in increasing the uproar. The instinct to imitate others, the desire to shew their own wit and daring added to the party several pretty actresses who had not been forewarned but now threw at the others glances charged with malicious connivance, and sat convulsed with laughter which rang out in such violent peals that at the end of the second song, although there were still five more on the programme, the stage manager rang down the curtain. I tried to make myself pay no more heed to the incident than I had paid to my grandmother′s sufferings when my great-aunt, to tease her, used to give my grandfather brandy, the idea of deliberate wickedness being too painful for me to bear. And yet, just as our pity for misfortune is perhaps not very exact since in our imagination we recreate a whole world of grief by which the unfortunate who has to struggle against it has no time to think of being moved to self-pity, so wickedness has probably not in the mind of the wicked man that pure and voluptuous cruelty which it so pains us to imagine. Hatred inspires him, anger gives him an ardour, an activity in which there is no great joy; he must be a sadist to extract any pleasure from it; ordinarily, the wicked man supposes himself to be punishing the wickedness of his victim; Rachel imagined certainly that the actress whom she was making suffer was far from being of interest to any one, and that anyhow, in having her hissed off the stage, she was herself avenging an outrage on good taste and teaching an unworthy comrade a lesson. Nevertheless, I preferred not to speak of this incident since I had had neither the courage nor the power to prevent it, and it would have been too painful for me, by saying any good of their victim, to approximate to a gratification of the lust for cruelty the sentiments which animated the tormentors who had strangled this career in its infancy.
Mais le commencement de cette représentation m′intéressa encore d′une autre manière. Il me fit comprendre en partie la nature de l′illusion dont Saint–Loup était victime à l′égard de Rachel et qui avait mis un abîme entre les images que nous avions de sa maîtresse, lui et moi, quand nous la voyions ce matin même sous les poiriers en fleurs. Rachel jouait un rôle presque de simple figurante, dans la petite pièce. Mais vue ainsi, c′était une autre femme. Rachel avait un de ces visages que l′éloignement — et pas nécessairement celui de la salle à la scène, le monde n′étant pour cela qu′un plus grand théâtre — dessine et qui, vus de près, retombent en poussière. Placé à côté d′elle, on ne voyait qu′une nébuleuse, une voie lactée de taches de rousseur, de tout petits boutons, rien d′autre. A une distance convenable, tout cela cessait d′être visible et, des joues effacées, résorbées, se levait, comme un croissant de lune, un nez si fin, si pur, qu′on aurait souhaité être l′objet de l′attention de Rachel, la revoir autant qu′on voudrait, la posséder auprès de soi, si jamais on ne l′avait vue autrement et de près. Ce n′était pas mon cas, mais c′était celui de Saint–Loup quand il l′avait vue jouer la première fois. Alors, il s′était demandé comment l′approcher, comment la connaître, en lui s′était ouvert tout un domaine merveilleux — celui où elle vivait — d′où émanaient des radiations délicieuses, mais où il ne pourrait pénétrer. Il sortit du théâtre se disant qu′il serait fou de lui écrire, qu′elle ne lui répondrait pas, tout prêt à donner sa fortune et son nom pour la créature qui vivait en lui dans un monde tellement supérieur à ces réalités trop connues, un monde embelli par le désir et le rêve, quand du théâtre, vieille petite construction qui avait elle-même l′air d′un décor, il vit, à la sortie des artistes, par une porte déboucher la troupe gaie et gentiment chapeautée des artistes qui avaient joué. Des jeunes gens qui les connaissaient étaient là à les attendre. Le nombre des pions humains étant moins nombreux que celui des combinaisons qu′ils peuvent former, dans une salle où font défaut toutes les personnes qu′on pouvait connaître, il s′en trouve une qu′on ne croyait jamais avoir l′occasion de revoir et qui vient si à point que le hasard semble providentiel, auquel pourtant quelque autre hasard se fût sans doute substitué si nous avions été non dans ce lieu mais dans un différent où seraient nés d′autres désirs et où se serait rencontrée quelque autre vieille connaissance pour les seconder. Les portes d′or du monde des rêves s′étaient refermées sur Rachel avant que Saint–Loup l′eût vue sortir, de sorte que les taches de rousseur et les boutons eurent peu d′importance. Ils lui déplurent cependant, d′autant que, n′étant plus seul, il n′avait plus le même pouvoir de rêver qu′au théâtre devant elle. Mais, bien qu′il ne pût plus l′apercevoir, elle continuait à régir ses actes comme ces astres qui nous gouvernent par leur attraction, même pendant les heures où ils ne sont pas visibles à nos yeux. Aussi, le désir de la comédienne aux fins traits qui n′étaient même pas présents au souvenir de Robert, fit que, sautant sur l′ancien camarade qui par hasard était là, il se fit présenter à la personne sans traits et aux taches de rousseur, puisque c′était la même, et en se disant que plus tard on aviserait de savoir laquelle des deux cette même personne était en réalité. Elle était pressée, elle n′adressa même pas cette fois-là la parole à Saint–Loup, et ce ne fut qu′après plusieurs jours qu′il put enfin, obtenant qu′elle quittât ses camarades, revenir avec elle. Il l′aimait déjà. Le besoin de rêve, le désir d′être heureux par celle à qui on a rêvé, font que beaucoup de temps n′est pas nécessaire pour qu′on confie toutes ses chances de bonheur à celle qui quelques jours auparavant n′était qu′une apparition fortuite, inconnue, indifférente, sur les planchers de la scène.
But the opening scene of this afternoon′s performance interested me in quite another way. It made me realise in part the nature of the illusion of which Saint-Loup was a victim with regard to Rachel, and which had set a gulf between the images that he and I respectively had in mind of his mistress, when we beheld her that morning among the blossoming pear trees. Rachel was playing a part which involved barely more than her walking on in the little play. But seen thus, she was another woman. She had one of those faces to which distance — and not necessarily that between stalls and stage, the world being in this respect only a larger theatre — gives form and outline and which, seen close at hand, dissolve back into dust. Standing beside her one saw only a nebula, a milky way of freckles, of tiny spots, nothing more. At a proper distance, all this ceased to be visible and, from cheeks that withdrew, were reabsorbed into her face, rose like a crescent moon a nose so fine, so pure that one would have liked to be object of Rachel′s attention, to see her again as often as one chose, to her close to one, provided that one had not already seen her differently and at close range. This was not my case but it had been Saint-Loup′s when he first saw her on the stage. Then he had asked himself how he might approach her, how come to know her, there had opened in him a whole fairy realm — that in which she lived — from which emanated an exquisite radiance but into which he might not penetrate. He had left the theatre telling himself that it would be madness to write to her, that she would not answer his letter, quite prepared to give his fortune and his name for the creature who was living in him in a world so vastly superior to those too familiar realities, a world made beautiful by desire and dreams of happiness, when at the back of the theatre, a little old building which had itself the air of being a piece of scenery, from the stage door he saw debouch the gay and daintily hatted band of actresses who had just been playing. Young men who knew them were waiting for them outside. The number of pawns on the human chessboard being less than the number of combinations that they are capable of forming, in a theatre from which are absent all the people we know and might have expected to find, there turns up one whom we never imagined that we should see again and who appears so opportunely that the coincidence seems to us providential, although no doubt some other coincidence would have occurred in its stead had we been not in that place but in some other, where other desires would have been aroused and we should have met some other old acquaintance to help us to satisfy them. The golden portals of the world of dreams had closed again upon Rachel before Saint-Loup saw her emerge from the theatre, so that the freckles and spots were of little importance. They vexed him nevertheless, especially as, being no longer alone, he had not now the same opportunity to dream as in the theatre. But she, for all that he could no longer see her, continued to dictate his actions, like those stars which govern us by their attraction even during the hours in which they are not visible to our eyes. And so his desire for the actress with the fine features which had no place now even in Robert′s memory had the result that, dashing towards the old friend whom chance had brought to the spot, he insisted upon an introduction to the person with no features and with freckles, since she was the same person, telling himself that later on he would take care to find out which of the two this same person really was. She was in a hurry, she did not on this occasion say a single word to Saint-Loup, and it was only some days later that he finally contrived, by inducing her to leave her companions, to escort her home. He loved her already. The need for dreams, the desire to be made happy by her of whom one has dreamed, bring it about that not much time is required before one entrusts all one′s chances of happiness to her who a few days since was but a fortuitous apparition, unknown, unmeaning, upon the boards of the theatre.
Quand, le rideau tombé, nous passâmes sur le plateau, intimidé de m′y promener, je voulus parler avec vivacité à Saint–Loup; de cette façon mon attitude, comme je ne savais pas laquelle on devait prendre dans ces lieux nouveaux pour moi, serait entièrement accaparée par notre conversation et on penserait que j′y étais si absorbé, si distrait, qu′on trouverait naturel que je n′eusse pas les expressions de physionomie que j′aurais dû avoir dans un endroit où, tout à ce que je disais, je savais à peine que je me trouvais; et saisissant, pour aller plus vite, le premier sujet de conversation:
When, the curtain having fallen, we moved on to the stage, alarmed at finding myself there for the first time, I felt the need to begin a spirited conversation with Saint-Loup. In this way my attitude, as I did not know what one ought to adopt in a setting that was strange to me, would be entirely dominated by our talk, and people would think that I was so absorbed in it, so unobservant of my surroundings, that it was quite natural that I should not shew the facial expressions proper to a place in which, to judge by what I appeared to be saying, I was barely conscious of standing; and seizing, to make a beginning, upon the first topic that came to my mind:
— Tu sais, dis-je à Robert, que j′ai été pour te dire adieu le jour de mon départ, nous n′avons jamais eu l′occasion d′en causer. Je t′ai salué dans la rue.
“You know,” I said, “I did come to say good-bye to you the day I left Doncières; I′ve not had an opportunity to mention it. I waved to you in the street.”
— Ne m′en parle pas, me répondit-il, j′en ai été désolé; nous nous sommes rencontrés tout près du quartier, mais je n′ai pas pu m′arrêter parce que j′étais déjà très en retard. Je t′assure que j′étais navré.
“Don′t speak about it,” he replied, “I was so sorry. I passed you just outside the barracks, but I couldn′t stop because I was late already. I assure you, I felt quite wretched about it.”
Ainsi il m′avait reconnu! Je revoyais encore le salut entièrement impersonnel qu′il m′avait adressé en levant la main à son képi, sans un regard dénonçant qu′il me connût, sans un geste qui manifestât qu′il regrettait de ne pouvoir s′arrêter. Évidemment cette fiction qu′il avait adoptée à ce moment-là, de ne pas me reconnaître, avait dû lui simplifier beaucoup les choses. Mais j′étais stupéfait qu′il eût su s′y arrêter si rapidement et avant qu′un réflexe eût décelé sa première impression. J′avais déjà remarqué à Balbec que, à côté de cette sincérité naîµ¥ de son visage dont la peau laissait voir par transparence le brusque afflux de certaines émotions, son corps avait été admirablement dressé par l′éducation à un certain nombre de dissimulations de bienséance et, comme un parfait comédien, il pouvait dans sa vie de régiment, dans sa vie mondaine, jouer l′un après l′autre des rôles différents. Dans l′un de ses rôles il m′aimait profondément, il agissait à mon égard presque comme s′il était mon frère; mon frère, il l′avait été, il l′était redevenu, mais pendant un instant il avait été un autre personnage qui ne me connaissait pas et qui, tenant les rênes, le monocle à l′oeil, sans un regard ni un sourire, avait levé la main à la visière de son képi pour me rendre correctement le salut militaire!
So he had recognised me! I saw again in my mind the wholly impersonal salute which he had given me, raising his hand to his cap, without a glance to indicate that he knew me, without a gesture to shew that he was sorry he could not stop. Evidently this fiction, which he had adopted at that moment, of not knowing me must have simplified matters for him greatly. But I was amazed to find that he had been able to compose himself to it so swiftly and without any instinctive movement to betray his original impression. I had already observed at Balbec that, side by side with that childlike sincerity of his face, the skin of which by its transparence rendered visible the sudden tide of certain emotions, his body had been admirably trained to perform a certain number of well-bred dissimulations, and that, like a consummate actor, he could, in his regimental and in his social life, play alternately quite different parts. In one of his parts he loved me tenderly, he acted towards me almost as if he had been my brother; my brother he had been, he was now again, but for a moment that day he had been another person who did not know me and who, holding the reins, his glass screwed to his eye, without a look or a smile had lifted his disengaged hand to the peak of his cap to give me correctly the military salute.
Les décors encore plantés entre lesquels je passais, vus ainsi de près et dépouillés de tout ce que leur ajoutent l′éloignement et l′éclairage que le grand peintre qui les avait brossés avait calculés, étaient misérables, et Rachel, quand je m′approchai d′elle, ne subit pas un moindre pouvoir de destruction. Les ailes de son nez charmant étaient restées dans la perspective, entre la salle et la scène, tout comme le relief des décors. Ce n′était plus elle, je ne la reconnaissais que grâce à ses yeux où son identité s′était réfugiée. La forme, l′éclat de ce jeune astre si brillant tout à l′heure avaient disparu. En revanche, comme si nous nous approchions de la lune et qu′elle cessât de nous paraître de rose et d′or, sur ce visage si uni tout à l′heure je ne distinguais plus que des protubérances, des taches, des fondrières. Malgré l′incohérence où se résolvaient de près, non seulement le visage féminin mais les toiles peintes, j′étais heureux d′être là, de cheminer parmi les décors, tout ce cadre qu′autrefois mon amour de la nature m′eût fait trouver ennuyeux et factice, mais auquel sa peinture par Goethe dans Wilhelm Meister avait donné pour moi une certaine beauté; et j′étais déjà charmé d′apercevoir, au milieu de journalistes ou de gens du monde amis des actrices, qui saluaient, causaient, fumaient comme à la ville, un jeune homme en toque de velours noir, en jupe hortensia, les joues crayonnées de rouge comme une page d′album de Watteau, lequel, la bouche souriante, les yeux au ciel, esquissant de gracieux signes avec les paumes de ses mains, bondissant légèrement, semblait tellement d′une autre espèce que les gens raisonnables en veston et en redingote au milieu desquels il poursuivait comme un fou son rêve extasié, si étranger aux préoccupations de leur vie, si antérieur aux habitudes de leur civilisation, si affranchi des lois de la nature, que c′était quelque chose d′aussi reposant et d′aussi frais que de voir un papillon égaré dans une foule, de suivre des yeux, entres les frises, les arabesques naturelles qu′y traçaient ses ébats ailés, capricieux et fardés. Mais au même instant Saint–Loup s′imagina que sa maîtresse faisait attention à ce danseur en train de repasser une dernière fois une figure du divertissement dans lequel il allait paraître, et sa figure se rembrunit.
The stage scenery, still in its place, among which I was passing, seen thus at close range and without the advantage of any of those effects of lighting and distance on which the eminent artist whose brush had painted it had calculated, was a depressing sight, and Rachel, when I came near her, was subjected to a no less destructive force. The curves of her charming nose had stood out in perspective, between stalls and stage, like the relief of the scenery. It was no longer herself, I recognised her only thanks to her eyes, in which her identity had taken refuge. The form, the radiance of this young star, so brilliant a moment ago, had vanished. On the other hand — as though we came close to the moon and it ceased to present the appearance of a disk of rosy gold — on this face, so smooth a surface until now, I could distinguish only protuberances, discolourations, cavities. Despite the incoherence into which were resolved at close range not only the feminine features but the painted canvas, I was glad to be there to wander among the scenery, all that setting which at one time my love of nature had prompted me to dismiss as tedious and artificial until the description of it by Goethe in Wilhelm Meister had given it a sort of beauty in my eyes; and I had already observed with delight, in the thick of a crowd of journalists or men of friends of the actresses, who were greeting one another, talking, smoking, as though in a public thoroughfare, a young man in a black velvet cap and hortensia-coloured skirt, his cheeks chalked in red like a page from a Watteau album, who with his smiling lips, his eyes raised to the ceiling, as he sprang lightly into the air, seemed so entirely of another species than the rational folk in everyday clothes, in the midst of whom he was pursuing like a madman the course of his ecstatic dream, so alien to the preoccupations of their life, so anterior to the habits of their civilisation, so enfranchised from all the laws of nature, that it was as restful and as fresh a spectacle as watching a butterfly straying along a crowded street to follow with one′s eyes, between the strips of canvas, the natural arabesques traced by his winged capricious painted oscillations. But at that moment Saint-Loup conceived the idea that his mistress was paying undue attention to this dancer, who was engaged now in practising for the last time the figure of fun with which he was going to take the stage, and his face darkened.
— Tu pourrais regarder d′un autre côté, lui dit-il d′un air sombre. Tu sais que ces danseurs ne valent pas la corde sur laquelle ils feraient bien de monter pour se casser les reins, et ce sont des gens à aller après se vanter que tu as fait attention à eux. Du reste tu entends bien qu′on te dit d′aller dans ta loge t′habiller. Tu vas encore être en retard.
“You might look the other way,” he warned her gloomily. “You know that none of those dancer-fellows is worth the rope they can at least fall off and break their necks, and they′re the sort of people who go about afterwards boasting that you′ve taken notice of them. Besides, you know very well you′ve been told to go to your dressing-room and change. You′ll be missing your call again.”
Trois messieurs — trois journalistes — voyant l′air furieux de Saint–Loup, se rapprochèrent, amusés, pour entendre ce qu′on disait. Et comme on plantait un décor de l′autre côté nous fûmes resserrés contre eux.
A group of men — journalists — noticing the look of fury on Saint-Loup′s face, came nearer, amused, to listen to what we were saying. And as the stage-hands had just set up some scenery on our other side we were forced into close contact with them.
— Oh! mais je le reconnais, c′est mon ami, s′écria la maîtresse de Saint–Loup en regardant le danseur. Voilà qui est bien fait, regardez-moi ces petites mains qui dansent comme tout le reste de sa personne!
“Oh, but I know him; he′s a friend of mine,” cried Saint-Loup′s mistress, her eyes still fixed on the dancer. “Look how well made he is, do watch those little hands of his dancing away by themselves like his whole body!”
Le danseur tourna la tête vers elle, et sa personne humaine apparaissant sous le sylphe qu′il s′exerçait à être, la gelée droite et grise de ses yeux trembla et brilla entre ses cils raidis et peints, et un sourire prolongea des deux côtés sa bouche dans sa face pastellisée de rouge; puis, pour amuser la jeune femme, comme une chanteuse qui nous fredonne par complaisance l′air où nous lui avons dit que nous l′admirions, il se mit à refaire le mouvement de ses paumes, en se contrefaisant lui-même avec une finesse de pasticheur et une bonne humeur d′enfant.
The dancer turned his head towards her, and his human person appeared beneath the sylph that he was endeavouring to be, the clear grey jelly of his eyes trembled and sparkled between eyelids stiff with paint, and a smile extended the corners of his mouth into cheeks plastered with rouge; then, to amuse the girl, like a singer who hums to oblige us the air of the song in which we have told her that we admired her singing, he began to repeat the movement of his hands, counterfeiting himself with the fineness of a parodist and the good humour of a child.
— Oh! c′est trop gentil, ce coup de s′imiter soi-même, s′écria-t-elle en battant des mains.
“Oh, that′s too lovely, the way he copies himself,” she cried, clapping her hands.
— Je t′en supplie, mon petit, lui dit Saint–Loup d′une voix désolée, ne te donne pas en spectacle comme cela, tu me tues, je te jure que si tu dis un mot de plus, je ne t′accompagne pas à ta loge, et je m′en vais; voyons, ne fais pas la méchante. — Ne reste pas comme cela dans la fumée de cigare, cela va te faire mal, me dit Saint–Loup avec cette sollicitude qu′il avait pour moi depuis Balbec.
“I implore you, my dearest girl,” Saint-Loup broke in, in a tone of utter misery, “do not make a scene here, I can′t stand it; I swear, if you say another word I won′t go with you to your room, I shall walk straight out; come, don′t be so naughty. . . . You oughtn′t to stand about in the cigar smoke like that, it′ll make you ill,” he went on, to me, with the solicitude he had shewn for me in our Balbec days.
— Oh! quel bonheur si tu t′en vas.
“Oh! What a good thing it would be if you did go.”
— Je te préviens que je ne reviendrai plus.
“I warn you, if I do I shan′t come back.”
— Je n′ose pas l′espérer.
“That′s more than I should venture to hope.”
—Écoute, tu sais, je t′ai promis le collier si tu étais gentille, mais du moment que tu me traites comme cela. . . .
“Listen; you know, I promised you the necklace if you behaved nicely to me, but the moment you treat me like this. . . . ”
— Ah! voilà une chose qui ne m′étonne pas de toi. Tu m′avais fait une promesse, j′aurais bien dû penser que tu ne la tiendrais pas. Tu veux faire sonner que tu as de l′argent, mais je ne suis pas intéressée comme toi. Je m′en fous de ton collier. J′ai quelqu′un qui me le donnera.
“Ah! Well, that doesn′t surprise me in the least. You gave me your promise; I ought to have known you′d never keep it. You want the whole world to know you′re made of money, but I′m not a money-grubber like you. You can keep your blasted necklace; I know some one else who′ll give it to me.”
— Personne d′autre ne pourra te le donner, car je l′ai retenu chez Boucheron et j′ai sa parole qu′il ne le vendra qu′à moi.
“No one else can possibly give it to you; I′ve told Boucheron he′s to keep it for me, and I have his promise not to let anyone else have it.”
— C′est bien cela, tu as voulu me faire chanter, tu as pris toutes tes précautions d′avance. C′est bien ce qu′on dit: Marsantes, Mater Semita, ça sent la race, répondit Rachel répétant une étymologie qui reposait sur un grossier contresens car Semita signifie «sente» et non «Sémite», mais que les nationalistes appliquaient à Saint–Loup à cause des opinions dreyfusardes qu′il devait pourtant à l′actrice. (Elle était moins bien venue que personne à traiter de Juive Mme de Marsantes à qui les ethnographes de la société ne pouvaient arriver à trouver de juif que sa parenté avec les Lévy-Mirepoix.) Mais tout n′est pas fini, sois-en sûr. Une parole donnée dans ces conditions n′a aucune valeur. Tu as agi par traîtrise avec moi. Boucheron le saura et on lui en donnera le double, de son collier. Tu auras bientôt de mes nouvelles, sois tranquille.
“There you are, trying to blackmail me, you′ve arranged everything, I see. That′s what they mean by Marsantes, Mater Semita, it smells of the race,” retorted Rachel quoting an etymology which was founded on a wild misinterpretation, for Semita means ‘path′ and not ‘Semite,′ but one which the Nationalists applied to Saint-Loup on account of the Dreyfusard views for which, so far as that went, he was indebted to the actress. She was less entitled than anyone to apply the word ‘Jew′ to Mme. de Marsantes, in whom the ethnologists of society could succeed in finding no trace of Judaism apart from her connexion with the Lévy-Mirepoix family. “But this isn′t the last of it, I can tell you. An agreement like that isn′t binding. You have acted treacherously towards me. Boucheron shall be told of it and he′ll be paid twice as much for his necklace. You′ll hear from me before long; don′t you worry.”
Robert avait cent fois raison. Mais les circonstances sont toujours si embrouillées que celui qui a cent fois raison peut avoir eu une fois tort. Et je ne pus m′empêcher de me rappeler ce mot désagréable et pourtant bien innocent qu′il avait eu à Balbec: «De cette façon, j′ai barre sur elle.»
Robert was in the right a hundred times over. But circumstances are always so entangled that the man who is in the right a hundred times may have been once in the wrong. And I could not help recalling that unpleasant and yet quite innocent expression which he had used at Balbec: “In that way I keep a hold over her.”
— Tu as mal compris ce que je t′ai dit pour le collier. Je ne te l′avais pas promis d′une façon formelle. Du moment que tu fais tout ce qu′il faut pour que je te quitte, il est bien naturel, voyons, que je ne te le donne pas; je ne comprends pas où tu vois de la traîtrise là dedans, ni que je suis intéressé. On ne peut pas dire que je fais sonner mon argent, je te dis toujours que je suis un pauvre bougre qui n′a pas le sou. Tu as tort de le prendre comme ça, mon petit. En quoi suis-je intéressé? Tu sais bien que mon seul intérêt, c′est toi.
“You don′t understand what I mean about the necklace. I made no formal promise: once you start doing everything you possibly can to make me leave you, it′s only natural, surely, that I shouldn′t give it to you; I fail to understand what treachery you can see in that, or what my ulterior motive is supposed to be. You can′t seriously maintain that I brag about my money, I′m always telling you that I′m only a poor devil without a cent to my name. It′s foolish of you take it in that way, my dear. What possible interest can I have in hurting you? You know very well that my one interest in life is yourself.”
— Oui, oui, tu peux continuer, lui dit-elle ironiquement, en esquissant le geste de quelqu′un qui vous fait la barbe. Et se tournant vers le danseur:
“Oh, yes, yes, please go on,” she retorted ironically, with the sweeping gesture of a barber wielding his razor. And turning to watch the dancer:
— Ah! vraiment il est épatant avec ses mains. Moi qui suis une femme, je ne pourrais pas faire ce qu′il fait là. Et se tournant vers lui en lui montrant les traits convulsés de Robert: «Regarde, il souffre», lui dit-elle tout bas, dans l′élan momentané d′une cruauté sadique qui n′était d′ailleurs nullement en rapport avec ses vrais sentiments d′affection pour Saint–Loup.
“Isn′t he too wonderful with his hands. A woman like me couldn′t do the things he′s doing now.” She went closer to him and, pointing to Robert′s furious face: “Look, he′s hurt,” she murmured, in the momentary elation of a sadic impulse to cruelty totally out of keeping with the genuine feelings of affection for Saint-Loup.
—Écoute, pour le dernière fois, je te jure que tu auras beau faire, tu pourras avoir dans huit jours tous les regrets du monde, je ne reviendrai pas, la coupe est pleine, fais attention, c′est irrévocable, tu le regretteras un jour, il sera trop tard.
“Listen, for the last time, I swear to you it doesn′t matter what you do — in a week you′ll be giving anything to get me back — I shan′t come; it′s a clean cut, do you hear, it′s irrevocable; you will be sorry one day, when it′s too late.”
Peut-être était-il sincère et le tourment de quitter sa maîtresse lui semblait-il moins cruel que celui de rester près d′elle dans certaines conditions.
Perhaps he was sincere in saying this, and the torture of leaving his mistress may have seemed to him less cruel than that of remaining with her in certain circumstances.
— Mais mon petit, ajouta-t-il en s′adressant à moi, ne reste pas là, je te dis, tu vas te mettre à tousser.
“But, my dear boy,” he went on, to me, “you oughtn′t to stand about here, I tell you, it will make you cough.”
Je lui montrai le décor qui m′empêchait de me déplacer. Il toucha légèrement son chapeau et dit au journaliste:
I pointed to the scenery which barred my way. He touched his hat and said to one of the journalists:
— Monsieur, est-ce que vous voudriez bien jeter votre cigare, la fumée fait mal à mon ami.
“Would you mind, sir, throwing away your cigar; the smoke is bad for my friend.”
Sa maîtresse, ne l′attendant pas, s′en allait vers sa loge, et se retournant:
His mistress had not waited for him to accompany her; on her way to her dressing-room she turned round and:
— Est-ce qu′elles font aussi comme ça avec les femmes, ces petites mains-là? jeta-t-elle au danseur du fond du théâtre, avec une voix facticement mélodieuse et innocente d′ingénue, tu as l′air d′une femme toi-même, je crois qu′on pourrait très bien s′entendre avec toi et une de mes amies.
“Do they do those tricks with women too, those nice little hands?” she flung to the dancer from the back of the stage, in an artificially melodious tone of girlish innocence. “You look just like one yourself, I′m sure I could have a wonderful time with you and a girl I know.”
— Il n′est pas défendu de fumer, que je sache; quand on est malade, on n′a qu′à rester chez soi, dit le journaliste.
“There′s no rule against smoking that I know of; if people aren′t well, they have only to stay at home,” said the journalist.
Le danseur sourit mystérieusement à l′artiste.
The dancer smiled mysteriously back at the actress.
— Oh! tais-toi, tu me rends folle, lui cria-t-elle, on en fera des parties!
“Oh! Do stop! You′ll make me quite mad,” she cried to him. “Then there will be trouble.”
— En tout cas, monsieur, vous n′êtes pas très aimable, dit Saint–Loup au journaliste, toujours sur un ton poli et doux, avec l′air de constatation de quelqu′un qui vient de juger rétrospectivement un incident terminé.
“In any case, sir, you are not very civil,” observed Saint-Loup to the journalist, still with a courteous suavity, in the deliberate manner of a man judging retrospectively the rights and wrongs of an incident that is already closed.
A ce moment, je vis Saint–Loup lever son bras verticalement au-dessus de sa tête comme s′il avait fait signe à quelqu′un que je ne voyais pas, ou comme un chef d′orchestre, et en effet — sans plus de transition que, sur un simple geste d′archet, dans une symphonie ou un ballet, des rythmes violents succèdent à un gracieux andante — après les paroles courtoises qu′il venait de dire, il abattit sa main, en une gifle retentissante, sur la joue du journaliste.
At that moment I saw Saint-Loup raise his arm vertically above his head as if he had been making a signal to some one whom I could not see, or like the conductor of an orchestra, and indeed — without any greater transition than when, at a simple wave of the baton, in a symphony or a ballet, violent rhythms succeed a graceful andante — after the courteous words that he had just uttered he brought down his hand with a resounding smack upon the journalist′s cheek.
Maintenant qu′aux conversations cadencées des diplomates, aux arts riants de la paix, avait succédé l′élan furieux de la guerre, les coups appelant les coups, je n′eusse pas été trop étonné de voir les adversaires baignant dans leur sang. Mais ce que je ne pouvais pas comprendre (comme les personnes qui trouvent que ce n′est pas de jeu que survienne une guerre entre deux pays quand il n′a encore été question que d′une rectification de frontière, ou la mort d′un malade alors qu′il n′était question que d′une grosseur du foie), c′était comment Saint–Loup avait pu faire suivre ces paroles qui appréciaient une nuance d′amabilité, d′un geste qui ne sortait nullement d′elles, qu′elles n′annonçaient pas, le geste de ce bras levé non seulement au mépris du droit des gens, mais du principe de causalité, en une génération spontanée de colère, ce geste créé ex nihilo[/i.>. Heureusement le journaliste qui, trébuchant sous la violence du coup, avait pâli et hésité un instant ne riposta pas. Quant à ses amis, l′un avait aussitôt détourné la tête en regardant avec attention du côté des coulisses quelqu′un qui évidemment ne s′y trouvait pas; le second fit semblant qu′un grain de poussière lui était entré dans l′oeil et se mit à pincer sa paupière en faisant des grimaces de souffrance; pour le troisième, il s′était élancé en s′écriant:
Now that to the measured conversations of the diplomats, to the smiling arts of peace had succeeded the furious onthrust of war, since blows lead to blows, I should not have been surprised to see the combatants swimming in one another′s blood. But what I could not understand (like people who feel that it is not according to the rules when a war breaks out between two countries after some question merely of the rectification of a frontier, or when a sick man dies after nothing more serious than a swelling of the liver) was how Saint-Loup had contrived to follow up those words, which implied a distinct shade of friendliness, with an action which in no way arose out of them, which they had not, so to speak, announced, that action of an arm raised in defiance not only of the rights of man but of the law of cause and effect, that action created ex nihilo. Fortunately the journalist who, staggering back from the violence of the blow, had turned pale and hesitated for a moment, did not retaliate. As for his friends, one of them had promptly turned away his head and was looking fixedly into the wings for some one who evidently was not there; the second pretended that a speck of dust had got into his eye, and began rubbing and squeezing his eyelid with every sign of being in pain; while the third had rushed off, exclaiming:
— Mon Dieu, je crois qu′on va lever le rideau, nous n′aurons pas nos places.
“Good heavens, I believe the curtain′s going up; we shan′t get into our seats.”
J′aurais voulu parler à Saint–Loup, mais il était tellement rempli par son indignation contre le danseur, qu′elle venait adhérer exactement à la surface de ses prunelles; comme une armature intérieure, elle tendait ses joues, de sorte que son agitation intérieure se traduisant par une entière inamovibilité extérieure, il n′avait même pas le relâchement, le «jeu» nécessaire pour accueillir un mot de moi et y répondre. Les amis du journaliste, voyant que tout était terminé, revinrent auprès de lui, encore tremblants. Mais, honteux de l′avoir abandonné, ils tenaient absolument à ce qu′il crût qu′ils ne s′étaient rendu compte de rien. Aussi s′étendaient-ils l′un sur sa poussière dans l′oeil, l′autre sur la fausse alerte qu′il avait eue en se figurant qu′on levait le rideau, le troisième sur l′extraordinaire ressemblance d′une personne qui avait passé avec son frère. Et même ils lui témoignèrent une certaine mauvaise humeur de ce qu′il n′avait pas partagé leurs émotions.
I wanted to speak to Saint-Loup, but he was so full of his indignation with the dancer that it adhered exactly to the surface of his eyeballs; like a subcutaneous structure it distended his cheeks with the result that, his internal agitation expressing itself externally in an entire immobility, he had not even the power of relaxation, the ‘play′ necessary to take in a word from me and to answer it. The journalist′s friends, seeing that the incident was at an end, gathered round him again, still trembling. But, ashamed of having deserted him, they were absolutely determined that be should be made to suppose that they had noticed nothing. And so they dilated, one upon the speck of dust in his eye, one upon his false alarm when he had thought that the curtain was going up, the third upon the astonishing resemblance between a man who had just gone by and the speaker′s brother. Indeed they seemed quite to resent their friend′s not having shared their several emotions.
— Comment, cela ne t′a pas frappé? Tu ne vois donc pas clair?
“What, didn′t it strike you? You must be going blind.”
— C′est-à-dire que vous êtes tous des capons, grommela le journaliste giflé.
“What I say is that you′re a pack of curs,” growled the journalist whom Saint-Loup had punished.
Inconséquents avec la fiction qu′ils avaient adoptée et en vertu de laquelle ils auraient dû— mais ils n′y songèrent pas — avoir l′air de ne pas comprendre ce qu′il voulait dire, ils proférèrent une phrase qui est de tradition en ces circonstances: «Voilà que tu t′emballes, ne prends pas la mouche, on dirait que tu as le mors aux dents!»
Forgetting the poses they had adopted, to be consistent with which they ought — but they did not think of it — to have pretended not to understand what he meant, they fell back on certain expressions traditional in the circumstances: “What′s all the excitement? Keep your hair on, old chap. Don′t take the bit in your teeth.”
J′avais compris le matin, devant les poiriers en fleurs, l′illusion sur laquelle reposait son amour pour «Rachel quand du Seigneur», je ne me rendais pas moins compte de ce qu′avaient au contraire de réel les souffrances qui naissaient de cet amour. Peu à peu celle qu′il ressentait depuis une heure, sans cesser, se rétracta, rentra en lui, une zone disponible et souple parut dans ses yeux. Nous quittâmes le théâtre, Saint–Loup et moi, et marchâmes d′abord un peu. Je m′étais attardé un instant à un angle de l′avenue Gabriel d′où je voyais souvent jadis arriver Gilberte. J′essayai pendant quelques secondes de me rappeler ces impressions lointaines, et j′allais rattraper Saint–Loup au pas «gymnastique», quand je vis qu′un monsieur assez mal habillé avait l′air de lui parler d′assez près. J′en conclus que c′était un ami personnel de Robert; cependant ils semblaient se rapprocher encore l′un de l′autre; tout à coup, comme apparaît au ciel un phénomène astral, je vis des corps ovos prendre avec une rapidité vertigineuse toutes les positions qui leur permettaient de composer, devant Saint–Loup, une instable constellation. Lancés comme par une fronde ils me semblèrent être au moins au nombre de sept. Ce n′étaient pourtant que les deux poings de Saint–Loup, multipliés par leur vitesse à changer de place dans cet ensemble en apparence idéal et décoratif. Mais cette pièce d′artifice n′était qu′une roulée qu′administrait Saint–Loup, et dont le caractère agressif au lieu d′esthétique me fut d′abord révélé par l′aspect du monsieur médiocrement habillé, lequel parut perdre à la fois toute contenance, une mâchoire, et beaucoup de sang. Il donna des explications mensongères aux personnes qui s′approchaient pour l′interroger, tourna la tête et, voyant que Saint–Loup s′éloignait définitivement pour me rejoindre, resta à le regarder d′un air de rancune et d′accablement, mais nullement furieux. Saint–Loup au contraire l′était, bien qu′il n′eût rien reçu, et ses yeux étincelaient encore de colère quand il me rejoignit. L′incident ne se rapportait en rien, comme je l′avais cru, aux gifles du théâtre. C′était un promeneur passionné qui, voyant le beau militaire qu′était Saint–Loup, lui avait fait des propositions. Mon ami n′en revenait pas de l′audace de cette «clique» qui n′attendait même plus les ombres nocturnes pour se hasarder, et il parlait des propositions qu′on lui avait faites avec la même indignation que les journaux d′un vol à main armée, osé en plein jour, dans un quartier central de Paris. Pourtant le monsieur battu était excusable en ceci qu′un plan incliné rapproche assez vite le désir de la jouissance pour que la seule beauté apparaisse déjà comme un consentement. Or, que Saint–Loup fût beau n′était pas discutable. Des coups de poing comme ceux qu′il venait de donner ont cette utilité, pour des hommes du genre de celui qui l′avait accosté tout à l′heure, de leur donner sérieusement à réfléchir, mais toutefois pendant trop peu de temps pour qu′ils puissent se corriger et échapper ainsi à des châtiments judiciaires. Ainsi, bien que Saint–Loup eût donné sa raclée sans beaucoup réfléchir, toutes celles de ce genre, même si elles viennent en aide aux lois, n′arrivent pas à homogénéiser les moeurs.
I had realised that morning beneath the pear blossom how illusory were the grounds upon which Robert′s love for ‘Rachel when from the Lord′ was based; I was bound now to admit how very real were the sufferings to which that love gave rise. Gradually the feeling that had obsessed him for the last hour, without a break, began to diminish, receded into him, an unoccupied pliable zone appeared in his eyes. I had stopped for a moment at a corner of the Avenue Gabriel from which I had often in the past seen Gilberte appear. I tried for a few seconds to recall those distant impressions, and was hurrying at a ‘gymnastic′ pace to overtake Saint-Loup when I saw that a gentleman, somewhat shabbily attired, appeared to be talking to him confidentially. I concluded that this was a personal friend of Robert; at the same time they seemed to be drawing even closer to one another; suddenly, as a meteor flashes through the sky, I saw a number of ovoid bodies assume with a giddy swiftness all the positions necessary for them to form, before Saint-Loup′s face and body, a flickering constellation. Flung out like stones from a catapult, they seemed to me to be at the very least seven in number. They were merely, however, Saint-Loup′s pair of fists, multiplied by the speed with which they were changing their places in this — to all appearance ideal and decorative — arrangement. But this elaborate display was nothing more than a pummelling which Saint-Loup was administering, the true character of which, aggressive rather than aesthetic, was first revealed to me by the aspect of the shabbily dressed gentleman who appeared to be losing at once his self-possession, his lower jaw and a quantity of blood. He gave fictitious explanations to the people who came up to question him, turned his head and, seeing that Saint-Loup had made off and was hastening to rejoin me, stood gazing after him with an offended, crushed, but by no means furious expression on his face. Saint-Loup, on the other hand, was furious, although he himself had received no blow, and his eyes were still blazing with anger when he reached me. The incident was in no way connected (as I had supposed) with the assault in the theatre. It was an impassioned loiterer who, seeing the fine looking young soldier that Saint-Loup was, had made overtures to him. My friend could not get over the audacity of this ‘clique′ who no longer even waited for the shades of night to cover their operations, and spoke of the suggestion that had been made to him with the same indignation as the newspapers use in reporting an armed assault and robbery, in broad daylight, in the centre of Paris. And yet the recipient of his blow was excusable in one respect, for the trend of the downward slope brings desire so rapidly to the point of enjoyment that beauty by itself appears to imply consent. Now, that Saint-Loup was beautiful was beyond dispute. Castigation such as he had just administered has this value, for men of the type that had accosted him, that it makes them think seriously of their conduct, though never for long enough to enable them to amend their ways and thus escape correction at the hands of the law. And so, although Saint-Loup′s arm had shot out instinctively, without any preliminary thought, all such punishments, even when they reinforce the law, are powerless to bring about any uniformity in morals.
Ces incidents, et sans doute celui auquel il pensait le plus, donnèrent sans doute à Robert le désir d′être un peu seul. Au bout d′un moment il me demanda de nous séparer et que j′allasse de mon côté chez Mme de Villeparisis, il m′y retrouverait, mais aimait mieux que nous n′entrions pas ensemble pour qu′il eût l′air d′arriver seulement à Paris plutôt que de donner à penser que nous avions déjà passé l′un avec l′autre une partie de l′après-midi.
These incidents, particularly the one that was weighing most on his mind, seemed to have prompted in Robert a desire to be left alone for a while. After a moment′s silence he asked me to leave him, and to go by myself to call on Mme. de Villeparisis. He would join me there, but preferred that we should not enter the room together, so that he might appear to have only just arrived in Paris, instead of having spent half the day already with me.
Comme je l′avais supposé avant de faire la connaissance de Mme de Villeparisis à Balbec, il y avait une grande différence entre le milieu où elle vivait et celui de Mme de Guermantes. Mme de Villeparisis était une de ces femmes qui, nées dans une maison glorieuse, entrées par leur mariage dans une autre qui ne l′était pas moins, ne jouissent pas cependant d′une grande situation mondaine, et, en dehors de quelques duchesses qui sont leurs nièces ou leurs belles-soeurs, et même d′une ou deux têtes couronnées, vieilles relations de famille, n′ont dans leur salon qu′un public de troisième ordre, bourgeoisie, noblesse de province ou tarée, dont la présence a depuis longtemps éloigné les gens élégants et snobs qui ne sont pas obligés d′y venir par devoirs de parenté ou d′intimité trop ancienne. Certes je n′eus au bout de quelques instants aucune peine à comprendre pourquoi Mme de Villeparisis s′était trouvée, à Balbec, si bien informée, et mieux que nous-mêmes, des moindres détails du voyage que mon père faisait alors en Espagne avec M. de Norpois. Mais il n′était pas possible malgré cela de s′arrêter à l′idée que la liaison, depuis plus de vingt ans, de Mme de Villeparisis avec l′Ambassadeur pût être la cause du déclassement de la marquise dans un monde où les femmes les plus brillantes affichaient des amants moins respectables que celui-ci, lequel d′ailleurs n′était probablement plus depuis longtemps pour la marquise autre chose qu′un vieil ami. Mme de Villeparisis avait-elle eu jadis d′autres aventures? étant alors d′un caractère plus passionné que maintenant, dans une vieillesse apaisée et pieuse qui devait peut-être pourtant un peu de sa couleur à ces années ardentes et consumées, n′avait-elle pas su, en province où elle avait vécu longtemps, éviter certains scandales, inconnus des nouvelles générations, lesquelles en constataient seulement l′effet dans la composition mêlée et défectueuse d′un salon fait, sans cela, pour être un des plus purs de tout médiocre alliage? Cette «mauvaise langue» que son neveu lui attribuait lui avait-elle, dans ces temps-là, fait des ennemis? l′avait-elle poussée à profiter de certains succès auprès des hommes pour exercer des vengeances contre des femmes? Tout cela était possible; et ce n′est pas la façon exquise, sensible — nuançant si délicatement non seulement les expressions mais les intonations — avec laquelle Mme de Villeparisis parlait de la pudeur, de la bonté, qui pouvait infirmer cette supposition; car ceux qui non seulement parlent bien de certaines vertus, mais même en ressentent le charme et les comprennent à merveille (qui sauront en peindre dans leurs Mémoires une digne image), sont souvent issus, mais ne font pas eux-mêmes partie, de la génération muette, fruste et sans art, qui les pratiqua. Celle-ci se reflète en eux, mais ne s′y continue pas. A la place du caractère qu′elle avait, on trouve une sensibilité, une intelligence, qui ne servent pas à l′action. Et qu′il y eût ou non dans la vie de Mme de Villeparisis de ces scandales qu′eût effacés l′éclat de son nom, c′est cette intelligence, une intelligence presque d′écrivain de second ordre bien plus que de femme du monde, qui était certainement la cause de sa déchéance mondaine.
As I had supposed before making the acquaintance of Mme. de Villeparisis at Balbec, there was a vast difference between the world in which she lived and that of Mme. de Guermantes. Mme. de Villeparisis was one of those women who, born of a famous house, entering by marriage into another no less famous, do not for all that enjoy any great position in the social world, and, apart from a few duchesses who are their nieces or sisters-in-law, perhaps even a crowned head or two, old family friends, see their drawing-rooms filled only by third-rate people, drawn from the middle classes or from a nobility either provincial or tainted in some way, whose presence there has long since driven away all such smart and snobbish folk as are not obliged to come to the house by ties of blood or the claims of a friendship too old to be ignored. Certainly I had no difficulty after the first few minutes in understanding how Mme. de Villeparisis, at Balbec, had come to be so well informed, better than ourselves even, as to the smallest details of the tour through Spain which my father was then making with M. de Norpois. Even this, however, did not make it possible to rest content with the theory that the intimacy — of more than twenty years′ standing — between Mme. de Villeparisis and the Ambassador could have been responsible for the lady′s loss of caste in a world where the smartest women boasted the attachment of lovers far less respectable than he not to mention that it was probably years since he had been anything more to the Marquise than just an old friend. Had Mme. de Villeparisis then had other adventures in days gone by? Being then of a more passionate temperament than now, in a calm and religious old age which nevertheless owed some of its mellow colouring to those ardent, vanished years, had she somehow failed, in the country neighbourhood where she had lived for so long, to avoid certain scandals unknown to the younger generation who simply took note of their effect in the unequal and defective composition of a visiting list bound, otherwise, to have been among the purest of any taint of mediocrity? That ‘sharp tongue′ which her nephew ascribed to her, had it in those far-off days made her enemies? Had it driven her into taking advantage of certain successes with men so as to avenge herself upon women? All this was possible; nor could the exquisitely sensitive way in which — giving so delicate a shade not merely to her words but to her intonation — Mme. de Villeparisis spoke of modesty or generosity be held to invalidate this supposition; for the people who not only speak with approval of certain virtues but actually feel their charm and shew a marvellous comprehension of them (people in fact who will, when they come to write their memoirs, present a worthy picture of those virtues) are often sprung from but not actually part of the silent, simple, artless generation which practised them. That generation is reflected in them but is not continued. Instead of the character which it possessed we find a sensibility, an intelligence which are not conducive to action. And whether or not there had been in the life of Mme. de Villeparisis any of those scandals, which (if there had) the lustre of her name would have blotted out, it was this intellect, resembling rather that of a writer of the second order than that of a woman of position, that was undoubtedly the cause of her social degradation.
Sans doute c′étaient des qualités assez peu exaltantes, comme la pondération et la mesure, que prônait surtout Mme de Villeparisis; mais pour parler de la mesure d′une façon entièrement adéquate, la mesure ne suffit pas et il faut certains mérites d′écrivains qui supposent une exaltation peu mesurée; j′avais remarqué à Balbec que le génie de certains grands artistes restait incompris de Mme de Villeparisis; et qu′elle ne savait que les railler finement, et donner à son incompréhension une forme spirituelle et gracieuse. Mais cet esprit et cette grâce, au degré où ils étaient poussés chez elle, devenaient eux-mêmes — dans un autre plan, et fussent-ils déployés pour méconnaître les plus hautes oeuvres — de véritables qualités artistiques. Or, de telles qualités exercent sur toute situation mondaine une action morbide élective, comme disent les médecins, et si désagrégeante que les plus solidement assises ont peine à y résister quelques années. Ce que les artistes appellent intelligence semble prétention pure à la société élégante qui, incapable de se placer au seul point de vue d′où ils jugent tout, ne comprenant jamais l′attrait particulier auquel ils cèdent en choisissant une expression ou en faisant un rapprochement, éprouve auprès d′eux une fatigue, une irritation d′où naît très vite l′antipathie. Pourtant dans sa conversation, et il en est de même des Mémoires d′elle qu′on a publiés depuis, Mme de Villeparisis ne montrait qu′une sorte de grâce tout à fait mondaine. Ayant passé à côté de grandes choses sans les approfondir, quelquefois sans les distinguer, elle n′avait guère retenu des années où elle avait vécu, et qu′elle dépeignait d′ailleurs avec beaucoup de justesse et de charme, que ce qu′elles avaient offert de plus frivole. Mais un ouvrage, même s′il s′applique seulement à des sujets qui ne sont pas intellectuels, est encore une oeuvre de l′intelligence, et pour donner dans un livre, ou dans une causerie qui en diffère peu, l′impression achevée de la frivolité, il faut une dose de sérieux dont une personne purement frivole serait incapable. Dans certains Mémoires écrits par une femme et considérés comme un chef-d′oeuvre, telle phrase qu′on cite comme un modèle de grâce légère m′a toujours fait supposer que pour arriver à une telle légèreté l′auteur avait dû posséder autrefois une science un peu lourde, une culture rébarbative, et que, jeune fille, elle semblait probablement à ses amies un insupportable bas bleu. Et entre certaines qualités littéraires et l′insuccès mondain, la connexité est si nécessaire, qu′en lisant aujourd′hui les Mémoires de Mme de Villeparisis, telle épithète juste, telles métaphores qui se suivent, suffiront au lecteur pour qu′à leur aide il reconstitue le salut profond, mais glacial, que devait adresser à la vieille marquise, dans l′escalier d′une ambassade, telle snob comme Mme Leroi, qui lui cornait peut-être un carton en allant chez les Guermantes mais ne mettait jamais les pieds dans son salon de peur de s′y déclasser parmi toutes ces femmes de médecins ou de notaires. Un bas bleu, Mme de Villeparisis en avait peut-être été un dans sa prime jeunesse, et, ivre alors de son savoir, n′avait peut-être pas su retenir contre des gens du monde moins intelligents et moins instruits qu′elle, des traits acérés que le blessé n′oublie pas.
It is true that they were not specially elevating, the qualities, such as balance and restraint, which Mme. de Villeparisis chiefly extolled; but to speak of restraint in a manner that shall be entirely adequate, the word ‘restraint′ is not enough, we require some of the qualities of authorship which presuppose a quite unrestrained exaltation; I had remarked at Balbec that the genius of certain great artists was completely unintelligible to Mme. de Villeparisis; and that all she could do was to make delicate fun of them and to express her incomprehension in a graceful and witty form. But this wit and grace, at the point to which she carried them, became themselves — on another plane, and even although they were employed to belittle the noblest masterpieces — true artistic qualities. Now the effect of such qualities on any social position is a morbid activity of the kind which doctors call elective, and so disintegrating that the most firmly established pillars of society are hard put to it to hold out for any length of time. What artists call intellect seems pure presumption to the fashionable world which, unable to place itself at the sole point of view from which they, the artists, look at and judge things, incapable of understanding the particular attraction to which they yield when they choose an ex-Pression or start a friendship, feel in their company an exhaustion, an irritation, from which antipathy very shortly springs. And yet in her conversation, and the same may be said of the Memoirs which she afterwards published, Mme. de Villeparisis shewed nothing but a sort of grace that was eminently social. Having passed by great works without mastering sometimes without even noticing them, she had preserved from the period in which she had lived and which, moreover, she described with great aptness and charm, little more than the most frivolous of the gifts that they had had to offer her. But a narrative of this sort, even when it treats exclusively of subjects that are not intellectual, is still a work of the intellect, and to give in a book or in conversation, which is almost the same thing, a deliberate impression of frivolity, a serious touch is required which a purely frivolous person would be incapable of supplying. In a certain book of reminiscences written by a woman and regarded as a masterpiece, the phrase that people quote as a model of airy grace has always made me suspect that, in order to arrive at such a pitch of lightness, the author must originally have had a rather stodgy education, a boring culture, and that as a girl she probably appeared to her friends an insufferable prig. And between certain literary qualities and social failure the connexion is so inevitable that when we open Mme. de Villeparisis′s Memoirs to-day, on any page a fitting epithet, a sequence of metaphors will suffice to enable the reader to reconstruct the deep but icy bow which must have been bestowed on the old Marquise on the staircases of the Embassies by a snob like Mme. Leroi, who perhaps may have left a card on her when she went to call on the Guermantes, but never set foot in her house for fear of losing caste among all the doctors′ or solicitors′ wives whom she would find there. A bluestocking Mme. de Villeparisis had perhaps been in her earliest youth, and, intoxicated with the ferment of her own knowledge, had perhaps failed to realise the. importance of not applying to people in society, less intelligent and less educated than herself, those cutting strokes which the injured party never forgets.
Puis le talent n′est pas un appendice postiche qu′on ajoute artificiellement à ces qualités différentes qui font réussir dans la société, afin de faire, avec le tout, ce que les gens du monde appellent une «femme complète». Il est le produit vivant d′une certaine complexion morale où généralement beaucoup de qualités font défaut et où prédomine une sensibilité dont d′autres manifestations que nous ne percevons pas dans un livre peuvent se faire sentir assez vivement au cours de l′existence, par exemple telles curiosités, telles fantaisies, le désir d′aller ici ou là pour son propre plaisir, et non en vue de l′accroissement, du maintien, ou pour le simple fonctionnement des relations mondaines. J′avais vu à Balbec Mme de Villeparisis enfermée entre ses gens et ne jetant pas un coup d′oeil sur les personnes assises dans le hall de l′hôtel. Mais j′avais eu le pressentiment que cette abstention n′était pas de l′indifférence, et il paraît qu′elle ne s′y était pas toujours cantonnée. Elle se toquait de connaître tel ou tel individu qui n′avait aucun titre à être reçu chez elle, parfois parce qu′elle l′avait trouvé beau, ou seulement parce qu′on lui avait dit qu′il était amusant, ou qu′il lui avait semblé différent des gens qu′elle connaissait, lesquels, à cette époque où elle ne les appréciait pas encore parce qu′elle croyait qu′ils ne la lâcheraient jamais, appartenaient tous au plus pur faubourg Saint–Germain. Ce bohème, ce petit bourgeois qu′elle avait distingué, elle était obligée de lui adresser ses invitations, dont il ne pouvait pas apprécier la valeur, avec une insistance qui la dépréciait peu à peu aux yeux des snobs habitués à coter un salon d′après les gens que la maîtresse de maison exclut plutôt que d′après ceux qu′elle reçoit. Certes, si à un moment donné de sa jeunesse, Mme de Villeparisis, blasée sur la satisfaction d′appartenir à la fine fleur de l′aristocratie, s′était en quelque sorte amusée à scandaliser les gens parmi lesquels elle vivait, à défaire délibérément sa situation, elle s′était mise à attacher de l′importance à cette situation après qu′elle l′eut perdue. Elle avait voulu montrer aux duchesses qu′elle était plus qu′elles, en disant, en faisant tout ce que celles-ci n′osaient pas dire, n′osaient pas faire. Mais maintenant que celles-ci, sauf celles de sa proche parenté, ne venaient plus chez elle, elle se sentait amoindrie et souhaitait encore de régner, mais d′une autre manière que par l′esprit. Elle eût voulu attirer toutes celles qu′elle avait pris tant de soin d′écarter. Combien de vies de femmes, vies peu connues d′ailleurs (car chacun, selon son âge, a comme un monde différent, et la discrétion des vieillards empêche les jeunes gens de se faire une idée du passé et d′embrasser tout le cycle), ont été divisées ainsi en périodes contrastées, la dernière toute employée à reconquérir ce qui dans la deuxième avait été si gaiement jeté au vent. Jeté au vent de quelle manière? Les jeunes gens se le figurent d′autant moins qu′ils ont sous les yeux une vieille et respectable marquise de Villeparisis et n′ont pas l′idée que la grave mémorialiste d′aujourd′hui, si digne sous sa perruque blanche, ait pu être jadis une gaie soupeuse qui fit peut-être alors les délices, mangea peut-être la fortune d′hommes couchés depuis dans la tombe; qu′elle se fût employée aussi à défaire, avec une industrie persévérante et naturelle, la situation qu′elle tenait de sa grande naissance ne signifie d′ailleurs nullement que, même à cette époque reculée, Mme de Villeparisis n′attachât pas un grand prix à sa situation. De même l′isolement, l′inaction où vit un neurasthénique peuvent être ourdis par lui du matin au soir sans lui paraître pour cela supportables, et tandis qu′il se dépêche d′ajouter une nouvelle maille au filet qui le retient prisonnier, il est possible qu′il ne rêve que bals, chasses et voyages. Nous travaillons à tout moment à donner sa forme à notre vie, mais en copiant malgré nous comme un dessin les traits de la personne que nous sommes et non de celle qu′il nous serait agréable d′être. Les saluts dédaigneux de Mme Leroi pouvaient exprimer en quelques manière la nature véritable de Mme de Villeparisis, ils ne répondaient aucunement à son désir.
Moreover, talent is not a separate appendage which one artificially attaches to those qualities which make for social success, in order to create from the whole what people in society call a ‘complete woman.′ It is the living product of a certain moral complexion, from which as a rule many moral qualities are lacking and in which there predominates a sensibility of which other manifestations such as we do not notice in a book may make themselves quite distinctly felt in the course of a life, certain curiosities for instance, certain whims, the desire to go to this place or that for one′s own amusement and not with a view to the extension, the maintenance or even the mere exercise of one′s social relations. I had seen at Balbec Mme. de Villeparisis hemmed in by a bodyguard of her own servants without even a glance, as she passed, at the people sitting in the hall of the hotel. But I had had a presentiment that this abstention was due not to indifference, and it seemed that she had not always confined herself to it. She would get a sudden craze to know some one or other because she had seen him and thought him good-looking, or merely because she had been told that he was amusing, or because he had struck her as different from the people she knew, who at this period, when she had not yet begun to appreciate them because she imagined that they would never fail her, belonged, all of them, to the purest cream of the Faubourg Saint-Germain. To the bohemian, the humble middle-class gentleman whom she had marked out with her favour she was obliged to address invitations the importance of which he was unable to appreciate, with an insistence which began gradually to depreciate her in the eyes of the snobs who were in the habit of estimating the smartness of a house by the people whom its mistress excluded rather than by those whom she entertained. Certainly, if at a given moment in her youth Mme. de Villeparisis, surfeited with the satisfaction of belonging to the fine flower of the aristocracy, had found a sort of amusement in scandalising the people among whom she lived, and in deliberately impairing her own position in society, she had begun to attach its full importance to that position once it was definitely lost. She had wished to shew the Duchesses that she was better than they, by saying and doing all the things that they dared not say or do. But now that they all, save such as were closely related to her, had ceased to call, she felt herself diminished, and sought once more to reign, but with another sceptre than that of wit. She would have liked to attract to her house all those women whom she had taken such pains to drive away. How many women′s lives, lives of which little enough is known (for we all live in different worlds according to our ages, and the discretion of their elders prevents the young from forming any clear idea of the past and so completing the cycle), have been divided in this way into contrasted periods, the last being entirely devoted to the reconquest of what in the second has been so light-heartedly flung on the wind. Flung on the wind in what way? The young people are all the less capable of imagining it, since they see before them an elderly and respectable Marquise de Villeparisis and have no idea that the grave diarist of the present day, so dignified beneath her pile of snowy hair, can ever have been a gay midnight-reveller who was perhaps the delight in those days, devoured the fortunes perhaps of men now sleeping in their graves; that she should also have set to work, with a persevering and natural industry, to destroy the position which she owed to her high birth does not in the least imply that even at that remote period Mme. de Villeparisis did not attach great importance to her position. In the same way the web of isolation, of inactivity in which a neurasthenic lives may be woven by him from morning to night without therefore seeming endurable, and while he is hastening to add another mesh to the net which holds him captive, it is possible that he is dreaming only of dancing, sport and travel. We are at work every moment upon giving its form to our life, but we do so by copying unintentionally, like the example in a book, the features of the person that we are and not of him who we should like to be. The disdainful bow of Mme. Leroi might to some extent be expressive of the true nature of Mme. de Villeparisis; it in no way corresponded to her ambition.
Sans doute, au même moment où Mme Leroi, selon une expression chère à Mme Swann, «coupait» la marquise, celle-ci pouvait chercher à se consoler en se rappelant qu′un jour la reine Marie–Amélie lui avait dit: «Je vous aime comme une fille.» Mais de telles amabilités royales, secrètes et ignorées, n′existaient que pour la marquise, poudreuses comme le diplôme d′un ancien premier prix du Conservatoire. Les seuls vrais avantages mondains sont ceux qui créent de la vie, ceux qui peuvent disparaître sans que celui qui en a bénéficié ait à chercher à les retenir ou à les divulguer, parce que dans la même journée cent autres leur succèdent. Se rappelant de telles paroles de la reine, Mme de Villeparisis les eût pourtant volontiers troquées contre le pouvoir permanent d′être invitée que possédait Mme Leroi, comme, dans un restaurant, un grand artiste inconnu, et de qui le génie n′est écrit ni dans les traits de son visage timide, ni dans la coupe désuète de son veston râpé, voudrait bien être même le jeune coulissier du dernier rang de la société mais qui déjeune à une table voisine avec deux actrices, et vers qui, dans une course obséquieuse et incessante, s′empressent patron, maître d′hôtel, garçons, chasseurs et jusqu′aux marmitons qui sortent de la cuisine en défilés pour le saluer comme dans les féeries, tandis que s′avance le sommelier, aussi poussiéreux que ses bouteilles, bancroche et ébloui comme si, venant de la cave, il s′était tordu le pied avant de remonter au jour.
No doubt at the same moment at which Mme. Leroi was — to use an expression beloved of Mme. Swann —‘cutting′ the Marquise, the latter could seek consolation in remembering how Queen Marie-Amélie had once said to her: “You are just like a daughter to me.” But such marks of royal friendship, secret and unknown to the world, existed for the Marquise alone, dusty as the diploma of an old Conservatoire medalist. The only true social advantages are those that create life, that can disappear without the person who has benefited by them needing to try to keep them or to make them public, because on the same day a hundred others will take their place. And for all that she could remember the Queen′s using those words to her, she would nevertheless have bartered them gladly for the permanent faculty of being asked everywhere which Mme. Leroi possessed as in a restaurant a great but unknown artist whose genius is written neither in the lines of his bashful face nor in the antiquated cut of his threadbare coat, would willingly be even the young stock-jobber, of the lowest grade of society, who is sitting with a couple of actresses at a neighbouring table to which in an obsequious and incessant chain come hurrying manager, head waiter, pages and even the scullions who file out of the kitchen to salute him, as in the fairy-tales, while the wine waiter advances, dust-covered like his bottles, limping and dazed, as if on his way up from the cellar he had twisted his foot before emerging into the light of day.
Il faut dire pourtant que, dans le salon de Mme de Villeparisis, l′absence de Mme Leroi, si elle désolait la maîtresse de maison, passait inaperçue aux yeux d′un grand nombre de ses invités. Ils ignoraient totalement la situation particulière de Mme Leroi, connue seulement du monde élégant, et ne doutaient pas que les réceptions de Mme de Villeparisis ne fussent, comme en sont persuadés aujourd′hui les lecteurs de ses Mémoires, les plus brillantes de Paris.
It must be remarked, however, that in Mme. de Villeparisis′s drawing-room the absence of Mme. Leroi, if it distressed the lady of the house, passed unperceived by the majority of her guests. They were entirely ignorant of the peculiar position which Mme. Leroi occupied, a: position known only to the fashionable world, and never doubted that Mme. de Villeparisis′s receptions were, as the readers of her Memoirs to-day are convinced that they must have been, the most brilliant in Paris.
A cette première visite qu′en quittant Saint–Loup j′allai faire à Mme de Villeparisis, suivant le conseil que M. de Norpois avait donné à mon père, je la trouvai dans son salon tendu de soie jaune sur laquelle les canapés et les admirables fauteuils en tapisseries de Beauvais se détachaient en une couleur rose, presque violette, de framboises mûres. A côté des portraits des Guermantes, des Villeparisis, on en voyait — offerts par le modèle lui-même — de la reine Marie–Amélie, de la reine des Belges, du prince de Joinville, de l′impératrice d′Autriche. Mme de Villeparisis, coiffée d′un bonnet de dentelles noires de l′ancien temps (qu′elle conservait avec le même instinct avisé de la couleur locale ou historique qu′un hôtelier breton qui, si parisienne que soit devenue sa clientèle, croit plus habile de faire garder à ses servantes la coiffe et les grandes manches), était assise à un petit bureau, où devant elle, à côté de ses pinceaux, de sa palette et d′une aquarelle de fleurs commencée, il y avait dans des verres, dans des soucoupes, dans des tasses, des roses mousseuses, des zinnias, des cheveux de Vénus, qu′à cause de l′affluence à ce moment-là des visites elle s′était arrêtée de peindre, et qui avaient l′air d′achalander le comptoir d′une fleuriste dans quelque estampe du XVIIIe siècle. Dans ce salon légèrement chauffé à dessein, parce que la marquise s′était enrhumée en revenant de son château, il y avait, parmi les personnes présentes quand j′arrivai, un archiviste avec qui Mme de Villeparisis avait classé le matin les lettres autographes de personnages historiques à elle adressées et qui étaient destinées à figurer en fac-similés comme pièces justificatives dans les Mémoires qu′elle était en train de rédiger, et un historien solennel et intimidé qui, ayant appris qu′elle possédait par héritage un portrait de la duchesse de Montmorency, était venu lui demander la permission de reproduire ce portrait dans une planche de son ouvrage sur la Fronde, visiteurs auxquels vint se joindre mon ancien camarade Bloch, maintenant jeune auteur dramatique, sur qui elle comptait pour lui procurer à l′oeil des artistes qui joueraient à ses prochaines matinées. Il est vrai que le kaléidoscope social était en train de tourner et que l′affaire Dreyfus allait précipiter les Juifs au dernier rang de l′échelle sociale. Mais, d′une part, le cyclone dreyfusiste avait beau faire rage, ce n′est pas au début d′une tempête que les vagues atteignent leur plus grand courroux. Puis Mme de Villeparisis, laissant toute une partie de sa famille tonner contre les Juifs, était jusqu′ici restée entièrement étrangère à l′Affaire et ne s′en souciait pas. Enfin un jeune homme comme Bloch, que personne ne connaissait, pouvait passer inaperçu, alors que de grands Juifs représentatifs de leur parti étaient déjà menacés. Il avait maintenant le menton ponctué d′un «bouc», il portait un binocle, une longue redingote, un gant, comme un rouleau de papyrus à la main. Les Roumains, les Égyptiens et les Turcs peuvent détester les Juifs. Mais dans un salon français les différences entre ces peuples ne sont pas si perceptibles, et un Israélite faisant son entrée comme s′il sortait du fond du désert, le corps penché comme une hyène, la nuque obliquement inclinée et se répandant en grands «salams», contente parfaitement un goût d′orientalisme. Seulement il faut pour cela que le Juif n′appartienne pas au «monde», sans quoi il prend facilement l′aspect d′un lord, et ses façons sont tellement francisées que chez lui un nez rebelle, poussant, comme les capucines, dans des directions imprévues, fait penser au nez de Mascarille plutôt qu′à celui de Salomon. Mais Bloch n′ayant pas été assoupli par la gymnastique du «Faubourg», ni ennobli par un croisement avec l′Angleterre ou l′Espagne, restait, pour un amateur d′exotisme, aussi étrange et savoureux à regarder, malgré son costume européen, qu′un Juif de Decamps. Admirable puissance de la race qui du fond des siècles pousse en avant jusque dans le Paris moderne, dans les couloirs de nos théâtres, derrière les guichets de nos bureaux, à un enterrement, dans la rue, une phalange intacte stylisant la coiffure moderne, absorbant, faisant oublier, disciplinant la redingote, demeurant, en somme, toute pareille à celle des scribes assyriens peints en costume de cérémonie à la frise d′un monument de Suse qui défend les portes du palais de Darius. (Une heure plus tard, Bloch allait se figurer que c′était par malveillance antisémitique que M. de Charlus s′informait s′il portait un prénom juif, alors que c′était simplement par curiosité esthétique et amour de la couleur locale.) Mais, au reste, parler de permanence de races rend inexactement l′impression que nous recevons des Juifs, des Grecs, des Persans, de tous ces peuples auxquels il vaut mieux laisser leur variété. Nous connaissons, par les peintures antiques, le visage des anciens Grecs, nous avons vu des Assyriens au fronton d′un palais de Suse. Or il nous semble, quand nous rencontrons dans le monde des Orientaux appartenant à tel ou tel groupe, être en présence de créatures que la puissance du spiritisme aurait fait apparaître. Nous ne connaissions qu′une image superficielle; voici qu′elle a pris de la profondeur, qu′elle s′étend dans les trois dimensions, qu′elle bouge. La jeune dame grecque, fille d′un riche banquier, et à la mode en ce moment, a l′air d′une de ces figurantes qui, dans un ballet historique et esthétique à la fois, symbolisent, en chair et en os, l′art hellénique; encore, au théâtre, la mise en scène banalise-t-elle ces images; au contraire, le spectacle auquel l′entrée dans un salon d′une Turque, d′un Juif, nous fait assister, en animant les figures, les rend plus étranges, comme s′il s′agissait en effet d′être évoqués par un effort médiumnique. C′est l′âme (ou plutôt le peu de chose auquel se réduit, jusqu′ici du moins, l′âme, dans ces sortes de matérialisations), c′est l′âme entrevue auparavant par nous dans les seuls musées, l′âme des Grecs anciens, des anciens Juifs, arrachée à une vie tout à la fois insignifiante et transcendentale, qui semble exécuter devant nous cette mimique déconcertante. Dans la jeune dame grecque qui se dérobe, ce que nous voudrions vainement étreindre, c′est une figure jadis admirée aux flancs d′un vase. Il me semblait que si j′avais dans la lumière du salon de Mme de Villeparisis pris des clichés d′après Bloch, ils eussent donné d′Israël cette même image, si troublante parce qu′elle ne paraît pas émaner de l′humanité, si décevante parce que tout de même elle ressemble trop à l′humanité, et que nous montrent les photographies spirites. Il n′est pas, d′une façon plus générale, jusqu′à la nullité des propos tenus par les personnes au milieu desquelles nous vivons qui ne nous donne l′impression du surnaturel, dans notre pauvre monde de tous les jours où même un homme de génie de qui nous attendons, rassemblés comme autour d′une table tournante, le secret de l′infini, prononce seulement ces paroles, les mêmes qui venaient de sortir des lèvres de Bloch: «Qu′on fasse attention à mon chapeau haut de forme.»
On the occasion of this first call which, after leaving Saint-Loup, I went to pay on Mme. Villeparisis, following the advice given by M. de Norpois to my father, I found her in her drawing-room hung with yellow silk, against which the sofas and the admirable armchairs upholstered in Beauvais tapestry stood out with the almost purple redness of ripe raspberries. Side by side with the Guermantes and Villeparisis portraits one saw those — gifts from the sitters themselves — of Queen Marie-Amélie, the Queen of the Belgians, the Prince de Joinville and the Empress of Austria. Mme. de Villeparisis herself, capped with an old-fashioned bonnet of black lace (which she preserved with the same instinctive sense of local or historical colour as a Breton inn-keeper who, however Parisian his customers may have become, feels it more in keeping to make his maids dress in coifs and wide sleeves), was seated at a little desk on which in front of her, as well as her brushes, her palette and an unfinished flower-piece in water-colours, were arranged in glasses, in saucers, in cups, moss-roses, zinnias, maidenhair ferns, which on account of the sudden influx of callers she had just left off painting, and which had the effect of being piled on a florist′s counter in some eighteenth-century mezzotint. In this drawing-room, which had been slightly heated on purpose because the Marquise had caught cold on the journey from her house in the country, there were already when I arrived a librarian with whom Mme. de Villeparisis had spent the morning in selecting the autograph letters to herself from various historical personages which were to figure in facsimile as documentary evidence in the Memoirs which she was preparing for the press, and a historian, solemn and tongue-tied, who hearing that she had inherited and still possessed a portrait of the Duchesse de Montmorency, had come to ask her permission to reproduce it as a plate in his work on the Fronde; a party strengthened presently by the addition of my old friend Bloch, now a rising dramatist, upon whom she counted to secure the gratuitous services of actors and actresses at her next series of afternoon parties. It was true that the social kaleidoscope was in the act of turning and that the Dreyfus case was shortly to hurl the Jews down to the lowest rung of the social ladder. But, for one thing, the anti-Dreyfus cyclone might rage as it would, it is not in the first hour of a storm that the waves are highest. In the second place, Mme. de Villeparisis, leaving a whole section of her family to fulminate against the Jews, had hitherto kept herself entirely aloof from the Case and never gave it a thought. Lastly, a young man like Bloch, whom no one knew, might pass unperceived, whereas leading Jews, representatives of their party, were already threatened. He had his chin pointed now by a goat-beard, wore double glasses and a long frock coat, and carried a glove like a roll of papyrus in his hand. The Rumanians, the Egyptians, the Turks may hate the Jews. But in a French drawing-room the differences between those peoples are not so apparent, and an Israelite making his entry as though he were emerging from the heart of the desert, his body crouching like a hyaena′s, his neck thrust obliquely forward, spreading himself in profound ‘salaams,′ completely satisfies a certain taste for the oriental. Only it is essential that the Jew should not be actually ‘in′ society, otherwise he will readily assume the aspect of a lord and his manners become so Gallicised that on his face a rebellious nose, growing like a nasturtium in any but the right direction, will make one think rather of Mascarille′s nose than of Solomon′s. But Bloch, not having been rendered supple by the gymnastics of the Faubourg, nor ennobled by a crossing with England or Spain, remained for a lover of the exotic as strange and savoury a spectacle, in spite of his European costume, as one of Decamps′s Jews. Marvellous racial power which from the dawn of time thrusts to the surface, even in modern Paris, on the stage of our theatres, behind the pigeonholes of our public offices, at a funeral, in the street, a solid phalanx, setting their mark upon our modern ways of hairdressing, absorbing, making us forget, disciplining the frock coat which on them remains not at all unlike the garment in which Assyrian scribes are depicted in ceremonial attire on the frieze of a monument at Susa before the gates of the Palace of Darius. (Later in the afternoon Bloch might have imagined that it was out of anti-semitic malice that M. de Charlus inquired whether his first name was Jewish, whereas it was simply from aesthetic interest and love of local colour.) But, to revert for a moment, when we speak of racial persistence we do not accurately convey the impression we receive from Jews, Greeks, Persians, all those peoples whom it is better to leave with their differences. We know from classical paintings the faces of the ancient Greeks, we have seen Assyrians on the walls of a palace at Susa. And so we feel, on encountering in a Paris drawing-room Orientals belonging to one or another group, that we are in the presence of creatures whom the forces of necromancy must have called to life. We knew hitherto only a superficial image; behold it has gained depth, it extends into three dimensions, it moves. The young Greek lady, daughter of a rich banker and the latest favourite of society, looks exactly like one of those dancers who in the chorus of a ballet at once historical and aesthetic symbolise in flesh and blood the art of Hellas; and yet in the theatre the setting makes these images somehow trite; the spectacle, on the other hand, to which the entry into a drawing-room of a Turkish lady or a Jewish gentleman admits us, by animating their features makes them appear stranger still, as if they really were creatures evoked by the effort of a medium. It is the soul (or rather the pigmy thing to which — up to the present, at any rate — the soul is reduced in this sort of materialisation), it is the soul of which we have caught glimpses hitherto in museums alone, the soul of the ancient Greeks, of the ancient Hebrews, torn from a life at once insignificant and transcendental, which seems to be enacting before our eyes this disconcerting pantomime. In the young Greek lady who is leaving the room what we seek in vain to embrace is the figure admired long ago on the side of a vase. I felt that if I had in the light of Mme. de Villeparisis′s drawing-room taken photographs of Bloch, they would have furnished of Israel the same image — so disturbing because it does not appear to emanate from humanity, so deceiving because all the same it is so strangely like humanity — which we find in spirit photographs. There is nothing, to speak more generally, not even the insignificance of the remarks made by the people among whom we spend our lives, that does not give us a sense of the supernatural, in our everyday world where even a man of genius from whom we expect, gathered as though around a turning-table, to learn the secret of the Infinite utters only these words — the same that had just issued from the lips of Bloch: “Take care of my top hat.”
— Mon Dieu, les ministres, mon cher monsieur, était en train de dire Mme de Villeparisis s′adressant plus particulièrement à mon ancien camarade, et renouant le fil d′une conversation que mon entrée avait interrompue, personne ne voulait les voir. Si petite que je fusse, je me rappelle encore le roi priant mon grand-père d′inviter M. Decazes à une redoute où mon père devait danser avec la duchesse de Berry. «Vous me ferez plaisir, Florimond», disait le roi. Mon grand-père, qui était un peu sourd, ayant entendu M. de Castries, trouvait la demande toute naturelle. Quand il comprit qu′il s′agissait de M. Decazes, il eut un moment de révolte, mais s′inclina et écrivit le soir même à M. Decazes en le suppliant de lui faire la grâce et l′honneur d′assister à son bal qui avait lieu la semaine suivante. Car on était poli, monsieur, dans ce temps-là, et une maîtresse de maison n′aurait pas su se contenter d′envoyer sa carte en ajoutant à la main: «une tasse de thé», ou «thé dansant», ou «thé musical». Mais si on savait la politesse on n′ignorait pas non plus l′impertinence. M. Decazes accepta, mais la veille du bal on apprenait que mon grand-père se sentant souffrant avait décommandé la redoute. Il avait obéi au roi, mais il n′avait pas eu M. Decazes à son bal. . . . — Oui, monsieur, je me souviens très bien de M. Molé, c′était un homme d′esprit, il l′a prouvé quand il a reçu M. de Vigny à l′Académie, mais il était très solennel et je le vois encore descendant dîner chez lui son chapeau haut de forme à la main.
“Oh, Ministers, my dear sir,” Mme. de Villeparisis was saying, addressing herself specially to my friend, and picking up the thread of a conversation which had been broken by my arrival: “nobody ever wanted to see them. I was only a child at the time, but I can remember so well the King begging my grandfather to invite M. Decazes to a rout at which my father was to dance with the Duchesse de Berry. ‘It will give me pleasure, Florimond,′ said the King. My grandfather, who was a little deaf, thought he had said M. de Castries, which seemed a perfectly natural thing to ask. When he understood that it was M. Decazes, he was furious at first, but he gave in, and wrote a note the same evening to M. Decazes, begging him to pay my grandfather the compliment and give him the honour of his presence at the ball which he was giving the following week. For we were polite, sir, in those days, and no hostess would have dreamed of simply sending her card and writing on it ‘Tea′ or ‘Dancing′ or ‘Music.′ But if we understood politeness we were not incapable of impertinence either. M. Decazes accepted, but the day before the ball it was given out that my grandfather felt indisposed and had cancelled his invitations. He had obeyed the King, but he had not had M. Decazes at his ball. . . . Yes, sir, I remember M. Mole very well, he was a clever man — he shewed that in his reception of M. de Vigny at the Academy — but he was very pompous, and I can see him now coming downstairs to dinner in his own house with his tall hat in his hand.”
— Ah! c′est bien évocateur d′un temps assez pernicieusement philistin, car c′était sans doute une habitude universelle d′avoir son chapeau à la main chez soi, dit Bloch, désireux de profiter de cette occasion si rare de s′instruire, auprès d′un témoin oculaire, des particularités de la vie aristocratique d′autrefois, tandis que l′archiviste, sorte de secrétaire intermittent de la marquise, jetait sur elle des regards attendris et semblait nous dire: «Voilà comme elle est, elle sait tout, elle a connu tout le monde, vous pouvez l′interroger sur ce que vous voudrez, elle est extraordinaire.»
“Ah! that is typically suggestive of what must have been a pretty perniciously philistine epoch, for it was no doubt a universal habit to carry one′s hat in one′s hand in one′s own house,” observed Bloch, anxious to make the most of so rare an opportunity of learning from an eyewitness details of the aristocratic life of another day, while the librarian, who was a sort of intermittent secretary to the Marquise, gazed at her tenderly as though he were saying to the rest of us: “There, you see what she′s like, she knows everything, she has met everybody, you can ask her anything you like, she′s quite amazing.”
— Mais non, répondit Mme de Villeparisis tout en disposant plus près d′elle le verre où trempaient les cheveux de Vénus que tout à l′heure elle recommencerait à peindre, c′était une habitude à M. Molé, tout simplement. Je n′ai jamais vu mon père avoir son chapeau chez lui, excepté, bien entendu, quand le roi venait, puisque le roi étant partout chez lui, le maître de la maison n′est plus qu′un visiteur dans son propre salon.
“Oh, dear, no,” replied Mme. de Villeparisis, drawing nearer to her as she spoke the glass containing the maidenhair which presently she would begin again to paint, “it was a habit M. Mole had; that was all. I never saw my father carry his hat in the house, except of course when the King came, because the King being at home wherever he is the master of the house is only a visitor then in his own drawing-room.”
— Aristote nous a dit dans le chapitre II . . ., hasarda M. Pierre, l′historien de la Fronde, mais si timidement que personne n′y fit attention. Atteint depuis quelques semaines d′insomnie nerveuse qui résistait à tous les traitements, il ne se couchait plus et, brisé de fatigue, ne sortait que quand ses travaux rendaient nécessaire qu′il se déplaçât. Incapable de recommencer souvent ces expéditions si simples pour d′autres mais qui lui coûtaient autant que si pour les faire il descendait de la lune, il était surpris de trouver souvent que la vie de chacun n′était pas organisée d′une façon permanente pour donner leur maximum d′utilité aux brusques élans de la sienne. Il trouvait parfois fermée une bibliothèque qu′il n′était allé voir qu′en se campant artificiellement debout et dans une redingote comme un homme de Wells. Par bonheur il avait rencontré Mme de Villeparisis chez elle et allait voir le portrait.
“Aristotle tells us in the second chapter of . . . ” ventured M. Pierre, the historian of the Fronde, but so timidly that no one paid any attention. Having been suffering for some weeks from a nervous insomnia which resisted every attempt at treatment, he had given up going to bed, and, half-dead with exhaustion, went out only whenever his work made it imperative. Incapable of repeating at all often these expeditions which, simple enough for other people, cost him as much effort as if, to make them, he was obliged to come down from the moon, he was surprised to be brought up so frequently against the fact that other people′s lives were not organised on a constant and permanent basis so as to furnish the maximum utility to the sudden outbursts of his own. He sometimes found the doors shut of a library which he had reached only after setting himself artificially on his feet and in a frock coat like some automaton in a story by Mr. Wells. Fortunately he had found Mme. de Villeparisis at home and was going to be shewn the portrait.
Bloch lui coupa la parole.
Meanwhile he was cut short by Bloch.
— Vraiment, dit-il en répondant à ce que venait de dire Mme de Villeparisis au sujet du protocole réglant les visites royales, je ne savais absolument pas cela — comme s′il était étrange qu′il ne le sût pas.
“Indeed,” the latter remarked, referring to what Mme. de Villeparisis had said as to the etiquette for royal visits. “Do you know, I never knew that,” as though it were strange that he should not have known it always.
— A propos de ce genre de visites, vous savez la plaisanterie stupide que m′a faite hier matin mon neveu Basin? demanda Mme de Villeparisis à l′archiviste. Il m′a fait dire, au lieu de s′annoncer, que c′était la reine de Suède qui demandait à me voir.
“Talking of that sort of visit, you heard the stupid joke my nephew Basin played on me yesterday morning?” Mme. de Villeparisis asked the librarian. “He told my people, instead of announcing him, to say that it was the Queen of Sweden who had called to see me.”
— Ah! il vous a fait dire cela froidement comme cela! Il en a de bonnes! s′écria Bloch en s′esclaffant, tandis que l′historien souriait avec une timidité majestueuse.
“What! He made them tell you just like that! I say, he must have a nerve,” exclaimed Bloch with a shout of laughter, while the historian smiled with a stately timidity.
— J′étais assez étonnée parce que je n′étais revenue de la campagne que depuis quelques jours; j′avais demandé pour être un peu tranquille qu′on ne dise à personne que j′étais à Paris, et je me demandais comment la reine de Suède le savait déjà, reprit Mme de Villeparisis laissant ses visiteurs étonnés qu′une visite de la reine de Suède ne fût en elle-même rien d′anormal pour leur hôtesse.
“I was quite surprised, because I had only been back from the country a few days; I had specially arranged, just to be left in peace for a little, that no one was to be told that I was in Paris, and I asked myself how the Queen of Sweden could have heard so soon,” went on Mme. de Villeparisis, leaving her guests amazed to find that a visit from the Queen of Sweden was in itself nothing out of the common to their hostess.
Certes si le matin Mme de Villeparisis avait compulsé, avec l′archiviste la documentation de ses Mémoires, en ce moment elle en essayait à son insu le mécanisme et le sortilège sur un public moyen, représentatif de celui où se recruteraient un jour ses lecteurs. Le salon de Mme de Villeparisis pouvait se différencier d′un salon véritablement élégant d′où auraient été absentes beaucoup de bourgeoises qu′elle recevait et où on aurait vu en revanche telles des dames brillantes que Mme Leroi avait fini par attirer, mais cette nuance n′est pas perceptible dans ses Mémoires, où certaines relations médiocres qu′avait l′auteur disparaissent, parce qu′elles n′ont pas l′occasion d′y être citées; et des visiteuses qu′il n′avait pas n′y font pas faute, parce que dans l′espace forcément restreint qu′offrent ces Mémoires, peu de personnes peuvent figurer, et que si ces personnes sont des personnages princiers, des personnalités historiques, l′impression maximum d′élégance que des Mémoires puissent donner au public se trouve atteinte. Au jugement de Mme Leroi, le salon de Mme de Villeparisis était un salon de troisième ordre; et Mme de Villeparisis souffrait du jugement de Mme Leroi. Mais personne ne sait plus guère aujourd′hui qui était Mme Leroi, son jugement s′est évanoui, et c′est le salon de Mme de Villeparisis, où fréquentait la reine de Suède, où avaient fréquenté le duc d′Aumale, le duc de Broglie, Thiers, Montalembert, Mgr Dupanloup, qui sera considéré comme un des plus brillants du XIXe siècle par cette postérité qui n′a pas changé depuis les temps d′Homère et de Pindare, et pour qui le rang enviable c′est la haute naissance, royale ou quasi royale, l′amitié des rois, des chefs du peuple, des hommes illustres.
Earlier in the day Mme. de Villeparisis might have been collaborating with the librarian in arranging the illustrations to her Memoirs; now she was, quite unconsciously, trying their effect on an average public typical of that from which she would eventually have to enlist her readers. Hers might be different in many ways from a really fashionable drawing-room in which you would have been struck by the absence of a number of middle dass ladies to whom Mme. de Villeparisis was ‘at home,′ and would have noticed instead such brilliant leaders of fashion as Mme. Leroi had in course of time managed to secure, but this distinction is not perceptible in her Memoirs, from which certain unimportant friendships of the author have disappeared because there is never any occasion to refer to them; while the absence of those who did not come to see her leaves no gap because, in the necessarily restricted space at the author′s disposal, only a few persons can appear, and if these persons are royal personages, historic personalities, then the utmost impression of distinction which any volume of memoirs can convey to the public is achieved. In the opinion of Mme. Leroi, Mme. de Villeparisis′s parties were third-rate; and Mme. de Villeparisis felt the sting of Mme. Leroi′s opinion. But hardly anyone to-day remembers who Mme. Leroi was, her opinions have vanished into thin air, and it is the drawing-room of Mme. de Villeparisis, frequented as it was by the Queen of Sweden, and as it had been by the Due d′Aumale, the Duc de Broglie, Thiers, Montalembert, Mgr. Dupanloup, which will be looked upon as one of the most brilliant of the nineteenth century by that posterity which has not changed since the days of Homer and Pindar, and for which the enviable things are exalted birth, royal or quasi-royal, and the friendship of kings, the leaders of the people and other eminent men.
Or, de tout cela Mme de Villeparisis avait un peu dans son salon actuel et dans les souvenirs, quelquefois retouchés légèrement, à l′aide desquels elle le prolongeait dans le passé. Puis M. de Norpois, qui n′était pas capable de refaire une vraie situation à son amie, lui amenait en revanche les hommes d′État étrangers ou français qui avaient besoin de lui et savaient que la seule manière efficace de lui faire leur cour était de fréquenter chez Mme de Villeparisis. Peut-être Mme Leroi connaissait-elle aussi ces éminentes personnalités européennes. Mais en femme agréable et qui fuit le ton des bas bleus elle se gardait de parler de la question d′Orient aux premiers ministres aussi bien que de l′essence de l′amour aux romanciers et aux philosophes. «L′amour? avait-elle répondu une fois à une dame prétentieuse qui lui avait demandé: «Que pensez-vous de l′amour?» L′amour? je le fais souvent mais je n′en parle jamais.» Quand elle avait chez elle de ces célébrités de la littérature et de la politique elle se contentait, comme la duchesse de Guermantes, de les faire jouer au poker. Ils aimaient souvent mieux cela que les grandes conversations à idées générales où les contraignait Mme de Villeparisis. Mais ces conversations, peut-être ridicules dans le monde, ont fourni aux «Souvenirs» de Mme de Villeparisis de ces morceaux excellents, de ces dissertations politiques qui font bien dans des Mémoires comme dans les tragédies à la Corneille. D′ailleurs les salons des Mme de Villeparisis peuvent seuls passer à la postérité parce que les Mme Leroi ne savent pas écrire, et le sauraient-elles, n′en auraient pas le temps. Et si les dispositions littéraires des Mme de Villeparisis sont la cause du dédain des Mme Leroi, à son tour le dédain des Mme Leroi sert singulièrement les dispositions littéraires des Mme de Villeparisis en faisant aux dames bas bleus le loisir que réclame la carrière des lettres. Dieu qui veut qu′il y ait quelques livres bien écrits souffle pour cela ces dédains dans le coeur des Mme Leroi, car il sait que si elles invitaient à dîner les Mme de Villeparisis, celles-ci laisseraient immédiatement leur écritoire et feraient atteler pour huit heures.
Now of all this Mme. de Villeparisis had her share in the people who still came to her house and in the memories — sometimes slightly ‘touched up′— by means of which she extended her social activity into the past. And then there was M. de Norpois who, while unable to restore his friend to any substantial position in society, did indeed bring to her house such foreign or French statesmen as might have need of his services and knew that the only effective method of securing them was to pay court to Mme. de Villeparisis. Possibly Mme. Leroi also knew these European celebrities. But, as a well-mannered woman who avoids anything that suggests the bluestocking, she would as little have thought of mentioning the Eastern question to her Prime Ministers as of discussing the nature of love with her novelists and philosophers. “Love?” she had once replied to a pushing lady who had asked her: “What are your views on love?”—“Love? I make it, constantly, but I never talk about it.” When she had any of these literary or political lions in her house she contented herself, as did the Duchesse de Guermantes, with setting them down to play poker. They often preferred this to the serious conversations on general ideas in which Mme. de Villeparisis forced them to engage. But these conversations, ridiculous as in the social sense they may have been, have furnished the Memoirs of Mme. de Villeparisis with those admirable passages, those dissertations on politics which read so well in volumes of autobiography, as they do in Corneille′s tragedies. Furthermore, the parties of the Villeparisis of this world are alone destined to be handed down to posterity, because the rerois of this world cannot write, and, if they could, would not have the time. And if the literary bent of the Villeparisis is the cause of the Lerois′ disdain, the disdain of the Lerois does, in its turn, a singular service to the literary bent of the Villeparisis by affording the bluestockings that leisure which the career of letters requires. God, Whose Will it is that there should be a few books in the world well written, breathes with that purpose such disdain into the hearts of the Lerois, for He knows that if these should invite the Villeparisis to dinner the latter would at once rise from their writing tables and order their carriages to be round at eight.
Au bout d′un instant entra d′un pas lent et solennel une vieille dame d′une haute taille et qui, sous son chapeau de paille relevé, laissait voir une monumentale coiffure blanche à la Marie–Antoinette. Je ne savais pas alors qu′elle était une des trois femmes qu′on pouvait observer encore dans la société parisienne et qui, comme Mme de Villeparisis, tout en étant d′une grande naissance, avaient été réduites, pour des raisons qui se perdaient dans la nuit des temps et qu′aurait pu nous dire seul quelque vieux beau de cette époque, à ne recevoir qu′une lie de gens dont on ne voulait pas ailleurs. Chacune de ces dames avait sa «duchesse de Guermantes», sa nièce brillante qui venait lui rendre des devoirs, mais ne serait pas parvenue à attirer chez elle la «duchesse de Guermantes» d′une des deux autres. Mme de Villeparisis était fort liée avec ces trois dames, mais elle ne les aimait pas. Peut-être leur situation assez analogue à la sienne lui en présentait-elle une image qui ne lui était pas agréable. Puis aigries, bas bleus, cherchant, par le nombre des saynètes qu′elles faisaient jouer, à se donner l′illusion d′un salon, elles avaient entre elles des rivalités qu′une fortune assez délabrée au cours d′une existence peu tranquille forçait à compter, à profiter du concours gracieux d′un artiste, en une sorte de lutte pour la vie. De plus la dame à la coiffure de Marie–Antoinette, chaque fois qu′elle voyait Mme de Villeparisis, ne pouvait s′empêcher de penser que la duchesse de Guermantes n′allait pas à ses vendredis. Sa consolation était qu′à ces mêmes vendredis ne manquait jamais, en bonne parente, la princesse de Poix, laquelle était sa Guermantes à elle et qui n′allait jamais chez Mme de Villeparisis quoique Mme de Poix fût amie intime de la duchesse.
Presently there came into the room, with slow and solemn step, an oid lady of tall stature who, beneath the raised brim of her straw hat, revealed a monumental pile of snowy hair in the style of Marie-Antoinette. I did not then know that she was one of three women who were still to be seen in Parisian society and who, like Mme. de Villeparisis, while all of the noblest birth, had been reduced, for reasons which were IKJW lost in the night of time and could have been told us only by some old gallant of their period, to entertaining only certain of the dregs of society who were not sought after elsewhere. Each of these ladies had her own ‘Duchesse de Guermantes,′ the brilliant niece who came regularly to pay her respects, but none of them could have succeeded in attracting to her house the ‘Duchesse de Guermantes′ of either of the others. Mme. de Villeparisis was on the best of terms with these three ladies, but she did not like them. Perhaps the similarity between their social position and her own gave her an impression of them which was not pleasing. Besides, soured bluestockings as they were, seeking by the number and frequency of the drawing-room comedies which they arranged in their houses to give themselves the illusion of a regular salon, there had grown up among them a rivalry which the decay of her fortune in the course of a somewhat tempestuous existence reduced for each of them, when it was a question of securing the kind assistance of a professional actor or actress, into a sort of struggle for life. Furthermore, the lady with the Mark-Antoinette hair, whenever she set eyes on Mme. de Villeparisis, could not help being reminded of the fact that the Duchesse de Guermantes did not come to her Fridays. Her consolation was that at these same Fridays she could always count on having, blood being thicker than water, the Princesse de Poix, who was her own personal Guermantes, and who never went near Mme. de Villeparisis, albeit Mme. de Poix was an intimate friend of the Duchess.
Néanmoins de l′hôtel du quai Malaquais aux salons de la rue de Tournon, de la rue de la Chaise et du faubourg Saint–Honoré, un lien aussi fort que détesté unissait les trois divinités déchues, desquelles j′aurais bien voulu apprendre, en feuilletant quelque dictionnaire mythologique de la société, quelle aventure galante, quelle outrecuidance sacrilège, avaient amené la punition. La même origine brillante, la même déchéance actuelle entraient peut-être pour beaucoup dans telle nécessité qui les poussait, en même temps qu′à se haî°¬ à se fréquenter. Puis chacune d′elles trouvait dans les autres un moyen commode de faire des politesses à leurs visiteurs. Comment ceux-ci n′eussent-ils pas cru pénétrer dans le faubourg le plus fermé, quand on les présentait à une dame fort titrée dont la soeur avait épousé un duc de Sagan ou un prince de Ligne? D′autant plus qu′on parlait infiniment plus dans les journaux de ces prétendus salons que des vrais. Même les neveux «gratins» à qui un camarade demandait de les mener dans le monde (Saint–Loup tout le premier) disaient: «Je vous conduirai chez ma tante Villeparisis, ou chez ma tante X . . ., c′est un salon intéressant.» Ils savaient surtout que cela leur donnerait moins de peine que de faire pénétrer lesdits amis chez les nièces ou belles-soeurs élégantes de ces dames. Les hommes très âgés, les jeunes femmes qui l′avaient appris d′eux, me dirent que si ces vieilles dames n′étaient pas reçues, c′était à cause du dérèglement extraordinaire de leur conduite, lequel, quand j′objectai que ce n′est pas un empêchement à l′élégance, me fut représenté comme ayant dépassé toutes les proportions aujourd′hui connues. L′inconduite de ces dames solennelles qui se tenaient assises toutes droites prenait, dans la bouche de ceux qui en parlaient, quelque chose que je ne pouvais imaginer, proportionné à la grandeur des époques anté-historiques, à l′âge du mammouth. Bref ces trois Parques à cheveux blancs, bleus ou roses, avaient filé le mauvais coton d′un nombre incalculable de messieurs. Je pensai que les hommes d′aujourd′hui exagéraient les vices de ces temps fabuleux, comme les Grecs qui composèrent Icare, Thésée, Hercule avec des hommes qui avaient été peu différents de ceux qui longtemps après les divinisaient. Mais on ne fait la somme des vices d′un être que quand il n′est plus guère en état de les exercer, et qu′à la grandeur du châtiment social, qui commence à s′accomplir et qu′on constate seul, on mesure, on imagine, on exagère celle du crime qui a été commis. Dans cette galerie de figures symboliques qu′est le «monde», les femmes véritablement légères, les Messalines complètes, présentent toujours l′aspect solennel d′une dame d′au moins soixante-dix ans, hautaine, qui reçoit tant qu′elle peut, mais non qui elle veut, chez qui ne consentent pas à aller les femmes dont la conduite prête un peu à redire, à laquelle le pape donne toujours sa «rose d′or», et qui quelquefois a écrit sur la jeunesse de Lamartine un ouvrage couronné par l′Académie française. «Bonjour Alix», dit Mme de Villeparisis à la dame à coiffure blanche de Marie–Antoinette, laquelle dame jetait un regard perçant sur l′assemblée afin de dénicher s′il n′y avait pas dans ce salon quelque morceau qui pût être utile pour le sien et que, dans ce cas, elle devrait découvrir elle-même, car Mme de Villeparisis, elle n′en doutait pas, serait assez maligne pour essayer de le lui cacher. C′est ainsi que Mme de Villeparisis eut grand soin de ne pas présenter Bloch à la vieille dame de peur qu′il ne fît jouer la même saynète que chez elle dans l′hôtel du quai Malaquais. Ce n′était d′ailleurs qu′un rendu. Car la vieille dame avait eu la veille Mme Ristori qui avait dit des vers, et avait eu soin que Mme de Villeparisis à qui elle avait chipé l′artiste italienne ignorât l′événement avant qu′il fût accompli. Pour que celle-ci ne l′apprît pas par les journaux et ne s′en trouvât pas froissée, elle venait le lui raconter, comme ne se sentant pas coupable. Mme de Villeparisis, jugeant que ma présentation n′avait pas les mêmes inconvénients que celle de Bloch, me nomma à la Marie–Antoinette du quai. Celle-ci cherchant, en faisant le moins de mouvements possible, à garder dans sa vieillesse cette ligne de déesse de Coysevox qui avait, il y a bien des années, charmé la jeunesse élégante, et que de faux hommes de lettres célébraient maintenant dans des bouts rimés — ayant pris d′ailleurs l′habitude de la raideur hautaine et compensatrice, commune à toutes les personnes qu′une disgrâce particulière oblige à faire perpétuellement des avances — abaissa légèrement la tête avec une majesté glaciale et la tournant d′un autre côté ne s′occupa pas plus de moi que si je n′eusse pas existé. Son attitude à double fin semblait dire à Mme de Villeparisis: «Vous voyez que je n′en suis pas à une relation près et que les petits jeunes —à aucun point de vue, mauvaise langue — ne m′intéressent pas.» Mais quand, un quart d′heure après, elle se retira, profitant du tohu-bohu elle me glissa à l′oreille de venir le vendredi suivant dans sa loge, avec une des trois dont le nom éclatant — elle était d′ailleurs née Choiseul — me fit un prodigieux effet.
Nevertheless from the mansion on the Quai Malaquais to the drawing-rooms of the Rue de Tournon, the Rue de la Chaise and the Faubourg Saint-Honoré, a bond as compelling as it was hateful united the three fallen goddesses, as to whom I would fain have learned by searching in some dictionary of social mythology through what gallant adventure, what sacrilegious presumption, they had incurred their punishment. Their common brilliance of origin, the common decay of their present state entered largely, no doubt, into the necessity which compelled them, while hating one another, to frequent one another′s society. Besides, each of them found in the others a convenient way of being polite to her own guests. How should these fail to suppose that they had scaled the most inaccessible peak of the Faubourg when they were introduced to a lady with a string of titles whose sister was married to a Duc de Sagan or a Prince de Ligne? Especially as there was infinitely more in the newspapers about these sham salons than about the genuine ones. Indeed these old ladies′ ‘men about town′ nephews — and Saint-Loup the foremost of them — when asked by a friend to introduce him to people, would answer at once “I will take you to see my aunt Villeparisis,” (or whichever it was) “you meet interesting people there.” They knew very well that this would mean less trouble for themselves than trying to get the said friends invited by the smart nieces or sisters-in-law of these ladies. Certain very old men and young women who had heard it from those men, told me that if these ladies were no longer received in society it was because of the extraordinary irregularity of their conduct, which, when I objected that irregular conduct was not necessarily a barrier to social success, was represented to me as having gone far beyond anything that we know to-day. The misconduct of these solemn dames who held themselves so erect assumed on the lips of those who hinted at it something that I was incapable of imagining, proportionate to the magnitude of prehistoric days, to the age of the mammoth. In a word, these three Parcae with their white or blue or red locks had spun the fatal threads of an incalculable number of gentlemen. I felt that the people of to-day exaggerated the vices of those fabulous times, like the Greeks who created Icarus, Theseus, Heracles out of men who had been but little different from those who long afterwards deified them. But one does not tabulate the sum of a person′s vices until he has almost ceased to be in a fit state to practise them, when from the magnitude of his social punishment, which is then nearing the completion of its term and which alone one can estimate, one measures, one imagines, one exaggerates that of the crime that has been committed. In that gallery of symbolical figures which is ‘society,′ the really light women, the true Messalinas, invariably present the solemn aspect of a lady of at least seventy, with an air of lofty distinction, who entertains everyone she can but not everyone she would like to have, to whose house women will never consent to go whose own conduct falls in any way short of perfection, to whom the Pope regularly sends his Golden Rose, and who as often as not has written — on the early days of Lamartine — an essay that has been crowned by the French Academy. “How d′ye do, Alix?” Mme. de Villeparisis greeted the Marie-Antoinette lady, which lady cast a searching glance round the assembly to see whether there was not in this drawing-room any item that might be a valuable addition to her own, in which case she would have to discover it for herself, for Mme. de Villeparisis, she was sure, would be spiteful enough to try to keep it from her. Thus Mme. de Villeparisis took good care not to introduce Bloch to the old lady for fear of his being asked to produce the same play that he was arranging for her in the drawing-room of the Quai Malaquais. Besides it was only tit for tat. For, the evening before, the old lady had had Mme. Ristori, who had recited, and had taken care that Mme. de Villeparisis, from whom she had filched the Italian artist, should not hear of this function until it was over. So that she should not read it first in the newspapers and feel annoyed, the old lady had come ill nerson to tell her about it, shewing no sense of guilt. Mme. de Villeparisis, considering that an introduction of myself was not likely to have the same awkward results as that of Bloch, made me known to the Marie-Antoinette of the Quai Malaquais. The latter, who sought, by making the fewest possible movements, to preserve in her old age those lines, as of a Coysevox goddess, which had years ago charmed the young men of fashion and which spurious poets still celebrated in rhymed charades — and had acquired the habit of a lofty and compensating stiffness common to all those whom a personal degradation obliges to be continually making advances — just perceptibly lowered her head with a frigid majesty, and, turning the other way, took no more notice of me than if I had not existed. By this crafty attitude she seemed to be assuring Mme. de Villeparisis: “You see, I′m nowhere near him; please understand that I′m not interested — in any sense of the word, you old cat — in little boys.” But when, twenty minutes later, she left the room, taking advantage of the general conversation, she slipped into my ear an invitation to come to her box the following Friday with another of the three, whose high-sounding name — she had been born a Choiseul, moreover — had a prodigious effect on me.
— Monsieur, j′crois que vous voulez écrire quelque chose sur Mme la duchesse de Montmorency, dit Mme de Villeparisis à l′historien de la Fronde, avec cet air bougon dont, à son insu, sa grande amabilité était froncée par le recroquevillement boudeur, le dépit physiologique de la vieillesse, ainsi que par l′affectation d′imiter le ton presque paysan de l′ancienne aristocratie. J′vais vous montrer son portrait, l′original de la copie qui est au Louvre.
“I understand, sir, that you are thinkin′ of writin′ somethin′ about Mme. la Duchesse de Montmorency,” said Mme. de Villeparisis to the historian of the Fronde in that grudging tone which she allowed, quite unconsciously, to spoil the effect of her great and genuine kindness, a tone due to the shrivelling crossness, the sense of grievance that is a physiological accompaniment of age, as well as to the affectation of imitating the almost rustic speech of the old nobility: “I′m goin′ to let you see her portrait, the original of the copy they have in the Louvre.”
Elle se leva en posant ses pinceaux près de ses fleurs, et le petit tablier qui apparut alors à sa taille et qu′elle portait pour ne pas se salir avec ses couleurs, ajoutait encore à l′impression presque d′une campagnarde que donnaient son bonnet et ses grosses lunettes et contrastait avec le luxe de sa domesticité, du maître d′hôtel qui avait apporté le thé et les gâteaux, du valet de pied en livrée qu′elle sonna pour éclairer le portrait de la duchesse de Montmorency, abbesse dans un des plus célèbres chapitres de l′Est. Tout le monde s′était levé. «Ce qui est assez amusant, dit-elle, c′est que dans ces chapitres où nos grand′tantes étaient souvent abbesses, les filles du roi de France n′eussent pas été admises. C′étaient des chapitres très fermés. — Pas admises les filles du Roi, pourquoi cela? demanda Bloch stupéfait. — Mais parce que la Maison de France n′avait plus assez de quartiers depuis qu′elle s′était mésalliée.» L′étonnement de Bloch allait grandissant. «Mésalliée, la Maison de France? Comment ça? — Mais en s′alliant aux Médicis, répondit Mme de Villeparisis du ton le plus naturel. Le portrait est beau, n′est-ce pas? et dans un état de conservation parfaite», ajouta-t-elle.
She rose, laying down her brushes beside the flowers, and the little apron which then came into sight at her waist, and which she wore so as not to stain her dress with paints, added still further to the impression of an old peasant given by her bonnet and her big spectacles, and offered a sharp contrast to the luxury of her appointments, the butler who had brought in the tea and cakes, the liveried footman for whom she now rang to light up the portrait of the Duchesse de Montmorency, Abbess of one of the most famous Chapters in the East of France. Everyone had risen. “What is rather amusin′,” said our hostess, “is that in these Chapters where our great-aunts were so often made Abbesses, the daughters of the King of France would not have been admitted. They were very close corporations.” “Not admit the King′s daughters,” cried Bloch in amazement, “why ever not?” “Why, because the House of France had not enough quartering after that low marriage.” Bloch′s bewilderment increased. “A low marriage? The House of France? When was that?” “Why, when they married into the Medicis,” replied Mme. de Villeparisis in the most natural manner. “It′s a fine picture, ain′t it, and in a perfect state of preservation,” she added.
— Ma chère amie, dit la dame coiffée à la Marie–Antoinette, vous vous rappelez que quand je vous ai amené Liszt il vous a dit que c′était celui-là qui était la copie.
‘My dear,” put in the Marie-Antoinette lady, “surely you remember that when I brought Liszt to see you he said that it was this one that was the copy.”
— Je m′inclinerai devant une opinion de Liszt en musique, mais pas en peinture! D′ailleurs, il était déjà gâteux et je ne me rappelle pas qu′il ait jamais dit cela. Mais ce n′est pas vous qui me l′avez amené. J′avais dîné vingt fois avec lui chez la princesse de Sayn–Wittgenstein.
“I should bow to any opinion of Liszt on music, but not on painthe Besides, he was quite off his head then, and I don′t remember his ever saying anything of the sort. But it wasn′t you that brought him here. I had met him any number of times at dinner at Princess Sayn-Wittgenstein′s.”
Le coup d′Alix avait raté, elle se tut, resta debout et immobile. Des couches de poudre plâtrant son visage, celui-ci avait l′air d′un visage de pierre. Et comme le profil était noble, elle semblait, sur un socle triangulaire et moussu caché par le mantelet, la déesse effritée d′un parc.
Alix′s shot had missed fire; she stood silent, erect and motionless. Plastered with layers of powder, her face had the appearance of a face of stone. And, as the profile was noble, she seemed, on a triangular and moss-grown pedestal hidden by her cape, the time-worn stucco goddess of a park.
— Ah! voilà encore un autre beau portrait, dit l′historien.
“Ah, I see another fine portrait,” began the historian.
La porte s′ouvrit et la duchesse de Guermantes entra.
The door opened and the Duchesse de Guermantes entered the room.
— Tiens, bonjour, lui dit sans un signe de tête Mme de Villeparisis en tirant d′une poche de son tablier une main qu′elle tendit à la nouvelle arrivante; et cessant aussitôt de s′occuper d′elle pour se retourner vers l′historien: C′est le portrait de la duchesse de La Rochefoucauld. . . .
“Well, how are you?” Mme. de Villeparisis greeted her without moving her head, taking from her apron-pocket a hand which she held out to the newcomer; and then ceasing at once to take any notice of her niece, in order to return to the historian: “That is the portrait of the Duchesse de La Rochefoucauld. . . . ”
Un jeune domestique, à l′air hardi et à la figure charmante (mais rognée si juste pour rester aussi parfaite que le nez un peu rouge et la peau légèrement enflammée semblaient garder quelque trace de la récente et sculpturale incision) entra portant une carte sur un plateau.
A young servant with a bold manner and a charming face (but so finely chiselled, to ensure its perfection, that the nose was a little red and the rest of the skin slightly flushed as though they were still smarting from the recent and sculptural incision) came in bearing a card on a salver.
— C′est ce monsieur qui est déjà venu plusieurs fois pour voir Madame la Marquise.
“It is that gentleman who has been several times to see Mme. la Marquise.”
— Est-ce que vous lui avez dit que je recevais?
“Did you tell him I was at home?”
— Il a entendu causer.
“He heard the voices.”
— Eh bien! soit, faites-le entrer. C′est un monsieur qu′on m′a présenté, dit Mme de Villeparisis. Il m′a dit qu′il désirait beaucoup être reçu ici. Jamais je ne l′ai autorisé à venir. Mais enfin voilà cinq fois qu′il se dérange, il ne faut pas froisser les gens. Monsieur, me dit-elle, et vous, monsieur, ajouta-t-elle en désignant l′historien de la Fronde, je vous présente ma nièce, la duchesse de Guermantes.
“Oh, very well then, shew him in. It′s a man who was introduced to me,” she explained. “He told me he was very anxious to come to the house. I certainly never said he might. But here he′s taken the trouble to call five times now; it doesn′t do to hurt people′s feelings. Sir,” she went on to me, “and you, Sir,” to the historian of the Fronde, “let me introduce my niece, the Duchesse de Guermantes.”
L′historien s′inclina profondément ainsi que moi et, semblant supposer que quelque réflexion cordiale devait suivre ce salut, ses yeux s′animèrent et il s′apprêtait à ouvrir la bouche quand il fut refroidi par l′aspect de Mme de Guermantes qui avait profité de l′indépendance de son torse pour le jeter en avant avec une politesse exagérée et le ramener avec justesse sans que son visage et son regard eussent paru avoir remarqué qu′il y avait quelqu′un devant eux; après avoir poussé un léger soupir, elle se contenta de manifester de la nullité de l′impression que lui produisaient la vue de l′historien et la mienne en exécutant certains mouvements des ailes du nez avec une précision qui attestait l′inertie absolue de son attention désoeuvrée.
The historian made a low bow, as I did also, and since he seemed to suppose that some friendly remark ought to follow this salute, his eyes brightened and he was preparing to open his mouth when he was once more frozen by the sight of Mme. de Guermantes who had taken advantage of the independence of her torso to throw it forward with an exaggerated politeness and bring it neatly back to a position of rest without letting face or eyes appear to have noticed that anyone was standing before them; after breathing a gentle sigh she contented herself with manifesting the nullity of the impression that had been made on her by the sight of the historian and myself by performing certain movements of her nostrils with a precision that testified to the absolute inertia of her unoccupied attention.
Le visiteur importun entra, marchant droit vers Mme de Villeparisis, d′un air ingénu et fervent, c′était Legrandin.
The importunate visitor entered the room, making straight for Mme. de Villeparisis with an ingenuous, fervent air: it was Legrandin.
— Je vous remercie beaucoup de me recevoir, madame, dit-il en insistant sur le mot «beaucoup»: c′est un plaisir d′une qualité tout à fait rare et subtile que vous faites à un vieux solitaire, je vous assure que sa répercussion. . . .
“Thank you so very much for letting me come and see you,” he began, laying stress on the word ‘very.′ “It is a pleasure of a quality altogether rare and subtle that you confer on an old solitary; I assure you that its repercussion . . . ”
Il s′arrêta net en m′apercevant.
He stopped short on catching sight of me.
— Je montrais à monsieur le beau portrait de la duchesse de La Rochefoucauld, femme de l′auteur des Maximes[/i.>, il me vient de famille.
“I was just shewing this gentleman a fine portrait of the Duchesse de La Rochefoucauld, the wife of the author of the Maxims; it′s a family picture.”
Mme de Guermantes, elle, salua Alix, en s′excusant de n′avoir pu, cette année comme les autres, aller la voir. «J′ai eu de vos nouvelles par Madeleine», ajouta-t-elle.
Mme. de Guermantes meanwhile had greeted Alix, with apologies for not having been able, that year as in every previous year, to go and see her. “I hear all about you from Madeleine,” she added.
— Elle a déjeuné chez moi ce matin, dit la marquise du quai Malaquais avec la satisfaction de penser que Mme de Villeparisis n′en pourrait jamais dire autant.
“She was at luncheon with me to-day,” said the Marquise of the Quai Malaquais, with the satisfying reflexion that Mme. de Villeparisis could never say that.
Cependant je causais avec Bloch, et craignant, d′après ce qu′on m′avait dit du changement à son égard de son père, qu′il n′enviât ma vie, je lui dis que la sienne devait être plus heureuse. Ces paroles étaient de ma part un simple effet de l′amabilité. Mais elle persuade aisément de leur bonne chance ceux qui ont beaucoup d′amour-propre, ou leur donne le désir de persuader les autres. «Oui, j′ai en effet une vie délicieuse, me dit Bloch d′un air de béatitude. J′ai trois grands amis, je n′en voudrais pas un de plus, une maîtresse adorable, je suis infiniment heureux. Rare est le mortel à qui le Père Zeus accorde tant de félicités.» Je crois qu′il cherchait surtout à se louer et à me faire envie. Peut-être aussi y avait-il quelque désir d′originalité dans son optimisme. Il fut visible qu′il ne voulait pas répondre les mêmes banalités que tout le monde: «Oh! ce n′était rien, etc.» quand, à ma question: «Était-ce joli?» posée à propos d′une matinée dansante donnée chez lui et à laquelle je n′avais pu aller, il me répondit d′un air uni, indifférent comme s′il s′était agi d′un autre: «Mais oui, c′était très joli, on ne peut plus réussi. C′était vraiment ravissant.»
Meanwhile I had been talking to Bloch, and fearing, from what I had been told of his father′s change of attitude towards him, that he might be envying my life, I said to him that his must be the happier of the two. My remark was prompted solely by my desire to be friendly. But such friendliness readily convinces those who cherish a high opinion of themselves of their own good fortune, or gives them a desire to convince other people. “Yes, I do lead a delightful existence,” Bloch assured me with a beatified smile. “I have three great friends; I do not wish for one more; an adorable mistress; I am infinitely happy. Rare is the mortal to whom Father Zeus accords so much felicity.” I fancy that he was anxious principally to extol himself and to make me envious. Perhaps too there was some desire to shew originality in his optimism. It was evident that he did not wish to reply in the commonplace phraseology that everybody uses: “Oh, it was nothing, really,” and so forth, when, to my question: “Was it a good show?” put with regard to an afternoon dance at his house to which I had been prevented from going, he replied in a level, careless tone, as if the dance had been given by some one else: “Why, yes, it was quite a good show, couldn′t have been better. It was really charming!”
— Ce que vous nous apprenez là m′intéresse infiniment, dit Legrandin à Mme de Villeparisis, car je me disais justement l′autre jour que vous teniez beaucoup de lui par la netteté alerte du tour, par quelque chose que j′appellerai de deux termes contradictoires, la rapidité lapidaire et l′instantané immortel. J′aurais voulu ce soir prendre en note toutes les choses que vous dites; mais je les retiendrai. Elles sont, d′un mot qui est, je crois, de Joubert, amies de la mémoire. Vous n′avez jamais lu Joubert? Oh! vous lui auriez tellement plu! Je me permettrai dès ce soir de vous envoyer ses oeuvres, très fier de vous présenter son esprit. Il n′avait pas votre force. Mais il avait aussi bien de la grâce.
“What you have just told us interests me enormously,” said Legrandin to Mme. de Villeparisis, “for I was saying to myself only the other day that you shewed a marked likeness to him in the clear-cut turn of your speech, in a quality which I will venture to describe by two contradictory terms, monumental rapidity and immortal instantaneousness. I should have liked this afternoon to take down all the things you say; but I shall remember them. They are, in a phrase which comes, I think, from Joubert, friends of the memery. You have never read Joubert? Oh! he would have admired you so! I will take the liberty this evening of sending you a set of him, it is a privilege to make you a present of his mind. He had not your strength. But he had a great deal of charm all the same.”
J′avais voulu tout de suite aller dire bonjour à Legrandin, mais il se tenait constamment le plus éloigné de moi qu′il pouvait, sans doute dans l′espoir que je n′entendisse pas les flatteries qu′avec un grand raffinement d′expression, il ne cessait à tout propos de prodiguer à Mme de Villeparisis.
I would have gone up to Legrandin at once and spoken to him, but he kept as far away from me as he could, no doubt in the hope that I might not overhear the stream of flattery which, with a remarkable felicity of expression, he kept pouring out, whatever the topic, to Mme. de Villeparisis.
Elle haussa les épaules en souriant comme s′il avait voulu se moquer et se tourna vers l′historien.
She shrugged her shoulders, smiling, as though he had been trying to make fun of her, and turned to the historian.
— Et celle-ci, c′est la fameuse Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, qui avait épousé en premières noces M. de Luynes.
“And this is the famous Marie de Rohan, Duchesse de Chevreuse, who was married first of all to M. de Luynes.”
— Ma chère, Mme de Luynes me fait penser à Yolande; elle est venue hier chez moi; si j′avais su que vous n′aviez votre soirée prise par personne, je vous aurais envoyé chercher; Mme Ristori, qui est venue à l′improviste, a dit devant l′auteur des vers de la reine Carmen Sylva, c′était d′une beauté!
“My dear, speaking of Mme. de Luynes reminds me of Yolande; she came to me yesterday evening, and if I had known that you weren′t engaged I′d have sent round to ask you to come. Mme. Ristori turned up quite by chance, and recited some poems by Queen Carmen Sylva in the author′s presence. It was too beautiful!”
«Quelle perfidie! pensa Mme de Villeparisis. C′est sûrement de cela qu′elle parlait tout bas, l′autre jour, à Mme de Beaulaincourt et à Mme de Chaponay.»— J′étais libre, mais je ne serais pas venue, répondit-elle. J′ai entendu Mme Ristori dans son beau temps, ce n′est plus qu′une ruine. Et puis je déteste les vers de Carmen Sylva. La Ristori est venue ici une fois, amenée par la duchesse d′Aoste, dire un chant de l′Enfer, de Dante. Voilà où elle est incomparable.
“What treachery!” thought Mme. de Villeparisis. “Of course that was what she was whispering about the other day to Mme. de Beaulaincourt and Mme. de Chaponay. I had no engagement,” she replied, “but I should not have come. I heard Ristori in her great days, she′s a mere wreck now. Besides I detest Carmen Sylva′s poetry. Ristori came here once, the Duchess of Aosta brought her, to recite a canto of the Inferno, by Dante. In that sort of thing she′s incomparable.”
Alix supporta le coup sans faiblir. Elle restait de marbre. Son regard était perçant et vide, son nez noblement arqué. Mais une joue s′écaillait. Des végétations légères, étranges, vertes et roses, envahissaient le menton. Peut-être un hiver de plus la jetterait bas.
Alix bore the blow without flinching. She remained marble. Her gaze was piercing and blank, her nose proudly arched. But the surface of one cheek was scaling. A faint, strange vegetation, green and pink, was invading her chin. Perhaps another winter would level her with the dust.
— Tenez, monsieur, si vous aimez la peinture, regardez le portrait de Mme de Montmorency, dit Mme de Villeparisis à Legrandin pour interrompre les compliments qui recommençaient.
“Now, sir, if you are fond of painting, look at the portrait of Mme, de Montmorency,” Mme. de Villeparisis said to Legrandin, to stop the flow of compliments which was beginning again.
Profitant de ce qu′il s′était éloigné, Mme de Guermantes le désigna à sa tante d′un regard ironique et interrogateur.
Seizing her opportunity, while his back was turned, Mme. de Guermantes pointed to him, with an ironical, questioning look at her aunt.
— C′est M. Legrandin, dit à mi-voix Mme de Villeparisis; il a une soeur qui s′appelle Mme de Cambremer, ce qui ne doit pas, du reste, te dire plus qu′à moi.
“It′s M. Legrandin,” murmured Mme. de Villeparisis, “he has a sister called Mme. de Cambremer, not that that conveys any more to you than it does to me.”
— Comment, mais je la connais parfaitement, s′écria en mettant sa main devant sa bouche Mme de Guermantes. Ou plutôt je ne la connais pas, mais je ne sais pas ce qui a pris à Basin, qui rencontre Dieu sait où le mari, de dire à cette grosse femme de venir me voir. Je ne peux pas vous dire ce que ç‘a été que sa visite. Elle m′a raconté qu′elle était allée à Londres, elle m′a énuméré tous les tableaux du British. Telle que vous me voyez, en sortant de chez vous je vais fourrer un carton chez ce monstre. Et ne croyez pas que ce soit des plus faciles, car sous prétexte qu′elle est mourante elle est toujours chez elle et, qu′on y aille à sept heures du soir ou à neuf heures du matin, elle est prête à vous offrir des tartes aux fraises.
“What! Oh, but I know her quite well!” exclaimed Mme. de Guermantes, and put her hand over her lips. “That is to say, I don′t know her, but for some reason or other Basin, who meets the husband heaven knows where, took it into his head to tell the wretched woman she might call on me. And she did. I can′t tell you what it was like. She informed me that she had been to London, and gave me a complete catalogue of all the things in the British Museum. And this very day, the moment I leave your house, I′m going, just as you see me now, to drop a card on the monster. And don′t for a moment suppose that it′s an easy thing to do. On the pretence that she′s dying of some disease she′s always at home, it doesn′t matter whether you arrive at seven at night or nine in the morning, she′s ready for you with a dish of strawberry tarts.
— Mais bien entendu, voyons, c′est un monstre, dit Mme de Guermantes à un regard interrogatif de sa tante. C′est une personne impossible: elle dit «plumitif», enfin des choses comme ça. — Qu′est-ce que ça veut dire «plumitif»? demanda Mme de Villeparisis à sa nièce? — Mais je n′en sais rien! s′écria la duchesse avec une indignation feinte. Je ne veux pas le savoir. Je ne parle pas ce français-là. Et voyant que sa tante ne savait vraiment pas ce que voulait dire plumitif, pour avoir la satisfaction de montrer qu′elle était savante autant que puriste et pour se moquer de sa tante après s′être moquée de Mme de Cambremer:— Mais si, dit-elle avec un demi-rire, que les restes de la mauvaise humeur jouée réprimaient, tout le monde sait ça, un plumitif c′est un écrivain, c′est quelqu′un qui tient une plume. Mais c′est une horreur de mot. C′est à vous faire tomber vos dents de sagesse. Jamais on ne me ferait dire ça.
“No, but seriously, you know, she is a monstrosity,” Mme. de Guermantes replied to a questioning glance from her aunt. “She′s an impossible person, she talks about ‘plumitives′ and things like that.” “What does ‘plumitive′ mean?” asked Mme. de Villeparisis. “I haven′t the slightest idea!” cried the Duchess in mock indignation. “I don′t want to know. I don′t speak that sort of language.” And seeing that her aunt really did not know what a plumitive was, to give herself the satisfaction of shewing that she was a scholar as well as a purist, and to make fun of her aunt, now, after making fun of Mme. de Cambremer: “Why, of course,” she said, with a half-laugh which the last traces of her pretended ill humour kept in check, “everybody knows what it means; a plumitive is a writer, a person who holds a pen. But it′s a dreadful word. It′s enough to make your wisdom teeth drop out. Nothing will ever make me use words like that.
— Comment, c′est le frère! je n′ai pas encore réalisé. Mais au fond ce n′est pas incompréhensible. Elle a la même humilité de descente de lit et les mêmes ressources de bibliothèque tournante. Elle est aussi flagorneuse que lui et aussi embêtante. Je commence à me faire assez bien à l′idée de cette parenté.
“And so that′s the brother, is it? I hadn′t realized that yet. But after all it′s not inconceivable. She has the same doormat docility and the same mass of information like a circulating library. She′s just as much of a flatterer as he is, and just as boring. Yes, I′m beginning to see the family likeness now quite plainly.”
— Assieds-toi, on va prendre un peu de thé, dit Mme de Villeparisis à Mme de Guermantes, sers-toi toi-même, toi tu n′as pas besoin de voir les portraits de tes arrière-grand′mères, tu les connais aussi bien que moi.
“Sit down, we′re just going to take a dish of tea,” said Mme. de Villeparisis to her niece. “Help yourself; you don′t want to look at the pictures of your great-grandmothers, you know them as well as I do.”
Mme de Villeparisis revint bientôt s′asseoir et se mit à peindre. Tout le monde se rapprocha, j′en profitai pour aller vers Legrandin et, ne trouvant rien de coupable à sa présence chez Mme de Villeparisis, je lui dis sans songer combien j′allais à la fois le blesser et lui faire croire à l′intention de le blesser: «Eh bien, monsieur, je suis presque excusé d′être dans un salon puisque je vous y trouve.» M. Legrandin conclut de ces paroles (ce fut du moins le jugement qu′il porta sur moi quelques jours plus tard) que j′étais un petit être foncièrement méchant qui ne se plaisait qu′au mal.
Presently Mme. de Villeparisis sat down again at her desk and went on with her painting. The rest of the party gathered round her, and I took the opportunity to go up to Legrandin and, seeing no harm myself in his presence in Mme. de Villeparisis′s drawing-room and never dreaming how much my words would at once hurt him and make him believe that I had deliberately intended to hurt him, say: “Well, sir, I am almost excused for coming to a tea-party when I find you here too.” M. Legrandin concluded from this speech (at least this was the opinion which he expressed of me a few days later) that I was a thoroughly spiteful little wretch who delighted only in doing mischief.
«Vous pourriez avoir la politesse de commencer par me dire bonjour», me répondit-il, sans me donner la main et d′une voix rageuse et vulgaire que je ne lui soupçonnais pas et qui, nullement en rapport rationnel avec ce qu′il disait d′habitude, en avait un autre plus immédiat et plus saisissant avec quelque chose qu′il éprouvait. C′est que, ce que nous éprouvons, comme nous sommes décidés à toujours le cacher, nous n′avons jamais pensé à la façon dont nous l′exprimerions. Et tout d′un coup, c′est en nous une bête immonde et inconnue qui se fait entendre et dont l′accent parfois peut aller jusqu′à faire aussi peur à qui reçoit cette confidence involontaire, elliptique et presque irrésistible de votre défaut ou de votre vice, que ferait l′aveu soudain indirectement et bizarrement proféré par un criminel ne pouvant s′empêcher de confesser un meurtre dont vous ne le saviez pas coupable. Certes je savais bien que l′idéalisme, même subjectif, n′empêche pas de grands philosophes de rester gourmands ou de se présenter avec ténacité à l′Académie. Mais vraiment Legrandin n′avait pas besoin de rappeler si souvent qu′il appartenait à une autre planète quand tous ses mouvements convulsifs de colère ou d′amabilité étaient gouvernés par le désir d′avoir une bonne position dans celle-ci.
“You might at least have the civility to begin by saying how d′ye do to me,” he replied, without offering me his hand and in a coarse and angry voice which I had never suspected him of possessing, a voice which bearing no traceable relation to what he ordinarily said did bear another more immediate and striking relation to something that he was feeling at the moment. What happens is that since we are determined always to keep our feelings to ourselves, we have never given any thought to the manner in which we should express them. And suddenly there is within us a strange and obscene animal making its voice heard, the tones of which may inspire as much terror in the listener who receives the involuntary elliptical irresistible communication of our defect or vice as would the sudden avowal indirectly and uncouthly proffered by a criminal who can no longer refrain from confessing a murder of which one had never imagined him to be guilty. I knew, of course, that idealism, even subjective idealism, did not prevent great philosophers from still having hearty appetites or from presenting themselves with untiring perseverance for election to the Academy. But really Legrandin had no occasion to remind people so often that he belonged to another planet when all his convulsive movements of anger or affability were governed by the desire to occupy a good position on this.
— Naturellement, quand on me persécute vingt fois de suite pour me faire venir quelque part, continua-t-il à voix basse, quoique j′aie bien droit à ma liberté, je ne peux pourtant pas agir comme un rustre.
“Naturally, when people pester me twenty times on end to go anywhere,” he went on in lower tones, “although I am perfectly free to do what I choose, still I can′t behave like an absolute boor.”
Mme de Guermantes s′était assise. Son nom, comme il était accompagné de son titre, ajoutait à sa personne physique son duché qui se projetait autour d′elle et faisait régner la fraîcheur ombreuse et dorée des bois des Guermantes au milieu du salon, à l′entour du pouf où elle était. Je me sentais seulement étonné que leur ressemblance ne fût pas plus lisible sur le visage de la duchesse, lequel n′avait rien de végétal et où tout au plus le couperosé des joues — qui auraient dû, semblait-il, être blasonnées par le nom de Guermantes —était l′effet, mais non l′image, de longues chevauchées au grand air. Plus tard, quand elle me fut devenue indifférente, je connus bien des particularités de la duchesse, et notamment (afin de m′en tenir pour le moment à ce dont je subissais déjà le charme alors sans savoir le distinguer) ses yeux, où était captif comme dans un tableau le ciel bleu d′une après-midi de France, largement découvert, baigné de lumière même quand elle ne brillait pas; et une voix qu′on eût crue, aux premiers sons enroués, presque canaille, où traînait, comme sur les marches de l′église de Combray ou la pâtisserie de la place, l′or paresseux et gras d′un soleil de province. Mais ce premier jour je ne discernais rien, mon ardente attention volatilisait immédiatement le peu que j′eusse pu recueillir et où j′aurais pu retrouver quelque chose du nom de Guermantes. En tout cas je me disais que c′était bien elle que désignait pour tout le monde le nom de duchesse de Guermantes: la vie inconcevable que ce nom signifiait, ce corps la contenait bien; il venait de l′introduire au milieu d′êtres différents, dans ce salon qui la circonvenait de toutes parts et sur lequel elle exerçait une réaction si vive que je croyais voir, là où cette vie cessait de s′étendre, une frange d′effervescence en délimiter les frontières: dans la circonférence que découpait sur le tapis le ballon de la jupe de pékin bleu, et, dans les prunelles claires de la duchesse, à l′intersection des préoccupations, des souvenirs, de la pensée incompréhensible, méprisante, amusée et curieuse qui les remplissaient, et des images étrangères qui s′y reflétaient. Peut-être eussé-je été un peu moins ému si je l′eusse rencontrée chez Mme de Villeparisis à une soirée, au lieu de la voir ainsi à un des «jours» de la marquise, à un de ces thés qui ne sont pour les femmes qu′une courte halte au milieu de leur sortie et où, gardant le chapeau avec lequel elles viennent de faire leurs courses, elles apportent dans l′enfilade des salons la qualité de l′air du dehors et donnent plus jour sur Paris à la fin de l′après-midi que ne font les hautes fenêtres ouvertes dans lesquelles on entend les roulements des victorias: Mme de Guermantes était coiffée d′un canotier fleuri de bleuets; et ce qu′ils m′évoquaient, ce n′était pas, sur les sillons de Combray où si souvent j′en avais cueilli, sur le talus contigu à la haie de Tansonville, les soleils des lointaines années, c′était l′odeur et la poussière du crépuscule, telles qu′elles étaient tout à l′heure, au moment où Mme de Guermantes venait de les traverser, rue de la Paix. D′un air souriant, dédaigneux et vague, tout en faisant la moue avec ses lèvres serrées, de la pointe de son ombrelle, comme de l′extrême antenne de sa vie mystérieuse, elle dessinait des ronds sur le tapis, puis, avec cette attention indifférente qui commence par ôter tout point de contact avec ce que l′on considère soi-même, son regard fixait tour à tour chacun de nous, puis inspectait les canapés et les fauteuils mais en s′adoucissant alors de cette sympathie humaine qu′éveille la présence même insignifiante d′une chose que l′on connaît, d′une chose qui est presque une personne; ces meubles n′étaient pas comme nous, ils étaient vaguement de son monde, ils étaient liés à la vie de sa tante; puis du meuble de Beauvais ce regard était ramené à la personne qui y était assise et reprenait alors le même air de perspicacité et de cette même désapprobation que le respect de Mme de Guermantes pour sa tante l′eût empêchée d′exprimer, mais enfin qu′elle eût éprouvée si elle eût constaté sur les fauteuils au lieu de notre présence celle d′une tache de graisse ou d′une couche de poussière.
Mme. de Guermantes had sat down. Her name, accompanied as it was by her title, added to her corporeal dimensions the duchy which projected itself round about her and brought the shadowy, sun-splashed coolness of the woods of Guermantes into this drawing-room, to surround the tuffet on which she was sitting. I felt surprised only that the likeness of those woods was not more discernible on the face of the Duchess, about which there was nothing suggestive of vegetation, and at the most the ruddy discolouration of her cheeks — which ought rather, surely, to have been emblazoned with the name Guermantes — was the effect, but did not furnish a picture of long gallops in the open air. Later on, when she had ceased to interest me, I came to know many of the Duchess′s peculiarities, notably (to speak for the moment only of that one of which I already at this time felt the charm though without yet being able to discover what it was) her eyes, in which was held captive as in a picture the blue sky of an afternoon in France, broadly expansive, bathed in light even when no sun shone; and a voice which one would have thought, from its first hoarse sounds, to be almost plebeian, through which there trailed, as over the steps of the church at Combray or the pastry-cook′s in the square, the rich and lazy gold of a country sun. But on this first day I discerned nothing, the warmth of my attention volatilised at once the little that I might otherwise have been able to extract from her, in which I should have found some indication of the name Guermantes. In any case, I told myself that it was indeed she who was designated for all the world by the title Duchesse de Guermantes: the inconceivable life which that name signified, this body did indeed contain; it had just introduced that life into a crowd of different creatures, in this room which enclosed it on every side and on which it produced so violent a reaction that I thought I could see, where the extent of that mysterious life ceased, a fringe of effervescence outline its frontiers: round the circumference of the circle traced on the carpet by the balloon of her blue pekin skirt, and in the bright eyes of the Duchess at the point of intersection of the preoccupations, the memories, the incomprehensible, scornful, amused and curious thoughts which filled them from within and the outside images that were reflected on their surface. Perhaps I should have been not quite so deeply stirred had I met her at Mme. de Villeparisis′s at an evening party, instead of seeing her thus on one of the Marquise′s ‘days,′ at one of those tea-parties which are for women no more than a brief halt in the course of their afternoon′s outing, when, keeping on the hats in which they have been driving through the streets, they waft into the close atmosphere of a drawing-room the quality of the fresh air outside, and give one a better view of Paris in the late afternoon than do the tall, open windows through which one can hear the bowling wheels of their victorias: Mme. de Guermantes wore a boating-hat trimmed with cornflowers, and what they recalled to me was not, among the tilled fields round Combray where I had so often gathered those flowers, on the slope adjoining the Tansonville hedge, the suns of bygone years; it was the scent and dust of twilight as they had been an hour ago, when Mme. de Guermantes drove through them, in the Rue de la Paix. With a smiling, disdainful, vague air, and a grimace on her pursed lips, with the point of her sunshade, as with the extreme tip of an antenna of her mysterious life, she was tracing circles on the carpet; then, with that indifferent attention which begins by eliminating every point of contact with what one is actually studying, her gaze fastened upon each of us in turn; then inspected the sofas and armchairs, but softened this time by that human sympathy which is aroused by the presence, however insignificant, of a thing one knows, a thing that is almost a person; these pieces of furniture were not like us, they belonged vaguely to her world, they were bound up with the life of her aunt; then from the Beauvais furniture her gaze was carried back to the person sitting on it, and resumed then the same air of perspicacity and that same disapproval which the respect that Mme. de Guermantes felt for her aunt would have prevented her from expressing in words, but which she would obviously have felt had she discovered on the chairs, instead of our presence, that of a spot of grease or a layer of dust.
L′excellent écrivain G—— entra; il venait faire à Mme de Villeparisis une visite qu′il considérait comme une corvée. La duchesse, qui fut enchantée de le retrouver, ne lui fit pourtant pas signe, mais tout naturellement il vint près d′elle, le charme qu′elle avait, son tact, sa simplicité la lui faisant considérer comme une femme d′esprit. D′ailleurs la politesse lui faisait un devoir d′aller auprès d′elle, car, comme il était agréable et célèbre, Mme de Guermantes l′invitait souvent à déjeuner même en tête à tête avec elle et son mari, ou l′automne, à Guermantes, profitait de cette intimité pour le convier certains soirs à dîner avec des altesses curieuses de le rencontrer. Car la duchesse aimait à recevoir certains hommes d′élite, à la condition toutefois qu′ils fussent garçons, condition que, même mariés, ils remplissaient toujours pour elle, car comme leurs femmes, toujours plus ou moins vulgaires, eussent fait tache dans un salon où il n′y avait que les plus élégantes beautés de Paris, c′est toujours sans elles qu′ils étaient invités; et le duc, pour prévenir toute susceptibilité, expliquait à ces veufs malgré eux que la duchesse ne recevait pas de femmes, ne supportait pas la société des femmes, presque comme si c′était par ordonnance du médecin et comme il eût dit qu′elle ne pouvait rester dans une chambre où il y avait des odeurs, manger trop salé, voyager en arrière ou porter un corset. Il est vrai que ces grands hommes voyaient chez les Guermantes la princesse de Parme, la princesse de Sagan (que Françoise, entendant toujours parler d′elle, finit par appeler, croyant ce féminin exigé par la grammaire, la Sagante), et bien d′autres, mais on justifiait leur présence en disant que c′était la famille, ou des amies d′enfance qu′on ne pouvait éliminer. Persuadés ou non par les explications que le duc de Guermantes leur avait données sur la singulière maladie de la duchesse de ne pouvoir fréquenter des femmes, les grands hommes les transmettaient à leurs épouses. Quelques-unes pensaient que la maladie n′était qu′un prétexte pour cacher sa jalousie, parce que la duchesse voulait être seule à régner sur une cour d′adorateurs. De plus naîµ¥s encore pensaient que peut-être la duchesse avait un genre singulier, voire un passé scandaleux, que les femmes ne voulaient pas aller chez elle, et qu′elle donnait le nom de sa fantaisie à la nécessité. Les meilleures, entendant leur mari dire monts et merveilles de l′esprit de la duchesse, estimaient que celle-ci était si supérieure au reste des femmes qu′elle s′ennuyait dans leur société car elles ne savent parler de rien. Et il est vrai que la duchesse s′ennuyait auprès des femmes, si leur qualité princière ne leur donnait pas un intérêt particulier. Mais les épouses éliminées se trompaient quand elles s′imaginaient qu′elle ne voulait recevoir que des hommes pour pouvoir parler littérature, science et philosophie. Car elle n′en parlait jamais, du moins avec les grands intellectuels. Si, en vertu de la même tradition de famille qui fait que les filles de grands militaires gardent au milieu de leurs préoccupations les plus vaniteuses le respect des choses de l′armée, petite-fille de femmes qui avaient été liées avec Thiers, Mérimée et Augier, elle pensait qu′avant tout il faut garder dans son salon une place aux gens d′esprit, mais avait d′autre part retenu de la façon à la fois condescendante et intime dont ces hommes célèbres étaient reçus à Guermantes le pli de considérer les gens de talent comme des relations familières dont le talent ne vous éblouit pas, à qui on ne parle pas de leurs oeuvres, ce qui ne les intéresserait d′ailleurs pas. Puis le genre d′esprit Mérimée et Meilhac et Halévy, qui était le sien, la portait, par contraste avec le sentimentalisme verbal d′une époque antérieure, à un genre de conversation qui rejette tout ce qui est grandes phrases et expression de sentiments élevés, et faisait qu′elle mettait une sorte d′élégance quand elle était avec un poète ou un musicien à ne parler que des plats qu′on mangeait ou de la partie de cartes qu′on allait faire. Cette abstention avait, pour un tiers peu au courant, quelque chose de troublant qui allait jusqu′au mystère. Si Mme de Guermantes lui demandait s′il lui ferait plaisir d′être invité avec tel poète célèbre, dévoré de curiosité il arrivait à l′heure dite. La duchesse parlait au poète du temps qu′il faisait. On passait à table. «Aimez-vous cette façon de faire les oeufs?» demandait-elle au poète. Devant son assentiment, qu′elle partageait, car tout ce qui était chez elle lui paraissait exquis, jusqu′à un cidre affreux qu′elle faisait venir de Guermantes: «Redonnez des oeufs à monsieur», ordonnait-elle au maître d′hôtel, cependant que le tiers, anxieux, attendait toujours ce qu′avaient sûrement eu l′intention de se dire, puisqu′ils avaient arrangé de se voir malgré mille difficultés avant son départ, le poète et la duchesse. Mais le repas continuait, les plats étaient enlevés les uns après les autres, non sans fournir à Mme de Guermantes l′occasion de spirituelles plaisanteries ou de fines historiettes. Cependant le poète mangeait toujours sans que duc ou duchesse eussent eu l′air de se rappeler qu′il était poète. Et bientôt le déjeuner était fini et on se disait adieu, sans avoir dit un mot de la poésie, que tout le monde pourtant aimait, mais dont, par une réserve analogue à celle dont Swann m′avait donné l′avant-goût, personne ne parlait. Cette réserve était simplement de bon ton. Mais pour le tiers, s′il y réfléchissait un peu, elle avait quelque chose de fort mélancolique, et les repas du milieu Guermantes faisaient alors penser à ces heures que des amoureux timides passent souvent ensemble à parler de banalités jusqu′au moment de se quitter, et sans que, soit timidité, pudeur, ou maladresse, le grand secret qu′ils seraient plus heureux d′avouer ait pu jamais passer de leur coeur à leurs lèvres. D′ailleurs il faut ajouter que ce silence gardé sur les choses profondes qu′on attendait toujours en vain le moment de voir aborder, s′il pouvait passer pour caractéristique de la duchesse, n′était pas chez elle absolu. Mme de Guermantes avait passé sa jeunesse dans un milieu un peu différent, aussi aristocratique, mais moins brillant et surtout moins futile que celui où elle vivait aujourd′hui, et de grande culture. Il avait laissé à sa frivolité actuelle une sorte de tuf plus solide, invisiblement nourricier et où même la duchesse allait chercher (fort rarement car elle détestait le pédantisme) quelque citation de Victor Hugo ou de Lamartine qui, fort bien appropriée, dite avec un regard senti de ses beaux yeux, ne manquait pas de surprendre et de charmer. Parfois même, sans prétentions, avec pertinence et simplicité, elle donnait à un auteur dramatique académicien quelque conseil sagace, lui faisait atténuer une situation ou changer un dénouement.
That admirable writer G——-entered the room; he had come to pay a call on Mme. de Villeparisis which he regarded as a tiresome duty. The Duchess, although delighted to see him again, gave him no sign of welcome, but instinctively he made straight for her, the charm that she possessed, her tact, her simplicity making him look upon her as a woman of exceptional intelligence. He was bound, moreover, in common politeness to go and talk to her, for, since he was a pleasant and a distinguished man, Mme. de Guermantes frequently invited him to luncheon even when there were only her husband and herself besides, or in the autumn to Guermantes, making use of this intimacy to have him to dinner occasionally with Royalties who were curious to meet him. For the Duchess liked to entertain certain eminent men, on condition always that they were bachelors, a condition which, even when married, they invariably fulfilled for her, for, as their wives, who were bound to be more or less common, would have been a blot on a drawing-room in which there were never any but the most fashionable beauties in Paris, it was always without them that their husbands were invited; and the Duke, to avoid hurting any possible susceptibility, used to explain to these involuntary widowers that the Duchess never had women in the house, could not endure feminine society, almost as though this had been under doctor′s orders, and as be might have said that she could not stay in a room in which there were smells, or eat salt food, or travel with her back to the engine, or wear stays. It was true that these eminent men used to see at the Guermantes′ the Princesse de Parme, the Princesse de Sagan (whom Françoise, hearing her constantly mentioned, had taken to calling, in the belief that this feminine, ending was required by the laws of accidence, ‘the Sagante′), and plenty more, but their presence was accounted for by the explanation that they were relatives, or such very old friends that it was impossible to exclude them. Whether or not they were convinced by the explanations which the Due de Guermantes had given of the singular malady that made it impossible for the Duchess to associate with other women, the great men duly transmitted them to their wives. Some of these thought that this malady was only an excuse to cloak her jealousy, because the Duchess wished to reign alone over a court of worshippers. Others more simple still thought that perhaps the Duchess had some peculiar habit, a scandalous past it might be, that women did not care to go to her house and that she gave the name of a whim to what was stern necessity. The better among them, hearing their husbands expatiate on the Duchess′s marvellous brain, assumed that She must be so far superior to the rest of womankind that she found their Society boring since they could not talk intelligently about anything. And it was true that the Duchess was bored by other women, if their princely rank did not render them specially interesting. But the excluded wives were mistaken when they imagined that she chose to entertain men alone in order to be free to discuss with them literature, science and philosophy. For she never referred to these, at least with the great intellectuals. If, by virtue of a family tradition such as makes the daughters of great soldiers preserve, in the midst of their most frivolous distractions a respect for military matters, she, the granddaughter of women who had been on terms of friendship with Thiers, Mérimée and Augier, felt that a place must always be kept in her drawing-room for men of intellect, she had on the other hand derived from the manner, at once condescending and intimate, in which those famous men had been received at Guermantes the foible of looking on men of talent as family friends whose talent does not dazzle one, to whom one does not speak of their work, and who would not be at all interested if one did. Moreover the type of mind illustrated by Mérimée and Meilhac and Halévy, which was hers also, led her by reaction from the verbal sentimentality of an earlier generation to a style in conversation that rejects everything to do with fine language and the expression of lofty thoughts, so that she made it a sort of element of good breeding when she was with a poet or a musician to talk only of the food that they were eating or the game of cards to which they would afterwards sit down. This abstention had, on a third person not conversant with her ways, a disturbing effect which amounted to mystification. Mme. de Guermantes having asked him whether it would amuse him to come to luncheon to meet this or that famous poet, devoured by curiosity he would arrive at the appointed hour. The Duchess was talking to the poet about the weather. They sat down to luncheon. “Do you like this way of doing eggs?” she asked the poet. On hearing his approval, which she shared, for everything in her own house appeared to her exquisite, including a horrible cider which she imported from Guermantes: “Give Monsieur some more eggs,” she would tell the butler, while the anxious fellow-guest sat waiting for what must surely have been the object of the party, since they had arranged to meet, in spite of every sort of difficulty, before the Duchess, the poet and he himself left Paris. But the meal went on, one after another the courses were cleared away, not without having first provided Mme. de Guermantes with opportunities for clever witticisms or apt stories. Meanwhile the poet went on eating, and neither Duke nor Duchess shewed any sign of remembering that he was a poet. And presently the luncheon came to an end and the party broke up, without a word having been said about the poetry which, for all that, everyone admired but to which, by a reserve analogous to that of which Swann had given me a foretaste, no one might refer. This reserve was simply a matter of good form. But for the fellow-guest, if he thought at all about the matter, there was something strangely melancholy about it all, and these meals in the Guermantes household made him think of the hours which timid lovers often spend together in talking trivialities until it is time to part, without — whether from shyness, from audacity or from awkwardness — the great secret which they would have been happier had they confessed ever succeeding in passing from their hearts to their lips. It must, however, be added that this silence with regard to the serious matters which one was always waiting in vain to see approached, if it might pass as characteristic of the Duchess, was by no means constant with her. Mme. de Guermantes had spent her girlhood in a society somewhat different, equally aristocratic but less brilliant and above all less futile than that in which she now lived, and one of wide culture. It had left beneath her present frivolity a sort of bed-rock of greater solidity, invisibly nutritious, to which indeed the Duchess would repair in search (very rarely, though, for she detested pedantry) of some quotation from Victor Hugo or Lamartine which, extremely appropriate, uttered with a look of true feeling from her fine eyes, never failed to surprise and charm her audience. Sometimes, even, without any pretence of authority, pertinently and quite simply, she would give some dramatist and Academician a piece of sage advice, would make him modify a situation or alter an ending.
Si, dans le salon de Mme de Villeparisis, tout autant que dans l′église de Combray, au mariage de Mlle Percepied, j′avais peine à retrouver dans le beau visage, trop humain, de Mme de Guermantes, l′inconnu de son nom, je pensais du moins que, quand elle parlerait, sa causerie, profonde, mystérieuse, aurait une étrangeté de tapisserie médiévale, de vitrail gothique. Mais pour que je n′eusse pas été déçu par les paroles que j′entendrais prononcer à une personne qui s′appelait Mme de Guermantes, même si je ne l′eusse pas aimée, il n′eût pas suffi que les paroles fussent fines, belles et profondes, il eût fallu qu′elles reflétassent cette couleur amarante de la dernière syllabe de son nom, cette couleur que je m′étais dès le premier jour étonné de ne pas trouver dans sa personne et que j′avais fait se réfugier dans sa pensée. Sans doute j′avais déjà entendu Mme de Villeparisis, Saint–Loup, des gens dont l′intelligence n′avait rien d′extraordinaire prononcer sans précaution ce nom de Guermantes, simplement comme étant celui d′une personne qui allait venir en visite ou avec qui on devait dîner, en n′ayant pas l′air de sentir, dans ce nom, des aspects de bois jaunissants et tout un mystérieux coin de province. Mais ce devait être une affectation de leur part comme quand les poètes classiques ne nous avertissent pas des intentions profondes qu′ils ont cependant eues, affectation que moi aussi je m′efforçais d′imiter en disant sur le ton le plus naturel: la duchesse de Guermantes, comme un nom qui eût ressemblé à d′autres. Du reste tout le monde assurait que c′était une femme très intelligente, d′une conversation spirituelle, vivant dans une petite coterie des plus intéressantes: paroles qui se faisaient complices de mon rêve. Car quand ils disaient coterie intelligente, conversation spirituelle, ce n′est nullement l′intelligence telle que je la connaissais que j′imaginais, fût-ce celle des plus grands esprits, ce n′était nullement de gens comme Bergotte que je composais cette coterie. Non, par intelligence, j′entendais une faculté ineffable, dorée, imprégnée d′une fraîcheur sylvestre. Même en tenant les propos les plus intelligents (dans le sens où je prenais le mot «intelligent» quand il s′agissait d′un philosophe ou d′un critique), Mme de Guermantes aurait peut-être déçu plus encore mon attente d′une faculté si particulière, que si, dans une conversation insignifiante, elle s′était contentée de parler de recettes de cuisine ou de mobilier de château, de citer des noms de voisines ou de parents à elle, qui m′eussent évoqué sa vie.
If, in the drawing-room of Mme. de Villeparisis, just as in the church at Combray, on the day of Mlle. Percepied′s wedding, I had difficulty in discovering, in the handsome, too human face of Mme. de Guermantes the unknown element of her name, I at least thought that, when she spoke, her conversation, profound, mysterious, would have a strangeness as of a mediaeval tapestry or a gothic window. But in order that I should not be disappointed by the words which I should hear uttered by a person who called herself Mme. de Guermantes, even if I had not been in love with her, it would not have sufficed that those words were fine, beautiful and profound, they would have had to reflect that amaranthine colour of the closing syllable of her name, that colour which I had on my first sight of her been disappointed not to find in her person and had driven to take refuge in her mind. Of course I had already heard Mme. de Villeparisis, Saint-Loup, people whose intelligence was in no way extraordinary, pronounce without any precaution this name Guermantes, simply as that of a person who was coming to see them or with whom they had promised to dine, without seeming to feel that there were latent in her name the glow of yellowing woods in autumn and a whole mysterious tract of country. But this must have been an affectation on their part, as when the classic poets give us no warning of the profound purpose which they had, all the same, in writing, an affectation which I myself also strove to imitate, saying in the most natural tone: “The Duchesse de Guermantes,” as though it were a name that was just like other names. And then everybody assured me that she was a highly intelligent woman, a clever talker, that she was one of a little group of most interesting people: words which became accomplices of my dream. For when they spoke of an intelligent group, of clever talk, it was not at all the sort of intelligence that I knew that I imagined, not even that of the greatest minds, it was not at all with men like Bergotte that I peopled this group. No, by intelligence I understood an ineffable faculty gilded by the sun, impregnated with a sylvan coolness. Indeed, had she made the most intelligent remarks (in the sense in which I understood the word when it was used of a philosopher or critic), Mme. de Guermantes would perhaps have disappointed even more keenly my expectation of so special a faculty than if, in the course of a trivial conversation, she had confined herself to discussing kitchen recipes or the furnishing of a country house, to mentioning the names of neighbours and relatives of her own, which would have given me a picture of her life.
— Je croyais trouver Basin ici, il comptait venir vous voir, dit Mme de Guermantes à sa tante.
“I thought I should find Basin here, he was meaning to come and see you to-day,” said Mme. de Guermantes to her aunt.
— Je ne l′ai pas vu, ton mari, depuis plusieurs jours, répondit d′un ton susceptible et fâché Mme de Villeparisis. Je ne l′ai pas vu, ou enfin peut-être une fois, depuis cette charmante plaisanterie de se faire annoncer comme la reine de Suède.
“I haven′t set eyes on your husband for some days,” replied Mme. de Villeparisis in a somewhat nettled tone. “In fact, I haven′t seen him.′ well, I have seen him once, perhaps — since that charming joke he played on me of making my servants announce him as the Queen of Sweden.”
Pour sourire Mme de Guermantes pinça le coin de ses lèvres comme si elle avait mordu sa voilette.
Mme. de Guermantes formed a smile by contracting the corners of her mouth as though she were biting her veil,
— Nous avons dîné avec elle hier chez Blanche Leroi, vous ne la reconnaîtriez pas, elle est devenue énorme, je suis sûre qu′elle est malade.
“We met her at dinner last night at Blanche Leroi′s. You wouldn′t know her now, she′s positively enormous; I′m sure she must have something the matter with her.”
— Je disais justement à ces messieurs que tu lui trouvais l′air d′une grenouille.
“I was just telling these gentlemen that you said she looked like a frog,”
Mme de Guermantes fit entendre une espèce de bruit rauque qui signifiait qu′elle ricanait par acquit de conscience.
Mme. de Guermantes uttered a sort of raucous sound intended to signify that she acknowledged the compliment.
— Je ne savais pas que j′avais fait cette jolie comparaison, mais, dans ce cas, maintenant c′est la grenouille qui a réussi à devenir aussi grosse que le boeuf. Ou plutôt ce n′est pas tout à fait cela, parce que toute sa grosseur s′est amoncelée sur le ventre, c′est plutôt une grenouille dans une position intéressante.
“I don′t remember making such a charming comparison, but if she was one before, now she′s the frog that has succeeded in swelling to the size of the ox. Or rather, it isn′t quite that, because all her swelling is concentrated in front of her waist, she′s more like a frog in an interesting condition.”
— Ah! je trouve ton image drôle, dit Mme de Villeparisis qui était au fond assez fière, pour ses visiteurs, de l′esprit de sa nièce.
“Ah, that is quite clever,” said Mme. de Villeparisis, secretly proud that her guests should be witnessing this display of her niece′s wit.
— Elle est surtout arbitraire[/i.>, répondit Mme de Guermantes en détachant ironiquement cette épithète choisie, comme eût fait Swann, car j′avoue n′avoir jamais vu de grenouille en couches. En tout cas cette grenouille, qui d′ailleurs ne demande pas de roi, car je ne l′ai jamais vue plus folâtre que depuis la mort de son époux, doit venir dîner à la maison un jour de la semaine prochaine. J′ai dit que je vous préviendrais à tout hasard.
“It is purely arbitrary, though,” answered Mme. de Guermantes, ironically detaching this selected epithet, as Swann would have done, “for I must admit I never saw a frog in the family way. Anyhow, the frog in question, who, by the way, is not asking for a king, for I never saw her so skittish as she′s been since her husband died, is coming to dine with us one day next week. I promised I′d let you know in good time.”
Mme de Villeparisis fit entendre une sorte de grommellement indistinct.
Mme. de Villeparisis gave vent to a confused growl, from which emerged:
— Je sais qu′elle a dîné avant-hier chez Mme de Mecklembourg, ajouta-t-elle. Il y avait Hannibal de Bréauté. Il est venu me le raconter, assez drôlement je dois dire.
“I know she was dining with the Mecklenburgs the night before last. Hannibal de Bréauté was there. He came and told me about it, and was quite amusing, I must say.”
— Il y avait à ce dîner quelqu′un de bien plus spirituel encore que Babal, dit Mme de Guermantes, qui, si intime qu′elle fût avec M. de Bréauté-Consalvi, tenait à le montrer en l′appelant par ce diminutif. C′est M. Bergotte.
“There was a man there who′s a great deal wittier than Babal,” said Mme. de Guermantes who, in view of her close friendship wih M. de Bréàuté-Consalvi, felt that she must advertise their intimacy by the use of this abbreviation. “I mean M. Bergotte.”
Je n′avais pas songé que Bergotte pût être considéré comme spirituel; de plus il m′apparaissait comme mêlé à l′humanité intelligente, c′est-à-dire infiniment distant de ce royaume mystérieux que j′avais aperçu sous les toiles de pourpre d′une baignoire et où M. de Bréauté, faisant rire la duchesse, tenait avec elle, dans la langue des Dieux, cette chose inimaginable: une conversation entre gens du faubourg Saint–Germain. Je fus navré de voir l′équilibre se rompre et Bergotte passer par-dessus M. de Bréauté. Mais, surtout, je fus désespéré d′avoir évité Bergotte le soir de Phèdre[/i.>, de ne pas être allé à lui, en entendant Mme de Guermantes dire à Mme de Villeparisis:
I had never imagined that Bergotte could be regarded as witty; in fact, I thought of him always as mingling with the intellectual section of humanity, that is to say infinitely remote from that mysterious realm of which I had caught a glimpse through the purple hangings of a theatre box, behind which, making the Duchess smile, M. de Bréauté was holding with her, in the language of the gods, that unimaginable thing, a conversation between people of the Faubourg Saint-Germain. I was stupefied to see the balance upset, and Bergotte rise above M. de Bréauté. But above all I was dismayed to think that I had avoided Bergotte on the evening of Phèdre, that I had not gone up and spoken to him, when I heard Mme. de Guermantes say to Mme. de Villeparisis:
— C′est la seule personne que j′aie envie de connaître, ajouta la duchesse en qui on pouvait toujours, comme au moment d′une marée spirituelle, voir le flux d′une curiosité à l′égard des intellectuels célèbres croiser en route le reflux du snobisme aristocratique. Cela me ferait un plaisir!
“He is the only person I have any wish to know,” went on the Duchess, in whom one could always, as at the turn of a mental tide, see the flow of curiosity with regard to well-known intellectuals sweep over the ebb of her aristocratic snobbishness. “It would be such a pleasure.”
La présence de Bergotte à côté de moi, présence qu′il m′eût été si facile d′obtenir, mais que j′aurais crue capable de donner une mauvaise idée de moi à Mme de Guermantes, eût sans doute eu au contraire pour résultat qu′elle m′eût fait signe de venir dans sa baignoire et m′eût demandé d′amener un jour déjeuner le grand écrivain.
The presence of Bergotte by my side, which it would have been so easy for we to secure but which I had thought liable to give Mme. de Guermantes a bad impression of myself, would no doubt, on the contrary, have had the result that she would have signalled to me to join her in her box, and would have invited me to bring the eminent writer, one day, to luncheon.
— Il paraît qu′il n′a pas été très aimable, on l′a présenté à M. de Cobourg et il ne lui a pas dit un mot, ajouta Mme de Guermantes, en signalant ce trait curieux comme elle aurait raconté qu′un Chinois se serait mouché avec du papier. Il ne lui a pas dit une fois «Monseigneur», ajouta-t-elle, d′un air amusé par ce détail aussi important pour elle que le refus par un protestant, au cours d′une audience du pape, de se mettre à genoux devant Sa Sainteté.
“I gather that he didn′t behave very well, he was presented to M. de Cobourg, and never uttered a word to him,” said Mme. de Guermantes, dwelling on this odd characteristic as she might have recounted that a Chinaman had blown his nose on a sheet of paper. “He never once said ‘Monseigneur′ to him,” she added, with an air of amusement at this detail, as important to her mind as the refusal of a Protestant, during an audience with the Pope, to go on his knees before his Holiness.
Intéressée par ces particularités de Bergotte, elle n′avait d′ailleurs pas l′air de les trouver blâmables, et paraissait plutôt lui en faire un mérite sans qu′elle sût elle-même exactement de quel genre. Malgré cette façon étrange de comprendre l′originalité de Bergotte, il m′arriva plus tard de ne pas trouver tout à fait négligeable que Mme de Guermantes, au grand étonnement de beaucoup, trouvât Bergotte plus spirituel que M. de Bréauté. Ces jugements subversifs, isolés et, malgré tout, justes, sont ainsi portés dans le monde par de rares personnes supérieures aux autres. Et ils y dessinent les premiers linéaments de la hiérarchie des valeurs telle que l′établira la génération suivante au lieu de s′en tenir éternellement à l′ancienne.
Interested by these idiosyncrasies of Bergotte, she did not, however, appear to consider them reprehensible, and seemed rather to find a certain merit in them, though she would have been put to it to say of what sort. Despite this unusual mode of appreciating Bergotte′s originality, it was a fact which I was later oh not to regard as wholly negligible that Mme. de Guermantes, greatly to the surprise of many of her friends, did consider Bergotte more witty than M. de Bréauté. Thus it is that such judgments, subversive, isolated, and yet after all just, are delivered in the world of fashion by those rare minds that are superior to the rest. And they sketch then the first rough outlines of the hierarchy of values as the next generation will establish it, instead of abiding eternally by the old standards.
Le comte d′Argencourt, chargé d′affaires de Belgique et petit-cousin par alliance de Mme de Villeparisis, entra en boitant, suivi bientôt de deux jeunes gens, le baron de Guermantes et S.A. le duc de Châtellerault, à qui Mme de Guermantes dit: «Bonjour, mon petit Châtellerault», d′un air distrait et sans bouger de son pouf, car elle était une grande amie de la mère du jeune duc, lequel avait, à cause de cela et depuis son enfance, un extrême respect pour elle. Grands, minces, la peau et les cheveux dorés, tout à fait de type Guermantes, ces deux jeunes gens avaient l′air d′une condensation de la lumière printanière et vespérale qui inondait le grand salon. Suivant une habitude qui était à la mode à ce moment-là, ils posèrent leurs hauts de forme par terre, près d′eux. L′historien de la Fronde pensa qu′ils étaient gênés comme un paysan entrant à la mairie et ne sachant que faire de son chapeau. Croyant devoir venir charitablement en aide à la gaucherie et à la timidité qu′il leur supposait:
The Comte d′Argencourt, Chargé d′Affaires at the Belgian Legation and a remote connexion of Mme. de Villeparisis, came limping in, followed presently by two young men, the Baron de Guermantes and H. H. the Due de Châtellerault, whom Mme. de Guermantes greeted with: “How d′ye do, young Châtellerault,” in a careless tone and without moving from her tuffet, for she was a great friend of the young Duke′s mother, which had given him a deep and lifelong respect for her. Tall, slender, with golden hair and sunny complexions, thoroughly of the Guermantes type, these two young men looked like a condensation of the light of the spring evening which was flooding the spacious room. Following a custom which was the fashion at that time they laid their silk hats on the floor, by their feet. The historian of the Fronde thought that they were embarrassed, like a peasant coming into the mayor′s office and not knowing what to do with his hat. Feeling that he ought in charity to come to the rescue of the awkwardness and timidity which he ascribed to them:
— Non, non, leur dit-il, ne les posez pas par terre, vous allez les abîmer.
“No, no,” he said, “don′t leave them on the floor, they′ll be trodden on.”
Un regard du baron de Guermantes, en rendant oblique le plan de ses prunelles, y roula tout à coup une couleur d′un bleu cru et tranchant qui glaça le bienveillant historien.
A glance from the Baron de Guermantes, tilting the plane of his pupils, shot suddenly from them a wave of pure and piercing azure which froze the well-meaning historian.
— Comment s′appelle ce monsieur, me demanda le baron, qui venait de m′être présenté par Mme de Villeparisis?
“What is that person′s name?” I was asked by the Baron, who had just been introduced to me by Mme. de Villeparisis.
— M. Pierre, répondis-je à mi-voix.
“M. Pierre,” I whispered.
— Pierre de quoi?
“Pierre what?”
— Pierre, c′est son nom, c′est un historien de grande valeur.
“Pierre: it′s his name, he′s a historian, a most distinguished man.”
— Ah! . . . vous m′en direz tant.
“Really? You don′t say so.”
— Non, c′est une nouvelle habitude qu′ont ces messieurs de poser leurs chapeaux à terre, expliqua Mme de Villeparisis, je suis comme vous, je ne m′y habitue pas. Mais j′aime mieux cela que mon neveu Robert qui laisse toujours le sien dans l′antichambre. Je lui dis, quand je le vois entrer ainsi, qu′il a l′air de l′horloger et je lui demande s′il vient remonter les pendules.
“No, it′s a new fashion with these young men to put their hats on the floor,” Mme. de Villeparisis explained. “I′m like you, I can never get used to it. Still, it′s better than my nephew Robert, who always leaves his in the hall. I tell him when I see him come in that he looks just like a clock-maker, and I ask him if he′s come to wind the clocks.”
— Vous parliez tout à l′heure, madame la marquise, du chapeau de M. Molé, nous allons bientôt arriver à faire, comme Aristote, un chapitre des chapeaux, dit l′historien de la Fronde, un peu rassuré par l′intervention de Mme de Villeparisis, mais pourtant d′une voix encore si faible que, sauf moi, personne ne l′entendit.
“You were speaking just now, Madame la Marquise, of M. Mole′s hat; we shall soon be able, like Aristotle, to compile a chapter on hats,” said the historian of the Fronde, somewhat reassured by Mme. de Villeparisis′s intervention, but in so faint a voice that no one but myself overheard him.
— Elle est vraiment étonnante la petite duchesse, dit M. d′Argencourt en montrant Mme de Guermantes qui causait avec G . . . Dès qu′il y a un homme en vue dans un salon, il est toujours à côté d′elle. Évidemment cela ne peut être que le grand pontife qui se trouve là. Cela ne peut pas être tous les jours M. de Borelli, Schlumberger ou d′Avenel. Mais alors ce sera M. Pierre Loti ou Edmond Rostand. Hier soir, chez les Doudeauville, où, entre parenthèses, elle était splendide sous son diadème d′émeraudes, dans une grande robe rose à queue, elle avait d′un côté d′elle M. Deschanel, de l′autre l′ambassadeur d′Allemagne: elle leur tenait tête sur la Chine; le gros public, à distance respectueuse, et qui n′entendait pas ce qu′ils disaient, se demandait s′il n′y allait pas y avoir la guerre. Vraiment on aurait dit une reine qui tenait le cercle.
“She really is astonishing, the little Duchess,” said M. d′Argencourt, pointing to Mme. de Guermantes who was talking to G——. “Whenever there′s a famous man in the room you′re sure to find him sitting with her. Evidently that must be the lion of the party over there. It can′t always be M. de Borelli, of course, or M. Schlumberger or M. d′Avenel. But then it′s bound to be M. Pierre Loti or M. Edmond Rostand. Yesterday evening at the Doudeauvilles′, where by the way she was looking splendid in her emerald tiara and a pink dress with a long train, she had M. Deschanel on one side and the German Ambassador on the other: she was holding forth to them about China; the general public, at a respectful distance where they couldn′t hear what was being said, were wondering whether there wasn′t going to be war. Really, you′d have said she was a Queen, holding her circle.”
Chacun s′était rapproché de Mme de Villeparisis pour la voir peindre.
Everyone had gathered round Mme. de Villeparisis to watch her painting.
— Ces fleurs sont d′un rose vraiment céleste, dit Legrandin, je veux dire couleur de ciel rose. Car il y a un rose ciel comme il y a un bleu ciel. Mais, murmura-t-il pour tâcher de n′être entendu que de la marquise, je crois que je penche encore pour le soyeux, pour l′incarnat vivant de la copie que vous en faites. Ah! vous laissez bien loin derrière vous Pisanello et Van Huysun, leur herbier minutieux et mort.
“Those flowers are a truly celestial pink,” said Legrandin, “I should say sky-pink. For there is such a thing as sky-pink just as there is sky-blue. But,” he lowered his voice in the hope that he would not be heard by anyone but the Marquise, “I think I shall still give my vote to the silky, living flesh tint of your rendering of them. You leave Pisanello and Van Huysun a long way behind, with their laborious, dead herbals.”
Un artiste, si modeste qu′il soit, accepte toujours d′être préféré à ses rivaux et tâche seulement de leur rendre justice.
An artist, however modest, is always willing to hear himself preferred to his rivals, and tries only to see that justice is done them.
— Ce qui vous fait cet effet-là, c′est qu′ils peignaient des fleurs de ce temps-là que nous ne connaissons plus, mais ils avaient une bien grande science.
“What makes you think that is that they painted the flowers of their period, which we don′t have now, but they did it with great skill.”
— Ah! des fleurs de ce temps-là, comme c′est ingénieux, s′écria Legrandin.
“Ah! The flowers of their period! That is a most ingenious theory,” exclaimed Legrandin.
— Vous peignez en effet de belles fleurs de cerisier . . . ou de roses de mai, dit l′historien de la Fronde non sans hésitation quant à la fleur, mais avec de l′assurance dans la voix, car il commençait à oublier l′incident des chapeaux.
“I see you′re painting some fine cherry blossoms — or are they may-flowers?” began the historian of the Fronde, not without hesitation as to the flower, but with a note of confidence in his voice, for he was beginning to forget the incident of the hats.
— Non, ce sont des fleurs de pommier, dit la duchesse de Guermantes en s′adressant à sa tante.
“No; they′re apple blossom,” said the Duchesse de Guermantes, addressing her aunt.
— Ah! je vois que tu es une bonne campagnarde; comme moi, tu sais distinguer les fleurs.
“Ah! I see you′re a good countrywoman like me; you can tell one flower from another.”
— Ah! oui, c′est vrai! mais je croyais que la saison des pommiers était déjà passée, dit au hasard l′historien de la Fronde pour s′excuser.
“Why yes, so they are! But I thought the season for apple blossom was over now,” said the historian, seeking wildly to cover his mistake.
— Mais non, au contraire, ils ne sont pas en fleurs, ils ne le seront pas avant une quinzaine, peut-être trois semaines, dit l′archiviste qui, gérant un peu les propriétés de Mme de Villeparisis, était plus au courant des choses de la campagne.
“Oh dear, no; far from it, it′s not out yet; the trees won′t be in blossom for another fortnight, not for three weeks perhaps,” said the librarian who, since he helped with the management of Mme. de Villeparisis′s estates, was better informed upon country matters.
— Oui, et encore dans les environs de Paris où ils sont très en avance. En Normandie, par exemple, chez son père, dit-elle en désignant le duc de Châtellerault, qui a de magnifiques pommiers au bord de la mer, comme sur un paravent japonais, ils ne sont vraiment roses qu′après le 20 mai.
“At least three weeks,” put in the Duchess; “even round Paris, where they′re very far forward. Down in Normandy, don′t you know, at his father′s place,” she went on, pointing to the young Duc de Châtellerault, “where they have some splendid apple trees close to the seashore, like a Japanese screen, they′re never really pink until after the twentieth of May.”
— Je ne les vois jamais, dit le jeune duc, parce que ça me donne la fièvre des foins, c′est épatant.
“I never see them,” said the young Duke, “because they give me hay fever. Such a bore.”
— La fièvre des foins, je n′ai jamais entendu parler de cela, dit l′historien.
“Hay fever? I never heard of that before,” said the historian.
— C′est la maladie à la mode, dit l′archiviste.
“It′s the fashionable complaint just now,” the librarian informed him.
—
Ça dépend, cela ne vous donnerait peut-être rien si c′est une année où il y a des pommes. Vous savez le mot du Normand. Pour une année où il y a des pommes . . . dit M. d′Argencourt, qui n′étant pas tout à fait français, cherchait à se donner l′air parisien.
“That all depends, you won′t get it at all, probably, if it′s a good year for apples. You know Le Normand′s saying: ‘When it′s a good year for apples . . . ′,” put in M. d′Argencourt who, not being really French, was always trying to give himself a Parisian air.
— Tu as raison, répondit à sa nièce Mme de Villeparisis, ce sont des pommiers du Midi. C′est une fleuriste qui m′a envoyé ces branches-là en me demandant de les accepter. Cela vous étonne, monsieur Vallenères, dit-elle en se tournant vers l′archiviste, qu′une fleuriste m′envoie des branches de pommier? Mais j′ai beau être une vieille dame, je connais du monde, j′ai quelques amis, ajouta-t-elle en souriant par simplicité, crut-on généralement, plutôt, me sembla-t-il, parce qu′elle trouvait du piquant à tirer vanité de l′amitié d′une fleuriste quand on avait d′aussi grandes relations.
“You′re quite right,” Mme. de Villeparisis told her niece, “these are from the South. It was a florist who sent them round and asked me to accept them as a present. You′re surprised, I dare say, Monsieur Valmère,” she turned to the librarian, “that a florist should make me a present of apple blossom. Well, I may be an old woman, but I′m not quite on the shelf yet, I have still a few friends,” she went on with a smile that might have been taken as a sign of her simple nature but meant rather, I could not help feeling, that she thought it effective to pride herself on the friendship of a mere florist when she moved in such distinguished circles.
Bloch se leva pour venir à son tour admirer les fleurs que peignait Mme de Villeparisis.
Bloch rose and went over to look at the flowers which Mme. de Villeparisis was painting.
— N′importe, marquise, dit l′historien regagnant sa chaise, quand même reviendrait une de ces révolutions qui ont si souvent ensanglanté l′histoire de France — et, mon Dieu, par les temps où nous vivons on ne peut savoir, ajouta-t-il en jetant un regard circulaire et circonspect comme pour voir s′il ne se trouvait aucun «mal pensant» dans le salon, encore qu′il n′en doutât pas — avec un talent pareil et vos cinq langues, vous seriez toujours sûre de vous tirer d′affaire. L′historien de la Fronde goûtait quelque repos, car il avait oublié ses insomnies. Mais il se rappela soudain qu′il n′avait pas dormi depuis six jours, alors une dure fatigue, née de son esprit, s′empara de ses jambes, lui fit courber les épaules, et son visage désolé pendait, pareil à celui d′un vieillard.
“Never mind, Marquise,” said the historian, sitting down again, “even though we should have another of those Revolutions which have stained so many pages of our history with blood — and, upon my soul, in these days one can never tell,” he added, with a circular and circumspect glance, as though to make sure that there was no ‘disaffected′ person in the room, though he had not the least suspicion that there actually was, “with a talent like yours and your five languages you would be certain to get on all right.” The historian of the Fronde was feeling quite refreshed, for he had forgotten his insomnia. But he suddenly remembered that he had not slept for the last six nights, whereupon a crushing weariness, born of his mind, paralysed his limbs, made him bow his shoulders, and his melancholy face began to droop like an old man′s.
Bloch voulut faire un geste pour exprimer son admiration, mais d′un coup de coude il renversa le vase où était la branche et toute l′eau se répandit sur le tapis.
Bloch tried to express his admiration in an appropriate gesture, but only succeeded in knocking over with his elbow the glass containing the spray of apple blossom, and all the water was spilled on the carpet.
— Vous avez vraiment des doigts de fée, dit à la marquise l′historien qui, me tournant le dos à ce moment-là, ne s′était pas aperçu de la maladresse de Bloch.
“Really, you have the fingers of a fairy,” went on (to the Marquise) the historian who, having his back turned to me at that moment, had not noticed Bloch′s clumsiness.
Mais celui-ci crut que ces mots s′appliquaient à lui, et pour cacher sous une insolence la honte de sa gaucherie:
But Bloch took this for a sneer at himself, and to cover his shame in insolence retorted:
— Cela ne présente aucune importance, dit-il, car je ne suis pas mouillé.
“It′s not of the slightest importance; I′m not wet.”
Mme de Villeparisis sonna et un valet de pied vint essuyer le tapis et ramasser les morceaux de verre. Elle invita les deux jeunes gens à sa matinée ainsi que la duchesse de Guermantes à qui elle recommanda:
Mme. de Villeparisis rang the bell and a footman came to wipe the carpet and pick up the fragments of glass. She invited the two young men to her theatricals, and also Mme. de Guermantes, with the injunction:
— Pense à dire à Gisèle et à Berthe (les duchesses d′Auberjon et de Portefin) d′être là un peu avant deux heures pour m′aider, comme elle aurait dit à des maîtres d′hôtel extras d′arriver d′avance pour faire les compotiers.
“Remember to tell Gisèle and Berthe” (the Duchesses d′Auberjon and de Portefin) “to be here a little before two to help me,” as she might have told the hired waiters to come early to arrange the tables.
Elle n′avait avec ses parents princiers, pas plus qu′avec M. de Norpois, aucune de ces amabilités qu′elle avait avec l′historien, avec Cottard, avec Bloch, avec moi, et ils semblaient n′avoir pour elle d′autre intérêt que de les offrir en pâture à notre curiosité. C′est qu′elle savait qu′elle n′avait pas à se gêner avec des gens pour qui elle n′était pas une femme plus ou moins brillante, mais la soeur susceptible, et ménagée, de leur père ou de leur oncle. Il ne lui eût servi à rien de chercher à briller vis-à-vis d′eux, à qui cela ne pouvait donner le change sur le fort ou le faible de sa situation, et qui mieux que personne connaissaient son histoire et respectaient la race illustre dont elle était issue. Mais surtout ils n′étaient plus pour elle qu′un résidu mort qui ne fructifierait plus; ils ne lui feraient pas connaître leurs nouveaux amis, partager leurs plaisirs. Elle ne pouvait obtenir que leur présence ou la possibilité de parler d′eux à sa réception de cinq heures, comme plus tard dans ses Mémoires dont celle-ci n′était qu′une sorte de répétition, de première lecture à haute voix devant un petit cercle. Et la compagnie que tous ces nobles parents lui servaient à intéresser, à éblouir, à enchaîner, la compagnie des Cottard, des Bloch, des auteurs dramatiques notoires, historiens de la Fronde de tout genre, c′était dans celle-là que, pour Mme de Villeparisis —à défaut de la partie du monde élégant qui n′allait pas chez elle —étaient le mouvement, la nouveauté, les divertissements et la vie; c′étaient ces gens-là dont elle pouvait tirer des avantages sociaux (qui valaient bien qu′elle leur fît rencontrer quelquefois, sans qu′ils la connussent jamais, la duchesse de Guermantes): des dîners avec des hommes remarquables dont les travaux l′avaient intéressée, un opéra-comique ou une pantomime toute montée que l′auteur faisait représenter chez elle, des loges pour, des spectacles curieux. Bloch se leva pour partir. Il avait dit tout haut que l′incident du vase de fleurs renversé n′avait aucune importance, mais ce qu′il disait tout bas était différent, plus différent encore ce qu′il pensait: «Quand on n′a pas des domestiques assez bien stylés pour savoir placer un vase sans risquer de tremper et même de blesser les visiteurs on ne se mêle pas d′avoir de ces luxes-là», grommelait-il tout bas. Il était de ces gens susceptibles et «nerveux» qui ne peuvent supporter d′avoir commis une maladresse qu′ils ne s′avouent pourtant pas, pour qui elle gâte toute la journée. Furieux, il se sentait des idées noires, ne voulait plus retourner dans le monde. C′était le moment où un peu de distraction est nécessaire. Heureusement, dans une seconde, Mme de Villeparisis allait le retenir. Soit parce qu′elle connaissait les opinions de ses amis et le flot d′antisémitisme qui commençait à monter, soit par distraction, elle ne l′avait pas présenté aux personnes qui se trouvaient là. Lui, cependant, qui avait peu l′usage du monde, crut qu′en s′en allant il devait les saluer, par savoir-vivre, mais sans amabilité; il inclina plusieurs fois le front, enfonça son menton barbu dans son faux-col, regardant successivement chacun à travers son lorgnon, d′un air froid et mécontent. Mais Mme de Villeparisis l′arrêta; elle avait encore à lui parler du petit acte qui devait être donné chez elle, et d′autre part elle n′aurait pas voulu qu′il partît sans avoir eu la satisfaction de connaître M. de Norpois (qu′elle s′étonnait de ne pas voir entrer), et bien que cette présentation fût superflue, car Bloch était déjà résolu à persuader aux deux artistes dont il avait parlé de venir chanter à l′oeil chez la marquise, dans l′intérêt de leur gloire, à une de ces réceptions où fréquentait l′élite de l′Europe. Il avait même proposé en plus une tragédienne «aux yeux purs, belle comme Héra», qui dirait des proses lyriques avec le sens de la beauté plastique. Mais à son nom Mme de Villeparisis avait refusé, car c′était l′amie de Saint–Loup.
She treated her princely relatives, as she treated M. de Norpois, without any of the little courtesies which she shewed to the historian, Cottard, Bloch and myself, and they seemed to have no interest for her beyond the possibility of serving them up as food for our social curiosity. This was because she knew that she need not put herself out to entertain people for whom she was not a more or less brilliant woman but the touchy old sister — who needed and received tactful handling — of their father or uncle. There would have been no object in her trying to shine before them, she could never have deceived them as to the strength and weakness of her position, for they knew (none so well) her whole history and respected the illustrious race from which she sprang. But, above all, they had ceased to be anything more for her than a dead stock which would not bear fruit again, they would not let her know their new friends, or share their pleasures. She could obtain from them only their occasional presence, or the possibility of speaking of them, at her five o′clock tea-parties as, later on, in her Memoirs, of which these parties were only a sort of rehearsal, a preliminary reading aloud of the manuscript before a selected audience. And the society which all these noble kinsmen and kinswomen served to interest, to dazzle, to enthral, the society of the Cottards, of the Blochs, of the dramatists who were in the public eye at the moment, of the historians of the Fronde and such matters; it was in this society that there existed for Mme. de Villeparisis — failing that section of the fashionable world which did not call upon her — the movement, the novelty, all the entertainment of life, it was from people like these that she was able to derive social benefits (which made it well worth her while to let them meet, now and then, though without ever coming to know her, the Duchesse de Guermantes), dinners with remarkable men whose work had interested her, a light opera or a pantomime staged complete by its author in her drawing-room, boxes for interesting shows. Bloch got up to go. He had said aloud that the incident of the broken flower-glass was of no importance, but what he said to himself was different, more different still what he thought: “If people can′t train their servants to put flowers where they won′t be knocked over and wet their guests and probably cut their hands, it′s much better not to go in for such luxuries,” he muttered angrily. He was one of those susceptible, highly strung persons who cannot bear to think of themselves as having made a blunder which, though they do not admit even to themselves that they have made it, is enough to spoil their whole day. In a black rage, he was just making up his mind never to go into society again. He had reached the point at which some distraction was imperative. Fortunately in another minute Mme. de Villeparisis was to press him to stay. Either because she was aware of the general feeling among her friends, and had noticed the tide of anti-semitism that was beginning to rise, or simply from carelessness, she had not introduced him to any of the people in the room. He, however, being little used to society, felt bound before leaving the room to take leave of them all, to shew his manners, but without any friendliness; he lowered his head several times, buried his bearded chin in his collar, scrutinised each of the party in turn through his glasses with a cold, dissatisfied glare. But Mme. de Villeparisis stopped him; she had still to discuss with him the little play which was to be performed in her house, and also she did not wish him to leave before he had had the pleasure of meeting M. de Norpois (whose failure to appear puzzled her), although as an inducement to Bloch this introduction was quite superfluous, he having already decided to persuade the two actresses whose names he had mentioned to her to come and sing for nothing in the Marquise′s drawing-room, to enhance their own reputations, at one of those parties to which all that was best and noblest in Europe thronged. He had even offered her, in addition, a tragic actress ‘with pure eyes, fair as Hera,′ who would recite lyrical prose with a sense of plastic beauty. But On hearing this lady′s name Mme. de Villeparisis had declined, for it was that of Saint-Loup′s mistress.
— J′ai de meilleures nouvelles, me dit-elle à l′oreille, je crois que cela ne bat plus que d′une aile et qu′ils ne tarderont pas à être séparés, malgré un officier qui a joué un rôle abominable dans tout cela, ajouta-t-elle. (Car la famille de Robert commençait à en vouloir à mort à M. de Borodino qui avait donné la permission pour Bruges, sur les instances du coiffeur, et l′accusait de favoriser une liaison infâme.) C′est quelqu′un de très mal, me dit Mme de Villeparisis, avec l′accent vertueux des Guermantes même les plus dépravés. De très, très mal, reprit-elle en mettant trois t à très. On sentait qu′elle ne doutait pas qu′il ne fût en tiers dans toutes les orgies. Mais comme l′amabilité était chez la marquise l′habitude dominante, son expression de sévérité froncée envers l′horrible capitaine, dont elle dit avec une emphase ironique le nom: le Prince de Borodino, en femme pour qui l′Empire ne compte pas, s′acheva en un tendre sourire à mon adresse avec un clignement d′oeil mécanique de connivence vague avec moi.
“I have better news,” she murmured in my ear. “I really believe he′s quite cooled off now, and that before very long they′ll be parted — in spite of an officer who has played an abominable part in the whole business,” she added. For Robert′s family were beginning to look with a deadly hatred on M. de Borodino, who had given him leave, at the hairdresser′s instance, to go to Bruges, and accused him of giving countenance to an infamous intrigue. “It′s really too bad of him,” said Mme. de Villeparisis with that virtuous accent common to all the Guermantes, even the most depraved. “Too, too bad,” she repeated, giving the word a trio of t′s. One felt that she had no doubt of the Prince′s being present at all their orgies. But, as kindness of heart was the old lady′s dominant quality, her expression of frowning severity towards the horrible captain, whose name she articulated with an ironical emphasis: “The Prince de Borodino!”— speaking as a woman for whom the Empire simply did not count, melted into a gentle smile at myself with a mechanical twitch of the eyelid indicating a vague understanding between us.
— J′aime beaucoup de Saint–Loup-en-Bray, dit Bloch, quoiqu′il soit un mauvais chien, parce qu′il est extrêmement bien élevé. J′aime beaucoup, pas lui, mais les personnes extrêmement bien élevées, c′est si rare, continua-t-il sans se rendre compte, parce qu′il était lui-même très mal élevé, combien ses paroles déplaisaient. Je vais vous citer une preuve que je trouve très frappante de sa parfaite éducation. Je l′ai rencontré une fois avec un jeune homme, comme il allait monter sur son char aux belles jantes, après avoir passé lui-même les courroies splendides à deux chevaux nourris d′avoine et d′orge et qu′il n′est pas besoin d′exciter avec le fouet étincelant. Il nous présenta, mais je n′entendis pas le nom du jeune homme, car on n′entend jamais le nom des personnes à qui on vous présente, ajouta-t-il en riant parce que c′était une plaisanterie de son père. De Saint–Loup-en-Bray resta simple, ne fit pas de frais exagérés pour le jeune homme, ne parut gêné en aucune façon. Or, par hasard, j′ai appris quelques jours après que le jeune homme était le fils de Sir Rufus Israël!
“I have a great admiration for de Saint-Loup-en-Bray,” said Bloch, “dirty dog as he is, because he′s so extremely well-bred. I have a great admiration, not for him but for well-bred people, they′re so rare,” he went on, without thinking, since he was himself so extremely ill-bred, what offence his words were giving. “I will give you an example which I consider most striking of his perfect breeding. I met him once with a young gentleman just as he was about to spring into his wheeled chariot, after he himself had buckled their splendid harness on a pair of steeds, whose mangers were heaped with oats and barley, who had no need of the flashing whip to urge them on. He introduced us, but I did not catch the gentleman′s name; one never does catch people′s names when one′s introduced to them,” he explained with a laugh, this being one of his father′s witticisms. “De Saint-Loup-en-Bray was perfectly calm, made no fuss about the young gentleman, seemed absolutely at his ease. Well, I found out, by pure chance, a day or two later, that the young gentleman was the son of Sir Rufus Israels!”
La fin de cette histoire parut moins choquante que son début, car elle resta incompréhensible pour les personnes présentes. En effet, Sir Rufus Israël, qui semblait à Bloch et à son père un personnage presque royal devant lequel Saint–Loup devait trembler, était au contraire aux yeux du milieu Guermantes un étranger parvenu, toléré par le monde, et de l′amitié de qui on n′eût pas eu l′idée de s′enorgueillir, bien au contraire!
The end of this story sounded less shocking than its preface, for it remained quite incomprehensible to everyone in the room. The fact was that Sir Rufus Israels, who seemed to Bloch and his father an almost royal personage before whom Saint-Loup ought to tremble, was in the eyes of the Guermantes world a foreign upstart, tolerated in society, on whose friendship nobody would ever have dreamed of priding himself, far from it.
— Je l′ai appris, dit Bloch, par le fondé de pouvoir de Sir Rufus Israël, lequel est un ami de mon père et un homme tout à fait extraordinaire. Ah! un individu absolument curieux, ajouta-t-il, avec cette énergie affirmative, cet accent d′enthousiasme qu′on n′apporte qu′aux convictions qu′on ne s′est pas formées soi-même.
“I learned this,” Bloch informed us, “from the person who holds Sir Rufus′s power of attorney; he is a friend of my father, and quite an extraordinary man. Oh, an absolutely wonderful individual,” he assured us with that affirmative energy, that note of enthusiasm which one puts only into those convictions that did not originate with oneself.
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“Tell me,” Bloch went on, lowering his voice, to myself, “how much do you suppose Saint-Loup has? Not that it matters to me in the least, you quite understand, don′t you. I′m interested from the Balzacian point of view. You don′t happen to know what it′s in, French stocks, foreign stocks, or land or what?”
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I could give him no information whatsoever. Suddenly raising his voice, Bloch asked if he might open the windows, and without waiting for an answer, went across the room to do so. Mme. de Villeparisis protested that he must not, that she had a cold. “Of course, if it′s bad for you!” Bloch was downcast. “But you can′t say it′s not hot in here.” And breaking into a laugh he put into the gaze with which he swept the room an appeal for support against Mme. de Villeparisis. He received none, from these well-bred people. His blazing eyes, having failed to seduce any of the guests from their allegiance, faded with resignation to their normal gravity of expression; he acknowledged his defeat with: “What′s the temperature? Seventy-two, at least, I should say. I′m not surprised. I′m simply dripping. And I have not, like the sage Antenor, son of the river Aipheus, the power to plunge myself in the paternal wave to stanch my sweat before laying my body in a bath of polished marble and anointing my limbs with fragrant oils.” And with that need which people feel to outline for the use of others medical theories the application of which would be beneficial to their own health: “Well, if you believe it′s good for you! I must say, I think you′re quite wrong. It′s exactly what gives you your cold.”
Bloch s′était montré enchanté de l′idée de connaître M. de Norpois. — Il eût aimé, disait-il, le faire parler sur l′affaire Dreyfus. Il y a là une mentalité que je connais mal et ce serait assez piquant de prendre une interview à ce diplomate considérable, dit-il d′un ton sarcastique pour ne pas avoir l′air de se juger inférieur à l′Ambassadeur.
Bloch was overjoyed at the idea of meeting M. de Norpois. He would like, he told us, to get him to talk about the Dreyfus case. “There′s a mentality at work there which I don′t altogether understand, and it would be quite sensational to get an interview out of this eminent diplomat,” he said in a tone of sarcasm, so as not to appear to be rating himself below the Ambassador.
— Dis-moi, reprit Bloch en me parlant tout bas, quelle fortune peut avoir Saint–Loup? Tu comprends bien que, si je te demande cela, je m′en moque comme de l′an quarante, mais c′est au point de vue balzacien, tu comprends. Et tu ne sais même pas en quoi c′est placé, s′il a des valeurs, françaises, étrangères, des terres?
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Je ne pus le renseigner en rien. Cessant de parler à mi-voix, Bloch demanda très haut la permission d′ouvrir les fenêtres et, sans attendre la réponse, se dirigea vers celles-ci. Mme de Villeparisis dit qu′il était impossible d′ouvrir, qu′elle était enrhumée. «Ah! si ça doit vous faire du mal! répondit Bloch, déçu. Mais on peut dire qu′il fait chaud!» Et se mettant à rire, il fit faire à ses regards qui tournèrent autour de l′assistance une quête qui réclamait un appui contre Mme de Villeparisis. Il ne le rencontra pas, parmi ces gens bien élevés. Ses yeux allumés, qui n′avaient pu débaucher personne, reprirent avec résignation leur sérieux; il déclara en matière de défaite: «Il fait au moins 22 degrés 25! Cela ne m′étonne pas. Je suis presque en nage. Et je n′ai pas, comme le sage Anténor, fils du fleuve Alpheios, la faculté de me tremper dans l′onde paternelle, pour étancher ma sueur, avant de me mettre dans une baignoire polie et de m′oindre d′une huile parfumée.» Et avec ce besoin qu′on a d′esquisser à l′usage des autres des théories médicales dont l′application serait favorable à notre propre bien-être: «Puisque vous croyez que c′est bon pour vous! Moi je crois tout le contraire. C′est justement ce qui vous enrhume.»
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Mme de Villeparisis regretta qu′il eût dit cela aussi tout haut, mais n′y attacha pas grande importance quand elle vit que l′archiviste, dont les opinions nationalistes la tenaient pour ainsi dire à la chaîne, se trouvait placé trop loin pour avoir pu entendre. Elle fut plus choquée d′entendre que Bloch, entraîné par le démon de sa mauvaise éducation qui l′avait préalablement rendu aveugle, lui demandait, en riant à la plaisanterie paternelle: «N′ai-je pas lu de lui une savante étude où il démontrait pour quelles raisons irréfutables la guerre russo-japonaise devait se terminer par la victoire des Russes et la défaite des Japonais? Et n′est-il pas un peu gâteux? Il me semble que c′est lui que j′ai vu viser son siège, avant d′aller s′y asseoir, en glissant comme sur des roulettes.»
Mme. de Villeparisis was sorry that he had said this so loud, but minded less when she saw that the librarian, whose strong Nationalist views kept her, so to speak, on leash, was too far off to have overheard. She was more shocked to hear Bloch, led on by that demon of ill-breeding which made him permanently blind to the consequences of what he said, inquiring, with a laugh at the paternal pleasantry: “Haven′t I read a learned treatise by him in which he sets forth a string of irrefutable arguments to prove that the Japanese war was bound to end in a Russian victory and a Japanese defeat? He′s fairly paralytic now, isn′t he? I′m sure he′s the old boy I′ve seen taking aim at his chair before sliding across the room to it, as if he was on wheels.”
— Jamais de la vie! Attendez un instant, ajouta la marquise, je ne sais pas ce qu′il peut faire.
“Oh, dear, no! Not in the least like that! Just wait a minute,” the Marquise went on, “I don′t know what he can be doing.”
Elle sonna et quand le domestique fut entré, comme elle ne dissimulait nullement et même aimait à montrer que son vieil ami passait la plus grande partie de son temps chez elle: — Allez donc dire à M. de Norpois de venir, il est en train de classer des papiers dans mon bureau, il a dit qu′il viendrait dans vingt minutes et voilà une heure trois quarts que je l′attends. Il vous parlera de l′affaire Dreyfus, de tout ce que vous voudrez, dit-elle d′un ton boudeur à Bloch, il n′approuve pas beaucoup ce qui se passe.
She rang the bell and, when the servant had appeared, as she made no secret, and indeed liked to advertise the fact that her old friend spent the greater part of his time in her house: “Go and tell M. de Norpois to come in” she ordered him, “he is sorting some papers in my library; he said he would be twenty minutes, and I′ve been waiting now for an hour and three-quarters. He will tell you about the Dreyfus case, anything you want to know,” she said gruffly to Bloch. “He doesn′t approve much of the way things are going.”
Car M. de Norpois était mal avec le ministère actuel et Mme de Villeparisis, bien qu′il ne se fût pas permis de lui amener des personnes du gouvernement (elle gardait tout de même sa hauteur de dame de la grande aristocratie et restait en dehors et au-dessus des relations qu′il était obligé de cultiver), était tenue par lui au courant de ce qui se passait. De même ces nommes politiques du régime n′auraient pas osé demander à M. de Norpois de les présenter à Mme de Villeparisis. Mais plusieurs étaient aller le chercher chez elle à la campagne, quand ils avaient eu besoin de son concours dans des circonstances graves. On savait l′adresse. On allait au château. On ne voyait pas la châtelaine. Mais au dîner elle disait: «Monsieur, je sais qu′on est venu vous déranger. Les affaires vont-elles mieux?»
For M. de Norpois was not on good terms with the Government of the day, and Mme. de Villeparisis, although he had never taken the liberty of bringing any actual Ministers to her house (she still preserved all the unapproachable dignity of a great lady, and remained outside and above the political relations which he was obliged to cultivate), was kept well informed by him of everything that went on. Then, too, the politicians of the day would never have dared to ask M. de Norpois to introduce them to Mme. de Villeparisis. But several of them had gone down to see him at her house in the country when they needed his advice or help at critical conjectures. One knew the address. One went to the house. One did not see its mistress. But at dinner that evening she would say: “I hear they′ve been down here bothering you. I trust things are going better.”
— Vous n′êtes pas trop pressé? demanda Mme de Villeparisis à Bloch?
“You are not in a hurry?” she now asked Bloch.
— Non, non, je voulais partir parce que je ne suis pas très bien, il est même question que je fasse une cure à Vichy pour ma vésicule biliaire, dit-il en articulant ces mots avec une ironie satanique.
“No, not at all. I wanted to go because I am not very well; in fact there is some talk of my taking a cure at Vichy for my biliary ducts,” he explained, articulating the last words with a fiendish irony.
— Tiens, mais justement mon petit-neveu Châtellerault doit y aller, vous devriez arranger cela ensemble. Est-ce qu′il est encore là? Il est gentil, vous savez, dit Mme de Villeparisis de bonne foi peut-être, et pensant que des gens qu′elle connaissait tous deux n′avaient aucune raison de ne pas se lier.
“Why, that′s where my nephew Châtellerault′s got to go, you must fix it up together. Is he still in the room? He′s a nice boy, you know,” said Mme. de Villeparisis, and may quite well have meant what she said, feeling that two people whom she knew had no reason not to be friends with each other.
— Oh! je ne sais si ça lui plairait, je ne le connais . . . qu′à peine, il est là-bas plus loin, dit Bloch confus et ravi.
“Oh, I dare say he wouldn′t care about that — I don′t really know him — at least I barely know him. He is sitting over there,” stammered Bloch in ecstasy of confusion.
Le maître d′hôtel n′avait pas dû exécuter d′une façon complète la commission dont il venait d′être chargé pour M. de Norpois. Car celui-ci, pour faire croire qu′il arrivait du dehors et n′avait pas encore vu la maîtresse de la maison, prit au hasard un chapeau dans l′antichambre et vint baiser cérémonieusement la main de Mme de Villeparisis, en lui demandant de ses nouvelles avec le même intérêt qu′on manifeste après une longue absence. Il ignorait que la marquise de Villeparisis avait préalablement ôté toute vraisemblance à cette comédie, à laquelle elle coupa court d′ailleurs en emmenant M. de Norpois et Bloch dans un salon voisin. Bloch, qui avait vu toutes les amabilités qu′on faisait à celui qu′il ne savait pas encore être M. de Norpois, et les saluts compassés, gracieux et profonds par lesquels l′Ambassadeur y répondait, Bloch se sentait inférieur à tout ce cérémonial et, vexé de penser qu′il ne s′adresserait jamais à lui, m′avait dit pour avoir l′air à l′aise: «Qu′est-ce que cette espèce d′imbécile?» Peut-être du reste toutes les salutations de M. de Norpois choquant ce qu′il y avait de meilleur en Bloch, la franchise plus directe d′un milieu moderne, est-ce en partie sincèrement qu′il les trouvait ridicules. En tout cas elles cessèrent de le lui paraître et même l′enchantèrent dès la seconde où ce fut lui, Bloch, qui se trouva en être l′objet.
The butler could not have delivered his mistress′s message properly, for M. de Norpois, to make believe that he had just come in from the street, and had not yet seen his hostess, had picked up the first hat that he had found in the hall, and came forward to kiss Mme. de Villeparisis′s hand with great ceremony, asking after her health with all the interest that people shew after a long separation. He was not aware that the Marquise had already destroyed any semblance of reality in this charade, which she cut short by taking M. de Norpois and Bloch into an adjoining room. Bloch, who had observed all the courtesy that was being shewn to a person whom he had not yet discovered to be M. de Norpois, had said to me, trying to seem at his ease: “Who is that old idiot?” Perhaps, too, all this bowing and scraping by M. de Norpois had really shocked the better element in Bloch′s nature, the freer and more straightforward manners of a younger generation, and he was partly sincere in condemning it as absurd. However that might be, it ceased to appear absurd, and indeed delighted him the moment it was himself, Bloch, to whom the salutations were addressed.
— Monsieur l′Ambassadeur, dit Mme de Villeparisis, je voudrais vous faire connaître Monsieur. Monsieur Bloch, Monsieur le marquis de Norpois. Elle tenait, malgré la façon dont elle rudoyait M. de Norpois, à lui dire: «Monsieur l′Ambassadeur» par savoir-vivre, par considération exagérée du rang d′ambassadeur, considération que le marquis lui avait inculquée, et enfin pour appliquer ces manières moins familières, plus cérémonieuses à l′égard d′un certain homme, lesquelles dans le salon d′une femme distinguée, tranchant avec la liberté dont elle use avec ses autres habitués, désignent aussitôt son amant.
“Monsieur l′Ambassadeur,” said Mme. de Villeparisis, “I should like you to know this gentleman. Monsieur Bloch, Monsieur le Marquis de Norpois.” She made a point, despite her casual usage of M. de Norpois, of addressing him always as “Monsieur l′Ambassadeur,” as a social convention as well as from an exaggerated respect for his Ambassadorial rank, a respect which the Marquis had inculcated in her, and also with an instinctive application to him of the special manner, less familiar and more ceremonious, in relation to one particular man — which, in the house of a distinguished woman, in contrast to the liberties that she takes with her other guests, marks that man out instantly as her lover.
M. de Norpois noya son regard bleu dans sa barbe blanche, abaissa profondément sa haute taille comme s′il l′inclinait devant tout ce que lui représentait de notoire et d′imposant le nom de Bloch, murmura «je suis enchanté», tandis que son jeune interlocuteur, ému mais trouvant que le célèbre diplomate allait trop loin, rectifia avec empressement et dit: «Mais pas du tout, au contraire, c′est moi qui suis enchanté!» Mais cette cérémonie, que M. de Norpois par amitié pour Mme de Villeparisis renouvelait avec chaque inconnu que sa vieille amie lui présentait, ne parut pas à celle-ci une politesse suffisante pour Bloch à qui elle dit:
M. de Norpois drowned his azure gaze in his white beard, bent his tall body deep down as though he were bowing before all the famous and (to him) imposing connotations of the name Bloch, and murmured: “I am delighted . . . ” whereat his young listener, moved, but feeling that the illustrious diplomat was going too far, hastened to correct him, saying: “Not at all! On the contrary, it is I who am delighted.” But this ceremony, which M. de Norpois, in his friendship for Mme. de Villeparisis, repeated for the benefit of every fresh person that his old friend introduced to him, did not seem to her adequate to the deserts of Bloch, to whom she said:
— Mais demandez-lui tout ce que vous voulez savoir, emmenez-le à côté si cela est plus commode; il sera enchanté de causer avec vous. Je crois que vous vouliez lui parler de l′affaire Dreyfus, ajouta-t-elle sans plus se préoccuper si cela faisait plaisir à M. de Norpois qu′elle n′eût pensé à demander leur agrément au portrait de la duchesse de Montmorency avant de le faire éclairer pour l′historien, ou au thé avant d′en offrir une tasse.
“Just ask him anything you want to know; take him into the other room if it′s more convenient; he will be delighted to talk to you. I think you wished to speak to him about the Dreyfus case,” she went on, no more considering whether this would suit M. de Norpois than she would have thought of asking leave of the Duchesse de Montmorency′s portrait before having it lighted up for the historian, or of the tea before pouring it into a cup.
— Parlez-lui fort, dit-elle à Bloch, il est un peu sourd, mais il vous dira tout ce que vous voudrez, il a très bien connu Bismarck, Cavour. N′est-pas, Monsieur, dit-elle avec force, vous avez bien connu Bismarck?
“You must speak loud,” she warned Bloch, “he′s a little deaf, but he will tell you anything you want to know; he knew Bismarck very well, and Cavour. That is so, isn′t it;” she raised her voice, “you knew Bismarck well?”
— Avez-vous quelque chose sur le chantier? me demanda M. de Norpois avec un signe d′intelligence en me serrant la main cordialement. J′en profitai pour le débarrasser obligeamment du chapeau qu′il avait cru devoir apporter en signe de cérémonie, car je venais de m′apercevoir que c′était le mien qu′il avait pris par hasard. «Vous m′aviez montré une oeuvrette un peu tarabiscotée où vous coupiez les cheveux en quatre. Je vous ai donné franchement mon avis; ce que vous aviez fait ne valait pas la peine que vous le couchiez sur le papier. Nous préparez-vous quelque chose? Vous êtes très féru de Bergotte, si je me souviens bien. — Ah! ne dites pas de mal de Bergotte, s′écria la duchesse. — Je ne conteste pas son talent de peintre, nul ne s′en aviserait, duchesse. Il sait graver au burin ou à l′eau-forte, sinon brosser, comme M. Cherbuliez, une grande composition. Mais il me semble que notre temps fait une confusion de genres et que le propre du romancier est plutôt de nouer une intrigue et d′élever les coeurs que de fignoler à la pointe sèche un frontispice ou un cul-de-lampe. Je verrai votre père dimanche chez ce brave A.J., ajouta-t-il en se tournant vers moi.
“Have you got anything on the stocks?” M. de Norpois asked me with a knowing air as he shook my hand warmly. I took the opportunity to relieve him politely of the hat which he had felt obliged to bring ceremonially into the room, for I saw that it was my own which he had inadvertently taken. “You shewed me a somewhat laboured little thing in which you went in for a good deal of hair-splitting. I gave you my opinion quite frankly; what you had written was literally not worth the trouble of putting it on paper. Are you thinking of letting us have anything else? You were greatly smitten with Bergotte, if I remember rightly.” “You′re not to say anything against Bergotte,” put in the Duchess. “I don′t dispute his talent as a painter; no one would, Duchess. He understands all about etching, if not brush-work on a large scale like M. Cherbuliez. But it seems to me that in these days we have a tendency to confuse the arts, and forget that the novelist′s business is rather to weave a plot and edify his readers than to fiddle away at producing a frontispiece or tailpiece in drypoint. I shall be seeing your father on Sunday at our good friend A. J.‘s,” he went on, turning again to myself.
J′espérai un instant, en le voyant parler à Mme de Guermantes, qu′il me prêterait peut-être pour aller chez elle l′aide qu′il m′avait refusée pour aller chez M. Swann. «Une autre de mes grandes admirations, lui dis-je, c′est Elstir. Il paraît que la duchesse de Guermantes en a de merveilleux, notamment cette admirable botte de radis que j′ai aperçue à l′Exposition et que j′aimerais tant revoir; quel chef-d′oeuvre que ce tableau!» Et en effet, si j′avais été un homme en vue, et qu′on m′eût demandé le morceau de peinture que je préférais, j′aurais cité cette botte de radis.
I had hoped for a moment, when I saw him talking to Mme. de Guermantes, that he would perhaps afford me, for getting myself asked to her house, the help he had refused me for getting to Mme. Swann′s. “Another of my great favourites,” I told him, “is Elstir. It seems the Duchesse de Guermantes has some wonderful examples of his work, particularly that admirable Bunch of Radishes which I remember at the Exhibition and should so much like to see again; what a masterpiece that is!” And indeed, if I had been a prominent person and had been asked to state what picture I liked best, I should have named this Bunch of Radishes.
— Un chef-d′oeuvre? s′écria M. de Norpois avec un air d′étonnement et de blâme. Ce n′a même pas la prétention d′être un tableau, mais une simple esquisse (il avait raison). Si vous appelez chef-d′oeuvre cette vive pochade, que direz-vous de la «Vierge» d′Hébert ou de Dagnan–Bouveret?
“A masterpiece?” cried M. de Norpois with a surprised and reproachful air. “It makes no pretence of being even a picture, it is merely a sketch.” (He was right.) “If you label a clever little thing of that sort ‘masterpiece,′ what have you got to say about Hébert′s Virgin or Dagnan-Bouveret?”
— J′ai entendu que vous refusiez l′amie de Robert, dit Mme de Guermantes à sa tante après que Bloch eût pris à part l′Ambassadeur, je crois que vous n′avez rien à regretter, vous savez que c′est une horreur, elle n′a pas l′ombre de talent, et en plus elle est grotesque.
“I heard you refusing to let him bring Robert′s woman,” said Mme. de Guermantes to her aunt, after Bloch had taken the Ambassador aside. “I don′t think you′ll miss much, she′s a perfect horror, as you know, without a vestige of talent, and besides she′s grotesquely ugly.”
— Mais comment la connaissez-vous, duchesse? dit M. d′Argencourt.
“Do you mean to say, you know her, Duchess?” asked M. d′Argencourt.
— Mais comment, vous ne savez pas qu′elle a joué chez moi avant tout le monde? je n′en suis pas plus fière pour cela, dit en riant Mme de Guermantes, heureuse pourtant, puisqu′on parlait de cette actrice, de faire savoir qu′elle avait eu la primeur de ses ridicules. Allons, je n′ai plus qu′à partir, ajouta-t-elle sans bouger.
“Yes, didn′t you know that she performed in my house before the whole of Paris, not that that′s anything for me to be proud of,” explained Mme. de Guermantes with a laugh, glad nevertheless, since the actress was under discussion, to let it be known that she herself had had the first fruits of her foolishness. “Hallo, I suppose I ought to be going now,” she added, without moving.
Elle venait de voir entrer son mari, et par les mots qu′elle prononçait, faisait allusion au comique d′avoir l′air de faire ensemble une visite de noces, nullement aux rapports souvent difficiles qui existaient entre elle et cet énorme gaillard vieillissant, mais qui menait toujours une vie de jeune homme. Promenant sur le grand nombre de personnes qui entouraient la table à thé les regards affables, malicieux et un peu éblouis par les rayons du soleil couchant, de ses petites prunelles rondes et exactement logées dans l′oeil comme les «mouches» que savait viser et atteindre si parfaitement l′excellent tireur qu′il était, le duc s′avançait avec une lenteur émerveillée et prudente comme si, intimidé par une si brillante assemblée, il eût craint de marcher sur les robes et de déranger les conversations. Un sourire permanent de bon roi d′Yvetot légèrement pompette, une main à demi dépliée flottant, comme l′aileron d′un requin, à côté de sa poitrine, et qu′il laissait presser indistinctement par ses vieux amis et par les inconnus qu′on lui présentait, lui permettaient, sans avoir à faire un seul geste ni à interrompre sa tournée débonnaire, fainéante et royale, de satisfaire à l′empressement de tous, en murmurant seulement: «Bonsoir, mon bon», «bonsoir mon cher ami», «charmé monsieur Bloch», «bonsoir Argencourt», et près de moi, qui fus le plus favorisé quand il eut entendu mon nom: «Bonsoir, mon petit voisin, comment va votre père? Quel brave homme!» Il ne fit de grandes démonstrations que pour Mme de Villeparisis, qui lui dit bonjour d′un signe de tête en sortant une main de son petit tablier.
She had just seen her husband enter the room, and these words were an allusion to the absurdity of their appearing to be paying a call together, like a newly married couple, rather than to the often strained relations that existed between her and the enormous fellow she had married, who, despite his increasing years, still led the life of a gay bachelor. Ranging over the considerable party that was gathered round the tea-table the genial, cynical gaze — dazzled a little by the brightness of the setting sun — of the little round pupils lodged in the exact centre of his eyes, like the ‘bulls′ which ‘the excellent marksman that he was could always hit with such perfect aim and precision, the Duke came forward with a bewildered cautious slowness as though, alarmed by so brilliant a gathering, he was afraid of treading on ladies′ skirts and interrupting conversations. A permanent smile — suggesting a ‘Good King of Yvetot′— slightly pompous, a half-open hand floating like a shark′s fin by his side, which he allowed to be vaguely clasped by his old friends and by the strangers who were introduced to him, enabled him, without his having to make a single movement, or to interrupt his genial, lazy, royal progress, to reward the assiduity of them all by simply murmuring: “How do, my boy; how do, my dear friend; charmed, Monsieur Bloch; how do, Argencourt;” and, on coming to myself, who was the most highly favoured, when he had been told my name: “How do, my young neighbour, how′s your father? What a splendid fellow he is!” He made no great demonstration except to Mme. de Villeparisis, who gave him good-day with a nod of her head, drawing one hand from a pocket of her little apron.
Formidablement riche dans un monde où on l′est de moins en moins, ayant assimilé à sa personne, d′une façon permanente, la notion de cette énorme fortune, en lui la vanité du grand seigneur était doublée de celle de l′homme d′argent, l′éducation raffinée du premier arrivant tout juste à contenir la suffisance du second. On comprenait d′ailleurs que ses succès de femmes, qui faisaient le malheur de la sienne, ne fussent pas dus qu′à son nom et à sa fortune, car il était encore d′une grande beauté, avec, dans le profil, la pureté, la décision de contour de quelque dieu grec.
Being formidably rich in a world where everyone was steadily growing poorer, and having secured the permanent attachment to his person of the idea of this enormous fortune, he displayed all the vanity of the great nobleman reinforced by that of the man of means, the refinement and breeding of the former just managing to control the latter′s self-sufficiency. One could understand, moreover, that his success with women, which made his wife so unhappy, was not due merely to his name and fortune, for he was still extremely good looking, and his profile retained the purity, the firmness of outline of a Greek god′s.
— Vraiment, elle a joué chez vous? demanda M. d′Argencourt à la duchesse.
“Do you mean to tell me she performed in your house?” M. d′Argencourt asked the Duchess.
— Mais voyons, elle est venue réciter, avec un bouquet de lis dans la main et d′autres lis «su» sa robe. (Mme de Guermantes mettait, comme Mme de Villeparisis, de l′affectation à prononcer certains mots d′une façon très paysanne, quoiqu′elle ne roulât nullement les r comme faisait sa tante.)
“Well, don′t you see, she came to recite, with a bunch of lilies in her hand, and more lilies on her dress.” Mme. de Guermantes shared her aunt′s affectation of pronouncing certain words in an exceedingly rustic fashion, but never rolled her r′s like Mme. de Villeparisis.
Avant que M. de Norpois, contraint et forcé, n′emmenât Bloch dans la petite baie où ils pourraient causer ensemble, je revins un instant vers le vieux diplomate et lui glissai un mot d′un fauteuil académique pour mon père. Il voulut d′abord remettre la conversation à plus tard. Mais j′objectai que j′allais partir pour Balbec. «Comment! vous allez de nouveau à Balbec? Mais vous êtes un véritable globe-trotter!» Puis il m′écouta. Au nom de Leroy–Beaulieu, M. de Norpois me regarda d′un air soupçonneux. Je me figurai qu′il avait peut-être tenu à M. Leroy–Beaulieu des propos désobligeants pour mon père, et qu′il craignait que l′économiste ne les lui eût répétés. Aussitôt, il parut animé d′une véritable affection pour mon père. Et après un de ces ralentissements du débit où tout d′un coup une parole éclate, comme malgré celui qui parle, et chez qui l′irrésistible conviction emporte les efforts bégayants qu′il faisait pour se taire: «Non, non, me dit-il avec émotion, il ne faut pas que votre père se présente. Il ne le faut pas dans son intérêt, pour lui-même, par respect pour sa valeur qui est grande et qu′il compromettrait dans une pareille aventure. Il vaut mieux que cela. Fût-il nommé, il aurait tout à perdre et rien à gagner. Dieu merci, il n′est pas orateur. Et c′est la seule chose qui compte auprès de mes chers collègues, quand même ce qu′on dit ne serait que turlutaines. Votre père a un but important dans la vie; il doit y marcher droit, sans se laisser détourner à battre les buissons, fût-ce les buissons, d′ailleurs plus épineux que fleuris, du jardin d′Academus. D′ailleurs il ne réunirait que quelques voix. L′Académie aime à faire faire un stage au postulant avant de l′admettre dans son giron. Actuellement, il n′y a rien à faire. Plus tard je ne dis pas. Mais il faut que ce soit la Compagnie elle-même qui vienne le chercher. Elle pratique avec plus de fétichisme que de bonheur le «Farà da se[/i.>» de nos voisins d′au delà des Alpes. Leroy–Beaulieu m′a parlé de tout cela d′une manière qui ne m′a pas plu. Il m′a du reste semblé à vue de nez avoir partie liée avec votre père. Je lui ai peut-être fait sentir un peu vivement qu′habitué à s′occuper de cotons et de métaux, il méconnaissait le rôle des impondérables, comme disait Bismarck. Ce qu′il faut éviter avant tout, c′est que votre père se présente: Principiis obsta[/i.>. Ses amis se trouveraient dans une position délicate s′il les mettait en présence du fait accompli. Tenez, dit-il brusquement d′un air de franchise, en fixant ses yeux bleus sur moi, je vais vous dire une chose qui va vous étonner de ma part à moi qui aime tant votre père. Eh bien, justement parce que je l′aime, justement (nous sommes les deux inséparables, Arcades ambo[/i.>) parce que je sais les services qu′il peut rendre à son pays, les écueils qu′il peut lui éviter s′il reste à la barre, par affection, par haute estime, par patriotisme, je ne voterais pas pour lui. Du reste, je crois l′avoir laissé entendre. (Et je crus apercevoir dans ses yeux le profil assyrien et sévère de Leroy–Beaulieu.) Donc lui donner ma voix serait de ma part une sorte de palinodie. A plusieurs reprises, M. de Norpois traita ses collègues de fossiles. En dehors des autres raisons, tout membre d′un club ou d′une Académie aime à investir ses collègues du genre de caractère le plus contraire au sien, moins pour l′utilité de pouvoir dire: «Ah! si cela ne dépendait que de moi!» que pour la satisfaction de présenter le titre qu′il a obtenu comme plus difficile et plus flatteur. «Je vous dirai, conclut-il, que, dans votre intérêt à tous, j′aime mieux pour votre père une élection triomphale dans dix ou quinze ans.» Paroles qui furent jugées par moi comme dictées, sinon par la jalousie, au moins par un manque absolu de serviabilité et qui se trouvèrent recevoir plus tard, de l′événement même, un sens différent.
Before M. de Norpois, under constraint from his hostess, had taken Bloch into the little recess where they could talk more freely, I went up to the old diplomat for a moment and put in a word about my father′s Academic chair. He tried first of all to postpone the conversation to another day. I pointed out that I was going to Balbec. “What? Going again to Balbec? Why, you′re a regular globe-trotter.” He listened to what I had to say. At the name of Leroy-Beaulieu, he looked at me suspiciously. I conjectured that he had perhaps said something disparaging to M. Leroy-Beaulieu about my father and was afraid of the economist′s having repeated it to him. All at once he seemed animated by a positive affection for my father. And after one of those opening hesitations out of which suddenly a word explodes as though in spite of the speaker, whose irresistible conviction prevails over his half-hearted efforts at silence: “No, no,” he said to me with emotion, “your father must not stand. In his own interest he must not; it is not fair to himself; he owes a certain respect to his own really great merits, which would be compromised by such an adventure. He is too big a man for that. If he should be elected, he will have everything to lose and nothing to gain. He is not an orator, thank heaven. And that is the one thing that counts with my dear colleagues, even if you only talk platitudes. Your father has an important goal in life; he should march straight ahead towards it, and not allow himself to turn aside to beat bushes, even the bushes (more thorny for that matter than flowery) of the grove of Academe. Besides, he would not get many votes. The Academy likes to keep a postulant waiting for some time before taking him to its bosom. For the present, there is nothing to be done. Later on, I don′t say. But he must wait until the Society itself comes in quest of him. It makes a practice; not a very fortunate practice, a fetish rather, of the farà da sè of our friends across the Alps. Leroy-Beaulieu spoke to me about all this in a way I did not at all like. I pointed out to him, a little sharply perhaps, that a man accustomed as he is to dealing with colonial imports and metals could not be expected to understand the part played by the imponderables, as Bismarck used to say. But, whatever happens, your father must on no account put himself forward as a candidate, Principis obsta. His friends would find themselves placed in a delicate position if he suddenly called upon them for their votes. Indeed,” he broke forth, with an air of candour, fixing his blue eyes on my face, “I am going to say a thing that you will be surprised to hear coming from me, who am so fond of your father. Well, simply because I am fond of him (we are known as the inseparables — Arcades ambo), simply because I know the immense service that he can still render to his country, the reefs from which he can steer her if he remains at the helm; out of affection, out of high regard for him, out of patriotism, I should not vote for him. I fancy, moreover, that I have given him to understand that I should not.” (I seemed to discern in his eyes the stern Assyrian profile of Leroy-Beaulieu.) “So that to give him my vote now would be a sort of recantation on my part.” M. de Norpois repeatedly dismissed his brpther Academicians as old fossils. Other reasons apart, every member of a club or academy likes to ascribe to his fellow members the type of character that is the direct converse of his own, less for the advantage of being able to say: “Ah! If it only rested with me!” than for the satisfaction of making the election which he himself has managed to secure seem more difficult, a greater distinction. “I may tell you,” he concluded, “that in the best interests of you all, I should prefer to see your father triumphantly elected in ten or fifteen years′ time.” Words which I assumed to have been dictated if not by jealousy, at any rate by an utter lack of any willingness to oblige, and which later on I was to recall when the course of events had given them a different meaning.
— Vous n′avez pas l′intention d′entretenir l′Institut du prix du pain pendant la Fronde? demanda timidement l′historien de la Fronde à M. de Norpois. Vous pourriez trouver là un succès considérable (ce qui voulait dire me faire une réclame monstre), ajouta-t-il en souriant à l′Ambassadeur avec une pusillanimité mais aussi une tendresse qui lui fit lever les paupières et découvrir ses yeux, grands comme un ciel. Il me semblait avoir vu ce regard, pourtant je ne connaissais que d′aujourd′hui l′historien. Tout d′un coup je me rappelai: ce même regard, je l′avais vu dans les yeux d′un médecin brésilien qui prétendait guérir les étouffements du genre de ceux que j′avais par d′absurdes inhalations d′essences de plantes. Comme, pour qu′il prît plus soin de moi, je lui avais dit que je connaissais le professeur Cottard, il m′avait répondu, comme dans l′intérêt de Cottard: «Voilà un traitement, si vous lui en parliez, qui lui fournirait la matière d′une retentissante communication à l′Académie de médecine!» Il n′avait osé insister mais m′avait regardé de ce même air d′interrogation timide, intéressée et suppliante que je venais d′admirer chez l′historien de la Fronde. Certes ces deux hommes ne se connaissaient pas et ne se ressemblaient guère, mais les lois psychologiques ont comme les lois physiques une certaine généralité. Et les conditions nécessaires sont les mêmes, un même regard éclaire des animaux humains différents, comme un même ciel matinal des lieux de la terre situés bien loin l′un de l′autre et qui ne se sont jamais vus. Je n′entendis pas la réponse de l′Ambassadeur, car tout le monde, avec un peu de brouhaha, s′était approché de Mme de Villeparisis pour la voir peindre.
“You haven′t thought of giving the Institute an address on the price of bread during the Fronde, I suppose,” the historian of that movement timidly inquired of M. de Norpois. “You could make a considerable success of a subject like that,” (which was to say, “you would give me a colossal advertisement,”) he added, smiling at the Ambassador pusillanimously, but with a warmth of feeling which made him raise his eyelids and expose a double horizon of eye. I seemed to have seen this look before, and yet I had met the historian for the first time this afternoon. Suddenly I remembered having seen the same expression in the eyes of a Brazilian doctor who claimed to be able to cure choking fits of the kind from which I suffered by some absurd inhalation of the essential oils of plants. When, in the hope that he would pay more attention to my case, I had told him that I knew Professor Cottard, he had replied, as though speaking in Cotterd′s interest: “Now this treatment of mine, if you were to tell him about it, would give him the material for a most sensational paper for the Academy of Medicine!” He had not ventured to press the matter but had stood gazing at me with the same air of interrogation, timid, anxious, appealing, which it had just puzzled me to see on the face of the historian of the Fronde. Obviously the two men were not acquainted and had little nothing in common, but psychological like physical laws have a more or less general application. And the requisite conditions are the same; an identical expression lights the eyes of different human animals, as a single sunrise lights different places, a long way apart, which have no connexion with one another. I did not hear the Ambassador′s reply, for the whole party, with a good deal of noise, had again gathered round Mme. de Villeparisis to watch her at work.
— Vous savez de qui nous parlons, Basin? dit la duchesse à son mari.
“You know who′ we′re talking about, Basin?” the Duchess asked her husband.
— Naturellement je devine, dit le duc.
“I can make a pretty good guess,” said the Duke.
— Ah! ce n′est pas ce que nous appelons une comédienne de la grande lignée.
“Ah! As an actress she′s not, I′m afraid, in what one would call the great tradition.”
— Jamais, reprit Mme de Guermantes s′adressant à M. d′Argencourt, vous n′avez imaginé quelque chose de plus risible.
“You can′t imagine,” went on Mme. de Guermantes to M. d′Argencourt “anything more ridiculous.”
— C′était même drolatique, interrompit M. de Guermantes dont le bizarre vocabulaire permettait à la fois aux gens du monde de dire qu′il n′était pas un sot et aux gens de lettres de le trouver le pire des imbéciles.
“In fact, it was drolatic,” put in M. de Guermantes, whose odd vocabulary enabled people in society to declare that he was no fool and literary people, at the same time, to regard him as a complete imbecile.
— Je ne peux pas comprendre, reprit la duchesse, comment Robert a jamais pu l′aimer. Oh! je sais bien qu′il ne faut jamais discuter ces choses-là, ajouta-t-elle avec une jolie moue de philosophe et de sentimentale désenchantée. Je sais que n′importe qui peut aimer n′importe quoi. Et, ajouta-t-elle — car si elle se moquait encore de la littérature nouvelle, celle-ci, peut-être par la vulgarisation des journaux ou à travers certaines conversations, s′était un peu infiltrée en elle — c′est même ce qu′il y a de beau dans l′amour, parce que c′est justement ce qui le rend «mystérieux».
“What I fail to understand,” resumed the Duchess, “is how in the world Robert ever came to fall in love with her. Oh, of course I know one mustn′t discuss that sort of thing,” she added, with the charming pout of a philosopher and sentimentalist whose last illusion had long been shattered. “I know that anybody may fall in love with anybody else. And,” she went on, for, though she might still laugh at modern literature, it, either by its dissemination through the popular press or else in the course of conversation, had begun to percolate into her mind, “that is the really nice thing about love, because it′s what makes it so ‘mysterious.′”
— Mystérieux! Ah! j′avoue que c′est un peu fort pour moi, ma cousine, dit le comte d′Argencourt.
“Mysterious! Oh, I must confess, cousin, that′s a bit beyond me,” said the Comte d′Argencourt.
— Mais si, c′est très mystérieux, l′amour, reprit la duchesse avec un doux sourire de femme du monde aimable, mais aussi avec l′intransigeante conviction d′une wagnérienne qui affirme à un homme du cercle qu′il n′y a pas que du bruit dans la Walkyrie[/i.>. Du reste, au fond, on ne sait pas pourquoi une personne en aime une autre; ce n′est peut-être pas du tout pour ce que nous croyons, ajouta-t-elle en souriant, repoussant ainsi tout d′un coup par son interprétation l′idée qu′elle venait d′émettre. Du reste, au fond on ne sait jamais rien, conclut-elle d′un air sceptique et fatigué. Aussi, voyez-vous, c′est plus «intelligent»; il ne faut jamais discuter le choix des amants.
“Oh dear, yes, it′s a very mysterious thing, love,” declared the Duchess, with the sweet smile of a good-natured woman of the world, but also with the rooted conviction with which a Wagnerian assures a bored gentleman from the Club that there is something more than just noise in the Walküre. “After all, one never does know what makes one person fall in love with another; it may not be at all what we think,” she added with a smile, repudiating at once by this interpretation the idea she had just suggested. “After all, one never knows anything, does one?” she concluded with an air of weary scepticism. “Besides, one understands, doesn′t one; one simply can′t explain other people′s choices in love.”
Mais après avoir posé ce principe, elle y manqua immédiatement en critiquant le choix de Saint–Loup.
But having laid down this principle she proceeded at once to abandon it and to criticise Saint-Loup′s choice.
— Voyez-vous, tout de même, je trouve étonnant qu′on puisse trouver de la séduction à une personne ridicule.
“All the same, don′t you know, it is amazing to me that a man can find any attraction in a person who′s simply silly.”
Bloch entendant que nous parlions de Saint–Loup, et comprenant qu′il était à Paris, se mit à en dire un mal si épouvantable que tout le monde en fut révolté. Il commençait à avoir des haines, et on sentait que pour les assouvir il ne reculerait devant rien. Ayant posé en principe qu′il avait une haute valeur morale, et que l′espèce de gens qui fréquentait la Boulie (cercle sportif qui lui semblait élégant) méritait le bagne, tous les coups qu′il pouvait leur porter lui semblaient méritoires. Il alla une fois jusqu′à parler d′un procès qu′il voulait intenter à un de ses amis de la Boulie. Au cours de ce procès, il comptait déposer d′une façon mensongère et dont l′inculpé ne pourrait pas cependant prouver la fausseté. De cette façon, Bloch, qui ne mit du reste pas à exécution son projet, pensait le désespérer et l′affoler davantage. Quel mal y avait-il à cela, puisque celui qu′il voulait frapper ainsi était un homme qui ne pensait qu′au chic, un homme de la Boulie, et que contre de telles gens toutes les armes sont permises, surtout à un Saint, comme lui, Bloch? +
Bloch, hearing Saint-Loup′s name mentioned and gathering that he was in Paris, promptly made a remark about him so outrageous that everybody was shocked. He was beginning to nourish hatreds, and one felt that he would stop at nothing to gratify them. Once he had established the principle that he himself was of great moral worth and that the sort of people who frequented La Boulie (an athletic club which he supposed to be highly fashionable) deserved penal servitude, every blow he could get against them seemed to him praiseworthy. He went so far once as to speak of a lawsuit which he was anxious to bring against one of his La poulie friends. In the course of the trial he proposed to give certain evidence which would be entirely untrue, though the defendant would be unable to impugn his veracity. In this way Bloch (who, incidentally, never put his plan into action) counted on baffling and infuriating his antagonist. What harm could there be in that, since he whom he sought to injure was a man who thought only of doing the ‘right thing,′ a La Boulie man, and against people like that any weapon was justified, especially in the hands of a Saint, such as Bloch himself?
— Pourtant, voyez Swann, objecta M. d′Argencourt qui, venant enfin de comprendre le sens des paroles qu′avait prononcées sa cousine, était frappé de leur justesse et cherchait dans sa mémoire l′exemple de gens ayant aimé des personnes qui à lui ne lui eussent pas plu.
“I say, though, what about Swann?” objected M. d′Argencourt, who having at last succeeded in understanding the point of his cousin′s speech, was impressed by her accuracy of observation, and was racking his brains for instances of men who had fallen in love with women in whom he himself had seen no attraction.
— Ah! Swann ce n′est pas du tout le même cas, protesta la duchesse. C′était très étonnant tout de même parce que c′était une brave idiote, mais elle n′était pas ridicule et elle a été jolie.
“Oh, but Swann′s case was quite different,” the Duchess protested. “It was a great surprise, I admit, because she′s just a well-meaning idiot, but she was never silly, and she was at one time good looking.”
— Hou, hou, grommela Mme de Villeparisis.
“Oh, oh!” muttered Mme. de Villeparisis.
— Ah! vous ne la trouviez pas jolie? si, elle avait des choses charmantes, de bien jolis yeux, de jolis cheveux, elle s′habillait et elle s′habille encore merveilleusement. Maintenant, je reconnais qu′elle est immonde, mais elle a été une ravissante personne.
Ça ne m′a fait pas moins de chagrin que Charles l′ait épousée, parce que c′était tellement inutile. La duchesse ne croyait pas dire quelque chose de remarquable, mais, comme M. d′Argencourt se mit à rire, elle répéta la phrase, soit qu′elle la trouvât drôle, ou seulement qu′elle trouvât gentil le rieur qu′elle se mit à regarder d′un air câlin, pour ajouter l′enchantement de la douceur à celui de l′esprit. Elle continua: — Oui, n′est-ce pas, ce n′était pas la peine, mais enfin elle n′était pas sans charme et je comprends parfaitement qu′on l′aimât, tandis que la demoiselle de Robert, je vous assure qu′elle est à mourir de rire. Je sais bien qu′on m′objectera cette vieille rengaine d′Augier: «Qu′importe le flacon pourvu qu′on ait l′ivresse!» Eh bien, Robert a peut-être l′ivresse, mais il n′a vraiment pas fait preuve de goût dans le choix du flacon! D′abord, imaginez-vous qu′elle avait la prétention que je fisse dresser un escalier au beau milieu de mon salon. C′est un rien, n′est-ce pas, et elle m′avait annoncé qu′elle resterait couchée à plat ventre sur les marches. D′ailleurs, si vous aviez entendu ce qu′elle disait! je ne connais qu′une scène, mais je ne crois pas qu′on puisse imaginer quelque chose de pareil: cela s′appelle les Sept Princesses[/i.>.
“You never thought so? Surely, she had some charming points, very fine eyes, good hair, she used to dress, and does still dress, wonderfully. Nowadays, I quite agree, she′s horrible, but she has been a lovely woman in her time. Not that that made me any less sorry when Charles married her, because it was so unnecessary.” The Duchess had not intended to say anything out of the common, but as M. d′Argencourt began to laugh she repeated these last words — either because she thought them amusing or because she thought it nice of him to laugh — and looked up at him with a coaxing smile, to add the enchantment of her femininity to that of her wit. She went on: “Yes, really, it wasn′t worth the trouble, was it; still, after all, she did have some charm and I can quite understand anybody′s falling in love with her, but if you saw Robert′s girl, I assure you, you′d simply die of laughter. Oh, I know somebody′s going to quote Augier at me: ‘What matters the bottle so long as one gets drunk?′ Well, Robert may have got drunk, all right, but he certaintly hasn′t shewn much taste in his choice of a bottle! First of all, would you believe that she actually expected me to fit up a staircase right in the middle of my drawing-room. Oh, a mere nothing — what? — and she announced that she was going to lie flat on her stomach on the steps. And then, if you′d heard the things she recited, I only remember one scene, but I′m sure nobody could imagine anything like it; it was called the Seven Princesses.”
— Les Sept Princesses[/i.>, oh! o o quel snobisme! s′écria M. d′Argencourt. Ah! mais attendez, je connais toute la pièce. C′est d′un de mes compatriotes. Il l′a envoyée au Roi qui n′y a rien compris et m′a demandé de lui expliquer.
“Seven Princesses! Dear, dear, what a snob she must be!” cried M. d′Argencourt. “But, wait a minute, why, I know the whole play. The author sent a copy to the King, who couldn′t understand a word of it and called on me to explain it to him.”
— Ce n′est pas par hasard du Sar Peladan? demanda l′historien de la Fronde avec une intention de finesse et d′actualité, mais si bas que sa question passa inaperçue.
“It isn′t by any chance, from the Sar Peladan?” asked the historian of the Fronde, meaning to make a subtle and topical allusion, but in so low a tone that his question passed unnoticed.
— Ah! vous connaissez les Sept Princesses[/i.>? répondit la duchesse à M. d′Argencourt. Tous mes compliments! Moi je n′en connais qu′une, mais cela m′a ôté la curiosité de faire la connaissance des six autres. Si elles sont toutes pareille à celle que j′ai vue!
“So you know the Seven Princesses, do you?” replied the Duchess, “I congratulate you! I only know one, but she′s quite enough; I have no wish to make the acquaintance of the other six. If they are all like the one I′ve seen!”
«Quelle buse!» pensais-je, irrité de l′accueil glacial qu′elle m′avait fait. Je trouvais une sorte d′âpre satisfaction à constater sa complète incompréhension de Maeterlinck. «C′est pour une pareille femme que tous les matins je fais tant de kilomètres, vraiment j′ai de la bonté. Maintenant c′est moi qui ne voudrais pas d′elle.» Tels étaient les mots que je me disais; ils étaient le contraire de ma pensée; c′étaient de purs mots de conversation, comme nous nous en disons dans ces moments où, trop agités pour rester seuls avec nous-même, nous éprouvons le besoin, à défaut d′autre interlocuteur, de causer avec nous, sans sincérité, comme avec un étranger.
“What a goose!” I thought to myself. Irritated by the coldness of her greeting, I found a sort of bitter satisfaction in this proof of her complete inability to understand Maeterlinck. “To think that′s the woman I walk miles every morning to see. Really, I′m too kind. Well, it′s my turn now not to want to see her.” Thus I reasoned with myself; but my words ran counter to my thoughts; they were purely conversational words such as we say to ourselves at those moments when, too much excited to remain quietly alone, we feel the need, for want of another listener, to talk to ourselves, without meaning what we say, as we talk to a stranger.
— Je ne peux pas vous donner une idée, continua la duchesse, c′était à se tordre de rire. On ne s′en est pas fait faute, trop même, car la petite personne n′a pas aimé cela, et dans le fond Robert m′en a toujours voulu. Ce que je ne regrette pas du reste, car si cela avait bien tourné, là demoiselle serait peut-être revenue et je me demande jusqu′à quel point cela aurait charmé Marie–Aynard.
“I can′t tell you what it was like,” the Duchess went on; “you simply couldn′t help laughing. Not that anyone tried; rather the other way, I′m sorry to say, for the young person was not at all pleased and Robert has never really forgiven me. Though I can′t say I′m sorry, actually, because if it had been a success the lady would perhaps have come again, and I don′t quite see Marie-Aynard approving of that.”
On appelait ainsi dans la famille la mère de Robert, Mme de Marsantes, veuve d′Aynard de Saint–Loup, pour la distinguer de sa cousine la princesse de Guermantes–Bavière, autre Marie, au prénom de qui ses neveux, cousins et beaux-frères ajoutaient, pour éviter la confusion, soit le prénom de son mari, soit un autre de ses prénoms à elle, ce qui donnait soit Marie–Gilbert, soit Marie–Hedwige.
This was the name given in the family to Robert′s mother, Mme. de Marsantes, the widow of Aynard de Saint-Loup, to distinguish her from her cousin, the Princesse de Guermantes-Bavière, also a Marie, to whose Christian name her nephews and cousins and brothers-in-law added, to avoid confusion, either that of her husband or another of her own, making her Marie-Gilbert or Marie-Hedwige.
— D′abord la veille il y eut une espèce de répétition qui était une bien belle chose! poursuivit ironiquement Mme de Guermantes. Imaginez qu′elle disait une phrase, pas même, un quart de phrase, et puis elle s′arrêtait; elle ne disait plus rien, mais je n′exagère pas, pendant cinq minutes.
“To begin with, there was a sort of rehearsal the night before, which was a wonderful affair!” went on Mme. de Guermantes in ironical pursuit of her theme. “Just imagine, she uttered a sentence, no, not so much, not a quarter of a sentence, and then she stopped; she didn′t open her mouth — I′m not exaggerating — for a good five minutes.”
— O o o s′écria M. d′Argencourt.
“Oh, I say,” cried M. d′Argencourt.
— Avec toute la politesse du monde je me suis permis d′insinuer que cela étonnerait peut-être un peu. Et elle m′a répondu textuellement: «Il faut toujours dire une chose comme si on était en train de la composer soi-même.» Si vous y réfléchissez c′est monumental, cette réponse!
“With the utmost politeness I took the liberty of hinting to her that this might seem a little unusual. And she said — I give you her actual words —‘One ought always to repeat a thing as though one were just composing it oneself.′ When you think of it, that really is monumental.”
— Mais je croyais qu′elle ne disait pas mal les vers, dit un des deux jeunes gens.
“But I understood she wasn′t at all bad at reciting poetry,” said one of the two young men.
— Elle ne se doute pas de ce que c′est, répondit Mme de Guermantes. Du reste je n′ai pas eu besoin de l′entendre. Il m′a suffi de la voir arriver avec des lis! J′ai tout de suite compris qu′elle n′avait pas de talent quand j′ai vu les lis!
“She hasn′t the ghost of a notion what poetry is,” replied Mme. de Guermantes. “However, I didn′t need to listen to her to tell that. It was quite enough to see her come in with her lilies. I knew at once that she couldn′t have any talent when I saw those lilies!”
Tout le monde rit.
Everybody laughed.
— Ma tante, vous ne m′en avez pas voulu de ma plaisanterie de l′autre jour au sujet de la reine de Suède? je viens vous demander l′aman.
“I hope, my dear aunt, you aren′t angry with me, over my little joke the other day about the Queen of Sweden. I′ve come to ask your forgiveness.′
— Non, je ne t′en veux pas; je te donne même le droit de goûter si tu as faim.
“Oh, no, I′m not at all angry, I even give you leave to eat at my table, if you′re hungry.
— Allons, Monsieur Vallenères, faites la jeune fille, dit Mme de Villeparisis à l′archiviste, selon une plaisanterie consacrée.
— Come along, M. Valmère, you′re the daughter of the house,” Mme. de Villeparisis went on to the librarian, repeating a time-honoured pleasantry.
M. de Guermantes se redressa dans le fauteuil où il s′était affalé, son chapeau à côté de lui sur le tapis, examina d′un air de satisfaction les assiettes de petits fours qui lui étaient présentées.
M de Guermantes sat upright in the armchair in which he had come to anchor his hat on the carpet by his side, and examined with a satisfied smile the plate of little cakes that was being held out to him.
— Mais volontiers, maintenant que je commence à être familiarisé avec cette noble assistance, j′accepterai un baba, ils semblent excellents.
Â…
— Monsieur remplit à merveille son rôle de jeune fille, dit M. d′Argencourt qui, par esprit d′imitation, reprit la plaisanterie de Mme de Villeparisis.
“This gentleman makes you an admirable daughter,” commented M. d′Argencourt, whom the spirit of imitation prompted to keep Mme. de Villeparisis′s little joke in circulation.
L′archiviste présenta l′assiette de petits fours à l′historien de la Fronde.
The librarian handed the plate of cakes to the historian of the Fronde.
— Vous vous acquittez à merveille de vos fonctions, dit celui-ci par timidité et pour tâcher de conquérir la sympathie générale. Aussi jeta-t-il à la dérobée un regard de connivence sur ceux qui avaient déjà fait comme lui.
“You perform your functions admirably,” said the latter, startled into speech, and hoping also to win the sympathy of the crowd. At the same time he cast a covert glance of connivance at those who had anticipated him.
— Dites-moi, ma bonne tante, demanda M. de Guermantes à Mme de Villeparisis, qu′est-ce que ce monsieur assez bien de sa personne qui sortait comme j′entrais? Je dois le connaître parce qu′il m′a fait un grand salut, mais je ne l′ai pas remis; vous savez, je suis brouillé avec les noms, ce qui est bien désagréable, dit-il d′un air de satisfaction.
“Tell me, my dear aunt,” M. de Guermantes inquired of Mme. de Villeparisis, “who was that rather good-looking man who was going out just now as I came in? I must know him, because he gave me a sweeping bow, but I couldn′t place him at all; you know I never can remember names, it′s such a nuisance,” he added, in a tone of satisfaction.
— M. Legrandin.
“M. Legrandin.”
— Ah! mais Oriane a une cousine dont la mère, sauf erreur, est née Grandin. Je sais très bien, ce sont des Grandin de l′Éprevier.
“Oh, but Oriane has a cousin whose mother, if I′m not mistaken, was a Grandin. Yes, I remember quite well, she was a Grandin de l′Epervier.”
— Non, répondit Mme de Villeparisis, cela n′a aucun rapport. Ceux-ci Grandin tout simplement, Grandin de rien du tout. Mais ils ne demandent qu′à l′être de tout ce que tu voudras. La soeur de celui-ci s′appelle Mme de Cambremer.
“No,” replied Mme. de Villeparisis, “no relation at all. These are plain Grandins. Grandins of nothing at all. But they′d be only too glad to be Grandins of anything you chose to name. This one has a sister called Mme. de Cambremer.”
— Mais voyons, Basin, vous savez bien de qui ma tante veut parler, s′écria la duchesse avec indignation, c′est le frère de cette énorme herbivore que vous avez eu l′étrange idée d′envoyer venir me voir l′autre jour. Elle est restée une heure, j′ai pensé que je deviendrais folle. Mais j′ai commencé par croire que c′était elle qui l′était en voyant entrer chez moi une personne que je ne connaissais pas et qui avait l′air d′une vache.
“Why, Basin, you know quite well who′ my aunt means,” cried the Duchess indignantly. “He′s the brother of that great graminivorous creature you had the weird idea of sending to call on me the other day. She stayed a solid hour; I thought I should go mad. But I began by thinking it was she who was mad when I saw a person I didn′t know come browsing into the room looking exactly like a cow.”
—Écoutez, Oriane, elle m′avait demandé votre jour; je ne pouvais pourtant pas lui faire une grossièreté, et puis, voyons, vous exagérez, elle n′a pas l′air d′une vache, ajouta-t-il d′un air plaintif, mais non sans jeter à la dérobée un regard souriant sur l′assistance.
“Listen, Oriane; she asked me what afternoon you were at home; I couldn′t very well be rude to her; and besides, you do exaggerate so, she′s not in the least like a cow,” he added in a plaintive tone, though not without a quick smiling glance at the audience.
Il savait que la verve de sa femme avait besoin d′être stimulée par la contradiction, la contradiction du bon sens qui proteste que, par exemple, on ne peut pas prendre une femme pour une vache (c′est ainsi que Mme de Guermantes, enchérissant sur une première image, était souvent arrivée à produire ses plus jolis mots). Et le duc se présentait naîµ¥ment pour l′aider, sans en avoir l′air, à réussir son tour, comme, dans un wagon, le compère inavoué d′un joueur de bonneteau.
He knew that his wife′s lively wit needed the stimulus of contradiction, the contradiction of common sense which protests that one cannot (for instance) mistake a woman seriously for a cow; by this process Mme. de Guermantes, enlarging upon her original idea, had been inspired to produce many of her most brilliant sayings. And the Duke in his innocent fashion helped her, without seeming to do so, to bring off her effects like, in a railway carriage, the unacknowledged partner of the three-card player.
— Je reconnais qu′elle n′a pas l′air d′une vache, car elle a l′air de plusieurs, s′écria Mme de Guermantes. Je vous jure que j′étais bien embarrassée voyant ce troupeau de vaches qui entrait en chapeau dans mon salon et qui me demandait comment j′allais. D′un côté j′avais envie de lui répondre: «Mais, troupeau de vaches, tu confonds, tu ne peux pas être en relations avec moi puisque tu es un troupeau de vaches», et d′autre part, ayant cherché dans ma mémoire, j′ai fini par croire que votre Cambremer était l′infante Dorothée qui avait dit qu′elle viendrait une fois et qui est assez bovine aussi, de sorte que j′ai failli dire Votre Altesse royale et parler à la troisième personne à un troupeau de vaches. Elle a aussi le genre de gésier de la reine de Suède. Du reste cette attaque de vive force avait été préparée par un tir à distance, selon toutes les règles de l′art. Depuis je ne sais combien de temps j′étais bombardée de ses cartes, j′en trouvais partout, sur tous les meubles, comme des prospectus. J′ignorais le but de cette réclame. On ne voyait chez moi que «Marquis et Marquise de Cambremer» avec une adresse que je ne me rappelle pas et dont je suis d′ailleurs résolue à ne jamais me servir.
“I admit she doesn′t look like a cow, she looks like a dozen,” exclaimed Mme. de Guermantes. “I assure you, I didn′t know what to do when I saw a herd of cattle come marching into my drawing-room in a hat and heard them ask me how I was. I had half a mind to say: ‘Please, herd of cattle, you must be making a mistake, you can′t possibly know me, because you′re a herd of cattle,′ but after racking my brains over her I came to the conclusion that your Cambremer woman must be the Infanta Dorothea who had said she was coming to see me one day, and is rather bovine also, so that I was just on the point of saying: ‘Your Royal Highness′ and using the third person to a herd of cattle. The cut of her dewlap reminded me rather, too, of the Queen of Sweden. But this massed attack had been prepared for by long range artillery fire, according to all the rules of war. For I don′t know how long before, I was bombarded with her cards; I used to find them lying about all over the house, on all the tables and chairs like prospectuses. I couldn′t think what they were supposed to be advertising. You saw nothing in the house but ‘Marquis et Marquise de Cambremer′ with some address or other which I′ve forgotten; you may be quite sure nothing will ever take me there.”
— Mais c′est très flatteur de ressembler à une reine, dit l′historien de la Fronde.
“But it′s a great distinction to look like a Queen,” said the historian of the Fronde.
— Oh! mon Dieu, monsieur, les rois et les reines, à notre époque ce n′est pas grand′chose! dit M. de Guermantes parce qu′il avait la prétention d′être un esprit et moderne, et aussi pour n′avoir pas l′air de faire cas des relations royales, auxquelles il tenait beaucoup.
“Gad, sir, Kings and Queens, in these days, don′t amount to much,” said M. de Guermantes, partly because he liked to be thought broad-minded and modern, and also so as not to seem to attach any importance to his own royal friendships, which he valued highly.
Bloch et M. de Norpois, qui s′étaient levés, se trouvèrent plus près de nous.
Bloch and M. de Norpois had returned from the other room and came towards us.
— Monsieur, dit Mme de Villeparisis, lui avez-vous parlé de l′affaire Dreyfus?
“Well, sir,” asked Mme. de Villeparisis, “have you been talking to him about the Dreyfus case?”
M. de Norpois leva les yeux au ciel, mais en souriant, comme pour attester l′énormité des caprices auxquels sa Dulcinée lui imposait le devoir d′obéir. Néanmoins il parla à Bloch, avec beaucoup d′affabilité, des années affreuses, peut-être mortelles, que traversait la France. Comme cela signifiait probablement que M. de Norpois (à qui Bloch cependant avait dit croire à l′innocence de Dreyfus) était ardemment antidreyfusard, l′amabilité de l′Ambassadeur, l′air qu′il avait de donner raison à son interlocuteur, de ne pas douter qu′ils fussent du même avis, de se liguer en complicité avec lui pour accabler le gouvernement, nattaient la vanité de Bloch et excitaient sa curiosité. Quels étaient les points importants que M. de Norpois ne spécifiait point, mais sur lesquels il semblait implicitement admettre que Bloch et lui étaient d′accord, quelle opinion avait-il donc de l′affaire, qui pût les réunir? Bloch était d′autant plus étonné de l′accord mystérieux qui semblait exister entre lui et M. de Norpois que cet accord ne portait pas que sur la politique, Mme de Villeparisis ayant assez longuement parlé à M. de Norpois des travaux littéraires de Bloch.
M. de Norpois raised his eyes to the ceiling, but with a smile, as though calling on heaven to witness the monstrosity of the caprices to which his Dulcinea compelled him to submit. Nevertheless he spoke to Bloch with great affability of the terrible, perhaps fatal period through which France was passing. As this presumably meant that M. de Norpois (to whom Bloch had confessed his belief in the innocence of Dreyfus) was an ardent anti-Dreyfusard, the Ambassador′s geniality, his air of tacit admission that his listener was in the right, of never doubting that they were both of the same opinion, of being prepared to join forces with him to overthrow the Government, flattered Bloch′s vanity and aroused his curiosity. What were the important points which M. de Norpois never specified but on which he seemed implicitly to affirm that he was in agreement with Bloch; what opinion, then, did he hold of the case, that could bring them together? Bloch was all the more astonished at the mysterious unanimity which seemed to exist between him and M. de Norpois, in that it was not confined to politics, Mme. de Villeparisis having spoken at some length to M. de Norpois of Bloch′s literary work.
— Vous n′êtes pas de votre temps, dit à celui-ci l′ancien ambassadeur, et je vous en félicite, vous n′êtes pas de ce temps où les études désintéressées n′existent plus, où on ne vend plus au public que des obscénités ou des inepties. Des efforts tels que les vôtres devraient être encouragés si nous avions un gouvernement.
“You are not of your age,” the former Ambassador told him, “and I congratulate you upon that. You are not of this age in which disinterested work no longer exists, in which writers offer the public nothing but obscenities or ineptitudes. Efforts such as yours ought to be encouraged, and would be, if we had a Government.”
Bloch était flatté de surnager seul dans le naufrage universel. Mais là encore il aurait voulu des précisions, savoir de quelles inepties voulait parler M. de Norpois. Bloch avait le sentiment de travailler dans la même voie que beaucoup, il ne s′était pas cru si exceptionnel. Il revint à l′affaire Dreyfus, mais ne put arriver à démêler l′opinion de M. de Norpois. Il tâcha de le faire parler des officiers dont le nom revenait souvent dans les journaux à ce moment-là; ils excitaient plus la curiosité que les hommes politiques mêlés à la même affaire, parce qu′ils n′étaient pas déjà connus comme ceux-ci et, dans un costume spécial, du fond d′une vie différente et d′un silence religieusement gardé, venaient seulement de surgir et de parler, comme Lohengrin descendant d′une nacelle conduite par un cygne. Bloch avait pu, grâce à un avocat nationaliste qu′il connaissait, entrer à plusieurs audiences du procès Zola. Il arrivait là le matin, pour n′en sortir que le soir, avec une provision de sandwiches et une bouteille de café, comme au concours général ou aux compositions de baccalauréat, et ce changement d′habitudes réveillant l′éréthisme nerveux que le café et les émotions du procès portaient à son comble, il sortait de là tellement amoureux de tout ce qui s′y était passé que, le soir, rentré chez lui, il voulait se replonger dans le beau songe et courait retrouver dans un restaurant fréquenté par les deux partis des camarades avec qui il reparlait sans fin de ce qui s′était passé dans la journée et réparait par un souper commandé sur un ton impérieux qui lui donnait l′illusion du pouvoir le jeûne et les fatigues d′une journée commencée si tôt et où on n′avait pas déjeuné. L′homme, jouant perpétuellement entre les deux plans de l′expérience et de l′imagination, voudrait approfondir la vie idéale des gens qu′il connaît et connaître les êtres dont il a eu à imaginer la vie. Aux questions de Bloch, M. de Norpois répondit:
Bloch was flattered by this picture of himself swimming alone amid a universal shipwreck. But here again he would have been glad of details, would have liked to know what were the ineptitudes to which M. de Norpois referred. Bloch had the feeling that he was working along the same lines as plenty of others; he had never supposed himself to be so exceptional. He returned to the Dreyfus case, but did not succeed in elucidating M. de Norpois′s own views. He tried to induce him to speak of the officers whose names were appearing constantly in the newspapers at that time; they aroused more curiosity than the politicians who were involved also, because they were not, like the politicians, well known already, but, wearing a special garb, emerging from the obscurity of a different kind of life and a religiously guarded silence, simply stood up and spoke and disappeared again, like Lohengrin landing from a skiff drawn by a swan. Bloch had been able, thanks to a Nationalist lawyer of his acquaintance, to secure admission to several hearings of the Zola trial. He would arrive there in the morning and stay until the court rose, with a packet of sandwiches and a flask of coffee, as though for the final examination for a degree, and this change of routine stimulating a nervous excitement which the coffee and the emotional interest of the trial worked up to a climax, he would come out so enamoured of everything that had happened in court that, in the evening, as he sat at home, he would long to immerse himself again in that beautiful dream and would hurry out, to a restaurant frequented by both parties, in search of friends with whom he would go over interminably the whole of the day′s proceedings, and make up, by a supper ordered in an imperious tone which gave him the illusion of power, for the hunger and exhaustion of a day begun so early and unbroken by any interval for luncheon. The human mind, hovering perpetually between the two planes of experience and imagination, seeks to fathom the ideal life of the people it knows and to know the people whose life it has had to imagine. To Bloch′s questions M. de Norpois replied:
— Il y a deux officiers mêlés à l′affaire en cours et dont j′ai entendu parler autrefois par un homme dont le jugement m′inspirait grande confiance et qui faisait d′eux le plus grand cas (M. de Miribel), c′est le lieutenant-colonel Henry et le lieutenant-colonel Picquart.
“There are two officers involved in the case now being tried of whom I remember hearing some time ago from a man in whose judgment I felt great confidence, and who praised them both highly — I mean M. de Miribel. They are Lieutenant-Colonel Henry and Lieutenant-Colonel Picquart.”
— Mais, s′écria Bloch, la divine Athèna, fille de Zeus, a mis dans l′esprit de chacun le contraire de ce qui est dans l′esprit de l′autre. Et ils luttent l′un contre l′autre, tels deux lions. Le colonel Picquart avait une grande situation dans l′armée, mais sa Moire l′a conduit du côté qui n′était pas le sien. L′épée des nationalistes tranchera son corps délicat et il servira de pâture aux animaux carnassiers et aux oiseaux qui se nourrissent de la graisse de morts.
“But,” exclaimed Bloch, “the divine Athena, daughter of Zeus, has put in the mind of one the opposite of what is in the mind of the other. And they are fighting against one another like two lions. Colonel Picquart had a splendid position in the Army, but his Moira has led him to the side that was not rightly his. The sword of the Nationalists will carve his tender flesh, and he will be cast out as food for the beasts of prey and the birds that wax fat upon the bodies of men.”
M. de Norpois ne répondit pas.
M. de Norpois made no reply.
— De quoi palabrent-ils là-bas dans un coin, demanda M. de Guermantes à Mme de Villeparisis en montrant M. de Norpois et Bloch.
“What are those two palavering about over there?” M. de Guermantes asked Mme. de Villeparisis, indicating M. de Norpois and Bloch.
— De l′affaire Dreyfus.
“The Dreyfus case.”
— Ah! diable! A propos, saviez-vous qui est partisan enragé de Dreyfus? Je vous le donne en mille. Mon neveu Robert! Je vous dirai même qu′au Jockey, quand on a appris ces prouesses, cela a été une levée de boucliers, un véritable tollé. Comme on le présente dans huit jours. . . .
“The devil they are. By the way, do you know who is a red-hot supporter of Dreyfus? I give you a thousand guesses. My nephew Robert! I can tell you that, at the Jockey, when they heard of his goings on, there was a fine gathering of the clans, a regular hue and cry. And as he′s coming up for election next week . . . ”
—Évidemment, interrompit la duchesse, s′ils sont tous comme Gilbert qui a toujours soutenu qu′il fallait renvoyer tous les Juifs à Jérusalem. . . .
“Of course,” broke in the Duchess, “if they′re all like Gilbert, who keeps on saying that all the Jews ought to be sent back to Jerusalem.”
— Ah! alors, le prince de Guermantes est tout à fait dans mes idées, interrompit M. d′Argencourt.
“Indeed; then the Prince de Guermantes is quite of my way of thinking,” put in M. d′Argencourt.
Le duc se parait de sa femme mais ne l′aimait pas. Très «suffisant», il détestait d′être interrompu, puis il avait dans son ménage l′habitude d′être brutal avec elle. Frémissant d′une double colère de mauvais mari à qui on parle et de beau parleur qu′on n′écoute pas, il s′arrêta net et lança sur la duchesse un regard qui embarrassa tout le monde.
The Duke made a show of his wife, but did not love her. Extremely self-centred, he hated to be interrupted, besides he was in the habit, at home of treating her brutally. Convulsed with the twofold rage of a bad husband when his wife speaks to him, and a good talker wher he is not listened to, he stopped short and transfixed the Duchess with a glare which made everyone feel uncomfortable.
— Qu′est-ce qu′il vous prend de nous parler de Gilbert et de Jérusalem? dit-il enfin. Il ne s′agit pas de cela. Mais, ajouta-t-il d′un ton radouci, vous m′avouerez que si un des nôtres était refusé au Jockey, et surtout Robert dont le père y a été pendant dix ans président, ce serait un comble. Que voulez-vous, ma chère, ça les a fait tiquer, ces gens, ils ont ouvert de gros yeux. Je ne peux pas leur donner tort; personnellement vous savez que je n′ai aucun préjugé de races, je trouve que ce n′est pas de notre époque et j′ai la prétention de marcher avec mon temps, mais enfin, que diable! quand on s′appelle le marquis de Saint–Loup, on n′est pas dreyfusard, que voulez-vous que je vous dise!
“What makes you think we want to hear about Gilbert and Jerusalem? It′s nothing to do with that. But,” he went on in a gentler tone, “you will agree that if one of our family were to be pilled at the Jockey, especially Robert, whose father was chairman for ten years, it would be a pretty serious matter. What can you expect, my dear, it′s got ′em on the raw, those fellows; they′re all over it. I don′t blame them, either; personally, you know that I have no racial prejudice, all that sort of thing seems to me out of date, and I do claim to move with the times; but damn it all, when one goes by the name of ‘Marquis de Saint-Loup′ one isn′t a Dreyfusard; what more can I say?”
M. de Guermantes prononça ces mots: «quand on s′appelle le marquis de Saint–Loup» avec emphase. Il savait pourtant bien que c′était une plus grande chose de s′appeler «le duc de Guermantes». Mais si son amour-propre avait des tendances à s′exagérer plutôt la supériorité du titre de duc de Guermantes, ce n′était peut-être pas tant les règles du bon goût que les lois de l′imagination qui le poussaient à le diminuer. Chacun voit en plus beau ce qu′il voit à distance, ce qu′il voit chez les autres. Car les lois générales qui règlent la perspective dans l′imagination s′appliquent aussi bien aux ducs qu′aux autres hommes. Non seulement les lois de l′imagination, mais celles du langage. Or, l′une ou l′autre de deux lois du langage pouvaient s′appliquer ici, l′une veut qu′on s′exprime comme les gens de sa classe mentale et non de sa caste d′origine. Par là M. de Guermantes pouvait être dans ses expressions, même quand il voulait parler de la noblesse, tributaire de très petits bourgeois qui auraient dit: «Quand on s′appelle le duc de Guermantes», tandis qu′un homme lettré, un Swann, un Legrandin, ne l′eussent pas dit. Un duc peut écrire des romans d′épicier, même sur les moeurs du grand monde, les parchemins n′étant là de nul secours, et l′épithète d′aristocratique être méritée par les écrits d′un plébéien. Quel était dans ce cas le bourgeois à qui M. de Guermantes avait entendu dire: «Quand on s′appelle», il n′en savait sans doute rien. Mais une autre loi du langage est que de temps en temps, comme font leur apparition et s′éloignent certaines maladies dont on n′entend plus parler ensuite, il naît on ne sait trop comment, soit spontanément, soit par un hasard comparable à celui qui fit germer en France une mauvaise herbe d′Amérique dont la graine prise après la peluche d′une couverture de voyage était tombée sur un talus de chemin de fer, des modes d′expressions qu′on entend dans la même décade dites par des gens qui ne se sont pas concertés pour cela. Or, de même qu′une certaine année j′entendis Bloch dire en parlant de lui-même: «Comme les gens les plus charmants, les plus brillants, les mieux posés, les plus difficiles, se sont aperçus qu′il n′y avait qu′un seul être qu′ils trouvaient intelligent, agréable, dont ils ne pouvaient se passer, c′était Bloch» et la même phrase dans la bouche de bien d′autres jeunes gens qui ne la connaissaient pas et qui remplaçaient seulement Bloch par leur propre nom, de même je devais entendre souvent le «quand on s′appelle».
M. de Guermantes uttered the words: “When one goes by the name of Marquis de Saint-Loup,” with some emphasis. He knew very well that it was a far greater thing to go by that of Duc de Guermantes. But if his self-esteem had a tendency to exaggerate if anything the superiority of the title Duc de Guermantes over all others, it was perhaps not so much the rules of good taste as the laws of imagination that urged him thus to attenuate it. Each of us sees in the brightest colours what he sees at a distance, what he sees in other people. For the general laws which govern perspective in imagination apply just as much to dukes as to ordinary mortals. And not only the laws of imagination, but those of speech. Now, either of two laws of speech may apply here, one being that which makes us express ourselves like others of our mental category and not of our caste. Under this law M. de Guermantes might be, in his choice of expressions, even when he wished to talk about the nobility, indebted to the humblest little tradesman, who would have said: “When one goes by the name of Duc de Guermantes,” whereas an educated man, a Swann, a Legrandin would not have said it. A duke may write novels worthy of a grocer, even about life in high society, titles and pedigrees being of no help to him there, and the epithet ‘aristocratic′ be earned by the writings of a plebeian. Who had been, in this instance, the inferior from whom M. de Guermantes had picked up ‘when one goes by the name,′ he had probably not the least idea. But another law of speech is that, from time to time, as there appear and then vanish diseases of which nothing more is ever heard, there come into being, no one knows how, spontaneously perhaps or by an accident like that which introduced into France a certain weed from America, the seeds of which, caught in the wool of a travelling rug, fell on a railway embankment, forms of speech which one hears in the same decade on the lips of people who have not in any way combined together to use them. So, just as in a certain year I heard Bloch say, referring to himself, that “the most charming people, the most brilliant, the best known, the most exclusive had discovered that there was only one man in Paris whom they felt to be intelligent, pleasant, whom they could not do without — namely Bloch,” and heard the same phrase used by countless other young men who did not know him and varied it only by substituting their own names for his, so I was often to hear this ‘when one goes by the name.′
— Que voulez-vous, continua le duc, avec l′esprit qui règne là, c′est assez compréhensible.
“What can one expect,” the Duke went on, “with the influence he′s come under; it′s easy to understand.”
— C′est surtout comique, répondit la duchesse, étant donné les idées de sa mère qui nous rase avec la Patrie française du matin au soir.
“Still it is rather comic,” suggested the Duchess, “when you think of his mother′s attitude, how she bores us to tears with her Patrie Française, morning, noon and night.”
— Oui, mais il n′y a pas que sa mère, il ne faut pas nous raconter de craques. Il y a une donzelle, une cascadeuse de la pire espèce, qui a plus d′influence sur lui et qui est précisément compatriote du sieur Dreyfus. Elle a passé à Robert son état d′esprit.
“Yes, but there′s not only his mother to be thought of, you can′t humbug us like that. There′s a damsel, too, a fly-by-night of the worst type; she has far more influence over him than his mother, and she happens to be a compatriot of Master Dreyfus. She has passed on her state of mind to Robert.”
— Vous ne saviez peut-être pas, monsieur le duc, qu′il y a un mot nouveau pour exprimer un tel genre d′esprit, dit l′archiviste qui était secrétaire des comités antirevisionnistes. On dit «mentalité». Cela signifie exactement la même chose, mais au moins personne ne sait ce qu′on veut dire. C′est le fin du fin et, comme on dit, le «dernier cri». Cependant, ayant entendu le nom de Bloch, il le voyait poser des questions à M. de Norpois avec une inquiétude qui en éveilla une différente mais aussi forte chez la marquise. Tremblant devant l′archiviste et faisant l′antidreyfusarde avec lui, elle craignait ses reproches s′il se rendait compte qu′elle avait reçu un Juif plus ou moins affilié au «syndicat».
“You may not have heard, Duke, that there is a new word to describe that sort of mind,” said the librarian, who was Secretary to the Anti-revisionist Committee. “They say ‘mentality.′ It means exactly the same thing, but it has this advantage that nobody knows what you′re talking about. It is the very latest expression just now, the ‘last word′ as people say.” Meanwhile, having heard Bloch′s name, he was watching him question M. de Norpois with misgivings which aroused others as strong though of a different order in the Marquise. Trembling before the librarian, and always acting the anti-Dreyfusard in his presence, she dreaded what he would say were he to find out that she had asked to her house a Jew more or less affiliated to the ‘Syndicate.′
— Ah! mentalité, j′en prends note, je le resservirai, dit le duc. (Ce n′était pas une figure, le duc avait un petit carnet rempli de «citations» et qu′il relisait avant les grands dîners.) Mentalité me plaît. Il y a comme cela des mots nouveaux qu′on lance, mais ils ne durent pas. Dernièrement, j′ai lu comme cela qu′un écrivain était «talentueux». Comprenne qui pourra. Puis je ne l′ai plus jamais revu.
“Indeed,” said the Duke, “‘mentality,′ you say; I must make a note of that; I shall use it some day.” This was no figure of speech, the Duke having a little pocketbook filled with such ‘references′ which he used to consult before dinner-parties. “I like ‘mentality.′ There are a lot of new words like that which people suddenly start using, but they never last. I read somewhere the other day that some writer was ‘talentuous.′ You may perhaps know what it means; I don′t. And since then I′ve never come across the word again.”
— Mais mentalité est plus employé que talentueux, dit l′historien de la Fronde pour se mêler à la conversation. Je suis membre d′une commission au ministère de l′Instruction publique où je l′ai entendu employer plusieurs fois, et aussi à mon cercle, le cercle Volney, et même à dîner chez M. Émile Ollivier.
“But ‘mentality′ is more widely used than ‘talentuous,′” the historian of the Fronde made his way into the conversation. “I am on a Committee at the Ministry of Education at which I have heard it used several times, as well as at my Club, the Volney, and indeed at dinner at M. Emile Ollivier′s.”
— Moi qui n′ai pas l′honneur, de faire partie du ministère de l′Instruction publique, répondit le duc avec une feinte humilité, mais avec une vanité si profonde que sa bouche ne pouvait s′empêcher de sourire et ses yeux de jeter à l′assistance des regards pétillants de joie sous l′ironie desquels rougit le pauvre historien, moi qui n′ai pas l′honneur de faire partie du ministère de l′Instruction publique, reprit-il, s′écoutant parler, ni du cercle Volney (je ne suis que de l′Union et du Jockey) . . . vous n′êtes pas du Jockey, monsieur? demanda-t-il à l′historien qui, rougissant encore davantage, flairant une insolence et ne la comprenant pas, se mit à trembler de tous ses membres, moi qui ne dîne même pas chez M. Émile Ollivier, j′avoue que je ne connaissais pas mentalité. Je suis sûr que vous êtes dans mon cas, Argencourt.
“I, who have not the honour to belong to the Ministry of Education,” replied the Duke with a feigned humility but with a vanity so intense that his lips could not refrain from curving in a smile, nor his eyes from casting round his audience a glance sparkling with joy, the ironical scorn in which made the poor historian blush, “I who have not the honour to belong to the Ministry of Education,” he repeated, relishing the sound of his words, “nor to the Volney Club (my only clubs are the Union and the Jockey — you aren′t in the Jockey, I think, sir?” he asked the historian, who, blushing a still deeper red, scenting an insult and failing to understand it, began to tremble in every limb), “I, who am not even invited to dine with M. Emile Ollivier, I must confess that I had never heard ‘mentality.′ I′m sure you′re in the same boat, Argencourt.
— Vous savez pourquoi on ne peut pas montrer les preuves de la trahison de Dreyfus. Il paraît que c′est parce qu′il est l′amant de la femme du ministre de la Guerre, cela se dit sous le manteau.
“You know,” he went on, “why they can′t produce the proofs of Dreyfus′s guilt. Apparently it′s because the War Minister′s wife was his mistress, that′s what people are saying.”
— Ah! je croyais de la femme du président du Conseil, dit M. d′Argencourt.
“Ah! I thought it was the Prime Minister′s wife,” said M. d′Argencourt.
— Je vous trouve tous aussi assommants, les uns que les autres avec cette affaire, dit la duchesse de Guermantes qui, au point de vue mondain, tenait toujours à montrer qu′elle ne se laissait mener par personne. Elle ne peut pas avoir de conséquence pour moi au point de vue des Juifs pour la bonne raison que je n′en ai pas dans mes relations et compte toujours rester dans cette bienheureuse ignorance. Mais, d′autre part, je trouve insupportable que, sous prétexte qu′elles sont bien pensantes, qu′elles n′achètent rien aux marchands juifs ou qu′elles ont «Mort aux Juifs» écrit sur leur ombrelle, une quantité de dames Durand ou Dubois, que nous n′aurions jamais connues, nous soient imposées par Marie–Aynard ou par Victurnienne. Je suis allée chez Marie–Aynard avant-hier. C′était charmant autrefois. Maintenant on y trouve toutes les personnes qu′on a passé sa vie à éviter, sous prétexte qu′elle sont contre Dreyfus, et d′autres dont on n′a pas idée qui c′est.
“I think you′re all equally tiresome about this wretched case,” said the Duchesse de Guermantes, who, in the social sphere, was always anxious to shew that she did not allow herself to be led by anyone. “It can′t make any difference to me, so far as the Jews are concerned, for the simple reason that I don′t know any of them, and I intend to remain in that state of blissful ignorance. But on the other hand I do think it perfectly intolerable that just because they′re supposed to hold ‘sound′ views and don′t deal with Jewish tradesmen, or have ‘Down with the Jews′ printed on their sunshades, we should have a swarm of Durands and Dubois and so forth, women we should never have known but for this business, forced down our throats by Marie-Aynard or Victurnienne. I went to see Marie-Aynard a couple of days ago. It used to be so nice there. Nowadays one finds all the people one has spent one′s life trying to avoid, on the pretext that they′re against Dreyfus, and others of whom you have no idea who they can be.”
— Non, c′est la femme du ministre de la Guerre. C′est du moins un bruit qui court les ruelles, reprit le duc qui employait ainsi dans la conversation certaines expressions qu′il croyait ancien régime. Enfin en tout cas, personnellement, on sait que je pense tout le contraire de mon cousin Gilbert. Je ne suis pas un féodal comme lui, je me promènerais avec un nègre s′il était de mes amis, et je me soucierais de l′opinion du tiers et du quart comme de l′an quarante, mais enfin tout de même vous m′avouerez que, quand on s′appelle Saint–Loup, on ne s′amuse pas à prendre le contrepied des idées de tout le monde qui a plus d′esprit que Voltaire et même que mon neveu. Et surtout on ne se livre pas à ce que j′appellerai ces acrobaties de sensibilité, huit jours avant de se présenter au Cercle! Elle est un peu roide! Non, c′est probablement sa petite grue qui lui aura monté le bourrichon. Elle lui aura persuadé qu′il se classerait parmi les «intellectuels». Les intellectuels, c′est le «tarte à la crème» de ces messieurs. Du reste cela a fait faire un assez joli jeu de mots, mais très méchant.
“No; it was the War Minister′s wife; at least, that′s the bedside rumour,” went on the Duke, who liked to flavour his conversation with certain expressions which he imagined to be of the old school. “Personally, of course, as everyone knows, I take just the opposite view to my cousin Gilbert. I am not feudal like him. I would go about with a Negro if he was a friend of mine, and I shouldn′t care two straws what anybody thought; still after all you will agree with me that when one goes by the name of Saint-Loup one doesn′t amuse oneself by running clean against the rails of public opinion, which has more sense than Voltaire or even my nephew. Nor does one go in for what I may be allowed to call these acrobatics of conscience a week before one comes up for a club. It is a bit stiff, really! No, it is probably that little wench of his that has put him on his high horse. I expect she told him that he would be classed among the ‘intellectuals.′ The intellectuals, they′re the very cream of those gentry. It′s given rise, by the way, to a rather amusing pun, though a very naughty one.”
Et le duc cita tout bas pour la duchesse et M. d′Argencourt: «Mater Semita» qui en effet se disait déjà au Jockey, car de toutes les graines voyageuses, celle à qui sont attachées les ailes les plus solides qui lui permettent d′être disséminée à une plus grande distance de son lieu d′éclosion, c′est encore une plaisanterie.
And the Duke murmured, lowering his voice, for his wife′s and M. d′Argencourt′s benefit, “Mater Semita,” which had already made its way into the Jockey Club, for, of all the flying seeds in the world, that to which are attached the most solid wings, enabling it to be disseminated at the greatest distance from its parent branch, is still a joke.
— Nous pourrions demander des explications à monsieur, qui a l′air d′une érudit, dit-il en montrant l′historien. Mais il est préférable de n′en pas parler, d′autant plus que le fait est parfaitement faux. Je ne suis pas si ambitieux que ma cousine Mirepoix qui prétend qu′elle peut suivre la filiation de sa maison avant Jésus-Christ jusqu′à la tribu de Lévi, et je me fais fort de démontrer qu′il n′y a jamais eu une goutte de sang juif dans notre famille. Mais enfin il ne faut tout de même pas nous la faire à l′oseille, il est bien certain que les charmantes opinions de monsieur mon neveu peuvent faire assez de bruit dans Landerneau. D′autant plus que Fezensac est malade, ce sera Duras qui mènera tout, et vous savez s′il aime à faire des embarras, dit le duc qui n′était jamais arrivé à connaître le sens précis de certains mots et qui croyait que faire des embarras voulait dire faire non pas de l′esbroufe, mais des complications.
“We might ask this gentleman, who has a nerudite air, to explain it to us,” he went on, indicating the historian. “But it is better not to repeat it, especially as there′s not a vestige of truth in the suggestion. I am not so ambitious as my cousin Mirepoix, who claims that she can trace the descent of her family before Christ to the Tribe of Levi, and I will undertake to prove that there has never been a drop of Jewish blood in our family. Still there is no good in our shutting our eyes to the fact, you may be sure that my dear nephew′s highly original views are liable to make a considerable stir at Landerneau. Especially as Fezensac is ill just now, and Duras will be running the election; you know how he likes to make nuisances,” concluded the Duke, who had never succeeded in learning the exact meaning of certain phrases, and supposed ‘making nuisances′ to mean ‘making difficulties.′
Bloch cherchait à pousser M. de Norpois sur le colonel Picquart.
Bloch tried to pin M. de Norpois down on Colonel Picquart.
— Il est hors de conteste, répondit M. de Norpois, que sa déposition était nécessaire. Je sais qu′en soutenant cette opinion j′ai fait pousser à plus d′un de mes collègues des cris d′orfraie, mais, à mon sens, le gouvernement avait le devoir de laisser parler le colonel. On ne sort pas d′une pareille impasse par une simple pirouette, ou alors on risque de tomber dans un bourbier. Pour l′officier lui-même, cette déposition produisit à la première audience une impression des plus favorables. Quand on l′a vu, bien pris dans le joli uniforme des chasseurs, venir sur un ton parfaitement simple et franc raconter ce qu′il avait vu, ce qu′il avait cru, dire: «Sur mon honneur de soldat (et ici la voix de M. de Norpois vibra d′un léger trémolo patriotique) telle est ma conviction», il n′y a pas à nier que l′impression a été profonde.
“There can be no two opinions;” replied M. de Norpois, “his evidence had to be taken. I am well aware that, by maintaining this attitude, I have drawn screams of protest from more than one of my colleagues, but to my mind the Government were bound to let the Colonel speak. One can′t dance lightly out of a blind alley like that, or if one does there′s always the risk of falling into a ditch. As for the officer himself, his statement gave one, at the first hearing, a most excellent impression. When one saw him, looking so well in that smart Chasseur uniform, come into court and relate in a perfectly simple and frank tone what he had seen and what he had deduced, and say: ‘On my honour as a soldier′” (here M. de Norpois′s voice shook with a faint patriotic throb) “‘such is my conviction,′ it is impossible to deny that the impression he made was profound.”
«Voilà, il est dreyfusard, il n′y a plus l′ombre d′un doute», pensa Bloch.
“There; he is a Dreyfusard, there′s not the least doubt of it,” thought Bloch.
— Mais ce qui lui a aliéné entièrement les sympathies qu′il avait pu rallier d′abord, cela a été sa confrontation avec l′archiviste Gribelin, quand on entendit ce vieux serviteur, cet homme qui n′a qu′une parole (et M. de Norpois accentua avec l′énergie des convictions sincères les mots qui suivirent), quand on l′entendit, quand on le vit regarder dans les yeux son supérieur, ne pas craindre de lui tenir la dragée haute et lui dire d′un ton qui n′admettait pas de réplique: «Voyons, mon colonel, vous savez bien que je n′ai jamais menti, vous savez bien qu′en ce moment, comme toujours, je dis la vérité», le vent tourna, M. Picquart eut beau remuer ciel et terre dans les audiences suivantes, il fit bel et bien fiasco.
“But where he entirely forfeited all the sympathy that he had managed to attract was when he was confronted with the registrar, Gribelin. When one heard that old public servant, a man who had only one answer to make,” (here M. de Norpois began to accentuate his words with the energy of his sincere convictions) “when one listened to him, when one saw him look his superior officer in the face, not afraid to hold his head up to him, and say to him in a tone that admitted of no response: ‘Colonel, sir, you know very well that I have never told a lie, you know that at this moment, as always, I am speaking the truth,′ the wind changed; M. Picquart might move heaven and earth at the subsequent hearings; he made a complete fiasco.”
«Non, décidément il est antidreyfusard, c′est couru, se dit Bloch. Mais s′il croit Picquart un traître qui ment, comment peut-il tenir compte de ses révélations et les évoquer comme s′il y trouvait du charme et les croyait sincères? Et si au contraire il voit en lui un juste qui délivre sa conscience, comment peut-il le supposer mentant dans sa confrontation avec Gribelin?»
“No; evidently he′s an anti-Dreyfusard; it′s quite obvious,” said Bloch to himself. “But if he considers Picquart a traitor and a liar, how can he take his revelations seriously, and quote them as if he found them charming and believed them to be sincere. And if, on the other hand, he sees in him an honest man easing his conscience, how can he suppose him to have been lying when he was confronted with Gribelin?”
— En tout cas, si ce Dreyfus est innocent, interrompit la duchesse, il ne le prouve guère. Quelles lettres idiotes, emphatiques, il écrit de son île! Je ne sais pas si M. Esterhazy vaut mieux que lui, mais il a un autre chic dans la façon de tourner les phrases, une autre couleur. Cela ne doit pas faire plaisir aux partisans de M. Dreyfus. Quel malheur pour eux qu′ils ne puissent pas changer d′innocent. Tout le monde éclata de rire. «Vous avez entendu le mot d′Oriane? demanda vivement le duc de Guermantes à Mme de Villeparisis. — Oui, je le trouve très drôle.» Cela ne suffisait pas au duc: «Eh bien, moi, je ne le trouve pas drôle; ou plutôt cela m′est tout à fait égal qu′il soit drôle ou non. Je ne fais aucun cas de l′esprit.» M. d′Argencourt protestait. «Il ne pense pas un mot de ce qu′il dit», murmura la duchesse. «C′est sans doute parce que j′ai fait partie des Chambres où j′ai entendu des discours brillants qui ne signifiaient rien. J′ai appris à y apprécier surtout la logique. C′est sans doute à cela que je dois de n′avoir pas été réélu. Les choses drôles me sont indifférentes. — Basin, ne faites pas le Joseph Prudhomme, mon petit, vous savez bien que personne n′aime plus l′esprit que vous. — Laissez-moi finir. C′est justement parce que je suis insensible à un certain genre de facéties, que je prise souvent l′esprit de ma femme. Car il part généralement d′une observation juste. Elle raisonne comme un homme, elle formule comme un écrivain.»
“In any case, if this man Dreyfus is innocent,” the Duchess broke in, “he hasn′t done much to prove it. What idiotic, raving letters he writes from that island. I don′t know whether M. Esterhazy is any better, but he does shew some skill in his choice of words, a different tone altogether. That can′t be very pleasant for the supporters of M. Dreyfus. What a pity for them there′s no way of exchanging innocents.” Everybody laughed. “You heard what Oriane said?” the Duc de Guermantes inquired eagerly of e. de Villeparisis. “Yes; I think it most amusing.” This was not enough for the Duke. “Well, I don′t know, I can′t say that I thought it amusing; or rather it doesn′t make the slightest difference to me whether a thing is amusing or not. I don′t care about wit.” M. d′Argencourt protested. “It is probably because I′ve been a Member of Parliament, where I have listened to brilliant speeches that meant absolutely nothing. I learned there to value, more than anything, logic. That′s probably why they didn′t elect me again. Amusing things leave me cold.” “Basin, don′t play the heavy father like that, my child, you know quite well that no one admires wit more than you do.” “Please let me finish. It is just because I am unmoved by a certain type of humour, that I am often struck by my wife′s wit. For you will find it based, as a rule, upon sound observation. She reasons like a man; she states her case like a writer.”
Peut-être la raison pour laquelle M. de Norpois parlait ainsi à Bloch comme s′ils eussent été d′accord venait-elle de ce qu′il était tellement antidreyfusard que, trouvant que le gouvernement ne l′était pas assez, il en était l′ennemi tout autant qu′étaient les dreyfusards. Peut-être parce que l′objet auquel il s′attachait en politique était quelque chose de plus profond, situé dans un autre plan, et d′où le dreyfusisme apparaissait comme une modalité sans importance et qui ne mérite pas de retenir un patriote soucieux des grandes questions extérieures. Peut-être, plutôt, parce que les maximes de sa sagesse politique ne s′appliquant qu′à des questions de forme, de procédé, d′opportunité, elles étaient aussi impuissantes à résoudre les questions de fond qu′en philosophie la pure logique l′est à trancher les questions d′existence, ou que cette sagesse même lui fît trouver dangereux de traiter de ces sujets et que, par prudence, il ne voulût parler que de circonstances secondaires. Mais où Bloch se trompait, c′est quand il croyait que M. de Norpois, même moins prudent de caractère et d′esprit moins exclusivement formel, eût pu, s′il l′avait voulu, lui dire la vérité sur le rôle d′Henry, de Picquart, de du Paty de Clam, sur tous les points de l′affaire. La vérité, en effet, sur toutes ces choses, Bloch ne pouvait douter que M. de Norpois la connût. Comment l′aurait-il ignorée puisqu′il connaissait les ministres? Certes, Bloch pensait que la vérité politique peut être approximativement reconstituée par les cerveaux les plus lucides, mais il s′imaginait, tout comme le gros du public, qu′elle habite toujours, indiscutable et matérielle, le dossier secret du président de la République et du président du Conseil, lesquels en donnent connaissance aux ministres. Or, même quand la vérité politique comporte des documents, il est rare que ceux-ci aient plus que la valeur d′un cliché radioscopique où le vulgaire croit, que la maladie du patient s′inscrit en toutes lettres, tandis qu′en fait, ce cliché fournit un simple élément d′appréciation qui se joindra à beaucoup d′autres sur lesquels s′appliquera le raisonnement du médecin et d′où il tirera son diagnostic. Aussi la vérité politique, quand on se rapproche des hommes renseignés et qu′on croit l′atteindre, se dérobe. Même plus tard, et pour en rester à l′affaire Dreyfus, quand se produisit un fait aussi éclatant que l′aveu d′Henry, suivi de son suicide, ce fait fut aussitôt interprété de façon opposée par des ministres dreyfusards et par Cavaignac et Cuignet qui avaient eux-mêmes fait la découverte du faux et conduit l′interrogatoire; bien plus, parmi les ministres dreyfusards eux-mêmes, et de même nuance, jugeant non seulement sur les mêmes pièces mais dans le même esprit, le rôle d′Henry fut expliqué de façon entièrement opposée, les uns voyant en lui un complice d′Esterhazy, les autres assignant au contraire ce rôle à du Paty de Clam, se ralliant ainsi à une thèse de leur adversaire Cuignet et étant en complète opposition avec leur partisan Reinach. Tout ce que Bloch put tirer de M. de Norpois c′est que, s′il était vrai que le chef d′état-major, M. de Boisdeffre, eût fait faire une communication secrète à M. Rochefort, il y avait évidemment là quelque chose de singulièrement regrettable.
Possibly the explanation of M. de Norpois′s speaking in this way to Bloch, as though they had been in agreement, may have lain in the fact that he himself was so keen an anti-Dreyfusard that, finding the Government not anti-Dreyfusard enough, he was its enemy just as much as the Dreyfusards. Perhaps because the object to which he devoted himself in politics was something more profound, situated on another plane, from which Dreyfusism appeared as an unimportant modality which did not deserve the attention of a patriot interested in large questions of foreign policy. Perhaps, rather, because the maxims of his political wisdom being applicable only to questions of form, of procedure, of expediency, they were as powerless to solve questions of fact as in philosophy pure logic is powerless to tackle the problems of existence; or else because that very wisdom made him see danger in handling such subjects and so, in his caution, he preferred to speak only of minor incidents. But where Bloch made a mistake was in thinking that M. de Norpois, even had he been less cautious by nature and of a less exclusively formal cast of mind, could (supposing he would) have told him the truth as to the part played by Henry, Picquart or du Paty de Clam, or as to any of the different aspects of the case. The truth, indeed, as to all these matters Bloch could not doubt that M. de Norpois knew. How could he fail to know it seeing that he was a friend of all the Ministers? Naturally, Bloch thought that the truth in politics could be approximately reconstructed by the most luminous minds, but he imagined, like the man in the street, that it resided permanently, beyond the reach of argument and in a material form, in the secret files of the President of the Republic and the Prime Minister, who imparted it to their Cabinet. Now, even when a political truth does take the form of written documents, it is seldom that these have any more value than a radiographic plate on which the layman imagines that the patient′s disease is inscribed in so many words, when, as a matter of fact, the plate furnishes simply one piece of material for study, to be combined with a number of others, which the doctor′s reasoning powers will take into consideration as a whole and upon them found his diagnosis. So, too, the truth in politics, when one goes to well-informed men and imagines that one is about to grasp it, eludes one. Indeed, later on (to confine ourselves to the Dreyfus case), when so startling an event occurred as Henry′s confession, followed by his suicide, this fact was at once interpreted in opposite ways by the Dreyfusard Ministers, and by Cavaignac and Cuignet who had themselves made the discovery of the forgery and conducted the examination; still more so among the Dreyfusard Ministers themselves, men of the same shade of Dreyfusism, judging not only from the same documents but in the same spirit, the part played by Henry was explained in two entirely different ways, one set seeing in him an accomplice of Esterhazy, the others assigning that part to du Paty de Clam, thus rallying in support of a theory of their opponent Cuignet and in complete opposition to their supporter Reinach. All that Bloch could elicit from M. de Norpois was that if it were true that the Chief of Staff, M. de Boisdeffre, had had a secret communication sent to M. Rochefort, it was evident that a singularly regrettable irregularity had occurred.
— Tenez pour assuré que le ministre de la Guerre a dû, in petto du moins, vouer son chef d′état-major aux dieux infernaux. Un désaveu officiel n′eût pas été à mon sens une superfétation. Mais le ministre de la Guerre s′exprime fort crûment là-dessus inter pocula[/i.>. Il y a du reste certains sujets sur lesquels il est fort imprudent de créer une agitation dont on ne peut ensuite rester maître.
“You may be quite sure that the War Minister must (in petto at any rate) be consigning his Chief of Staff to the infernal powers. An official disclaimer would not have been (to my mind) a work of supererogation. But the War Minister expresses himself very bluntly on the matter inter pocula. There are certain subjects, moreover, about which it is highly imprudent to create an agitation over which one cannot retain control afterwards.”
— Mais ces pièces sont manifestement fausses, dit Bloch. \
“But those documents are obviously forged,” put in Bloch.
M. de Norpois ne répondit pas, mais déclara qu′il n′approuvait pas les manifestations du Prince Henri d′Orléans:
M. de Norpois made no reply to this, but announced that he did not approve of the manifestations that were being made by Prince Henri d′Orléans.
— D′ailleurs elles ne peuvent que troubler la sérénité du prétoire et encourager des agitations qui dans un sens comme dans l′autre seraient à déplorer. Certes il faut mettre le holà aux menées antimilitaristes, mais nous n′avons non plus que faire d′un grabuge encouragé par ceux des éléments de droite qui, au lieu de servir l′idée patriotique, songent à s′en servir. La France, Dieu merci, n′est pas une république sud-américaine et le besoin ne se fait pas sentir d′un général de pronunciamento.
“Besides, they can only ruffle the calm of the pretorium, and encourage agitations which, looked at from either point of view, would be deplorable. Certainly we must put a stop to the anti-militarist conspiracy, but we cannot possibly tolerate, either, a brawl encouraged by those elements on the Right who instead of serving the patriotic ideal themselves are hoping to make it serve them. Heaven be praised, France is not a South American Republic, and the need has not yet been felt here for a military pronunciamento.”
Bloch ne put arriver à le faire parler de la question de la culpabilité de Dreyfus ni donner un pronostic sur le jugement qui interviendrait dans l′affaire civile actuellement en cours. En revanche M. de Norpois parut prendre plaisir à donner des détails sur les suites de ce jugement.
Bioch could not get him to speak on the question of Dreyfus′s guilt, nor would he utter any forecast as to the judgment in the civil trial then proceeding. On the other hand, M. de Norpois seemed only too ready to indicate the consequences of this judgment.
— Si c′est une condamnation, dit-il, elle sera probablement cassée, car il est rare que, dans un procès où les dépositions de témoins sont aussi nombreuses, il n′y ait pas de vices de forme que les avocats puissent invoquer. Pour en finir sur l′algarade du prince Henri d′Orléans, je doute fort qu′elle ait été du goût de son père.
“If it is a conviction,” he said, “it will probably be quashed, for it is seldom that, in a case where there has been such a number of witnesses, there is not some flaw in the procedure which counsel can raise on appeal. To return to Prince Henri′s outburst, I greatly doubt whether it has met with his father′s approval.”
— Vous croyez que Chartres est pour Dreyfus? demanda la duchesse en souriant, les yeux ronds, les joues roses, le nez dans son assiette de petits fours, l′air scandalisé.
“You think Chartres is for Dreyfus?” asked the Duchess with a smile, her eyes rounded, her cheeks bright, her nose buried in her plate, her whole manner deliciously scandalised.
— Nullement, je voulais seulement dire qu′il y a dans toute la famille, de ce côté-là, un sens politique dont on a pu voir, chez l′admirable princesse Clémentine, le nec plus ultra[/i.>, et que son fils le prince Ferdinand a gardé comme un précieux héritage. Ce n′est pas le prince de Bulgarie qui eût serré le commandant Esterhazy dans ses bras.
“Not at all; I meant only that there runs through the whole family, on that side, a political sense which we have seen, in the admirable Princesse Clémentine, carried to its highest power, and which her son, Prince Ferdinand, has kept as a priceless inheritance. You would never have found the Prince of Bulgaria clasping Major Esterhazy to his bosom.”
— Il aurait préféré un simple soldat, murmura Mme de Guermantes, qui dînait souvent avec le Bulgare chez le prince de Joinville et qui lui avait répondu une fois, comme il lui demandait si elle n′était pas jalouse: «Si, Monseigneur, de vos bracelets.»
“He would have preferred a private soldier,” murmured Mme. de Guermantes, who often met the Bulgarian monarch at dinner at the Prince de Joinville′s, and had said to him once, when he asked if she was not envious: “Yes, Sir, of your bracelets.”
— Vous n′allez pas ce soir au bal de Mme de Sagan? dit M. de Norpois à Mme de Villeparisis pour couper court à l′entretien avec Bloch. Celui-ci ne déplaisait pas à l′Ambassadeur qui nous dit plus tard, non sans naîµ¥té et sans doute à cause des quelques traces qui subsistaient dans le langage de Bloch de la mode néo-homérique qu′il avait pourtant abandonnée: «Il est assez amusant, avec sa manière de parler un peu vieux jeu, un peu solennelle. Pour un peu il dirait: «les Doctes Soeurs» comme Lamartine ou Jean–Baptiste Rousseau. C′est devenu assez rare dans la jeunesse actuelle et cela l′était même dans celle qui l′avait précédée. Nous-mêmes nous étions un peu romantiques.» Mais si singulier que lui parût l′interlocuteur, M. de Norpois trouvait que l′entretien n′avait que trop duré.
“You aren′t going to Mme. de Sagan′s ball this evening?” M. de Norpois asked Mme. de Villeparisis, to cut short his conversation with Bloch. My friend had not failed to interest the Ambassador, who told us afterwards, not without a quaint simplicity, thinking no doubt of the traces that survived in Bloch′s speech of the neo-Homeric manner which he had on the whole outgrown: “He is rather amusing, with that way of speaking, a trifle old fashioned, a trifle solemn. You expect him to come out with ‘The Learned Sisters,′ like Lamartine or Jean-Baptiste Rousseau. It has become quite uncommon in the youth of the present day, as it was indeed in the generation before them. We ourselves were inclined to be romantic.” But however exceptional his companion may have seemed to him, M. de Norpois decided that the conversation had lasted long enough.
— Non, monsieur, je ne vais plus au bal, répondit-elle avec un joli sourire de vieille femme. Vous y allez, vous autres? C′est de votre âge, ajouta-t-elle en englobant dans un même regard M. de Châtellerault, son ami, et Bloch. Moi aussi j′ai été invitée, dit-elle en affectant par plaisanterie d′en tirer vanité. On est même venu m′inviter. (On: c′était la princesse de Sagan.)
“No, sir, I don′t go to balls any more,” she replied with a charming grandmotherly smile. “You′re going, all of you, I suppose? You′re the right age for that sort of thing,” she added, embracing in a comprehensive glance M. de Châtellerault, his friend and Bloch. “Still, I was asked,” she went on, pretending, just for fun, to be flattered by the distinction. “In fact, they came specially to ask me.” (‘They′ being the Princesse de Sagan.)
— Je n′ai pas de carte d′invitation, dit Bloch, pensant que Mme de Villeparisis allait lui en offrir une, et que Mme de Sagan serait heureuse de recevoir l′ami d′une femme qu′elle était venue inviter en personne.
“I haven′t had a card,” said Bloch, thinking that Mme. de Villeparisis would at once offer to procure him one, and that Mme. de Sagan would be glad to see at her ball the friend of a woman whom she had called in person to invite.
La marquise ne répondit rien, et Bloch n′insista pas, car il avait une affaire plus sérieuse à traiter avec elle et pour laquelle il venait de lui demander un rendez-vous pour le surlendemain. Ayant entendu les deux jeunes gens dire qu′ils avaient donné leur démission du cercle de la rue Royale où on entrait comme dans un moulin, il voulait demander à Mme de Villeparisis de l′y faire recevoir.
The Marquise made no reply, and Bloch did not press the point, for he had another, more serious matter to discuss with her, and, with that in view, had already asked her whether he might call again in a couple of days. Having heard the two young men say that they had both just resigned from the Rue Royale Club, which was letting in every Tom, Dick and Harry, he wished to ask Mme. de Villeparisis to arrange for his election there.
— Est-ce que ce n′est pas assez faux chic, assez snob à côté, ces Sagan? dit-il d′un air sarcastique.
“Aren′t they rather bad form, rather stuck-up snobs, these Sagans?” he inquired in a tone of sarcasm.
— Mais pas du tout, c′est ce que nous faisons de mieux dans le genre, répondit M. d′Argencourt qui avait adopté toutes les plaisanteries parisiennes.
“Not at all, they′re the best we can do for you in that line,” M. d′Argencourt, who adopted all the catch-words of Parisian society, assured him.
— Alors, dit Bloch à demi ironiquement, c′est ce qu′on appelle une des solennités[/i.>, des grandes assises mondaines de la saison!
“Then,” said Bloch, still half in irony, “I suppose it′s one of the solemnities, the great social fixtures of the season.”
Mme de Villeparisis dit gaiement à Mme de Guermantes:
Mme. de Villeparisis turned merrily to Mme. de Guermantes.
— Voyons, est-ce une grande solennité mondaine, le bal de Mme de Sagan?
“Tell us, is it a great social solemnity, Mme. de Sagan′s ball?”
— Ce n′est pas à moi qu′il faut demander cela, lui répondit ironiquement la duchesse, je ne suis pas encore arrivée à savoir ce que c′était qu′une solennité mondaine. Du reste, les choses mondaines ne sont pas mon fort.
“It′s no good asking me,” answered the Duchess, “I have never yet succeeded in finding out what a social solemnity is. Besides, society isn′t my strong point.”
— Ah! je croyais le contraire, dit Bloch qui se figurait que Mme de Guermantes avait parlé sincèrement.
“Indeed; I thought it was just the other way,” said Bloch, who supposed Mme. de Guermantes to be speaking seriously.
Il continua, au grand désespoir de M. de Norpois, à lui poser nombre de questions sur les officiers dont le nom revenait le plus souvent à propos de l′affaire Dreyfus; celui-ci déclara qu′à «vue de nez» le colonel du Paty de Clam lui faisait l′effet d′un cerveau un peu fumeux et qui n′avait peut-être pas été très heureusement choisi pour conduire cette chose délicate, qui exige tant de sang-froid et de discernement, une instruction.
He continued, to the desperation of M. de Norpois, to ply him with questions about the Dreyfus case. The Ambassador declared that, looking at it from outside, he got the impression from du Paty de Clam of a somewhat cloudy brain, which had perhaps not been very happily chosen to conduct that delicate operation, which required so much coolness and discernment, a judicial inquiry.
— Je sais que le parti socialiste réclame sa tête à cor et à cri, ainsi que l′élargissement immédiat du prisonnier de l′île du Diable. Mais je pense que nous n′en sommes pas encore réduits à passer ainsi sous les fourches caudines de MM. Gérault-Richard et consorts. Cette affaire-là, jusqu′ici, c′est la bouteille à l′encre. Je ne dis pas que d′un côté comme de l′autre il n′y ait à cacher d′assez vilaines turpitudes. Que même certains protecteurs plus ou moins désintéressés de votre client puissent avoir de bonnes intentions, je ne prétends pas le contraire, mais vous savez que l′enfer en est pavé, ajouta-t-il avec un regard fin. Il est essentiel que le gouvernement donne l′impression qu′il n′est pas aux mains des factions de gauche et qu′il n′a pas à se rendre pieds et poings liés aux sommations de je ne sais quelle armée prétorienne qui, croyez-moi, n′est pas l′armée. Il va de soi que si un fait nouveau se produisait, une procédure de révision serait entamée. La conséquence saute aux yeux. Réclamer cela, c′est enfoncer une porte ouverte. Ce jour-là le gouvernement saura parler haut et clair ou il laisserait tomber en quenouille ce qui est sa prérogative essentielle. Les coqs-à-l′âne ne suffiront plus. Il faudra donner des juges à Dreyfus. Et ce sera chose facile car, quoique l′on ait pris l′habitude dans notre douce France, où l′on aime à se calomnier soi-même, de croire ou de laisser croire que pour faire entendre les mots de vérité et de justice il est indispensable de traverser la Manche, ce qui n′est bien souvent qu′un moyen détourné de rejoindre la Sprée, il n′y à pas de juges qu′à Berlin. Mais une fois l′action gouvernementale mise en mouvement, le gouvernement saurez-vous l′écouter? Quand il vous conviera à remplir votre devoir civique, saurez-vous l′écouter, vous rangerez-vous autour de lui? à son patriotique appel saurez-vous ne pas rester sourds et répondre: «Présent!»?
“I know that the Socialist Party are crying aloud for his head on a charger, as well as for the immediate release of the prisoner from the Devil′s Isle. But I think that we are not yet reduced to the necessity of passing the Caudine Forks of MM. Gérault-Richard and Company. So far, the whole case has been an utter mystery, I don′t say that on one side just as much as on the other there has not been some pretty dirty work to be hushed up. That certain of your client′s more or less disinterested protectors may have the best intentions I will not attempt to deny, but you know that heaven is paved with such things,” he added, with a look of great subtlety. “It is essential that the Government should give the impression that they are not in the hands of the factions of the Left, and that they are not going to surrender themselves, bound hand and foot, at the demand of some pretorian guard or other, which, believe me, is not the same thing as the Army. It stands to reason that, should any fresh evidence come to light, a new trial would be ordered. And what follows from that? Obviously, that to demand a new trial is to force an open door. When the day comes, the Government will speak with no uncertain voice or will let fall into abeyance what is their essential prerogative. Cock and bull stories will no longer be enough. We must appoint judges to try Dreyfus. And that will be an easy matter because, although we have acquired the habit, in our sweet France, where we love to belittle ourselves, of thinking or letting it be thought that, in order to hear the words Truth and Justice, it is necessary to cross the Channel, which is very often only a roundabout way of reaching the Spree, there are judges to be found outside Berlin. But once the machinery of Government has been set in motion, will you have ears for the voice of authority? When it bids you perform your duty as a citizen will you have ears for its voice, will you take your stand in the ranks of law and order? When its patriotic appeal sounds, will you have the wisdom not to turn a deaf ear but to answer: ‘Present!′?”
M. de Norpois posait ces questions à Bloch avec une véhémence qui, tout en intimidant mon camarade, le flattait aussi; car l′Ambassadeur avait l′air de s′adresser en lui à tout un parti, d′interroger Bloch comme s′il avait reçu les confidences de ce parti et pouvait assumer la responsabilité des décisions qui seraient prises. «Si vous ne désarmiez pas, continua M. de Norpois sans attendre la réponse collective de Bloch, si, avant même que fût séchée l′encre du décret qui instituerait la procédure de révision, obéissant à je ne sais quel insidieux mot d′ordre vous ne désarmiez pas, mais vous confiniez dans une opposition stérile qui semble pour certains l′ultima ratio de la politique, si vous vous retiriez sous votre tente et brûliez vos vaisseaux, ce serait à votre grand dam. Êtes-vous prisonniers des fauteurs de désordre? Leur avez-vous donné des gages?» Bloch était embarrassé pour répondre. M. de Norpois ne lui en laissa pas le temps. «Si la négative est vraie, comme je veux le croire, et si vous avez un peu de ce qui me semble malheureusement manquer à certains de vos chefs et de vos amis, quelque esprit politique, le jour même où la Chambre criminelle sera saisie, si vous ne vous laissez pas embrigader par les pêcheurs en eau trouble, vous aurez ville gagnée. Je ne réponds pas que tout l′état-major puisse tirer son épingle du jeu, mais c′est déjà bien beau si une partie tout au moins peut sauver la face sans mettre le feu aux poudres et amener du grabuge. Il va de soi d′ailleurs que c′est au gouvernement qu′il appartient de dire le droit et de clore la liste trop longue des crimes impunis, non, certes, en obéissant aux excitations socialistes ni de je ne sais quelle soldatesque, ajouta-t-il, en regardant Bloch dans les yeux et peut-être avec l′instinct qu′ont tous les conservateurs de se ménager des appuis dans le camp adverse. L′action gouvernementale doit s′exercer sans souci des surenchères, d′où qu′elles viennent. Le gouvernement n′est, Dieu merci, aux ordres ni du colonel Driant, ni, à l′autre pôle, de M. Clemenceau. Il faut mater les agitateurs de profession et les empêcher de relever la tête. La France dans son immense majorité désire le travail, dans l′ordre! Là-dessus ma religion est faite. Mais il ne faut pas craindre d′éclairer l′opinion; et si quelques moutons, de ceux qu′a si bien connus notre Rabelais, se jetaient à l′eau tête baissée, il conviendrait de leur montrer que cette eau est trouble, qu′elle a été troublée à dessein par une engeance qui n′est pas de chez nous, pour en dissimuler les dessous dangereux. Et il ne doit pas se donner l′air de sortir de sa passivité à son corps défendant quand il exercera le droit qui est essentiellement le sien, j′entends de mettre en mouvement Dame Justice. Le gouvernement acceptera toutes vos suggestions. S′il est avéré qu′il y ait eu erreur judiciaire, il sera assuré d′une majorité écrasante qui lui permettrait de se donner du champ.
M. de Norpois put these questions to Bloch with a vehemence which, while it alarmed my friend, flattered him also; for the Ambassador spoke to him with the air of one addressing a whole party, questioned him as though he had been in the confidence of that party and might be held responsible for the decisions which it would adopt. “Should you fail to disarm,” M. de Norpois went on, without waiting for Bloch′s collective answer, “should you, before even the ink had dried on the decree ordering the fresh trial of the case, obeying it matters not what insidious word of command, fail, I say, to disarm, and band yourselves, rather, in a sterile opposition which seems to some minds the ultima ratio of policy, should you retire to your tents and burn your boats, you would be doing so to your own, damnation. Are you the prisoners of those who foment disorder? Have you given them pledges?” Bloch was in doubt how to answer. M. de Norpois gave him no time. “If the negative be true, as I should like to think, and if you have a little of what seems to me to be lamentably lacking in certain of your leaders and your friends, namely political sense, then, on the day when the Criminal Court assembles, if you do not allow yourselves to be dragooned by the fishers in troubled waters, you will have won your battle. I do not guarantee that the whole of the General Staff is going to get away unscathed, but it will be so much to the good if some of them at least can save their faces without setting the heather on fire. “It stands to reason, moreover, that it is with the Government that it rests to pronounce judgment, and to close the list — already too long — of unpunished crimes, not certainly at the bidding of Socialist agitators, nor yet of any obscure military mouthpiece,” he added, looking Bloch boldly in the face, perhaps with the instinct that leads all Conservatives to establish support for themselves in the enemy′s camp. “Government action is not to be dictated by the highest bidder, from wherever the bid may come. The Government are not, thank heaven, under the orders of Colonel Driant, nor, at the other end of the scale, under M. Clemenceau′s. We must curb the professional agitators and prevent them from raising their heads again. France, the vast majority here in France, desires only to be allowed to work in orderly conditions. As to that, there can be no question whatever. But we must not be afraid to enlighten public opinion; and if a few sheep, of the kind our friend Rabelais knew so well, should dash headlong into the water, it would be as well to point out to them that the water in question was troubled, that it had been troubled deliberately by an agency not within our borders, in order to conceal the dangers lurking in its depths. And the Government ought not to give the impression that they are emerging from their passivity in self-defence when they exercise the right which is essentially their own, I mean that of setting the wheels of justice in motion. The Government will accept all your suggestions. If it is proved that there has been a judicial error, they can be sure of an overwhelming majority which would give them room to act with freedom.”
— Vous, monsieur, dit Bloch, en se tournant vers M. d′Argencourt à qui on l′avait nommé en même temps que les autres personnes, vous êtes certainement dreyfusard: à l′étranger tout le monde l′est.
“You, sir,” said Bloch, turning to M. d′Argencourt, to whom he had been made known, with the rest of the party, on that gentleman′s arrival, “you are a Dreyfusard, of course; they all are, abroad.”
— C′est une affaire qui ne regarde que les Français entre eux, n′est-ce pas? répondit M. d′Argencourt avec cette insolence particulière qui consiste à prêter à l′interlocuteur une opinion qu′on sait manifestement qu′il ne partage pas, puisqu′il vient d′en émettre une opposée.
“It is a question that concerns only the French themselves, don′t you think?” replied M. d′Argencourt with that peculiar form of insolence which consists in ascribing to the other person an opinion which one must, obviously, know that he does not hold since he has just expressed one directly its opposite.
Bloch rougit; M. d′Argencourt sourit, en regardant autour de lui, et si ce sourire, pendant qu′il l′adressa aux autres visiteurs, fut malveillant pour Bloch, il se tempéra de cordialité en l′arrêtant finalement sur mon ami afin d′ôter à celui-ci le prétexte de se fâcher des mots qu′il venait d′entendre et qui n′en restaient pas moins cruels. Mme de Guermantes dit à l′oreille de M. d′Argencourt quelque chose que je n′entendis pas mais qui devait avoir trait à la religion de Bloch, car il passa à ce moment dans la figure de la duchesse cette expression à laquelle la peur qu′on a d′être remarqué par la personne dont on parle donne quelque chose d′hésitant et de faux et où se mêle la gaîté curieuse et malveillante qu′inspiré un groupement humain auquel nous nous sentons radicalement étrangers. Pour se rattraper Bloch se tourna vers le duc de Châtellerault: «Vous, monsieur, qui êtes français, vous savez certainement qu′on est dreyfusard à l′étranger, quoiqu′on prétende qu′en France on ne sait jamais ce qui se passe à l′étranger. Du reste je sais qu′on peut causer avec vous, Saint–Loup me l′a dit.» Mais le jeune duc, qui sentait que tout le monde se mettait contre Bloch et qui était lâche comme on l′est souvent dans le monde, usant d′ailleurs d′un esprit précieux et mordant que, par atavisme, il semblait tenir de M. de Charlus: «Excusez-moi, Monsieur, de ne pas discuter de Dreyfus avec vous, mais c′est une affaire dont j′ai pour principe de ne parler qu′entre Japhétiques.» Tout le monde sourit, excepté Bloch, non qu′il n′eût l′habitude de prononcer des phrases ironiques sur ses origines juives, sur son côté qui tenait un peu au Sinaí¬ Mais au lieu d′une de ces phrases, lesquelles sans doute n′étaient pas prêtes, le déclic de la machine intérieure en fit monter une autre à la bouche de Bloch. Et on ne put recueillir que ceci: «Mais comment avez-vous pu savoir? Qui vous a dit?» comme s′il avait été le fils d′un forçat. D′autre part, étant donné son nom qui ne passe pas précisément pour chrétien, et son visage, son étonnement montrait quelque naîµ¥té.
Bloch coloured; M. d′Argencourt smiled, looking round the room, and if this smile, so long as it was directed at the rest of the company, was charged with malice at Bloch′s expense, it became tempered with cordiality when finally it came to rest on the face of my friend, so as to deprive him of any excuse for annoyance at the words which he had heard uttered, though those words remained just as cruel. Mme. de Guermantes murmured something to M. d′Argencourt which I could not hear, but which must have referred to Bloch′s religion, for there flitted at that moment over the face of the Duchess that expression to which one′s fear of being noticed by the person of whom one is speaking gives a certain hesitancy and unreality, while there is blended with it the inquisitive, malicious amusement inspired in one by a group of human beings to which one feels oneself to be fundamentally alien. To retrieve himself, Bloch turned to the Duc de Châtellerault. “You, sir, as a Frenchman, you must be aware that people abroad are all Dreyfusards, although everyone pretends that in prance we never know what is going on abroad. Anyhow, I know Í can talk freely to you; Saint-Loup told me so.” But the young Duke, who felt that every one was turning against Bloch, and was a coward as people often are in society, employing a mordant and precious form of wit which he seemed, by a sort of collateral atavism, to have inherited from M. de Charlus, replied: “You must not ask me, sir, to discuss the Dreyfus case with you; it is a subject which, on principle, I never mention except to Japhetics.” Everyone smiled, except Bloch, not that he was not himself in the habit of making scathing references to his Jewish origin, to that side of his ancestry which came from somewhere near Sinai. But instead of one of these epigrams (doubtless because he had not one ready) the operation of the internal machine brought to Bloch′s lips something quite different. And we caught only: “But how on earth did you know? Who told you?” as though he had been the son of a convict. Whereas, given his name, which had not exactly a Christian sound, and his face, his surprise argued a certain simplicity of mind.
Ce que lui avait dit M. de Norpois ne l′ayant pas complètement satisfait, il s′approcha de l′archiviste et lui demanda si on ne voyait pas quelquefois, chez Mme de Villeparisis M. du Paty de Clam ou M. Joseph Reinach. L′archiviste ne répondit rien; il était nationaliste et ne cessait de prêcher à la marquise qu′il y aurait bientôt une guerre sociale et qu′elle devrait être plus prudente dans le choix de ses relations. Il se demanda si Bloch n′était pas un émissaire secret du syndicat venu pour le renseigner et alla immédiatement répéter à Mme de Villeparisis ces questions que Bloch venait de lui poser. Elle jugea qu′il était au moins mal élevé, peut-être dangereux pour la situation de M. de Norpois. Enfin elle voulait donner satisfaction à l′archiviste, la seule personne qui lui inspirât quelque crainte et par lequel elle était endoctrinée, sans grand succès (chaque matin il lui lisait l′article de M. Judet dans le Petit Journal[/i.>). Elle voulut donc signifier à Bloch qu′il eût à ne pas revenir et elle trouva tout naturellement dans son répertoire mondain la scène par laquelle une grande dame met quelqu′un à la porte de chez elle, scène qui ne comporte nullement le doigt levé et les yeux flambants que l′on se figure. Comme Bloch s′approchait d′elle pour lui dire au revoir, enfoncée dans son grand fauteuil, elle parut à demi tirée d′une vague somnolence. Ses regards noyés n′eurent que la lueur faible et charmante d′une perle. Les adieux de Bloch, déplissant à peine dans la figure de la marquise un languissant sourire, ne lui arrachèrent pas une parole, et elle ne lui tendit pas la main. Cette scène mit Bloch au comble de l′étonnement, mais comme un cercle de personnes en était témoin alentour, il ne pensa pas qu′elle pût se prolonger sans inconvénient pour lui et, pour forcer la marquise, la main qu′on ne venait pas lui prendre, de lui-même il la tendit. Mme de Villeparisis fut choquée. Mais sans doute, tout en tenant à donner une satisfaction immédiate à l′archiviste et au clan antidreyfusard, voulait-elle pourtant ménager l′avenir, elle se contenta d′abaisser les paupières et de fermer à demi les yeux.
What M. de Norpois had said not having completely satisfied him, he went up to the librarian and asked him whether Mme. de Villeparisis did not sometimes have in her house M. du Paty de Clam or M. Joseph Reinach. The librarian made no reply; he was a Nationalist, and never ceased preaching to the Marquise that the social revolution might break out at any moment, and that she ought to shew more caution in the choice of her friends. He asked himself whether Bloch might not be a secret emissary of the Syndicate, come to collect information, and went off at once to repeat to Mme. de Villeparisis the questions that Bloch had put to him. She decided that, at the best, he was ill-bred and might be in a position to compromise M. de Norpois. Also, she wished to give satisfaction to the librarian, the only person of whom she went in fear, by whom she was being indoctrinated, though without any marked success (every morning he read her M. Judet′s article in the Petit Journal). She decided, therefore, to make it plain to Bloch that he need not come to the house again, and had no difficulty in finding, among her social repertory, the scene by which a great lady shows anyone her door, a scene which does not in any way involve the raised finger and blazing eyes that people imagine. As Bloch came up to her to say good-bye, buried in her deep armchair, she seemed only half-awakened from a vague somnolence. Her sunken eyes gleamed with only the feeble though charming light of a pair of pearls. Bloch′s farewell, barely pencilling on the Marquise′s face a languid smile, drew from her not a word, nor did she offer him her hand. This scene left Bloch in utter bewilderment, but as he was surrounded by a circle of spectators he felt that it could not be prolonged without disadvantage to himself, and, to force the Marquise, the hand which she had made no effort to take he himself thrust out at her. Mme. de Villeparisis was startled. But doubtless, while still bent upon giving an immediate satisfaction to the librarian and the anti-Dreyfusard clan, she wished at the same time to provide for the future, and so contented herself with letting her eyelids droop over her closing eyes.
— Je crois qu′elle dort, dit Bloch à l′archiviste qui, se sentant soutenu par la marquise, prit un air indigné. Adieu, madame, cria-t-il.
“I believe she′s asleep,” said Bloch to the librarian who, feeling that he had the support of the Marquise, assumed an indignant air. “Good-bye madame,” snouted Bloch.
La marquise fit le léger mouvement de lèvres d′une mourante qui voudrait ouvrir la bouche, mais dont le regard ne reconnaît plus. Puis elle se tourna, débordante d′une vie retrouvée, vers le marquis d′Argencourt tandis que Bloch s′éloignait persuadé qu′elle était «ramollie». Plein de curiosité et du dessein d′éclairer un incident si étrange, il revint la voir quelques jours après. Elle le reçut très bien parce qu′elle était bonne femme, que l′archiviste n′était pas là, qu′elle tenait à la saynète que Bloch devait faire jouer chez elle, et qu′enfin elle avait fait le jeu de grande dame qu′elle désirait, lequel fut universellement admiré et commenté le soir même dans divers salons, mais d′après une version qui n′avait déjà plus aucun rapport avec la vérité.
The old lady made the slight movement with her lips of a dying woman who wants to open her mouth but whose eye can no longer recognise people. Then she turned, overflowing with a restored vitality, to M. d′Argencourt, while Bloch left the room, convinced that she must be ‘soft′ in the head. Full of curiosity and anxious to have more light thrown upon so strange an incident, he came to see lier again a few days later. She received him in the most friendly fashion, because she was a good-natured woman, because the librarian was not there, because she had in mind the little play which Bloch was going to produce for her, and finally because she had acted once and for all the little scene of the indignant lady that she had wished to act, a scene that had been universally admired and discussed the same evening in various drawing-rooms, but in a version which had already ceased to bear any resemblance to the truth.
— Vous parliez des Sept Princesses[/i.>, duchesse, vous savez (je n′en suis pas plus fier pour ça) que l′auteur de ce . . . comment dirai-je, de ce factum, est un de mes compatriotes, dit M. d′Argencourt avec une ironie mêlée de la satisfaction de connaître mieux que les autres l′auteur d′une oeuvre dont on venait de parler. Oui, il est belge de son état, ajouta-t-il.
“You were speaking just now of the Seven Princesses, Duchess; you know (not that it′s anything to be proud of) that the author of that — what shall I call it? — that production is a compatriot of mine,” said M. d′Argencourt with a fine scorn blended with satisfaction at knowing more than anyone else in the room about the author of a work which had been under discussion. “Yes, he′s a Belgian, by nationality,” he went on.
— Vraiment? Non, nous ne vous accusons pas d′être pour quoi que ce soit dans les Sept Princesses. Heureusement pour vous et pour vos compatriotes, vous ne ressemblez pas à l′auteur de cette ineptie. Je connais des Belges très aimables, vous, votre Roi qui est un peu timide mais plein d′esprit, mes cousins Ligne et bien d′autres, mais heureusement vous ne parlez pas le même langage que l′auteur des Sept Princesses. Du reste, si vous voulez que je vous dise, c′est trop d′en parler parce que surtout ce n′est rien. Ce sont des gens qui cherchent à avoir l′air obscur et au besoin qui s′arrangent d′être ridicules pour cacher qu′ils n′ont pas d′idées. S′il y avait quelque chose dessous, je vous dirais que je ne crains pas certaines audaces, ajouta-t-elle d′un ton sérieux, du moment qu′il y a de la pensée. Je ne sais pas si vous avez vu la pièce de Borelli. Il y a des gens que cela a choqués; moi, quand je devrais me faire lapider, ajouta-t-elle sans se rendre compte qu′elle ne courait pas de grands risques, j′avoue que j′ai trouvé cela infiniment curieux. Mais les Sept Princesses[/i.>! L′une d′elle a beau avoir des bontés pour son neveu, je ne peux pas pousser les sentiments de famille. . . .
“Indeed! No, we don′t accuse you of any responsibility for the Seven Princesses. Fortunately for yourself and your compatriots you are not like the author of that absurdity. I know several charming Belgians, yourself, your King, who is inclined to be shy, but full of wit, my Ligne cousins, and heaps of others, but you, I am thankful to say, do not speak the same language as the author of the Seven Princesses. Besides, if you want to know, it′s not worth talking about, because really there is absolutely nothing in it. You know the sort of people who are always trying to seem obscure, and even plan to make themselves ridiculous to conceal the fact that they have not an idea in their heads. If there was anything behind it all, I may tell you that I′m not in the least afraid of a little daring,” she added in a serious tone, “provided that there is some idea in it. I don′t know if you′ve seen Borelli′s piece. Some people seem to have been shocked by it, but I must say, even if they stone me through the streets for saying it,” she went on, without stopping to think that she ran no very great risk of such a punishment, “I found it immensely interesting. But the Seven Princesses! It′s all very well, one of them having a fondness for my nephew, I cannot carry family feeling quite . . . ”
La duchesse s′arrêta net, car une dame entrait qui était la vicomtesse de Marsantes, là mère de Robert. Mme de Marsantes était considérée dans le faubourg Saint–Germain comme un être supérieur, d′une bonté, d′une résignation angéliques. On me l′avait dit et je n′avais pas de raison particulière pour en être surpris, ne sachant pas à ce moment-là qu′elle était la propre soeur du duc de Guermantes. Plus tard j′ai toujours été étonné chaque fois que j′appris, dans cette société, que des femmes mélancoliques, pures, sacrifiées, vénérées comme d′idéales saintes de vitrail, avaient fleuri sur la même souche généalogique que des frères brutaux, débauchés et vils. Des frères et soeurs, quand ils sont tout à fait pareils du visage comme étaient le duc de Guermantes et Mme de Marsantes, me semblaient devoir avoir en commun une seule intelligence, un même coeur, comme aurait une personne qui peut avoir de bons ou de mauvais moments mais dont on ne peut attendre tout de même de vastes vues si elle est d′esprit borné, et une abnégation sublime si elle est de coeur dur.
The Duchess broke off abruptly, for a lady came in who was the Comtesse de Marsantes, Robert′s mother. Mme. de Marsantes was regarded in the Faubourg Saint-Germain as a superior being, of a goodness, a resignation that were positively angelic. So I had been told, and had had no particular reason to feel surprised, not knowing at the same time that she was the sister of the Duc de Guermantes. Later, I have always been taken aback, whenever I have learned that such women, melancholy, pure, victimised, venerated like the ideal forms of saints in church windows, had flowered from the same genealogical stem as brothers brutal, debauched and vile. Brothers and sisters, when they are closely alike in features as were the pue de Guermantes and Mme. de Marsantes, ought (I felt) to have a single intellect in common, the same heart, as a person would have who might vary between good and evil moods but in whom one could not, for all that, expect to find a vast breadth of outlook if he had a narrow mind, or a sublime abnegation if his heart was hard.
Mme de Marsantes suivait les cours de Brunetière. Elle enthousiasmait le faubourg Saint–Germain et, par sa vie de sainte, l′édifiait aussi. Mais la connexité morphologique du joli nez et du regard pénétrant incitait pourtant à classer Mme de Marsantes dans la même famille intellectuelle et morale que son frère le duc. Je ne pouvais croire que le seul fait d′être une femme, et peut-être d′avoir été malheureuse et d′avoir l′opinion de tous pour soi, pouvait faire qu′on fût aussi différent des siens, comme dans les chansons de geste où toutes les vertus et les grâces sont réunies en la soeur de frères farouches. Il me semblait que la nature, moins libre que les vieux poètes, devait se servir à peu près exclusivement des éléments communs à la famille et je ne pouvais lui attribuer tel pouvoir d′innovation qu′elle fît, avec des matériaux analogues à ceux qui composaient un sot et un rustre, un grand esprit sans aucune tare de sottise, une sainte sans aucune souillure de brutalité. Mme de Marsantes avait une robe de surah blanc à grandes palmes, sur lesquelles se détachaient des fleurs en étoffe lesquelles étaient noires. C′est qu′elle avait perdu, il y a trois semaines, son cousin M. de Montmorency, ce qui ne l′empêchait pas de faire des visites, d′aller à de petits dîners, mais en deuil. C′était une grande dame. Par atavisme son âme était remplie par la frivolité des existences de cour, avec tout ce qu′elles ont de superficiel et de rigoureux. Mme de Marsantes n′avait pas eu la force de regretter longtemps son père et sa mère, mais pour rien au monde elle n′eût porté de couleurs dans le mois qui suivait la mort d′un cousin. Elle fut plus qu′aimable avec moi parce que j′étais l′ami de Robert et parce que je n′étais pas du même monde que Robert. Cette bonté s′accompagnait d′une feinte timidité, de l′espèce de mouvement de retrait intermittent de la voix, du regard, de la pensée qu′on ramène à soi comme une jupe indiscrète, pour ne pas prendre trop de place, pour rester bien droite, même dans la souplesse, comme le veut la bonne éducation. Bonne éducation qu′il ne faut pas prendre trop au pied de la lettre d′ailleurs, plusieurs de ces dames versant très vite dans le dévergondage des moeurs sans perdre jamais la correction presque enfantine des manières. Mme de Marsantes agaçait un peu dans la conversation parce que, chaque fois qu′il s′agissait d′un roturier, par exemple de Bergotte, d′Elstir, elle disait en détachant le mot, en le faisant valoir, et en le psalmodiant sur deux tons différents en une modulation qui était particulière aux Guermantes: «J′ai eu l′honneur[/i.>, le grand hon[/i.>-neur de rencontrer Monsieur Bergotte, de faire la connaissance de Monsieur Elstir», soit pour faire admirer son humilité, soit par le même goût qu′avait M. de Guermantes de revenir aux formes désuètes pour protester contre les usages de mauvaise éducation actuelle où on ne se dit pas assez «honoré». Quelle que fût celle de ces deux raisons qui fût la vraie, de toutes façons on sentait que, quand Mme de Marsantes disait: «J′ai eu l′honneur, le grand hon[/i.>-neur», elle croyait remplir un grand rôle, et montrer qu′elle savait accueillir les noms des hommes de valeur comme elle les eût reçus eux-mêmes dans son château, s′ils s′étaient trouvés dans le voisinage. D′autre part, comme sa famille était nombreuse, qu′elle l′aimait beaucoup, que, lente de débit et amie des explications, elle voulait faire comprendre les parentés, elle se trouvait (sans aucun désir d′étonner et tout en n′aimant sincèrement parler que de paysans touchants et de gardes-chasse sublimes) citer à tout instant toutes les familles médiatisées d′Europe, ce que les personnes moins brillantes ne lui pardonnaient pas et, si elles étaient un peu intellectuelles, raillaient comme de la stupidité.
Mme. de Marsantes attended Brunetière′s lectures. She fascinated the Faubourg Saint-Germain and, by her saintly life, edified it as well. But the morphological link of handsome nose and piercing gaze led one, nevertheless, to classify Mme. de Marsantes in the same intellectual and moral family as her brother the Duke. I could not believe that the mere fact of her being a woman, and perhaps those of her having had an unhappy life and won everyone′s sympathy, could make a person be so different from the rest of her family, as in the old romances, where all the virtues and graces are combined in the sister of wild and lawless brothers. It seemed to me that nature, less unconventional than the old poets, must make use almost exclusively of the elements common to the family, and I was unable to credit her with enough power of invention to construct, out of materials analogous to those that composed a fool and clod, a lofty mind without the least strain of clownishness, a saint unsoiled by any brutality. Mme. de Marsantes was wearing a gown of white surah embroidered with large palms, on which stood out flowers of a different material, these being black. This was because, three weeks earlier, she had lost her cousin, M. de Montmorency, a bereavement which did not prevent her from paying calls or even from going to small dinners, but always in mourning. She was a great lady. Atavism had filled her with the frivolity of generations of life at court, with all the superficial, rigorous duties that that implies. Mme. de Marsantes had not had the strength of character to regret for any length of time the death of her father and mother, but she would not for anything in the world have appeared in colours in the month following that of a cousin. She was more than pleasant to me, both because I was Robert′s friend and because I did not move in the same world as he. This pleasantness was accompanied by a pretence of shyness, by that sort of intermittent withdrawal of the voice, the eyes, the mind which a woman draws back to her like a skirt that has indiscreetly spread, so as not to take up too much room, to remain stiff and erect even in her suppleness, as a good upbringing teaches. A good upbringing which must not, however, be taken too literally, many of these ladies passing very swiftly into a complete dissolution of morals without ever losing the almost childlike correctness of their manners. Mme. de Marsantes was a trifle irritating in conversation since, whenever she had occasion to speak of a plebeian, as for instance Bergotte or Elstir, she would say, isolating the word, giving it its full value, intoning it on two different notes with a modulation peculiar to the Guermantes: “I have had the honour, the great hon-our of meeting Monsieur Bergotte,” or “of making the acquaintance of Monsieur Elstir” whether that her hearers might marvel at her humility or from the sam tendency that Mme. de Guermantes shewed to revert to the use of obsolete forms, as a protest against the slovenly usages of the present day, in which people never professed themselves sufficiently ‘honoured.′ Whichever Of these was the true reason, one felt that when Mme. de Marsantes said: “I have had the honour, the great hon-our,” she felt she was playing an important part and shewing that she could take in the names of distinguished men as she would have welcomed the men themselves at her home in the country, had they happened to be in the neighbourhood. On the other hand as her family connexion was numerous, as she was devoted to all her relatives, as, slow in speech and fond of explaining things at length, she was always trying to make clear the exact degree of kinship, she found herself (without any desire to create an effect and without really caring to talk about anyone except touching peasants and sublime gamekeepers) referring incessantly to all the mediatised houses in Europe, a failing which people less brilliantly connected than herself could not forgive, and, if they were at all intellectual, derided as a sign of stupidity.
A la campagne, Mme de Marsantes était adorée pour le bien qu′elle faisait, mais surtout parce que la pureté d′un sang où depuis plusieurs générations on ne rencontrait que ce qu′il y a de plus grand dans l′histoire de France avait ôté à sa manière d′être tout ce que les gens du peuple appellent «des manières» et lui avait donné la parfaite simplicité. Elle ne craignait pas d′embrasser une pauvre femme qui était malheureuse et lui disait d′aller chercher un char de bois au château. C′était, disait-on, la parfaite chrétienne. Elle tenait à faire faire un mariage colossalement riche à Robert. Être grande dame, c′est jouer à la grande dame, c′est-à-dire, pour une part, jouer la simplicité. C′est un jeu qui coûte extrêmement cher, d′autant plus que la simplicité ne ravit qu′à la condition que les autres sachent que vous pourriez ne pas être simples, c′est-à-dire que vous êtes très riches. On me dit plus tard, quand je racontai que je l′avais vue: «Vous avez dû vous rendre compte qu′elle a été ravissante.» Mais la vraie beauté est si particulière, si nouvelle, qu′on ne la reconnaît pas pour la beauté. Je me dis seulement ce jour-là qu′elle avait un nez tout petit, des yeux très bleus, le cou long et l′air triste.
In the country, Mme. de Marsantes was adored for the good that she did, but principally because the purity of a strain of blood into which for many generations there had flowed only what was greatest in the history of France had taken from her manner everything that the lower orders call ‘manners,′ and had given her a perfect simplicity. She never shrank from kissing a poor woman who was in trouble, and would tell her to come up to the castle for a cartload of wood. She was, people said, the perfect Christian. She was determined to find an immensely rich wife for Robert. Being a great lady means playing the great lady, that is to say, to a certain extent, playing at simplicity. It is a pastime which costs an extremely high price, all the more because simplicity charms people only on condition that they know that you are not bound to live simply, that is to say that you are very rich. Some one said to me afterwards, when I had told him of my meeting her: “You saw of course that she must have been lovely as a young woman.” But true beauty is so individual, so novel always, that one does not recognise it as beauty. I said to myself this afternoon only that she had a tiny nose, very blue eyes, a long neck and a sad expression.
—Écoute, dit Mme de Villeparisis à la duchesse de Guermantes, je crois que j′aurai tout à l′heure la visite d′une femme que tu ne veux pas connaître, j′aime mieux te prévenir pour que cela ne t′ennuie pas. D′ailleurs, tu peux être tranquille, je ne l′aurai jamais chez moi plus tard, mais elle doit venir pour une seule fois aujourd′hui. C′est la femme de Swann.
“Listen,” said Mme. de Villeparisis to the Duchesse de Guermantes, “I′m expecting a woman at any moment whom you don′t wish to know. I thought I′d better warn you, to avoid any unpleasantness. But you needn′t be afraid, I shall never have her here again, only I was obliged to let her come to-day. It′s Swann′s wife.”
Mme Swann, voyant les proportions que prenait l′affaire Dreyfus et craignant que les origines de son mari ne se tournassent contre elle, l′avait supplié de ne plus jamais parler de l′innocence du condamné. Quand il n′était pas là, elle allait plus loin et faisait profession du nationalisme le plus ardent; elle ne faisait que suivre en cela d′ailleurs Mme Verdurin chez qui un antisémitisme bourgeois et latent s′était réveillé et avait atteint une véritable exaspération. Mme Swann avait gagné à cette attitude d′entrer dans quelques-unes des ligues de femmes du monde antisémite qui commençaient à se former et avait noué des relations avec plusieurs personnes de l′aristocratie. Il peut paraître étrange que, loin de les imiter, la duchesse de Guermantes, si amie de Swann, eût, au contraire, toujours résisté au désir qu′il ne lui avait pas caché de lui présenter sa femme. Mais on verra plus tard que c′était un effet du caractère particulier de la duchesse qui jugeait qu′elle «n′avait pas» à faire telle ou telle chose, et imposait avec despotisme ce qu′avait décidé son «libre arbitre» mondain, fort arbitraire.
Mme. Swann, seeing the dimensions that the Dreyfus case had begun to assume, and fearing that her husband′s racial origin might be used against herself, had besought him never again to allude to the prisoner′s innocence. When he was not present she went farther and used to profess the most ardent Nationalism; in doing which she was only following the example of Mme. Verdurin, in whom a middle-class anti-semitism, latent hitherto, had awakened and grown to a positive fury. Mme. Swann had won by this attitude the privilege of membership in several of the women′s leagues that were beginning to be formed in anti-semitic society, and had succeeded in making friends with various members of the aristocracy. It may seem strange that, so far from following their example, the Duchesse de Guermantes, so close a friend of Swann, had on the contrary always resisted his desire, which he had not concealed from her, to introduce to her his wife. But we shall see in due course that this arose from the peculiar nature of the Duchess, who held that she was not ‘bound to′ do things, and laid down with despotic force what had been decided by her social ‘free will,′ which was extremely arbitrary.
— Je vous remercie de me prévenir, répondit la duchesse. Cela me serait en effet très désagréable. Mais comme je la connais de vue je me lèverai à temps.
“Thank you for telling me,” said the Duchess. “It would indeed be most unpleasant. But as I know her by sight I shall be able to get away in time.”
— Je t′assure, Oriane, elle est très agréable, c′est une excellente femme, dit Mme de Marsantes.
“I assure you, Oriane, she is really quite nice; an excellent woman,” said Mme. de Marsantes.
— Je n′en doute pas, mais je n′éprouve aucun besoin de m′en assurer par moi-même.
“I have no doubt she is, but I feel no need to assure myself of it.”
— Est-ce que tu es invitée chez Lady Israël? demanda Mme de Villeparisis à la duchesse, pour changer la conversation.
“Have you been invited to Lady Israels′s?” Mme. de Villeparisis asked the Duchess, to change the conversation.
— Mais, Dieu merci, je ne la connais pas, répondit Mme de Guermantes. C′est à Marie–Aynard qu′il faut demander cela. Elle la connaît et je me suis toujours demandé pourquoi.
“Why, thank heaven, I don′t know the woman,” replied Mme. de Guermantes. “You must ask Marie-Aynard. She knows her. I never could make out why.”
— Je l′ai en effet connue, répondit Mme de Marsantes, je confesse mes erreurs. Mais je suis décidée à ne plus la connaître. Il paraît que c′est une des pires et qu′elle ne s′en cache pas. Du reste, nous avons tous été trop confiants, trop hospitaliers. Je ne fréquenterai plus personne de cette nation. Pendant qu′on avait de vieux cousins de province du même sang, à qui on fermait sa, porte, on l′ouvrait aux Juifs. Nous voyons maintenant leur remerciement. Hélas! je n′ai rien à dire, j′ai un fils adorable et qui débite, en jeune fou qu′il est, toutes les insanités possibles, ajouta-t-elle en entendant que M. d′Argencourt avait fait allusion à Robert. Mais, à propos de Robert, est-ce que vous ne l′avez pas vu? demanda-t-elle à Mme de Villeparisis; comme c′est samedi, je pensais qu′il aurait pu passer vingt-quatre heures à Paris, et dans ce cas il serait sûrement venu vous voir.
“I did indeed know her at one time,” said Mme. de Marsantes. “I confess my faults. But I have decided not to know her any more. It seems she′s one of the very worst of them, and makes no attempt to conceal it. Besides, we have all been too trusting, too hospitable. I shall never go near anyone of that race again. While we had old friends, country cousins, people of our own flesh and blood on whom we shut our doors, we threw them open to Jews. And now we see what thanks we get from them. But I′ve no right to speak; I have an adorable son, and, like a young fool, he says and does all the maddest things you can imagine,” she went on, having caught some allusion by M. d′Argencourt to Robert. “But, talking of Robert, haven′t you seen him?” she asked Mme. de Villeparisis; “being Saturday, I thought he′d be coming to Paris on leave, and in that case he would be sure to pay you a visit.”
En réalité Mme de Marsantes pensait que son fils n′aurait pas de permission; mais comme, en tout cas, elle savait que s′il en avait eu une il ne serait pas venu chez Mme de Villeparisis, elle espérait, en ayant l′air de croire qu′elle l′eût trouvé ici, lui faire pardonner, par sa tante susceptible, toutes les visites qu′il ne lui avait pas faites.
As a matter of fact Mme. de Marsantes thought that her son would not obtain leave that week; but knowing that, even if he did, he would never dream of coming to see Mme. de Villeparisis, she hoped, by making herself appear to have expected to find him in the room, to procure his forgiveness from her susceptible aunt for all the visits that he had failed to pay her.
— Robert ici! Mais je n′ai pas même eu un mot de lui; je crois que je ne l′ai pas vu depuis Balbec.
“Robert here! But I have never had a single word from him; I don′t think I′ve seen him since Balbec.”
— Il est si occupé, il a tant à faire, dit Mme de Marsantes.
“He is so busy; he has so much to do,” pleaded Mme. de Marsantes.
Un imperceptible sourire fit onduler les cils de Mme de Guermantes qui regarda le cercle qu′avec la pointe de son ombrelle elle traçait sur le tapis. Chaque fois que le duc avait délaissé trop ouvertement sa femme, Mme de Marsantes avait pris avec éclat contre son propre frère le parti de sa belle-soeur. Celle-ci gardait de cette protection un souvenir reconnaissant et rancunier, et elle n′était qu′à demi fâchée des fredaines de Robert. A ce moment, la porte s′étant ouverte de nouveau, celui-ci entra.
A faint smile made Mme. de Guermantes′s eyelashes quiver as she studied the circle which, with the point of her sunshade, she was tracing on the carpet. Whenever the Duke had been too openly unfaithful to his wife, Mme. de Marsantes had always taken up the cudgels against her own brother on her sister-in-law′s behalf. The latter had a grateful and bitter memory of this protection, and was not herself seriously shocked by Robert′s pranks. At this point the door opened again and Robert himself entered the room.
— Tiens, quand on parle du Saint–Loup . . . dit Mme de Guermantes.
“Well, talk of the Saint!” said Mme. de Guermantes.
Mme de Marsantes, qui tournait le dos à la porte, n′avait pas vu entrer son fils. Quand elle l′aperçut, en cette mère la joie battit véritablement comme un coup d′aile, le corps de Mme de Marsantes se souleva à demi, son visage palpita et elle attachait sur Robert des yeux émerveillés:
Mme. de Marsantes, who had her back to the door, had not seen her son come in. When she did catch sight of him, her motherly bosom was convulsed with joy, as by the beating of a wing, her body half rose her seat, her face quivered and she fastened on Robert eyes big astonishment.
— Comment, tu es venu! quel bonheur! quelle surprise!
“What! You′ve come! How delightful! What a surprise!”
— Ah! quand on parle du Saint–Loup . . . je comprends, dit le diplomate belge riant aux éclats.
“Ah! Talk of the Saint! — I see,” cried the Belgian diplomat, with a shout of laughter.
— C′est délicieux, répliqua sèchement Mme de Guermantes qui détestait les calembours et n′avait hasardé celui-là qu′en ayant l′air de se moquer d′elle-même.
“Delicious, ain′t it?” came tartly from the Duchess, who hated puns and had ventured on this one only with a pretence of making fun of herself.
— Bonjour, Robert, dit-elle; eh bien! voilà comme on oublie sa tante.
“Good afternoon, Robert,” she said, “I believe he′s forgotten his aunt.”
Ils causèrent un instant ensemble et sans doute de moi, car tandis que Saint–Loup se rapprochait de sa mère, Mme de Guermantes se tourna vers moi.
They talked for a moment, probably about myself, for as Saint-Loup was leaving her to join his mother Mme. de Guermantes turned to me:
— Bonjour, comme allez-vous? me dit-elle.
“Good afternoon; how are you?” was her greeting.
Elle laissa pleuvoir sur moi la lumière de son regard bleu, hésita un instant, déplia et tendit la tige de son bras, pencha en avant son corps, qui se redressa rapidement en arrière comme un arbuste qu′on a couché et qui, laissé libre, revient à sa position naturelle. Ainsi agissait-elle sous le feu des regards de Saint–Loup qui l′observait et faisait à distance des efforts désespérés pour obtenir un peu plus encore de sa tante. Craignant que la conversation ne tombât, il vint l′alimenter et répondit pour moi:
She allowed to rain on me the light of her azure gaze, hesitated for a moment, unfolded and stretched towards me the stem of her arm, leaned forward her body which sprang rapidly backwards like a bush that has been pulled down to the ground and, on being released, returns to its natural position. Thus she acted under the fire of Saint-Loup′s eyes, which kept her under observation and were making frantic efforts to obtain some further concession still from his aunt. Fearing that our conversation might fail altogether, he joined in, to stimulate it, and answered for me:
— Il ne va pas très bien, il est un peu fatigué; du reste, il irait peut-être mieux s′il te voyait plus souvent, car je ne te cache pas qu′il aime beaucoup te voir.
“He′s not very well just now, he gets rather tired; I think he would be a great deal better, by the way, if he saw you more often, for I can′t help telling you that he admires you immensely.”
— Ah! mais, c′est très aimable, dit Mme de Guermantes d′un ton volontairement banal, comme si je lui eusse apporté son manteau. Je suis très flattée.
“Oh, but that′s very nice of him,” said Mme. de Guermantes in a deliberately casual tone, as if I had brought her her cloak. “I am most flattered.”
— Tiens, je vais un peu près de ma mère, je te donne ma chaise, me dit Saint–Loup en me forçant ainsi à m′asseoir à côté de sa tante.
“Look, I must go and talk to my mother for a minute; take my chair,” said Saint-Loup, thus forcing me to sit down next to his aunt.
Nous nous tûmes tous deux.
We were both silent.
— Je vous aperçois quelquefois le matin, me dit-elle comme si ce fût une nouvelle qu′elle m′eût apprise, et comme si moi je ne la voyais pas.
Ça fait beaucoup de bien à la santé.
“I see you sometimes in the morning,” she said, as though she were telling me something that I did not know, and I for my part had never seen her. “It′s so good for one, a walk.”
— Oriane, dit à mi-voix Mme de Marsantes, vous disiez que vous alliez voir Mme de Saint–Ferréol, est-ce que vous auriez été assez gentille pour lui dire qu′elle ne m′attende pas à dîner? Je resterai chez moi puisque j′ai Robert. Si même j′avais osé vous demander de dire en passant qu′on achète tout de suite de ces cigares que Robert aime, ça s′appelle des «Corona», il n′y en a plus.
“Oriane,” began Mme. de Marsantes in a low tone, “you said you were going on to Mme. de Saint-Ferréol′s; would you be so very kind as to tell her not to expect me to dinner, I shall stay at home now that I′ve got Robert. And one other thing, but I hardly like to ask you, if you would leave word as you pass to tell them to send out at once for a box of the cigars Robert likes. ‘Corona,′ they′re called. I′ve none in the house.”
Robert se rapprocha; il avait seulement entendu le nom de Mme de Saint–Ferréol.
Robert came up to us; he had caught only the name of Mme. de Saint-Ferréol.
— Qu′est-ce que c′est encore que ça, Mme de Saint–Ferréol? demanda-t-il sur un ton d′étonnement et de décision, car il affectait d′ignorer tout ce qui concernait le monde.
“Who in the world is Mme. de Saint-Ferréol?” he inquired, in a sur — prised but decisive tone, for he affected a studied ignorance of everything to do with society.
— Mais voyons, mon chéri, tu sais bien, dit sa mère, c′est la soeur de Vermandois; c′est elle qui t′avait donné ce beau jeu de billard que tu aimais tant.
“But, my dear boy, you know quite well,” said his mother. “She′s Vermandois′s sister. It was she gave you that nice billiard table you liked so much.”
— Comment, c′est la soeur de Vermandois, je n′en avais pas la moindre idée. Ah! ma famille est épatante, dit-il en se tournant à demi vers moi et en prenant sans s′en rendre compte les intonations de Bloch comme il empruntait ses idées, elle connaît des gens inou des gens qui s′appellent plus ou moins Saint–Ferréol (et détachant la dernière consonne de chaque mot), elle va au bal, elle se promène en Victoria, elle mène une existence fabuleuse. C′est prodigieux.
“What, she′s Vermandois′s sister, I had no idea of that. Really, my family are amazing,” he went on, turning so as to include me in the conversation and adopting unconsciously Bloch′s intonation just as he borrowed his ideas, “they know the most unheard-of people, people called Saint-Ferréol” (emphasising the final consonant of each word) “and names like that; they go to balls, they drive in victorias, they lead a fabulous existence. It′s prodigious.”
Mme de Guermantes fit avec la gorge ce bruit léger, bref et fort comme d′un sourire forcé qu′on ravale, et qui était destiné à montrer qu′elle prenait part, dans la mesure où la parenté l′y obligeait, à l′esprit de son neveu. On vint annoncer que le prince de Faffenheim–Munsterburg-Weinigen faisait dire à M. de Norpois qu′il était là.
Mme. de Guermantes made in her throat a slight, short, sharp sound, as of an involuntary laugh which one chokes back, meaning thereby to shew that she paid just as much tribute as the laws of kinship imposed on her to her nephew′s wit. A servant came in to say that the Prince von Faffenheim-Munsterburg-Weinigen had sent word to M. de Norpois that he was waiting.
— Allez le chercher, monsieur, dit Mme de Villeparisis à l′ancien ambassadeur qui se porta au-devant du premier ministre allemand.
“Bring him in, sir,” said Mme. de Villeparisis to the old Ambassador, who started in quest of the German Minister.
Mais la marquise le rappela: — Attendez, monsieur; faudra-t-il que je lui montre la miniature de l′Impératrice Charlotte?
“Stop, sir; do you think I ought to shew him the miniature of the Empress Charlotte?”
— Ah! je crois qu′il sera ravi, dit l′Ambassadeur d′un ton pénétré et comme s′il enviait ce fortuné ministre de la faveur qui l′attendait.
“Why, I′m sure he′ll be delighted,” said the Ambassador in a tone of conviction, and as though he were envying the fortunate Minister the favour that was in store for him.
— Ah! je sais qu′il est très bien pensant[/i.>, dit Mme de Marsantes, et c′est si rare parmi les étrangers. Mais je suis renseignée. C′est l′antisémitisme en personne.
“Oh, I know he′s very sound,” said Mme. de Marsantes, “and that is so rare among foreigners. But I′ve found out all about him. He is anti-semitism personified.”
Le nom du prince gardait, dans la franchise avec, laquelle ses premières syllabes étaient — comme on dit en musique — attaquées, et dans la bégayante répétition qui les scandait, l′élan, la naîµ¥té maniérée, les lourdes «délicatesses» germaniques projetées comme des branchages verdâtres sur le «Heim» d′émail bleu sombre qui déployait la mysticité d′un vitrail rhénan, derrière les dorures pâles et finement ciselées du XVIIIe siècle allemand. Ce nom contenait, parmi les noms divers dont il était formé, celui d′une petite ville d′eaux allemande, où tout enfant j′avais été avec ma grand′mère, au pied d′une montagne honorée par les promenades de Goethe, et des vignobles de laquelle nous buvions au Kurhof les crus illustres à l′appellation composée et retentissante comme les épithètes qu′Homère donne à ses héros. Aussi à peine eus-je entendu prononcer le nom du prince, qu′avant de m′être rappelé la station thermale il me parut diminuer, s′imprégner d′humanité, trouver assez grande pour lui une petite place dans ma mémoire, à laquelle il adhéra, familier, terre à terre, pittoresque, savoureux, léger, avec quelque chose d′autorisé, de prescrit. Bien plus, M. de Guermantes, en expliquant qui était le prince, cita plusieurs de ses titres, et je reconnus le nom d′un village traversé par la rivière où chaque soir, la cure finie, j′allais en barque, à travers les moustiques; et celui d′une forêt assez éloignée pour que le médecin ne m′eût pas permis d′y aller en promenade. Et en effet, il était compréhensible que la suzeraineté du seigneur s′étendît aux lieux circonvoisins et associât à nouveau dans l′énumération de ses titres les noms qu′on pouvait lire à côté les uns des autres sur une carte. Ainsi, sous la visière du prince du Saint–Empire et de l′écuyer de Franconie, ce fut le visage d′une terre aimée où s′étaient souvent arrêtés pour moi les rayons du soleil de six heures que je vis, du moins avant que le prince, rhingrave et électeur palatin, fût entré. Car j′appris en quelques instants que les revenus qu′il tirait de la forêt et de la rivière peuplées de gnomes et d′ondines, de la montagne enchantée où s′élève le vieux Burg qui garde le souvenir de Luther et de Louis le Germanique, il en usait pour avoir cinq automobiles Charron, un hôtel à Paris et un à Londres, une loge le lundi à l′Opéra et une aux «mardis» des «Français». Il ne me semblait pas — et il ne semblait pas lui-même le croire — qu′il différât des hommes de même fortune et de même âge qui avaient une moins poétique origine. Il avait leur culture, leur idéal, se réjouissant de son rang mais seulement à cause des avantages qu′il lui conférait, et n′avait plus qu′une ambition dans la vie, celle d′être élu membre correspondant de l′Académie des Sciences morales et politiques, raison pour laquelle il était venu chez Mme de Villeparisis. Si lui, dont la femme était à la tête de la coterie la plus fermée de Berlin, avait sollicité d′être présenté chez la marquise, ce n′était pas qu′il en eût éprouvé d′abord le désir. Rongé depuis des années par cette ambition d′entrer à l′Institut, il n′avait malheureusement jamais pu voir monter au-dessus de cinq le nombre des Académiciens qui semblaient prêts à voter pour lui. Il savait que M. de Norpois disposait à lui seul d′au moins une dizaine de voix auxquelles il était capable, grâce à d′habiles transactions, d′en ajouter d′autres. Aussi le prince, qui l′avait connu en Russie quand ils y étaient tous deux ambassadeurs, était-il allé le voir et avait-il fait tout ce qu′il avait pu pour se le concilier. Mais il avait eu beau multiplier les amabilités, faire avoir au marquis des décorations russes, le citer dans des articles de politique étrangère, il avait eu devant lui un ingrat, un homme pour qui toutes ces prévenances avaient l′air de ne pas compter, qui n′avait pas fait avancer sa candidature d′un pas, ne lui avait même pas promis sa voix! Sans doute M. de Norpois le recevait avec une extrême politesse, même ne voulait pas qu′il se dérangeât et «prît la peine de venir jusqu′à sa porte», se rendait lui-même à l′hôtel du prince et, quand le chevalier teutonique avait lancé: «Je voudrais bien être votre collègue», répondait d′un ton pénétré: «Ah! je serais très heureux!» Et sans doute un na un docteur Cottard, se fût dit: «Voyons, il est là chez moi, c′est lui qui a tenu à venir parce qu′il me considère comme un personnage plus important que lui, il me dit qu′il serait heureux que je sois de l′Académie, les mots ont tout de même un sens, que diable! sans doute s′il ne me propose pas de voter pour moi, c′est qu′il n′y pense pas. Il parle trop de mon grand pouvoir, il doit croire que les alouettes me tombent toutes rôties, que j′ai autant de voix que j′en veux, et c′est pour cela qu′il ne m′offre pas la sienne, mais je n′ai qu′à le mettre au pied du mur, là, entre nous deux, et à lui dire: «Eh bien! votez pour moi», et il sera obligé de le faire.
The Prince′s name preserved in the boldness with which its opening syllables were — to borrow an expression from music — attacked, and in the stammering repetition that scanned them, the impulse, the mannered simplicity, the heavy delicacies of the Teutonic race, projected like green boughs over the ‘heim′ of dark blue enamel which glowed with the mystic light of a Rhenish window behind the pale and finely wrought gildings of the German eighteenth century. This name included, among the several names of which it was composed, that of a little German watering-place to which as a child I had gone with my grandmother, at the foot of a mountain honoured by the feet of Goethe, from the vineyards of which we used to drink, at the Kurhof, their illustrious vintages with elaborate and sonorous names, like the epithets which Homer applies to his heroes. And so, scarcely had I heard the Prince′s name spoken than, before I had recalled the watering-place, the name itself seemed to shrink, to grow rich with humanity, to find large enough a little place in my memory to which it clung, familiar, earth to earth, picturesque, savoury, light, with something about it, too, that was authorised, prescribed. And then, M. de Guermantes, in explaining who the Prince was, quoted a number of his titles, and I recognised the name of a village threaded by the river on which, every evening, my cure finished for the day, I used to go in a boat amid the mosquitoes, and that of a forest so far away that the doctor would not allow me to make the excursion to it. And indeed it was comprehensible that the suzerainty of the lord extended to the surrounding places and associated afresh in the enumeration of his titles the names which one could read, close together, upon a map. Thus beneath the visor of the Prince of the Holy Roman Empire and Knight of Franconia it was the face of a dear and smiling land, on which had often lingered for me the light of the six-o′clock sun, that I saw, at any rate before the Prince, Rheingraf and Elector Palatine had entered the room. For I speedily learned that the revenues which he drew from the forest and river, peopled with gnomes and undines, and from the enchanted mountain on which rose the ancient Burg that cherished memories of Luther and Lewis the Germanic, he employed in keeping five Charron motor-cars, a house in Paris and one in London, a box on Mondays at the Opera and another for the ‘Tuesdays′ at the ‘Français.′ He did not seem to me, nor did he seem to regard himself as different from other men of similar fortune and age who had a less poetic origin. He had their culture, their ideals, he was proud of his rank, but purely on account of the advantages it conferred on him, and had now only one ambition in life, to be elected a Corresponding Member of the Academy of Moral and Political Sciences, which was the reason of his coming to see Mme. de Villeparisis. If he, whose wife was a leader of the most exclusive set in Berlin, had begged to be introduced to the Marquise, it was not the result of any desire on his part for her acquaintance. Devoured for years past by this ambition to be elected to the Institute, he had unfortunately never been in a position to reckon above five the number of Academicians who seemed prepared to vote for him. He knew that M. de Norpois could by himself dispose of at least ten others, a number which he was capable, by skilful negotiations, of increasing still further. And so the Prince, who had known him in Russia when they were both there as Ambassadors, had gone to see him and had done everything in his power to win him over. But in vain might he multiply his friendly overtures, procure for the Marquis Russian decorations, quote him in articles on foreign politics; he had had before him an ingrate, a man in whose eyes all these attentions appeared to count as nothing, who had not advanced the prospects of his candidature one inch, had not even promised him his own vote. No doubt M. de Norpois received him with extreme politeness, indeed begged that he would not put himself out and “take the trouble to come so far out of his way,” went himself to the Prince′s residence, and when the Teutonic Knight had launched his: “I should like immensely to be your colleague,” replied in a tone of deep emotion: “Ah! I should be most happy!” And no doubt a simpleton, a Dr. Cottard would have said to himself: “Well, here he is in my house; it was he who insisted on coming, because he regards me as a more important person than himself; he tells me that he would be happy to see me in the Academy; words do have some meaning after all, damn it, probably if he doesn′t offer to vote for me it is because it hasn′t occurred to him. He lays so much stress on my great influence; presumably he imagines that larks drop into my mouth ready roasted, that I have all the support I want, and that is why he doesn′t offer me his; but I have only got to get him with his back to the wall, and just say to him quietly: ‘Very well, vote for me, will you?′ and he will be obliged to do it.”
Mais le prince de Faffenheim n′était pas un na il était ce que le docteur Cottard eût appelé «un fin diplomate» et il savait que M. de Norpois n′en était pas un moins fin, ni un homme qui ne se fût pas avisé de lui-même qu′il pourrait être agréable à un candidat en votant pour lui. Le prince, dans ses ambassades et comme ministre des Affaires Étrangères, avait tenu, pour son pays au lieu que ce fût comme maintenant pour lui-même, de ces conversations où on sait d′avance jusqu′où on veut aller et ce qu′on ne vous fera pas dire. Il n′ignorait pas que dans le langage diplomatique causer signifie offrir. Et c′est pour cela qu′il avait fait avoir à M. de Norpois le cordon de Saint–André. Mais s′il eût dû rendre compte à son gouvernement de l′entretien qu′il avait eu après cela avec M. de Norpois, il eût pu énoncer dans sa dépêche: «J′ai compris que j′avais fait fausse route.» Car dès qu′il avait recommencé à parler Institut, M. de Norpois lui avait redit:
But Prince von Faffenheim was no simpleton. He was what Dr. Cottard would have called ‘a fine diplomat′ and he knew that M. de Norpois was no less fine a one than himself, nor a man who would have failed to realise without needing to be told that he could confer a favour on a candidate by voting for him. The Prince, in his Embassies and as Foreign Minister, had conducted, on his country′s behalf instead of, as in the present instance, his own, many of those conversations in which one knows beforehand just bow far one is prepared to go and at what point one will decline to commit oneself. He was not unaware that, in this diplomatic language, to talk meant to offer. And it was for this reason that he had arranged for M. de Norpois to receive the Cordon of Saint Andrew. But if he had had to report to his Government the conversation which he had subsequently had with M. de Norpois, he would have stated in his dispatch: “I realised that I had gone the wrong way to work.” For as soon as he had returned to the subject of the Institute, M. de Norpois had repeated:
— J′aimerais cela beaucoup, beaucoup pour mes collègues. Ils doivent, je pense, se sentir vraiment honorés que vous ayez pensé à eux. C′est une candidature tout à fait intéressante, un peu en dehors de nos habitudes. Vous savez, l′Académie est très routinière, elle s′effraye de tout ce qui rend un son un peu nouveau. Personnellement je l′en blâme. Que de fois il m′est arrivé de le laisser entendre à mes collègues. Je ne sais même pas, Dieu me pardonne, si le mot d′encroûtés n′est pas sorti une fois de mes lèvres, avait-il ajouté avec un sourire scandalisé, à mi-voix, presque a parte[/i.>, comme dans un effet de théâtre et en jetant sur le prince un coup d′oeil rapide et oblique de son oeil bleu, comme un vieil acteur qui veut juger de son effet. Vous comprenez, prince, que je ne voudrais pas laisser une personnalité aussi éminente que la vôtre s′embarquer dans une partie perdue d′avance. Tant que les idées de mes collègues resteront aussi arriérées, j′estime que la sagesse est de s′abstenir. Croyez bien d′ailleurs que si je voyais jamais un esprit un peu plus nouveau, un peu plus vivant, se dessiner dans ce collège qui tend à devenir une nécropole, si j′escomptais une chance possible pour vous, je serais le premier à vous en avertir.
“I should like nothing better; nothing could be better, for my colleagues. They ought, I consider, to feel genuinely honoured that you should have thought of them. It is a really interesting candidature, a little outside our ordinary course. As you know, the Academy is very conventional, it takes fright at everything which has at all a novel sound. Personally, I deplore this. How often have I had occasion to say as much to my colleagues! I cannot be sure, God forgive me, that I did not even once let the word ‘hidebound′ escape me,” he added, in an undertone, with a scandalised smile, almost aside, as in a scene on the stage, casting at the Prince a rapid, sidelong glance from his blue eyes, like a veteran actor studying the effect on his audience. “You understand, Prince, that I should not care to allow a personality so eminent as yourself to embark on a venture which was hopeless from the start. So long as my colleagues′ ideas linger so far behind the times, I consider that the wiser course will be to abstain. But you may rest assured that if I were ever to discern a mind that was a little more modern, a little more alive, shewing itself in that college, which is tending to become a mausoleum, if I could reckon upon any possible chance of your success, I should be the first to inform you of it.”
«Le cordon de Saint–André est une erreur, pensa le prince; les négociations n′ont pas fait un pas; ce n′est pas cela qu′il voulait. Je n′ai pas mis la main sur la bonne clef.»
“The Cordon was a mistake,” thought the Prince; “the negotiations have not advanced in the least; that is not what he wanted. I have not yet laid my hand on the right key.”
C′était un genre de raisonnement dont M. de Norpois, formé à la même école que le prince, eût été capable. On peut railler la pédantesque niaiserie avec laquelle les diplomates à la Norpois s′extasient devant une parole officielle à peu près insignifiante. Mais leur enfantillage a sa contre-partie: les diplomates savent que, dans la balance qui assure cet équilibre, européen ou autre, qu′on appelle la paix, les bons sentiments, les beaux discours, les supplications pèsent fort peu; et que le poids lourd, le vrai, les déterminations, consiste en autre chose, en la possibilité que l′adversaire a, s′il est assez fort, ou n′a pas, de contenter, par moyen d′échange, un désir. Cet ordre de vérités, qu′une personne entièrement désintéressée comme ma grand′mère, par exemple, n′eût pas compris, M. de Norpois, le prince von —— avaient souvent été aux prises avec lui. Chargé d′affaires dans les pays avec lesquels nous avions été à deux doigts d′avoir la guerre, M. de Norpois, anxieux de la tournure que les événements allaient prendre, savait très bien que ce n′était pas par le mot «Paix», ou par le mot «Guerre», qu′ils lui seraient signifiés, mais par un autre, banal en apparence, terrible ou béni, et que le diplomate, à l′aide de son chiffre, saurait immédiatement lire, et auquel, pour sauvegarder la dignité de la France, il répondrait par un autre mot tout aussi banal mais sous lequel le ministre de la nation ennemie verrait aussitôt: Guerre. Et même, selon une coutume ancienne, analogue à celle qui donnait au premier rapprochement de deux êtres promis l′un à l′autre la forme d′une entrevue fortuite à une représentation du théâtre du Gymnase, le dialogue où le destin dicterait le mot «Guerre» ou le mot «Paix» n′avait généralement pas eu lieu dans le cabinet du ministre, mais sur le banc d′un «Kurgarten» où le ministre et M. de Norpois allaient l′un et l′autre à des fontaines thermales boire à la source de petits verres d′une eau curative. Par une sorte de convention tacite, ils se rencontraient à l′heure de la cure, faisaient d′abord ensemble quelques pas d′une promenade que, sous son apparence bénigne, les deux interlocuteurs savaient aussi tragique qu′un ordre de mobilisation. Or, dans une affaire privée comme cette présentation à l′Institut, le prince avait usé du même système d′induction qu′il avait fait dans sa carrière, de la même méthode de lecture à travers les symboles superposés.
This was a kind of reasoning of which M. de Norpois, formed in the same school as the Prince, would also have been capable. One may mock at the Pedantic silliness with which diplomats of the Norpois type go into ecstasies over some piece of official wording which is, for all practical purposes, meaningless. But their childishness has this compensation; diplomats know that, in the loaded scales which assure that European or other equilibrium which we call peace, good feeling, sounding speeches, earnest entreaties weigh very little; and that the heavy weight, the true determinant consists in something else, in the possibility which the adversary does (if he is strong enough) or does not enjoy of satisfying, in exchange for what one oneself wants, a desire. With this order of truths, which an entirely disinterested person, such as my grandmother for instance, would not have understood M. de Norpois and Prince von Faffenheim had frequently had to deal. Chargé d′Affaires in countries with which we had been within an ace of going to war, M. de Norpois, in his anxiety as to the turn which events were about to take, knew very well that it was not by the word ‘Peace,′ nor by the word ‘War′ that it would be revealed to him, but by some other, apparently commonplace word, a word of terror or blessing, which the diplomat, by the aid of his cipher, would immediately read and to which, to safeguard the honour of France, he would respond in another word, quite as commonplace, but one beneath which the Minister of the enemy nation would at once see written: ‘War.′ Moreover, in accordance with a time-honoured custom, analogous to that which gave to the first meeting between two young people promised to one another in marriage the form of a chance encounter at a performance in the Théâtre du Gymnase, the dialogue in the course of which destiny was to dictate the word ‘War′ or the word ‘Peace′ was held, as a rule, not in the ministerial sanctum but on a bench in a Kurgarten where the Minister and M. de Norpois went independently to a thermal spring to drink at its source their little tumblers of some curative water. By a sort of tacit convention they met at the hour appointed for their cure, began by taking together a short stroll which, beneath its innocent appearance, each of the speakers knew to be as tragic as an order for mobilisation. And so, in a private matter like this nomination for election to the Institute, the Prince had employed the same system of induction which had served him in his public career, the same method of reading beneath superimposed symbols.
Et certes on ne peut prétendre que ma grand′mère et ses rares pareils eussent été seuls à ignorer ce genre de calculs. En partie la moyenne de l′humanité, exerçant des professions tracées d′avance, rejoint par son manque d′intuition l′ignorance que ma grand′mère devait à son haut désintéressement. Il faut souvent descendre jusqu′aux êtres entretenus, hommes ou femmes, pour avoir à chercher le mobile de l′action ou des paroles en apparence les plus innocentes dans l′intérêt, dans la nécessité de vivre. Quel homme ne sait que, quand une femme qu′il va payer lui dit: «Ne parlons pas d′argent», cette parole doit être comptée, ainsi qu′on dit en musique, comme «une mesure pour rien», et que si plus tard elle lui déclare: «Tu m′as fait trop de peine, tu m′as souvent caché la vérité, je suis à bout», il doit interpréter: «un autre protecteur lui offre davantage»? Encore n′est-ce là que le langage d′une cocotte assez rapprochée des femmes du monde. Les apaches fournissent des exemples plus frappants. Mais M. de Norpois et le prince allemand, si les apaches leur étaient inconnus, avaient accoutumé de vivre sur le même plan que les nations, lesquelles sont aussi, malgré leur grandeur, des êtres d′égoî²e et de ruse, qu′on ne dompte que par la force, par la considération de leur intérêt, qui peut les pousser jusqu′au meurtre, un meurtre symbolique souvent lui aussi, la simple hésitation à se battre ou le refus de se battre pouvant signifier pour une nation: «périr». Mais comme tout cela n′est pas dit dans les Livres Jaunes et autres, le peuple est volontiers pacifiste; s′il est guerrier, c′est instinctivement, par haine, par rancune, non par les raisons qui ont décidé les chefs d′État avertis par les Norpois.
And certainly it would be wrong to pretend that my grandmother and the few who resembled her would have been alone in their failure to understand this kind of calculation. For one thing, the average human being, practising a profession the lines of which have been laid down for him from the start, comes near, by his want of intuition, to the ignorance which my grandmother owed to her lofty disinterestedness. Often one has to come down to ‘kept′ persons, male or female, before one finds the hidden spring of actions or words apparently of the most innocent nature in self-interest, in the bare necessity to keep alive. What man does not know that when a woman whom he is going to pay says to him: “Don′t let′s talk about money,” the speech must be regarded as what is called in music ‘a silent beat′ and that if, later on, she declares: “You are far too much trouble; you are always keeping things from me; I′ve done with you,” he must interpret this as: “Some one else has been offering me more.” And yet this is only the language of a lady of easy virtue, not so far removed from the ladies in society. The apache furnishes more striking examples. But M. as Norpois and the German Prince, if apaches and their ways were unknown to them, had been accustomed to living on the same plane as nations, which are also, despite their greatness, creatures of selfishness and cunning, kept in order only by force, by consideration of their material interests which may drive them to murder, a murder that is often symbolic also, since its mere hesitation or refusal to fight may spell for a nation the word ‘Perish. But inasmuch as all this is not set forth in Yellow and otherwise coloured Books, the people as a whole are naturally pacific; should they be warlike, it is instinctively, from hatred, from a sense of injury, not for the reasons which have made up the mind of their ruler, on the advice of his Norpois.
L′hiver suivant, le prince fut très malade, il guérit, mais son coeur resta irrémédiablement atteint. «Diable! se dit-il, il ne faudrait pas perdre de temps pour l′Institut car, si je suis trop long, je risque de mourir avant d′être nommé. Ce serait vraiment désagréable.»
The following winter the Prince was seriously ill; he recovered, but his heart was permanently affected. “The devil!” he said to himself, “I can′t afford to lose any time over the Institute. If I wait too long, I may be dead before they elect me. That really would be unpleasant.”
Il fit sur la politique de ces vingt dernières années une étude pour la Revue des Deux Mondes et s′y exprima à plusieurs reprises dans les termes les plus flatteurs sur M. de Norpois. Celui-ci alla le voir et le remercia. Il ajouta qu′il ne savait comment exprimer sa gratitude. Le prince se dit, comme quelqu′un qui vient d′essayer d′une autre clef pour une serrure: «Ce n′est pas encore celle-ci», et se sentant un peu essoufflé en reconduisant M. de Norpois, pensa: «Sapristi, ces gaillards-là me laisseront crever avant de me faire entrer. Dépêchons.»
He composed, on the foreign politics of the last twenty years, an essay for the Revue des Deux Mondes, in which he referred more than once, and in the most flattering terms, to M. de Norpois. The French diplomat called upon him to thank him. He added that he did not know how to express his gratitude. The Prince said to himself, like a man who has been trying to fit various keys into a stubborn lock: “Still not the right one!” and, feeling somewhat out of breath as he shewed M. de Norpois to the door, thought: “Damn it, these fellows will see me in my grave before letting me in. We must hurry up.”
Le même soir, il rencontra M. de Norpois à l′Opéra:
That evening, he met M. de Norpois again at the Opera.
— Mon cher ambassadeur, lui dit-il, vous me disiez ce matin que vous ne saviez pas comment me prouver votre reconnaissance; c′est fort exagéré, car vous ne m′en devez aucune, mais je vais avoir l′indélicatesse de vous prendre au mot.
“My dear Ambassador,” he began to him, “you told me to-day that you did not know what you could do to prove your gratitude; it was a great exaggeration, for you owe me none, but I am going to be so indelicate as to take you at your word.”
M. de Norpois n′estimait pas moins le tact du prince que le prince le sien. Il comprit immédiatement que ce n′était pas une demande qu′allait lui faire le prince de Faffenheim, mais une offre, et avec une affabilité souriante il se mit en devoir de l′écouter.
M. de Norpois had no less high an esteem for the Prince′s tact than the Prince had for his. He understood at once that it was not a request that Prince von Faffenheim was about to present to him, but an offer, and with a radiant affability made ready to hear it.
— Voilà, vous allez me trouver très indiscret. Il y a deux personnes auxquelles je suis très attaché et tout à fait diversement comme vous allez, le comprendre, et qui se sont fixées depuis peu à Paris où elles comptent vivre désormais: ma femme et la grande-duchesse Jean. Elles vont donner quelques dîners, notamment en l′honneur du roi et de la reine d′Angleterre, et leur rêve aurait été de pouvoir offrir à leurs convives une personne pour laquelle, sans la connaître, elle éprouvent toutes deux une grande admiration. J′avoue que je ne savais comment faire pour contenter leur désir quand j′ai appris tout à l′heure, par le plus grand des hasards, que vous connaissiez cette personne; je sais qu′elle vit très retirée, ne veut voir que peu de monde, happy few[/i.>; mais si vous me donniez votre appui, avec la bienveillance que vous me témoignez, je suis sûr qu′elle permettrait que vous me présentiez chez elle et que je lui transmette le désir de la grande-duchesse et de la princesse. Peut-être consentirait-elle à venir dîner avec la reine d′Angleterre et, qui sait, si nous ne l′ennuyons pas trop, passer les vacances de Pâques avec nous à Beaulieu chez la grande-duchesse Jean. Cette personne s′appelle la marquise de Villeparisis. J′avoue que l′espoir de devenir l′un des habitués d′un pareil bureau d′esprit me consolerait, me ferait envisager sans ennui de renoncer à me présenter à l′Institut. Chez elle aussi on tient commerce d′intelligence et de fines causeries.
“Well now, you will think me highly indiscreet. There are two people to whom I am greatly attached — in quite different ways, as you will understand in a moment — two people both of whom have recently settled in Paris, where they intend to remain for the future: my wife, and the Grand Duchess John. They are thinking of giving a few dinners, chiefly in honour of the King and Queen of England, and what they would have liked more than anything in the world would have been to be able to offer their guests the company of a person for whom, without knowing her, they both of them feel a great admiration. I confess that I did not know how I was going to gratify their wish when I learned just now, by the most extraordinary accident, that you were a friend of this person. I know that she lives a most retired life, and sees only a very few people —‘happy few,′ as Stendhal would say — but if you were to give me your backing, with the generosity that you have always shewn me, I am sure that she would allow you to present me to her and to convey to her the wishes of both the Grand Duchess and the Princess. Perhaps she would consent to dine with us, when the Queen of England comes, and then (one never knows) if we don′t bore her too much, to spend the Easter holidays with us at Beaulieu, at the Grand Duchess John′s. The person I allude to is called the Marquise de Villeparisis. I confess that the hope of becoming one of the frequenters of such a school of wit would console me, would make me contemplate without regret the abandoning of my attempt at the Institute. For in her house, too, I understand, there is a regular flow of intellect and brilliant talk.”
Avec un sentiment de plaisir inexprimable le prince sentit que la serrure ne résistait pas et qu′enfin cette clef-là y entrait.
With an inexpressible sense of pleasure the Prince felt that the lock no longer resisted, and that at last the key was turning.
— Une telle option est bien inutile, mon cher prince, répondit M. de Norpois; rien ne s′accorde mieux avec l′Institut que le salon dont vous parlez et qui est une véritable pépinière d′académiciens. Je transmettrai votre requête à Mme la marquise de Villeparisis: elle en sera certainement flattée. Quant à aller dîner chez vous, elle sort très peu et ce sera peut-être plus difficile. Mais je vous présenterai et vous plaiderez vous-même votre cause. Il ne faut surtout pas renoncer à l′Académie; je déjeune précisément, de demain en quinze, pour aller ensuite avec lui à une séance importante, chez Leroy–Beaulieu sans lequel on ne peut faire une élection; j′avais déjà laissé tomber devant lui votre nom qu′il connaît, naturellement, à merveille. Il avait émis certaines objections. Mais il se trouve qu′il a besoin de l′appui de mon groupe pour l′élection prochaine, et j′ai l′intention de revenir à la charge; je lui dirai très franchement les liens tout à fait cordiaux qui nous unissent, je ne lui cacherai pas que, si vous vous présentiez, je demanderais à tous mes amis de voter pour vous (le prince eut un profond soupir de soulagement) et il sait que j′ai des amis. J′estime que, si je parvenais à m′assurer son concours, vos chances deviendraient fort sérieuses. Venez ce soir-là à six heures chez Mme de Villeparisis, je vous introduirai et je pourrai vous rendre compte de mon entretien du matin.
“Such an alternative is wholly unnecessary, my dear Prince,” replied M. de Norpois; “nothing is more in harmony with the Institute than the house you speak of, which is a regular hotbed of Academicians. I shall convey your request to Mme. la Marquise de Villeparisis: she will undoubtedly be flattered. As for her dining with you, she goes out very little and that will perhaps be more difficult to arrange. But I shall present you to her and you can plead your cause in person. You must on no account give up the Academy; to-morrow fortnight, as it happens, I shall be having luncheon, before going on with him to an important meeting, at Leroy-Beaulieu′s, without whom nobody can be elected; I had already allowed myself in conversation with him to let fall your name, with which, naturally, he was perfectly familiar. He raised certain objections. But it so happens that he requires the support of my group at the next election, and I fully intend to return to the charge; I shall tell him quite openly of the wholly cordial ties that unite us, I shall not conceal from him that, if you were to stand, I should ask all my friends to vote for you,” (here the Prince breathed a deep sigh of relief) “and he knows that I have friends. I consider that if I were to succeed in obtaining his assistance your chances would become very strong. Come that evening, at six, to Mme. de Villeparisis′s; I will introduce you to her and I can give you an account then of my conversation with him.”
C′est ainsi que le prince de Faffenheim avait été amené à venir voir Mme de Villeparisis. Ma profonde désillusion eut lieu quand il parla. Je n′avais pas songé que, si une époque a des traits particuliers et généraux plus forts qu′une nationalité, de sorte que, dans un dictionnaire illustré où l′on donne jusqu′au portrait authentique de Minerve, Leibniz avec sa perruque et sa fraise diffère peu de Marivaux ou de Samuel Bernard, une nationalité a des traits particuliers plus forts qu′une caste. Or ils se traduisirent devant moi, non par un discours où je croyais d′avance que j′entendrais le frôlement des elfes et la danse des Kobolds, mais par une transposition qui ne certifiait pas moins cette poétique origine: le fait qu′en s′inclinant, petit, rouge et ventru, devant Mme de Villeparisis, le Rhingrave lui dit: «Ponchour, Matame la marquise» avec le même accent qu′un concierge alsacien.
Thus it was that Prince von Faffenheim had been led to call upon Mme. de Villeparisis. My profound disillusionment occurred when he spoke. It had never struck me that, if an epoch in history has features both particular and general which are stronger than those of a nationality, so that in a biographical dictionary with illustrations, which go so far as to include an authentic portrait of Minerva, Leibniz with his wig and ruff differs little from Marivaux or Samuel Bernard, a nationality has particular features stronger than those of a caste. In the present instance these were rendered before me not by a discourse in which I had expected, before I saw him, to hear the rustling of the elves and the dance of the kobolds, but by a transposition which certified no less plainly that poetic origin: the fact that, as he bowed, short, red, corpulent, over the hand of Mme. de Villeparisis, the Rheingraf said to her: “Aow to you too, Matame la Marquise,” in the accent of an Alsatian porter.
— Vous ne voulez pas que je vous donne une tasse de thé ou un peu de tarte, elle est très bonne, me dit Mme de Guermantes, désireuse d′avoir été aussi aimable que possible. Je fais les honneurs de cette maison comme si c′était la mienne, ajouta-t-elle sur un ton ironique qui donnait quelque chose d′un peu guttural à sa voix, comme si elle avait étouffé un rire rauque.
“Won′t you let me give you a cup of tea or a little of this cake; it is so good?” Mme. de Guermantes asked me, anxious to have shewn herself as friendly as possible. “I do the honours in this house just as if it was mine,” she explained in an ironical tone which gave a slightly guttural sound to her voice, as though she were trying to stifle a hoarse laugh.
— Monsieur, dit Mme de Villeparisis à M. de Norpois, vous penserez tout à l′heure que vous avez quelque chose à dire au prince au sujet de l′Académie?
“Sir,” said Mme. de Villeparisis to M. de Norpois, “you won′t forget that you have something to say to the Prince about the Academy?”
Mme de Guermantes baissa les yeux, fit faire un quart de cercle à son poignet pour regarder l′heure.
Mme. de Guermantes lowered her eyes and gave a semicircular turn to her wrist to look at the time.
— Oh! mon Dieu; il est temps que je dise au revoir à ma tante, si je dois encore passer chez Mme de Saint–Ferréol, et je dîne chez Mme Leroi.
“Gracious! I must fly at once if I′m to get to Mme. de Saint-Ferréol′s, and I′m dining with Mme. Leroi.”
Et elle se leva sans me dire adieu. Elle venait d′apercevoir Mme Swann, qui parut assez gênée de me rencontrer. Elle se rappelait sans doute qu′avant personne elle m′avait dit être convaincue de l′innocence de Dreyfus.
And she rose without bidding me good-bye. She had just caught sight of Mme. Swann, who appeared considerably embarrassed at finding me in the room. She remembered, doubtless, that she had been the first to assure me that she was convinced of Dreyfus′s innocence.
— Je ne veux pas que ma mère me présente à Mme Swann, me dit Saint–Loup. C′est une ancienne grue. Son mari est juif et elle nous le fait au nationalisme. Tiens, voici mon oncle Palamède.
“I don′t want my mother to introduce me to Mme. Swann,” Saint-Loup said to me. “She′s an ex-whore. Her husband′s a Jew, and she comes here to pose as a Nationalist. Hallo, here′s Uncle Palamède.”
La présence de Mme Swann avait pour moi un intérêt particulier dû à un fait qui s′était produit quelques jours auparavant, et qu′il est nécessaire de relater à cause des conséquences qu′il devait avoir beaucoup plus tard, et qu′on suivra dans leur détail quand le moment sera venu. Donc, quelques jours avant cette visite, j′en avais reçu une à laquelle je ne m′attendais guère, celle de Charles Morel, le fils, inconnu de moi, de l′ancien valet de chambre de mon grand-oncle. Ce grand-oncle (celui chez lequel j′avais vu la dame en rose) était mort l′année précédente. Son valet de chambre avait manifesté à plusieurs reprises l′intention de venir me voir; je ne savais pas le but de sa visite, mais je l′aurais vu volontiers car j′avais appris par Françoise qu′il avait gardé un vrai culte pour la mémoire de mon oncle et faisait, à chaque occasion, le pèlerinage du cimetière. Mais obligé d′aller se soigner dans son pays, et comptant y rester longtemps, il me déléguait son fils. Je fus surpris de voir entrer un beau garçon de dix-huit ans, habillé plutôt richement qu′avec goût, mais qui pourtant avait l′air de tout, excepté d′un valet de chambre. Il tint du reste, dès l′abord, à couper le câble avec la domesticité d′où il sortait, en m′apprenant avec un sourire satisfait qu′il était premier prix du Conservatoire. Le but de sa visite était celui-ci: son père avait, parmi les souvenirs de mon oncle Adolphe, mis de côté certains qu′il avait jugé inconvenant d′envoyer à mes parents, mais qui, pensait-il, étaient de nature à intéresser un jeune homme de mon âge. C′étaient les photographies des actrices célèbres, des grandes cocottes que mon oncle avait connues, les dernières images de cette vie de vieux viveur qu′il séparait, par une cloison étanche, de sa vie de famille. Tandis que le jeune Morel me les montrait, je me rendis compte qu′il affectait de me parler comme à un égal. Il avait à dire «vous», et le moins souvent possible «Monsieur», le plaisir de quelqu′un dont le père n′avait jamais employé, en s′adressant à mes parents, que la «troisième personne». Presque toutes les photographies portaient une dédicace telle que: «A mon meilleur ami». Une actrice plus ingrate et plus avisée avait écrit: «Au meilleur des amis», ce qui lui permettait, m′a-t-on assuré, de dire que mon oncle n′était nullement, et à beaucoup près, son meilleur ami, mais l′ami qui lui avait rendu le plus de petits services, l′ami dont elle se servait, un excellent homme, presque une vieille bête. Le jeune Morel avait beau chercher à s′évader de ses origines, on sentait que l′ombre de mon oncle Adolphe, vénérable et démesurée aux yeux du vieux valet de chambre, n′avait cessé de planer, presque sacrée, sur l′enfance et la jeunesse du fils. Pendant que je regardais les photographies, Charles Morel examinait ma chambre. Et comme je cherchais où je pourrais les serrer: «Mais comment se fait-il, me dit-il (d′un ton où le reproche n′avait pas besoin de s′exprimer tant il était dans les paroles mêmes), que je n′en voie pas une seule de votre oncle dans votre chambre?» Je sentis le rouge me monter au visage, et balbutiai: «Mais je crois que je n′en ai pas. — Comment, vous n′avez pas une seule photographie de votre oncle Adolphe qui vous aimait tant! Je vous en enverrai une que je prendrai dans les quantités qu′a mon paternel, et j′espère que vous l′installerez à la place d′honneur, au-dessus de cette commode qui vous vient justement de votre oncle.» Il est vrai que, comme je n′avais même pas une photographie de mon père ou de ma mère dans ma chambre, il n′y avait rien de si choquant à ce qu′il ne s′en trouvât pas de mon oncle Adolphe. Mais il n′était pas difficile de deviner que pour Morel, lequel avait enseigné cette manière de voir à son fils, mon oncle était le personnage important de la famille, duquel mes parents tiraient seulement un éclat amoindri. J′étais plus en faveur parce que mon oncle disait tous les jours que je serais une espèce de Racine, de Vaulabelle, et Morel me considérait à peu près comme un fils adoptif, comme un enfant d′élection de mon oncle. Je me rendis vite compte que le fils de Morel était très «arriviste». Ainsi, ce jour-là, il me demanda, étant un peu compositeur aussi, et capable de mettre quelques vers en musique, si je ne connaissais pas de poète ayant une situation importante dans le monde «aristo». Je lui en citai un. Il ne connaissait pas les oeuvres de ce poète et n′avait jamais entendu son nom, qu′il prit en note. Or je sus que peu après il avait écrit à ce poète pour lui dire qu′admirateur fanatique de ses oeuvres, il avait fait de la musique sur un sonnet de lui et serait heureux que le librettiste en fît donner une audition chez la Comtesse ——. C′était aller un peu vite et démasquer son plan. Le poète, blessé, ne répondit pas.
The arrival of Mme. Swann had a special interest for me, due to an incident which had occurred a few days earlier and which I am obliged to record on account of the consequences which it was to have at a much later date, as the reader will learn in due course. Well, a few days before this visit to Mme. de Villeparisis, I had myself received a visitor whom I little expected, namely Charles Morel, the son (though I had never heard of his existence) of my great-uncle′s old servant. This great-uncle (he in whose house I had met the lady in pink) had died the year before. His servant had more than once expressed his intention of coming to see me; I had no idea of the object of his visit, but should have been glad to see him for I had learned from Françoise that he had a genuine veneration for my uncle′s memory and made a pilgrimage regularly to the cemetery in which he was buried. But, being obliged, for reasons of health, to retire to his home in the country, where he expected to remain for some time, he delegated the duty to his son. I was surprised to see come into my room a handsome young fellow of eighteen, dressed with expensive rather than good taste, but looking, all the same, like anything in the world except the son of a gentleman′s servant. He made a point, moreover, at the start of our conversation, of severing all connexion with the domestic class from which he sprang, by informing me, with a smile of satisfaction, that he had won the first prize at the Conservatoire. The object of his visit to me was as follows: his father, when going through the effects of my uncle Adolphe, had set aside some which, he felt, could not very well be sent to my parents but were at the same time of a nature likely to interest a young man of my age. These were the photographs of the famous actresses, the notorious courtesans whom my uncle had known, the last fading pictures of that gay life of a man about town which he divided by a watertight compartment from his family life. While young Morel was shewing them to me, I noticed that he addressed me as though he were speaking to an equal. He derived from saying ‘you′ to me as often, and ‘sir′ as seldom, as possible the pleasure natural in one whose father had never ventured, when addressing my parents, upon anything but the third person. Almost all these photographs bore an inscription such as: “To my best friend.” One actress, less grateful and more circumspect than the rest, had written: “To the best of friends,” which enabled her (so I was assured) to say afterwards that my uncle was in no sense and had never been her best friend but was merely the friend who had done the most little services for her, the friend she made use of, a good, kind man, in other words an old fool. In vain might young Morel seek to divest himself of his lowly origin, one felt that the shade of my uncle Adolphe, venerable and gigantic in the eyes of the old servant, had never ceased to hover, almost a holy vision, over the childhood and boyhood of the son. While I was turning over the photographs Charles Morel examined my room. And as I was looking for some place in which I might keep them, “How is it,” he asked me (in a tone in which the reproach had no need to find expression, so im, plicit was it in the words themselves), “that I don′t see a single photograph of your uncle in your room?” I felt the blood rise to my cheeks and stammered: “Why, I don′t believe I have such a thing.” “What, you haven′t one photograph of your uncle Adolphe, who was so devoted to you! I— will send you one of my governor′s — he has quantities of them — and I hope you will set it up in the place of honour above that chest of drawers, which came to you from your uncle.” It is true that, as I had not even a photograph of my father or mother in my room, there was nothing so very shocking in there not being one of my uncle Adolphe. But it was easy enough to see that for old Morel, who had trained his son in the same way of thinking, my uncle was the important person in the family, my parents only reflecting a diminished light from his. I was in higher favour, because my uncle used constantly to say that I was going to turn out a sort of Racine, or Vaulabelle, and Morel regarded me almost as an adopted son, as a child by election of my uncle. I soon discovered that this young man was extremely ‘pushing.′ Thus at this first meeting he asked me, being something of a composer as well and capable of setting short poems to music, whether I knew any poet who had a good position in society. I mentioned one. He did not know the work of this poet and had never heard his name, of which he made a note. Well, I found out that shortly afterwards he wrote to the poet telling him that, a fanatical admirer of his work, he, Morel, had composed a musical setting for one of his sonnets and would be grateful if the author would arrange for its performance at the Comtesse So-and-So′s. This was going a little too fast, and exposing his hand. The poet, taking offence, made no reply.
Au reste, Charles Morel semblait avoir, à côté de l′ambition, un vif penchant vers des réalités plus concrètes. Il avait remarqué dans la cour la nièce de Jupien en train de faire un gilet et, bien qu′il me dît seulement avoir justement besoin d′un gilet «de fantaisie», je sentis que la jeune fille avait produit une vive impression sur lui. Il n′hésita pas à me demander de descendre et de la présenter, «mais par rapport à votre famille, vous m′entendez, je compte sur votre discrétion quant à mon père, dites seulement un grand artiste de vos amis, vous comprenez, il faut faire bonne impression aux commerçants». Bien qu′il m′eût insinué que, ne le connaissant pas assez pour l′appeler, il le comprenait, «cher ami», je pourrais lui dire devant la jeune fille quelque chose comme «pas Cher Maître évidemment . . . quoique, mais, si cela vous plaît: cher grand artiste», j′évitai dans la boutique de le «qualifier» comme eût dit Saint–Simon, et me contentai de répondre à ses «vous» par des «vous». Il avisa, parmi quelques pièces de velours, une du rouge le plus vif et si criard que, malgré le mauvais goût qu′il avait, il ne put jamais, par la suite, porter ce gilet. La jeune fille se remit à travailler avec ses deux «apprenties», mais il me sembla que l′impression avait été réciproque et que Charles Morel, qu′elle crut «de son monde» (plus élégant seulement et plus riche), lui avait plu singulièrement. Comme j′avais été très étonné de trouver parmi les photographies que m′envoyait son père une du portrait de miss Sacripant (c′est-à-dire Odette) par Elstir, je dis à Charles Morel, en l′accompagnant jusqu′à la porte cochère: «Je crains que vous ne puissiez me renseigner. Est-ce que mon oncle connaissait beaucoup cette dame? Je ne vois pas à quelle époque de la vie de mon oncle je puis la situer; et cela m′intéresse à cause de M. Swann. . . . — Justement j′oubliais de vous dire que mon père m′avait recommandé d′attirer votre attention sur cette dame. En effet, cette demi-mondaine déjeunait chez votre oncle le dernier jour que vous l′avez vu. Mon père ne savait pas trop s′il pouvait vous faire entrer. Il paraît que vous aviez plu beaucoup à cette femme légère, et elle espérait vous revoir. Mais justement à ce moment-là il y a eu de la fâche dans la famille, à ce que m′a dit mon père, et vous n′avez jamais revu votre oncle.» Il sourit à ce moment, pour lui dire adieu de loin, à la nièce de Jupien. Elle le regardait et admirait sans doute son visage maigre, d′un dessin régulier, ses cheveux légers, ses yeux gais. Moi, en lui serrant la main, je pensais à Mme Swann, et je me disais avec étonnement, tant elles étaient séparées et différentes dans mon souvenir, que j′aurais désormais à l′identifier avec la «Dame en rose».
For the rest, Charles Morel seemed to have, besides his ambition, a strong leaning towards more concrete realities. He had noticed, as he came through the courtyard, Jupien′s niece at work upon a waistcoat, and although he explained to me only that he happened to want a fancy waistcoat at that very moment, I felt that the girl had made a vivid impression on him. He had no hesitation about asking me to come downstairs and introduce him to her, “but not as a connexion of your family, you follow me, I rely on your discretion not to drag in my father, say just a distinguished artist of your acquaintance, you know how important it is to make a good impression on tradespeople.” Albeit he had suggested to me that, not knowing him well enough to call him, he quite realised,‘dear friend,′ I might address him, before the girl, in some such terms as “not dear master, of course,.. although . . . well, if you like, dear distinguished artist,” once in the shop, I avoided ‘qualifying′ him, as Saint-Simon would have expressed it, and contented myself with reiterating his ‘you.′ He picked out from several patterns of velvet one of the brightest red imaginable and so loud that, for all his bad taste, he was never able to wear the waistcoat when it was made. The girl settled down to work again with her two ‘apprentices,′ but it struck me that the impression had been mutual, and that Charles Morel, whom she regarded as of her own ‘station′ (only smarter and richer), had proved singularly attractive to her. As I had been greatly surprised to find among the photographs which his father had sent me one of the portrait of Miss Sacripant (otherwise Odette) by Elstir, I said to Charles Morel as I went with him to the outer gate: “I don′t suppose you can tell me, but did my uncle know this lady well? I don′t see at what stage in his life I can fit her in exactly; and it interests me, because of M. Swann . . . ” “Why, if I wasn′t forgetting to tell you that my father asked me specially to draw your attention to that lady′s picture. As a matter of fact, she was ‘lunching′ with your uncle the last time you ever saw him. My father was in two minds whether to let you in. It seems you made a great impression on the wench, and she hoped to see more of you. But just at that time there was some trouble in the family, by what my father tells me, and you never set eyes on your uncle again.” He broke off with a smile of farewell, across the courtyard, at Jupien′s niece. She was watching him and admiring, no doubt, his thin face and regular features, his fair hair and sparkling eyes. I, as I gave him my hand, was thinking of Mme. Swann and saying to myself with amazement, so far apart, so different were they in my memory, that I should have henceforth to identify her with the ‘Lady in pink.′
M. de Charlus fut bientôt assis à côté de Mme Swann. Dans toutes les réunions où il se trouvait, et dédaigneux avec les hommes, courtisé par les femmes, il avait vite fait d′aller faire corps avec la plus élégante, de la toilette de laquelle il se sentait empanaché. La redingote ou le frac du baron le faisait ressembler à ces portraits remis par un grand coloriste d′une homme en noir, mais qui a près de lui, sur une chaise, un manteau éclatant qu′il va revêtir pour quelque bal costumé. Ce tête-à-tête, généralement avec quelque Altesse, procurait à M. de Charlus de ces distinctions qu′il aimait. Il avait, par exemple, pour conséquence que les maîtresses de maison laissaient, dans une fête, le baron avoir seul une chaise sur le devant dans un rang de dames, tandis que les autres hommes se bousculaient dans le fond. De plus, fort absorbé, semblait-il, à raconter, et très haut, d′amusantes histoires à la dame charmée, M. de Charlus était dispensé d′aller dire bonjour aux autres, donc d′avoir des devoirs à rendre. Derrière la barrière parfumée que lui faisait la beauté choisie, il était isolé au milieu d′un salon comme au milieu d′une salle de spectacle dans une loge et, quand on venait le saluer, au travers pour ainsi dire de la beauté de sa compagne, il était excusable de répondre fort brièvement et sans s′interrompre de parler à une femme. Certes Mme Swann n′était guère du rang des personnes avec qui il aimait ainsi à s′afficher. Mais il faisait profession d′admiration pour elle, d′amitié pour Swann, savait qu′elle serait flattée de son empressement, et était flatté lui-même d′être compromis par la plus jolie personne qu′il y eût là.
M. de Charlus was not long in taking his place by the side of Mme. Swann. At every social gathering at which he appeared and, contemptuous towards the men, courted by the women, promptly attached himself to the smartest of the latter, whose garments he seemed almost to put on as an ornament to his own, the Baron′s frock coat or swallowtails made one think of a portrait by some great painter of a man dressed in black but having by his side, thrown over a chair, the brilliantly coloured cloak which he is about to wear at some costume ball. This partnership, generally with some royal lady, secured for M. de Charlus various privileges which he liked to enjoy. For instance, one result of it was that his hostesses, at theatricals or concerts, allowed the Baron alone to have a front seat, in a row of ladies, while the rest of the men were crowded together at the back of the room. And then besides, completely absorbed, it seemed, in repeating, at the top of his voice, amusing stories to the enraptured lady, M. de Charlus was dispensed from the necessity of going to shake hands with any of the others, was set free, in other words, from all social duties. Behind the scented barrier in which the beauty of his choice enclosed him, he was isolated amid a crowded drawing-room, as, in a crowded theatre or concert-hall, behind the rampart of a box; and when anyone came up to greet him, through, so to speak, the beauty of his companion, it was permissible for him to reply quite curtly and without interrupting his business of conversation with a lady. Certainly Mme. Swann was scarcely of the rank of the people with whom he liked thus to flaunt himself. But he professed admiration for her, friendship for Swann, he knew that she would be flattered by his attentions and was himself flattered at being compromised by the prettiest woman in the room.
Mme de Villeparisis n′était d′ailleurs qu′à demi contente d′avoir la visite de M. de Charlus. Celui-ci, tout en trouvant de grands défauts à sa tante, l′aimait beaucoup. Mais, par moments, sous le coup de la colère, de griefs imaginaires, il lui adressait, sans résister à ses impulsions, des lettres de la dernière violence, dans lesquelles il faisait état de petites choses qu′il semblait jusque-là n′avoir pas remarquées. Entre autres exemples je peux citer ce fait, parce que mon séjour à Balbec me mit au courant de lui: Mme de Villeparisis, craignant de ne pas avoir emporté assez d′argent pour prolonger sa villégiature à Balbec, et n′aimant pas, comme elle était avare et craignait les frais superflus, faire venir de l′argent de Paris, s′était fait prêter trois mille francs par M. de Charlus. Celui-ci, un mois plus tard, mécontent de sa tante pour une raison insignifiante, les lui réclama par mandat télégraphique. Il reçut deux mille neuf cent quatre-vingt-dix et quelques francs. Voyant sa tante quelques jours après à Paris et causant amicalement avec elle, il lui fit, avec beaucoup de douceur, remarquer l′erreur commise par la banque chargée de l′envoi. «Mais il n′y a pas erreur, répondit Mme de Villeparisis, le mandat télégraphique coûte six francs soixante-quinze. — Ah! du moment que c′est intentionnel, c′est parfait, répliqua M. de Charlus. Je vous l′avais dit seulement pour le cas où vous l′auriez ignoré, parce que dans ce cas-là, si la banque avait agi de même avec des personnes moins liées avec vous que moi, cela aurait pu vous contrarier. — Non, non, il n′y a pas erreur. — Au fond vous avez eu parfaitement raison», conclut gaiement M. de Charlus en baisant tendrement la main de sa tante. En effet, il ne lui en voulait nullement et souriait seulement de cette petite mesquinerie. Mais quelque temps après, ayant cru que dans une chose de famille sa tante avait voulu le jouer et «monter contre lui tout un complot», comme celle-ci se retranchait assez bêtement derrière des hommes d′affaires avec qui il l′avait précisément soupçonnée d′être alliée contre lui, il lui avait écrit une lettre qui débordait de fureur et d′insolence. «Je ne me contenterai pas de me venger, ajoutait-il en post-scriptum, je vous rendrai ridicule. Je vais dès demain aller raconter à tout le monde l′histoire du mandat télégraphique et des six francs soixante-quinze que vous m′avez retenus sur les trois mille francs que je vous avais prêtés, je vous déshonorerai.» Au lieu de cela il était allé le lendemain demander pardon à sa tante Villeparisis, ayant regret d′une lettre où il y avait des phrases vraiment affreuses. D′ailleurs à qui eût-il pu apprendre l′histoire du mandat télégraphique? Ne voulant pas de vengeance, mais une sincère réconciliation, cette histoire du mandat, c′est maintenant qu′il l′aurait tue. Mais auparavant il l′avait racontée partout, tout en étant très bien avec sa tante, il l′avait racontée sans méchanceté, pour faire rire, et parce qu′il était l′indiscrétion même. Il l′avait racontée, mais sans que Mme de Villeparisis le sût. De sorte qu′ayant appris par sa lettre qu′il comptait la déshonorer en divulguant une circonstance où il lui avait déclaré à elle-même qu′elle avait bien agi, elle avait pensé qu′il l′avait trompée alors et mentait en feignant de l′aimer. Tout cela s′était apaisé, mais chacun des deux ne savait pas exactement l′opinion que l′autre avait de lui. Certes il s′agit là d′un cas de brouilles intermittentes un peu particulier. D′ordre différent étaient celles de Bloch et de ses amis. D′un autre encore celles de M. de Charlus, comme on le verra, avec des personnes tout autres que Mme de Villeparisis. Malgré cela il faut se rappeler que l′opinion que nous avons les uns des autres, les rapports d′amitié, de famille, n′ont rien de fixe qu′en apparence, mais sont aussi éternellement mobiles que la mer. De là tant de bruits de divorce entre des époux qui semblaient unis et qui, bientôt après, parlent tendrement l′un de l′autre; tant d′infamies dites par un ami sur un ami dont nous le croyions inséparable et avec qui nous le trouverons réconcilié avant que nous ayons eu le temps de revenir de notre surprise; tant de renversements d′alliances en si peu de temps, entre les peuples.
Mme. de Villeparisis meanwhile was not too well pleased to receive a visit from M. de Charlus. He, while admitting serious defects in his aunt′s character, was genuinely fond of her. But every now and then, carried away by anger, by an imaginary grievance, he would sit down and write to her without making any attempt to resist his impulse, letters full of the most violent abuse, in which in made the most of trifling incidents which until then he seemed never even to have noticed. Among other examples I may instance the following, which my stay at Balbec brought to my knowledge-Mme. de Villeparisis, fearing that she had not brought enough money with her to Balbec to enable her to prolong her holiday there, and not caring since she was of a thrifty disposition and shrank from unnecessary expenditure, to have money sent to her from Paris, had borrowed three thousand francs from M. de Charlus. A month later, annoyed, for some trivial reason, with his aunt, he asked her to repay him this sum by telegraph. He received two thousand nine hundred and ninety-odd francs. Meeting his aunt a few days later in Paris, in the course of a friendly conversation, he drew her attention, with the utmost politeness, to the mistake that her banker had made when sending the money. “But there was no mistake,” replied Mme. de Villeparisis, “the money order cost six francs seventy-five.” “Oh, of course, if it was intentional, it is all right,” said M. de Charlus, “I mentioned it only in case you didn′t know, because in that case, if the bank had done the same thing with anyone who didn′t know you as well as I do, it might have led to unpleasantness.” “No, no, there was no mistake.” “After all, you were quite right,” M. de Charlus concluded easily, stooping to kiss his aunt′s hand. And in fact he bore no resentment and was only amused at this little instance of her thrift. But some time afterwards, imagining that, in a family matter, his aunt had been trying to get the better of him and had ‘worked up a regular conspiracy′ against him, as she took shelter, foolishly enough, behind the lawyers with whom he suspected her of having plotted to undo him, he had written her a letter boiling over with insolence and rage. “I shall not be satisfied with having my revenge,” he added as a postscript; “I shall take care to make you a laughing-stock. Tomorrow I shall tell everyone the story of the money order and the six francs seventy-five you kept back from me out of the three thousand I lent you; I shall disgrace you publicly.” Instead of so doing, he had gone to his aunt the next day to beg her pardon, having already regretted a letter in which he had used some really terrible language. But apart from this, to whom could he have told the story of the money order? Seeking no longer vengeance but a sincere reconciliation, now was the time for him to keep silence. But already he had repeated the story everywhere, while still on the best of terms with his aunt; he had told it without any malice, as a joke, and because he was the soul of indiscretion. He had repeated the story, but without Mme. de Villeparisis′s knowledge. With the result that, having learned from his letter that he intended to disgrace her by making public a transaction in which he had told her with his own lips that she had acted rightly, she concluded that he had been deceiving her from the first, and had lied when he pretended to be fond of her. This storm had now died down, but neither of them knew what opinion exactly the other had of her or him. This sort of intermittent quarrel is of course somewhat exceptional. Of a different order were the quarrels of Bloch and his friends. Of a dif — ferent order again were those of M. de Charlus, as we shall presently see, with people wholly unlike Mme. de Villeparisis. In spite of which we must bear in mind that the opinions which we hold of one another, our relations with friends and kinsfolk, are in no sense permanent, save in appearance, but are as eternally fluid as the sea itself. Whence all the rumours of divorce between couples who have always seemed so perfectly united and will soon afterwards speak of one another with affection, hence all the terrible things said by one friend of another from whom we supposed him to be inseparable and with whom we shall find him once more reconciled before we have had time to recover from our surprise; all the ruptures of alliances, after so short a time, between nations.
— Mon Dieu, ça chauffe entre mon oncle et Mme Swann, me dit Saint–Loup. Et maman qui, dans son innocence, vient les déranger. Aux pures tout est pur!
“I say, my uncle and Mme. Swann are getting warm over there!” remarked Saint-Loup. “And look at Mamma in the innocence of her heart going across to disturb them. To the pure all things are pure, I suppose!”
Je regardais M. de Charlus. La houppette de ses cheveux gris, son oeil dont le sourcil était relevé par le monocle et qui souriait, sa boutonnière en fleurs rouges, formaient comme les trois sommets mobiles d′un triangle convulsif et frappant. Je n′avais pas osé le saluer, car il ne m′avait fait aucun signe. Or, bien qu′il ne fût pas tourné de mon côté, j′étais persuadé qu′il m′avait vu; tandis qu′il débitait quelque histoire à Mme Swann dont flottait jusque sur un genou du baron le magnifique manteau couleur pensée, les yeux errants de M. de Charlus, pareils à ceux d′un marchand en plein vent qui craint l′arrivée de la Rousse[/i.>, avaient certainement exploré chaque partie du salon et découvert toutes les personnes qui s′y trouvaient. M. de Châtellerault vint lui dire bonjour sans que rien décelât dans le visage de M. de Charlus qu′il eût aperçu le jeune duc avant le moment où celui-ci se trouva devant lui. C′est ainsi que, dans les réunions un peu nombreuses comme était celle-ci, M. de Charlus gardait d′une façon presque constante un sourire sans direction déterminée ni destination particulière, et qui, préexistant de la sorte aux saluts des arrivants, se trouvait, quand ceux-ci entraient dans sa zone, dépouillé de toute signification d′amabilité pour eux. Néanmoins il fallait bien que j′allasse dire bonjour à Mme Swann. Mais, comme elle ne savait pas si je connaissais Mme de Marsantes et M. de Charlus, elle fut assez froide, craignant sans doute que je lui demandasse de me présenter. Je m′avançai alors vers M. de Charlus, et aussitôt le regrettai car, devant très bien me voir, il ne le marquait en rien. Au moment où je m′inclinai devant lui, je trouvai, distant de son corps dont il m′empêchait d′approcher de toute la longueur de son bras tendu, un doigt veuf, eût-on dit, d′un anneau épiscopal dont il avait l′air d′offrir, pour qu′on la baisât, la place consacrée, et dus paraître avoir pénétré, à l′insu du baron et par une effraction dont il me laissait la responsabilité, dans la permanence, la dispersion anonyme et vacante de son sourire. Cette froideur ne fut pas pour encourager beaucoup Mme Swann à se départir de la sienne.
I studied M. de Charlus. The tuft of his grey hair, his eye, the brow of which was raised by his monocle to emit a smile, the red flowers in his buttonhole formed, so to speak, the three mobile apices of a convulsive and striking triangle. I had not ventured to bow to him, for he had given me no sign of recognition. And yet, albeit he had not turned his head in my direction, I was convinced that he had seen me; while he repeated some story to Mme. Swann, whose sumptuous, pansy-coloured cloak floated actually over the Baron′s knee, his roving eye, like that of a street hawker who is watching all the time for the ‘tecs′ to appear, had certainly explored every corner of the room and taken note of all the people who were in it. M. de Châtellerault came up to bid him good day without any indication on M. de Charlus′s face that he had seen the young Duke until he was actually standing in front of him. In this way, in fairly numerous gatherings such as this, M. de Charlus kept almost continuously on show a smile without any definite direction or particular object, which, pre-existing before the greetings of new arrivals, found itself, when these entered its zone, devoid of any indication of friendliness towards them. Nevertheless, it was obviously my duty to go across and speak to Mme. Swann. But as she was not certain whether I already knew Mme. de Marsantes and M. de Charlus, she was distinctly cold, fearing no doubt that I might ask her to introduce me to them. I then made my way to M. de Charlus, and at once regretted it, for though he could not have helped seeing me he shewed no sign whatsoever. As I stood before him and bowed I found standing out from his body, which it prevented me from approaching by the full length of his outstretched arm, a finger widowed, one would have said, of an episcopal ring, of which he appeared to be offering, for the kiss of the faithful, the consecrated site, and I was made to appear to have penetrated, without leave from the Baron and by an act of trespass for which he would hold me permanently responsible, the anonymous and vacant dispersion of his smile. This coldness was hardly of a kind to encourage Mme. Swann to melt from hers.
— Comme tu as l′air fatigué et agité, dit Mme de Marsantes à son fils qui était venu dire bonjour à M. de Charlus.
“How tired and worried you look,” said Mme. de Marsantes to her son who had come up to greet M. de Charlus.
Et en effet, les regards de Robert semblaient par moments atteindre à une profondeur qu′ils quittaient aussitôt comme un plongeur qui a touché le fond. Ce fond, qui faisait si mal à Robert quand il le touchait qu′il le quittait aussitôt pour y revenir un instant après, c′était l′idée qu′il avait rompu avec sa maîtresse.
And indeed the expression in Robert′s eyes seemed every minute to reach a depth from which it rose at once like a diver who has touched bottom This bottom which hurt Robert so when he touched it that he left it at once, to return to it a moment later, was the thought that he had quarrelled with his mistress.
—
Ça ne fait rien, ajouta sa mère, en lui caressant la joue, ça ne fait rien, c′est bon de voir son petit garçon.
“Never mind,” his mother went on, stroking his cheek, “never mind; it′s good to see my little boy again.”
Mais cette tendresse paraissant agacer Robert, Mme de Marsantes entraîna son fils dans le fond du salon, là où, dans une baie tendue de soie jaune, quelques fauteuils de Beauvais massaient leurs tapisseries violacées comme des iris empourprés dans un champ de boutons d′or. Mme Swann se trouvant seule et ayant compris que j′étais lié avec Saint–Loup me fit signe de venir auprès d′elle. Ne l′ayant pas vue depuis si longtemps, je ne savais de quoi lui parler. Je ne perdais pas de vue mon chapeau parmi tous ceux qui se trouvaient sur le tapis, mais me demandais curieusement à qui pouvait en appartenir un qui n′était pas celui du duc de Guermantes et dans la coiffe duquel un G était surmonté de la couronne ducale. Je savais qui étaient tous les visiteurs et n′en trouvais pas un seul dont ce pût être le chapeau.
But this show of affection seeming to irritate Robert, Mme. de Marsantes led her son away to the other end of the room where in an alcove hung with yellow silk a group of Beauvais armchairs massed their violet-hued tapestries like purple irises in a field of buttercups. Mme. Swann, finding herself alone and having realised that I was a friend of Saint-Loup, beckoned to me to come and sit beside her. Not having seen her for so long I did not know what to talk to her about. I was keeping an eye on my hat, among the crowd of hats that littered the carpet, and I asked myself with a vague curiosity to whom one of them could belong which was not that of the Duc de Guermantes and yet in the lining of which a capital ‘G′ was surmounted by a ducal coronet. I knew who everyone in the room was, and could not think of anyone whose hat this could possibly be.
— Comme M. de Norpois est sympathique, dis-je à Mme Swann en le lui montrant. Il est vrai que Robert de Saint–Loup me dit que c′est une peste, mais. . . .
“What a pleasant man M. de Norpois is,” I said to Mme. Swann, looking at the Ambassador. “It is true, Robert de Saint-Loup says he′s a pest, but . . . ”
— Il a raison, répondit-elle.
“He is quite right,” she replied.
Et voyant que son regard se reportait à quelque chose qu′elle me cachait, je la pressai de questions. Peut-être contente d′avoir l′air d′être très occupée par quelqu′un dans ce salon, où elle ne connaissait presque personne, elle m′emmena dans un coin.
Seeing from her face that she was thinking of something which she was keeping from me, I plied her with questions. For the satisfaction of appearing to be greatly taken up by some one in this room where she knew hardly anyone, she took me into a corner.
— Voilà sûrement ce que M. de Saint–Loup a voulu vous dire, me répondit-elle, mais ne le lui répétez pas, car il me trouverait indiscrète et je tiens beaucoup à son estime, je suis très «honnête homme», vous savez. Dernièrement Charlus a dîné chez la princesse de Guermantes; je ne sais pas comment on a parlé de vous. M. de Norpois leur aurait dit — c′est inepte, n′allez pas vous mettre martel en tête pour cela, personne n′y a attaché d′importance, on savait trop de quelle bouche cela tombait — que vous étiez un flatteur à moitié hystérique.
“I am sure this is what M. de Saint-Loup meant,” she began, “but you must never tell him I said so, for he would think me indiscreet, and I value his esteem very highly; I am an ‘honest Injun,′ don′t you know. The other day, Charlus was dining at the Princesse de Guermantes′s; I don′t know how it was, but your name was mentioned. M. de Norpois seems to have told them — it′s all too silly for words, don′t go and worry yourself to death over it, nobody paid any attention, they all knew only too well the mischievous tongue that said it — that you were a hypocritical little flatterer.”
J′ai raconté bien auparavant ma stupéfaction qu′un ami de mon père comme était M. de Norpois eût pu s′exprimer ainsi en parlant de moi. J′en éprouvai une plus grande encore à savoir que mon émoi de ce jour ancien où j′avais parlé de Mme Swann et de Gilberte était connu par la princesse de Guermantes de qui je me croyais ignoré. Chacune de nos actions, de nos paroles, de nos attitudes est séparée du «monde», des gens qui ne l′ont pas directement perçue, par un milieu dont la perméabilité varie à l′infini et nous reste inconnue; ayant appris par l′expérience que tel propos important que nous avions souhaité vivement être propagé (tels ceux si enthousiastes que je tenais autrefois à tout le monde et en toute occasion sur Mme Swann, pensant que parmi tant de bonnes graines répandues il s′en trouverait bien une qui lèverait) s′est trouvé, souvent à cause de notre désir même, immédiatement mis sous le boisseau, combien à plus forte raison étions-nous éloigné de croire que telle parole minuscule, oubliée de nous-même, voire jamais prononcée par nous et formée en route par l′imparfaite réfraction d′une parole différente, serait transportée, sans que jamais sa marche s′arrêtât, à des distances infinies — en l′espèce jusque chez la princesse de Guermantes — et allât divertir à nos dépens le festin des dieux. Ce que nous nous rappelons de notre conduite reste ignoré de notre plus proche voisin; ce que nous en avons oublié avoir dit, ou même ce que nous n′avons jamais dit, va provoquer l′hilarité jusque dans une autre planète, et l′image que les autres se font de nos faits et gestes ne ressemble pas plus à celle que nous nous en faisons nous-même qu′à un dessin quelque décalque raté, où tantôt au trait noir correspondrait un espace vide, et à un blanc un contour inexplicable. Il peut du reste arriver que ce qui n′a pas été transcrit soit quelque trait irréel que nous ne voyons que par complaisance, et que ce qui nous semble ajouté nous appartienne au contraire, mais si essentiellement que cela nous échappe. De sorte que cette étrange épreuve qui nous semble si peu ressemblante a quelquefois le genre de vérité, peu flatteur certes, mais profond et utile, d′une photographie par les rayons N. Ce n′est pas une raison pour que nous nous y reconnaissions. Quelqu′un qui a l′habitude de sourire dans la glace à sa belle figure et à son beau torse, si on lui montre leur radiographie aura, devant ce chapelet osseux, indiqué comme étant une image de lui-même, le même soupçon d′une erreur que le visiteur d′une exposition qui, devant un portrait de jeune femme, lit dans le catalogue: «Dromadaire couché». Plus tard, cet écart entre notre image selon qu′elle est dessinée par nous-même ou par autrui, je devais m′en rendre compte pour d′autres que moi, vivant béatement au milieu d′une collection de photographies qu′ils avaient tirées d′eux-mêmes tandis qu′alentour grimaçaient d′effroyables images, habituellement invisibles pour eux-mêmes, mais qui les plongeaient dans la stupeur si un hasard les leur montrait en leur disant: «C′est vous.»
I have recorded a long way back my stupefaction at the discovery that a friend of my father, such as M. de Norpois was, could have expressed himself thus in speaking of me. I was even more astonished to learn that my emotion on that evening long ago when I had asked him about Mme. Swann and Gilberte was known to the Princesse de Guermantes, whom I imagined never to have heard of my existence. Each of our actions, our words, our attitudes is cut off from the ‘world,′ from the people who have not directly perceived it, by a medium the permeability of which is of infinite variation and remains unknown to ourselves; having learned by experience that some important utterance which we eagerly hoped would be disseminated (such as those so enthusiastic speeches which I used at one time to make to all comers and on every occasion on the subject of Mme. Swann) has found itself, often simply on account of our anxiety, immediately hidden under a bushel, how immeasurably less do we suppose that some tiny word, which we ourselves have forgotten, or else a word never ottered by us but formed on its course by the imperfect refraction of a different word, can be transported without ever halting for any obstacle to infinite distances — in the present instance to the Princesse de Guermantes — and succeed in diverting at our expense the banquet of the gods. What we actually recall of our conduct remains unknown to our nearest neighbour; what we have forgotten that we ever said, or indeed what we never did say, flies to provoke hilarity even in another planet, and the image that other people form of our actions and behaviour is no more like that which we form of them ourselves, than is like an original drawing a spoiled copy in which, at one point, for a black line, we find an empty gap, and for a blank space an unaccountable contour. It may be, all the same, that what has not been transcribed is some non-existent feature which we behold merely in our purblind self-esteem, and that what seems to us added is indeed a part of ourselves, but so essential a part as to have escaped our notice. So that this strange print which seems to us to have so little resemblance to ourselves bears sometimes the same stamp of truth, scarcely flattering, indeed, but profound and useful, as a photograph taken by X-rays. Not that that is any reason why we should recognise ourselves in it. A man who is in the habit of smiling in the glass at his handsome face and stalwart figure, if you shew him their radiograph, will have, face to face with that rosary of bones, labelled as being the image of himself, the same suspicion of error as the visitor to an art gallery who, on coming to the portrait of a girl, reads in his catalogue: “Dromedary resting.” Later on, this discrepancy between our portraits, according as it was our own hand that drew them or another, I was to register in the case of others than myself, living placidly in the midst of a collection of photographs which they themselves had taken while round about them grinned frightful faces, invisible to them as a rule, but plunging them in stupor if an accident were to reveal them with the warning: “This is you.”
Il y a quelques années j′aurais été bien heureux de dire à Mme Swann «à quel sujet» j′avais été si tendre pour M. de Norpois, puisque ce «sujet» était le désir de la connaître. Mais je ne le ressentais plus, je n′aimais plus Gilberte. D′autre part, je ne parvenais pas à identifier Mme Swann à la Dame en rose de mon enfance. Aussi je parlai de la femme qui me préoccupait en ce moment.
A few years earlier I should have been only too glad to tell Mme. Swann in what connexion I had fawned upon M. de Norpois, since the connexion had been my desire to know her. But I no longer felt this desire, I was no longer in love with Gilberte. On the other hand I had not succeeded in identifying Mme. Swann with the lady in pink of my childhood. Accordingly I spoke of the woman who was on my mind at the moment.
— Avez-vous vu tout à l′heure la duchesse de Guermantes? demandai-je à Mme Swann.
“Did you see the Duchesse de Guermantes just now?” I asked Mme. Swann.
Mais comme la duchesse ne saluait pas Mme Swann, celle-ci voulait avoir l′air de la considérer comme une personne sans intérêt et de la présence de laquelle on ne s′aperçoit même pas.
But since the Duchess did not bow to Mme. Swann when they met, the latter chose to appear to regard her as a person of no importance, whose presence in a room one did not even remark.
— Je ne sais pas, je n′ai pas réalisé[/i.>, me répondit-elle d′un air désagréable, en employant un terme traduit de l′anglais.
“I don′t know; I didn′t realise her,” she replied sourly, using an expression borrowed from England.
J′aurais pourtant voulu avoir des renseignements non seulement sur Mme de Guermantes mais sur tous les êtres qui l′approchaient, et, tout comme Bloch, avec le manque de tact des gens qui cherchent dans leur conversation non à plaire aux autres mais à élucider, en égoî²´es, des points que les intéressent, pour tâcher de me représenter exactement la vie de Mme de Guermantes, j′interrogeai Mme de Villeparisis sur Mme Leroi.
I was anxious nevertheless for information with regard not only to Mme. de Guermantes but to all the people who came in contact with her, and (for all the world like Bloch), with the tactlessness of people who seek in their conversation not to give pleasure to others but to elucidate, from sheer egoism, facts that are interesting to themselves, in my effort to form an exact idea of the life of Mme. de Guermantes I questioned Mme de Villeparisis about Mme. Leroi.
— Oui, je sais, répondit-elle avec un dédain affecté, la fille de ces gros marchands de bois. Je sais qu′elle voit du monde maintenant, mais je vous dirai que je suis bien vieille pour faire de nouvelles connaissances. J′ai connu des gens si intéressants, si aimables, que vraiment je crois que Mme Leroi n′ajouterait rien à ce que j′ai. Mme de Marsantes, qui faisait la dame d′honneur de la marquise, me présenta au prince, et elle n′avait pas fini que M. de Norpois me présentait aussi, dans les termes les plus chaleureux. Peut-être trouvait-il commode de me faire une politesse qui n′entamait en rien son crédit puisque je venais justement d′être présenté; peut-être parce qu′il pensait qu′un étranger, même illustre, était moins au courant des salons français et pouvait croire qu′on lui présentait un jeune homme du grand monde; peut-être pour exercer une de ses prérogatives, celle d′ajouter le poids de sa propre recommandation d′ambassadeur, ou par le goût d′archaî²e de faire revivre en l′honneur du prince l′usage, flatteur pour cette Altesse, que deux parrains étaient nécessaires si on voulait lui être présenté.
“Oh, yes, I know who′ you mean,” she replied with an affectation of contempt, “the daughter of those rich timber people. I′ve heard that she′s begun to go about quite a lot lately, but I must explain to you that I am rather old now to make new acquaintances. I have known such interesting such delightful people in my time that really I do not believe Mme. Lerol would be any addition to what I already have.” Mme. de Marsantes, who was playing lady in waiting to the Marquise, presented me to the Prince and, while she was still doing so, M. de Norpois also presented me in the most glowing terms. Perhaps he found it convenient to do me a courtesy which could in no way damage his credit since I had just been presented, perhaps it was because he thought that a foreigner, even so distinguished a foreigner, was unfamiliar with French society and might think that he was having introduced to him a young man of fashion, perhaps to exercise one of his prerogatives, that of adding the weight of his personal recommendation as an Ambassador, or in his taste for the archaic to revive in the Prince′s honour the old custom, flattering to his rank, that two sponsors were necessary if one wished to be presented.
Mme de Villeparisis interpella M. de Norpois, éprouvant le besoin de me faire dire par lui qu′elle n′avait pas à regretter de ne pas connaître Mme Leroi.
Mme. de Villeparisis appealed to M. de Norpois, feeling it imperative that I should have his assurance that she had nothing to regret in not knowing Mme. Leroi.
— N′est-ce pas, monsieur l′ambassadeur, que Mme Leroi est une personne sans intérêt, très inférieure à toutes celles qui fréquentent ici, et que j′ai eu raison de ne pas l′attirer?
“Am I not right, M. l′Ambassadeur, Mme. Leroi is quite uninteresting, isn′t she, quite out of keeping with the people who come here; I was quite right not to make friends with her, wasn′t I?”
Soit indépendance, soit fatigue, M. de Norpois se contenta de répondre par un salut plein de respect mais vide de signification.
Whether from independence or because he was tired, M. de Norpois replied merely in a bow full of respect but devoid of meaning.
— Monsieur, lui dit Mme de Villeparisis en riant, il y a des gens bien ridicules. Croyez-vous que j′ai eu aujourd′hui la visite d′un monsieur qui a voulu me faire croire qu′il avait plus de plaisir à embrasser ma main que celle d′une jeune femme?
“Sir,” went on Mme. de Villeparisis with a laugh, “there are some absurd people in the world. Would you believe that I had a visit this afternoon from a gentleman who tried to persuade me that he found more pleasure in kissing my hand than a young woman′s?”
Je compris tout de suite que c′était Legrandin. M. de Norpois sourit avec un léger clignement d′oeil, comme s′il s′agissait d′une concupiscence si naturelle qu′on ne pouvait en vouloir à celui qui l′éprouvait, presque d′un commencement de roman qu′il était prêt à absoudre, voire à encourager, avec une indulgence perverse à la Voisenon ou à la Crébillon fils.
I guessed at once that this was Legrandin. M. de Norpois smiled with a slight quiver of the eyelid, as though such a remark had been prompted by a concupiscence so natural that one could not find fault with the person who had uttered it, almost as though it were the beginning of a romance which he was prepared to forgive, if not to encourage, with the perverse indulgence of a Voisenon or the younger Crébillon.
— Bien des mains de jeunes femmes seraient incapables de faire ce que j′ai vu là, dit le prince en montrant les aquarelles commencées de Mme de Villeparisis. Et il lui demanda si elle avait vu les fleurs de Fantin–Latour qui venaient d′être exposées.
“Many young women′s hands would be incapable of doing what I see there,” said the Prince, pointing to Mme. de Villeparisis′s unfinished water-colours. And he asked her whether she had seen the flower paintings by Fantin-Latour which had recently been exhibited.
— Elles sont de premier ordre et, comme on dit aujourd′hui, d′un beau peintre, d′un des maîtres de la palette, déclara M. de Norpois; je trouve cependant qu′elles ne peuvent pas soutenir la comparaison avec celles de Mme de Villeparisis où je reconnais mieux le coloris de la fleur.
“They are of the first order, and indicate, as people say nowadays, a fine painter, one of the masters of the palette,” declared M. de Norpois; “I consider, all the same, that they stand no comparison with these, in which I find it easier to recognise the colouring of the flower.”
Même en supposant que la partialité de vieil amant, l′habitude de flatter, les opinions admises dans une coterie, dictassent ces paroles à l′ancien ambassadeur, celles-ci prouvaient pourtant sur quel néant de goût véritable repose le jugement artistique des gens du monde, si arbitraire qu′un rien peut le faire aller aux pires absurdités, sur le chemin desquelles il ne rencontre pour l′arrêter aucune impression vraiment sentie.
Even supposing that the partiality of an old lover, the habit of flattering people, the critical standard admissible in a small circle, had dictated this speech to the ex-Ambassador, it proved upon what an absolute vacuum of true taste the judgment of people in society is based, so arbitrary that the smallest trifle can make it rush to the wildest absurdities, on the way to which it is stopped, held up by no genuinely felt impression.
— Je n′ai aucun mérite à connaître les fleurs, j′ai toujours vécu aux champs, répondit modestement Mme de Villeparisis. Mais, ajouta-t-elle gracieusement en s′adressant au prince, si j′en ai eu toute jeune des notions un peu plus sérieuses que les autres enfants de la campagne, je le dois à un homme bien distingué de votre nation, M. de Schlegel. Je l′ai rencontré à Broglie où ma tante Cordelia (la maréchale de Castellane) m′avait amenée. Je me rappelle très bien que M. Lebrun, M. de Salvandy, M. Doudan, le faisaient parler sur les fleurs. J′étais une toute petite fille, je ne pouvais pas bien comprendre ce qu′il disait. Mais il s′amusait à me faire jouer et, revenu dans votre pays, il m′envoya un bel herbier en souvenir d′une promenade que nous avions été faire en phaéton au Val Richer et où je m′étais endormie sur ses genoux. J′ai toujours conservé cet herbier et il m′a appris à remarquer bien des particularités des fleurs qui ne m′auraient pas frappée sans cela. Quand Mme de Barante a publié quelques lettres de Mme de Broglie, belles et affectées comme elle était elle-même, j′avais espéré y trouver quelques-unes de ces conversations de M. de Schlegel. Mais c′était une femme qui ne cherchait dans la nature que des arguments pour la religion. Robert m′appela dans le fond du salon, où il était avec sa mère.
“I claim no credit for knowing about flowers, I′ve lived all my life among the fields,” replied Mme. de Villeparisis modestly. “But,” she added graciously, turning to the Prince, “if I did, when I was quite a girl, form a rather more serious idea of them than children generally do in the country, I owe that to a distinguished fellow-countryman of yours, Herr von Schlegel. I met him at Broglie, when I was staying there once with my aunt Cordelia (Marshal de Castellane′s wife, don′t you know?). I remember so well M. Lebrun, M. de Salvandy, M. Doudan, getting him to talk about flowers. I was only a little girl, I wasn′t able to follow all he said. But he liked playing with me, and when he went back to your country he sent me a beautiful botany book to remind me of a drive we took together in a phaeton to the Val Richer, when I fell asleep on his knee. I have got the book still, and it taught me to observe many things about flowers which I should not have noticed otherwise. When Mme. de Barante published some of Mme. de Broglie′s letters, charming and affected like herself, I hoped to find among them some record of those conversations with Herr von Schlegel. But she was a woman who looked for nothing from nature but arguments in support of religion.” Robert called me away to the far end of the room where he and his mother were.
— Que tu as été gentil, lui dis-je, comment te remercier? Pouvons-nous dîner demain ensemble?
“You have been good to me,” I said, “how can I thank you? Can we dine together to-morrow?”
— Demain, si tu veux, mais alors avec Bloch; je l′ai rencontré devant la porte; après un instant de froideur, parce que j′avais, malgré moi, laissé sans réponse deux lettres de lui (il ne m′a pas dit que c′était cela qui l′avait froissé, mais je l′ai compris), il a été d′une tendresse telle que je ne peux pas me montrer ingrat envers un tel ami. Entre nous, de sa part au moins, je sens bien que c′est à la vie, à la mort. Je ne crois pas que Robert se trompât absolument. Le dénigrement furieux était souvent chez Bloch l′effet d′une vive sympathie qu′il avait cru qu′on ne lui rendait pas. Et comme il imaginait peu la vie des autres, ne songeait pas qu′on peut avoir été malade ou en voyage, etc., un silence de huit jours lui paraissait vite provenir d′une froideur voulue. Aussi je n′ai jamais cru que ses pires violences d′ami, et plus tard d′écrivain, fussent bien profondes. Elles s′exaspéraient si l′on y répondait par une dignité glacée, ou par une platitude qui l′encourageait à redoubler ses coups, mais cédaient souvent à une chaude sympathie. «Quant à gentil, continua Saint–Loup, tu prétends que je l′ai été pour toi, mais je n′ai pas été gentil du tout, ma tante dit que c′est toi qui la fuis, que tu ne lui dis pas un moi. Elle se demande si tu n′as pas quelque chose contre elle.»
“To-morrow? Yes, if you like, but it will have to be with Bloch. I met him just now on the doorstep; he was rather stiff with me at first because I had quite forgotten to answer his last two letters. (At least, he didn′t tell me that that was what had annoyed him, but I guessed it.) But after that he was so friendly to me that I simply can′t disappoint him. Between ourselves, on his side at least, I can feel it′s a life and death friendship.” Nor do I consider that Robert was altogether mistaken. Furious detraction was often, with Bloch, the effect of a keen affection which he had supposed to be unreturned. And as he had little power of imagining the lives of other people, and never dreamed that one might have been ill, or away from home, or otherwise occupied, a week′s silence was at once interpreted by him as meaning a deliberate coldness. And so I have never believed that his most violent outbursts as a friend, or in later years as a writer, went very deep. They rose to a paroxysm if one replied to them with an icy dignity, or by a platitude which encouraged him to redouble his onslaught, but yielded often to a warmly sympathetic attitude. “As for being good,” went on Saint-Loup, “you say I have been to you, but I haven′t been good at all, my aunt tells me that it′s you who avoid her, that you never said a word to her. She wondered whether you had anything against her.”
Heureusement pour moi, si j′avais été dupe de ces paroles, notre imminent départ pour Balbec m′eût empêché d′essayer de revoir Mme de Guermantes, de lui assurer que je n′avais rien contre elle et de la mettre ainsi dans la nécessité de me prouver que c′était elle qui avait quelque chose contre moi. Mais je n′eus qu′à me rappeler qu′elle ne m′avait pas même offert d′aller voir les Elstir. D′ailleurs ce n′était pas une déception; je ne m′étais nullement attendu à ce qu′elle m′en parlât; je savais que je ne lui plaisais pas, que je n′avais pas à espérer me faire aimer d′elle; le plus que j′avais pu souhaiter, c′est que, grâce à sa bonté, j′eusse d′elle, puisque je ne devais pas la revoir avant de quitter Paris, une impression entièrement douce, que j′emporterais à Balbec indéfiniment prolongée, intacte, au lieu d′un souvenir mêlé d′anxiété et de tristesse.
Fortunately for myself, if I had been taken in by this speech, our departure, which I believed to be imminent, for Balbec would have prevented my making any attempt to see Mme. Guermantes again, to assure her that I had nothing against her, and so to put her under the necessity of proving that it was she who had something against me. But I had only to remind myself that she had not even offered to let me see her Elstirs. Besides, this was not a disappointment; I had never expected her to begin talking to me about them; I knew that I did not appeal to her, that I need have no hope of ever making her like me; the most that I had been able to look forward to was that, thanks to her kindness, I might there and then receive, since I should not be seeing her again before I left Paris, an entirely pleasing impression, which I could take with me to Balbec indefinitely prolonged, intact, instead of a memory broken by anxiety and sorrow.
A tous moments Mme de Marsantes s′interrompait de causer avec Robert pour me dire combien il lui avait souvent parlé de moi, combien il m′aimait; elle était avec moi d′un empressement qui me faisait presque de la peine parce que je le sentais dicté par la crainte qu′elle avait de faire fâcher ce fils qu′elle n′avait pas encore vu aujourd′hui, avec qui elle était impatiente de se trouver seule, et sur lequel elle croyait donc que l′empire qu′elle exerçait n′égalait pas et devait ménager le mien. M′ayant entendu auparavant demander à Bloch des nouvelles de M. Nissim Bernard, son oncle, Mme de Marsantes s′informa si c′était celui qui avait habité Nice.
Mme. de Marsantes kept on interrupting her conversation with Robert to tell me how often he had spoken to her about me, how fond he was of me; she treated me with a deference which almost hurt me because I felt it to be prompted by her fear of being embroiled, on my account, with this son whom she had not seen all day, with whom she was eager to be alone, and over whom she must accordingly have supposed that the influence which she wielded was not equal to and must conciliate mine. Having heard me, earlier in the afternoon, make some reference to Bloch′s uncle, M. Nissim Bernard, Mme. de Marsantes inquired whether it was he who had at one time lived at Nice.
— Dans ce cas, il y a connu M. de Marsantes avant qu′il m′épousât, avait répondu Mme de Marsantes. Mon mari m′en a souvent parlé comme d′un homme excellent, d′un coeur délicat et généreux.
“In that case, he knew M. de Marsantes there before our marriage,” she told me. “My husband used often to speak of him as an excellent man, with such a delicate, generous nature.”
«Dire que pour une fois il n′avait pas menti, c′est incroyable», eût pensé Bloch.
“To think that for once in his life he wasn′t lying! It′s incredible,” would have been Bloch′s comment.
Tout le temps j′aurais voulu dire à Mme de Marsantes que Robert avait pour elle infiniment plus d′affection que pour moi, et que, m′eût-elle témoigné de l′hostilité, je n′étais pas d′une nature à chercher à le prévenir contre elle, à le détacher d′elle. Mais depuis que Mme de Guermantes était partie, j′étais plus libre d′observer Robert, et je m′aperçus seulement alors que de nouveau une sorte de colère semblait s′être élevée en lui, affleurant à son visage durci et sombre. Je craignais qu′au souvenir de la scène de l′après-midi il ne fût humilié vis-à-vis de moi de s′être laissé traiter si durement par sa maîtresse, sans riposter.
All this time I should have liked to explain to Mme. de Marsantes that Robert felt infinitely more affection for her than for myself, and that had she shewn any hostility towards me it was not in my nature to attempt to set him against her, to detach him from her. But now that Mme. de Guermantes had left the room, I had more leisure to observe Robert, and I noticed then for the first time that, once again, a sort of flood of anger seemed to be coursing through him, rising to the surface of his stern and sombre features. I was afraid lest, remembering the scene in the theatre that afternoon, he might be feeling humiliated in my presence at having allowed himself to be treated so harshly by his mistress without making any rejoinder.
Brusquement il s′arracha d′auprès de sa mère qui lui avait passé un bras autour du cou, et venant à moi m′entraîna derrière le petit comptoir fleuri de Mme de Villeparisis, où celle-ci s′était rassise, puis me fit signe de le suivre dans le petit salon. Je m′y dirigeais assez vivement quand M. de Charlus, qui avait pu croire que j′allais vers la sortie, quitta brusquement M. de Faffenheim avec qui il causait, fit un tour rapide qui l′amena en face de moi. Je vis avec inquiétude qu′il avait pris le chapeau au fond duquel il y avait un G et une couronne ducale. Dans l′embrasure de la porte du petit salon il me dit sans me regarder:
Suddenly he broke away from his mother, who had put her arm round his neck, and, coming towards me, led me behind the little flower-strewn counter at which Mme. de Villeparisis had resumed her seat, making a sign to me to follow him into the smaller room. I was hurrying after him when M. de Charlus, who must have supposed that I was leaving the house, turned abruptly from Prince von Faffenheim, to whom he had been talking, and made a rapid circuit which brought him face to face with me. I saw with alarm that he had taken the hat in the lining of which were a capital ‘G′ and a ducal coronet. In the doorway into the little room he said, without looking at me:
— Puisque je vois que vous allez dans le monde maintenant, faites-moi donc le plaisir de venir me voir. Mais c′est assez compliqué, ajouta-t-il d′un air d′inattention et de calcul, et comme s′il s′était agi d′un plaisir qu′il avait peur de ne plus retrouver une fois qu′il aurait laissé échapper l′occasion de combiner avec moi les moyens de le réaliser. Je suis peu chez moi, il faudrait que vous m′écriviez. Mais j′aimerais mieux vous expliquer cela plus tranquillement. Je vais partir dans un moment. Voulez-vous faire deux pas avec moi? Je ne vous retiendrai qu′un instant.
“As I see that you have taken to going into society, you must do me the pleasure of coming to see me. But it′s a little complicated,” he went on with a distracted, calculating air, as if the pleasure had been one that he was afraid of not securing again once he had let slip the opportunity of arranging with me the means by which it might be realised. “I am very seldom at home; you will have to write to me. But I should prefer to explain things to you more quietly. I am just going. Will you walk a short way with me? I shall only keep you a moment.”
— Vous ferez bien de faire attention, monsieur, lui dis-je. Vous avez pris par erreur le chapeau d′un des visiteurs.
“You′d better take care, sir,” I warned him; “you have picked up the wrong hat by mistake.”
— Vous voulez m′empêcher de prendre mon chapeau?
“Do you want to stop me taking my own hat?”
Je supposai, l′aventure m′étant arrivée à moi-même peu auparavant, que, quelqu′un lui ayant enlevé son, chapeau, il en avait avisé un au hasard pour ne pas rentrer nu-tête, et que je le mettais dans l′embarras en dévoilant sa ruse. Je lui dis qu′il fallait d′abord que je dise quelques mots à Saint–Loup. «Il est en train de parler avec cet idiot de duc de Guermantes, ajoutai-je. — C′est charmant ce que vous dites là, je le dirai à mon frère. — Ah! vous croyez que cela peut intéresser M. de Charlus? (Je me figurais que, s′il avait un frère, ce frère devait s′appeler Charlus aussi. Saint–Loup m′avait bien donné quelques explications là-dessus à Balbec, mais je les avais oubliées.)— Qui est-ce qui vous parle de M. de Charlus? me dit le baron d′un air insolent. Allez auprès de Robert. Je sais que vous avez participé ce matin à un de ces déjeuners d′orgie qu′il a avec une femme qui le déshonore. Vous devriez bien user de votre influence sur lui pour lui faire comprendre le chagrin qu′il cause à sa pauvre mère et à nous tous en traînant notre nom dans la boue».
I assumed, a similar mishap having recently occurred to myself, that someone else having taken his hat he had seized upon one at random, so as not to go home bare-headed, and that I had placed him in a difficulty by exposing his stratagem. I told him that I must say a few words to Saint-Loup. “He is still talking to that idiot the Duc de Guermantes,” I added. “That really is charming; I shall tell my brother.” “Oh! you think that would interest M. de Charlus?” (I imagined that, if he had a brother, that brother must be called Charlus also. Saint-Loup had indeed explained his family tree to me at Balbec, but I had forgotten the details.) “Who has been talking to you about M. de Charlus?” replied the Baron in an arrogant tone. “Go to Robert.” “I hear,” he went on, “that you took part this morning in one of those orgies that he has with a woman who is disgracing him. You would do well to use your influence with him to make him realise the pain he is causing his poor mother, and all of us, by dragging our name in the dirt.”
J′aurais voulu répondre qu′au déjeuner avilissant on n′avait parlé que d′Emerson, d′Ibsen, de Tolstoíª et que la jeune femme avait prêché Robert pour qu′il ne bût que de l′eau; afin de tâcher d′apporter quelque baume à Robert de qui je croyais la fierté blessée, je cherchai à excuser sa maîtresse. Je ne savais pas qu′en ce moment, malgré sa colère contre elle, c′était à lui-même qu′il adressait des reproches. Même dans les querelles entre un bon et une méchante et quand le droit est tout entier d′un côté, il arrive toujours qu′il y a une vétille qui peut donner à la méchante l′apparence de n′avoir pas tort sur un point. Et comme tous les autres points, elle les néglige, pour peu que le bon ait besoin d′elle, soit démoralisé par la séparation, son affaiblissement le rendra scrupuleux, il se rappellera les reproches absurdes qui lui ont été faits et se demandera s′ils n′ont pas quelque fondement.
I should have liked to reply that at this degrading luncheon the conversation had been entirely about Emerson, Ibsen and Tolstoy, and that the young woman had lectured Robert to make him drink nothing but water. In the hope of bringing some balm to Robert, whose pride had, I felt, been wounded, I sought to find an excuse for his mistress. I did not know that at that moment, in spite of his anger with her, it was on himself that he was heaping reproaches. But it always happens, even in quarrels between a good man and a worthless woman, and when the right is all on one side, that some trifle crops up which enables the woman to appear not to have been in the wrong on one point. And as she ignores all the other points, the moment the man begins to feel the need of her company, or is demoralised by separation from her, his weakness will make his conscience more exacting, he will remember the absurd reproaches that have been flung at him and will ask himself whether they have not some foundation in fact.
— Je crois que j′ai eu tort dans cette affaire du collier, me dit Robert. Bien sûr je ne l′avais pas fait dans une mauvaise intention, mais je sais bien que les autres ne se mettent pas au même point de vue que nous-même. Elle a eu une enfance très dure. Pour elle je suis tout de même le riche qui croit qu′on arrive à tout par son argent, et contre lequel le pauvre ne peut pas lutter, qu′il s′agisse d′influencer Boucheron ou de gagner un procès devant un tribunal. Sans doute elle a été bien cruelle; moi qui n′ai jamais cherché que son bien. Mais, je me rends bien compte, elle croit que j′ai voulu lui faire sentir qu′on pouvait la tenir par l′argent, et ce n′est pas vrai. Elle qui m′aime tant, que doit-elle se dire! Pauvre chérie; si tu savais, elle a de telles délicatesses, je ne peux pas te dire, elle a souvent fait pour moi des choses adorables. Ce qu′elle doit être malheureuse en ce moment! En tout cas, quoi qu′il arrive je ne veux pas qu′elle me prenne pour un mufle, je cours chez Boucheron chercher le collier. Qui sait? peut-être en voyant que j′agis ainsi reconnaîtra-t-elle ses torts. Vois-tu, c′est l′idée qu′elle souffre en ce moment que je ne peux pas supporter! Ce qu′on souffre, soi, on le sait, ce n′est rien. Mais elle, se dire qu′elle souffre et ne pas pouvoir se le représenter, je crois que je deviendrais fou, j′aimerais mieux ne la revoir jamais que de la laisser souffrir. Qu′elle soit heureuse sans moi s′il le faut, c′est tout ce que je demande. Écoute, tu sais, pour moi, tout ce qui la touche c′est immense, cela prend quelque chose de cosmique; je cours chez le bijoutier et après cela lui demander pardon. Jusqu′à ce que je sois là-bas, qu′est-ce qu′elle va pouvoir penser de moi? Si elle savait seulement que je vais venir! A tout hasard tu pourras venir chez elle; qui sait, tout s′arrangera peut-être. Peut-être, dit-il avec un sourire, comme n′osant croire à un tel rêve, nous irons dîner tous les trois à la campagne. Mais on ne peut pas savoir encore, je sais si mal la prendre; pauvre petite, je vais peut-être encore la blesser. Et puis sa décision est peut-être irrévocable.
“I′ve come to the conclusion I was wrong about that matter of the necklace,” Robert said to me. “Of course, I never meant for a moment to do anything wrong, but, I know very well, other people don′t look at things in the same way as oneself. She had a very hard time when she was young. In her eyes, I was bound to appear just the rich man who thinks he can get anything he wants with his money, and with whom a poor person cannot compete, whether in trying to influence Boucheron or in a lawsuit. Of course she has been horribly cruel to me, when I have never thought of anything but her good. But I do see clearly, she believes that I wanted to make her feel that one could keep a hold on her with money, and that′s not true. And she′s so fond of me; what must she be thinking of me? Poor darling, if you only knew, she has such charming ways, I simply can′t tell you, she has often done the most adorable things for me. How wretched she must be feeling now! In any case, whatever happens in the long run, I don′t want to let her think me a cad; I shall dash off to Boucheron′s and get the necklace. You never know; very likely when she sees me with it, she will admit that she′s been in the wrong. Don′t you see, it′s the idea that she is suffering at this moment that I can′t bear. What one suffers oneself one knows; that′s nothing. But with her — to say to oneself that she′s suffering and not to be able to form any idea of what she feels — I think I shall go mad in a minute — I′d much rather never see her again than let her suffer. She can be happy without me, if she must; that′s all I ask. Listen; you know, to me everything that concerns her is enormously important, it becomes something cosmic; I shall run to the jeweller′s and then go and ask her to forgive me. But until I get down there what will she be thinking of me? If she could only know that I was on my way! What about your going down there and telling her? For all we know, that might settle the whole business. Perhaps,” he went on with a smile, as though he hardly ventured to believe in so idyllic a possibility, “we can all three dine together in the country. But we can′t tell yet. I never know how to handle her. Poor child. I shall perhaps only hurt her more than ever. Besides, her decision may be irrevocable.”
Robert m′entraîna brusquement vers sa mère.
Robert swept me back to his mother.
— Adieu, lui dit-il; je suis forcé de partir. Je ne sais pas quand je reviendrai en permission, sans doute pas avant un mois. Je vous l′écrirai dès que je le saurai.
“Good-bye,” he said to her. “I′ve got to go now. I don′t know when I shall get leave again. Probably not for a month. I shall write as soon as I know myself.”
Certes Robert n′était nullement de ces fils qui, quand ils sont dans le monde avec leur mère, croient qu′une attitude exaspérée à son égard doit faire contrepoids aux sourires et aux saluts qu′ils adressent aux étrangers. Rien n′est plus répandu que cette odieuse vengeance de ceux qui semblent croire que la grossièreté envers les siens complète tout naturellement la tenue de cérémonie. Quoi que la pauvre mère dise, son fils, comme s′il avait été emmené malgré lui et voulait faire payer cher sa présence, contrebat immédiatement d′une contradiction ironique, précise, cruelle, l′assertion timidement risquée; la mère se range aussitôt, sans le désarmer pour cela, à l′opinion de cet être supérieur qu′elle continuera à vanter à chacun, en son absence, comme une nature délicieuse, et qui ne lui épargne pourtant aucun de ses traits les plus acérés. Saint–Loup était tout autre, mais l′angoisse que provoquait l′absence de Rachel faisait que, pour des raisons différentes, il n′était pas moins dur avec sa mère que ne le sont ces fils-là avec la leur. Et aux paroles qu′il prononça je vis le même battement, pareil à celui d′une aile, que Mme de Marsantes n′avait pu réprimer à l′arrivée de son fils, la dresser encore tout entière; mais maintenant c′était un visage anxieux, des yeux désolés qu′elle attachait sur lui.
Certainly Robert was not in the least of the type of son who, when he goes out with his mother, feels that an attitude of exasperation towards her ought to balance the smiles and bows which he bestows on strangers. Nothing is more common than this odious form of vengeance on the part of those who appear to believe that rudeness to one′s own family is the natural complement to one′s ceremonial behaviour. Whatever the wretched mother may say, her son, as though he had been taken to the house against his will and wished to make her pay dearly for his presence, refutes immediately, with an ironical, precise, cruel contradiction, the timidly ventured assertion; the mother at once conforms, though without thereby disarming him, to the opinion of this superior being of whom she will continue to boast to everyone, when he is not present, as having a charming nature, and who all the same spares her none of his keenest thrusts. Saint-Loup was not at all like this; but the anguish which Rachel′s absence provoked in him brought it about that, for different reasons, he was no less harsh with his mother than the sons I have been describing are with theirs. And as she listened to him I saw the same throb, like that of a mighty wing, which Mme. de Marsantes had been unable to repress when her son first entered the room, convulse her whole body once again; but this time it was an anxious face, eyes wide with grief that she fastened on him.
— Comment, Robert, tu t′en vas? c′est sérieux? mon petit enfant! le seul jour où je pouvais t′avoir!
“What, Robert, you′re going away? Seriously? My little son! The one day I′ve seen anything of you!”
Et presque bas, sur le ton le plus naturel, d′une voix d′où elle s′efforçait de bannir toute tristesse pour ne pas inspirer à son fils une pitié qui eût peut-être été cruelle pour lui, ou inutile et bonne seulement à l′irriter, comme un argument de simple bon sens elle ajouta:
And then quite softly, in the most natural tone, in a voice from which she strove to banish all sadness so as not to inspire her son with a pity which would perhaps have been painful to him, or else useless and might serve only to irritate him, like an argument prompted by plain common sense she added:
— Tu sais que ce n′est pas gentil ce que tu fais là.
“You know, it′s not at all nice of you.”
Mais à cette simplicité elle ajoutait tant de timidité pour lui montrer qu′elle n′entreprenait pas sur sa liberté, tant de tendresse pour qu′il ne lui reprochât pas d′entraver ses plaisirs, que Saint–Loup ne put pas ne pas apercevoir en lui-même comme la possibilité d′un attendrissement, c′est-à-dire un obstacle à passer la soirée avec son amie. Aussi se mit-il en colère:
But to this simplicity she added so much timidity, to shew him that she was not trespassing on his freedom, so much affection, so that he should not reproach her with spoiling his pleasures, that Saint-Loup could not fail to observe in himself as it were the possibility of a similar wave of affection, that was to say an obstacle to his spending the evening with his lady. And so he grew angry.
— C′est regrettable, mais gentil ou non, c′est ainsi.
“It′s unfortunate, but, nice or not, that′s how it is.”
Et il fit à sa mère les reproches que sans doute il se sentait peut-être mériter; c′est ainsi que les égoî²´es ont toujours le dernier mot; ayant posé d′abord que leur résolution est inébranlable, plus le sentiment auquel on fait appel en eux pour qu′ils y renoncent est touchant, plus ils trouvent condamnables, non pas eux qui y résistent, mais ceux qui les mettent dans la nécessité d′y résister, de sorte que leur propre dureté peut aller jusqu′à la plus extrême cruauté sans que cela fasse à leurs yeux qu′aggraver d′autant la culpabilité de l′être assez indélicat pour souffrir, pour avoir raison, et leur causer ainsi lâchement la douleur d′agir contre leur propre pitié. D′ailleurs, d′elle-même Mme de Marsantes cessa d′insister, car elle sentait qu′elle ne le retiendrait plus.
And he heaped on his mother the reproaches which no doubt he felt that he himself perhaps deserved; thus it is that egoists have always the last word; having laid down at the start that their determination is unshakeable, the more the sentiment in them to which one appeals to make them abandon it is touched, the more fault they find, not with themselves who resist the appeal but with those persons who put them under the necessity of resisting it, with the result that their own firmness may be carried to the utmost degree of cruelty, which only aggravates all the more in their eyes the culpability of the person who is so indelicate as to be hurt, to be in the right, and to cause them thus treacherously the pain of acting against their natural instinct of pity. But of her own accord Mme. de Marsantes ceased to insist, for she felt that she would not be able to keep him.
— Je te laisse, me dit-il, mais, maman, ne le gardez pas longtemps parce qu′il faut qu′il aille faire une visite tout à l′heure.
“I shall leave you here,” he said to me, “but you′re not to keep him long, Mamma, because he′s got to go somewhere else in a minute.”
Je sentais bien que ma présence ne pouvait faire aucun plaisir à Mme de Marsantes, mais j′aimais mieux, en ne partant pas avec Robert, qu′elle ne crût pas que j′étais mêlé à ces plaisirs qui la privaient de lui. J′aurais voulu trouver quelque excuse à la conduite de son fils, moins par affection pour lui que par pitié pour elle. Mais ce fut elle qui parla la première:
I was fully aware that my company could not afford any pleasure to Mme. de Marsantes, but I preferred, by not going with Robert, not to let her suppose that I was involved in these pleasures which deprived her of him. I should have liked to find some excuse for her son′s conduct, less from affection for him than from pity tor her. But it was she who spoke first.
— Pauvre petit, me dit-elle, je suis sûre que je lui ai fait de la peine. Voyez-vous, monsieur, les mères sont très égoî²´es; il n′a pourtant pas tant de plaisirs, lui qui vient si peu à Paris. Mon Dieu, s′il n′était pas encore parti, j′aurais voulu le rattraper, non pas pour le retenir certes, mais pour lui dire que je ne lui en veux pas, que je trouve qu′il a eu raison. Cela ne vous ennuie pas que je regarde sur l′escalier?
“Poor boy,” she began, “I am sure I must have hurt him dreadfully. You see, Sir, mothers are such selfish creatures, after all he hasn′t many pleasures, he comes so little to Paris. Oh, dear, if he hadn′t gone already I should have liked to stop him, not to keep him of course, but just to tell him that I′m not vexed with him, that I think he was quite right. Will you excuse me if I go and look over the staircase?”
Et nous allâmes jusque-là:
I accompanied her there.
— Robert! Robert! cria-t-elle. Non, il est parti, il est trop tard.
“Robert! Robert!” she called. “No; he′s gone; we are too late.”
Maintenant je me serais aussi volontiers chargé d′une mission pour faire rompre Robert et sa maîtresse qu′il y a quelques heures pour qu′il partît vivre tout à fait avec elle. Dans un cas Saint–Loup m′eût jugé un ami traître, dans l′autre cas sa famille m′eût appelé son mauvais génie. J′étais pourtant le même homme à quelques heures de distance.
At that moment I would as gladly have undertaken a mission to make Robert break with his mistress as, a few hours earlier, to make him go and live with her altogether. In one case Saint-Loup would have regarded me as a false friend, in the other his family would have called me his evil genius. Yet I was the same man, at an interval of a few hours.
Nous rentrâmes dans le salon. En ne voyant pas rentrer Saint–Loup, Mme de Villeparisis échangea avec M. de Norpois ce regard dubitatif, moqueur, et sans grande pitié qu′on a en montrant une épouse trop jalouse ou une mère trop tendre (lesquelles donnent aux autres la comédie) et qui signifie: «Tiens, il a dû y avoir de l′orage.»
We returned to the drawing-room. Seeing that Saint-Loup was not with us, Mme. de Villeparisis exchanged with M. de Norpois that dubious, derisive and not too pitying glance with which people point out to one another an over-jealous wife or an over-loving mother (spectacles which to outsiders are amusing), as much as to say: “There now, there′s been trouble.”
Robert alla chez sa maîtresse en lui apportant le splendide bijou que, d′après leurs conventions, il n′aurait pas dû lui donner. Mais d′ailleurs cela revint au même car elle n′en voulut pas, et même, dans la suite, il ne réussit jamais à le lui faire accepter. Certains amis de Robert pensaient que ces preuves de désintéressement qu′elle donnait étaient un calcul pour se l′attacher. Pourtant elle ne tenait pas à l′argent, sauf peut-être pour pouvoir le dépenser sans compter. Je lui ai vu faire à tort et à travers, à des gens qu′elle croyait pauvres, des charités insensées. «En ce moment, disaient à Robert ses amis pour faire contrepoids par leurs mauvaises paroles à un acte de désintéressement de Rachel, en ce moment elle doit être au promenoir des Folies–Bergère. Cette Rachel, c′est une énigme, un véritable sphinx.» Au reste combien de femmes intéressées, puisqu′elles sont entretenues, ne voit-on pas, par une délicatesse qui fleurit au milieu de cette existence, poser elles-mêmes mille petites bornes à la générosité de leur amant!
Robert went to his mistress, taking with him the splendid ornament which, after what had been said on both sides, he ought not to have given her. But it came to the same thing, for she would not look at it, and even after their reconciliation he could never persuade her to accept it. Certain of Robert′s friends thought that these proofs of disinterestedness which she furnished were deliberately planned to draw him closer to her. And yet she was not greedy about money, except perhaps to be able to spend it without thought. I have seen her bestow recklessly on people whom she believed to be in need the most insensate charity. “At this moment,” Robert′s friends would say to him, seeking to balance by their malicious words a disinterested action on Rachel′s part, “at this moment she will be in the promenade at the Folies-Bergères. She′s an enigma, that girl is, a regular sphinx.” After all, how many women who are not disinterested, since they are kept by men, have we not seen, with a delicacy that flowers from their sordid existence, set with their own hands a thousand little limits to the generosity of their lovers?
Robert ignorait presque toutes les infidélités de sa maîtresse et faisait travailler son esprit sur ce qui n′était que des riens insignifiants auprès de la vraie vie de Rachel, vie qui ne commençait chaque jour que lorsqu′il venait de la quitter. Il ignorait presque toutes ces infidélités. On aurait pu les lui apprendre sans ébranler sa confiance en Rachel. Car c′est une charmante loi de nature, qui se manifeste au sein des sociétés les plus complexes, qu′on vive dans l′ignorance parfaite de ce qu′on aime. D′un côté du miroir, l′amoureux se dit: «C′est un ange, jamais elle ne se donnera à moi, je n′ai plus qu′à mourir, et pourtant elle m′aime; elle m′aime tant que peut-être . . . mais non ce ne sera pas possible.» Et dans l′exaltation de son désir, dans l′angoisse de son attente, que de bijoux il met aux pieds de cette femme, comme il court emprunter de l′argent pour lui éviter un souci! cependant, de l′autre côté de la cloison, à travers laquelle ces conversations ne passeront pas plus que celles qu′échangent les promeneurs devant un aquarium, le public dit: «Vous ne la connaissez pas? je vous en félicite, elle a volé, ruiné je ne sais pas combien de gens, il n′y a pas pis que ça comme fille. C′est une pure escroqueuse. Et roublarde!» Et peut-être le public n′a-t-il pas absolument tort en ce qui concerne cette dernière épithète, car même l′homme sceptique qui n′est pas vraiment amoureux de cette femme et à qui elle plaît seulement dit à ses amis: «Mais non, mon cher, ce n′est pas du tout une cocotte; je ne dis pas que dans sa vie elle n′ait pas eu deux ou trois caprices, mais ce n′est pas une femme qu′on paye, ou alors ce serait trop cher. Avec elle c′est cinquante mille francs ou rien du tout.» Or, lui, a dépensé cinquante mille francs pour elle, il l′a eue une fois, mais elle, trouvant d′ailleurs pour cela un complice chez lui-même, dans la personne de son amour-propre, elle a su lui persuader qu′il était de ceux qui l′avaient eue pour rien. Telle est la société, où chaque être est double, et où le plus percé à jour, le plus mal famé, ne sera jamais connu par un certain autre qu′au fond et sous la protection d′une coquille, d′un doux cocon, d′une délicieuse curiosité naturelle. Il y avait à Paris deux honnêtes gens que Saint–Loup ne saluait plus et dont il ne parlait pas sans que sa voix tremblât, les appelant exploiteurs de femmes: c′est qu′ils avaient été ruinés par Rachel.
Robert knew of scarcely any of the infidelities of his mistress, and tortured his mind over what were mere nothings compared with the real life of Rachel, a life which began every day only after he had left her. He knew of scarcely any of these infidelities. One could have told him of them without shaking his confidence in Rachel. For it is a charming law of nature which manifests itself in the heart of the most complex social organisms, that we live in perfect ignorance of those we love. On one side of the mirror the lover says to himself: “She is an angel, she will never yield herself to me, I may as well die — and yet she does care for me; she cares so much that perhaps — but no, it can never possibly happen.” And in the exaltation of his desire, in the anguish of waiting, what jewels he flings at the feet of this woman, how he runs to borrow money to save her from inconvenience; meanwhile, on the other side of the screen, through which their conversation will no more carry than that which visitors exchange outside the glass wall of an aquarium, the public are saying: “You don′t know her? I congratulate you, she has robbed, in fact ruined I don′t know how many men. There isn′t a worse girl in Paris. She′s a common swindler. And cunning isn′t the word!” And perhaps the public are not entirely wrong in their use of the last epithet, for indeed the sceptical man who is not really in love with the woman and whom she merely attracts says to his friends: “No, no, my dear fellow, she is not in the least a prostitute; I don′t say she hasn′t had an adventure or two in her time, but she′s not a woman one pays, she′d be a damned sight too expensive if she was. With her it′s fifty thousand francs or nothing.” Well, he has spent fifty thousand francs on her, he has had her once, but she (finding, moreover, a willing accomplice in the man himself) has managed to persuade him that he is one of those who have had her for nothing. Such is society, in which every one of us has two aspects, in which the most obvious, the most notorious faults will never be known by a certain other person save embedded in, under the protection of a shell, a smooth cocoon, a delicious curiosity of nature. There were in Paris two thoroughly respectable men to whom Saint-Loup no longer bowed, and could not refer without a tremor in his voice, calling them exploiters of women: this was because they had both been ruined by Rachel.
— Je ne me reproche qu′une chose, me dit tout bas Mme de Marsantes, c′est de lui avoir dit qu′il n′était pas gentil. Lui, ce fils adorable, unique, comme il n′y en a pas d′autres, pour la seule fois où je le vois, lui avoir dit qu′il n′était pas gentil, j′aimerais mieux avoir reçu un coup de bâton, parce que je suis certaine que, quelque plaisir qu′il ait ce soir, lui qui n′en a pas tant, il lui sera gâté par cette parole injuste. Mais, Monsieur, je ne vous retiens pas, puisque vous êtes pressé.
“I blame myself for one thing only,” Mme. de Marsantes murmured in my ear, “and that was my telling him that he wasn′t nice to me. He, such an adorable, unique son, there′s no one else like him in the world, the only time I see him, to have told him he wasn′t nice to me, I would far rather he′d beaten me, because I am sure that whatever pleasure he may be having this evening, and he hasn′t many, will be spoiled for him by that unfair word. But, Sir, I mustn′t keep you, since you′re in a hurry.”
Mme de Marsantes me dit au revoir avec anxiété. Ces sentiments se rapportaient à Robert, elle était sincère. Mais elle cessa de l′être pour redevenir grande dame:
Anxiously, Mme. de Marsantes bade me good-bye. These sentiments bore upon Robert; she was sincere. But she ceased to be, to become a great lady once more.
— J′ai été intéressée, si heureuse[/i.>, de causer un peu avec vous. Merci! merci!
“I have been so interested, so glad to have this little talk with you. Thank you! Thank you!”
Et d′un air humble elle attachait sur moi des regards reconnaissants, enivrés, comme si ma conversation était un des plus grands plaisirs qu′elle eût connus dans la vie. Ces regards charmants allaient fort bien avec les fleurs noires sur la robe blanche à ramages; ils étaient d′une grande dame qui sait son métier.
And with a humble air she fastened on me a look of gratitude, of exhilaration, as though my conversation were one of the keenest pleasures that she had experienced in her life. These charming glances went very well with the black flowers on her white skirt; they were those of a great lady who knew her business.
— Mais, je ne suis pas pressé, Madame, répondis-je; d′ailleurs j′attends M. de Charlus avec qui je dois m′en aller.
“But I am in no hurry,” I replied; “besides, I must wait for M. de Charlus; I am going with him.”
Mme de Villeparisis entendit ces derniers mots. Elle en parut contrariée. S′il ne s′était agi d′une chose qui ne pouvait intéresser un sentiment de cette nature, il m′eût paru que ce qui me semblait en alarme à ce moment-là chez Mme de Villeparisis, c′était la pudeur. Mais cette hypothèse ne se présenta même pas à mon esprit. J′étais content de Mme de Guermantes, de Saint–Loup, de Mme de Marsantes, de M. de Charlus, de Mme de Villeparisis, je ne réfléchissais pas, et je parlais gaiement à tort et à travers.
Mme. de Villeparisis overheard these last words. They appeared to vex her. Had the matter in question not been one which could not possibly give rise to such a sentiment, it might have struck me that what seemed to be at that moment alarmed in Mme. de Villeparisis was her modesty. But this hypothesis never even entered my mind. I was delighted with Mme. de Guermantes, with Saint-Loup, with Mme. de Marsantes, with M. de Charlus, with Mme. de Villeparisis; I did not stop to reflect, and I spoke light-heartedly and at random.
— Vous devez partir avec mon neveu Palamède? me dit-elle.
“You′re going from here with my nephew Palamède?” she asked me.
Pensant que cela pouvait produire une impression très favorable sur Mme de Villeparisis que je fusse lié avec un neveu qu′elle prisait si fort: «Il m′a demandé de revenir avec lui, répondis-je avec joie. J′en suis enchanté. Du reste nous sommes plus amis que vous ne croyez, Madame, et je suis décidé à tout pour que nous le soyons davantage.»
Thinking that it might produce a highly favourable impression on Mme. de Villeparisis if she learned that I was on intimate terms with a nephew whom she esteemed so greatly, “He has asked me to go home with him,” I answered blithely. “I am so glad. Besides, we are greater friends than you think, and I′ve quite made up my mind that we′re going to be better friends still.”
De contrariée, Mme de Villeparisis sembla devenue soucieuse: «Ne l′attendez pas, me dit-elle d′un air préoccupé, il cause avec M. de Faffenheim. Il ne pense déjà plus à ce qu′il vous a dit. Tenez, partez, profitez vite pendant qu′il a le dos tourné.»
>From being vexed, Mme. de Villeparisis seemed to have grown anxious. “Don′t wait for him,” she said to me, with a preoccupied air. “He is talking to M. de Faffenheim. He′s certain to have forgotten what he said to you. You′d much better go, now, quickly, while his back is turned.”
Ce premier émoi de Mme de Villeparisis eût ressemblé, n′eussent été les circonstances, à celui de la pudeur. Son insistance, son opposition auraient pu, si l′on n′avait consulté que son visage, paraître dictées par la vertu. Je n′étais, pour ma part, guère pressé d′aller retrouver Robert et sa maîtresse. Mais Mme de Villeparisis semblait tenir tant à ce que je partisse que, pensant peut-être qu′elle avait à causer d′affaire importante avec son neveu, je lui dis au revoir. A côté d′elle M. de Guermantes, superbe et olympien, était lourdement assis. On aurait dit que la notion omniprésente en tous ses membres de ses grandes richesses lui donnait une densité particulièrement élevée, comme si elles avaient été fondues au creuset en un seul lingot humain, pour faire cet homme qui valait si cher. Au moment où je lui dis au revoir, il se leva poliment de son siège et je sentis la masse inerte de trente millions que la vieille éducation française faisait mouvoir, soulevait, et qui se tenait debout devant moi. Il me semblait voir cette statue de Jupiter Olympien que Phidias, dit-on, avait fondue tout en or. Telle était la puissance que la bonne éducation avait sur M. de Guermantes, sur le corps de M. de Guermantes du moins, car elle ne régnait pas aussi en maîtresse sur l′esprit du duc. M. de Guermantes riait de ses bons mots, mais ne se déridait pas à ceux des autres.
The first emotion shewn by Mme. de Villeparisis would have suggested, but for the circumstances, offended modesty. Her insistence, her opposition might well, if one had studied her face alone, have appeared to be dictated by virtue. I was not, myself, in any hurry to join Robert and his mistress. But Mme. de Villeparisis seemed to make such a point of my going that, thinking perhaps that she had some important business to discuss with her nephew, I bade her good-bye. Next to her M. de Guermantes, superb and Olympian, was ponderously seated. One would have said that the notion omnipresent in all his members, of his vast riches gave him a particular high density, as though they had been melted in a crucible into a single human ingot to form this man whose value was so immense. At the moment of my saying good-bye to him he rose politely from his seat, and I could feel the dead weight of thirty millions which his old-fashioned French breeding set in motion, raised, until it stood before me. I seemed to be looking at that statue of Olympian Zeus which Phidias is said to have cast in solid gold. Such was the power that good breeding had over M. de Guermantes over the body of M. de Guermantes at least, for it had not an equal mastery over the ducal mind. M. de Guermantes laughed at his own jokes, but did not unbend to other people′s.
Dans l′escalier, j′entendis derrière moi une voix qui m′interpellait:
As I went downstairs I heard behind me a voice calling out to me:
— Voilà comme vous m′attendez, Monsieur. C′était M. de Charlus.
“So this is how you wait for me, is it?” It was M. de Charlus.
— Cela vous est égal de faire quelques pas à pied? me dit-il sèchement, quand nous fûmes dans la cour. Nous marcherons jusqu′à ce que j′aie trouvé un fiacre qui me convienne.
“You don′t mind if we go a little way on foot?” he asked dryly, when we were in the courtyard. “We can walk until I find a cab that suits me.”
— Vous vouliez me parler de quelque chose, Monsieur?
“You wished to speak to me about something, Sir?”
— Ah! voilà, en effet, j′avais certaines choses à vous dire, mais je ne sais trop si je vous les dirai. Certes je crois qu′elles pourraient être pour vous le point de départ d′avantages inappréciables. Mais j′entrevois aussi qu′elles amèneraient dans mon existence, à mon âge où on commence à tenir à la tranquillité, bien des pertes de temps, bien des dérangements. Je me demande si vous valez la peine que je me donne pour vous tout ce tracas, et je n′ai pas le plaisir de vous connaître assez pour en décider. Peut-être aussi n′avez-vous pas de ce que je pourrais faire pour vous un assez grand désir pour que je me donne tant d′ennuis, car je vous le répète très franchement, Monsieur, pour moi ce ne peut être que de l′ennui.
“Oh yes, as a matter of fact there were some things I wished to say to you, but I am not so sure now whether I shall. As far as you are concerned, I am sure that they might be the starting-point which would lead you to inestimable benefits. But I can see also that they would bring into my existence, at an age when one begins to value tranquillity, a great loss of time, great inconvenience. I ask myself whether you are worth all the pains that I should have to take with you, and I have not the pleasure of knowing you well enough to be able to say. Perhaps also to you yourself what I could do for you does not appear sufficiently attractive for me to give, myself so much trouble, for I repeat quite frankly that for me it can only be trouble.”
Je protestai qu′alors il n′y fallait pas songer. Cette rupture des pourparlers ne parut pas être de son goût.
I protested that, in that case, he must not dream of it. This summary end to the discussion did not seem to be to his liking.
— Cette politesse ne signifie rien, me dit-il d′un ton dur. Il n′y a rien de plus agréable que de se donner de l′ennui pour une personne qui en vaille le peine. Pour les meilleurs d′entre nous, l′étude des arts, le goût de la brocante, les collections, les jardins, ne sont que des ersatz, des succédanés, des alibis. Dans le fond de notre tonneau, comme Diogène, nous demandons un homme. Nous cultivons les bégonias, nous taillons les ifs, par pis aller, parce que les ifs et les bégonias se laissent faire. Mais nous aimerions donner notre temps à un arbuste humain, si nous étions sûrs qu′il en valût la peine. Toute la question est là; vous devez vous connaître un peu. Valez-vous la peine ou non?
“That sort of politeness means nothing,” he rebuked me coldly. “There is nothing so pleasant as to give oneself trouble for a person who is worth one′s while. For the best of us, the study of the arts, a taste for old things, collections, gardens are all mere ersatz, succedanea, alibis. In the heart of our tub, like Diogenes, we cry out for a man. We cultivate begonias, we trim yews, as a last resort, because yews and begonias submit to treatment. But we should like to give our time to a plant of human growth, if we were sure that he was worth the trouble. That is the whole question: you must know something about yourself. Are you worth my trouble or not?”
— Je ne voudrais, Monsieur, pour rien au monde, être pour vous une cause de soucis, lui dis-je, mais quant à mon plaisir, croyez bien que tout ce qui me viendra de vous m′en causera un très grand. Je suis profondément touché que vous veuillez bien faire ainsi attention à moi et chercher à m′être utile.
“I would not for anything in the world, Sir, be a cause of anxiety to you,” I said to him, “but so far as I am concerned you may be sure that everything which comes to me from you will be a very great pleasure to me. I am deeply touched that you should be so kind as to take notice of me in this way and try to help me.”
A mon grand étonnement ce fut presque avec effusion qu′il me remercia de ces paroles. Passant son bras sous le mien avec cette familiarité intermittente qui m′avait déjà frappé à Balbec et qui contrastait avec la dureté de son accent:
Greatly to my surprise, it was almost with effusion that he thanked me for this speech, slipping his arm through mine with that intermittent familiarity which had already struck me at Balbec, and was in such contrast to the coldness of his tone.
— Avec l′inconsidération de votre âge, me dit-il, vous pourriez parfois avoir des paroles capables de creuser un abîme infranchissable entre nous. Celles que vous venez de prononcer au contraire sont du genre qui est justement capable de me toucher et de me faire faire beaucoup pour vous.
“With the want of consideration common at your age,” he told me, “you are liable to say things at times which would open an unbridgeable gulf between us. What you have said just now, on the other hand, is exactly the sort of thing that touches me, and makes me want to do a great deal for you.”
Tout en marchant bras dessus bras dessous avec moi et en me disant ces paroles qui, bien que mêlées de dédain, étaient si affectueuses, M. de Charlus tantôt fixait ses regards sur moi avec cette fixité intense, cette dureté perçante qui m′avaient frappé le premier matin où je l′avais aperçu devant le casino à Balbec, et même bien des années avant, près de l′épinier rose, à côté de Mme Swann que je croyais alors sa maîtresse, dans le parc de Tansonville; tantôt il les faisait errer autour de lui et examiner les fiacres, qui passaient assez nombreux à cette heure de relais, avec tant d′insistance que plusieurs s′arrêtèrent, le cocher ayant cru qu′on voulait le prendre. Mais M. de Charlus les congédiait aussitôt.
As he walked arm in arm with me and uttered these words, which, albeit tinged with contempt, were so affectionate, M. de Charlus now fastened his gaze on me with that intense fixity which had struck me the first morning, when I saw him outside the casino at Balbec, and indeed many years before that, through the pink hawthorns, standing beside Mme. Swann, whom I supposed then to be his mistress, in the park at Tansonville; now let it stray around him and examine the cabs which at this time of the day were passing in considerable numbers on the way to their stables, looking so determinedly at them that several stopped, the drivers supposing that he wished to engage them. But M. de Charlus immediately dismissed them.
— Aucun ne fait mon affaire, me dit-il, tout cela est une question de lanternes, du quartier où ils rentrent. Je voudrais, Monsieur, me dit-il, que vous ne puissiez pas vous méprendre sur le caractère purement désintéressé et charitable de la proposition que je vais vous adresser.
“They′re not what I want,” he explained to me, “it′s all a question of the colour of their lamps, and the direction they′re going in. I hope, Sir,” he went on, “that you will not in any way misinterpret the purely disinterested and charitable nature of the proposal which I am going to make to you.”
J′étais frappé combien sa diction ressemblait à celle de Swann encore plus qu′à Balbec.
I was struck by the similarity of his diction to Swann′s, closer now than at Balbec.
— Vous êtes assez intelligent, je suppose, pour ne pas croire que c′est par «manque de relations», par crainte de la solitude et de l′ennui, que je m′adresse à vous. Je n′aime pas beaucoup à parler de moi, Monsieur, mais enfin, vous l′avez peut-être appris, un article assez retentissant du Times y a fait allusion, l′empereur d′Autriche, qui m′a toujours honoré de sa bienveillance et veut bien entretenir avec moi des relations de cousinage, a déclaré naguère dans un entretien rendu public que, si M. le comte de Chambord avait eu auprès de lui un homme possédant aussi à fond que moi les dessous de la politique européenne, il serait aujourd′hui roi de France. J′ai souvent pensé, Monsieur, qu′il y avait en moi, du fait non de mes faibles dons mais de circonstances que vous apprendrez peut-être un jour, un trésor d′expérience, une sorte de dossier secret et inestimable, que je n′ai pas cru devoir utiliser personnellement, mais qui serait sans prix pour un jeune homme à qui je livrerais en quelques mois ce que j′ai mis plus de trente ans à acquérir et que je suis peut-être seul à posséder. Je ne parle pas des jouissances intellectuelles que vous auriez à apprendre certains secrets qu′un Michelet de nos jours donnerait des années de sa vie pour connaître et grâce auxquels certains événements prendraient à ses yeux un aspect entièrement différent. Et je ne parle pas seulement des événements accomplis, mais de l′enchaînement de circonstances (c′était une des expressions favorites de M. de Charlus et souvent, quand il la prononçait, il conjoignait ses deux mains comme quand on veut prier, mais les doigts raides et comme pour faire comprendre par ce complexus ces circonstances qu′il ne spécifiait pas et leur enchaînement). Je vous donnerais une explication inconnue non seulement du passé, mais de l′avenir. M. de Charlus s′interrompit pour me poser des questions sur Bloch dont on avait parlé sans qu′il eût l′air d′entendre, chez Mme de Villeparisis. Et de cet accent dont il savait si bien détacher ce qu′il disait qu′il avait l′air de penser à toute autre chose et de parler machinalement par simple politesse; il me demanda si mon camarade était jeune, était beau, etc. Bloch, s′il l′eût entendu, eût été plus en peine encore que pour M. de Norpois, mais à cause de raisons bien différentes, de savoir si M. de Charlus était pour ou contre Dreyfus. «Vous n′avez pas tort, si vous voulez vous instruire, me dit M. de Charlus après m′avoir posé ces questions sur Bloch, d′avoir parmi vos amis quelques étrangers.» Je répondis que Bloch était Français. «Ah! dit M. de Charlus, j′avais cru qu′il était Juif.» La déclaration de cette incompatibilité me fit croire que M. de Charlus était plus antidreyfusard qu′aucune des personnes que j′avais rencontrées; Il protesta au contraire contre l′accusation de trahison portée contre Dreyfus. Mais ce fut sous cette forme: «Je crois que les journaux disent que Dreyfus a commis un crime contre sa patrie, je crois qu′on le dit, je ne fais pas attention aux journaux, je les lis comme je me lave les mains, sans trouver que cela vaille la peine de m′intéresser. En tout cas le crime est inexistant, le compatriote de votre ami aurait commis un crime contre sa patrie s′il avait trahi la Judée, mais qu′est-ce qu′il a à voir avec la France?» J′objectai que, s′il y avait jamais une guerre, les Juifs seraient aussi bien mobilisés que les autres. «Peut-être et il n′est pas certain que ce ne soit pas une imprudence. Mais si on fait venir des Sénégalais et des Malgaches, je ne pense pas qu′ils mettront grand coeur à défendre la France, et c′est bien naturel. Votre Dreyfus pourrait plutôt être condamné pour infraction aux règles de l′hospitalité. Mais laissons cela. Peut-être pourriez-vous demander à votre ami de me faire assister à quelque belle fête au temple, à une circoncision, à des chants juifs. Il pourrait peut-être louer une salle et me donner quelque divertissement biblique, comme les filles de Saint–Cyr jouèrent des scènes tirées des Psaumes par Racine pour distraire Louis XIV. Vous pourriez peut-être arranger même des parties pour faire rire. Par exemple une lutte entre votre ami et son père où il le blesserait comme David Goliath. Cela composerait une farce assez plaisante. Il pourrait même, pendant qu′il y est, frapper à coups redoublés sur sa charogne, ou, comme dirait ma vieille bonne, sur sa carogne de mère. Voilà qui serait fort bien fait et ne serait pas pour nous déplaire, hein! petit ami, puisque nous aimons les spectacles exotiques et que frapper cette créature extra-européenne, ce serait donner une correction méritée à un vieux chameau.» En disant ces mots affreux et presque fous, M. de Charlus me serrait le bras à me faire mal. Je me souvenais de la famille de M. de Charlus citant tant de traits de bonté admirables, de la part du baron, à l′égard, de cette vieille bonne dont il venait de rappeler le patois moliéresque, et je me disais que les rapports, peu étudiés jusqu′ici, me semblait-il, entre la bonté et la méchanceté dans un même coeur, pour divers qu′ils puissent être, seraient intéressants à établir.
“You have enough intelligence, I suppose, not to imagine that it is from want of society, from any fear of solitude and boredom that I have recourse to you. I do not, as a rule, care to talk about myself, but you may possibly have heard — it was alluded to in a leading article in The Times, which made a considerable impression — that the Emperor of Austria, who has always honoured me with his friendship, and is good enough to insist on keeping up terms of cousinship with me, declared the other day in an interview which was made public that if the Comte de Chambord had had by his side a man as thoroughly conversant with the undercurrents of European politics as myself he would be King of France to-day. I have often thought, Sir, that there was in me, thanks not to my own humble talents but to circumstances which you may one day have occasion to learn, a sort of secret record of incalculable value, of which I have not felt myself at liberty to make use, personally, but which would be a priceless acquisition to a young man to whom I would hand over in a few months what it has taken me more than thirty years to collect, what I am perhaps alone in possessing. I do not speak of the intellectual enjoyment which you would find in learning certain secrets which a Michelet of our day would give years of his life to know, and in the light of which certain events would assume for him an entirely different aspect. And I do not speak only of events that have already occurred, but of the chain of circumstances.” (This was a favourite expression with M. de Charlus, and often, when he used it, he joined his hands as if in prayer, but with his fingers stiffened, as though to illustrate by their complexity the said circumstances, which he did not specify, and the chain that linked them.) “I could give you an explanation that no one has dreamed of, not only of the past but of the future.” M. de Charlus broke off to question me about Bloch, whom he had heard discussed, though without appearing to be listening, in his aunt′s drawing-room. And with that ironical accent he so skilfully detached what he was saying that he seemed to be thinking of something else altogether and to be speaking mechanically, simply out of politeness. He asked if my friend was young, good looking and so forth. Bloch, if he had heard him would have been more puzzled even than with M. de Norpois, but for very different reasons, to know whether M. de Charlus was for or against Drey, fus. “It is not a bad idea, if you wish to learn about life,” went on M. de Charlus when he had finished questioning me, “to include among your friends an occasional foreigner.” I replied that Bloch was French. “Indeed,” said M. de Charlus, “I took him to be a Jew.” His assertion of this incompatibility made me suppose that M. de Charlus was more anti-Dreyfusard than anyone I had met. He protested, however, against the charge of treason levelled against Dreyfus. But his protest took this form: “I understand the newspapers to say that Dreyfus has committed a crime against his country — so I understand, I pay no attention to the newspapers, I read them as I wash my hands, without finding that it is worth my while to take any interest in what I am doing. In any case, the crime is non-existent, your friend′s compatriot would have committed a crime if he had betrayed Judaea, but what has he to do with France?” I pointed out that if there should be a war the Jews would be mobilised just as much as anyone else. “Perhaps so, and I am not sure that it would not be an imprudence. If we bring over Senegalese and Malagasies, I hardly suppose that their hearts will be in the task of defending France, which is only natural. Your Dreyfus might rather be convicted of a breach of the laws of hospitality. But we need not discuss that. Perhaps you could ask your friend to allow me to be present at some great festival in the Temple, at a circumcision, with Jewish chants. He might perhaps take a hall, and give me some biblical entertainment, as the young ladies of Saint-Cyr performed scenes taken from the Psalms by Racine, to amuse Louis XIV. You might even arrange parties to give us a good laugh. For instance a battle between your friend and his father, in which he would smite him as David smote Goliath. That would make quite an amusing farce. He might even, while he was about it, deal some stout blows at his hag (or, as my old nurse would say, his ‘haggart′) of a mother. That would be an excellent show, and would not be unpleasing to us, eh, my young friend, since we like exotic spectacles, and to thrash that non-European creature would be giving a well-earned punishment to an old camel.” As he poured out this terrible, almost insane language, M. de Charlus squeezed my arm until it ached. I reminded myself of all that his family had told me of his wonderful kindness to this old nurse, whose Molièresque vocabulary he had just quoted, and thought to myself that the connexions, hitherto, I felt, little studied, between goodness and wickedness in the same heart, various as they might be, would be an interesting subject for research.
Je l′avertis qu′en tout cas Mme Bloch n′existait plus, et que quant à M. Bloch je me demandais jusqu′à quel point il se plairait à un jeu qui pourrait parfaitement lui crever les yeux. M. de Charlus sembla fâché. «Voilà, dit-il, une femme qui a eu grand tort de mourir. Quant aux yeux crevés, justement la Synagogue est aveugle, elle ne voit pas les vérités de l′Évangile. En tout cas, pensez, en ce moment où tous ces malheureux Juifs tremblent devant la fureur stupide des chrétiens, quel honneur pour eux de voir un homme comme moi condescendre à s′amuser de leurs jeux.» A ce moment j′aperçus M. Bloch père qui passait, allant sans doute au-devant de son fils. Il ne nous voyait pas mais j′offris à M. de Charlus de le lui présenter. Je ne me doutais pas de la colère que; j′allais déchaîner chez mon compagnon: «Me le présenter! Mais il faut que vous ayez bien peu le sentiment des valeurs! On ne me connaît pas si facilement que ça. Dans le cas actuel l′inconvenance serait double à cause de la juvénilité du présentateur et de l′indignité du présenté. Tout au plus, si on me donne un jour le spectacle asiatique que j′esquissais, pourrai-je adresser à cet affreux bonhomme quelques paroles empreintes de bonhomie. Mais à condition qu′il se soit laissé copieusement rosser par son fils. Je pourrais aller jusqu′à exprimer ma satisfaction.» D′ailleurs M. Bloch ne faisait nulle attention à nous. Il était en train d′adresser à Mme Sazerat de grands saluts fort bien accueillis d′elle. J′en étais surpris, car jadis, à Combray, elle avait été indignée que mes parents eussent reçu le jeune Bloch, tant elle était antisémite. Mais le dreyfusisme, comme une chasse d′air, avait fait il y a quelques jours voler jusqu′à elle M. Bloch. Le père de mon ami avait trouvé Mme Sazerat charmante et était particulièrement flatté de l′antisémitisme de cette dame qu′il trouvait une preuve de la sincérité de sa foi et de la vérité de ses opinions dreyfusardes, et qui donnait aussi du prix à la visite qu′elle l′avait autorisée à lui faire. Il n′avait même pas été blessé qu′elle eût dit étourdiraient devant lui: «M. Drumont a la prétention de mettre les révisionnistes dans le même sac que les protestants et les juifs. C′est charmant cette promiscuité!» «Bernard, avait-il dit avec orgueil, en rentrant, à M. Nissim Bernard, tu sais, elle a le préjugé!» Mais M. Nissim Bernard n′avait rien répondu et avait levé au ciel un regard d′ange. S′attristant du malheur des Juifs, se souvenant de ses amitiés chrétiennes, devenant maniéré et précieux au fur et à mesure que les années venaient, pour des raisons que l′on verra plus tard, il avait maintenant l′air d′une larve préraphaélite où des poils se seraient malproprement implantés, comme des cheveux noyés dans une opale. «Toute cette affaire Dreyfus, reprit le baron qui tenait toujours mon bras, n′a qu′un inconvénient: c′est qu′elle détruit la société (je ne dis pas la bonne société, il y a longtemps que la société ne mérite plus cette épithète louangeuse) par l′afflux de messieurs et de dames du Chameau, de la Chamellerie, de la Chamellière, enfin de gens inconnus que je trouve même chez mes cousines parce qu′ils font partie de la ligue de la Patrie Française, antijuive, je ne sais quoi, comme si une opinion politique donnait droit à une qualification sociale.» Cette frivolité de M. de Charlus l′apparentait davantage à la duchesse de Guermantes. Je lui soulignai le rapprochement. Comme il semblait croire que je ne la connaissais pas, je lui rappelai la soirée de l′Opéra où il avait semblé vouloir se cacher de moi. M. de Charlus me dit avec tant de force ne m′avoir nullement vu que j′aurais fini par le croire si bientôt un petit incident ne m′avait donné à penser que trop orgueilleux peut-être il n′aimait pas à être vu avec moi.
I warned him that, anyhow, Mme. Bloch no longer existed, while as for M. Bloch, I questioned to what extent he would enjoy a sport which might easily result in his being blinded. M. de Charlus seemed annoyed. “That,” he said, “is a woman who made a great mistake in dying. As for blinding him, surely the Synagogue is blind, it does not perceive the truth of the Gospel. In any case, think, at this moment, when all these unhappy Jews are trembling before the stupid fury of the Christians, what an honour it would be for him to see a man like myself condescend to be amused by their sports.” At this point I caught sight of M. Bloch senior, who was coming towards us, probably on his way to meet his son. He did not see us but I offered to introduce him to M. de Charlus. I had no conception of the torrent of rage which my words were to let loose. “Introduce him to me! But you must have singularly little idea of social values! People do not get to know me as easily as that. In the present instance, the awkwardness would be twofold, on account of the youth of the introducer and the unworthiness of the person introduced. At the most, if I am ever permitted to enjoy the Asiatic spectacle which I suggested to you, I might address to the horrible creature a few words indicative of generous feeling. But on condition that he allows himself to be thoroughly thrashed by his son, I might go so far as to express my satisfaction.” As it happened, M. Bloch paid no attention to us. He was occupied in greeting Mme. Sazerat with a series of sweeping bows, which were very favourably received. I was surprised at this, for in the old days at Combray she had been indignant at my parents for having young Bloch in the house, so anti-semitic was she then. But Dreyfusism, like a strong gust of wind, had, a few days before this, wafted M. Bloch to her feet. My father′s friend had found Mme. Sazerat charming and was particularly gratified by the anti-semitism of the lady, which he regarded as a proof of the sincerity of her faith and the soundness of her Dreyfusard opinions, and also as enhancing the value of the call which she had authorised him to pay her. He had not even been offended when she had said to him stolidly: “M. Drumont has the impudence to put the Revisionists in the same bag as the Protestants and the Jews. A delightful promiscuity!” “Bernard,” he had said with pride, on reaching home, to M. Nissim Bernard, “you know, she has that prejudice!” But M. Nissim Bernard had said nothing, only raising his eyes to heaven in an angelic gaze. Saddened by the misfortunes of the Jews, remembering his old friendships with Christians, grown mannered and precious with increasing years, for reasons which the reader will learn in due course, he had now the air of a pre-Raphaelite ghost on to which hair had been incongruously grafted, like threads in the heart of an opal. “All this Dreyfus business,” went on the Baron, still clasping me by the arm, “has only one drawback. It destroys society (I do not say polite society; society has long ceased to deserve that laudatory epithet) by the influx of Mr. and Mrs. Camels and Camelfies and Camelyards, astonishing creatures whom I find even in the houses of my own cousins, because they belong to the Patrie Française, or the Anti-Jewish, or some such league, as if a political opinion entitled one to any social qualification.” This frivolity in M. de Charlus brought out his family likeness to the Duchesse de Guermantes. I remarked to him on the resemblance. As he appeared to think that I did not know her, I reminded him of the evening at the Opera when he had seemed to be trying to avoid me. He assured me with such insistence that he had never even seen me there that I should have begun to believe him, if presently a trifling incident had not led me to think that M. de Charlus, in his excessive pride perhaps, did not care to be seen with me.
— Revenons à vous, me dit M. de Charlus, et à mes projets sur vous. Il existe entre certains hommes, Monsieur, une franc-maçonnerie dont je ne puis vous parler, mais qui compte dans ses rangs en ce moment quatre souverains de l′Europe. Or l′entourage de l′un d′eux veut le guérir de sa chimère. Cela est une chose très grave et peut nous amener la guerre. Oui, Monsieur, parfaitement. Vous connaissez l′histoire de cet homme qui croyait tenir dans une bouteille la princesse de la Chine. C′était une folie. On l′en guérit. Mais dès qu′il ne fut plus fou il devint bête. Il y a des maux dont il ne faut pas chercher à guérir parce qu′ils nous protègent seuls contre de plus graves. Un de mes cousins avait une maladie de l′estomac, il ne pouvait rien digérer. Les plus savants spécialistes de l′estomac le soignèrent sans résultat. Je l′amenai à un certain médecin (encore un être bien curieux, entre parenthèses, et sur lequel il y aurait beaucoup à dire). Celui-ci devina aussitôt que la maladie était nerveuse, il persuada son malade, lui ordonna de manger sans crainte ce qu′il voudrait et qui serait toujours bien toléré. Mais mon cousin avait aussi de la néphrite. Ce que l′estomac digère parfaitement, le rein finit par ne plus pouvoir l′éliminer, et mon cousin, au lieu de vivre vieux avec une maladie d′estomac imaginaire qui le forçait à suivre un régime, mourut à quarante ans, l′estomac guéri mais le rein perdu. Ayant une formidable avance sur votre propre vie, qui sait, vous serez peut-être ce qu′eut pu être un homme éminent du passé si un génie bienfaisant lui avait dévoilé, au milieu d′une humanité qui les ignorait, les lois de la vapeur et de l′électricité. Ne soyez pas bête, ne refusez pas par discrétion. Comprenez que si je vous rends un grand service, je n′estime pas que vous m′en rendiez un moins grand. Il y a longtemps que les gens du monde ont cessé de m′intéresser, je n′ai plus qu′une passion, chercher à racheter les fautes de ma vie en faisant profiter de ce que je sais une âme encore vierge et capable d′être enflammée par la vertu. J′ai eu de grands chagrins, Monsieur, et que je vous dirai peut-être un jour, j′ai perdu ma femme qui était l′être le plus beau, le plus noble, le plus parfait qu′on pût rêver. J′ai de jeunes parents qui ne sont pas, je ne dirai pas dignes, mais capables de recevoir l′héritage moral dont je vous parle. Qui sait si vous n′êtes pas celui entre les mains de qui il peut aller, celui dont je pourrai diriger et élever si haut la vie? La mienne y gagnerait par surcroît. Peut-être en vous apprenant les grandes affaires diplomatiques y reprendrais-je goût de moi-même et me mettrais-je enfin à faire des choses intéressantes où vous seriez de moitié. Mais avant de le savoir, il faudrait que je vous visse souvent, très souvent, chaque jour.
“Let us return to yourself,” he said, “and my plans for you. There exists among certain men, Sir, a freemasonry of which I cannot now say more than that it numbers in its ranks four of the reigning sovereigns of Europe Now, the courtiers of one of these are trying to cure him of his fancy. That is a very serious matter, and may bring us to war. Yes, Sir, that is a fact You remember the story of the man who believed that he had the Princess of China shut up in a bottle. It was a form of insanity. He was cured of it, But as soon as he ceased to be mad he became merely stupid. There are maladies which we must not seek to cure because they alone protect us from others that are more serious. A cousin of mine had trouble with his stomach; he could not digest anything. The most learned specialists on the stomach treated him, with no effect. I took him to a certain doctor (another highly interesting man, by the way, of whom I could tell you a great deal). He guessed at once that the trouble was nervousness; he persuaded his patient, ordered him to eat whatever he liked quite boldly and assured him that his digestion would stand it. But my cousin had nephritis also. What the stomach can digest perfectly well the kidneys cease, after a time, to eliminate, and my cousin, instead of living to a good old age with an imaginary disease of the stomach which obliged him to keep to a diet, died at forty with his stomach cured but his kidneys ruined. Given a very considerable advantage over people of your age, for all one knows, you will perhaps become what some eminent man of the past might have been if a good angel had revealed to him, in the midst of a humanity that knew nothing of them, the secrets of steam and electricity. Do not be foolish, do not refuse from discretion. Understand that, if I do you a great service, I expect my reward from you to be no less great. It is many years now since people in society ceased to interest me. I have but one passion left, to seek to redeem the mistakes of my life by conferring the benefit of my knowledge on a soul that is still virgin and capable of being inflamed by virtue. I have had great sorrows, Sir, of which I may tell you perhaps some day; I have lost my wife, who was the loveliest, the noblest, the most perfect creature that one could dream of seeing. I have young relatives who are not — I do not say worthy, but who are not capable of accepting the moral heritage of which I have been speaking. For all I know, you may be he into whose hands it is to pass, he whose life I shall be able to direct and to raise to so lofty a plane. My own would gain in return. Perhaps in teaching you the great secrets of diplomacy I might recover a taste for them myself, and begin at last to do things of real interest in which you would have an equal share. But before I can tell I must see you often, very often, every day.”
Je voulais profiter de ces bonnes dispositions inespérées de M. de Charlus pour lui demander s′il ne pourrait pas me faire rencontrer sa belle-soeur, mais, à ce moment, j′eus le bras vivement déplacé par une secousse comme électrique. C′était M. de Charlus qui venait de retirer précipitamment son bras de dessous le mien. Bien que, tout en parlant, il promenât ses regards dans toutes les directions, il venait seulement d′apercevoir M. d′Argencourt qui débouchait d′une rue transversale. En nous voyant, M. d′Argencourt parut contrarié, jeta sur moi un regard de méfiance, presque ce regard destiné à un être d′une autre race que Mme de Guermantes avait eu pour Bloch, et tâcha de nous éviter. Mais on eût dit que M. de Charlus tenait à lui montrer qu′il ne cherchait nullement à ne pas être vu de lui, car il l′appela et pour lui dire une chose fort insignifiante. Et craignant peut-être que M. d′Argencourt ne me reconnût pas, M. de Charlus lui dit que j′étais un grand ami de Mme de Villeparisis, de la duchesse de Guermantes, de Robert de Saint–Loup; que lui-même, Charlus, était un vieil ami de ma grand′mère, heureux de reporter sur le petit-fils un peu de la sympathie qu′il avait pour elle. Néanmoins je remarquai que M. d′Argencourt, à qui pourtant j′avais été à peine nommé chez Mme de Villeparisis et à qui M. de Charlus venait de parler longuement de ma famille, fut plus froid avec moi qu′il n′avait été il y a une heure; pendant fort longtemps il en fut ainsi chaque fois qu′il me rencontrait. Il m′observait avec une curiosité qui n′avait rien de sympathique et sembla même avoir à vaincre une résistance quand, en nous quittant, après une hésitation, il me tendit une main qu′il retira aussitôt.
I was thinking of taking advantage of this unexpected kindness on M. de Charlus′s part to ask him whether he could not arrange for me to meet his sister-in-law when, suddenly, I felt my arm violently jerked, as though by an electric shock. It was M. de Charlus who had hurriedly withdrawn his arm from mine. Although as he talked he had allowed his eyes to wander in all directions he had only just caught sight of M. d′Argencourt, who was coming towards us from a side street. On seeing us, M. d′Argencourt appeared worried, cast at me a look of distrust, almost that look intended for a creature of another race than one′s own with which Mme. de Guermantes had quizzed Bloch, and tried to avoid us. But one would have said that M. de Charlus was determined to shew him that he was not at all anxious not to be seen by him, for he called to him, simply to tell him something that was of no importance. And fearing perhaps that M. d′Argencourt had not recognised me, M. de Charlus informed him that I was a great friend of Mme. de Villeparisis, of the Duchesse de Guermantes, of Robert de Saint-Loup, and that he himself, Charlus, was an old friend of my grandmother, and glad to be able to shew her grandson a little of the affection that he felt for her. Nevertheless I observed that M. d′Argencourt, albeit I had barely been introduced to him at Mme. de Villeparisis′s, and M. de Charlus had now spoken to him at great length about my family, was distinctly colder to me than he had been in the afternoon; and for a long time he shewed the same aloofness whenever we met. He watched me now with a curiosity in which there was no sign of friendliness, and seemed even to have to overcome an instinctive repulsion when, on leaving us, after a moment′s hesitation, he held out a hand to me which he at once withdrew.
— Je regrette cette rencontre, me dit M. de Charlus. Cet Argencourt, bien né mais mal élevé, diplomate plus que médiocre, mari détestable et coureur, fourbe comme dans les pièces, est un de ces hommes incapables de comprendre, mais très capables de détruire les choses vraiment grandes. J′espère que notre amitié le sera, si elle doit se fonder un jour, et j′espère que vous me ferez l′honneur de la tenir autant que moi à l′abri des coups de pied d′un de ces ânes qui, par désoeuvrement, par maladresse, par méchanceté, écrasent ce qui semblait fait pour durer. C′est malheureusement sur ce moule que sont faits la plupart des gens du monde.
“I am sorry about that,” said M. de Charlus. “That fellow Argencourt, well born but ill bred, more than feeble as a diplomat, an impossible husband, always running after women like a person in a play, is one of those men who are incapable of understanding but perfectly capable of destroying the things in life that are really great. I hope that our friendship will be one of them, if it is ever to be formed, and I hope also that you will honour me by keeping it — as I shall — well clear of the heels of any of those donkeys who, from idleness or clumsiness or deliberate wickedness trample upon what would seem to have been made to endure. Unfortunately, that is the mould in which most of the men one meets have been cast.”
— La duchesse de Guermantes semble très intelligente. Nous parlions tout à l′heure d′une guerre possible. Il paraît qu′elle a là-dessus des lumières spéciales.
“The Duchesse de Guermantes seems to be very clever. We were talking this afternoon about the possibility of war. It appears that she is specially well informed on that subject.”
— Elle n′en a aucune, me répondit sèchement M. de Charlus. Les femmes, et beaucoup d′hommes d′ailleurs, n′entendent rien aux choses dont je voulais parler. Ma belle-soeur est une femme charmante qui s′imagine être encore au temps des romans de Balzac où les femmes influaient sur la politique. Sa fréquentation ne pourrait actuellement exercer sur vous qu′une action fâcheuse, comme d′ailleurs toute fréquentation mondaine. Et c′est justement une des premières choses que j′allais vous dire quand ce sot m′a interrompu. Le premier sacrifice qu′il faut me faire — j′en exigerai autant que je vous ferai de dons — c′est de ne pas aller dans le monde. J′ai souffert tantôt de vous voir à cette réunion ridicule. Vous me direz que j′y étais bien, mais pour moi ce n′est pas une réunion mondaine, c′est une visite de famille. Plus tard, quand vous serez un homme arrivé, si cela vous amuse de descendre un moment dans le monde, ce sera peut-être sans inconvénients. Alors je n′ai pas besoin de vous dire de quelle utilité je pourrai vous être. Le «Sésame» de l′hôtel Guermantes et de tous ceux qui valent la peine que la porte s′ouvre grande devant vous, c′est moi qui le détiens. Je serai juge et entends rester maître de l′heure.
“She is nothing of the sort,” replied M. de Charlus tartly. “Women, and most men, for that matter, understand nothing of what I was going to tell you. My sister-in-law is a charming woman who imagines that we are still living in the days of Balzac′s novels, when women had an influence on Politics. Going to her house could at present have only a bad effect on you, as for that matter going anywhere. That was one of the very things I was just going to tell you when that fool interrupted me. The first sacrifice that you must make for me — I shall claim them from you in proportion to the gifts I bestow on you — is to give up going into society. It distressed me this afternoon to see you at that idiotic tea-party. You may remind me that I Was there myself, but for me it was not a social gathering, it was simply a family visit. Later on, when you have established your position, if it amuses you to step down for a little into that sort of thing, it may perhaps, do no harm. And then, I need not point out how invaluable I can be to you. The ‘Open Sesame′ to the Guermantes house and any others that it is worth while throwing open the doors of to you, rests with me I shall be the judge, and intend to remain master of the situation.”
Je voulus profiter de ce que M. de Charlus parlait de cette visite chez Mme de Villeparisis pour tâcher de savoir quelle était exactement celle-ci, mais la question se posa sur mes lèvres autrement que je n′aurais voulu et je demandai ce que c′était que la famille Villeparisis.
I thought I would take advantage of what M. de Charlus had said about my call on Mme. de Villeparisis to try to find out what position exactly she occupied in society, but the question took another form on my lips than I had intended, and I asked him instead what the Villeparisis family was.
— C′est absolument comme si vous me demandiez ce que c′est que la famille: «rien» me répondit M. de Charlus. Ma tante a épousé par amour un M. Thirion, d′ailleurs excessivement riche, et dont les soeurs étaient très bien mariées et qui, à partir de ce moment-là, s′est appelé le marquis de Villeparisis. Cela n′a fait de mal à personne, tout au plus un peu à lui, et bien peu! Quant à la raison, je ne sais pas; je suppose que c′était, en effet, un monsieur de Villeparisis, un monsieur né à Villeparisis, vous savez que c′est une petite localité près de Paris. Ma tante a prétendu qu′il y avait ce marquisat dans la famille, elle a voulu faire les choses régulièrement, je ne sais pas pourquoi. Du moment qu′on prend un nom auquel on n′a pas droit, le mieux est de ne pas simuler des formes régulières.
“That is absolutely as though you had asked me what the Nobody family was,” replied M. de Charlus. “My aunt married, for love, a M Thirion, who was extremely rich, for that matter, and whose sisters had married surprisingly well; and from that day onwards he called himself Marquis de Villeparisis. It did no harm to anyone, at the most a little to himself, and very little! What his reason was I cannot tell; I suppose he was actually a ‘Monsieur de Villeparisis,′ a gentleman born at Villeparisis, which as you know is the name of a little place outside Paris. My aunt tried to make out that there was such a Marquisate in the family, she wanted to put things on a proper footing; I can′t tell you why. When one takes a name to which one has no right it is better not to copy the regular forms.”
«Mme de Villeparisis, n′étant que Mme Thirion, acheva la chute qu′elle avait commencée dans mon esprit quand j′avais vu la composition mêlée de son salon. Je trouvais injuste qu′une femme dont même le titre et le nom étaient presque tout récents pût faire illusion aux contemporains et dût faire illusion à la postérité grâce à des amitiés royales. Mme de Villeparisis redevenant ce qu′elle m′avait paru être dans mon enfance, une personne qui n′avait rien d′aristocratique, ces grandes parentés qui l′entouraient me semblèrent lui rester étrangères. Elle ne cessa dans la suite d′être charmante pour nous. J′allais quelquefois la voir et elle m′envoyait de temps en temps un souvenir. Mais je n′avais nullement l′impression qu′elle fût du faubourg Saint–Germain, et si j′avais eu quelque renseignement à demander sur lui, elle eût été une des dernières personnes à qui je me fusse adressé.
Mme. de Villeparisis being merely Mme. Thirion completed the fall which had begun in my estimation of her when I had seen the composite nature of her party. I felt it to be unfair that a woman whose title and name were of quite recent origin should be able thus to impose upon her contemporaries, with the prospect of similarly imposing upon posterity, by virtue of her friendships with royal personages. Now that she had become once again what I had supposed her to be in my childhood, a person who had nothing aristocratic about her, these distinguished kinsfolk who gathered round her seemed to remain alien to her. She did not cease to be charming to us all. I went occasionally to see her and she sent me little presents from time to time. But I had never any impression that she belonged to the Faubourg Saint-Germain, and if I had wanted any information about it she would have been one of the last people to whom I should have applied.
«Actuellement, continua M. de Charlus, en allant dans le monde, vous ne feriez que nuire à votre situation, déformer votre intelligence et votre caractère. Du reste il faudrait surveiller, même et surtout, vos camaraderies. Ayez des maîtresses si votre famille n′y voit pas d′inconvénient, cela ne me regarde pas et même je ne peux que vous y encourager, jeune polisson, jeune polisson qui allez avoir bientôt besoin de vous faire raser, me dit-il en me touchant le menton. Mais le choix des amis hommes a une autre importance. Sur dix jeunes gens, huit sont de petites fripouilles, de petits misérables capables de vous faire un tort que vous ne réparerez jamais. Tenez, mon neveu Saint–Loup est à la rigueur un bon camarade pour vous. Au point de vue de votre avenir, il ne pourra vous être utile en rien; mais pour cela, moi je suffis. Et, somme toute, pour sortir avec vous, aux moments où vous aurez assez de moi, il me semble ne pas présenter d′inconvénient sérieux, à ce que je crois. Du moins, lui c′est un homme, ce n′est pas un de ces efféminés comme on en rencontre tant aujourd′hui qui ont l′air de petits truqueurs et qui mèneront peut-être demain à l′échafaud leurs innocentes victimes. (Je ne savais pas le sens de cette expression d′argot: «truqueur». Quiconque l′eût connue eût été aussi surpris que moi. Les gens du monde aiment volontiers à parler argot, et les gens à qui on peut reprocher certaines choses à montrer qu′ils ne craignent nullement de parler d′elles. Preuve d′innocence à leurs yeux. Mais ils ont perdu l′échelle, ne se rendent plus compte du degré à partir duquel une certaine plaisanterie deviendra trop spéciale, trop choquante, sera plutôt une preuve de corruption que de naîµ¥té.) Il n′est pas comme les autres, il est très gentil, très sérieux.
“At present,” went on M. de Charlus, “by going into society, you will only damage your position, warp your intellect and character. Also, you must be particularly careful in choosing your friends. Keep mistresses, if your family have no objection, that doesn′t concern me, indeed I can only advise it, you young rascal, young rascal who will soon have to start shaving,” he rallied me, passing his fingers over my chin. “But the choice of your men friends is more important. Eight out of ten young men are little scoundrels, little wretches capable of doing you an injury which you will never be able to repair. Wait, now, my nephew Saint-Loup is quite a suitable companion for you, at a pinch. As far as your future is concerned, he can be of no possible use to you, but for that I am sufficient. And really when all′s said and done, as a person to go about with, at times when you have had enough of me, he does not seem to present any serious drawback that I know of. At any rate he is a man, not one of those effeminate creatures one sees so many of nowadays, who look like little renters, and at any moment may bring their innocent victims to the gallows.” I did not know the meaning of this slang word ‘renter′; anyone who had known it would have been as greatly surprised by his use of it as myself. People in society always like talking slang, and people against whom certain things may be hinted like to shew that they are not afraid to mention them. A proof of innocence in their eyes. But they have lost their sense of proportion, they are no longer capable of realising the point at which a certain pleasantry will become too technical, too shocking, will be a proof rather of corruption than of simplicity. “He is not like the rest of them; he has nice manners; he is really serious.”
Je ne pus m′empêcher de sourire de cette épithète de «sérieux» à laquelle l′intonation que lui prêta M. de Charlus semblait donner le sens de «vertueux», de «rangé», comme on dit d′une petite ouvrière qu′elle est «sérieuse». A ce moment un fiacre passa qui allait tout de travers; un jeune cocher, ayant déserté son siège, le conduisait du fond de la voiture où il était assis sur les coussins, l′air à moitié gris. M. de Charlus l′arrêta vivement. Le cocher parlementa un moment.
I could not help smiling at this epithet ‘serious,′ to which the intonation that M. de Charlus gave to it seemed to impart the sense of ‘virtuous,′ of ‘steady,′ as one says of a little shop-girl that she is ‘serious.′ At this moment a cab passed, zigzagging along the street; a young cabman, who had deserted his box, was driving it from inside, where he lay sprawling upon the cushions, apparently half drunk. M. de Charlus instantly stopped him. The driver began to argue.
— De quel côté allez-vous?
“Which way are you going?”
— Du vôtre (cela m′étonnait, car M. de Charlus avait déjà refusé plusieurs fiacres ayant des lanternes de la même couleur).
“Yours.” This surprised me, for M. de Charlus had already refused several cabs with similarly coloured lamps.
— Mais je ne veux pas remonter sur le siège.
Ça vous est égal que je reste dans la voiture?
“Well, I don′t want to get up on the box. D′you mind if I stay down here?”
— Oui, seulement baissez la capote. Enfin pensez à ma proposition, me dit M. de Charlus avant de me quitter, je vous donne quelques jours pour y réfléchir, écrivez-moi. Je vous le répète, il faudra que je vous voie chaque jour et que je reçoive de vous des garanties de loyauté, de discrétion que d′ailleurs, je dois le dire, vous semblez offrir. Mais, au cours de ma vie, j′ai été si souvent trompé par les apparences que je ne veux plus m′y fier. Sapristi! c′est bien le moins qu′avant d′abandonner un trésor je sache en quelles mains je le remets. Enfin, rappelez-vous bien ce que je vous offre, vous êtes comme Hercule dont, malheureusement pour vous, vous ne me semblez pas avoir la forte musculature, au carrefour de deux routes. Tâchez de ne pas avoir à regretter toute votre vie de n′avoir pas choisi celle qui conduisait à la vertu. Comment, dit-il au cocher, vous n′avez pas encore, baissé la capote? je vais plier les ressorts moi-même Je crois du reste qu′il faudra aussi que je conduise, étant donné l′état où vous semblez être.
“No; but you must put down the hood. Well, think over my proposal,” said M. de Charlus, preparing to leave me, “I give you a few days to consider my offer; write to me. I repeat, I shall need to see you every day, and to receive from you guarantees of loyalty, of discretion which, for that matter, you do appear, I must say, to furnish. But in the course of my life I have been so often taken in by appearances that I never wish to trust them again. Damn it, it′s the least you can expect that before giving up a treasure I should know into what hands it is going to pass. Very well, bear in mind what I′m offering you; you are like Hercules′ (though, unfortunately for yourself, you do not appear to me to have quite his muscular development) at the parting of the ways. Try not to have to regret all your life not having chosen the way that leads to virtue. Hallo!” he turned to the cabman, “haven′t you put the hood down? I′ll do it myself. I think, too, I′d better drive, seeing the state you appear to be in.”
Et il sauta à côté du cocher, au fond du fiacre qui partit au grand trot.
He jumped in beside the cabman, took the reins, and the horse trotted off.
Pour ma part, à peine rentré à la maison, j′y retrouvai le pendant de la conversation qu′avaient échangée un peu auparavant Bloch et M. de Norpois, mais sous une forme brève, invertie et cruelle: c′était une dispute entre notre maître d′hôtel, qui était dreyfusard, et celui des Guermantes, qui était antidreyfusard. Les vérités et contre-vérités qui s′opposaient en haut chez les intellectuels de la Ligue de la Patrie française et celle des Droits de l′homme se propageaient en effet jusque dans les profondeurs du peuple. M. Reinach manoeuvrait par le sentiment des gens qui ne l′avaient jamais vu, alors que pour lui l′affaire Dreyfus se posait seulement devant sa raison comme un théorème irréfutable et qu′il démontra, en effet, par la plus étonnante réussite de politique rationnelle (réussite contre la France, dirent certains) qu′on ait jamais vue. En deux ans il remplaça un ministère Billot par un ministère Clemenceau, changea de fond en comble l′opinion publique, tira de sa prison Picquart pour le mettre, ingrat, au Ministère de la Guerre. Peut-être ce rationaliste manoeuvreur de foules était-il lui-même manoeuvré par son ascendance. Quand les systèmes philosophiques qui contiennent le plus de vérités sont dictés à leurs auteurs, en dernière analyse, par une raison de sentiment, comment supposer que, dans une simple affaire politique comme l′affaire Dreyfus, des raisons de ce genre ne puissent, à l′insu du raisonneur, gouverner sa raison? Bloch croyait avoir logiquement choisi son dreyfusisme, et savait pourtant que son nez, sa peau et ses cheveux lui avaient été imposés par sa race. Sans doute la raison est plus libre; elle obéit pourtant à certaines lois qu′elle ne s′est pas données. Le cas du maître d′hôtel des Guermantes et du nôtre était particulier. Les vagues des deux courants de dreyfusisme et d′antidreyfusisme, qui de haut en bas divisaient la France, étaient assez silencieuses, mais les rares échos qu′elles émettaient étaient sincères. En entendant quelqu′un, au milieu d′une causerie qui s′écartait volontairement de l′Affaire, annoncer furtivement une nouvelle politique, généralement fausse mais toujours souhaitée, on pouvait induire de l′objet de ses prédictions l′orientation de ses désirs. Ainsi s′affrontaient sur quelques points, d′un côté un timide apostolat, de l′autre, une sainte indignation. Les deux maîtres d′hôtel que j′entendis en rentrant faisaient exception à la règle. Le nôtre laissa entendre que Dreyfus était coupable, celui des Guermantes qu′il était innocent. Ce n′était pas pour dissimuler leurs convictions, mais par méchanceté et âpreté au jeu. Notre maître d′hôtel, incertain si la révision se ferait, voulait d′avance, pour le cas d′un échec, ôter au maître d′hôtel des Guermantes la joie de croire une juste cause battue. Le maître d′hôtel des Guermantes pensait qu′en cas de refus de révision, le nôtre serait plus ennuyé de voir maintenir à l′île du Diable un innocent.
As for myself, no sooner had I turned in at our gate than I found the pendant to the conversation which I had heard exchanged that afternoon between Bloch and M. de Norpois, but in another form, brief, inverted and cruel. This was a dispute between our butler, who believed in Dreyfus, and the Guermantes′, who was an anti-Dreyfusard. The truths and counter-truths which came in conflict above ground, among the intellectuals of the rival Leagues, the Patrie Française and the Droits de l′Homme, were fast spreading downwards into the subsoil of popular opinion. M. Reinach was manipulating, by appeals to sentiment, people whom he had never seen, while for himself the Dreyfus case simply presented itself to his reason as an incontrovertible theory which he proved in the sequel by the most astonishing victory for rational policy (a victory against France, according to some) that the world has ever seen. In two years he replaced a Billot by a Clemenceau Ministry, revolutionised public opinion from top to bottom, took Picquart from his prison to install him, ungrateful, in the Ministry of War. Perhaps this rationalist manipulator of crowds was himself the puppet of his ancestry. When we find that the systems of philosophy which contain the most truths were dictated to their authors, in the last analysis, by reasons of sentiment, how are we to suppose that in a simple affair of politics like the Dreyfus case reasons of this order may not, unknown to the reasoner, have controlled his reason. Bloch believed himself to have been led by a logical sequence to choose Dreyfusism, yet he knew that his nose, skin and hair had been imposed on him by his race. Doubtless the reason enjoys more freedom; yet it obeys certain laws which it has not prescribed for itself. The case of the Guermantes′ butler and our own was peculiar. The waves of the two currents of Dreyfusism and anti-Dreyfusism which now divided France from end to end were, on the whole, silent, but the occasional echoes which they emitted were sincere. When you heard anyone in the middle of a conversation which was being deliberately kept off the Case announce furtively some piece of political news, generally false, but always with a hopefulness of its truth, you could induce from the nature of his predictions where his heart lay. Thus there came into conflict on certain points, on one side a timid apostolate, on the other a righteous indignation. The two butlers whom I heard arguing as I came in furnished an exception to the rule. Ours let it be understood that Dreyfus was guilty, the Guermantes′ butler that he was innocent. This was done not to conceal their personal convictions, but from cunning, and in the keenness of their rivalry. Our butler, being uncertain whether the fresh trial would be ordered, wished beforehand, in the event of failure, to deprive the Duke′s butler of the joy of seeing a just cause vanquished. The Duke′s butler thought that, in the event of a refusal, ours would be more indignant at the detention on the Devil′s Isle of an innocent man. The porter looked on. I had the impression that it was not he who was the cause of dissension in the Guermantes household.
Je remontai et trouvai ma grand′mère plus souffrante. Depuis quelque temps, sans trop savoir ce qu′elle avait, elle se plaignait de sa santé. C′est dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons pas seuls, mais enchaînés à un être d′un règne différent, dont des abîmes nous séparent, qui ne nous connaît pas et duquel il est impossible de nous faire comprendre: notre corps. Quelque brigand que nous rencontrions sur une route, peut-être pourrons-nous arriver à le rendre sensible à son intérêt personnel sinon à notre malheur. Mais demander pitié à notre corps, c′est discourir devant une pieuvre, pour qui nos paroles ne peuvent pas avoir plus de sens que le bruit de l′eau, et avec laquelle nous serions épouvantés d′être condamnés à vivre. Les malaises de ma grand′mère passaient souvent inaperçus à son attention toujours détournée vers nous. Quand elle en souffrait trop, pour arriver à les guérir, elle s′efforçait en vain de les comprendre. Si les phénomènes morbides dont son corps était le théâtre restaient obscurs et insaisissables à la pensée de ma grand′mère, ils étaient clairs et intelligibles pour des êtres appartenant au même règne physique qu′eux, de ceux à qui l′esprit humain a fini par s′adresser pour comprendre ce que lui dit son corps, comme devant les réponses d′un étranger on va chercher quelqu′un du même pays qui servira d′interprète. Eux peuvent causer avec notre corps, nous dire si sa colère est grave ou s′apaisera bientôt. Cottard, qu′on avait appelé auprès de ma grand′mère et qui nous avait agacés en nous demandant avec un sourire fin, dès la première minute où nous lui avions dit que ma grand′mère était malade: «Malade? Ce n′est pas au moins une maladie diplomatique?», Cottard essaya, pour calmer l′agitation de sa malade, le régime lacté. Mais les perpétuelles soupes au lait ne firent pas d′effet parce que ma grand′mère y mettait beaucoup de sel (Widal n′ayant pas encore fait ses découvertes), dont on ignorait l′inconvénient en ce temps-là. Car la médecine étant un compendium des erreurs successives et contradictoires des médecins, en appelant à soi les meilleurs d′entre eux on a grande chance d′implorer une vérité qui sera reconnue fausse quelques années plus tard. De sorte que croire à la médecine serait la suprême folie, si n′y pas croire n′en était pas une plus grande, car de cet amoncellement d′erreurs se sont dégagées à la longue quelques vérités. Cottard avait recommandé qu′on prît sa température. On alla chercher un thermomètre. Dans presque toute sa hauteur le tube était vide de mercure. A peine si l′on distinguait, tapie au fond dans sa petite cuve, la salamandre d′argent. Elle semblait morte. On plaça le chalumeau de verre dans la bouche de ma grand′mère. Nous n′eûmes pas besoin de l′y laisser longtemps; la petite sorcière n′avait pas été longue à tirer son horoscope. Nous la trouvâmes immobile, perchée à mi-hauteur de sa tour et n′en bougeant plus, nous montrant avec exactitude le chiffre que nous lui avions demandé et que toutes les réflexions qu′ait pu faire sur soi-même l′âme de ma grand′mère eussent été bien incapables de lui fournir: 38°3. Pour la première fois nous ressentîmes quelque inquiétude. Nous secouâmes bien fort le thermomètre pour effacer le signe fatidique, comme si nous avions pu par là abaisser la fièvre en même temps que la température marquée. Hélas! il fut bien clair que la petite sibylle dépourvue de raison n′avait pas donné arbitrairement cette réponse, car le lendemain, à peine le thermomètre fut-il replacé entre les lèvres de ma grand′mère que presque aussitôt, comme d′un seul bond, belle de certitude et de l′intuition d′un fait pour nous invisible, la petite prophétesse était venue s′arrêter au même point, en une immobilité implacable, et nous montrait encore ce chiffre 38°3, de sa verge étincelante. Elle ne disait rien d′autre, mais nous avions eu beau désirer, vouloir, prier, sourde, il semblait que ce fût son dernier mot avertisseur et menaçant. Alors, pour tâcher de la contraindre à modifier sa réponse, nous nous adressâmes à une autre créature du même règne, mais plus puissante, qui ne se contente pas d′interroger le corps mais peut lui commander, un fébrifuge du même ordre que l′aspirine, non encore employée alors. Nous n′avions pas fait baisser le thermomètre au delà de 37°1/2 dans l′espoir qu′il n′aurait pas ainsi à remonter. Nous fîmes prendre ce fébrifuge à ma grand′mère et remîmes alors le thermomètre. Comme un gardien implacable à qui on montre l′ordre d′une autorité supérieure auprès de laquelle on a fait jouer une protection, et qui le trouvant en règle répond: «C′est bien, je n′ai rien à dire, du moment que c′est comme ça, passez», la vigilante tourière ne bougea pas cette fois. Mais, morose, elle semblait dire: «A quoi cela vous servira-t-il? Puisque vous connaissez la quinine, elle me donnera l′ordre de ne pas bouger, une fois, dix fois, vingt fois. Et puis elle se lassera, je la connais, allez. Cela ne durera pas toujours. Alors vous serez bien avancés.» Alors ma grand′mère éprouva la présence, en elle, d′une créature qui connaissait mieux le corps humain que ma grand′mère, la présence d′une contemporaine des races disparues, la présence du premier occupant — bien antérieur à la création de l′homme qui pense; — elle sentit cet allié millénaire qui la tâtait, un peu durement même, à la tête, au coeur, au coude; il reconnaissait les lieux, organisait tout pour le combat préhistorique qui eut lieu aussitôt après. En un moment, Python écrasé, la fièvre fut vaincue par le puissant élément chimique, que ma grand′mère, à travers les règnes, passant par-dessus tous les animaux et les végétaux, aurait voulu pouvoir remercier. Et elle restait émue de cette entrevue qu′elle venait d′avoir, à travers tant de siècles, avec un climat antérieur à la création même des plantes. De son côté le thermomètre, comme une Parque momentanément vaincue par un dieu plus ancien, tenait immobile son fuseau d′argent. Hélas! d′autres créatures inférieures, que l′homme a dressées à la chasse de ces gibiers mystérieux qu′il ne peut pas poursuivre au fond de lui-même, nous apportaient cruellement tous les jours un chiffre d′albumine faible, mais assez fixe pour que lui aussi parût en rapport avec quelque état persistant que nous n′apercevions pas. Bergotte avait choqué en moi l′instinct scrupuleux qui me faisait subordonner mon intelligence, quand il m′avait parlé du docteur du Boulbon comme d′un médecin qui ne m′ennuierait pas, qui trouverait des traitements, fussent-ils en apparence bizarres, mais s′adapteraient à la singularité de mon intelligence. Mais les idées se transforment en nous, elles triomphent des résistances que nous leur opposions d′abord et se nourrissent de riches réserves intellectuelles toutes prêtes, que nous ne savions pas faites pour elles. Maintenant, comme il arrive chaque fois que les propos entendus au sujet de quelqu′un que nous ne connaissons pas ont eu la vertu d′éveiller en nous l′idée d′un grand talent, d′une sorte de génie, au fond de mon esprit je faisais bénéficier le docteur du Boulbon de cette confiance sans limites que nous inspire celui qui d′un oeil plus profond qu′un autre perçoit la vérité. Je savais certes qu′il était plutôt un spécialiste des maladies nerveuses, celui à qui Charcot avant de mourir avait prédit qu′il régnerait sur la neurologie et la psychiatrie. «Ah! je ne sais pas, c′est très possible», dit Françoise qui était là et qui entendait pour la première fois le nom de Charcot comme celui de du Boulbon. Mais cela ne l′empêchait nullement de dire: «C′est possible.» Ses «c′est possible», ses «peut-être», ses «je ne sais pas» étaient exaspérants en pareil cas. On avait envie de lui répondre: «Bien entendu que vous ne le saviez pas puisque vous ne connaissez rien à la chose dont il s′agit, comment pouvez-vous même dire que c′est possible ou pas, vous n′en savez rien? En tout cas maintenant vous ne pouvez pas dire que vous ne savez pas ce que Charcot a dit à du Boulbon, etc., vous le savez puisque vous nous l′avons dit, et vos «peut-être», vos «c′est possible» ne sont pas de mise puisque c′est certain.»
I went upstairs, and found my grandmother not so well. For some time past, without knowing exactly what was wrong, she had been complaining of her health. It is in moments of illness that we are compelled to recognise that we live not alone but chained to a creature of a different kingdom, whole worlds apart, who has no knowledge of us and by whom it is impossible to make ourselves understood: our body. Say that we met a brigand by the way; we might yet convince him by an appeal to his personal interest, if not to our own plight. But to ask pity of our body is like discoursing before an octopus, for which our words can have no more meaning than the sound of the tides, and with which we should be appalled to find ourselves condemned to live. My grandmother′s attacks passed, often enough-unnoticed by the attention which she kept always diverted to ourselves. When the pain was severe, in the hope of curing it, she would try in vain to understand what the trouble was. If the morbid phenomena of which her body was the theatre remained obscure and beyond the reach of her mind, they were clear and intelligible to certain creatures belonging to the same natural kingdom as themselves, creatures to which the human mind has learned gradually to have recourse in order to understand what the body is saying to it, as when a foreigner accosts us we try to find some one belonging to his country who will act as interpreter. These can talk to our body, and tell us if its anger is serious or will soon be appeased. Cottard, whom we had called in to see my grandmother, and who had infuriated us by asking with a dry smile, the moment we told him that she was ill: “Ill? You′re sure it′s not what they call a diplomatic illness?” He tried to soothe his patient′s restlessness by a milk diet. But incessant bowls of milk soup gave her no relief, because my grandmother sprinkled them liberally with salt (the toxic effects of which were as yet, Widal not having made his discoveries, unknown). For, medicine being a compendium of the successive and contradictory mistakes of medical practioners, when we summon the wisest of them to our aid, the chances are that we may be relying on a scientific truth the error of which will be recognised in a few years′ time. So that to believe in medicine would be the height of folly, if not to believe in it were not greater folly still, for from this mass of errors there have emerged in the course of time many truths. Cottard had told us to take her temperature. A thermometer was fetched. Throughout almost all its length it was clear of mercury. Scarcely could one make out, crouching at the foot of the tube, in its little cell, the silver salamander. It seemed dead. The glass reed was slipped into my grandmother′s mouth. We had no need to leave it there for long; the little sorceress had not been slow in casting her horoscope. We found her motionless, perched half-way up her tower, and declining to move, shewing us with precision the figure that we had asked of her, a figure with which all the most careful examination that my grandmother′s mind could have devoted to herself would have been incapable of furnishing her: 101 degrees. For the first time we felt some anxiety. We shook the thermometer well, to erase the ominous line, as though we were able thus to reduce the patient′s fever simultaneously with the figure shewn on the scale. Alas, it was only too clear that the little sibyl, unreasoning as she was, had not pronounced judgment arbitrarily, for the next day, scarcely had the thermometer been inserted between my grandmother′s lips when almost at once, as though with a single bound, exulting in her certainty and in her intuition of a fact that to us was imperceptible, the little prophetess had come to a halt at the same point, in an implacable immobility, and pointed once again to that figure 101 with the tip of her gleaming wand. Nothing more did she tell us; in vain might we long, seek, pray, she was deaf to our entreaties; it seemed as though this were her final utterance, a warning and a menace. Then, in an attempt to constrain her to modify her response, we had recourse to another creature of the same kingdom, but more potent, which is not content with questioning the body but can command it, a febrifuge of the same order as the modern aspirin, which had not then come into use. We had not shaken the thermometer down below 99.5, and hoped that it would not have to rise from there. We made my grandmother swallow this drug and then replaced the thermometer in her mouth. Like an implacable warder to whom one presents a permit signed by a higher authority whose protecting influence one has sought and who, finding it to be in order, replies: “Very well; I have nothing to say; if it′s like that you may pass,” this time the watcher in the tower dirt not move. But sullenly she seemed to be saying: “What use will that be to you? Since you are friends with quinine, she may give me the order not to go up, once, ten times, twenty times. And then she will grow tired of telling me, I know her; get along with you. This won′t last for ever. And then you′ll be a lot better off.” Thereupon my grandmother felt the presence within her of a creature which knew the human body better than herself, the presence of a contemporary of the races that have vanished from the earth, the presence of earth′s first inhabitant — long anterior to the creation of thinking man — she felt that aeonial ally who was sounding her, a little roughly even, in the head, the heart, the elbow; he found out the weak places, organised everything for the prehistoric combat which began at once to be fought. In a moment a trampled Python, the fever, was vanquished by the potent chemical substance to which my grandmother, across the series of kingdoms, reaching out beyond all animal and vegetable life, would fain have been able to give thanks. And she remained moved by this glimpse which she had caught, through the mists of so many centuries, of a climate anterior to the creation even of plants. Meanwhile the thermometer, like a Weird Sister momentarily vanquished by some more ancient god, held motionless her silver spindle. Alas! other inferior creatures which man has trained to the chase of the mysterious quarry which he cannot pursue within the pathless forest of himself, reported cruelly to us every day a certain quantity of albumen, not large, but constant enough for it also to appear to bear relation to some persistent malady which we could not detect. Bergotte had shocked that scrupulous instinct in me which made me subordinate my intellect when he spoke to me of Dr. du Boulbon as of a physician who would not bore me, who would discover methods of treatment which, however strange they might appear, would adapt themselves to the singularity of my mind. But ideas transform themselves in us, they overcome the resistance with which we at first meet them, and feed upon rich intellectual reserves which we did not know to have been prepared for them. So, as happens whenever anything we have heard said about some one whom we do not know has had the faculty of awakening in us the idea of great talent, of a sort of genius, in my inmost mind I gave Dr. du Boulbon the benefit of that unlimited confidence which he inspires in us who with an eye more penetrating than other men′s perceives the truth. I knew indeed that he was more of a specialist in nervous diseases, the man to whom Charcot before his death had predicted that he would reign supreme in neurology and psychiatry. “Ah! I don′t know about that. It′s quite possible,” put in Françoise, who was in the room and heard Charcot′s name, as she heard du Boulbon′s, for the first time But this in no way prevented her from saying “It′s possible.” Her ‘possibles,′ her ‘perhapses,′ her ‘I don′t knows′ were peculiarly irritating at such a moment. One wanted to say to her: “Naturally you don′t know, since you haven′t the faintest idea of what we are talking about, how can you even say whether it′s possible or not; you know nothing about it. Anyhow, you can′t say now that you don′t know what Charcot said to du Boulbon. You do know because we have just told you, and your ‘perhapses′ and ‘possibles′ don′t come in, because it′s a fact.”
Malgré cette compétence plus particulière en matière cérébrale et nerveuse, comme je savais que du Boulbon était un grand médecin, un homme supérieur, d′une intelligence inventive et profonde, je suppliai ma mère de le faire venir, et l′espoir que, par une vue juste du mal, il le guérirait peut-être, finit par l′emporter sur la crainte que nous avions, si nous appelions un consultant, d′effrayer ma grand′mère. Ce qui décida ma mère fut que, inconsciemment encouragée par Cottard, ma grand′mère ne sortait plus, ne se levait guère. Elle avait beau nous répondre par la lettre de Mme de Sévigné sur Mme de la Fayette: «On disait qu′elle était folle de ne vouloir point sortir. Je disais à ces personnes si précipitées dans leur jugement: «Mme de la Fayette n′est pas folle» et je m′en tenais là. Il a fallu qu′elle soit morte pour faire voir qu′elle avait raison de ne pas sortir.» Du Boulbon appelé donna tort, sinon à Mme de Sévigné qu′on ne lui cita pas, du moins à ma grand′mère. Au lieu de l′ausculter, tout en posant sur elle ses admirables regards où il y avait peut-être l′illusion de scruter profondément la malade, ou le désir de lui donner cette illusion, qui semblait spontanée mais devait être tenue machinale, ou de ne pas lui laisser voir qu′il pensait à tout autre chose, ou de prendre de l′empire sur elle — il commença à parler de Bergotte.
In spite of this more special competence in cerebral and nervous matters, as I knew that du Boulbon was a great physician, a superior man, of a profound and inventive intellect, I begged my mother to send for him, and the hope that, by a clear perception of the malady, he might perhaps cure it, carried the day finally over the fear that we had of (if we called in a specialist) alarming my grandmother. What decided my mother was the fact that, encouraged unconsciously by Cottard, my grandmother no longer went out of doors, and scarcely rose from her bed. In vain might she answer us in the words of Mme. de Sévigné‘s letter on Mme. de la Fayette: “Everyone said she was mad not to wish to go out. I said to these persons, so headstrong in their judgment: ‘Mme. de la Fayette is not mad!′ and I stuck to that. It has taken her death to prove that she was quite right not to go out.” Du Boulbon when he came decided against — if not Mme. de Sévigné, whom we did not quote to him — my grandmother, at any rate. Instead of sounding her chest, fixing on her steadily his wonderful eyes, in which there was perhaps the illusion that he was making a profound scrutiny of his patient, or the desire to give her that illusion, which seemed spontaneous but must be mechanically produced, or else not to let her see that he was thinking of something quite different, or simply to obtain the mastery over her, he began talking about Bergotte.
— Ah! je crois bien, Madame, c′est admirable; comme vous avez raison de l′aimer! Mais lequel de ses livres préférez-vous? Ah! vraiment! Mon Dieu, c′est peut-être en effet le meilleur. C′est en tout cas son roman le mieux composé: Claire y est bien charmante; comme personnage d′homme lequel vous y est le plus sympathique?
“I should think so, indeed, he′s magnificent, you are quite right to admire him. But which of his books do you prefer? Indeed! Well, perhaps that is the best after all. In any case it is the best composed of his novels. Claire is quite charming in it; of his male characters which appeals to you most?”
Je crus d′abord qu′il la faisait ainsi parler littérature parce que, lui, la médecine l′ennuyait, peut-être aussi pour faire montre de sa largeur d′esprit, et même, dans un but plus thérapeutique, pour rendre confiance à la malade, lui montrer qu′il n′était pas inquiet, la distraire de son état. Mais, depuis, j′ai compris que, surtout particulièrement remarquable comme aliéniste et pour ses études sur le cerveau, il avait voulu se rendre compte par ses questions si la mémoire de ma grand′mère était bien intacte. Comme à contre-coeur il l′interrogea un peu sur sa vie, l′oeil sombre et fixe. Puis tout à coup, comme apercevant la vérité et décidé à l′atteindre coûte que coûte, avec un geste préalable qui semblait avoir peine à s′ébrouer, en les écartant, du flot des dernières hésitations qu′il pouvait avoir et de toutes les objections que nous aurions pu faire, regardant ma grand′mère d′un oeil lucide, librement et comme enfin sur la terre ferme, ponctuant les mots sur un ton doux et prenant, dont l′intelligence nuançait toutes les inflexions (sa voix du reste, pendant toute la visite, resta ce qu′elle était naturellement, caressante, et sous ses sourcils embroussaillés, ses yeux ironiques étaient remplis de bonté):
I supposed at first that he was making her talk like this about literature because he himself found medicine boring, perhaps also to display his breadth of mind and even, with a more therapeutic aim, to restore confidence to his patient, to shew her that he was not alarmed, to take her mind from the state of her health. But afterwards I realised that, being distinguished particularly as an alienist and by his work on the brain, he had been seeking to ascertain by these questions whether my grandmother′s memory was in good order. As though reluctantly he began to inquire about her past life, fixing a stern and sombre eye on her. Then suddenly, as though catching sight of the truth and determined to reach it at all costs, with a preliminary rubbing of his hands, which he seemed to have some difficulty in wiping dry of the final hesitations which he himself might feel and of all the objections which we might have raised, looking down at my grandmother with a lucid eye, boldly and as though he were at last upon solid ground, punctuating his words in a quiet, impressive tone, every inflexion of which bore the mark of intellect, he began. (His voice, for that matter, throughout this visit remained what it naturally was, caressing. And under his bushy brows his ironical eyes were full of kindness.)
— Vous irez bien, Madame, le jour lointain ou proche, et il dépend de vous que ce soit aujourd′hui même, où vous comprendrez que vous n′avez rien et où vous aurez repris la vie commune. Vous m′avez dit que vous ne mangiez pas, que vous ne sortiez pas?
“You will be quite well, Madame, on the day — when it comes, and it rests entirely with you whether it comes to-day — on which you realise that there is nothing wrong with you, and resume your ordinary life. You tell me that you have not been taking your food, not going out?”
— Mais, Monsieur, j′ai un peu de fièvre.
“But, Sir, I have a temperature.”
Il toucha sa main.
He laid a finger on her wrist.
— Pas en ce moment en tout cas. Et puis la belle excuse! Ne savez-vous pas que nous laissons au grand air, que nous suralimentons, des tuberculeux qui ont jusqu′à 39°?
“Not just now, at any rate. Besides, what an excuse! Don′t you know that we keep out in the open air and overfeed tuberculous patients with temperatures of 102?”
— Mais j′ai aussi un peu d′albumine.
“But I have a little albumen as well.”
— Vous ne devriez pas le savoir. Vous avez ce que j′ai décrit sous le nom d′albumine mentale. Nous avons tous eu, au cours d′une indisposition, notre petite crise d′albumine que notre médecin s′est empressé de rendre durable en nous la signalant. Pour une affection que les médecins guérissent avec des médicaments (on assure, du moins, que cela est arrivé quelquefois), ils en produisent dix chez des sujets bien portants, en leur inoculant cet agent pathogène, plus virulent mille fois que tous les microbes, l′idée qu′on est malade. Une telle croyance, puissante sur le tempérament de tous, agit avec une efficacité particulière chez les nerveux. Dites-leur qu′une fenêtre fermée est ouverte dans leur dos, ils commencent à éternuer; faites-leur croire que vous avez mis de la magnésie dans leur potage, ils seront pris de coliques; que leur café était plus fort que d′habitude, ils ne fermeront pas l′oeil de la nuit. Croyez-vous, Madame, qu′il ne m′a pas suffi de voir vos yeux, d′entendre seulement la façon dont vous vous exprimez, que dis-je? de voir Madame votre fille et votre petit-fils qui vous ressemblent tant, pour connaître à qui j′avais affaire? «Ta grand′mère pourrait peut-être aller s′asseoir, si le docteur le lui permet, dans une allée calme des Champs-Élysées, près de ce massif de lauriers devant lequel tu jouais autrefois», me dit ma mère consultant ainsi indirectement du Boulbon et de laquelle la voix prenait, à cause de cela, quelque chose de timide et de déférent qu′elle n′aurait pas eu si elle s′était adressée à moi seul. Le docteur se tourna vers ma grand′mère et, comme il n′était pas moins lettré que savant: «Allez aux Champs-Élysées, Madame, près du massif de lauriers qu′aime votre petit-fils. Le laurier vous sera salutaire. Il purifie. Après avoir exterminé le serpent Python, c′est une branche de laurier à la main qu′Apollon fit son entrée dans Delphes. Il voulait ainsi se préserver des germes mortels de la bête venimeuse. Vous voyez que le laurier est le plus ancien, le plus vénérable, et j′ajouterai — ce qui a sa valeur en thérapeutique, comme en prophylaxie — le plus beau des antiseptiques.»
“You ought not to know anything about that. You have what I have had occasion to call ‘mental albumen.′ We have all of us had, when we have not been very well, little albuminous phases which our doctor has done his best to make permanent by calling our attention to them. For one disorder that doctors cure with drugs (as I am told that they do occasionally succeed in doing) they produce a dozen others in healthy subjects by inoculating them with that pathogenic agent a thousand times more virulent than all the microbes in the world, the idea that one is ill. A belief of that sort, which has a disturbing effect on any temperament, acts with special force on neurotic people. Tell them that a shut window is open behind their back, they will begin to sneeze; make them believe that you have put magnesia in their soup, they will be seized with colic; that their coffee is stronger than usual, they will not sleep a wink all night. Do you imagine, Madame, that I needed to do any more than look into your eyes, listen to the way in which you express yourself, look, if I may say so, at this lady, your daughter, and at your grandson, who takes so much after you, to learn what was the matter with you?” “Your grandmother might perhaps go and sit, if the Doctor allows it, in some quiet path in the Champs-Elysées, near that laurel shrubbery where you used to play when you were little,” said my mother to me, thus indirectly consulting Dr. du Boulbon, her voice for that reason assuming a tone of timid deference which it would not have had if she had been addressing me alone. The Doctor turned to my grandmother and, being apparently as well-read in literature as in science, adjured her as follows: “Go to the Champs-Elysées, Madame, to the laurel shrubbery which your grandson loves. The laurel you will find health-giving. It purifies. After he had exterminated the serpent Python, it was with a bough of laurel in his hand that Apollo made his entry into Delphi. He sought thus to guard himself from the deadly germs of the venomous monster. So you see that the laurel is the most ancient, the most venerable and, I will add — what is of therapeutic as well as of prophylactic value — the most beautiful of antiseptics.”
Comme une grande partie de ce que savent les médecins leur est enseignée par les malades, ils sont facilement portés à croire que ce savoir des «patients» est le même chez tous, et ils se flattent d′étonner celui auprès de qui ils se trouvent avec quelque remarque apprise de ceux qu′ils ont auparavant soignés. Aussi fut-ce avec le fin sourire d′un Parisien qui, causant avec un paysan, espérerait l′étonner en se servant d′un mot de patois, que le docteur du Boulbon dit à ma grand′mère: «Probablement les temps de vent réussissent à vous faire dormir là où échoueraient les, plus puissants hypnotiques. — Au contraire, Monsieur, le vent m′empêche absolument de dormir.» Mais les médecins sont susceptibles. «Ach!» murmura du Boulbon en fronçant les sourcils, comme si on lui avait marché sur le pied et si les insomnies de ma grand′mère par les nuits de tempête étaient pour lui une injure personnelle. Il n′avait pas tout de même trop d′amour-propre, et comme, en tant qu′«esprit supérieur», il croyait de son devoir de ne pas ajouter foi à la médecine, il reprit vite sa sérénité philosophique.
Inasmuch as a great part of what doctors know is taught them by the sick, they are easily led to believe that this knowledge which patients exhibit is common to them all, and they pride themselves on taking the patient of the moment by surprise with some remark picked up at a previous bedside. Thus it was with the superior smile of a Parisian who, in conversation with a peasant, might hope to surprise him by using suddenly a word of the local dialect that Dr. du Boulbon said to my grandmother: “Probably a windy night will make you sleep when the strongest soporifics would have no effect.” “On the contrary, Sir, when the wind blows I can never sleep at all.” But doctors are touchy people. “Ach!” muttered du Boulbon, knitting his brows, as if some one had trodden on his toe, or as if my grandmother′s sleeplessness on stormy nights were a personal insult to himself. He had not, however, an undue opinion of himself, and since, in his character as a ‘superior′ person, he felt himself bound not to put any faith in medicine, he quickly recovered his philosophic serenity.
Ma mère, par désir passionné d′être rassurée par l′ami de Bergotte, ajouta à l′appui de son dire qu′une cousine germaine de ma grand′mère, en proie à une affection nerveuse, était restée sept ans cloîtrée dans sa chambre à coucher de Combray, sans se lever qu′une fois ou deux par semaine.
My mother, in her passionate longing for reassurance from Bergotte′S friend, added in support of his verdict that a first cousin of my grandmother, who suffered from a nervous complaint, had lain for seven years cloistered in her bedroom at Combray, without leaving her bed more than once or twice a week.
— Vous voyez, Madame, je ne le savais pas, et j′aurais pu vous le dire.
“You see, Madame, I didn′t know that, and yet I could have told you.”
— Mais, Monsieur, je ne suis nullement comme elle, au contraire; mon médecin ne peut pas me faire rester couchée, dit ma grand′mère, soit qu′elle fût un peu agacée par les théories du docteur ou désireuse de lui soumettre les objections qu′on y pouvait faire, dans l′espoir qu′il les réfuterait, et que, une fois qu′il serait parti, elle n′aurait plus en elle-même aucun doute à élever sur son heureux diagnostic.
“But, Sir, I am not in the least like her; on the contrary, my doctor complains that he cannot get me to stay in bed,” said my grandmother, whether because she was a little annoyed by the doctor′s theories, or was anxious to submit to him any objections that might be raised to them, in the hope that he would refute these and that, after he had gone, she would no longer find any doubt lurking in her own mind as to the accuracy of his encouraging diagnosis.
— Mais naturellement, Madame, on ne peut pas avoir, pardonnez-moi le mot, toutes les vésanies; vous en avez d′autres, vous n′avez pas celle-là. Hier, j′ai visité une maison de santé pour neurasthéniques. Dans le jardin, un homme était debout sur un banc, immobile comme un fakir, le cou incliné dans une position qui devait être fort pénible. Comme je lui demandais ce qu′il faisait là, il me répondit sans faire un mouvement ni tourner la tête: «Docteur, je suis extrêmement rhumatisant et enrhumable, je viens de prendre trop d′exercice, et pendant que je me donnais bêtement chaud ainsi, mon cou était appuyé contre mes flanelles. Si maintenant je l′éloignais de ces flanelles avant d′avoir laissé tomber ma chaleur, je suis sûr de prendre un torticolis et peut-être une bronchite.» Et il l′aurait pris, en effet. «Vous êtes un joli neurasthénique, voilà ce que vous êtes», lui dis-je. Savez-vous la raison qu′il me donna pour me prouver que non? C′est que, tandis que tous les malades de l′établissement avaient la manie de prendre leur poids, au point qu′on avait dû mettre un cadenas à la balance pour qu′ils ne passassent pas toute la journée à se peser, lui on était obligé de le forcer à monter sur la bascule, tant il en avait peu envie. Il triomphait de n′avoir pas la manie des autres, sans penser qu′il avait aussi la sienne et que c′était elle qui le préservait d′une autre. Ne soyez pas blessée de la comparaison, Madame, car cet homme qui n′osait pas tourner le cou de peur de s′enrhumer est le plus grand poète de notre temps. Ce pauvre maniaque est la plus haute intelligence que je connaisse. Supportez d′être appelée une nerveuse. Vous appartenez à cette famille magnifique et lamentable qui est le sel de la terre. Tout ce que nous connaissons de grand nous vient des nerveux. Ce sont eux et non pas d′autres qui ont fondé les religions et composé les chefs-d′oeuvre. Jamais le monde ne saura tout ce qu′il leur doit et surtout ce qu′eux ont souffert pour le lui donner. Nous goûtons les fines musiques, les beaux tableaux, mille délicatesses, mais nous ne savons pas ce qu′elles ont coûté, à ceux qui les inventèrent, d′insomnies, de pleurs, de rires spasmodiques, d′urticaires, d′asthmes, d′épilepsies, d′une angoisse de mourir qui est pire que tout cela, et que vous connaissez peut-être, Madame, ajouta-t-il en souriant à ma grand′mère, car, avouez-le, quand je suis venu, vous n′étiez pas très rassurée. Vous vous croyiez malade, dangereusement malade peut-être. Dieu sait de quelle affection vous croyiez découvrir en vous les symptômes. Et vous ne vous trompiez pas, vous les aviez. Le nervosisme est un pasticheur de génie. Il n′y a pas de maladie qu′il ne contrefasse à merveille. Il imite à s′y méprendre la dilatation des dyspeptiques, les nausées de la grossesse, l′arythmie du cardiaque, la fébricité du tuberculeux. Capable de tromper le médecin, comment ne tromperait-il pas le malade? Ah! ne croyez pas que je raille vos maux, je n′entreprendrais pas de les soigner si je ne savais pas les comprendre. Et, tenez, il n′y a de bonne confession que réciproque. Je vous ai dit que sans maladie nerveuse il n′est pas de grand artiste, qui plus est, ajouta-t-il en élevant gravement l′index, il n′y a pas de grand savant. J′ajouterai que, sans qu′il soit atteint lui-même de maladie nerveuse, il n′est pas, ne me faites pas dire de bon médecin, mais seulement de médecin correct des maladies nerveuses. Dans la pathologie nerveuse, un médecin qui ne dit pas trop de bêtises, c′est un malade à demi guéri, comme un critique est un poète qui ne fait plus de vers, un policier un voleur qui n′exerce plus. Moi, Madame, je ne me crois pas comme vous albuminurique, je n′ai pas la peur nerveuse de la nourriture, du grand air, mais je ne peux pas m′endormir sans m′être relevé plus de vingt fois pour voir si ma porte est fermée. Et cette maison de santé où j′ai trouvé hier un poète qui ne tournait pas le cou, j′y allais retenir une chambre, car, ceci entre nous, j′y passe mes vacances à me soigner quand j′ai augmenté mes maux en me fatiguant trop à guérir ceux des autres.
“Why, naturally, Madame, you cannot have all the forms of — if you′ll excuse my saying so — mania at once; you have others, but not that particular one. Yesterday I visited a home for neurasthenics. In the garden, I saw a man standing on a seat, motionless as a fakir, his neck bent in a position which must have been highly uncomfortable. On my asking him what he was doing there, he replied, without turning his head, or moving a muscle: ‘You see, Doctor, I am extremely rheumatic and catch cold very easily; I have just been taking a lot of exercise, and while I was getting hot, like a fool, my neck was touching my flannels. If I move it away from my flannels now before letting myself cool down, I am certain to get a stiff neck, and possibly bronchitis.′ Which he would, in fact, have done. ‘You′re a fine specimen of neurasthenia, that′s what you are,′ I told him. And do you know what argument he advanced to prove that I was mistaken? It was this; that while all the other patients in the place had a mania for testing their weight, so much so that the weighing machine had to be padlocked so that they should not spend the whole day on it, he had to be lifted on to it bodily, so little did he care to be weighed. He prided himself on not sharing the mania of the others without thinking that he had also one of his own, and that it was this which saved him from the other. You must not be offended by the comparison, Madame, for the man who dared not turn his neck for fear of catching a chill is the greatest poet of our day. That poor maniac is the most lofty intellect that I know. Submit to being called a neurotic. You belong to that splendid and pitiable family which is the salt of the earth. All the greatest things We know have come to us from neurotics. It is they and they only who have founded religions and created great works of art. Never will the world be conscious of how much it owes to them, nor above all of what they have suffered in order to bestow their gifts on it. We enjoy fine music, beautiful pictures, a thousand exquisite things, but we do not know what they cost those who wrought them in sleeplessness, tears, spasmodic laughter, rashes, asthma, epilepsy a terror of death which is worse than any of these, and which you perhaps have felt, Madame,” he added with a smile at my grandmother, “for confess now, when I came into the room, you were not feeling very confident You thought that you were ill; dangerously ill, perhaps. Heaven only knows what the disease was of which you thought you had detected the symptoms. And you were not mistaken; they were there. Neurosis has an absolute genius for malingering. There is no illness which it cannot counterfeit perfectly. It will produce life-like imitations of the dilatations of dyspepsia, the sicknesses of pregnancy, the broken rhythm of the cardiac, the feverishness of the consumptive. If it is capable of deceiving the doctor how should it fail to deceive the patient? No, no; you mustn′t think I′m making fun of your sufferings. I should not undertake to heal them unless I understood them thoroughly. And, well, they say there′s no good confession unless it′s mutual. I have told you that without nervous trouble there can be no great artist. What is more,” he added, raising a solemn forefinger, “there can be no great scientist either. I will go further, and say that, unless he himself is subject to nervous trouble, he is not, I won′t say a good doctor, but I do say the right doctor to treat nervous troubles. In nervous pathology a doctor who doesn′t say too many foolish things is a patient half-cured, just as a critic is a poet who has stopped writing verse and a policeman a burglar who has retired from practice. I, Madame, I do not, like you, fancy myself to be suffering from albuminuria, I have not your nervous fear of food, nor of fresh air, but I can never go to sleep without getting out of bed at least twenty times to see if my door is shut. And in that home where I found the poet yesterday who would not move his neck, I had gone to secure a room, for — this is between ourselves — I spend my holidays there looking after myself when I have increased my own trouble by wearing myself out in the attempt to cure other people.”
— Mais, Monsieur, devrais-je faire une cure semblable? dit avec effroi ma grand′mère.
“But do you want me to take a cure like that, Sir?” came to a frightened voice from my grandmother.
— C′est inutile, Madame. Les manifestations que vous accusez céderont devant ma parole. Et puis vous avez près de vous quelqu′un de très puissant que je constitue désormais votre médecin. C′est votre mal, votre suractivité nerveuse. Je saurais la manière de vous en guérir, je me garderais bien de le faire. Il me suffit de lui commander. Je vois sur votre table un ouvrage de Bergotte. Guérie de votre nervosisme, vous ne l′aimeriez plus. Or, me sentirais-je le droit d′échanger les joies qu′il procure contre une intégrité nerveuse qui serait bien incapable de vous les donner? Mais ces joies mêmes, c′est un puissant remède, le plus puissant de tous peut-être. Non, je n′en veux pas à votre énergie nerveuse. Je lui demande seulement de m′écouter; je vous confie à elle. Qu′elle fasse machine en arrière. La force qu′elle mettait pour vous empêcher de vous promener, de prendre assez de nourriture, qu′elle l′emploie à vous faire manger, à vous faire lire, à vous faire sortir, à vous distraire de toutes façons. Ne me dites pas que vous êtes fatiguée. La fatigue est la réalisation organique d′une idée préconçue. Commencez par ne pas la penser. Et si jamais vous avez une petite indisposition, ce qui peut arriver à tout le monde, ce sera comme si vous ne l′aviez pas, car elle aura fait de vous, selon un mot profond de M. de Talleyrand, un bien portant imaginaire. Tenez, elle a commencé à vous guérir, vous m′écoutez toute droite, sans vous être appuyée une fois, l′oeil vif, la mine bonne, et il y a de cela une demi-heure d′horloge et vous ne vous en êtes pas aperçue. Madame, j′ai bien l′honneur de vous saluer.
“It is not necessary, Madame. The symptoms which you describe will vanish at my bidding. Besides, you have with you a very efficient person whom I appoint as your doctor from now onwards. That is your trouble itself, the super-activity of your nerves. Even if I knew how to cure you of that, I should take good care not to. All I need do is to control it. I see on your table there one of Bergotte′s books. Cured of your neurosis you would no longer care for it. Well, I might feel it my duty to substitute for the joys that it procures for you a nervous stability which would be quite incapable of giving you those joys. But those joys themselves are a strong remedy, the strongest of all perhaps. No; I have nothing to say against your nervous energy. All I ask is that it should listen to me; I leave you in its charge. It must reverse its engines. The force which it is now using to prevent you from getting up, from taking sufficient food, let it employ in making you eat, in making you read, in making you go out, and in distracting you in every possible way. You needn′t tell me that you are fatigued. Fatigue is the organic realisation of a preconceived idea. Begin by not thinking it. And if ever you have a slight indisposition, which is a thing that may happen to anyone, it will be just as if you hadn′t it, for your nervous energy will have endowed you with what M. de Talleyrand, in an expression full of meaning, called ‘imaginary health.′ See, it has begun to cure you already, you have been sitting up in bed listening to me without once leaning back on your pillows; your eye is bright, your complexion is good, I have been talking to you for half an hour by the clock and you have never noticed the time. Well, Madame, I shall now bid you good-day.”
Quand, après avoir reconduit le docteur du Boulbon, je rentrai dans la chambre où ma mère était seule, le chagrin qui m′oppressait depuis plusieurs semaines s′envola, je sentis que ma mère allait laisser éclater sa joie et qu′elle allait voir la mienne, j′éprouvai cette impossibilité de supporter l′attente de l′instant prochain où, près de nous, une personne va être émue qui, dans un autre ordre, est un peu comme la peur qu′on éprouve quand on sait que quelqu′un va entrer pour vous effrayer par une porte qui est encore fermée; je voulus dire un mot à maman, mais ma voix se brisa, et fondant en larmes, je restai longtemps, la tête sur son épaule, à pleurer, à goûter, à accepter, à chérir la douleur, maintenant que je savais qu′elle était sortie de ma vie, comme nous aimons à nous exalter de vertueux projets que les circonstances ne nous permettent pas de mettre à exécution. Françoise m′exaspéra en ne prenant pas part à notre joie. Elle était tout émue parce qu′une scène terrible avait éclaté entre le valet de pied et le concierge rapporteur. Il avait fallu que la duchesse, dans sa bonté, intervînt, rétablît un semblant de paix et pardonnât au valet de pied. Car elle était bonne, et ç‘aurait été la place idéale si elle n′avait pas écouté les «racontages».
When, after seeing Dr. du Boulbon to the door, I returned to the room in which my mother was by herself, the oppression that had been weighing on me for the last few weeks lifted, I felt that my mother was going to break out with a cry of joy and would see my joy, I felt that inability to endure the suspense of the coming moment at which a person is going to be overcome with emotion in our presence, which in another category is a little like the thrill of fear that goes through one when one knows that somebody is going to come in and startle one by a door that is still closed; I tried to speak to Mamma but my voice broke, and, bursting into tears, I stayed for a long time, my head on her shoulder, crying, tasting, accepting, relishing my grief, now that I knew that it had departed from my life, as we like to exalt ourselves by forming virtuous plans which circumstances do not permit us to put into execution. Françoise annoyed me by her refusal to share in our joy. She was quite overcome because there had just been a terrible scene between the lovesick footman and the tale-bearing porter. It had required the Duchess herself, in her unfailing benevolence, to intervene, restore an apparent calm to the household and forgive the footman. For she was a good mistress, and that would have been the ideal ‘place′ if only she didn′t listen to ‘stories.′
On commençait déjà depuis plusieurs jours à savoir ma grand′mère souffrante et à prendre de ses nouvelles. Saint–Loup m′avait écrit: «Je ne veux pas profiter de ces heures où ta chère grand′mère n′est pas bien pour te faire ce qui est beaucoup plus que des reproches et où elle n′est pour rien. Mais je mentirais en te disant, fût-ce par prétérition, que je n′oublierai jamais la perfidie de ta conduite et qu′il n′y aura jamais un pardon pour ta fourberie et ta trahison.» Mais des amis, jugeant ma grand′mère peu souffrante (on ignorait même qu′elle le fût du tout), m′avaient demandé de les prendre le lendemain aux Champs-Élysées pour aller de là faire une visite et assister, à la campagne, à un dîner qui m′amusait. Je n′avais plus aucune raison de renoncer à ces deux plaisirs. Quand on avait dit à ma grand′mère qu′il faudrait maintenant, pour obéir au docteur du Boulbon, qu′elle se promenât beaucoup, on a vu qu′elle avait tout de suite parlé des Champs-Élysées. Il me serait aisé de l′y conduire; pendant qu′elle serait assise à lire, de m′entendre avec mes amis sur le lieu où nous retrouver, et j′aurais encore le temps, en me dépêchant, de prendre avec eux le train pour Ville-d′Avray. Au moment convenu, ma grand′mère ne voulut pas sortir, se trouvant fatiguée. Mais ma mère, instruite par du Boulbon, eut l′énergie de se fâcher et de se faire obéir. Elle pleurait presque à la pensée que ma grand′mère allait retomber dans sa faiblesse nerveuse, et ne s′en relèverait plus. Jamais un temps aussi beau et chaud ne se prêterait si bien à sa sortie. Le soleil changeant de place intercalait ça et là dans la solidité rompue du balcon ses inconsistantes mousselines et donnait à la pierre de taille un tiède épiderme, un halo d′or imprécis. Comme Françoise n′avait pas eu le temps d′envoyer un «tube» à sa fille, elle nous quitta dès après le déjeuner. Ce fut déjà bien beau qu′avant elle entrât chez Jupien pour faire faire un point au mantelet que ma grand′mère mettrait pour sortir. Rentrant moi-même à ce moment-là de ma promenade matinale, j′allai avec elle chez le giletier. «Est-ce votre jeune maître qui vous amène ici, dit Jupien à Françoise, est-ce vous qui me l′amenez, ou bien est-ce quelque bon vent et la fortune qui vous amènent tous les deux?» Bien qu′il n′eût pas fait ses classes, Jupien respectait aussi naturellement la syntaxe que M. de Guermantes, malgré bien des efforts, la violait. Une fois Françoise partie et le mantelet réparé, il fallut que ma grand-mère s′habillât; Ayant refusé obstinément que maman restât avec elle, elle mit, toute seule, un temps infini à sa toilette, et maintenant que je savais qu′elle était bien portante, et avec cette étrange indifférence que nous avons pour nos parents tant qu′ils vivent, qui fait que nous les faisons passer après tout le monde, je la trouvais bien égoî²´e d′être si longue, de risquer de me mettre en retard quand elle savait que j′avais rendez-vous avec des amis et devais dîner à Ville-d′Avray. D′impatience, je finis par descendre d′avance, après qu′on m′eut dit deux fois qu′elle allait être prête. Enfin elle me rejoignit, sans me demander pardon de son retard comme elle faisait d′habitude dans ces cas-là, rouge et distraite comme une personne qui est pressée et qui a oublié la moitié de ses affaires, comme j′arrivais près de la porte vitrée entr′ouverte qui, sans les en réchauffer le moins du monde, laissait entrer l′air liquide, gazouillant et tiède du dehors, comme si on avait ouvert un réservoir, entre les glaciales parois de l′hôtel.
During the last few days people had begun to hear of my grandmother′s illness and to inquire for news of her. Saint-Loup had written to me: “I do not wish to take advantage of a time when your dear grandmother is unwell to convey to you what is far more than mere reproaches, on a matter with which she has no concern. But I should not be speaking the truth were I to say to you, even out of politeness, that I shall ever forget the perfidy of your conduct, or that there can ever be any forgiveness for so scoundrelly a betrayal.” But some other friends, supposing that my grandmother was not seriously ill (they may not even have known that she was ill at all), had asked me to meet them next day in the Champs-Elysées, to go with them from there to pay a call together, ending up with a dinner in the country, the thought of which appealed to me. I had no longer any reason to forego these two pleasures. When my grandmother had been told that it was now imperative, if she was to obey Dr. du Boulbon′s orders, that she should go out as much as possible, she had herself at once suggested the Champs-Elysées. It would be easy for me to escort her there; and, while she sat reading, to arrange with my friends where I should meet them later; and I should still be in time, if I made haste, to take the train with them to Ville d′Avray. When the time came, my grandmother did not want to go out; she felt tired. But my mother, acting on du Boulbon′s instructions, had the strength of mind to be firm and to insist on obedience. She was almost in tears at the thought that my grandmother was going to relapse again into her nervous weakness, which she might never be able to shake off. Never again would there be such a fine, warm day for an outing. The sun as it moved through the sky interspersed here and there in the broken solidity of the balcony its unsubstantial muslins, and gave to the freestone ledge a warm epidermis, an indefinite halo of gold. As Françoise had not had time to send a ‘tube′ to her daughter, she left us immediately after luncheon. She very kindly consented, however, to call first at Jupien′s, to get a stitch put in the cloak which my grandmother was going to wear. Returning at that moment from my morning walk I accompanied her into the shop. “Is it your young master who brings you here,” Jupien asked Françoise, “is it you who are bringing him to see me or is it some good wind and fortune that bring you both?” For all his want of education, Jupien respected the laws of grammar as instinctively as M. de Guermantes, in spite of every effort, broke them. With Françoise gone and the cloak mended, it was time for my grandmother to get ready. Having obstinately refused to let Mamma stay in the room with her, she took, left to herself, an endless time over her dressing, and now that I knew her to be quite well, with that strange indifference which we feel towards our relatives so long as they are alive, which makes us put everyone else before them, I felt it to be very selfish of her to take so long, to risk making me late when she knew that I had an appointment with my friends and was dining at Ville d′Avray. In my impatience I finally went downstairs without waiting for her, after I had twice been told that she was just ready. At last she joined me, without apologising to me, as she generally did, for having kept me waiting, flushed and bothered like a person who has come to a place in a hurry and has forgotten half her belongings, just as I was reaching the half-opened glass door which, without warming them with it in the least, let in the liquid, throbbing, tepid air from the street (as though the sluices of a reservoir had been opened) between the frigid walls of the passage.
— Mon Dieu, puisque tu vas voir des amis, j′aurais pu mettre un autre mantelet. J′ai l′air un peu malheureux avec cela.
“Oh, dear, if you′re going to meet your friends I ought to have put on another cloak. I look rather poverty-stricken in this one.”
Je fus frappé comme elle était congestionnée et compris que, s′étant mise en retard, elle avait dû beaucoup se dépêcher. Comme nous venions de quitter le fiacre à l′entrée de l′avenue Gabriel, dans les Champs-Élysées, je vis ma grand′mère qui, sans me parler, s′était détournée et se dirigeait vers le petit pavillon ancien, grillagé de vert, où un jour j′avais attendu Françoise. Le même garde forestier qui s′y trouvait alors y était encore auprès de la «marquise», quand, suivant ma grand′mère qui, parce qu′elle avait sans doute une nausée, tenait sa main devant sa bouche, je montai les degrés du petit théâtre rustique édifié au milieu des jardins. Au contrôle, comme dans ces cirques forains où le clown, prêt à entrer en scène et tout enfariné, reçoit lui-même à la porte le prix des places, la «marquise», percevant les entrées, était toujours là avec son museau énorme et irrégulier enduit de plâtre grossier, et son petit bonnet de rieurs rouges et de dentelle noire surmontant sa perruque rousse. Mais je ne crois pas qu′elle me reconnut. Le garde, délaissant la surveillance des verdures, à la couleur desquelles était assorti son uniforme, causait, assis à côté d′elle.
I was startled to see her so flushed, and supposed that having begun by making herself late she had had to hurry over her dressing. When we left the cab at the end of the Avenue Gabriel, in the Champs-Elysées, I saw my grandmother, without a word to me, turn aside and make her way to the little old pavilion with its green trellis, at the door of which I had once waited for Françoise. The same park-keeper who had been standing there then was still talking to Françoise′s ‘Marquise′ when, following my grandmother who, doubtless because she was feeling sick, had her hand in front of her mouth, I climbed the steps of that little rustic theatre, erected there among the gardens. At the entrance, as in those circus booths where the clown, dressed for the ring and smothered in flour, stands at the door and takes the money himself for the seats, the ‘Marquise,′ at the receipt of custom, was still there in her place with her huge, uneven face smeared with a coarse plaster and her little bonnet of red flowers and black lace surmounting her auburn wig. But I do not suppose that she recognised me. The park-keeper, abandoning his watch over the greenery, with the colour of which his uniform had been designed to harmonise, was talking to her, on a chair by her side.
— Alors, disait-il, vous êtes toujours là. Vous ne pensez pas à vous retirer.
“So you′re still here?” he was saying. “You don′t think of retiring?”
— Et pourquoi que je me retirerais, Monsieur? Voulez-vous me dire où je serais mieux qu′ici, où j′aurais plus mes aises et tout le confortable? Et puis toujours du va-et-vient, de la distraction; c′est ce que j′appelle mon petit Paris: mes clients me tiennent au courant de ce qui se passe. Tenez, Monsieur, il y en a un qui est sorti il n′y a pas plus de cinq minutes, c′est un magistrat tout ce qu′il y a de plus haut placé. Eh bien! Monsieur, s′écria-t-elle avec ardeur comme prête à soutenir cette assertion par la violence — si l′agent de l′autorité avait fait mine d′en contester l′exactitude — depuis huit ans, vous m′entendez bien, tous les jours que Dieu a faits, sur le coup de 3 heures, il est ici, toujours poli, jamais un mot plus haut que l′autre, ne salissant jamais rien, il reste plus d′une demi-heure pour lire ses journaux en faisant ses petits besoins. Un seul jour il n′est pas venu. Sur le moment je ne m′en suis pas aperçue, mais le soir tout d′un coup je me suis dit: «Tiens, mais ce monsieur n′est pas venu, il est peut-être mort.»
Ça m′a fait quelque chose parce que je m′attache quand le monde est bien. Aussi j′ai été bien contente quand je l′ai revu le lendemain, je lui ai dit: «Monsieur, il ne vous était rien arrivé hier?» Alors il m′a dit comme ça qu′il ne lui était rien arrivé à lui, que c′était sa femme qui était morte, et qu′il avait été si retourné qu′il n′avait pas pu venir. Il avait l′air triste assurément, vous comprenez, des gens qui étaient mariés depuis vingt-cinq ans, mais il avait l′air content tout de même de revenir. On sentait qu′il avait été tout dérangé dans ses petites habitudes. J′ai tâché de le remonter, je lui ai dit: «Il ne faut pas se laisser aller. Venez comme avant, dans votre chagrin ça vous fera une petite distraction.»
“And what have I to retire for, Sir? Will you kindly tell me where I shall be better off than here, where I should live more at my ease, and with every comfort? And then there′s all the coming and going, plenty of distraction; my little Paris, I call it; my customers keep me in touch with everything that′s going on. Just to give you an example, there′s one of them who went out not more than five minutes ago; he′s a magistrate, in the very highest position there is. Very well, Sir,” she cried with ardour, as though prepared to maintain the truth of this assertion by violence, should the agent of civic authority shew any sign of challenging its accuracy, “for the last eight years, do you follow me, every day God has made, regularly on the stroke of three he′s been here, always polite, never saying one word louder than another, never making any mess; and he stays half an hour and more to read his papers and do his little jobs. There was one day he didn′t come. I never noticed it at the time, but that evening, all of a sudden I said to myself: ‘Why, that gentleman never came to-day; perhaps he′s dead!′ And that gave me a regular turn, you know, because, of course, I get quite fond of people when they behave nicely. And so I was very glad when I saw him come in again next day, and I said to him, I did: ‘I hope there was nothing wrong yesterday, Sir?′ Then he told me that it was his wife that had died, and he′d been so put out, poor gentleman, what with one thing and another, he hadn′t been able to come. He had that really sad look, you know, people have when they′ve been married five-and-twenty years, and then the parting, but he seemed pleased, all the same, to be back here. You could see that all his little habits had been quite upset. I did what I could to make him feel at home. I said to him: ‘Y′ mustn′t let go of things, Sir. Just come here the same as before, it will be a little distraction for you in your sorrow.′”
La «marquise» reprit un ton plus doux, car elle avait constaté que le protecteur des massifs et des pelouses l′écoutait avec bonhomie sans songer à la contredire, gardant inoffensive au fourreau une épée qui avait plutôt l′air de quelque instrument de jardinage ou de quelque attribut horticole.
The ‘Marquise′ resumed a gentler tone, for she had observed that the guardian of groves and lawns was listening to her complacently and with no thought of contradiction, keeping harmlessly in its scabbard a sword which looked more like a horticultural implement or some symbol of a garden-god.
— Et puis, dit-elle, je choisis mes clients, je ne reçois pas tout le monde dans ce que j′appelle mes salons. Est-ce que ça n′a pas l′air d′un salon, avec mes fleurs? Comme j′ai des clients très aimables, toujours l′un ou l′autre veut m′apporter une petite branche de beau lilas, de jasmin, ou des roses, ma fleur préférée.
“And besides,” she went on, “I choose my customers, I don′t let everyone into my little parlours, as I call them. And doesn′t the place just look like a parlour with all my flowers? Such friendly customers I have; there′s always some one or other brings me a spray of nice lilac, or jessamine or roses; my favourite flowers, roses are.”
L′idée que nous étions peut-être mal jugés par cette dame en ne lui apportant jamais ni lilas, ni belles roses me fit rougir, et pour tâcher d′échapper physiquement — ou de n′être jugé par elle que par contumace —à un mauvais jugement, je m′avançai vers la porte de sortie. Mais ce ne sont pas toujours dans la vie les personnes qui apportent les belles roses pour qui on est le plus aimable, car la «marquise», croyant que je m′ennuyais, s′adressa à moi:
The thought that we were perhaps despised by this lady because we never brought any sprays of lilac or fine roses to her bower made me redden, and in the hope of making a bodily escape — or of being condemned only by default — from an adverse judgment, I moved towards the exit. But it is not always in this world the people who bring us fine roses to whom we are most friendly, for the ‘Marquise,′ thinking that I was bored, turned to me.
— Vous ne voulez pas que je vous ouvre une petite cabine?
“You wouldn′t like me to open a little place for you?”
Et comme je refusais:
And, on my declining:
— Non, vous ne voulez pas? ajouta-t-elle avec un sourire; c′était de bon coeur, mais je sais bien que ce sont des besoins qu′il ne suffit pas de ne pas payer pour les avoir.
“No? You′re sure you won′t?” she persisted, smiling. “Well, just as you please. You′re welcome to it, but I know quite well, not having to pay for a thing won′t make you want to do it if you don′t want to.”
A ce moment une femme mal vêtue entra précipitamment qui semblait précisément les éprouver. Mais elle ne faisait pas partie du monde de la «marquise», car celle-ci, avec une férocité de snob, lui dit sèchement:
At this moment a shabbily dressed woman hurried into the place who seemed to be feeling precisely the want in question. But she did not belong to the ‘Marquise′s′ world, for the latter, with the ferocity of a snob, flung at her:
— Il n′y a rien de libre, Madame.
“I′ve nothing disengaged, Ma′am.”
— Est-ce que ce sera long? demanda la pauvre dame, rouge sous ses fleurs jaunes.
“Will they be long?” asked the poor lady, reddening beneath the yellow flowers in her hat.
— Ah! Madame, je vous conseille d′aller ailleurs, car, vous voyez, il y a encore ces deux messieurs qui attendent, dit-elle en nous montrant moi et le garde, et je n′ai qu′un cabinet, les autres sont en réparation.
“Well, Ma′am, if you′ll take my advice, you′ll try somewhere else; you see, there are still these two gentlemen waiting, and I′ve only one closet; the others are out of order.”
«
Ça a une tête de mauvais payeur, dit la «marquise». Ce n′est pas le genre d′ici, ça n′a pas de propreté, pas de respect, il aurait fallu que ce soit moi qui passe une heure à nettoyer pour madame. Je ne regrette pas ses deux sous.»
“Not much money there,” she explained when the other had gone. “It′s not the sort we want here, either; they′re not clean, don′t treat the place with respect, it would be your humble here that would have to spend the next hour cleaning up after her ladyship. I′m not sorry to lose her penny.”
Enfin ma grand′mère sortit, et songeant qu′elle ne chercherait pas à effacer par un pourboire l′indiscrétion qu′elle avait montrée en restant un temps pareil, je battis en retraite pour ne pas avoir une part du dédain que lui témoignerait sans doute la «marquise», et je m′engageai dans une allée, mais lentement, pour que ma grand′mère pût facilement me rejoindre et continuer avec moi. C′est ce qui arriva bientôt. Je pensais que ma grand′mère allait me dire: «Je t′ai fait bien attendre, j′espère que tu ne manqueras tout de même pas tes amis», mais elle ne prononça pas une seule parole, si bien qu′un peu déçu, je ne voulus pas lui parler le premier; enfin levant les yeux vers elle, je vis que, tout en marchant auprès de moi, elle tenait la tête tournée de l′autre côté. Je craignais qu′elle n′eût encore mal au coeur. Je la regardai mieux et fus frappé de sa saccadée. Son chapeau était de travers, son manteau sale, elle avait l′aspect désordonné et mécontent, la figure rouge et préoccupée d′une personne qui vient d′être bousculée par une voiture ou qu′on a retirée d′un fossé.
Finally my grandmother emerged, and feeling that she probably would not seek to atone by a lavish gratuity for the indiscretion that she had shewn by remaining so long inside, I beat a retreat, so as not to have to share in the scorn which the ‘Marquise′ would no doubt heap on her, and began strolling along a path, but slowly, so that my grandmother should not have to hurry to overtake me; as presently she did. I expected her to begin: “I am afraid I′ve kept you waiting; I hope you′ll still be in time for your friends,” but she did not utter a single word, so much so that, feeling a little hurt, I was disinclined to speak first; until looking up at her I noticed that as she walked beside me she kept her face turned the other way. I was afraid that her heart might be troubling her again. I studied her more carefully and was struck by the disjointedness of her gait. Her hat was crooked, her cloak stained; she had the confused and worried look, the flushed, slightly dazed face of a person who has just been knocked down by a carriage or pulled out of a ditch.
— J′ai eu peur que tu n′aies eu une nausée, grand′mère; te sens-tu mieux? lui dis-je.
“I was afraid you were feeling sick, Grandmamma; are you feeling better now?” I asked her.
Sans doute pensa-t-elle qu′il lui était impossible, sans m′inquiéter, de ne pas me répondre.
Probably she thought that it would be impossible for her, without alarming me, not to make some answer.
— J′ai entendu toute la conversation entre la «marquise» et le garde, me dit-elle. C′était on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin. Dieu! qu′en termes galants ces choses-là étaient mises. Et elle ajouta encore, avec application, ceci de sa marquise à elle, Mme de Sévigné: «En les écoutant je pensais qu′ils me préparaient les délices d′un adieu.»
“I heard the whole of her conversation with the keeper,” she told me. “Could anything have been more typical of the Guermantes, or the Verdurins and their little circle? Heavens, what fine language she put it all in!” And she quoted, with deliberate application, this sentence from her own special Marquise, Mme. de Sévigné: “As I listened to them I thought that they were preparing for me the pleasures of a farewell.”
Voilà le propos qu′elle me tint et où elle avait mis toute sa finesse, son goût des citations, sa mémoire des classiques, un peu plus même qu′elle n′eût fait d′habitude et comme pour montrer qu′elle gardait bien tout cela en sa possession. Mais ces phrases, je les devinai plutôt que je ne les entendis, tant elle les prononça d′une voix ronchonnante et en serrant les dents plus que ne pouvait l′expliquer la peur de vomir.
Such was the speech that she made me, a speech into which she had put all her critical delicacy, her love of quotations, her memory of the classics more thoroughly even than she would naturally have done, and as though to prove that she retained possession of all these faculties. But I guessed rather than heard what she said, so inaudible was the voice in which she muttered her sentences, clenching her teeth more than could be accounted for by the fear of being sick again.
— Allons, lui dis-je assez légèrement pour n′avoir pas l′air de prendre trop au sérieux son malaise, puisque tu as un peu mal au coeur, si tu veux bien nous allons rentrer, je ne veux pas promener aux Champs-Élysées une grand′mère qui a une indigestion.
“Come!” I said lightly, so as not to seem to be taking her illness too seriously, “since your heart is bothering you, shall we go home now? I don′t want to trundle a grandmother with indigestion about the Champs-Elysées.”
— Je n′osais pas te le proposer à cause de tes amis, me répondit-elle. Pauvre petit! Mais puisque tu le veux bien, c′est plus sage.
“I didn′t like to suggest it, because of your friends,” she replied. “Poor boy! But if you don′t mind, I think it would be wiser.”
J′eus peur qu′elle ne remarquât la façon dont elle prononçait ces mots.
I was afraid of her noticing the strange way in which she uttered these words.
— Voyons, lui dis-je brusquement, ne te fatigue donc pas à parler, puisque tu as mal au coeur; c′est absurde, attends au moins que nous soyons rentrés.
“Come!” I said to her sharply, “you mustn′t tire yourself talking; if your heart is bad, it′s silly; wait till we get home.”
Elle me sourit tristement et me serra la main. Elle avait compris qu′il n′y avait pas à me cacher ce que j′avais deviné tout de suite: qu′elle venait d′avoir une petite attaque.
She smiled at me sorrowfully and gripped my hand. She had realised that there was no need to hide from me what I had at once guessed, that she had had a slight stroke.
II Chapitre Premier
Maladie de ma Grand′mère. Maladie de Bergotte. Le Duc et le Médecin. Déclin de ma Grand′mère. Sa Mort.
Nous retraversâmes l′avenue Gabriel, au milieu de la foule des promeneurs. Je fis asseoir ma grand′mère sur un banc et j′allai chercher un fiacre. Elle, au coeur de qui je me plaçais toujours pour juger la personne la plus insignifiante, elle m′était maintenant fermée, elle était devenue une partie du monde extérieur, et plus qu′à de simples passants, j′étais forcé de lui taire ce que je pensais de son état, de lui taire mon inquiétude. Je n′aurais pu lui en parler avec plus de confiance qu′à une étrangère. Elle venait de me restituer les pensées, les chagrins que depuis mon enfance je lui avais confiés pour toujours. Elle n′était pas morte encore. J′étais déjà seul. Et même ces allusions qu′elle avait faites aux Guermantes, à Molière, à nos conversations sur le petit noyau, prenaient un air sans appui, sans cause, fantastique, parce qu′elles sortaient du néant de ce même être qui, demain peut-être, n′existerait plus, pour lequel elles n′auraient plus aucun sens, de ce néant — incapable de les concevoir — que ma grand′mère serait bientôt.
We made our way back along the Avenue Gabriel, through the strolling crowd. I left my grandmother to rest on a seat and went in search of a cab. She, in whose heart I always placed myself when I had to form an opinion of the most unimportant person, she was now closed to me, had become part of the world outside, and, more than from any casual passerby, I was obliged to keep from her what I thought of her condition, to say no word of my uneasiness. I could not have spoken of it to her in greater confidence than to a stranger. She had suddenly handed back to me the thoughts, the griefs which, from the days of my infancy, I had entrusted for all time to her keeping. She was not yet dead. I was already alone. And even those allusions which she had made to the Guermantes, to Mme. de Sévigné, to our conversations about the little clan, assumed an air of being without point or occasion, fantastic, because they sprang from the nullity of this very being who to-morrow possibly would have ceased to exist, for whom they would no longer have any meaning, from that nullity, incapable of conceiving them, which my grandmother would shortly be.
— Monsieur, je ne dis pas, mais vous n′avez pas pris de rendez-vous avec moi, vous n′avez pas de numéro. D′ailleurs, ce n′est pas mon jour de consultation. Vous devez avoir votre médecin. Je ne peux pas me substituer, à moins qu′il ne me fasse appeler en consultation. C′est une question de déontologie. . . .
“Well, Sir, I don′t like to say no, but you have not made an appointment, you have no time fixed. Besides, this is not my day for seeing patients. You surely have a doctor of your own. I cannot interfere with his practice, unless he were to call me in for a consultation. It′s a question of professional etiquette . . . ”
Au moment où je faisais signe à un fiacre, j′avais rencontré le fameux professeur E . . ., presque ami de mon père et de mon grand-père, en tout cas en relations avec eux, lequel demeurait avenue Gabriel, et, pris d′une inspiration subite, je l′avais arrêté au moment où il rentrait, pensant qu′il serait peut-être d′un excellent conseil pour ma grand′mère. Mais, pressé, après avoir pris ses lettres, il voulait m′éconduire, et je ne pus lui parler qu′en montant avec lui dans l′ascenseur, dont il me pria de le laisser manoeuvrer les boutons, c′était chez lui une manie.
Just as I was signalling to a cabman, I had caught sight of the famous Professor E— — almost a friend of my father and grandfather, acquainted at any rate with them both, who lived in the Avenue Gabriel, and, with a sudden inspiration, had stopped him just as he was entering his house, thinking that he would perhaps be the very person to advise my grandmother. But he was evidently in a hurry and, after calling for his letters, seemed anxious to get rid of me, so that my only chance of speaking to him lay in going up with him in the lift, of which he begged me to allow him to work the switches himself, this being a mania with him.
— Mais, Monsieur, je ne demande pas que vous receviez ma grand′mère, vous comprendrez après ce que je vais vous dire, qu′elle est peu en état, je vous demande au contraire de passer d′ici une demi-heure chez nous, où elle sera rentrée.
“But, Sir, I am not asking you to see my grandmother here; you will realise from what I am trying to tell you that she is not in a fit state to come; what I am asking is that you should call at our house in half an hour′s time, when I have taken her home.”
— Passer chez vous? mais, Monsieur, vous n′y pensez pas. Je dîne chez le Ministre du Commerce, il faut que je fasse une visite avant, je vais m′habiller tout de suite; pour comble de malheur mon habit a été déchiré et l′autre n′a pas de boutonnière pour passer les décorations. Je vous en prie, faites-moi le plaisir de ne pas toucher les boutons de l′ascenseur, vous ne savez pas le manoeuvrer, il faut être prudent en tout. Cette boutonnière va me retarder encore. Enfin, par amitié pour les vôtres, si votre grand′mère vient tout de suite je la recevrai. Mais je vous préviens que je n′aurai qu′un quart d′heure bien juste à lui donner.
“Call at your house! Really, Sir, you must not expect me to do that. I am dining with the Minister of Commerce. I have a call to pay first. I must change at once, and to make matters worse I have torn my coat and my′ other one has no buttonholes for my. decorations. I beg you, please, to oblige me by not touching the switches. You don′t know how the lift works; one can′t be too careful. Getting that buttonhole made means more delay. Well, as I am a friend of your people, if your grandmother comes here at once I will see her. But I warn you that I shall be able to give her exactly a quarter of an hour, nor a moment more.”
J′étais reparti aussitôt, n′étant même pas sorti de l′ascenseur que le professeur E . . . avait mis lui-même en marche pour me faire descendre, non sans me regarder avec méfiance.
I had started off at once, without even getting out of the lift which Professor E——-had himself set in motion to take me down again, casting a suspicious glance at me as he did so.
Nous disons bien que l′heure de la mort est incertaine, mais quand nous disons cela, nous nous représentons cette heure comme située dans un espace vague et lointain, nous ne pensons pas qu′elle ait un rapport quelconque avec la journée déjà commencée et puisse signifier que la mort — ou sa première prise de possession partielle de nous, après laquelle elle ne nous lâchera plus — pourra se produire dans cet après-midi même, si peu incertain, cet après-midi où l′emploi de toutes les heures est réglé d′avance. On tient à sa promenade pour avoir dans un mois le total de bon air nécessaire, on a hésité sur le choix d′un manteau à emporter, du cocher à appeler, on est en fiacre, la journée est tout entière devant vous, courte, parce qu′on veut être rentré à temps pour recevoir une amie; on voudrait qu′il fît aussi beau le lendemain; et on ne se doute pas que la mort, qui cheminait en vous dans un autre plan, au milieu d′une impénétrable obscurité, a choisi précisément ce jour-là pour entrer en scène, dans quelques minutes, à peu près à l′instant où la voiture atteindra les Champs-Élysées. Peut-être ceux que hante d′habitude l′effroi de la singularité particulière à la mort, trouveront-ils quelque chose de rassurant à ce genre de mort-là—à ce genre de premier contact avec la mort — parce qu′elle y revêt une apparence connue, familière, quotidienne. Un bon déjeuner l′a précédée et la même sortie que font des gens bien portants. Un retour en voiture découverte se superpose à sa première atteinte; si malade que fût ma grand′mère, en somme plusieurs personnes auraient pu dire qu′à six heures, quand nous revînmes des Champs-Élysées, elles l′avaient saluée, passant en voiture découverte, par un temps superbe. Legrandin, qui se dirigeait vers la place de la Concorde, nous donna un coup de chapeau, en s′arrêtant, l′air étonné. Moi qui n′étais pas encore détaché de la vie, je demandai à ma grand′mère si elle lui avait répondu, lui rappelant qu′il était susceptible. Ma grand′mère, me trouvant sans doute bien léger, leva sa main en l′air comme pour dire: «Qu′est-ce que cela fait? cela n′a aucune importance.»
We may, indeed, say that the hour of death is uncertain, but when we say so we represent that hour to ourselves as situated in a vague and remote expanse of time, it never occurs to us that it can have any connexion with the day that has already dawned, or may signify that death — or its first assault and partial possession of us, after which it will never leave hold of us again — may occur this very afternoon, so far from uncertain, this afternoon every hour of which has already been allotted to some occupation. You make a point of taking your drive every day so that in a month′s time you will have had the full benefit of the fresh air; you have hesitated over which cloak you will take, which cabman to call, you are in the cab, the whole day lies before you, short because you have to be at home early, as a friend is coming to see you; you hope that it will be as fine again to-morrow; and you have no suspicion that death, which has been making its way towards you along another plane, shrouded in an impenetrable darkness, has chosen precisely this day of all days to make its appearance, in a few minutes′ time, more or less, at the moment when the carriage has reached the Champs-Elysées. Perhaps those who are haunted as a rule by the fear of the utter strangeness of death will find something reassuring in this kind of death — in this kind of first contact with death — because death thus assumes a known, familiar guise of everyday life. A good luncheon has preceded it, and the same outing that people take who are in perfect health. A drive home in an open carriage comes on top of its first onslaught; ill as my grandmother was, there were, after all, several people who could testify that at six o′clock, as we came home from the Champs-Elysées, they had bowed to her as she drove past in an open carriage, in perfect weather. Legrandin, making his way towards the Place de la Concorde, raised his hat to us, stopping to look after us with an air of surprise. I, who was not yet detached from life, asked my grandmother if she had acknowledged his greeting, reminding her of his readiness to take offence. My grandmother, thinking me no doubt very frivolous, raised her hand in the air as though to say: “What does it matter? It is not of the least importance.”
Oui, on aurait pu dire tout à l′heure, pendant que je cherchais un fiacre, que ma grand′mère était assise sur un banc, avenue Gabriel, qu′un peu après elle avait passé en voiture découverte. Mais eût-ce été bien vrai? Le banc, lui, pour qu′il se tienne dans une avenue — bien qu′il soit soumis aussi à certaines conditions d′équilibre — n′a pas besoin d′énergie. Mais pour qu′un être vivant soit stable, même appuyé sur un banc ou dans une voiture, il faut une tension de forces que nous ne percevons pas, d′habitude, plus que nous ne percevons (parce qu′elle s′exerce dans tous les sens) la pression atmosphérique. Peut-être si on faisait le vide en nous et qu′on nous laissât supporter la pression de l′air, sentirions-nous, pendant l′instant qui précéderait notre destruction, le poids terrible que rien ne neutraliserait plus. De même, quand les abîmes de la maladie et de la mort s′ouvrent en nous et que nous n′avons plus rien à opposer au tumulte avec lequel le monde et notre propre corps se ruent sur nous, alors soutenir même la pesée de nos muscles, même le frisson qui dévaste nos moelles, alors, même nous tenir immobiles dans ce que nous croyons d′habitude n′être rien que la simple position négative d′une chose, exige, si l′on veut que la tête reste droite et le regard calme, de l′énergie vitale, et devient l′objet d′une lutte épuisante.
Yes, one might have said that, a few minutes earlier, when I was looking for a cab, my grandmother was resting on a seat in the Avenue Gabriel, and that a little later she had driven past in an open carriage. But would that have been really true? The seat, for instance, to maintain its position at the side of an avenue — for all that it may be subjected also to certain conditions of equilibrium — has no need of energy. But in order that a living person may be stable, even when supported by a seat or in a carriage, there is required a tension of forces which we do not ordinarily perceive any more than we perceive (because its action is universal) atmospheric pressure. Possibly if we were to be hollowed out and then left to support the pressure of the air we might feel, in the moment that preceded our extinction, that terrible weight which there was nothing left in us to neutralise. Similarly when the abyss of sickness and death opens within us and we have no longer any resistance to offer to the tumult with which the world and our own body rush upon us, then to endure even the tension of our own muscles, the shudder that freezes us to the marrow, then even to keep ourselves motionless in what we ordinarily regard as nothing but the simple negative position of a lifeless thing requires, if we wish our head to remain erect and our eyes calm, an expense of vital energy and becomes the object of an exhausting struggle.
Et si Legrandin nous avait regardés de cet air étonné, c′est qu′à lui comme à ceux qui passaient alors, dans le fiacre où ma grand′mère semblait assise sur la banquette, elle était apparue sombrant, glissant à l′abîme, se retenant désespérément aux coussins qui pouvaient à peine retenir son corps précipité, les cheveux en désordre, l′oeil égaré, incapable de plus faire face à l′assaut des images que ne réussissait plus à porter sa prunelle. Elle était apparue, bien qu′à côté de moi, plongée dans ce monde inconnu au sein duquel elle avait déjà reçu les coups dont elle portait les traces quand je l′avais vue tout à l′heure aux Champs-Élysées, son chapeau, son visage, son manteau dérangés par la main de l′ange invisible avec lequel elle avait lutté. J′ai pensé, depuis, que ce moment de son attaque n′avait pas dû surprendre entièrement ma grand′mère, que peut-être même elle l′avait prévu longtemps d′avance, avait vécu dans son attente. Sans doute, elle n′avait pas su quand ce moment fatal viendrait, incertaine, pareille aux amants qu′un doute du même genre porte tour à tour à fonder des espoirs déraisonnables et des soupçons injustifiés sur la fidélité de leur maîtresse. Mais il est rare que ces grandes maladies, telles que celle qui venait enfin de la frapper en plein visage, n′élisent pas pendant longtemps domicile chez le malade avant de le tuer, et durant cette période ne se fassent pas assez vite, comme un voisin ou un locataire «liant», connaître de lui. C′est une terrible connaissance, moins par les souffrances qu′elle cause que par l′étrange nouveauté des restrictions définitives qu′elle impose à la vie. On se voit mourir, dans ce cas, non pas à l′instant même de la mort, mais des mois, quelquefois des années auparavant, depuis qu′elle est hideusement venue habiter chez nous. La malade fait la connaissance de l′étranger qu′elle entend aller et venir dans son cerveau. Certes elle ne le connaît pas de vue, mais des bruits qu′elle l′entend régulièrement faire elle déduit ses habitudes. Est-ce un malfaiteur? Un matin, elle ne l′entend plus. Il est parti. Ah! si c′était pour toujours! Le soir, il est revenu. Quels sont ses desseins? Le médecin consultant, soumis à la question, comme une maîtresse adorée, répond par des serments tel jour crus, tel jour mis en doute. Au reste, plutôt que celui de la maîtresse, le médecin joue le rôle des serviteurs interrogés. Ils ne sont que des tiers. Celle que nous pressons, dont nous soupçonnons qu′elle est sur le point de nous trahir, c′est la vie elle-même, et malgré que nous ne la sentions plus la même, nous croyons encore en elle, nous demeurons en tout cas dans le doute jusqu′au jour qu′elle nous a enfin abandonnés.
And if Legrandin had looked back at us with that astonished air, it was because to him, as to the other people who passed us then, in the cab in which my grandmother was apparently seated she had seemed to be foundering, sliding into the abyss, clinging desperately to the cushions which could barely arrest the downward plunge of her body, her hair in disorder, her eye wild, unable any longer to face the assault of the images which its pupil was not strong enough now to bear. She had appeared to them, although I was still by her side, submerged in that unknown world somewhere in which she had already received the blows, traces of which she still bore when I looked up at her a few minutes earlier in the Champs-Elysées, her hat, her face, her cloak left in disorder by the hand of the invisible angel with whom she had wrestled. I have thought, since, that this moment of her stroke cannot have altogether surprised my grandmother, that indeed she had perhaps foreseen it a long time back, had lived in expectation of it. She had not known, naturally, when this fatal moment would come, had never been certain, any more than those lovers whom a similar doubt leads alternately to found unreasonable hopes and unjustified suspicions on the fidelity of their mistresses. But it is rarely that these grave maladies, like that which now at last had struck her full in the face, do not take up their abode in the sick man for a long time before killing him, during which time they make haste, like a ‘sociable′ neighbour or tenant, to introduce themselves to him. A terrible acquaintance, not so much from the sufferings that it causes as from the strange novelty of the definite restriction which it imposes upon life. A woman sees herself dying, in these cases not at the actual moment of death but months, sometimes years before, when death has hideously come to dwell in her. The sufferer makes the acquaintance of the stranger whom she hears coming and going in her brain. She does not know him by sight, it is true, but from the sounds which she hears him regularly make she can form an idea of his habits. Is he a criminal? One morning, she can no longer hear him. He has gone. Ah! If it were only for ever! In the evening he has returned. What are his plans? Her specialist, put to the question, like an adored mistress, replies with avowals that one day are believed, another day fail to convince her. Or rather it is not the mistress′s part but that of the servants one interrogates that the doctor plays. They are only third parties. The person whom we press for an answer, whom we suspect of being about to play us false, is life itself, and although we feel her to be no longer the same we believe in her still or at least remain undecided until the day on which she finally abandons us.
Je mis ma grand′mère dans l′ascenseur du professeur E . . ., et au bout d′un instant il vint à nous et nous fit passer dans son cabinet. Mais là, si pressé qu′il fût, son air rogue changea, tant les habitudes sont fortes, et il avait celle d′être aimable, voire enjoué, avec ses malades. Comme il savait ma grand′mère très lettrée et qu′il l′était aussi, il se mit à lui citer pendant deux ou trois minutes de beaux vers sur l′Été radieux qu′il faisait. Il l′avait assise dans un fauteuil, lui à contre-jour, de manière à bien la voir. Son examen fut minutieux, nécessita même que je sortisse un instant. Il le continua encore, puis ayant fini, se mit, bien que le quart d′heure touchât à sa fin, à refaire quelques citations à ma grand′mère. Il lui adressa même quelques plaisanteries assez fines, que j′eusse préféré entendre un autre jour, mais qui me rassurèrent complètement par le ton amusé du docteur. Je me rappelai alors que M. Fallières, président du Sénat, avait eu, il y avait nombre d′années, une fausse attaque, et qu′au désespoir de ses concurrents, il s′était mis trois jours après à reprendre ses fonctions et préparait, disait-on, une candidature plus ou moins lointaine à la présidence de la République. Ma confiance en un prompt rétablissement de ma grand′mère fut d′autant plus complète, que, au moment où je me rappelais l′exemple de M. Fallières, je fus tiré de la pensée de ce rapprochement par un franc éclat de rire qui termina une plaisanterie du professeur E. . . . Sur quoi il tira sa montre, fronça fiévreusement le sourcil en voyant qu′il était en retard de cinq minutes, et tout en nous disant adieu sonna pour qu′on apportât immédiatement son habit. Je laissai ma grand′mère passer devant, refermai la porte et demandai la vérité au savant.
I helped my grandmother into Professor E——‘s lift and a moment later he came to us and took us into his consulting room. But there, busy as he was, his bombastic manner changed, such is the force of habit; for his habit was to be friendly, that is to say lively with his patients. Since he knew that my grandmother was a great reader, and was himself one also, he devoted the first few minutes to quoting various favourite passages of poetry appropriate to the glorious summer weather. He had placed her in an armchair and himself with his back to the light so as to have a good view of her. His examination was minute and thorough, even obliging me at one moment to leave the room. He continued it after my return, then, having finished, went on, although the quarter of an hour was almost at an end, repeating various quotations to my grandmother. He even made a few jokes, which were witty enough, though I should have preferred to hear them on some other occasion, but which completely reassured me by the tone of amusement in which he uttered them. I then remembered that M. Fallières, the President of the Senate, had, many years earlier, had a false seizure, and that to the consternation of his political rivals he had returned a few days later to his duties and had begun, it was said, his preparations for a more or less remote succession to the Presidency of the Republic. My confidence in my grandmother′s prompt recovery was all the more complete in that, just as I was recalling the example of M. Fallières, I was distracted from following up the similarity by a shout of laughter, which served as conclusion to one of the Professor′s jokes. After which he took out his watch, wrinkled his brows petulantly on seeing that he was five minutes late, and while he bade us good-bye rang for his other coat to be brought to him at once. I waited until my grandmother had left the room, closed the door and asked him to tell me the truth.
— Votre grand′mère est perdue, me dit-il. C′est une attaque provoquée par l′urémie. En soi, l′urémie n′est pas fatalement un mal mortel, mais le cas me paraît désespéré. Je n′ai pas besoin de vous dire que j′espère me tromper. Du reste, avec Cottard, vous êtes en excellentes mains. Excusez-moi, me dit-il en voyant entrer une femme de chambre qui portait sur le bras l′habit noir du professeur. Vous savez que je dîne chez le Ministre du Commerce, j′ai une visite à faire avant. Ah! la vie n′est pas que roses, comme on le croit à votre âge.
“There is not the slightest hope,” he informed me. “It is a stroke brought on by uraemia. In itself, uraemia is not necessarily fatal, but this case seems to me desperate. I need not tell you that I hope I am mistaken. Anyhow, you have Cottard, you′re in excellent hands. Excuse me,” he broke off as a maid came into the room with his coat over her arm. “I told you, I′m dining with the Minister of Commerce, and I have a call to pay first. Ah! Life is not all a bed of roses, as one is apt to think at your age.”
Et il me tendit gracieusement la main. J′avais refermé la porte et un valet nous guidait dans l′antichambre, ma grand′mère et moi, quand nous entendîmes de grands cris de colère. La femme de chambre avait oublié de percer la boutonnière pour les décorations. Cela allait demander encore dix minutes. Le professeur tempêtait toujours pendant que je regardais sur le palier ma grand′mère qui était perdue. Chaque personne est bien seule. Nous repartîmes vers la maison.
And he graciously offered me his hand. I had shut the door behind me, and a footman was shewing us into the hall when we heard a loud shout of rage. The maid had forgotten to cut and hem the buttonhole for the decorations. This would take another ten minutes. The Professor continued to storm while I stood on the landing gazing at a grandmother for whom there was not the slightest hope. Each of us is indeed alone. We started for home.
Le soleil déclinait; il enflammait un interminable mur que notre fiacre avait à longer avant d′arriver à la rue que nous habitions, mur sur lequel l′ombre, projetée par le couchant, du cheval et de la voiture, se détachait en noir sur le fond rougeâtre, comme un char funèbre dans une terre cuite de Pompéi. Enfin nous arrivâmes. Je fis asseoir la malade en bas de l′escalier dans le vestibule, et je montai prévenir ma mère. Je lui dis que ma grand′mère rentrait un peu souffrante, ayant eu un étourdissement. Dès mes premiers mots, le visage de ma mère atteignit au paroxysme d′un désespoir pourtant déjà si résigné, que je compris que depuis bien des années elle le tenait tout prêt en elle pour un jour incertain et fatal. Elle ne me demanda rien; il semblait, de même que la méchanceté aime à exagérer les souffrances des autres, que par tendresse elle ne voulût pas admettre que sa mère fût très atteinte, surtout d′une maladie qui peut toucher l′intelligence. Maman frissonnait, son visage pleurait sans larmes, elle courut dire qu′on allât chercher le médecin, mais comme Françoise demandait qui était malade, elle ne put répondre, sa voix s′arrêta dans sa gorge. Elle descendit en courant avec moi, effaçant de sa figure le sanglot qui la plissait. Ma grand′mère attendait en bas sur le canapé du vestibule, mais dès qu′elle nous entendit, se redressa, se tint debout, fit à maman des signes gais de la main. Je lui avais enveloppé à demi la tête avec une mantille en dentelle blanche, lui disant que c′était pour qu′elle n′eût pas froid dans l′escalier. Je ne voulais pas que ma mère remarquât trop l′altération du visage, la déviation de la bouche; ma précaution était inutile: ma mère s′approcha de grand′mère, embrassa sa main comme celle de son Dieu, la soutint, la souleva jusqu′à l′ascenseur, avec des précautions infinies où il y avait, avec la peur d′être maladroite et de lui faire mal, l′humilité de qui se sent indigne de toucher ce qu′il connaît de plus précieux, mais pas une fois elle ne leva les yeux et ne regarda le visage de la malade. Peut-être fut-ce pour que celle-ci ne s′attristât pas en pensant que sa vue avait pu inquiéter sa fille. Peut-être par crainte d′une douleur trop forte qu′elle n′osa pas affronter. Peut-être par respect, parce qu′elle ne croyait pas qu′il lui fût permis sans impiété de constater la trace de quelque affaiblissement intellectuel dans le visage vénéré. Peut-être pour mieux garder plus tard intacte l′image du vrai visage de sa mère, rayonnant d′esprit et de bonté. Ainsi montèrent-elles l′une à côté de l′autre, ma grand′mère à demi cachée dans sa mantille, ma mère détournant les yeux.
The sun was sinking, it burnished an interminable wall along which our cab had to pass before reaching the street in which we lived, a wall against which the shadow cast by the setting sun of horse and carriage stood out in black on a ruddy background, like a funeral car on some Pompeian terra-cotta. At length we arrived at the house. I made the invalid sit at the foot of the staircase in the hall, and went up to warn my mother. I told her that my grandmother had come home feeling slightly unwell, after an attack of giddiness. As soon as I began to speak, my mother′s face was convulsed by the paroxysm of a despair which was yet already so resigned that I realised that for many years she had been holding herself quietly in readiness for an uncalendared but final day. She asked me no question; it seemed that, just as malevolence likes to exaggerate the sufferings of other people, so in her devotion she would not admit that her mother was seriously ill, especially with a disease which might affect the brain. Mamma shuddered, her eyes wept without tears, she ran to give orders for the doctor to be fetched at once; but when Françoise asked who was ill she could not reply, her voice stuck in her throat. She came running downstairs with me struggling to banish from her face the sob that contracted it. My grandmother was waiting below on the sofa in the hall, but, as soon as she heard us coming, drew herself together, stood up, and waved her hand cheerfully at Mamma. I had partially wrapped her head in a white lace shawl, telling her that it was so that she should not catch cold on the stairs. I had hoped that my mother would not notice the change in her face, the distortion of her mouth; my precaution proved unnecessary; my mother went up to my grandmother, kissed her hand as though it were that of her God, raised her up, carried her to the lift with infinite precautions in which there was, with the fear of hurting her by any clumsy movement, the humility of one who felt herself unworthy to touch the most precious thing, to her, in the world, but never once did she raise her eyes, nor look at the sufferer′s face. Perhaps this was in order that my grandmother might not be saddened by the thought that the sight of her could alarm her daughter. Perhaps from fear of a grief so piercing that she dared not face it. Perhaps from reverence, because she did not feel it permissible to herself, without impiety, to remark the trace of any mental weakening on those venerated features. Perhaps to be better able to preserve intact in her memory the image of the true face of my grandmother, radiant with wisdom and goodness. So they went up side by side, my grandmother half hidden by her shawl, my mother turning away her eyes.
Pendant ce temps il y avait une personne qui ne quittait pas des siens ce qui pouvait se deviner des traits modifiés de ma grand′mère que sa fille n′osait pas voir, une personne qui attachait sur eux un regard ébahi, indiscret et de mauvais augure: c′était Françoise. Non qu′elle n′aimât sincèrement ma grand′mère (même elle avait déçue et presque scandalisée par la froideur de maman qu′elle aurait voulu voir se jeter en pleurant dans les bras de sa mère), mais elle avait un certain penchant à envisager toujours le pire, elle avait gardé de son enfance deux particularités qui sembleraient devoir s′exclure, mais qui, quand elles sont assemblées, se fortifient: le manque d′éducation des gens du peuple qui ne cherchent pas à dissimuler l′impression, voire l′effroi douloureux causé en eux par la vue d′un changement physique qu′il serait plus délicat de ne pas paraître remarquer, et la rudesse insensible de la paysanne qui arrache les ailes des libellules avant qu′elle ait l′occasion de tordre le cou aux poulets et manque de la pudeur qui lui ferait cacher l′intérêt qu′elle éprouve à voir la chair qui souffre.
Meanwhile there was one person who never took hers from what could be made out of my grandmother′s altered features, at which her daughter dared not look, a person who fastened on them a gaze wondering, indiscreet and of evil omen: this was Françoise. Not that she was not sincerely attached to my grandmother (indeed she had been disappointed and almost scandalised by the coldness shewn by Mamma, whom she would have liked to see fling herself weeping into her mother′s arms), but she had a certain tendency always to look at the worse side of things, she had retained from her childhood two peculiarities which would seem to be mutually exclusive, but which when combined strengthened one another: the want of restraint common among people of humble origin who make no attempt to conceal the impression, in other words the painful alarm, aroused in them by the sight of a physical change which it would be in better taste to appear not to notice, and the unfeeling coarseness of the peasant who begins by tearing the wings off dragon-flies until she is allowed to wring the necks of chickens, and lacks that modesty which would make her conceal the interest that she feels in the sight of suffering flesh.
Quand, grâce aux soins parfaits de Françoise, ma grand′mère fut couchée, elle se rendit compte qu′elle parlait beaucoup plus facilement, le petit déchirement ou encombrement d′un vaisseau qu′avait produit l′urémie avait sans doute été très léger. Alors elle voulut ne pas faire faute à maman, l′assister dans les instants les plus cruels que celle-ci eût encore traversés.
When, thanks to the faultless ministrations of Françoise, my grandmother had been put to bed, she discovered that she could speak much more easily, the little rupture or obstruction of a blood-vessel which had produced the uraemia having apparently been quite slight. And at once she was anxious not to fail Mamma in her hour of need, to assist her in the most cruel moments through which she had yet had to pass.
— Eh bien! ma fille, lui dit-elle, en lui prenant la main, et en gardant l′autre devant sa bouche pour donner cette cause apparente à la légère difficulté qu′elle avait encore à prononcer certains mots, voilà comme tu plains ta mère! tu as l′air de croire que ce n′est pas désagréable une indigestion!
“Well, my child,” she began, taking my mother′s hand in one of her own, and keeping the other in front of her lips, so as to account for the slight difficulty which she still found in uttering certain words. “So this is all the pity you shew your mother! You look as if you thought that indigestion was quite a pleasant thing!”
Alors pour la première fois les yeux de ma mère se posèrent passionnément sur ceux de ma grand′mère, ne voulant pas voir le reste de son visage, et elle dit, commençant la liste de ces faux serments que nous ne pouvons pas tenir:
Then for the first time my mother′s eyes gazed passionately into those of my grandmother, not wishing to see the rest of her face, and she replied, beginning the list of those false promises which we swear but are unable to fulfil:
— Maman, tu seras bientôt guérie, c′est ta fille qui s′y engage.
“Mamma, you will soon be quite well again, your daughter will see to that.”
Et enfermant son amour le plus fort, toute sa volonté que sa mère guérît, dans un baiser à qui elle les confia et qu′elle accompagna de sa pensée, de tout son être jusqu′au bord de ses lèvres, elle alla le déposer humblement, pieusement sur le front adoré. Ma grand′mère se plaignait d′une espèce d′alluvion de couvertures qui se faisait tout le temps du même côté sur sa jambe gauche et qu′elle ne pouvait pas arriver à soulever. Mais elle ne se rendait pas compte qu′elle en était elle-même la cause, de sorte que chaque jour elle accusa injustement Françoise de mal «retaper» son lit. Par un mouvement convulsif, elle rejetait de ce côté tout le flot de ces écumantes couvertures de fine laine qui s′y amoncelaient comme les sables dans une baie bien vite transformée en grève (si on n′y construit une digue) par les apports successifs du flux.
And embodying all her dearest love, all her determination that her mother should recover, in a kiss to which she entrusted them, and which she followed with her mind, with her whole being until it flowered upon her lips, she bent down to lay it humbly, reverently upon the precious brow. My grandmother complained of a sort of alluvial deposit of bedclothes which kept gathering all the time in the same place, over her left leg, and from which she could never manage to free herself. But she did not realise that she was herself the cause of this (so that day after day she accused Françoise unjustly of not ‘doing′ her bed properly). By a convulsive movement she kept flinging to that side the whole flood of those billowing blankets of fine wool, which gathered there like the sand in a bay which is very soon transformed into a beach (unless the inhabitants construct a breakwater) by the successive deposits of the tide.
Ma mère et moi (de qui le mensonge était d′avance percé à jour par Françoise, perspicace et offensante), nous ne voulions même pas dire que ma grand′mère fût très malade, comme si cela eût pu faire plaisir aux ennemis que d′ailleurs elle n′avait pas, et eût été plus affectueux de trouver qu′elle n′allait pas si mal que ça, en somme, par le même sentiment instinctif qui m′avait fait supposer qu′Andrée plaignait trop Albertine pour l′aimer beaucoup. Les mêmes phénomènes se reproduisent des particuliers à la masse, dans les grandes crises. Dans une guerre, celui qui n′aime pas son pays n′en dit pas de mal, mais le croit perdu, le plaint, voit les choses en noir.
My mother and I (whose falsehood was exposed before we spoke by the obnoxious perspicacity of Françoise) would not even admit that my grandmother was seriously ill, as though such an admission might give pleasure to her enemies (not that she had any) and it was more loving to feel that she was not so bad as all that, in short from the same instinctive sentiment which had led me to suppose that Andrée was too sorry for Al-bertine to be really fond of her. The same individual phenomena are reproduced in the mass, in great crises. In a war, the man who does not love his country says nothing against it, but regards it as lost, commiserates it, sees everything in the darkest colours.
Françoise nous rendait un service infini par sa faculté de se passer de sommeil, de faire les besognes les plus dures. Et si, étant allée se coucher après plusieurs nuits passées debout, on était obligé de l′appeler un quart d′heure après qu′elle s′était endormie, elle était si heureuse de pouvoir faire des choses pénibles comme si elles eussent été les plus simples du monde que, loin de rechigner, elle montrait sur son visage de la satisfaction et de la modestie. Seulement quand arrivait l′heure de la messe, et l′heure du premier déjeuner, ma grand′mère eût-elle été agonisante, Françoise se fût éclipsée à temps pour ne pas être en retard. Elle ne pouvait ni ne voulait être suppléée par son jeune valet de pied. Certes elle avait apporté de Combray une idée très haute des devoirs de chacun envers nous; elle n′eût pas toléré qu′un de nos gens nous «manquât». Cela avait fait d′elle une si noble, si impérieuse, si efficace éducatrice, qu′il n′y avait jamais eu chez nous de domestiques si corrompus qui n′eussent vite modifié, épuré leur conception de la vie jusqu′à ne plus toucher le «sou du franc» et à se précipiter — si peu serviables qu′ils eussent été jusqu′alors — pour me prendre des mains et ne pas me laisser me fatiguer à porter le moindre paquet. Mais, à Combray aussi, Françoise avait contracté— et importé à Paris — l′habitude de ne pouvoir supporter une aide quelconque dans son travail. Se voir prêter un concours lui semblait recevoir une avanie, et des domestiques sont restés des semaines sans obtenir d′elle une réponse à leur salut matinal, sont même partis en vacances sans qu′elle leur dît adieu et qu′ils devinassent pourquoi, en réalité pour la seule raison qu′ils avaient voulu faire un peu de sa besogne, un jour qu′elle était souffrante. Et en ce moment où ma grand′mère était si mal, la besogne de Françoise lui semblait particulièrement sienne. Elle ne voulait pas, elle la titulaire, se laisser chiper son rôle dans ces jours de gala. Aussi son jeune valet de pied, écarté par elle, ne savait que faire, et non content d′avoir, à l′exemple de Victor, pris mon papier dans mon bureau, il s′était mis, de plus, à emporter des volumes de vers de ma bibliothèque. Il les lisait, une bonne moitié de la journée, par admiration pour les poètes qui les avaient composés, mais aussi afin, pendant l′autre partie de son temps, d′émailler de citations les lettres qu′il écrivait à ses amis de village. Certes, il pensait ainsi les éblouir. Mais, comme il avait peu de suite dans les idées, il s′était formé celle-ci que ces poèmes, trouvés dans ma bibliothèque, étaient chose connue de tout le monde et à quoi il est courant de se reporter. Si bien qu′écrivant à ces paysans dont il escomptait la stupéfaction, il entremêlait ses propres réflexions de vers de Lamartine, comme il eût dit: qui vivra verra, ou même: bonjour.
Françoise was of infinite value to us owing to her faculty of doing without sleep, of performing the most arduous tasks. And if, when she had gone to bed after several nights spent in the sick-room, we were obliged to call her a quarter of an hour after she had fallen asleep, she was so happy to be able to do the most tiring duties as if they had been the simplest things in the world that, so far from looking cross, her face would light up with a satisfaction tinged with modesty. Only when the time came for mass, or for breakfast, then, had my grandmother been in her death agony, still Françoise would have quietly slipped away so as not to make herself late. She neither could nor would let her place be taken by her young footman. It was true that she had brought from Combray an extremely exalted idea of everyone′s duty towards ourselves; she would not have tolerated that any of our servants should ‘fail′ us. This doctrine had made her so noble, so imperious, so efficient an instructor that there had never come to our house any servants, however corrupted who had not speedily modified, purified their conception of life so far as to refuse to touch the usual commissions from tradesmen and to come rushing — however little they might previously have sought to oblige — to take from my hands and not let me tire myself by carrying the smallest package. But at Combray Françoise had contracted also — and had brought with her to Paris — the habit of not being able to put up with any assistance in her work. The sight of anyone coming to help her seemed to her like receiving a deadly insult, and servants had remained for weeks in the house without receiving from her any response to their morning greeting, had even gone off on their holidays without her bidding them good-bye or their guessing her reason, which was simply and solely that they had offered to do a share of her work on some day when she had not been well. And at this moment when my grandmother was so ill Françoise′s duties seemed to her peculiarly her own. She would not allow herself, she, the official incumbent, to be done out of her part in the ritual of these festal days. And so her young footman, sent packing by her, did not know what to do with himself, and not content with having copied the butler′s example and supplied himself with note-paper from my desk had begun as well to borrow volumes of poetry from my bookshelves. He sat reading them for a good half of the day, out of admiration for the poets who had written them, but also so as, during the rest of his time, to begem with quotations the letters which he wrote to his friends in his native village. Naturally he expected these to dazzle them. But as there was little sequence in his ideas he had formed the notion that these poems, picked out at random from my shelves, were matters of common knowledge, to which it was customary to refer. So much so that in writing to these peasants, whose stupefaction he discounted, he interspersed his own reflexions with lines from Lamartine, just as he might have said “Who laughs last, laughs longest!” or merely “How are you keeping?”
A cause des souffrances de ma grand′mère on lui permit la morphine. Malheureusement si celle-ci les calmait, elle augmentait aussi la dose d′albumine. Les coups que nous destinions au mal qui s′était installé en grand′mère portaient toujours à faux; c′était elle, c′était son pauvre corps interposé qui les recevait, sans qu′elle se plaignît qu′avec un faible gémissement. Et les douleurs que nous lui causions n′étaient pas compensées par un bien que nous ne pouvions lui faire. Le mal féroce que nous aurions voulu exterminer, c′est à peine si nous l′avions frôlé, nous ne faisions que l′exaspérer davantage, hâtant peut-être l′heure où la captive serait dévorée. Les jours où la dose d′albumine avait été trop forte, Cottard après une hésitation refusait la morphine. Chez cet homme si insignifiant, si commun, il y avait, dans ces courts moments où il délibérait, où les dangers d′un traitement et d′un autre se disputaient en lui jusqu′à ce qu′il s′arrêtât à l′un, la sorte de grandeur d′un général qui, vulgaire dans le reste de la vie, est un grand stratège, et, dans un moment périlleux, après avoir réfléchi un instant, conclut pour ce qui militairement est le plus sage et dit: «Faites face à l′Est.» Médicalement, si peu d′espoir qu′il y eût de mettre un terme à cette crise d′urémie, il ne fallait pas fatiguer le rein. Mais, d′autre part, quand ma grand′mère n′avait pas de morphine, ses douleurs devenaient intolérables, elle recommençait perpétuellement un certain mouvement qui lui était difficile à accomplir sans gémir; pour une grande part, la souffrance est une sorte de besoin de l′organisme de prendre conscience d′un état nouveau qui l′inquiète, de rendre la sensibilité adéquate à cet état. On peut discerner cette origine de la douleur dans le cas d′incommodités qui n′en sont pas pour tout le monde. Dans une chambre remplie d′une fumée à l′odeur pénétrante, deux hommes grossiers entreront et vaqueront à leurs affaires; un troisième, d′organisation plus fine, trahira un trouble incessant. Ses narines ne cesseront de renifler anxieusement l′odeur qu′il devrait, semble-t-il, essayer de ne pas sentir et qu′il cherchera chaque fois à faire adhérer, par une connaissance plus exacte, à son odorat incommodé. De là vient sans doute qu′une vive préoccupation empêche de se plaindre d′une rage de dents. Quand ma grand′mère souffrait ainsi, la sueur coulait sur son grand front mauve, y collant les mèches blanches, et si elle croyait que nous n′étions pas dans la chambre, elle poussait des cris: «Ah! c′est affreux!», mais si elle apercevait ma mère, aussitôt elle employait toute son énergie à effacer de son visage les traces de douleur, ou, au contraire, répétait les mêmes plaintes en les accompagnant d′explications qui donnaient rétrospectivement un autre sens à celles que ma mère avait pu entendre:
To ease her pain my grandmother was given morphine. Unfortunately, if this relieved her in other ways, it increased the quantity of albumen. The blows which we aimed at the wicked ogre who had taken up his abode in my grandmother were always wide of the mark, and it was she, her poor interposed body that had to bear them, without her ever uttering more than a faint groan by way of complaint. And the pain that we caused her found no compensation in a benefit which we were unable to give her. The savage ogre whom we were anxious to exterminate we barely succeeded in touching, and all we did was to enrage him still further, and possibly hasten the moment at which he would devour his luckless captive. On certain days when the discharge of albumen had been excessive Cottard, after some hesitation, stopped the morphine. In this man, so insignificant, so common, there was, in these brief moments in which he deliberated, in which the relative dangers of one and another course of treatment presented themselves alternately to his mind until he arrived at a decision, the same sort of greatness as in a general who, vulgar in all the rest of his life, is a great strategist, and in an hour of peril, after a moment′s reflexion, decides upon what is from the military point of view the wisest course, and gives the order: “Advance eastwards.” Medically, however little hope there might be of setting any limit to this attack of uraemia, it did not do to tire the kidneys. But, on the other hand, when my grandmother did not have morphine, her pain became unbearable; she perpetually attempted a certain movement which it was difficult for her to perform without groaning. To a great extent, suffering is a sort of need felt by the organism to make itself familiar with a new state, which makes it uneasy, to adapt its sensibility to that state. We can discern this origin of pain in the case of certain inconveniences which are not such for everyone. Into a room filled with a pungent smoke two men of a coarse fibre will come and attend to their business; a third, more highly strung, will betray an incessant discomfort. His nostrils will continue to sniff anxiously the odour he ought, one would say, to try not to notice but will keep on attempting to attach, by a more exact apprehension of it, to his troubled sense of smell. One consequence of which may well be that his intense preoccupation will prevent him from complaining of a toothache. When my grandmother was in pain the sweat trickled over the pink expanse of her brow, glueing to it her white locks, and if she thought that none of us was in the room she would cry out: “Oh, it′s dreadful!” but if she caught sight of my mother, at once she employed all her energy in banishing from her face every sign of pain, or — an alternative stratagem — repeated the same plaints, accompanying them with explanations which gave a different sense, retrospectively, to those which my mother might have overheard.
— Ah! ma fille, c′est affreux, rester couchée par ce beau soleil quand on voudrait aller se promener, je pleure de rage contre vos prescriptions.
“Oh! My dear, it′s dreadful to have to stay in bed on a beautiful sunny day like this when one wants to be out in the air; I am crying with rage at your orders.”
Mais elle ne pouvait empêcher le gémissement de ses regards, la sueur de son front, le sursaut convulsif, aussitôt réprimé, de ses membres.
But she could not get rid of the look of anguish in her eyes, the sweat on her brow, the convulsive start, checked at once, of her limbs.
— Je n′ai pas mal, je me plains parce que je suis mal couchée, je me sens les cheveux en désordre, j′ai mal au coeur, je me suis cognée contre le mur.
“There is nothing wrong. I′m complaining because I′m not lying very comfortably. I feel my hair is untidy, my heart is bad, I knocked myself against the wall.”
Et ma mère, au pied du lit, rivée à cette souffrance comme si, à force de percer de son regard ce front douloureux, ce corps qui recelait le mal, elle eût dû finir par l′atteindre et l′emporter, ma mère disait:
And my mother, at the foot of the bed, riveted to that suffering form, as though, by dint of piercing with her gaze that pain-bedewed brow, that body which hid the evil thing within it, she could have succeeded in reaching that evil thing and carrying it away, my mother said:
— Non, ma petite maman, nous ne te laisserons pas souffrir comme ça, on va trouver quelque chose, prends patience une seconde, me permets-tu de t′embrasser sans que tu aies à bouger?
“No, no, Mamma dear, we won′t let you suffer like that, we will find something to take it away, have patience just for a moment; let me give you a kiss, darling — no, you′re not to move.”
Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, à demi agenouillée, comme si, à force d′humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d′elle-même, elle inclinait vers ma grand′mère toute sa vie dans son visage comme, dans un ciboire qu′elle lui tendait, décoré en reliefs de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu′on ne savait pas s′ils y étaient creusés par le ciseau d′un baiser, d′un sanglot ou d′un sourire. Ma grand′mère essayait, elle aussi, de tendre vers maman son visage. Il avait tellement changé que sans doute, si elle eût eu la force de sortir, on ne l′eût reconnue qu′à la plume de son chapeau. Ses traits, comme dans des séances de modelage, semblaient s′appliquer, dans un effort qui la détournait de tout le reste, à se conformer à certain modèle que nous ne connaissions pas. Ce travail de statuaire touchait à sa fin et, si la figure de ma grand′mère avait diminué, elle avait également durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles, non pas d′un marbre, mais d′une pierre plus rugueuse. Toujours penchée en avant par la difficulté de respirer, en même temps que repliée sur elle-même par la fatigue, sa figure fruste, réduite, atrocement expressive, semblait, dans une sculpture primitive, presque préhistorique, la figure rude, violâtre, rousse, désespérée de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l′oeuvre n′était pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser, et puis, dans ce tombeau — qu′on avait si péniblement gardé, avec cette dure contraction — descendre.
And stooping over the bed, with bended knees, almost kneeling on the ground, as though by an exercise of humility she would have a better chance of making acceptable the impassioned gift of herself, she lowered towards my grandmother her whole life contained in her face as in a ciborium which she extended over her, adorned in relief with dimples and folds so passionate, so sorrowful, so sweet that one knew not whether they had been carved by the chisel of a kiss, a sob or a smile. My grandmother also, tried to lift up her face to Mamma′s. It was so altered that probably′ had she been strong enough to go out, she would have been recognised only by the feather in her hat. Her features, like the clay in a sculptor′s hands seemed to be straining, with an effort which distracted her from everything else, to conform to some particular model which we failed to identify. This business of modelling was now almost finished, and if my grandmother′s face had shrunk in the process it had at the same time hardened. The veins that ran beneath its surface seemed those not of a piece of marble but of some more rugged stone. Constantly thrust forwards by the difficulty that she found in breathing and as constantly forced back on to her pillow by exhaustion, her face, worn, diminished, terribly expressive, seemed like, in a primitive, almost prehistoric carving, the rude, flushed, purplish, desperate face of some savage guardian of a tomb. But the whole task was not yet accomplished. Next, her resistance must be overcome, and that tomb, the entrance to which she had so painfully guarded, with that tense contraction, entered.
Dans un de ces moments où, selon l′expression populaire, on ne sait plus à quel saint se vouer, comme ma grand′mère toussait et éternuait beaucoup, on suivit le conseil d′un parent qui affirmait qu′avec le spécialiste X . . . on était hors d′affaire en trois jours. Les gens du monde disent cela de leur médecin, et on les croit comme Françoise croyait les réclames des journaux. Le spécialiste vint avec sa trousse chargée de tous les rhumes de ses clients, comme l′outre d′Éole. Ma grand′mère refusa net de se laisser examiner. Et nous, gênés pour le praticien qui s′était dérangé inutilement, nous déférâmes au désir qu′il exprima de visiter nos nez respectifs, lesquels pourtant n′avaient rien. Il prétendait que si, et que migraine ou colique, maladie de coeur ou diabète, c′est une maladie du nez mal comprise. A chacun de nous il dit: «Voilà une petite cornée que je serais bien aise de revoir. N′attendez pas trop. Avec quelques pointes de feu je vous débarrasserai.» Certes nous pensions à toute autre chose. Pourtant nous nous demandâmes: «Mais débarrasser de quoi?» Bref tous nos nez étaient malades; il ne se trompa qu′en mettant la chose au présent. Car dès le lendemain son examen et son pansement provisoire avaient accompli leur effet. Chacun de nous eut son catarrhe. Et comme il rencontrait dans la rue mon père secoué par des quintes, il sourit à l′idée qu′un ignorant pût croire le mal dû à son intervention. Il nous avait examinés au moment où nous étions déjà malades.
In one of those moments in which, as the saying goes, one does not know what saint to invoke, as my grandmother was coughing and sneezing a good deal, we took the advice of a relative who assured us that if we sent for the specialist X ——-he would get rid of all that in a couple of days. People say that sort of thing about their own doctors, and their friends believe them just as Françoise always believed the advertisements in the newspapers. The specialist came with his bag packed with all the colds and coughs of his other patients, like Aeolus′s bottle. My grandmother refused point-blank to let herself be examined. And we, out of consideration for the doctor, who had had his trouble for nothing, deferred to the desire that he expressed to inspect each of our noses in turn, albeit there was nothing the matter with any of them. According to him, however, there was; everything, whether headache or colic, heart-disease or diabetes, was a disease of the nose that had been wrongly diagnosed. To each of us he said: “I should like to have another look at that little cornea. Don′t put it off too long. I can soon get rid of it for you with a hot needle.” We were, of course, thinking of something quite different. And yet we asked ourselves: “Get rid of what?” In a word, every one of our noses was diseased; his mistake lay only in his use of the present tense. For by the following day his examination and provisional treatment had taken effect. Each of us had his or her catarrh. And when in the street he ran into my father doubled up with a cough, he smiled to think that an ignorant layman might suppose the attack to be due to his intervention. He had examined us at a moment when we were already ill.
La maladie de ma grand′mère donna lieu à diverses personnes de manifester un excès ou une insuffisance de sympathie qui nous surprirent tout autant que le genre de hasard par lequel les uns ou les autres nous découvraient des chaînons de circonstances, ou même d′amitiés, que nous n′eussions pas soupçonnées. Et les marques d′intérêt données par les personnes qui venaient sans cesse prendre des nouvelles nous révélaient la gravité d′un mal que jusque-là nous n′avions pas assez isolé, séparé des mille impressions douloureuses ressenties auprès ma grand′mère. Prévenues par dépêche, ses soeurs ne quittèrent pas Combray. Elles avaient découvert un artiste qui leur donnait des séances d′excellente musique de chambre, dans l′audition de laquelle elles pensaient trouver, mieux qu′au chevet de la malade, un recueillement, une élévation douloureuse, desquels la forme ne laissa pas de paraître insolite. Madame Sazerat écrivit à maman, mais comme une personne dont les fiançailles brusquement rompues (la rupture était le dreyfusisme) nous ont à jamais séparés. En revanche Bergotte vint passer tous les jours plusieurs heures avec moi.
My grandmother′s illness gave occasion to various people to manifest an excess or deficiency of sympathy which surprised us quite as much as the sort of chance which led one or another of them to reveal to us connecting links of circumstances, or of friendship for that matter, which we had never suspected. And the signs of interest shewn by the people who called incessantly at the house to inquire revealed to us the gravity of an illness which, until then, we had not sufficiently detached from the countless painful impressions that we received in my grandmother′s room. Summoned by telegram, her sisters declined to leave Combray. They had discovered a musician there who gave them excellent chamber concerts, in listening to which they thought that they could find, better than by the invalid′s bedside, food for thought, a melancholy exaltation the form of which was, to say the least of it, unusual. Mme. Sazerat wrote to Mamma, but in the tone of a person whom the sudden breaking off of a betrothal (the cause of the rupture being her Dreyfusism) has parted from one for ever. Bergotte, on the other hand, came every day and spent several hours with me.
Il avait toujours aimé à venir se fixer pendant quelque temps dans une même maison où il n′eût pas de frais à faire. Mais autrefois c′était pour y parler sans être interrompu, maintenant pour garder longuement le silence sans qu′on lui demandât de parler. Car il était très malade: les uns disaient d′albuminurie, comme ma grand′mère; selon d′autres il avait une tumeur. Il allait en s′affaiblissant; c′est avec difficulté qu′il montait notre escalier, avec une plus grande encore qu′il le descendait. Bien qu′appuyé à la rampe il trébuchait souvent, et je crois qu′il serait resté chez lui s′il n′avait pas craint de perdre entièrement l′habitude, la possibilité de sortir, lui l′«homme à barbiche» que j′avais connu alerte, il n′y avait pas si longtemps. Il n′y voyait plus goutte, et sa parole même s′embarrassait souvent.
He had always made a habit of going regularly for some time to the same house, where, accordingly, he need not stand on ceremony. But formerly it had been in order that he might talk without being interrupted; now it was so that he might sit for as long as he chose in silence, without being expected to talk. For he was very ill, some people said with albuminuria, like my grandmother. According to another version, he had a tumour. He grew steadily weaker; it was with difficulty that he came up our staircase, with greater difficulty still that he went down it. Even though he held on to the banisters he often stumbled, and he would, I believe, have stayed at home had he not been afraid of losing altogether the habit of going out, the capacity to go out, he, the ‘man with the little beard′ whom I had seen so alert, not very long since. He was now quite blind and even his speech was frequently obstructed.
Mais en même temps, tout au contraire, la somme de ses oeuvres, connues seulement des lettrés à l′époque où Mme Swann patronnait leurs timides efforts de dissémination, maintenant grandies et fortes aux yeux de tous, avait pris dans le grand public une extraordinaire puissance d′expansion. Sans doute il arrive que c′est après sa mort seulement qu′un écrivain devient célèbre. Mais c′était en vie encore et durant son lent acheminement vers la mort non encore atteinte, qu′il assistait à celui de ses oeuvres vers la Renommée. Un auteur mort est du moins illustre sans fatigue. Le rayonnement de son nom s′arrête à la pierre de sa tombe. Dans la surdité du sommeil éternel, il n′est pas importuné par la Gloire. Mais pour Bergotte l′antithèse n′était pas entièrement achevée. Il existait encore assez pour souffrir du tumulte. Il remuait encore, bien que péniblement, tandis que ses oeuvres, bondissantes, comme des filles qu′on aime mais dont l′impétueuse jeunesse et les bruyants plaisirs vous fatiguent, entraînaient chaque jour jusqu′au pied de son lit des admirateurs nouveaux.
But at the same time, by a directly opposite process, the body of his work, known only to a few literary people at the period when Mme. Swann used to patronise their timid efforts to disseminate it, now grown in stature and strength before the eyes of all, had acquired an extraordinary power of expansion among the general public. The general rule is, no doubt, that only after his death does a writer become famous. But it was while he still lived, and during his slow progress towards a death that he had not yet reached that this writer was able to watch the progress of his works towards Renown. A dead writer can at least be illustrious without any strain on himself. The effulgence of his name is stopped short by the stone upon his grave. In the deafness of the eternal sleep he is not importuned by Glory. But for Bergotte the antithesis was still incomplete. He existed still sufficiently to suffer from the tumult. He was moving still, though with difficulty, while his books, bounding about him, like daughters whom one loves but whose impetuous youthfulness and noisy pleasures tire one, brought day after day, to his very bedside, a crowd of fresh admirers.
Les visites qu′il nous faisait maintenant venaient pour moi quelques années trop tard, car je ne l′admirais plus autant. Ce qui n′est pas en contradiction avec ce grandissement de sa renommée. Une oeuvre est rarement tout à fait comprise et victorieuse, sans que celle d′un autre écrivain, obscure encore, n′ait commencé, auprès de quelques esprits plus difficiles, de substituer un nouveau culte à celui qui a presque fini de s′imposer. Dans les livres de Bergotte, que je relisais souvent, ses phrases étaient aussi claires devant mes yeux que mes propres idées, les meubles dans ma chambre et les voitures dans la rue. Toutes choses s′y voyaient aisément, sinon telles qu′on les avait toujours vues, du moins telles qu′on avait l′habitude de les voir maintenant. Or un nouvel écrivain avait commencé à publier des oeuvres où les rapports entre les choses étaient si différents de ceux qui les liaient pour moi que je ne comprenais presque rien de ce qu′il écrivait. Il disait par exemple: «Les tuyaux d′arrosage admiraient le bel entretien des routes» (et cela c′était facile, je glissais le long de ces routes) «qui partaient toutes les cinq minutes de Briand et de Claudel». Alors je ne comprenais plus parce que j′avais attendu un nom de ville et qu′il m′était donné un nom de personne. Seulement je sentais que ce n′était pas la phrase qui était mal faite, mais moi pas assez fort et agile pour aller jusqu′au bout. Je reprenais mon élan, m′aidais des pieds et des mains pour arriver à l′endroit d′où je verrais les rapports nouveaux entre les choses. Chaque fois, parvenu à peu près à la moitié de la phrase, je retombais comme plus tard au régiment, dans l′exercice appelé portique. Je n′en avais, pas moins pour le nouvel écrivain l′admiration d′un enfant gauche et à qui on donne zéro pour la gymnastique, devant un autre enfant plus adroit. Dès lors j′admirai moins Bergotte dont la limpidité me parut de l′insuffisance. Il y eut un temps où on reconnaissait bien les choses quand c′était Fromentin qui les peignait et où on ne les reconnaissait plus quand c′était Renoir.
The visits which he now began to pay us came for me several years too late, for I had no longer the same admiration for him as of old. Which is not in any sense incompatible with the growth of his reputation. A man′s work seldom becomes completely understood and successful before that of another writer, still obscure, has begun in the minds of certain people more difficult to please to substitute a fresh cult for one that has almost ceased to command observance. In the books of Bergotte which I constantly reread, his sentences stood out as clearly before my eyes as my own thoughts the furniture in my room and the carriages in the street. All the details were quite easily seen, not perhaps precisely as one had always seen them but at any rate as one was accustomed to see them now. But a new writer had recently begun to publish work in which the relations between things were so different from those that connected them for me that I could understand hardly anything of what he wrote. He would say, for instance: “The hose-pipes admired the smart upkeep of the roads” (and so far it was simple, I followed him smoothly along those roads) “which started every five minutes from Briand and Claudel.” At that point I ceased to understand, because I had expected the name of a place and was given that of a person instead. Only I felt that it was not the sentence that was badly constructed but I myself that lacked the strength and ability necessary to reach the end. I would start afresh striving tooth and nail to climb to the pinnacle from which I would see things in their novel relations. And each time, after I had got about halfway through the sentence, I would fall back again, as later on, when I joined the Army, in my attempts at the exercise known as the ‘bridge-ladder.′ I felt nevertheless for the new writer the admiration which an awkward boy who never receives any marks for gymnastics feels when he watches another more nimble. And from then onwards I felt less admiration for Bergotte, whose limpidity began to strike me as insufficient. There was a time at which people recognised things quite easily in pictures when it was Fromentin who had painted them, and could not recognise them at all when it was Renoir.
Les gens de goût nous disent aujourd′hui que Renoir est un grand peintre du XVIIIe siècle. Mais en disant cela ils oublient le Temps et qu′il en a fallu beaucoup, même en plein XIXe, pour que Renoir fût salué grand artiste. Pour réussir à être ainsi reconnus, le peintre original, l′artiste original procèdent à la façon des oculistes. Le traitement par leur peinture, par leur prose, n′est pas toujours agréable. Quand il est terminé, le praticien nous dit: Maintenant regardez. Et voici que le monde (qui n′a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu′un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l′ancien, mais parfaitement clair. Des femmes passent dans la rue, différentes de celles d′autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous nous refusions jadis à voir des femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l′eau, et le ciel: nous avons envie de nous promener dans la forêt pareille à celle qui le premier jour nous semblait tout excepté une forêt, et par exemple une tapisserie aux nuances nombreuses mais où manquaient justement les nuances propres aux forêts. Tel est l′univers nouveau et périssable qui vient d′être créé. Il durera jusqu′à la prochaine catastrophe géologique que déchaîneront un nouveau peintre ou un nouvel écrivain originaux.
People of taste and refinement tell us nowadays that Renoir is one of the great painters of the last century. But in so saying they forget the element of Time, and that it took a great deal of time, well into the present century, before Renoir was hailed as a great artist. To succeed thus in gaining recognition, the original painter, the original writer proceeds on the lines adopted by oculists. The course of treatment they give us by their painting or by their prose is not always agreeable to us. When it is at an end the operator says to us: “Now look!” And, lo and behold, the world around us (which was not created once and for all, but is created afresh as often as an original artist is born) appears to us entirely different from the; old world, but perfectly clear. Women pass in the street, different from what they used to be, because they are Renoirs, those Renoir types which we persistently refused to see as women. The carriages, too, are Renoirs, and the water, and the sky: we feel tempted to go for a walk in the forest which reminds us of that other which when we first saw it looked like anything in the world except a forest, like for instance a tapestry of innumerable shades but lacking precisely the shades proper to forests. Such is the new and perishable universe which has just been created. It will last until the next geological catastrophe is precipitated by a new painter or writer of original talent.
Celui qui avait remplacé pour moi Bergotte me lassait non par l′incohérence mais par la nouveauté, parfaitement cohérente, de rapports que je n′avais pas l′habitude de suivre. Le point, toujours le même, où je me sentait retomber, indiquait l′identité de chaque tour de force à faire. Du reste, quand une fois sur mille je pouvais suivre l′écrivain jusqu′au bout de sa phrase, ce que je voyais était toujours d′une drôlerie, d′une vérité, d′un charme, pareils à ceux que j′avais trouvés jadis dans la lecture de Bergotte, mais plus délicieux. Je songeais qu′il n′y avait pas tant d′années qu′un même renouvellement du monde, pareil à celui que j′attendais de son successeur, c′était Bergotte qui me l′avait apporté. Et j′arrivais à me demander s′il y avait quelque vérité en cette distinction que nous faisons toujours entre l′art, qui n′est pas plus avancé qu′au temps d′Homère, et la science aux progrès continus. Peut-être l′art ressemblait-il au contraire en cela à la science; chaque nouvel écrivain original me semblait en progrès sur celui qui l′avait précédé; et qui me disait que dans vingt ans, quand je saurais accompagner sans fatigue le nouveau d′aujourd′hui, un autre ne surviendrait pas devant qui l′actuel filerait rejoindre Bergotte?
This writer who had taken Bergotte′s place in my affections wearied me not by the incoherence but by the novelty of associations — perfectly coherent — which my mind was not trained to follow. The fact that it was always at the same point that I felt myself relinquish my grasp pointed to a common character in the efforts that I had always to make. Moreover, when once in a thousand times I did succeed in following the writer to the end of his sentence, what I saw there was always of a humour, a truth, a charm similar to those which I had found long ago in reading Bergotte, only more delightful. I reflected that it was not so many years since a similar reconstruction of the world, like that which I was waiting now for his successor to produce, had been wrought for me by Bergotte himself. Until I was led to ask myself whether there was indeed any truth in the distinction which we are always making between art, which is no more advanced now than in Homer′s day, and science with its continuous progress. Perhaps, on the contrary, art was in this respect like science; each new writer seemed to me to have advanced beyond the stage of his immediate predecessor; and how was I to know that in twenty years′ time, when I should be able to accompany without strain or effort the newcomer of to-day, another might not appear at whose approach he in turn would be packed off to the limbo to which his own coming would have consigned Bergotte?
Je parlai à ce dernier du nouvel écrivain. Il me dégoûta de lui moins en m′assurant que son art était rugueux, facile et vide, qu′en me racontant l′avoir vu, ressemblant, au point de s′y méprendre, à Bloch.
I spoke to the latter of the new writer. He gave me a distaste for him not so much when he said that his art was uncouth, easy and vacuous, as when he told me that he had seen him, and had almost mistaken him (so strong was the likeness) for Bloch.
Cette image se profila désormais sur les pages écrites et je ne me crus plus astreint à la peine de comprendre. Si Bergotte m′avait mal parlé de lui, c′était moins, je crois, par jalousie de son insuccès que par ignorance de son oeuvre. Il ne lisait presque rien. Déjà la plus grande partie de sa pensée avait passé de son cerveau dans ses livres. Il était amaigri comme s′il avait été opéré d′eux. Son instinct reproducteur ne l′induisait plus à l′activité, maintenant qu′il avait produit au dehors presque tout ce qu′il pensait. Il menait la vie végétative d′un convalescent, d′une accouchée; ses beaux yeux restaient immobiles, vaguement éblouis, comme les yeux d′un homme étendu au bord de la mer qui dans une vague rêverie regarde seulement chaque petit flot. D′ailleurs si j′avais moins d′intérêt à causer avec lui que je n′aurais eu jadis, de cela je n′éprouvais pas de remords. Il était tellement homme d′habitude que les plus simples comme les plus luxueuses, une fois qu′il les avait prises, lui devenaient indispensables pendant un certain temps. Je ne sais ce qui le fit venir une première fois, mais ensuite chaque jour ce fut pour la raison qu′il était venu la veille. Il arrivait à la maison comme il fût allé au café, pour qu′on ne lui parlât pas, pour qu′il pût — bien rarement — parler, de sorte qu′on aurait pu en somme trouver un signe qu′il fût ému de notre chagrin ou prît plaisir à se trouver avec moi, si l′on avait voulu induire quelque chose d′une telle assiduité. Elle n′était pas indifférente à ma mère, sensible à tout ce qui pouvait être considéré comme un hommage à sa malade. Et tous les jours elle me disait: «Surtout n′oublie pas de bien le remercier.»
From that moment my friend′s features outlined themselves on the printed pages, and I no longer felt any obligation to make the effort necessary to understand them. If Bergotte had decried him to me it was less, I fancy, out of jealousy for a success that was yet to come than out of ignorance of his work. He read scarcely anything. The bulk of his thought had long since passed from his brain into his books. He had grown thin, as though they had been extracted from him by surgical operations. His reproductive instinct no longer impelled him to any activity, now that he had given an independent existence to almost all his thoughts. He led the vegetative life of a convalescent, of a woman after childbirth; his fine eyes remained motionless, vaguely dazed, like the eyes of a man who lies on the seashore and in a vague daydream sees only each little breaking wave. However, if it was less interesting to talk to him now than I should once have found it, I felt no compunction for that. He was so far a creature of habit that the simplest habits, like the most elaborate, once he had formed them, became indispensable to him for a certain length of time. I do not know what made him come to our house first of all, but after that every day it was simply because he had been there the day before. He would come to the house as he might have gone to a café, so that no one should talk to him, so that he might — very rarely — talk himself; one might in short have found in his conduct a sign that he was moved to sympathise with us in our anxiety, or that he enjoyed my company, had one sought to draw any conclusion from such an assiduity in calling. It did not fail to impress my mother, sensitive to everything that might be regarded as an act of homage to her invalid. And every day she reminded me: “See that you don′t forget to thank him nicely.”
Nous eûmes — discrète attention de femme, comme le goûter que nous sert entre deux séances de pose la compagne d′un peintre — supplément à titre gracieux de celles que nous faisait son mari, la visite de Mme Cottard. Elle venait nous offrir sa «camériste», si nous aimions le service d′un homme, allait se «mettre en campagne» et mieux, devant nos refus, nous dit qu′elle espérait du moins que ce n′était pas là de notre part une «défaite», mot qui dans son monde signifie un faux prétexte pour ne pas accepter une invitation. Elle nous assura que le professeur, qui ne parlait jamais chez lui de ses malades, était aussi triste que s′il s′était agi d′elle-même. On verra plus tard que même si cela eût été vrai, cela eût été à la fois bien peu et beaucoup, de la part du plus infidèle et plus reconnaissant des maris.
We had also — a discreet feminine attention like the refreshments that are brought to us in the studio, between sittings, by a painter′s mistress — a courteous supplement to those which her husband paid us professionally, a visit from Mme. Cottard. She came to offer us her ‘waiting-woman,′ or, if we preferred the services of a man, she would ‘scour the country′ for one, and, best of all, on our declining, said that she did hope this was not just a ‘put-off on our part, a word which in her world signifies a false pretext for not accepting an invitation. She assured us that the Professor, who never referred to his patients when he was at home, was as sad about it as if it had been she herself who was ill. We shall see in due course that even if this had been true it would have been at once a very small and a considerable admission on the part of the most faithless and the most attentive of husbands.
Des offres aussi utiles, et infiniment plus touchantes par la manière (qui était un mélange de la plus haute intelligence, du plus grand coeur, et d′un rare bonheur d′expression), me furent adressées par le grand-duc héritier de Luxembourg. Je l′avais connu à Balbec où il était venu voir une de ses tantes, la princesse de Luxembourg, alors qu′il n′était encore que comte de Nassau. Il avait épousé quelques mois après la ravissante fille d′une autre princesse de Luxembourg, excessivement riche parce qu′elle était la fille unique d′un prince à qui appartenait une immense affaire de de farines. Sur quoi le grand-duc de Luxembourg, qui n′avait pas d′enfants et qui adorait son neveu Nassau, avait fait approuver par la Chambre qu′il fût déclaré grand-duc héritier. Comme dans tous les mariages de ce genre, l′origine de la fortune est l′obstacle, comme elle est aussi la cause efficiente. Je me rappelais ce comte de Nassau comme un des plus remarquables jeunes gens que j′aie rencontrés, déjà dévoré alors d′un sombre et éclatant amour pour sa fiancée. Je fus très touché des lettres qu′il ne cessa de m′écrire pendant la maladie de ma grand′mère, et maman elle-même, émue, reprenait tristement un mot de sa mère: Sévigné n′aurait pas mieux dit. Le sixième jour, maman, pour obéir aux prières de grand′mère, dut la quitter un moment et faire semblant d′aller se reposer. J′aurais voulu, pour que ma grand′mère s′endormît, que Françoise restât sans bouger. Malgré mes supplications, elle sortit de la chambre; elle aimait ma grand′mère; avec sa clairvoyance et son pessimisme elle la jugeait perdue. Elle aurait donc voulu lui donner tous les soins possibles. Mais on venait de dire qu′il y avait un ouvrier électricien, très ancien dans sa maison, beau-frère de son patron, estimé dans notre immeuble où il venait travailler depuis de longues années, et surtout de Jupien. On avait commandé cet ouvrier avant que ma grand′mère tombât malade. Il me semblait qu′on eût pu le faire repartir ou le laisser attendre. Mais le protocole de Françoise ne le permettait pas, elle aurait manqué de délicatesse envers ce brave homme, l′état de ma grand′mère ne comptait plus. Quand au bout d′un quart d′heure, exaspéré, j′allai la chercher à la cuisine, je la trouvai causant avec lui sur le «carré» de l′escalier de service, dont la porte était ouverte, procédé qui avait l′avantage de permettre, si l′un de nous arrivait, de faire semblant qu′on allait se quitter, mais l′inconvénient d′envoyer d′affreux courants d′air. Françoise quitta donc l′ouvrier, non sans lui avoir encore crié quelques compliments, qu′elle avait oubliés, pour sa femme et son beau-frère. Souci caractéristique de Combray, de ne pas manquer à la délicatesse, que Françoise portait jusque dans la politique extérieure. Les niais s′imaginent que les grosses dimensions des phénomènes sociaux sont une excellente occasion de pénétrer plus avant dans l′âme humaine; ils devraient au contraire comprendre que c′est en descendant en profondeur dans une individualité qu′ils auraient chance de comprendre ces phénomènes. Françoise avait mille fois répété au jardinier de Combray que la guerre est le plus insensé des crimes et que rien ne vaut sinon vivre. Or, quand éclata la guerre russo-japonaise, elle était gênée, vis-à-vis du czar, que nous ne nous fussions pas mis en guerre pour aider «les pauvres Russes» «puisqu′on est alliance», disait-elle. Elle ne trouvait pas cela délicat envers Nicolas II qui avait toujours eu «de si bonnes paroles pour nous»; c′était un effet du même code qui l′eût empêchée de refuser à Jupien un petit verre, dont elle savait qu′il allait «contrarier sa digestion», et qui faisait que, si près de la mort de ma grand′mère, la même malhonnêteté dont elle jugeait coupable la France, restée neutre à l′égard du Japon, elle eût cru la commettre, en n′allant pas s′excuser elle-même auprès de ce bon ouvrier électricien qui avait pris tant de dérangement.
Offers as helpful and infinitely more touching owing to the form in which they were couched (which was a blend of the highest intelligence, the warmest sympathy, and a rare felicity of expression) were addressed to me by the Hereditary Grand Duke of Luxembourg. I had met him at Balbec where he had come on a visit to one of his aunts, the Princesse de Luxembourg, being himself at that time merely Comte de Nassau. He had married, some months later, the charming daughter of another Luxembourg Princess, extremely rich, because she was the only daughter of a Prince who was the proprietor of an immense flour-mill. Whereupon the Grand Duke of Luxembourg, who had no children of his own and was devoted to his nephew Nassau, had obtained the approval of his Chamber to his declaring the young man his heir. As with all marriages of this nature, the origin of the bride′s fortune was the obstacle as it was also the deciding factor. I remembered this Comte de Nassau as one of the most striking young men I had ever met, already devoured, at that time, by a dark and blazing passion for his betrothed. I was deeply touched by the letters which he wrote me, day after day, during my grandmother′s illness, and Mamma herself, in her emotion, quoted sadly one of her mother′s expressions: “Sévigné would not have put it better.” On the sixth day Mamma, yielding to my grandmother′s entreaties, left her for a little and pretended to go and lie down. I should have liked (so that my grandmother might go to sleep) Françoise to sit quite still and not disturb her by moving. In spite of my supplications, she got up and left the room; she was genuinely devoted to my grandmother; with her uncanny insight and her natural pessimism she regarded her as doomed. She would therefore have liked to pay her every possible attention. But word had just come that an electrician was in the house, one of the oldest servants of his firm, the head of which was his brother-in-law, highly esteemed throughout the building, where he had worked for many years, and especially by Jupien. This man had been ordered to come before my grandmother′s illness. It seemed to me that he might have been sent away again, or told to wait. But Franchise′s code of manners would not permit of this; it would have been a want of courtesy towards this worthy man; my grandmother′s condition ceased at once to matter. When, after waiting a quarter of an hour, I lost my patience and went to look for her in the kitchen, I found her talking to him on the landing of the back staircase, the door of which stood open, a device which had the advantage, should any of us come on the scene, of letting it be thought that they were just saying goodbye, but had also the drawback of sending a terrible draught through the house. Françoise tore herself from the workman, not without turning to shout down after him various greetings, forgotten in her haste, to his wife and brother-in-law. A typical Combray scruple, not to be found wanting in politeness, which Françoise extended even to foreign politics. People foolishly imagine that the vast dimensions of social phenomena afford them an excellent opportunity to penetrate farther into the human soul; they ought, on the contrary, to realise that it is by plumbing the depths of a single personality that they might have a chance of understanding those phenomena. A thousand times over Françoise told the gardener at Combray that war was the most senseless of crimes, that life was the only thing that mattered. Yet, when the Russo-Japanese war broke out, she was quite ashamed, when she thought of the Tsar, that we had not gone to war also to help the ‘poor Russians,′ “since,” she reminded us, “we′re allianced to them.” She felt this abstention to be not quite polite to Nicholas II, who had always “said such nice things about us”; it was a corollary of the same code which would have prevented her from refusing a glass of brandy from Jupien, knowing that it would ‘upset′ her digestion, and which brought it about that now, with my grandmother lying at death′s door, the same meanness of which she considered France guilty in remaining neutral with regard to Japan she would have had to admit in herself, had she not gone in person to make her apologies to this good electrician who had been put to so much trouble.
Nous fûmes heureusement très vite débarrassés de la fille de Françoise qui eut à s′absenter plusieurs semaines. Aux conseils habituels qu′on donnait, à Combray, à la famille d′un malade: «Vous n′avez pas essayé d′un petit voyage, le changement d′air, retrouver l′appétit, etc. . . . » elle avait ajouté l′idée presque unique qu′elle s′était spécialement forgée et qu′ainsi elle répétait chaque fois qu′on la voyait, sans se lasser, et comme pour l′enfoncer dans la tête des autres: «Elle aurait dû se soigner radicalement[/i.> dès le début.» Elle ne préconisait pas un genre de cure plutôt qu′un autre, pourvu que cette cure fût radicale[/i.>. Quant à Françoise, elle voyait qu′on donnait peu de médicaments à ma grand′mère. Comme, selon elle, ils ne servent qu′à vous abîmer l′estomac, elle en était heureuse, mais plus encore humiliée. Elle avait dans le Midi des cousins — riches relativement — dont la fille, tombée malade en pleine adolescence, était morte à vingt-trois ans; pendant quelques années le père et la mère s′étaient ruinés en remèdes, en docteurs différents, en pérégrinations d′une «station» thermale à une autre, jusqu′au décès. Or cela paraissait à Françoise, pour ces parents-là, une espèce de luxe, comme s′ils avaient eu des chevaux de courses, un château. Eux-mêmes, si affligés qu′ils fussent, tiraient une certaine vanité de tant de dépenses. Ils n′avaient plus rien, ni surtout le bien le plus précieux, leur enfant, mais ils aimaient à répéter qu′ils avaient fait pour elle autant et plus que les gens les plus riches. Les rayons ultra-violets, à l′action desquels on avait, plusieurs fois par jour, pendant des mois, soumis la malheureuse, les flattaient particulièrement. Le père, enorgueilli dans sa douleur par une espèce de gloire, en arrivait quelquefois à parler de sa fille comme d′une étoile de l′Opéra pour laquelle il se fût ruiné. Françoise n′était pas insensible à tant de mise en scène; celle qui entourait la maladie de ma grand′mère lui semblait un peu pauvre, bonne pour une maladie sur un petit théâtre de province.
Luckily for ourselves, we were soon rid of Françoise′s daughter, who was obliged to be away for some weeks. To the regular stock of advice which people at Combray gave to the family of an invalid: “You haven′t tried taking him away for a little . . . the change of air, you know . . . pick up an appetite . . . etc?” she had added the almost unique idea, which she had specially created in her own imagination, and repeated accordingly whenever we saw her, without fail, as though hoping by dint of reiteration to force it through the thickness of people′s heads: “She ought to have taken herself in hand radically from the first.” She did not recommend any one cure rather than another, provided that it were ‘radical.′ As for Françoise herself, she noticed that we were not giving my grandmother many medicines. Since, according to her, they only destroyed the stomach, she was quite glad of this, but at the same time even more humiliated. She had, in the South of France, some cousins — relatively well-to-do — whose daughter, after falling ill just as she was growing up, had died at twenty-three; for several years the father and mother had ruined themselves on drugs, on different doctors, on pilgrimages from one watering-place to another, until her decease. Now all this seemed to Françoise, for the parents in question, a kind of luxury, as though they had owned racehorses, or a Place in the country. They themselves, in the midst of their affliction, derived a certain gratification from the thought of such lavish expenditure. They had now nothing left, least of all their most precious possession, their child, but they did enjoy telling people how they had done as much for her and more than the richest in the land. The ultra-violet rays to the action of which, several times a day for months on end, the poor girl had been subjected, delighted them more than anything. The father, elated in his grief by the glory of it all, was led to speak of his daughter at times as of an operatic star for whose sake he had ruined himself. Françoise was not unmoved by this wealth of scenic effect; that which framed my grandmother′s sickbed seemed to her a trifle meagre, suited rather to an illness on the stage of a small provincial theatre.
Il y eut un moment où les troubles de l′urémie se portèrent sur les yeux de ma grand′mère. Pendant quelques jours, elle ne vit plus du tout. Ses yeux n′étaient nullement ceux d′une aveugle et restaient les mêmes. Et je compris seulement qu′elle ne voyait pas, à l′étrangeté d′un certain sourire d′accueil qu′elle avait dès qu′on ouvrait la porte, jusqu′à ce qu′on lui eût pris la main pour lui dire bonjour, sourire qui commençait trop tôt et restait stéréotypé sur ses lèvres, fixe, mais toujours de face et tâchant à être vu de partout, parce qu′il n′y avait plus l′aide du regard pour le régler, lui indiquer le moment, la direction, le mettre au point, le faire varier au fur et à mesure du changement de place ou d′expression de la personne qui venait d′entrer; parce qu′il restait seul, sans sourire des yeux qui eût détourné un peu de lui l′attention du visiteur, et prenait par là, dans sa gaucherie, une importance excessive, donnant l′impression d′une amabilité exagérée. Puis la vue revint complètement, des yeux le mal nomade passa aux oreilles. Pendant quelques jours, ma grand′mère fut sourde. Et comme elle avait peur d′être surprise par l′entrée soudaine de quelqu′un qu′elle n′aurait pas entendu venir, à tout moment (bien que couchée du côté du mur) elle détournait brusquement la tête vers la porte. Mais le mouvement de son cou était maladroit, car on ne se fait pas en quelques jours à cette transposition, sinon de regarder les bruits, du moins d′écouter avec les yeux. Enfin les douleurs diminuèrent, mais l′embarras de la parole augmenta. On était obligé de faire répéter à ma grand′mère à peu près tout ce qu′elle disait.
There came a time when her uraemic trouble affected my grandmother′s eyes. For some days she could not see at all. Her eyes were not at all like those of a blind person, but remained just the same as before. And I gathered that she could see nothing only from the strangeness of a certain smile of welcome which she assumed the moment one opened the door, until one had come up to her and taken her hand, a smile which began too soon and remained stereotyped on her lips, fixed, but always full-faced, and endeavouring to be visible from all points, because she could no longer rely upon her sight to regulate it, to indicate the right moment, the proper direction, to bring it to the point, to make it vary according to the change of position or of facial expression of the person who had come in; because it was left isolated, without the accompanying smile in her eyes which would have distracted a little from it the attention of the visitor, it assumed in its awkwardness an undue importance, giving one the impression of an exaggerated friendliness. Then her sight was completely restored; from her eyes the wandering affliction passed to her ears. For several days my grandmother was deaf. And as she was afraid of being taken by surprise by the sudden entry of some one whom she would not have heard come in, all day long, albeit she was lying with her face to the wall, she kept turning her head sharply towards the door. But the movement of her neck was clumsy, for one cannot adapt oneself in a few days to this transposition of faculties, so as, if not actually to see sounds, to listen with one′s eyes. Finally her pain grew less, but the impediment of her speech increased. We were obliged to ask her to repeat almost everything that she said.
Maintenant ma grand′mère, sentant qu′on ne la comprenait plus, renonçait à prononcer un seul mot et restait immobile. Quand elle m′apercevait, elle avait une sorte de sursaut comme ceux qui tout d′un coup manquent d′air, elle voulait me parler, mais n′articulait que des sons inintelligibles. Alors, domptée par son impuissance même, elle laissait retomber sa tête, s′allongeait à plat sur le lit, le visage grave, de marbre, les mains immobiles sur le drap, ou s′occupant d′une action toute matérielle comme de s′essuyer les doigts avec son mouchoir. Elle ne voulait pas penser. Puis elle commença à avoir une agitation constante. Elle désirait sans cesse se lever. Mais on l′empêchait, autant qu′on pouvait, de le faire, de peur qu′elle ne se rendît compte de sa paralysie. Un jour qu′on l′avait laissée un instant seule, je la trouvai, debout, en chemise de nuit, qui essayait d′ouvrir la fenêtre.
And now my grandmother, realising that we could no longer understand her, gave up altogether the attempt to speak and lay perfectly still. When she caught sight of me she gave a sort of convulsive start like a person who suddenly finds himself unable to breathe, but could make no intelligible sound. Then, overcome by her sheer powerlessness, she let her head drop on to the pillows, stretched herself out flat in her bed, her face grave, like a face of marble, her hands motionless on the sheet or occupied in some purely physical action such as that of wiping her fingers with her handkerchief. She made no effort to think. Then came a state of perpetual agitation. She was incessantly trying to get up. But we restrained her so far as we could from doing so, for fear of her discovering how paralysed she was. One day when she had been left alone for a moment I found her standing on the floor in her nightgown trying to open the window.
A Balbec, un jour où on avait sauvé malgré elle une veuve qui s′était jetée à l′eau, elle m′avait dit (mue peut-être par un de ces pressentiments que nous lisons parfois dans le mystère si obscur pourtant de notre vie organique, mais où il semble que se reflète l′avenir) qu′elle ne connaissait pas cruauté pareille à celle d′arracher une désespérée à la mort qu′elle a voulue et de la rendre à son martyre.
At Balbec, once, when a widow who had jumped into the sea had been rescued against her will, my grandmother had told me (moved perhaps by one of those presentiments which we discern at times in the mystery — so obscure, for all that — of the organic life around us, in which nevertheless it seems that our own future is foreshadowed) that she could think of nothing so cruel as to tear a poor wretch from the death that she had deliberately sought and restore her to her living martyrdom.
Nous n′eûmes que le temps de saisir ma grand′mère, elle soutint contre ma mère une lutte presque brutale, puis vaincue, rassise de force dans un fauteuil, elle cessa de vouloir, de regretter, son visage redevint impassible et elle se mit à enlever soigneusement les poils de fourrure qu′avait laissés sur sa chemise de nuit un manteau qu′on avait jeté sur elle.
We were just in time to catch my grandmother, she put up an almost violent resistance to my mother, then, overpowered, seated forcibly in an armchair, she ceased to wish for death, to regret being alive, her face resumed its impassivity and she began laboriously to pick off the hairs that had been left on her nightgown by a fur cloak which somebody had thrown over her shoulders.
Son regard changea tout à fait, souvent inquiet, plaintif, hagard, ce n′était plus son regard d′autrefois, c′était le regard maussade d′une vieille femme qui radote. . . .
The look in her eyes changed completely; often uneasy, plaintive, haggard, it was no longer the look we knew, it was the sullen expression of a doddering old woman. . . .
A force de lui demander si elle ne désirait pas être coiffée, Françoise finit par se persuader que la demande venait de ma grand′mère. Elle apporta des brosses, des peignes, de l′eau de Cologne, un peignoir. Elle disait: «Cela ne peut pas fatiguer Madame Amédée, que je la peigne; si faible qu′on soit on peut toujours être peignée.» C′est-à-dire, on n′est jamais trop faible pour qu′une autre personne ne puisse, en ce qui la concerne, vous peigner. Mais quand j′entrai dans la chambre, je vis entre les mains cruelles de Françoise, ravie comme si elle était en train de rendre la santé à ma grand′mère, sous l′éplorement d′une vieille chevelure qui n′avait pas la force de supporter le contact du peigne, une tête qui, incapable de garder la pose qu′on lui donnait, s′écroulait dans un tourbillon incessant où l′épuisement des forces alternait avec la douleur. Je sentis que le moment où Françoise allait avoir terminé s′approchait et je n′osai pas la hâter en lui disant: «C′est assez», de peur qu′elle ne me désobéît. Mais en revanche je me précipitai quand, pour que ma grand′mère vît si elle se trouvait bien coiffée, Françoise, innocemment féroce, approcha une glace. Je fus d′abord heureux d′avoir pu l′arracher à temps de ses mains, avant que ma grand′mère, de qui on avait soigneusement éloigné tout miroir, eût aperçu par mégarde une image d′elle-même qu′elle ne pouvait se figurer. Mais, hélas! quand, un instant après, je me penchai vers elle pour baiser ce beau front qu′on avait tant fatigué, elle me regarda d′un air étonné, méfiant, scandalisé: elle ne m′avait pas reconnu.
By dint of repeatedly asking her whether she would not like her hair done, Françoise managed to persuade herself that the request had come from my grandmother. She armed herself with brushes, combs, eau de Cologne, a wrapper. “It can′t hurt Madame Amédée,” she said to herself, “if I just comb her; nobody′s ever too ill for a good combing.” In other words, one was never too weak for another person to be able, for her own satisfaction, to comb one. But when I came into the room I saw between the cruel hands of Françoise, as blissfully happy as though she were in the act of restoring my grandmother to health, beneath a thin rain of aged tresses which had not the strength to resist the action of the comb, a head which, incapable of maintaining the position into which it had been forced, was rolling to and fro with a ceaseless swirling motion in which sheer debility alternated with spasms of pain. I felt that the moment at which Françoise would have finished her task was approaching, and I dared not hasten it by suggesting to her: “That is enough,” for fear of her disobeying me. But I did forcibly intervene when, in order that my grandmother might see whether her hair had been done to her liking, Françoise, with innocent savagery, brought her a glass. I was glad for the moment that I had managed to snatch it from her in time, before my grandmother, whom we had carefully kept without a mirror, could catch even a stray glimpse of a face unlike anything she could have imagined. But, alas, when, a moment later, I leaned over her to kiss that dear forehead which had been so harshly treated, she looked up at me with a puzzled, distrustful, shocked expression: she did not know me.
Selon notre médecin c′était un symptôme que la congestion du cerveau augmentait. Il fallait le dégager.
According to our doctor, this was a symptom that the congestion of her brain was increasing. It must be relieved in some way.
Cottard hésitait. Françoise espéra un instant qu′on mettrait des ventouses «clarifiées». Elle en chercha les effets dans mon dictionnaire mais ne put les trouver. Eût-elle bien dit scarifiées au lieu de clarifiées qu′elle n′eût pas trouvé davantage cet adjectif, car elle ne le cherchait pas plus à la lettre s[/i.> qu′à la lettre c[/i.>; elle disait en effet clarifiées mais écrivait (et par conséquent croyait que c′était écrit) «esclarifiées». Cottard, ce qui la déçut, donna, sans beaucoup d′espoir, la préférence aux sangsues. Quand, quelques heures après, j′entrai chez ma grand′mère, attachés à sa nuque, à ses tempes, à ses oreilles, les petits serpents noirs se tordaient dans sa chevelure ensanglantée, comme dans celle de Méduse. Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d′autrefois (peut-être encore plus surchargés d′intelligence qu′ils n′étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c′est à ses yeux seuls qu′elle confiait sa pensée, la pensée qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant des trésors insoupçonnés, tantôt semble réduite à rien, puis peut renaître comme par génération spontanée par quelques gouttes de sang qu′on tire), ses yeux, doux et liquides comme de l′huile, sur lesquels le feu rallumé qui brûlait éclairait devant la malade l′univers reconquis. Son calme n′était plus la sagesse du désespoir mais de l′espérance. Elle comprenait qu′elle allait mieux, voulait être prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d′un beau sourire pour que je susse qu′elle se sentait mieux, et me pressa légèrement la main.
Cottard was in two minds. Françoise hoped at first that they were going to apply ‘clarified cups.′ She looked for the effects of this treatment in my dictionary, but could find no reference to it. Even if she had said ‘scarified′ instead of ‘clarified′ she still would not have found any reference to this adjective, since she did not look any more for it under ‘S′ than under ‘C′; she did indeed say ‘clarified′ but she wrote (and consequently assumed that the printed word was) ‘esclarified.′ Cottard, to her disappointment, gave the preference, though without much hope, to leeches. When, a few hours later, I went into my grandmother′s room, fastened to her neck, her temples, her ears, the tiny black serpents were writhing among her bloodstained locks, as on the head of Medusa. But in her pale and peaceful entirely motionless face I saw wide open, luminous and calm, her own beautiful eyes, as in days gone by (perhaps even more charged with the light of intelligence than they had been before her illness, since, as she could not speak and must not move, it was to her eyes alone that she entrusted her thought, that thought which at one time occupies an immense place in us, offering us undreamed-of treasures, at another time seems reduced to nothing, then may be reborn, as though by spontaneous generation, by the withdrawal of a few drops of blood), her eyes, soft and liquid like two pools of oil in which the rekindled fire that was now burning lighted before the face of the invalid a reconquered universe. Her calm was no longer the wisdom of despair, but that of hope. She realised that she was better, wished to be careful, not to move, and made me the present only of a charming smile so that I should know that she was feeling better, as she gently pressed my hand.
I knew the disgust that my grandmother felt at the sight of certain animals, let alone being touched by them. I knew that it was in consideration of a higher utility that she was enduring the leeches. And so it infuriated me to hear Françoise repeating to her with that laugh which people use to a baby, to make it crow: “Oh, look at the little beasties running about on Madame.” This was, moreover, treating our patient with a want of respect, as though she were in her second childhood. But my grandmother, whose face had assumed the calm fortitude of a stoic, did not seem even to hear her.
Hélas! aussitôt les sangsues retirées, la congestion reprit de plus en plus grave. Je fus surpris qu′à ce moment où ma grand′mère était si mal, Françoise disparût à tout moment. C′est qu′elle s′était commandé une toilette de deuil et ne voulait pas faire attendre la couturière. Dans la vie de la plupart des femmes, tout, même le plus grand chagrin, aboutit à une question d′essayage.
Alas! No sooner had the leeches been taken off than the congestion returned and grew steadily worse. I was surprised to find that at this stage, when my grandmother was so ill, Françoise was constantly disappearing. The fact was that she had ordered herself a mourning dress, and did not wish to keep her dressmaker waiting. In the lives of most women, everything, even the greatest sorrow, resolves itself into a question of ‘trying-on.′
Quelques jours plus tard, comme je dormais, ma mère vint m′appeler au milieu de la nuit. Avec les douces attentions que, dans les grandes circonstances, les gens qu′une profonde douleur accable témoignent fût-ce aux petits ennuis des autres:
A few days later, when I was in bed and sleeping, my mother came to call me in the early hours of the morning. With that tender consideration which, in great crises, people who are crushed by grief shew even for the slightest discomfort of others:
— Pardonne-moi de venir troubler ton sommeil, me dit-elle.
“Forgive me for disturbing your sleep,” she said to me.
— Je ne dormais pas, répondis-je en m′éveillant.
“I was not asleep,” I answered as I awoke.
Je le disais de bonne foi. La grande modification qu′amène en nous le réveil est moins de nous introduire dans la vie claire de la conscience que de nous faire perdre le souvenir de la lumière un peu plus tamisée où reposait notre intelligence, comme au fond opalin des eaux. Les pensées à demi voilées sur lesquelles nous voguions il y a un instant encore entraînaient en nous un mouvement parfaitement suffisant pour que nous ayons pu les désigner sous le nom de veille. Mais les réveils trouvent alors une interférence de mémoire. Peu après, nous les qualifions sommeil parce que nous ne nous les rappelons plus. Et quand luit cette brillante étoile, qui, à l′instant du réveil, éclaire derrière le dormeur son sommeil tout entier, elle lui fait croire pendant quelques secondes que c′était non du sommeil, mais de la veille; étoile filante à vrai dire, qui emporte avec sa lumière l′existence mensongère, mais les aspects aussi du songe et permet seulement à celui qui s′éveille de se dire: «J′ai dormi.»
I said this in good faith. The great modification which the act of awakening effects in us is not so much that of introducing us to the clear life of consciousness, as that of making us lose all memory of that other, rather more diffused light in which our mind has been resting, as in the opaline depths of the sea. The tide of thought, half veiled from our perception, over which we were drifting still a moment ago, kept us in a state of motion perfectly sufficient to enable us to refer to it by the name of wakefulness. But then our actual awakenings produce an interruption of memory. A little later we describe these states as sleep because we no longer remember them. And when shines that bright star which at the moment of waking illuminates behind the sleeper the whole expanse of his sleep, it makes him imagine for a few moments that this was not a sleeping but a waking state; a shooting star, it must be added, which blots out with the fading of its light not only the false existence but the very appearance of our dream, and merely enables him who has awoken to say to himself: “I was asleep.”
D′une voix si douce qu′elle semblait craindre de me faire mal, ma mère me demanda si cela ne me fatiguerait pas trop de me lever, et me caressant les mains:
In a voice so gentle that she seemed to be afraid of hurting me, my mother asked whether it would tire me too much to get out of bed, and, stroking my hands, went on:
— Mon pauvre petit, ce n′est plus maintenant que sur ton papa et sur ta maman que tu pourras compter.
“My poor boy, you have only your Papa and Mamma to help you now.”
Nous entrâmes dans la chambre. Courbée en demi-cercle sur le lit, un autre être que ma grand′mère, une espèce de bête qui se serait affublée de ses cheveux et couchée dans ses draps, haletait, geignait, de ses convulsions secouait les couvertures. Les paupières étaient closes et c′est parce qu′elles fermaient mal plutôt que parce qu′elles s′ouvraient qu′elle laissaient voir un coin de prunelle, voilé, chassieux, reflétant l′obscurité d′une vision organique et d′une souffrance interne. Toute cette agitation ne s′adressait pas à nous qu′elle ne voyait pas, ni ne connaissait. Mais si ce n′était plus qu′une bête qui remuait là, ma grand′mère où était-elle? On reconnaissait pourtant la forme de son nez, sans proportion maintenant avec le reste de la figure, mais au coin duquel un grain de beauté restait attaché, sa main qui écartait les couvertures d′un geste qui eût autrefois signifié que ces couvertures la gênaient et qui maintenant ne signifiait rien.
We went into the sickroom. Bent in a semicircle on the bed a creature other than my grandmother, a sort of wild beast which was coated with her hair and couched amid her bedclothes lay panting, groaning, making the blankets heave with its convulsions. The eyelids were closed, and it was because the one nearer me did not shut properly, rather than because it opened at all that it left visible a chink of eye, misty, filmed, reflecting the dimness both of an organic sense of vision and of a hidden, internal pain. All this agitation was not addressed to us, whom she neither saw nor knew. But if this was only a beast that was stirring there, where coulel my grandmother be? Yes, I could recognise the shape of her nose, which bore no relation now to the rest of her face, but to the corner of which a beauty spot still adhered, and the hand that kept thrusting the blankets aside with a gesture which formerly would have meant that those blankets were pressing upon her, but now meant nothing.
Maman me demanda d′aller chercher un peu d′eau et de vinaigre pour imbiber le front de grand′mère. C′était la seule chose qui la rafraîchissait, croyait maman qui la voyait essayer d′écarter ses cheveux. Mais on me fit signe par la porte de venir. La nouvelle que ma grand′mère était à toute extrémité s′était immédiatement répandue dans la maison. Un de ces «extras» qu′on fait venir dans les périodes exceptionnelles pour soulager la fatigue des domestiques, ce qui fait que les agonies ont quelque chose des fêtes, venait d′ouvrir au duc de Guermantes, lequel, resté dans l′antichambre, me demandait; je ne pus lui échapper.
Mamma asked me to go for a little vinegar and water with which to sponge my grandmother′s forehead. It was the only thing that refreshed her, thought Mamma, who saw that she was trying to push back her hair. But now one of the servants was signalling to me from the doorway. The news that my grandmother was in the last throes had spread like wildfire through the house. One of those ‘extra helps′ whom people engage at exceptional times to relieve the strain on their servants (a practice which gives deathbeds an air of being social functions) had just opened the front door to the Duc de Guermantes, who was now waiting in the hall and had asked for me: I could not escape him.
— Je viens, mon cher monsieur, d′apprendre ces nouvelles macabres. Je voudrais en signe de sympathie serrer la main à monsieur votre père.
“I have just, my dear Sir, heard your tragic news. I should like, as a mark of sympathy, to shake hands with your father.”
Je m′excusai sur la difficulté de le déranger en ce moment. M. de Guermantes tombait comme au moment où on part en voyage. Mais il sentait tellement l′importance de la politesse qu′il nous faisait, que cela lui cachait le reste et qu′il voulait absolument entrer au salon. En général, il avait l′habitude de tenir à l′accomplissement entier des formalités dont il avait décidé d′honorer quelqu′un et il s′occupait peu que les malles fussent faites ou le cercueil prêt.
I made the excuse that I could not very well disturb him at the moment. M. de Guermantes was like a caller who turns up just as one is about to start on a journey. But he felt so intensely the importance of the courtesy he was shewing us that it blinded him to all else, and he insisted upon being taken into the drawing-room. As a general rule, he made a point of going resolutely through the formalities with which he had decided to honour anyone, and took little heed that the trunks were packed or the coffin ready.
— Avez-vous fait venir Dieulafoy? Ah! c′est une grave erreur. Et si vous me l′aviez demandé, il serait venu pour moi, il ne me refuse rien, bien qu′il ait refusé à la duchesse de Chartres. Vous voyez, je me mets carrément au-dessus d′une princesse du sang. D′ailleurs devant la mort nous sommes tous égaux, ajouta-t-il, non pour me persuader que ma grand′mère devenait son égale, mais ayant peut-être senti qu′une conversation prolongée relativement à son pouvoir sur Dieulafoy et à sa prééminence sur la duchesse de Chartres ne serait pas de très bon goût.
“Have you sent for Dieulafoy? No? That was a great mistake. And if you had only asked me, I would have got him to come, he never refuses me anything, although he has refused the Duchesse de Chartres before now. You see, I set myself above a Princess of the Blood. However, in the presence of death we are all equal,” he added, not that he meant to suggest that my grandmother was becoming his equal, but probably because he felt that a prolonged discussion of his power over Dieulafoy and his pre-eminence over the Duchesse de Chartres would not be in very good taste.
Son conseil du reste ne m′étonnait pas. Je savais que, chez les Guermantes, on citait toujours le nom de Dieulafoy (avec un peu plus de respect seulement) comme celui d′un «fournisseur» sans rival. Et la vieille duchesse de Mortemart, née Guermantes (il est impossible de comprendre pourquoi dès qu′il s′agit d′une duchesse on dit presque toujours: «la vieille duchesse de» ou tout au contraire, d′un air fin et Watteau, si elle est jeune, la «petite duchesse de»), préconisait presque mécaniquement, en clignant de l′oeil, dans les cas graves «Dieulafoy, Dieulafoy», comme si on avait besoin d′un glacier «Poiré Blanche» ou pour des petits fours «Rebattet, Rebattet». Mais j′ignorais que mon père venait précisément de faire demander Dieulafoy.
This advice did not in the least surprise me. I knew that, in the Guermantes set, the name of Dieulafoy was regularly quoted (only with slightly more respect) among those of other tradesmen who were ‘quite the best′ in their respective lines. And the old Duchesse de Mortemart née Guermantes (I never could understand, by the way, why, the moment one speaks of a Duchess, one almost invariably says: “The old Duchess of So-and-so” or, alternatively, in a delicate Watteau tone, if she is still young: “The little Duchess of So-and-so,”) would prescribe almost automatically, with a droop of the eyelid, in serious cases: “Dieulafoy, Dieulafoy!” as, if one wanted a place for ices, she would advise: ‘Poiré Blanche,′ or for small pastry ‘Rebattet, Rebattet.′ But I was not aware that my father had, as a matter of fact, just sent for Dieulafoy.
A ce moment ma mère, qui attendait avec impatience des ballons d′oxygène qui devaient rendre plus aisée la respiration de ma grand′mère, entra elle-même dans l′antichambre où elle ne savait guère trouver M. de Guermantes. J′aurais voulu le cacher n′importe où. Mais persuadé que rien n′était plus essentiel, ne pouvait d′ailleurs la flatter davantage et n′était plus indispensable à maintenir sa réputation de parfait gentilhomme, il me prit violemment par le bras et malgré que je me défendisse comme contre un viol par des: «Monsieur, monsieur, monsieur» répétés, il m′entraîna vers maman en me disant: «Voulez-vous me faire le grand honneur de me présenter à madame votre mère[/i.>?» en déraillant un peu sur le mot mère. Et il trouvait tellement que l′honneur était pour elle qu′il ne pouvait s′empêcher de sourire tout en faisant une figure de circonstance. Je ne pus faire autrement que de le nommer, ce qui déclancha aussitôt de sa part des courbettes, des entrechats, et il allait commencer toute la cérémonie complète du salut. Il pensait même entrer en conversation, mais ma mère, noyée dans sa douleur, me dit de venir vite, et ne répondit même pas aux phrases de M. de Guermantes qui, s′attendant à être reçu en visite et se trouvant au contraire laissé seul dans l′antichambre, eût fini par sortir si, au même moment, il n′avait vu entrer Saint–Loup arrivé le matin même et accouru aux nouvelles. «Ah! elle est bien bonne!» s′écria joyeusement le duc en attrapant son neveu par sa manche qu′il faillit arracher, sans se soucier de la présence de ma mère qui retraversait l′antichambre. Saint–Loup n′était pas fâché, je crois, malgré son sincère chagrin, d′éviter de me voir, étant donné ses dispositions pour moi. Il partit, entraîné par son oncle qui, ayant quelque chose de très important à lui dire et ayant failli pour cela partir à Doncières, ne pouvait pas en croire sa joie d′avoir pu économiser un tel dérangement. «Ah! si on m′avait dit que je n′avais qu′à traverser la cour et que je te trouverais ici, j′aurais cru à une vaste blague; comme dirait ton camarade M. Bloch, c′est assez farce.» Et tout en s′éloignant avec Robert, qu′il tenait par l′épaule: «C′est égal, répétait-il, on voit bien que je viens de toucher de la corde de pendu ou tout comme; j′ai une sacrée veine.» Ce n′est pas que le duc de Guermantes fût mal élevé, au contraire. Mais il était de ces hommes incapables de se mettre à la place des autres, de ces hommes ressemblant en cela à la plupart des médecins et aux croquemorts, et qui, après avoir pris une figure de circonstance et dit: «ce sont des instants très pénibles», vous avoir au besoin embrassé et conseillé le repos, ne considèrent plus une agonie ou un enterrement que comme une réunion mondaine plus ou moins restreinte où, avec une jovialité comprimée un moment, ils cherchent des yeux la personne à qui ils peuvent parler de leurs petites affaires, demander de les présenter à une autre ou «offrir une place» dans leur voiture pour les «ramener». Le duc de Guermantes, tout en se félicitant du «bon vent» qui l′avait poussé vers son neveu, resta si étonné de l′accueil pourtant si naturel de ma mère, qu′il déclara plus tard qu′elle était aussi désagréable que mon père était poli, qu′elle avait des «absences» pendant lesquelles elle semblait même ne pas entendre les choses qu′on lui disait et qu′à son avis elle n′était pas dans son assiette et peut-être même n′avait pas toute sa tête à elle. Il voulut bien cependant, à ce qu′on me dit, mettre cela en partie sur le compte des circonstances et déclarer que ma mère lui avait paru très «affectée» par cet événement. Mais il avait encore dans les jambes tout le reste des saluts et révérences à reculons qu′on l′avait empêché de mener à leur fin et se rendait d′ailleurs si peu compte de ce que c′était que le chagrin de maman, qu′il demanda, la veille de l′enterrement, si je n′essayais pas de la distraire.
At this point my mother, who was waiting impatiently for some cylinders of oxygen which would help my grandmother to breathe more easily, came out herself to the hall where she little expected to find M. de Guermantes. I should have liked to conceal him, had that been possible. But convinced in his own mind that nothing was more essential, could be more gratifying to her or more indispensable to the maintenance of his reputation as a perfect gentleman, he seized me violently by the arm and, although I defended myself as against an assault with repeated protestations of “Sir, Sir, Sir,” dragged me across to Mamma, saying: “Will you do me the great honour of presenting me to your mother?” letting go a little as he came to the last word. And it was so plain to him that the honour was hers that he could not help smiling at her even while he was composing a grave face. There was nothing for it but to mention his name, the sound of which at once started him bowing and scraping, and he was just going to begin the complete ritual of salutation. He apparently proposed to enter into conversation, but my mother, overwhelmed by her grief, told me to come at once and did not reply to the speeches of M. de Guermantes who, expecting to be received as a visitor and finding himself instead left alone in the hall, would have been obliged to retire had he not at that moment caught sight of Saint-Loup who had arrived in Paris that morning and had come to us in haste to inquire for news. “I say, this is a piece of luck!” cried the Duke joyfully, catching his nephew by the sleeve, which he nearly tore off, regardless of the presence of my mother who was again crossing the hall. Saint-Loup was not sorry, I fancy, despite his genuine sympathy, at having missed seeing me, considering his attitude towards myself. He left the house, carried off by his uncle who — having had something very important to say to him and having very nearly gone down to Doncières on purpose to say it, was beside himself with joy at being able to save himself so much exertion. “Upon my soul, if anybody had told me I had only to cross the courtyard and I should find you here, I should have thought it a huge joke; as your friend M. Bloch would say, it′s a regular farce.” And as he disappeared down the stairs with Robert whom he held by the shoulder: “All the same,” he went on, “it′s quite clear I must have touched the hangman′s rope or something; I do have the most astounding luck.” Not that the Duc de Guermantes was ill-bred; far from it. But he was one of those men who are incapable of putting themselves in the place of other people, who resemble in that respect undertakers and the majority of doctors, and who, after composing their faces and saying: “This is a very painful occasion,” after, if need be, embracing you and advising you to rest, cease to regard a deathbed or a funeral as anything but a social gathering of a more or less restricted kind at which, with a joviality that has been checked for a moment only, they scan the room in search of the person whom they can tell about their own little affairs, or ask to introduce them to some one else, or offer a ‘lift′ in their carriage when it is time to go home. The Duc de Guermantes, while congratulating himself on the ‘good wind′ that had blown him into the arms of his nephew, was still so surprised at the reception — natural as it was — that had been given him by my mother, that he declared later on that she was as disagreeable as my father was civil, that she had ‘absent fits′ during which she seemed literally not to hear a word you said to her, and that in his opinion she had no self-possession and perhaps even was not quite ‘all there.′ At the same time he had been quite prepared (according to what I was told) to put this state of mind down, in part at any rate, to the circumstances, and declared that my mother had seemed to him greatly ‘affected′ by the sad event. But he had still stored up in his limbs all the residue of bows and reverences which he had been prevented from using up, and had so little idea of the real nature of Mamma′s sorrow that he asked me, the day before the funeral, if I was not doing anything to distract her.
Un beau-frère de ma grand′mère, qui était religieux, et que je ne connaissais pas, télégraphia en Autriche où était le chef de son ordre, et ayant par faveur exceptionnelle obtenu l′autorisation, vint ce jour-là. Accablé de tristesse, il lisait à côté du lit des textes de prières et de méditations sans cependant détacher ses yeux en vrille de la malade. A un moment où ma grand′mère était sans connaissance, la vue de la tristesse de ce prêtre me fit mal, et je le regardai. Il parut surpris de ma pitié et il se produisit alors quelque chose de singulier. Il joignit ses mains sur sa figure comme un homme absorbé dans une méditation douloureuse, mais, comprenant que j′allais détourner de lui les yeux, je vis qu′il avait laissé un petit écart entre ses doigts. Et, au moment où mes regards le quittaient, j′aperçus son oeil aigu qui avait profité de cet abri de ses mains pour observer si ma douleur était sincère. Il était embusqué là comme dans l′ombre d′un confessionnal. Il s′aperçut que je le voyais et aussitôt clôtura hermétiquement le grillage qu′il avait laissé entr′ouvert. Je l′ai revu plus tard, et jamais entre nous il ne fut question de cette minute. Il fut tacitement convenu que je n′avais pas remarqué qu′il m′épiait. Chez le prêtre comme chez l′aliéniste, il y a toujours quelque chose du juge d′instruction. D′ailleurs quel est l′ami, si cher soit-il, dans le passé, commun avec le nôtre, de qui il n′y ait pas de ces minutes dont nous ne trouvions plus commode de nous persuader qu′il a dû les oublier?
A half-brother of my grandmother, who was in religion, and whom I had never seen, had telegraphed to Austria, where the head of his Order was, and having as a special privilege obtained leave, arrived that day. Bowed down with grief, he sat by the bedside reading prayers and meditations from a book, without, however, taking his gimlet eyes from the invalid′s face. At one point, when my grandmother was unconscious, the sight of this cleric′s grief began to upset me, and I looked at him tenderly. He appeared surprised by my pity, and then an odd thing happened. He joined his hands in front of his face, like a man absorbed in painful meditation, but, on the assumption that I would then cease to watch him, left, as I observed, a tiny chink between his fingers. And at the moment when my gaze left his face, I saw his sharp eye, which had been making use of its vantage-point behind his hands to observe whether my sympathy were sincere. He was hidden there as in the darkness of a confessional. He saw that I was still looking and at once shut tight the lattice which he had left ajar. I have met him again since then, but never has any reference been made by either of us to that minute. It was tacitly agreed that I had not noticed that he was spying on me. In the priest as in the alienist, there is always an element of the examining magistrate. Besides, what friend is there, however cherished, in whose and our common past there has not been some such episode which we find it convenient to believe that he must have forgotten?
Le médecin fit une piqûre de morphine et pour rendre la respiration moins pénible demanda des ballons d′oxygène. Ma mère, le docteur, la soeur les tenaient dans leurs mains; dès que l′un était fini, on leur en passait un autre. J′étais sorti un moment de la chambre. Quand je rentrai je me trouvai comme devant un miracle. Accompagnée en sourdine par un murmure incessant, ma grand′mère semblait nous adresser un long chant heureux qui remplissait la chambre, rapide et musical. Je compris bientôt qu′il n′était guère moins inconscient, qu′il était aussi purement mécanique, que le râle de tout à l′heure. Peut-être reflétait-il dans une faible mesure quelque bien-être apporté par la morphine. Il résultait surtout, l′air ne passant plus tout à fait de la même façon dans les bronches, d′un changement de registre de la respiration. Dégagé par la double action de l′oxygène et de la morphine, le souffle de ma grand′mère ne peinait plus, ne geignait plus, mais vif, léger, glissait, patineur, vers le fluide délicieux. Peut-être à l′haleine, insensible comme celle du vent dans la flûte d′un roseau, se mêlait-il, dans ce chant, quelques-uns de ces soupirs plus humains qui, libérés à l′approche de la mort, font croire à des impressions de souffrance ou de bonheur chez ceux qui déjà ne sentent plus, et venaient ajouter un accent plus mélodieux, mais sans changer son rythme, à cette longue phrase qui s′élevait, montait encore, puis retombait pour s′élancer de nouveau de la poitrine allégée, à la poursuite de l′oxygène. Puis, parvenu si haut, prolongé avec tant de force, le chant, mêlé d′un murmure de supplication dans la volupté, semblait à certains moments s′arrêter tout à fait comme une source s′épuise.
The doctor gave my grandmother an injection of morphine, and to make her breathing less troublesome ordered cylinders of oxygen. My mother, the doctor, the nursing sister held these in their hands; as soon as one was exhausted another was put in its place. I had left the room for a few minutes. When I returned I found myself face to face with a miracle. Accompanied on a muted instrument by an incessant murmur, my grandmother seemed to be greeting us with a long and blissful chant, which filled the room, rapid and musical. I soon realized that this was scarcely less unconscious, that it was as purely mechanical as the hoarse rattle that I had heard before leaving the room. Perhaps to a slight extent it reflected some improvement brought about by the morphine. Principally it was the result (the air not passing quite in the same way through the bronchial tubes) of a change in the register of her breathing. Released by the twofold action of the oxygen and the morphine, my grandmother′s breath no longer laboured, panted, groaned, but, swift and light, shot like a skater along the delicious stream. Perhaps with her breath, unconscious like that of the wind in the hollow stem of a reed, there were blended in this chant some of those more human sighs which, liberated at the approach of death, make us imagine impressions of suffering or happiness in minds which already have ceased to feel, and these sighs came now to add a more melodious accent, but without changing its rhythm, to that long phrase which rose, mounted still higher, then declined, to start forth afresh, from her unburdened bosom in quest of the oxygen. Then, having risen to so high a pitch, having been sustained with so much vigour, the chant, mingled with a murmur of supplication from the midst of her ecstasy, seemed at times to stop altogether like a spring that has ceased to flow.
Françoise, quand elle avait un grand chagrin, éprouvait le besoin si inutile, mais ne possédait pas l′art si simple, de l′exprimer. Jugeant ma grand′mère tout à fait perdue, c′était ses impressions à elle, Françoise, qu′elle tenait à nous faire connaître. Et elle ne savait que répéter: «Cela me fait quelque chose», du même ton dont elle disait, quand elle avait pris trop de soupe aux choux: «J′ai comme un poids sur l′estomac», ce qui dans les deux cas était plus naturel qu′elle ne semblait le croire. Si faiblement traduit, son chagrin n′en était pas moins très grand, aggravé d′ailleurs par l′ennui que sa fille, retenue à Combray (que la jeune Parisienne appelait maintenant la «cambrousse» et où elle se sentait devenir «pétrousse»), ne pût vraisemblablement revenir pour la cérémonie mortuaire que Françoise sentait devoir être quelque chose de superbe. Sachant que nous nous épanchions peu, elle avait à tout hasard convoqué d′avance Jupien pour tous les soirs de la semaine. Elle savait qu′il ne serait pas libre à l′heure de l′enterrement. Elle voulait du moins, au retour, le lui «raconter».
Françoise, in any great sorrow, felt the need but did not possess the art — as simple as that need was futile — of giving it expression. Regarding my grandmother′s case as quite hopeless, it was her own personal impressions that she was impelled to communicate to us. And all that she could do was to repeat: “It makes me feel all queer,” in the same tone in which she would say, when she had taken too large a plateful of cabbage broth: “It′s like a load on my stomach,” sensations both of which were more natural than she seemed to think. Though so feebly expressed, her grief was nevertheless very great, and was aggravated moreover by her annoyance that her daughter, detained at Combray (to which this young Parisian now referred as ‘the Cambrousse′ and where she felt herself growing ‘pétrousse,′ in other words fossilised), would not, presumably, be able to return in time for the funeral ceremony, which was certain, Françoise felt, to be a superb spectacle. Knowing that we were not inclined to be expansive, she made Jupien promise at all costs to keep every evening in the week free. She knew that he would be engaged elsewhere at the hour of the funeral. She was determined at least to ‘go over it all′ with him on his return.
Depuis plusieurs nuits mon père, mon grand-père, un de nos cousins veillaient et ne sortaient plus de la maison. Leur dévouement continu finissait par prendre un masque d′indifférence, et l′interminable oisiveté autour de cette agonie leur faisait tenir ces mêmes propos qui sont inséparables d′un séjour prolongé dans un wagon de chemin de fer. D′ailleurs ce cousin (le neveu de ma grand′tante) excitait chez moi autant d′antipathie qu′il méritait et obtenait généralement d′estime.
For several nights now my father, my grandfather and one of our cousins had been sitting up, and never left the house during the day. Their continuous devotion ended by assuming a mask of indifference, and their interminable leisure round the deathbed made them indulge in that small talk which is an inseparable accompaniment of prolonged confinement in a railway carriage. Anyhow this cousin (a nephew of my great-aunt) aroused in me an antipathy as strong as the esteem which he deserved and generally enjoyed.
On le «trouvait» toujours dans les circonstances graves, et il était si assidu auprès des mourants que les familles, prétendant qu′il était délicat de santé, malgré son apparence robuste, sa voix de basse-taille et sa barbe de sapeur, le conjuraient toujours avec les périphrases d′usage de ne pas venir à l′enterrement. Je savais d′avance que maman, qui pensait aux autres au milieu de la plus immense douleur, lui dirait sous une tout autre forme ce qu′il avait l′habitude de s′entendre toujours dire:
He was always ‘sent for′ in times of great trouble, and was so assiduous in his attentions to the dying that their mourning families, on the pretext that he was in delicate health, despite his robust appearance, his bass voice and bristling beard, invariably besought him, with the customary euphemisms, not to come to the cemetery. I could tell already that Mamma, who thought of others in the midst of the most crushing grief, would soon be saying to him, in a very different form of words, what he was in the habit of hearing said on all such occasions:
— Promettez-moi que vous ne viendrez pas «demain». Faites-le pour «elle». Au moins n′allez pas «là-bas». Elle vous avait demandé de ne pas venir.
“Promise me that you won′t come ‘to-morrow.′ Please, for ‘her sake.′ At any rate, you won′t go ‘all the way.′ It′s what she would have wished.”
Rien n′y faisait; il était toujours le premier à la «maison», à cause de quoi on lui avait donné, dans un autre milieu, le surnom, que nous ignorions, de «ni fleurs ni couronnes». Et avant d′aller à «tout», il avait toujours «pensé à tout», ce qui lui valait ces mots: «Vous, on ne vous dit pas merci.»
But there was nothing for it; he was always the first to arrive ‘at the house,′ by reason of which he had been given, among another set, the nickname (unknown to us) of ‘No flowers by request.′ And before attending everything he had always ‘attended to everything,′ which entitled him to the formula: “We don′t know how to thank you.”
— Quoi? demanda d′une voix forte mon grand-père qui était devenu un peu sourd et qui n′avait pas entendu quelque chose que mon cousin venait de dire à mon père.
“What′s that?” came in a loud voice from my grandfather, who had grown rather deaf and had failed to catch something which our cousin had just said to my father.
— Rien, répondit le cousin. Je disais seulement que j′avais reçu ce matin une lettre de Combray où il fait un temps épouvantable et ici un soleil trop chaud.
“Nothing,” answered the cousin. “I was just saying that I′d heard from Combray this morning. The weather is appalling down there, and here we′ve got too much sun.”
— Et pourtant le baromètre est très bas, dit mon père.
“Yet the barometer is very low,” put in my father.
— Où ça dites-vous qu′il fait mauvais temps? demanda mon grand-père.
“Where did you say the weather was bad?” asked my grandfather.
— A Combray.
“At Combray.”
— Ah! cela ne m′étonne pas, chaque fois qu′il fait mauvais ici il fait beau à Combray, et vice versa[/i.>. Mon Dieu! vous parlez de Combray: a-t-on pensé à prévenir Legrandin?
“Ah! I′m not surprised; whenever it′s bad here it′s fine at Combray, and vice versa. Good gracious! Talking of Combray, has anyone remembered to tell Legrandin?”
— Oui, ne vous tourmentez pas, c′est fait, dit mon cousin dont les joues bronzées par une barbe trop forte sourirent imperceptiblement de la satisfaction d′y avoir pensé.
“Yes, don′t worry about that, it′s been done,” said my cousin, whose cheeks, bronzed by an irrepressible growth of beard, dimpled faintly with the satisfaction of having ‘remembered′ it.
A ce moment, mon père se précipita, je crus qu′il y avait du mieux ou du pire. C′était seulement le docteur Dieulafoy qui venait d′arriver. Mon père alla le recevoir dans le salon voisin, comme l′acteur qui doit venir jouer. On l′avait fait demander non pour soigner, mais pour constater, en espèce de notaire. Le docteur Dieulafoy a pu en effet être un grand médecin, un professeur merveilleux; à ces rôles divers où il excella, il en joignait un autre dans lequel il fut pendant quarante ans sans rival, un rôle aussi original que le raisonneur, le scaramouche ou le père noble, et qui était de venir constater l′agonie ou la mort. Son nom déjà présageait la dignité avec laquelle il tiendrait l′emploi, et quand la servante disait: M. Dieulafoy, on se croyait chez Molière. A la dignité de l′attitude concourait sans se laisser voir la souplesse d′une taille charmante. Un visage en soi-même trop beau était amorti par la convenance à des circonstances douloureuses. Dans sa noble redingote noire, le professeur entrait, triste sans affectation, ne donnait pas une seule condoléance qu′on eût pu croire feinte et ne commettait pas non plus la plus légère infraction au tact. Aux pieds d′un lit de mort, c′était lui et non le duc de Guermantes qui était le grand seigneur. Après avoir regardé ma grand′mère sans la fatiguer, et avec un excès de réserve qui était une politesse au médecin traitant, il dit à voix basse quelques mots à mon père, s′inclina respectueusement devant ma mère, à qui je sentis que mon père se retenait pour ne pas dire: «Le professeur Dieulafoy». Mais déjà celui-ci avait détourné la tête, ne voulant pas importuner, et sortit de la plus belle façon du monde, en prenant simplement le cachet qu′on lui remit. Il n′avait pas eu l′air de le voir, et nous-mêmes nous demandâmes un moment si nous le lui avions remis tant il avait mis de la souplesse d′un prestidigitateur à le faire disparaître, sans pour cela perdre rien de sa gravité plutôt accrue de grand consultant à la longue redingote à revers de soie, à la belle tête pleine d′une noble commisération. Sa lenteur et sa vivacité montraient que, si cent visites l′attendaient encore, il ne voulait pas avoir l′air pressé. Car il était le tact, l′intelligence et la bonté mêmes. Cet homme éminent n′est plus. D′autres médecins, d′autres professeurs ont pu l′égaler, le dépasser peut-être. Mais l′«emploi» où son savoir, ses dons physiques, sa haute éducation le faisaient triompher, n′existe plus, faute de successeurs qui aient su le tenir. Maman n′avait même pas aperçu M. Dieulafoy, tout ce qui n′était pas ma grand′mère n′existant pas. Je me souviens (et j′anticipe ici) qu′au cimetière, où on la vit, comme une apparition surnaturelle, s′approcher timidement de la tombe et semblant regarder un être envolé qui était déjà loin d′elle, mon père lui ayant dit: «Le père Norpois est venu à la maison, à l′église, au cimetière, il a manqué une commission très importante pour lui, tu devrais lui dire un mot, cela le toucherait beaucoup», ma mère, quand l′ambassadeur s′inclina vers elle, ne put que pencher avec douceur son visage qui n′avait pas pleuré. Deux jours plus tôt — et pour anticiper encore avant de revenir à l′instant même auprès du lit où la malade agonisait — pendant qu′on veillait ma grand′mère morte, Françoise, qui, ne niant pas absolument les revenants, s′effrayait au moindre bruit, disait: «Il me semble que c′est elle.» Mais au lieu d′effroi, c′était une douceur infinie que ces mots éveillèrent chez ma mère qui aurait tant voulu que les morts revinssent, pour avoir quelquefois sa mère auprès d′elle.
At this point my father hurried from the room. I supposed that a sudden change, for better or worse, had occurred. It was simply that Dr. Dieulafoy had just arrived. My father went to receive him in the drawing-room, like the actor who is to come next on the stage. We had sent for him not to cure but to certify, in almost a legal capacity. Dr. Dieulafoy might indeed be a great physician, a marvellous professor; to these several parts, in which he excelled, he added a third, in which he remained for forty years without a rival, a part as original as that of the arguer, the scaramouch or the noble father, which consisted in coming to certify an agony or a death. The mere sound of his name foreshadowed the dignity with which he would sustain the part, and when the servant announced: “M. Dieulafoy,” one imagined oneself at a play by Molière. To the dignity of his attitude was added, without being conspicuous, the suppleness of a perfect figure. A face in itself too good-looking was toned down by the convention due to distressing circumstances. In the sable majesty of his frock coat the Professor entered the room, melancholy without affectation, uttered not the least word of condolence, which might have been thought insincere, nor was he guilty of the slightest infringement of the rules of tact. At the foot of a deathbed it was he and not the Duc de Guermantes who was the great gentleman Having examined my grandmother, but not so as to tire her, and with ari excess of reserve which was an act of courtesy to the doctor who was treating the case, he murmured a few words to my father, bowed respectfully to my mother to whom I felt that my father had positively to restrain himself from saying: “Professor Dieulafoy.” But already our visitor had turned away, not wishing to seem to be soliciting an introduction, and left the room in the most polished manner conceivable, simply taking with him the sealed envelope that was slipped into his hand. He had not appeared to see it, and we ourselves were left wondering for a moment whether we had really given it to him, such a conjurer′s nimbleness had he put into the act of making it vanish without thereby losing anything of the gravity — which was increased rather — of the great consultant in his long frock coat with its silken lapels, and his handsome head full of a noble commiseration. The slowness and vivacity of his movements shewed that, even if he had a hundred other visits to pay and patients waiting, he refused to appear hurried. For he was the embodiment of tact, intelligence and kindness. That eminent man is no longer with us. Other physicians, other professors may have rivalled, may indeed have surpassed him. But the ‘capacity′ in which his knowledge, his physical endowments, his distinguished manners made him triumph exists no longer for want of any successor capable of taking his place. Mamma had not even noticed M. Dieulafoy, everything that was not my grandmother having no existence for her. I remember (and here I anticipate) that at the cemetery, where we saw her, like a supernatural apparition, go up timidly to the grave and seem to be gazing in the wake of a flying form that was already far away, my father having remarked to her: “Old Norpois came to the house and to the church and on here; he gave up a most important committee meeting to come; you ought really to say a word to him, he′ll be so gratified if you do,” my mother, when the Ambassador stood before her and bowed, could do no more than gently incline a face that shewed no tears. A couple of days earlier — to anticipate once again before returning to where we were just now by the bed on which my grandmother lay dying — while they were watching by the body, Françoise, who, not disbelieving entirely in ghosts, was terrified by the least sound, had said: “I believe that′s her.” But in place of fear it was an ineffable sweetness that her words aroused in my mother, who would have been so glad that the dead should return, to have her mother with her sometimes still.
Pour revenir maintenant à ces heures de l′agonie: — Vous savez ce que ses soeurs nous ont télégraphié? demanda mon grand-père à mon cousin.
To return now to those last hours, “You heard about the telegram her sisters sent us?” my grandfather asked the cousin.
— Oui, Beethoven, on m′a dit; c′est à encadrer, cela ne m′étonne pas.
“Yes, Beethoven, they told me about it, it′s worth framing; still, I′m not surprised.”
— Ma pauvre femme qui les aimait tant, dit mon grand-père en essuyant une larme. Il ne faut pas leur en vouloir. Elles sont folles à lier, je l′ai toujours dit. Qu′est-ce qu′il y a, on ne donne plus d′oxygène?
“My poor wife, who was so fond of them, too,” said my grandfather, wiping away a tear. “We mustn′t blame them. They′re stark mad, both of them, as I′ve always said. What′s the matter now; aren′t you going on with the oxygen?”
Ma mère dit: — Mais, alors, maman va recommencer à mal respirer.
My mother spoke: “Oh, but then Mamma will be having more trouble with her breathing.”
Le médecin répondit: — Oh! non, l′effet de l′oxygène durera encore un bon moment, nous recommencerons tout à l′heure.
The doctor reassured her: “Oh, no! The effect of the oxygen will last a good while yet; we can begin it again presently.”
Il me semblait qu′on n′aurait pas dit cela pour une mourante; que, si ce bon effet devait durer, c′est qu′on pouvait quelque chose sur sa vie. Le sifflement de l′oxygène cessa pendant quelques instants. Mais la plainte heureuse de la respiration jaillissait toujours, légère, tourmentée, inachevée, sans cesse recommençante. Par moments, il semblait que tout fût fini, le souffle s′arrêtait, soit par ces mêmes changements d′octaves qu′il y a dans la respiration d′un dormeur, soit par une intermittence naturelle, un effet de l′anesthésie, le progrès de l′asphyxie, quelque défaillance du coeur. Le médecin reprit le pouls de ma grand′mère, mais déjà, comme si un affluent venait apporter son tribut au courant asséché, un nouveau chant s′embranchait à la phrase interrompue. Et celle-ci reprenait à un autre diapason, avec le même élan inépuisable. Qui sait si, sans même que ma grand′mère en eût conscience, tant d′états heureux et tendres comprimés par la souffrance ne s′échappaient pas d′elle maintenant comme ces gaz plus légers qu′on refoula longtemps? On aurait dit que tout ce qu′elle avait à nous dire s′épanchait, que c′était à nous qu′elle s′adressait avec cette prolixité, cet empressement, cette effusion. Au pied du lit, convulsée par tous les souffles de cette agonie, ne pleurant pas mais par moments trempée de larmes, ma mère avait la désolation sans pensée d′un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent. On me fit m′essuyer les yeux avant que j′allasse embrasser ma grand′mère.
It seemed to me that he would not have said this of a dying woman, that if this good effect were to last it meant that we could still do something to keep her alive. The hiss of the oxygen ceased for a few moments, But the happy plaint of her breathing poured out steadily, light, troubled, unfinished, without end, beginning afresh. Now and then it seemed that all was over, her breath stopped, whether owing to one of those transpositions to another octave that occur in the breathing of a sleeper, or else from a natural interruption, an effect of unconsciousness, the progress of asphyxia, some failure of the heart. The doctor stooped to feel my grandmother′s pulse, but already, as if a tributary were pouring its current into the dried river-bed, a fresh chant broke out from the interrupted measure. And the first was resumed in another pitch with the same inexhaustible force. Who knows whether, without indeed my grandmother′s being conscious of them, a countless throng of happy and tender memories compressed by suffering were not escaping from her now, like those lighter gases which had long been compressed in the cylinders? One would have said that everything thai she had to tell us was pouring out, that it was to us that she was addressing herself with this prolixity, this earnestness, this effusion. At the foot of the bed, convulsed by every gasp of this agony, not weeping but now and then drenched with tears, my mother presented the unreasoning desolation of a leaf which the rain lashes and the wind twirls on its stem. They made me dry my eyes before I went up to kiss my grandmother.
— Mais je croyais qu′elle ne voyait plus, dit mon père.
“But I thought she couldn′t see anything now?” said my father.
— On ne peut jamais savoir, répondit le docteur.
“One can never be sure,” replied the doctor.
Quand mes lèvres la touchèrent, les mains de ma grand′mère s′agitèrent, elle fut parcourue tout entière d′un long frisson, soit réflexe, soit que certaines tendresses aient leur hyperesthésie qui reconnaît à travers le voile de l′inconscience ce qu′elles n′ont presque pas besoin des sens pour chérir. Tout d′un coup ma grand′mère se dressa à demi, fit un effort violent, comme quelqu′un qui défend sa vie. Françoise ne put résister à cette vue et éclata en sanglots. Me rappelant ce que le médecin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. A ce moment, ma grand′mère ouvrit les yeux. Je me précipitai sur Françoise pour cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient à la malade. Le bruit de l′oxygène s′était tu, le médecin s′éloigna du lit. Ma grand′mère était morte.
When my lips touched her face, my grandmother′s hands quivered, a long shudder ran through her whole body, reflex perhaps, perhaps because certain affections have their hyperaesthesia which recognises through the veil of unconsciousness what they barely need senses to enable them to love. Suddenly my grandmother half rose, made a violent effort, as though struggling to resist an attempt on her life. Françoise could not endure this sight and burst out sobbing. Remembering what the doctor had just said I tried to make her leave the room. At that moment my grandmother opened her eyes. I thrust myself hurriedly in front of Françoise to hide her tears, while my parents were speaking to the sufferer. The sound of the oxygen had ceased; the doctor moved away from the bedside. My grandmother was dead.
Quelques heures plus tard, Françoise put une dernière fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux qui grisonnaient seulement et jusqu′ici avaient semblé être moins âgés qu′elle. Mais maintenant, au contraire, ils étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d′où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d′années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d′une chaste espérance, d′un rêve de bonheur, même d′une innocente gaieté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d′emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand′mère. Sur ce lit funèbre, la mort, comme le sculpteur du moyen âge, l′avait couchée sous l′apparence d′une jeune fille.
An hour or two later Françoise was able for the last time, and without causing them any pain, to comb those beautiful tresses which had only begun to turn grey and hitherto had seemed not so old as my grandmother herself. But now on the contrary it was they alone that set the crown of age on a face grown young again, from which had vanished the wrinkles, the contractions, the swellings, the strains, the hollows which in the long course of years had been carved on it by suffering. As at the far-off time when her parents had chosen for her a bridegroom, she had the features delicately traced by purity and submission, the cheeks glowing with a chaste expectation, with a vision of happiness, with an innocent gaiety even which the years had gradually destroyed. Life in withdrawing from her had taken with it the disillusionments of life. A smile seemed to be hovering on my grandmother′s lips. On that funeral couch, death, like a sculptor of the middle ages, had laid her in the form of a young maiden.
Chapitre Deuxième
Visite d′Albertine. Perspective d′un riche mariage pour quelques amis de Saint-Loup. L′esprit des Guermantes devant la Princesse de Parme. Étrange visite a M. De Charlus. Je comprends de moins en moins son caractère. Les Souliers Rouges de la Duchesse.
A visit from Albertine — Prospect of rich brides for certain friends of Saint-Loup — The wit of the Guermantes, as displayed before the Princesse de Parme — A strange visit to M. de Charlus — His character puzzles me more and more — The red shoes of the Duchess.
Bien que ce fût simplement un dimanche d′automne, je venais de renaître, l′existence était intacte devant moi, car dans la matinée, après une série de jours doux, il avait fait un brouillard froid qui ne s′était levé que vers midi. Or, un changement de temps suffit à recréer le monde et nous-même. Jadis, quand le vent soufflait dans ma cheminée, j′écoutais les coups qu′il frappait contre la trappe avec autant d′émotion que si, pareils aux fameux coups d′archet par lesquels débute la Symphonie en ut mineur, ils avaient été les appels irrésistibles d′un mystérieux destin. Tout changement à vue de la nature nous offre une transformation semblable, en adaptant au mode nouveau des choses nos désirs harmonisés. La brume, dès le réveil, avait fait de moi, au lieu de l′être centrifuge qu′on est par les beaux jours, un homme replié, désireux du coin du feu et du lit partagé, Adam frileux en quête d′une ève sédentaire, dans ce monde différent.
Albeit it was simply a Sunday in autumn, I had been born again, life lay intact before me, for that morning, after a succession of mild days, there had been a cold mist which had not cleared until nearly midday. A change in the weather is sufficient to create the world and oneself anew. Formerly, when the wind howled in my chimney, I would listen to the blows which it struck on the iron trap with as keen an emotion as if, like the famous bow-taps with which the C Minor Symphony opens, they had been the irresistible appeal of a mysterious destiny. Every change in the aspect of nature offers us a similar transformation by adapting our desires so as to harmonise with the new form of things. The mist, from the moment of my awakening, had made of me, instead of the centrifugal being which one is on fine days, a self-centred man, longing for the chimney corner and the nuptial couch, a shivering Adam in quest of a sedentary Eve, in this different world.
Entre la couleur grise et douce d′une campagne matinale et le goût d′une tasse de chocolat, je faisais tenir toute l′originalité de la vie physique, intellectuelle et morale que j′avais apportée une année environ auparavant à Doncières, et qui, blasonnée de la forme oblongue d′une colline pelée — toujours présente même quand elle était invisible — formait en moi une série de plaisirs entièrement distincts de tous autres, indicibles à des amis en ce sens que les impressions richement tissées les unes dans les autres qui les orchestraient les caractérisaient bien plus pour moi et à mon insu que les faits que j′aurais pu raconter. A ce point de vue le monde nouveau dans lequel le brouillard de ce matin m′avait plongé était un monde déjà connu de moi (ce qui ne lui donnait que plus de vérité), et oublié depuis quelque temps (ce qui lui rendait toute sa fraîcheur). Et je pus regarder quelques-uns des tableaux de bruine que ma mémoire avait acquis, notamment des «Matin à Doncières», soit le premier jour au quartier, soit, une autre fois, dans un château voisin où Saint–Loup m′avait emmené passer vingt-quatre heures, de la fenêtre dont j′avais soulevé les rideaux à l′aube, avant de me recoucher, dans le premier un cavalier, dans le second (à la mince lisière d′un étang et d′un bois dont tout le reste était englouti dans la douceur uniforme et liquide de la brume) un cocher en train d′astiquer une courroie, m′étaient apparus comme ces rares personnages, à peine distincts pour l′oeil obligé de s′adapter au vague mystérieux des pénombres, qui émergent d′une fresque effacée.
Between the soft grey tint of a morning landscape and the taste of a cup of chocolate I tried to account for all the originality of the physical, intellectual and moral life which I had taken with me, about a year earlier, to Doncières, and which, blazoned with the oblong form of a bare hillside — always present even when it was invisible — formed in me a series of pleasures entirely distinct from all others, incommunicable to my friends, in the sense that the impressions, richly interwoven with one another, which gave them their orchestral accompaniment were a great deal more characteristic of them, to my subconscious mind, than any facts that I might have related. From this point of view the new world in which the mist of this morning had immersed me was a world already known to me (which only made it more real) and forgotten for some time (which restored all its novelty). And I was able to look at several of the pictures of misty landscapes which my memory had acquired, notably a series of ‘Mornings at Doncières,′ including my first morning there in barracks and another, in a neighbouring country house, where I had gone with Saint-Loup to spend the night: in which from the windows, whose curtains I had drawn back at daybreak, before getting into bed again, in the first a trooper, in the second (on the thin margin of a pond and a wood all the rest of which was engulfed in the uniform and liquid softness of the mist) a coachman busy polishing a strap had appeared to me like those rare figures, scarcely visible to the eye obliged to adapt itself to the mysterious vagueness of their half-lights, which emerge from an obliterated fresco.
C′est de mon lit que je regardais aujourd′hui ces souvenirs, car je m′étais recouché pour attendre le moment où, profitant de l′absence de mes parents, partis pour quelques jours à Combray, je comptais ce soir même aller entendre une petite pièce qu′on jouait chez Mme de Villeparisis. Eux revenus, je n′aurais peut-être osé le faire; ma mère, dans les scrupules de son respect pour le souvenir de ma grand′mère, voulait que les marques de regret qui lui étaient données le fussent librement, sincèrement; elle ne m′aurait pas défendu cette sortie, elle l′eût désapprouvée. De Combray au contraire, consultée, elle ne m′eût pas répondu par un triste: «Fais ce que tu veux, tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire», mais se reprochant de m′avoir laissé seul à Paris, et jugeant mon chagrin d′après le sien, elle eût souhaité pour lui des distractions qu′elle se fût refusées à elle-même et qu′elle se persuadait que ma grand′mère, soucieuse avant tout de ma santé et de mon équilibre nerveux, m′eût conseillées.
It was from my bed that I was looking this afternoon at these pictorial memories, for I had gone back to bed to wait until the hour came at which, taking advantage of the absence of my parents, who had gone for a few days to Combray, I proposed to get up and go to a little play which was being given that evening in Mme. de Villeparisis′s drawing-room. Had they been at home I should perhaps not have ventured to go out; my mother in the delicacy of her respect for my grandmother′s memory, wished the tokens of regret that were paid to it to be freely and sincerely given; she would not have forbidden me this outing, she would have disapproved of it. From Combray, on the other hand, had I consulted her wishes, she would not have replied in a melancholy: “Do just as you like; you are old enough now to know what is right or wrong,” but, reproaching herself for having left me alone in Paris, and measuring my grief by her own, would have wished for it distractions of a sort which she would have refused to herself, and which she persuaded herself that my grandmother, solicitous above all things for my health and the preservation of my nervous balance, would have advised me to take.
Depuis le matin on avait allumé le nouveau calorifère à eau. Son bruit désagréable, qui poussait de temps à autre une sorte de hoquet, n′avait aucun rapport avec mes souvenirs de Doncières. Mais sa rencontre prolongée avec eux en moi, cet après-midi, allait lui faire contracter avec eux une affinité telle que, chaque fois que (un peu) déshabitué de lui j′entendrais de nouveau le chauffage central, il me les rappellerait.
That morning the furnace of the new steam heater had for the first time been lighted. Its disagreeable sound — an intermittent hiccough — had no part whatsoever in my memories of Doncières. But its prolonged encounter, in me this afternoon, with them was to give it so lasting an affinity with them that whenever, after succeeding more or less in forgetting it, I heard the central heater hiccough again it reminded me of them.
Il n′y avait à la maison que Françoise. Le jour gris, tombant comme une pluie fine, tissait sans arrêt de transparents filets dans lesquels les promeneurs dominicaux semblaient s′argenter. J′avais rejeté à mes pieds le Figaro que tous les jours je faisais acheter consciencieusement depuis que j′y avais envoyé un article qui n′y avait pas paru; malgré l′absence de soleil, l′intensité du jour m′indiquait que nous n′étions encore qu′au milieu de l′après-midi. Les rideaux de tulle de la fenêtre, vaporeux et friables comme ils n′auraient pas été par un beau temps, avaient ce même mélange de douceur et de cassant qu′ont les ailes de libellules et les verres de Venise. Il me pesait d′autant plus d′être seul ce dimanche-là que j′avais fait porter le matin une lettre à Mlle de Stermaria. Robert de Saint–Loup, que sa mère avait réussi à faire rompre, après de douloureuses tentatives avortées, avec sa maîtresse, et qui depuis ce moment avait été envoyé au Maroc pour oublier celle qu′il n′aimait déjà plus depuis quelque temps, m′avait écrit un mot, reçu la veille, où il m′annonçait sa prochaine arrivée en France pour un congé très court. Comme il ne ferait que toucher barre à Paris (où sa famille craignait sans doute de le voir renouer avec Rachel), il m′avertissait, pour me montrer qu′il avait pensé à moi, qu′il avait rencontré à Tanger Mlle ou plutôt Mme de Stermaria, car elle avait divorcé après trois mois de mariage. Et Robert se souvenant de ce que je lui avais dit à Balbec avait demandé de ma part un rendez-vous à la jeune femme. Elle dînerait très volontiers avec moi, lui avait-elle répondu, un des jours que, avant de regagner la Bretagne, elle passerait à Paris. Il me disait de me hâter d′écrire à Mme de Stermaria, car elle était certainement arrivée. La lettre de Saint–Loup ne m′avait pas étonné, bien que je n′eusse pas reçu de nouvelles de lui depuis qu′au moment de la maladie de ma grand′mère il m′eût accusé de perfidie et de trahison. J′avais très bien compris alors ce qui s′était passé. Rachel, qui aimait à exciter sa jalousie — elle avait des raisons accessoires aussi de m′en vouloir — avait persuadé à son amant que j′avais fait des tentatives sournoises pour avoir, pendant l′absence de Robert, des relations avec elle. Il est probable qu′il continuait à croire que c′était vrai, mais il avait cessé d′être épris d′elle, de sorte que, vrai ou non, ce lui était devenu parfaitement égal et que notre amitié seule subsistait. Quand, une fois que je l′eus revu, je voulus essayer de lui parler de ses reproches, il eut seulement un bon et tendre sourire par lequel il avait l′air de s′excuser, puis il changea de conversation. Ce n′est pas qu′il ne dût un peu plus tard, à Paris, revoir quelquefois Rachel. Les créatures qui ont joué un grand rôle dans notre vie, il est rare qu′elles en sortent tout d′un coup d′une façon définitive. Elles reviennent s′y poser par moments (au point que certains croient à un recommencement d′amour) avant de la quitter à jamais. La rupture de Saint–Loup avec Rachel lui était très vite devenue moins douloureuse, grâce au plaisir apaisant que lui apportaient les incessantes demandes d′argent de son amie. La jalousie, qui prolonge l′amour, ne peut pas contenir beaucoup plus de choses que les autres formes de l′imagination. Si l′on emporte, quand on part en voyage, trois ou quatre images qui du reste se perdront en route (les lys et les anémones du Ponte Vecchio, l′église persane dans les brumes, etc.), la malle est déjà bien pleine. Quand on quitte une maîtresse, on voudrait bien, jusqu′à ce qu′on l′ait un peu oubliée, qu′elle ne devînt pas la possession de trois ou quatre entreteneurs possibles et qu′on se figure, c′est-à-dire dont on est jaloux: tous ceux qu′on ne se figure pas ne sont rien. Or, les demandes d′argent fréquentes d′une maîtresse quittée ne vous donnent pas plus une idée complète de sa vie que des feuilles de température élevée ne donneraient de sa maladie. Mais les secondes seraient tout de même un signe qu′elle est malade et les premières fournissent une présomption, assez vague il est vrai, que la délaissée ou délaisseuse n′a pas dû trouver grand′chose comme riche protecteur. Aussi chaque demande est-elle accueillie avec la joie que produit une accalmie dans la souffrance du jaloux, et suivie immédiatement d′envois d′argent, car on veut qu′elle ne manque de rien, sauf d′amants (d′un des trois amants qu′on se figure), le temps de se rétablir un peu soi-même et de pouvoir apprendre sans faiblesse le nom du successeur. Quelquefois Rachel revint assez tard dans la soirée pour demander à son ancien amant la permission de dormir à côté de lui jusqu′au matin. C′était une grande douceur pour Robert, car il se rendait compte combien ils avaient tout de même vécu intimement ensemble, rien qu′à voir que, même s′il prenait à lui seul une grande moitié du lit, il ne la dérangeait en rien pour dormir. Il comprenait qu′elle était près de son corps, plus commodément qu′elle n′eût été ailleurs, qu′elle se retrouvait à son côté— fût-ce à l′hôtel — comme dans une chambre anciennement connue où l′on a ses habitudes, où on dort mieux. Il sentait que ses épaules, ses jambes, tout lui, étaient pour elle, même quand il remuait trop par insomnie ou travail à faire, de ces choses si parfaitement usuelles qu′elles ne peuvent gêner et que leur perception ajoute encore à la sensation du repos.
There was no one else in the house but Françoise. The grey light, falling like a fine rain on the earth, wove without ceasing a transparent web through which the Sunday holiday-makers appeared in a silvery sheen. I had flung to the foot of my bed the Figaro, for which I had been sending out religiously every morning, ever since I had sent in an article which it had not yet printed; despite the absence of the sun, the intensity of the daylight was an indication that we were still only half-way through the afternoon. The tulle window-curtains, vaporous and friable as they would not have been on a fine day, had that same blend of beauty and fragility that dragon flies′ wings have, and Venetian glass. It depressed me all the more that I should be spending this Sunday by myself because I had sent a note that morning to Mlle, de Stermaria. Robert de Saint-Loup, whom his mother had at length succeeded in parting — after painful and abortive attempts — from his mistress, and who immediately afterwards had been sent to Morocco in the hope of his there forgetting one whom he had already for some little time ceased to love, had sent me a line, which had reached me the day before, announcing his arrival, presently, in France for a short spell of leave. As he would only be passing through Paris (where his family were doubtless afraid of seeing him renew relations with Rachel), he informed me, to shew me that he had been thinking of me, that he had met at Tangier Mile, or rather Mme. (for she had divorced her husband three months after their marriage) de Stermaria. And Robert, remembering what I had told him at Balbec, had asked her, on my behalf, to arrange a meeting. She would be delighted to dine with me, she had told him, on one of the evenings which, before her return to Brittany, she would be spending in Paris. He warned me to lose no time in writing to Mme. de Stermaria, for she would certainly have arrived before I got his letter. This had corne as no surprise to me, even although I had had no news of him since, at the time of my grandmother′s last illness, he had accused me of perfidy and treachery. It had then been quite easy to see what must have happened. Rachel, who liked to provoke his jealousy — she had other reasons also for wishing me harm — had persuaded her lover that I had made a dastardly attempt to have relations with her in his absence. It is probable that he continued to believe in the truth of this allegation, but he had ceased to be in love with her, which meant that its truth or falsehood had become a matter of complete indifference to him, and our friendship alone remained. When, on meeting him again, I attempted to speak to him about his attack on me his sole answer was a cordial and friendly smile, which gave him the air of begging my pardon; then he turned the conversation to something else. All this was not to say that he did not, a little later, see Rachel occasionally when he was in Paris. The fellow-creatures who have played a leading part in one′s life very rarely disappear from it suddenly with any finality. They return to take their old place in it at odd moments (so much so as to lead people to believe in a renewal of old love) before leaving it for ever. Saint-Loup′s breach with Rachel had very soon become less painful to him, thanks to the soothing pleasure that was given him by her incessant demands for money. Jealousy, which prolongs the course of love, is not capable of containing many more ingredients than are the other forms of imagination. If one takes with one, when one starts on a journey, three or four images which incidentally one is sure to lose on the way (such as the lilies and anemones heaped on the Ponte Vecchio, or the Persian church shrouded in mist), one′s trunk is already pretty full. When one parts from a mistress one would be just as glad, until one has begun to forget her, that she should not become the property of three or four potential protectors whom one has in one′s mind′s eye, of whom, that is to say, one is jealous: all those whom one does not so picture count for nothing. Now frequent demands for money from a cast-off mistress no more give one a complete idea of her life than charts shewing a high temperature would of her illness. But the latter would at any rate be an indication that she was ill, and the former furnish a presumption, vague enough, it is true, that the forsaken one, or forsaker (whichever she be) cannot have found anything very remarkable in the way of rich protectors. And so each demand is welcomed with the joy which a lull produces in the jealous one′s sufferings, while he responds to it at once by dispatching money, for naturally he does not like to think of her being in want of anything, except lovers (one of the three lovers he has in his mind′s eye), until time has enabled him to regain his composure and he can learn without the slightest emotion the name of his successor. Sometimes Rachel came in so late at night that she could ask her former lover′s permission to lie down beside him until the morning. This was a great comfort to Robert, for it refreshed his memory of how they had, after all, lived in intimacy together merely to see that even if he took the greater part of the bed for himself it did not in the least interfere with her sleep. He realised that she was more comfortable, lying close to his body, than she would have been elsewhere, that she felt herself, by his side — even in an hotel — to be in a bedroom known of old, in which the force of habit prevails and one sleeps better. He felt that his shoulders, his limbs, all of him were for her, even when he was unduly restless, from sleeplessness or from having to get up in the night things so entirely usual that they could not disturb her, and that the perception of them added still further to her sense of repose.
Pour revenir en arrière, j′avais été d′autant plus troublé par la lettre de Robert que je lisais entre les lignes ce qu′il n′avait pas osé écrire plus explicitement. «Tu peux très bien l′inviter en cabinet particulier, me disait-il. C′est une jeune personne charmante, d′un délicieux caractère, vous vous entendrez parfaitement et je suis certain d′avance que tu passeras une très bonne soirée.» Comme mes parents rentraient à la fin de la semaine, samedi ou dimanche, et qu′après je serais forcé de dîner tous les soirs à la maison, j′avais aussitôt écrit à Mme de Stermaria pour lui proposer le jour qu′elle voudrait, jusqu′à vendredi. On avait répondu que j′aurais une lettre, vers huit heures, ce soir même. Je l′aurais atteint assez vite si j′avais eu pendant l′après-midi qui me séparait de lui le secours d′une visite. Quand les heures s′enveloppent de causeries, on ne peut plus les mesurer, même les voir, elles s′évanouissent, et tout d′un coup c′est bien loin du point où il vous avait échappé que reparaît devant votre attention le temps agile et escamoté. Mais si nous sommes seuls, la préoccupation, en ramenant devant nous le moment encore éloigné et sans cesse attendu, avec la fréquence et l′uniformité d′un tic tac, divise ou plutôt multiplie les heures par toutes les minutes qu′entre amis nous n′aurions pas comptées. Et confrontée, par le retour incessant de mon désir, à l′ardent plaisir que je goûterais dans quelques jours seulement, hélas! avec Mme de Stermaria, cette après-midi, que j′allais achever seul, me paraissait bien vide et bien mélancolique.
To revert to where we were, I had been all the more disquieted by Robert′s letter in that I could read between the lines what he had not ventured to write more explicitly. “You can most certainly ask her to dine in a private room,” he told me. “She is a charming young person, a delightful nature you will get on splendidly with her, and I am sure you will have a capital evening together.” As my parents were returning at the end of the week on Saturday or Sunday, and as after that I should be forced to dine every evening at home, I had written at once to Mme. de Stermaria, proposing any evening that might suit her, up to Friday. A message was brought back that I should hear from her in writing the same evening, about eight o′clock. The time would have passed quickly enough if I had had, during the afternoon that separated me from her letter, the help of a visit from anyone else. When the hours pass wrapped in conversation one ceases to count, or indeed to notice them, they vanish, and suddenly it is a long way beyond the point at which it escaped you that there reappears the nimble truant time. But if we are alone, our preoccupation, by bringing before us the still distant and incessantly awaited moment with the frequency and uniformity of a ticking pendulum, divides, or rather multiplies the hours by all the minutes which, had we been with friends, we should not have counted. And confronted, by the incessant return of my desire, with the ardent pleasure which I was going to taste — not for some days though, alas! — in Mme. de Stermaria′s company, this afternoon, which I should have to spend by myself, seemed to me very empty and very melancholy.
Par moments, j′entendais le bruit de l′ascenseur qui montait, mais il était suivi d′un second bruit, non celui que j′espérais: l′arrêt à mon étage, mais d′un autre fort différent que l′ascenseur faisait pour continuer sa route élancée vers les étages supérieurs et qui, parce qu′il signifia si souvent la désertion du mien quand j′attendais une visite, est resté pour moi plus tard, même quand je n′en désirais plus aucune, un bruit par lui-même douloureux, où résonnait comme une sentence d′abandon. Lasse, résignée, occupée pour plusieurs heures encore à sa tâche immémoriale, la grise journée filait sa passementerie de nacre et je m′attristais de penser que j′allais rester seul en tête à tête avec elle qui ne me connaissait pas plus qu′une, ouvrière qui, installée près de la fenêtre pour voir plus clair en faisant sa besogne, ne s′occupe nullement de la personne présente dans la chambre. Tout d′un coup, sans que j′eusse entendu sonner, Françoise vint ouvrir la porte, introduisant Albertine qui entra souriante, silencieuse, replète, contenant dans la plénitude de son corps, préparés pour que je continuasse à les vivre, venus vers moi, les jours passés dans ce Balbec où je n′étais jamais retourné. Sans doute, chaque fois que nous revoyons une personne avec qui nos rapports — si insignifiants soient-ils — se trouvent changés, c′est comme une confrontation de deux époques. Il n′y a pas besoin pour cela qu′une ancienne maîtresse vienne nous voir en amie, il suffit de la visite à Paris de quelqu′un que nous avons connu dans l′au-jour-le-jour d′un certain genre de vie, et que cette vie ait cessé, fût-ce depuis une semaine seulement. Sur chaque trait rieur, interrogatif et gêné du visage d′Albertine, je pouvais épeler ces questions: «Et Madame de Villeparisis? Et le maître de danse? Et le pâtissier?» Quand elle s′assit, son dos eut l′air de dire: «Dame, il n′y a pas de falaise ici, vous permettez que je m′asseye tout de même près de vous, comme j′aurais fait à Balbec?» Elle semblait une magicienne me présentant un miroir du Temps. En cela elle était pareille à tous ceux que nous revoyons rarement, mais qui jadis vécurent plus intimement avec nous. Mais avec Albertine il n′y avait que cela. Certes, même à Balbec, dans nos rencontres quotidiennes j′étais toujours surpris en l′apercevant tant elle était journalière. Mais maintenant on avait peine à la reconnaître. Dégagés de la vapeur rose qui les baignait, ses traits avaient sailli comme une statue. Elle avait un autre visage, ou plutôt elle avait enfin un visage; son corps avait grandi. Il ne restait presque plus rien de la gaine où elle avait été enveloppée et sur la surface de laquelle à Balbec sa forme future se dessinait à peine.
Every now and then I heard the sound of the lift coming up, but it was followed by a second sound, not that for which I was hoping, namely the sound of its coming to a halt at our landing, but another very different sound which the lift made in continuing its progress to the floors above and which, because it so often meant the desertion of my floor when I was expecting a visitor, remained for me at other times, even when I had no wish to see anyone, a sound lugubrious in itself, in which there echoed, as it were, a sentence of solitary confinement. Weary, resigned, busy for several hours still over its immemorial task, the grey day stitched its shimmering needlework of light and shade, and it saddened me to think that I was to be left alone with a thing that knew me no more than would a seamstress who, installed by the window so as to see better while she finished her work, paid no attention to the person present with her in the room. Suddenly, although I had heard no bell, Françoise opened the door to let in Albertine, who came forward smiling, silent, plump, containing in the fulness of her body, made ready so that I might continue living them, come in search of me, the days we had spent together at that Balbec to which I had never since returned. No doubt, whenever we see again a person with whom our relations — however trivial they may have been — are altered, it is like a juxtaposition of two different periods. For this, we do not require that a former mistress should come to call upon us as a friend, all that we need is the visit to Paris of a person whom we had known in the daily round of some particular kind of life, and that this life should have ceased for us, were it no more than a week ago. On each of Albertine′s smiling, questioning, blushing features I could read the questions: “And Madame de Villeparisis? And the dancing-master? And the pastry-cook?” When she sat down her back seemed to be saying: “Gracious! There′s no cliff here; you don′t mind if I sit down beside you, all the same, as I used to do at Balbec?” She was like an enchantress handing me a mirror that reflected time. In this she was like all the people whom we seldom see now but with whom at one time we lived on more intimate terms. With Al-bertine, however, there was something more than this. Certainly, even at Balbec, in our daily encounters, I had always been surprised when she came in sight, so variable was her appearance from day to day. But now it was difficult to recognise her. Cleared of the pink vapour that used to bathe them, her features had emerged like those of a statue. She had another face, or rather she had a face at last; her body too had grown. There remained scarcely anything now of the shell in which she had been enclosed and on the surface of which, at Balbec, her future outline had been barely visible.
Albertine, cette fois, rentrait à Paris plus tôt que de coutume. D′ordinaire elle n′y arrivait qu′au printemps, de sorte que, déjà troublé depuis quelques semaines par les orages sur les premières fleurs, je ne séparais pas, dans le plaisir que j′avais, le retour d′Albertine et celui de la belle saison. Il suffisait qu′on me dise qu′elle était à Paris et qu′elle était passée chez moi pour que je la revisse comme une rose au bord de la mer. Je ne sais trop si c′était le désir de Balbec ou d′elle qui s′emparait de moi alors, peut-être le désir d′elle étant lui-même une forme paresseuse, lâche et incomplète de posséder Balbec, comme si posséder matériellement une chose, faire sa résidence d′une ville, équivalait à la posséder spirituellement. Et d′ailleurs, même matériellement, quand elle était non plus balancée par mon imagination devant l′horizon marin, mais immobile auprès de moi, elle me semblait souvent une bien pauvre rose devant laquelle j′aurais bien voulu fermer les yeux pour ne pas voir tel défaut des pétales et pour croire que je respirais sur la plage.
This time, Albertine had returned to Paris earlier than usual. As a rule she came only in the spring, which meant that, already disturbed for some weeks past by the storms that were beating down the first flowers, I did not distinguish, in the elements of the pleasure that I felt, the return of Albertine from that of the fine weather. It was enough that I should be told that she was in Paris and that she had called at the house, for me to see her again like a rose flowering by the sea. I cannot say whether it was the desire for Balbec or for herself that overcame me at such moments; possibly my desire for her was itself a lazy, cowardly, and incomplete method of possessing Balbec, as if to possess a thing materially, to take up one′s abode in a town, were equivalent to possessing it spiritually. Besides, even materially, when she was no longer posed by my imagination before a horizon of sea, but sitting still in a room with me, she seemed to me often a very poor specimen of a rose, so poor, indeed, that I would gladly have shut my eyes in order not to observe this or that blemish of its petals, and to imagine instead that I was inhaling the salt air on the beach.
Je peux le dire ici, bien que je ne susse pas alors ce qui ne devait arriver que dans la suite. Certes, il est plus raisonnable de sacrifier sa vie aux femmes qu′aux timbres-poste, aux vieilles tabatières, même aux tableaux et aux statues. Seulement l′exemple des autres collections devrait nous avertir de changer, de n′avoir pas une seule femme, mais beaucoup. Ces mélanges charmants qu′une jeune fille fait avec une plage, avec la chevelure tressée d′une statue d′église, avec une estampe, avec tout ce à cause de quoi on aime en l′une d′elles, chaque fois qu′elle entre, un tableau charmant, ces mélanges ne sont pas très stables. Vivez tout à fait avec la femme et vous ne verrez plus rien de ce qui vous l′a fait aimer; certes les deux éléments désunis, la jalousie peut à nouveau les rejoindre. Si après un long temps de vie commune je devais finir par ne plus voir en Albertine qu′une femme ordinaire, quelque intrigue d′elle avec un être qu′elle eût aimé à Balbec eût peut-être suffi pour réincorporer en elle et amalgamer la plage et le déferlement du flot. Seulement ces mélanges secondaires ne ravissant plus nos yeux, c′est à notre coeur qu′ils sont sensibles et funestes. On ne peut sous une forme si dangereuse trouver souhaitable le renouvellement du miracle. Mais j′anticipe les années. Et je dois seulement ici regretter de n′être pas resté assez sage pour avoir eu simplement ma collection de femmes comme on a des lorgnettes anciennes, jamais assez nombreuses derrière une vitrine où toujours une place vide attend une lorgnette nouvelle et plus rare.
I must say it at this point, albeit I was not then aware of what was to happen only later on. Certainly, it is more reasonable to devote one′s life to women than to postage stamps or old snuff-boxes, even to pictures or statues. Only the example of other collectors should be a warning to us to make changes, to have not one woman only but several. Those charming suggestions in which a girl abounds of a sea-beach, of the braided hair of a statue in church, of an old print, of everything that makes one see and admire in her, whenever she appears, a charming composition, those suggestions are not very stable. Live with a woman altogether and you will soon cease to see any of the things that made you love her; though I must add that these two sundered elements can be reunited by jealousy. If, after a long period of life in common, I was to end by seeing nothing more in Albertine than an ordinary woman, an intrigue between her and some person whom she had loved at Balbec would still suffice, perhaps, to reincorporate in her, to amalgamate the beach and the unrolling of the tide. Only, as these secondary suggestions no longer captivate our eyes, it is to the heart that they are perceptible and fatal. We cannot, under so dangerous a form, regard the repetition of the miracle as a thing to be desired. But I am anticipating the course of years. And here I need only state my regret that I did not have the sense simply to have kept my collection of women as people keep their collections of old quizzing glasses, never so complete, in their cabinet, that there is not room always for another and rarer still.
Contrairement à l′ordre habituel de ses villégiatures, cette année elle venait directement de Balbec et encore y était-elle restée bien moins tard que d′habitude. Il y avait longtemps que je ne l′avais vue. Et comme je ne connaissais pas, même de nom, les personnes qu′elle fréquentait à Paris, je ne savais rien d′elle pendant les périodes où elle restait sans venir me voir. Celles-ci étaient souvent assez longues. Puis, un beau jour, surgissait brusquement Albertine dont les roses apparitions et les silencieuses visites me renseignaient assez peu sur ce qu′elle avait pu faire dans leur intervalle, qui restait plongé dans cette obscurité de sa vie que mes yeux ne se souciaient guère de percer.
Departing from the customary order of her holiday movements, this year she had come straight from Balbec, where furthermore she had not stayed nearly so late as usual. It was a long time since I had seen her, and as I did not know even by name the people with whom she was in the habit of mixing in Paris, I could form no impression of her during the periods in which she abstained from coming to see me. These lasted often for quite a time. Then, one fine day, in would burst Albertine whose rosy apparitions and silent visits left me little if any better informed as to what she might have been doing in an interval which remained plunged in that darkness of her hidden life which my eyes felt little anxiety to pierce.
Cette fois-ci pourtant, certains signes semblaient indiquer que des choses nouvelles avaient dû se passer dans cette vie. Mais il fallait peut-être tout simplement induire d′eux qu′on change très vite à l′âge qu′avait Albertine. Par exemple, son intelligence se montrait mieux, et quand je lui reparlai du jour où elle avait mis tant d′ardeur à imposer son idée de faire écrire par Sophocle: «Mon cher Racine», elle fut la première à rire de bon coeur. «C′est Andrée qui avait raison, j′étais stupide, dit-elle, il fallait que Sophocle écrive: «Monsieur». Je lui répondis que le «monsieur» et le «cher monsieur» d′Andrée n′étaient pas moins comiques que son «mon cher Racine» à elle et le «mon cher ami» de Gisèle, mais qu′il n′y avait, au fond, de stupides que des professeurs faisant encore adresser par Sophocle une lettre à Racine. Là, Albertine ne me suivit plus. Elle ne voyait pas ce que cela avait de bête; son intelligence s′entr′ouvrait, mais n′était pas développée. Il y avait des nouveautés plus attirantes en elle; je sentais, dans la même jolie fille qui venait de s′asseoir près de mon lit, quelque chose de différent; et dans ces lignes qui dans le regard et les traits du visage expriment la volonté habituelle, un changement de front, une demi-conversion comme si avaient été détruites ces résistances contre lesquelles je m′étais brisé à Balbec, un soir déjà lointain où nous formions un couple symétrique mais inverse de celui de l′après-midi actuel, puisque alors c′était elle qui était couchée et moi à côté de son lit. Voulant et n′osant m′assurer si maintenant elle se laisserait embrasser, chaque fois qu′elle se levait pour partir, je lui demandais de rester encore. Ce n′était pas très facile à obtenir, car bien qu′elle n′eût rien à faire (sans cela, elle eût bondi au dehors), elle était une personne exacte et d′ailleurs peu aimable avec moi, ne semblant guère se plaire dans ma compagnie. Pourtant chaque fois, après avoir regardé sa montre, elle se rasseyait à ma prière, de sorte qu′elle avait passé plusieurs heures avec moi et sans que je lui eusse rien demandé; les phrases que je lui disais se rattachaient à celles que je lui avais dites pendant les heures précédentes, et ne rejoignaient en rien ce à quoi je pensais, ce que je désirais, lui restaient indéfiniment parallèles. Il n′y a rien comme le désir pour empêcher les choses qu′on dit d′avoir aucune ressemblance avec ce qu′on a dans la pensée. Le temps presse et pourtant il semble qu′on veuille gagner du temps en parlant de sujets absolument étrangers à celui qui nous préoccupe. On cause, alors que la phrase qu′on voudrait prononcer serait déjà accompagnée d′un geste, à supposer même que, pour se donner le plaisir de l′immédiat et assouvir la curiosité qu′on éprouve à l′égard des réactions qu′il amènera sans mot dire, sans demander aucune permission, on n′ait pas fait ce geste. Certes je n′aimais nullement Albertine: fille de la brume du dehors, elle pouvait seulement contenter le désir imaginatif que le temps nouveau avait éveillé en moi et qui était intermédiaire entre les désirs que peuvent satisfaire d′une part les arts de la cuisine et ceux de la sculpture monumentale, car il me faisait rêver à la fois de mêler à ma chair une matière différente et chaude, et d′attacher par quelque point à mon corps étendu un corps divergent comme le corps d′ève tenait à peine par les pieds à la hanche d′Adam, au corps duquel elle est presque perpendiculaire, dans ces bas-reliefs romans de la cathédrale de Balbec qui figurent d′une façon si noble et si paisible, presque encore comme une frise antique, la création de la femme; Dieu y est partout suivi, comme par deux ministres, de deux petits anges dans lesquels on reconnaît — telles ces créatures ailées et tourbillonnantes de l′été que l′hiver a surprises et épargnées — des Amours d′Herculanum encore en vie en plein XIIIe siècle, et traînant leur dernier vol, las mais ne manquant pas à la grâce qu′on peut attendre d′eux, sur toute la façade du porche.
This time, however, certain signs seemed to indicate that some new experience must have entered into that life. And yet, perhaps, all that one was entitled to conclude from them was that girls change very rapidly at the age which Albertine had now reached. For instance, her intellect was now more in evidence, and on my reminding her of the day when she had insisted with so much ardour on the superiority of her idea of making Sophocles write: “My dear Racine,” she was the first to laugh, quite wholeheartedly, at her own stupidity. “Andrée was quite right; it was stupid of me,” she admitted. “Sophocles ought to have begun: ‘Sir.′” I replied that the ‘Sir,′ and ‘Dear Sir,′ of Andrée were no less comic than her own ‘My dear Racine,′ or Gisèle′s ‘My dear Friend,′ but that after all the really stupid people were the Professors who still went on making Sophocles write letters to Racine. Here, however, Albertine was unable to follow me. She could not see in what the silliness consisted; her intelligence was dawning, but had not fully developed. There were other more attractive novelties in her; I felt, in this same pretty girl who had just sat down by my bed, something that was different; and in those lines which, in one′s eyes and other features, express one′s general attitude towards life, a change of front, a partial conversion, as though there had now been shattered those resistances against which I had hurled my strength in vain at Balbec, one evening, now remote in time, on which we formed a couple symmetrical with but the converse of our present arrangement, since then it had lieen she who was lying down and I who sat by her bedside. Wishing and not venturing to make certain whether now she would let herself be kissed, every time that she rose to go I asked her to stay beside me a little longer. This was a concession not very easy to obtain, for albeit she had nothing to do (otherwise she would have rushed from the house) she was a person methodical in her habits and moreover not very gracious towards me, scarcely to be at ease in my company, and yet each time, after looking at her watch, she sat down again at my request until finally she had spent several hours with me without my having asked her for anything; the things I was saying to her followed logically those that I had said during the hours before, and bore no relation to what I was thinking about, what I desired from her, remained indefinitely parallel. There is nothing like desire for preventing the thing one says from bearing any resemblance to what one has in one′s mind. Time presses, and yet it seems as though we were seeking to gain time by speaking of subjects absolutely alien to that by which we are obsessed. We then arrange that the sentence which we should like to utter shall be accompanied, or rather preluded, by a gesture, supposing that is to say that we have not to give ourselves the pleasure of an immediate demonstration and to gratify the curiosity we feel as to the reactions which will follow it, without a word said, without even a ‘By your leave,′ already made this gesture. Certainly I was not in the least in love with Albertine; child of the mists outside, she could merely content the imaginative desire which the change of weather had awakened in me and which was midway between the desires that are satisfied by the arts of the kitchen and of monumental sculpture respectively, for it made me dream simultaneously of mingling with my flesh a substance different and warm, and of attaching at some point to my outstretched body a body divergent, as the body of Eve barely holds by the feet to the side of Adam, to whose body hers is almost perpendicular, in those romanesque bas-reliefs on the church at Balbec which represent in so noble and so reposeful a fashion, still almost like a classical frieze, the Creation of Woman; God in them is everywhere followed, as by two ministers, by two little angels in whom the visitor recognises — like winged, swarming summer creatures which winter has surprised and spared — cupids from Herculaneum, still surviving well into the thirteenth century, and winging their last slow flight, weary but never failing in the grace that might be expected of them, over the whole front of the porch.
Or, ce plaisir, qui en accomplissant mon désir m′eût délivré de cette rêverie, et que j′eusse tout aussi volontiers cherché en n′importe quelle autre jolie femme, si l′on m′avait demandé sur quoi — au cours de ce bavardage interminable où je taisais à Albertine la seule chose à laquelle je pensasse — se basait mon hypothèse optimiste au sujet des complaisances possibles, j′aurais peut-être répondu que cette hypothèse était due (tandis que les traits oubliés de la voix d′Albertine redessinaient pour moi le contour de sa personnalité) à l′apparition de certains mots qui ne faisaient pas partie de son vocabulaire, au moins dans l′acception qu′elle leur donnait maintenant. Comme elle me disait qu′Elstir était bête et que je me récriais:
As for this pleasure which by accomplishing my desire would have set me free from these meditations and which I should have sought quite as readily from any other pretty woman, had I been asked upon what — in the course of this endless flow of talk throughout which I took care to keep from Albertine the one thing that was in my mind — was based my optimistic hypothesis with regard to her possible complaisances, I should perhaps have answered that this hypothesis was due (while the forgotten outlines of Albertine′s voice retraced for me the contour of her personality) to the apparition of certain words which did not form part of her vocabulary, or at least not in the acceptation which she now gave them. Thus she said to roe that Elstir was stupid, and, on my protesting:
— Vous ne me comprenez pas, répliqua-t-elle en souriant, je veux dire qu′il a été bête en cette circonstance, mais je sais parfaitement que c′est quelqu′un de tout à fait distingué.
“You don′t understand,” she replied, smiling, “I mean that it was stupid of him to behave like that; of course I know he′s quite a distinguished Person, really.”
De même pour dire du golf de Fontainebleau qu′il était élégant, elle déclara: — C′est tout à fait une sélection.
Similarly, wishing to say of the Fontainebleau golf club that it was smart, she declared: “They are quite a selection.”
A propos d′un duel que j′avais eu, elle me dit de mes témoins: «Ce sont des témoins de choix», et regardant ma figure avoua qu′elle aimerait me voir «porter la moustache». Elle alla même, et mes chances me parurent alors très grandes, jusqu′à prononcer, terme que, je l′eusse juré, elle ignorait l′année précédente, que depuis qu′elle avait vu Gisèle il s′était passé un certain «laps de temps». Ce n′est pas qu′Albertine ne possédât déjà quand j′étais à Balbec un lot très sortable de ces expressions qui décèlent immédiatement qu′on est issu d′une famille aisée, et que d′année en année une mère abandonne à sa fille comme elle lui donne au fur et à mesure qu′elle grandit, dans les circonstances importantes, ses propres bijoux. On avait senti qu′Albertine avait cessé d′être une petite enfant quand un jour, pour remercier d′un cadeau qu′une étrangère lui avait fait, elle avait répondu: «Je suis confuse.» Mme Bontemps n′avait pu s′empêcher de regarder son mari, qui avait répondu:
Speaking of a duel that I had fought, she said of my seconds: “What very choice seconds,” and looking at my face confessed that she would like to see me ‘wear a moustache.′ She even went so far (and my chance appeared then enormous) as to announce, in a phrase of which I would have sworn that she was ignorant a year earlier, that since she had last seen Gisèle there had passed a certain ‘lapse of time.′ This was not to say that Albertine had not already possessed, when I was at Balbec, a quite adequate assortment of those expressions which reveal at once that one′s people are in easy circumstances, and which, year by year, a mother passes on to her daughter just as she bestows on her, gradually, as the girl grows up, on important occasions, her own jewels. It was evident that Albertine had ceased to be a little girl when one day, to express her thanks for a present which a strange lady had given her, she had said: “I am quite confused.” Mme. Bontemps could not help looking across at her husband whose comment was:
— Dame, elle va sur ses quatorze ans.
“Gad, she′s old for fourteen.”
La nubilité plus accentuée s′était marquée quand Albertine, parlant d′une jeune fille qui avait mauvaise façon, avait dit: «On ne peut même pas distinguer si elle est jolie, elle a un pied de rouge sur la figure.» Enfin, quoique jeune fille encore, elle prenait déjà des façons de femme de son milieu et de son rang en disant, si quelqu′un faisait des grimaces: «Je ne peux pas le voir parce que j′ai envie d′en faire aussi», ou si on s′amusait à des imitations: «Le plus drôle, quand vous la contrefaites, c′est que vous lui ressemblez.» Tout cela est tiré du trésor social. Mais justement le milieu d′Albertine ne me paraissait pas pouvoir lui fournir «distingué» dans le sens où mon père disait de tel de ses collègues qu′il ne connaissait pas encore et dont on lui vantait la grande intelligence: «Il paraît que c′est quelqu′un de tout à fait distingué.» «Sélection», même pour le golf, me parut aussi incompatible avec la famille Simonet qu′il le serait, accompagné de l′adjectif «naturel», avec un texte antérieur de plusieurs siècles aux travaux de Darwin. «Laps de temps» me sembla de meilleur augure encore. Enfin m′apparut l′évidence de bouleversements que je ne connaissais pas mais propres à autoriser pour moi toutes les espérances, quand Albertine me dit, avec la satisfaction d′une personne dont l′opinion n′est pas indifférente:
The approach of nubility had been more strongly marked still when Albertine, speaking of another girl whose tone was bad, said: “One can′t even tell whether she′s pretty, she paints her face a foot thick.” Finally, though still a schoolgirl, she already displayed the manner of a grown woman of her upbringing and station when she said, of some one whose face twitched: “I can′t look at him, because it makes me want to do the same,” or, if some one else were being imitated: “The absurd thing about it is that when you imitate her voice you look exactly like her.” All these are drawn from the social treasury. But it did not seem to me possible that Albertine′s natural environment could have supplied her with ‘distinguished,′ used in the sense in which my father would say of a colleague whom he had not actually met, but whose intellectual attainments he had heard praised: “It appears he′s quite a distinguished person.” ‘Selection,′ even when used of a golf club, seemed to me as incompatible with the Simonet family as it would be if preceded by the adjective ‘Natural,′ with a text published centuries before the researches of Darwin. ‘Lapse of time′ struck me as being of better augury still. Finally there appeared the evidence of certain upheavals, the nature of which was unknown to me, but sufficient to justify me in all my hopes when Albertine announced, with the satisfaction of a person whose opinion is by no means to be despised:
— C′est, à mon sens, ce qui pouvait arriver de mieux. . . . J′estime que c′est la meilleure solution, la solution élégante.
“To my mind, that is the best thing that could possibly happen. I regard it as the best solution, the stylish way out.”
C′était si nouveau, si visiblement une alluvion laissant soupçonner de si capricieux détours à travers des terrains jadis inconnus d′elle que, dès les mots «à mon sens», j′attirai Albertine, et à «j′estime» je l′assis sur mon lit.
This was so novel, so manifestly an alluvial deposit giving one to suspect such capricious wanderings over soil hitherto unknown to her, that on hearing the words ‘to my mind′ I drew Albertine towards me, and at ‘I regard′ made her sit on the side of my bed.
Sans doute il arrive que des femmes peu cultivées, épousant un homme fort lettré, reçoivent dans leur apport dotal de telles expressions. Et peu après la métamorphose qui suit la nuit de noces, quand elles font leurs visites et sont réservées avec leurs anciennes amies, on remarque avec étonnement qu′elles sont devenues femmes si, en décrétant qu′une personne est intelligente, elles mettent deux l au mot intelligente; mais cela est justement le signe d′un changement, et il me semblait qu′il y avait un monde entre les expressions actuelles et le vocabulaire de l′Albertine que j′avais connue à Balbec — celui où les plus grandes hardiesses étaient de dire d′une personne bizarre: «C′est un type», ou, si on proposait à Albertine de jouer: «Je n′ai pas d′argent à perdre», ou encore, si telle de ses amies lui faisait un reproche qu′elle ne trouvait pas justifié: «Ah! vraiment, je te trouve magnifique!», phrases dictées dans ces cas-là par une sorte de tradition bourgeoise presque aussi ancienne que le Magnificat lui-même, et qu′une jeune fille un peu en colère et sûre de son droit emploie ce qu′on appelle «tout naturellement», c′est-à-dire parce qu′elle les a apprises de sa mère comme à faire sa prière ou à saluer. Toutes celles-là, Mme Bontemps les lui avait apprises en même temps que la haine des Juifs et que l′estime pour le noir où on est toujours convenable et comme il faut, même sans que Mme Bontemps le lui eût formellement enseigné, mais comme se modèle au gazouillement des parents chardonnerets celui des petits chardonnerets récemment nés, de sorte qu′ils deviennent de vrais chardonnerets eux-mêmes. Malgré tout, «sélection» me parut allogène et «j′estime» encourageant. Albertine n′était plus la même, donc elle n′agirait peut-être pas, ne réagirait pas de même.
No doubt it does happen that women of moderate culture, on marrying well-read men, receive such expressions as part of their paraphernalia. And shortly after the metamorphosis which follows the wedding night, when they begin to pay calls, and talk shyly to the friends of their girlhood, one notices with surprise that they have turned into matrons if, in deciding that some person is intelligent, they sound both l′s in the word; but that is precisely the sign of a change of state, and I could see a difference when I thought of the vocabulary of the Albertine I had known of old — a vocabulary in which the most daring flights were to say of any unusual person: ‘He′s a type,′ or, if you suggested a game of cards to her: ‘I′ve no money to lose,′ or again, if any of her friends were to reproach her, in terms which she felt to be undeserved: ‘That really is magnificent!′ an expression dictated in such cases by a sort of middle-class tradition almost as old as the Magnificat itself, and one which a girl slightly out of temper and confident that she is in the right employs, as the saying is, ‘quite naturally,′ that is to say because she has learned the words from her mother, just as she has learned to say her prayers or to greet a friend. All these expressions Mme. Bontemps had imparted to her at the same time as her hatred of the Jews and her feeling for black, which was always suitable and becoming, indeed without any formal instruction, but as the piping of the parent goldfinches serves as a model for that of the young ones, recently hatched, so that they in turn grow into true goldfinches also. But when all was said, ‘selection′ appeared to me of alien growth and ‘I regard′ encouraging. Albertine was no longer the same; which meant that she would not perhaps act, would not react in the same way.
Non seulement je n′avais plus d′amour pour elle, mais je n′avais même, plus à craindre, comme j′aurais pu à Balbec, de briser en elle une amitié pour moi qui n′existait plus. Il n′y avait aucun doute que je lui fusse depuis longtemps devenu fort indifférent. Je me rendais compte que pour elle je ne faisais plus du tout partie de la «petite bande» à laquelle j′avais autrefois tant cherché, et j′avais ensuite été si heureux de réussir à être agrégé. Puis comme elle n′avait même plus, comme à Balbec, un air de franchise et de bonté, je n′éprouvais pas de grands scrupules; pourtant je crois que ce qui me décida fut une dernière découverte philologique. Comme, continuant à ajouter un nouvel anneau à la chaîne extérieure de propos sous laquelle je cachais mon désir intime, je parlais, tout en ayant maintenant Albertine au coin de mon lit, d′une des filles de la petite bande, plus menue que les autres, mais que je trouvais tout de même assez jolie: «Oui, me répondit Albertine, elle a l′air d′une petite mousmé.» De toute évidence, quand j′avais connu Albertine, le mot de «mousmé» lui était inconnu. Il est vraisemblable que, si les choses eussent suivi leur cours normal, elle ne l′eût jamais appris, et je n′y aurais vu pour ma part aucun inconvénient car nul n′est plus horripilant. A l′entendre on se sent le même mal de dents que si on a mis un trop gros morceau de glace dans sa bouche. Mais chez Albertine, jolie comme elle était, même «mousmé» ne pouvait m′être déplaisant. En revanche, il me parut révélateur sinon d′une initiation extérieure, au moins d′une évolution interne. Malheureusement il était l′heure où il eût fallu que je lui dise au revoir si je voulais qu′elle rentrât à temps pour son dîner et aussi que je me levasse assez tôt pour le mien. C′était Françoise qui le préparait, elle n′aimait pas qu′il attendît et devait déjà trouver contraire à un des articles de son code qu′Albertine, en l′absence de mes parents, m′eût fait une visite aussi prolongée et qui allait tout mettre en retard. Mais, devant «mousmé», ces raisons tombèrent et je me hâtai de dire:
Not only did I no longer feel any love for her, but I had no longer to consider, as I should have had at Balbec, the risk of shattering in her an affection for myself, which no longer existed. There could be no doubt that she had long since become quite indifferent to me. I was well aware that to her I was in no sense a member now of the ‘little band′ into which I had at one time so anxiously sought and had then been so happy to have secured admission. Besides, as she had no longer even, as in Balbec days, an air of frank good nature, I felt no serious scruples: still I believe that what made me finally decide was another philological discovery. As, continuing to add fresh links to the external chain of talk behind which I hid my intimate desire, I spoke, having Albertine secure now on the corner of my bed, of one of the girls of the little band, one smaller than the rest, whom, nevertheless, I had thought quite pretty, “Yes,” answered Albertine, “she reminds me of a little mousmé.” There had been nothing in the world to shew, when I first knew Albertine, that she had ever heard the word mousmé. It was probable that, had things followed their normal course, she would never have learned it, and for my part I should have seen no cause for regret in that, for there is no more horrible word in the language. The mere sound of it makes one′s teeth ache as they do when one has put too large a spoonful of ice in one′s mouth. But coming from Albertine, as she sat there looking so pretty, not even ‘mousmé‘ could strike me as unpleasant. On the contrary, I felt it to be a revelation, if not of an outward initiation, at any rate of an inward evolution. Unfortunately it was now time for me to bid her good-bye if I wished her to reach home in time for her dinner, and myself to be out of bed and dressed in time for my own. It was Françoise who was getting it ready; she did not like having to keep it back, and must already have found it an infringement of one of the articles of her code that Albertine, in the absence of my parents, should be paying me so prolonged a visit, and one which was going to make everything late. But before ‘mousmé‘ all these arguments fell to the ground and I hastened to say:
— Imaginez-vous que je ne suis pas chatouilleux du tout, vous pourriez me chatouiller pendant une heure que je ne le sentirais même pas.
“Just fancy; I′m not in the least ticklish; you can go on tickling me for an hour on end and I won′t even feel it.”
— Vraiment!
“Really?”
— Je vous assure.
“I assure you.”
Elle comprit sans doute que c′était l′expression maladroite d′un désir, car comme quelqu′un qui vous offre une recommandation que vous n′osiez pas solliciter, mais dont vos paroles lui ont prouvé qu′elle pouvait vous être utile:
She understood, doubtless, that this was the awkward expression of a desire on my part, for, like a person who offers to give you an introduction for which you have not ventured to ask him, though what you have said has shewn him that it would be of great service to you.
— Voulez-vous que j′essaye? dit-elle avec l′humilité de la femme.
“Would you like me to try?” she inquired, with womanly meekness.
— Si vous voulez, mais alors ce serait plus commode que vous vous étendiez tout à fait sur mon lit.
“Just as you like, but you would be more comfortable if you lay down properly on the bed.”
— Comme cela?
“Like that?”
— Non, enfoncez-vous.
“No; get right on top.”
— Mais je ne suis pas trop lourde?
“You′re sure I′m not too heavy?”
Comme elle finissait cette phrase la porte s′ouvrit, et Françoise portant une lampe entra. Albertine n′eut que le temps de se rasseoir sur la chaise. Peut-être Françoise avait-elle choisi cet instant pour nous confondre, étant à écouter à la porte, ou même à regarder par le trou de la serrure. Mais je n′avais pas besoin de faire une telle supposition, elle avait pu dédaigner de s′assurer par les yeux de ce que son instinct avait dû suffisamment flairer, car à force de vivre avec moi et mes parents, la crainte, la prudence, l′attention et la ruse avaient fini par lui donner de nous cette sorte de connaissance instinctive et presque divinatoire qu′a de la mer le matelot, du chasseur le gibier, et de la maladie, sinon le médecin, du moins souvent le malade. Tout ce qu′elle arrivait à savoir aurait pu stupéfier à aussi bon droit que l′état avancé de certaines connaissances chez les anciens, vu les moyens presque nuls d′information qu′ils possédaient (les siens n′étaient pas plus nombreux: c′était quelques propos, formant à peine le vingtième de notre conversation à dîner, recueillis à la volée par le maître d′hôtel et inexactement transmis à l′office). Encore ses erreurs tenaient-elles plutôt, comme les leurs, comme les fables auxquelles Platon croyait, à une fausse conception du monde et à des idées préconçues qu′à l′insuffisance des ressources matérielles. C′est ainsi que, de nos jours encore, les plus grandes découvertes dans les moeurs des insectes ont pu être faites par un savant qui ne disposait d′aucun laboratoire, de nul appareil. Mais si les gênes qui résultaient de sa position de domestique ne l′avaient pas empêchée d′acquérir une science indispensable à l′art qui en était le terme — et qui consistait à nous confondre en nous en communiquant les résultats — la contrainte avait fait plus; là l′entrave ne s′était pas contentée de ne pas paralyser l′essor, elle y avait puissamment aidé. Sans doute Françoise ne négligeait aucun adjuvant, celui de la diction et de l′attitude par exemple. Comme (si elle ne croyait jamais ce que nous lui disions et que nous souhaitions qu′elle crût) elle admettait sans l′ombre d′un doute ce que toute personne de sa condition lui racontait de plus absurde et qui pouvait en même temps choquer nos idées, autant sa manière d′écouter nos assertions témoignait de son incrédulité, autant l′accent avec lequel elle rapportait (car le discours indirect lui permettait de nous adresser les pires injures avec impunité) le récit d′une cuisinière qui lui avait raconté qu′elle avait menacé ses maîtres et en avait obtenu, en les traitant devant tout le monde de «fumier», mille faveurs, montrait que c′était pour elle parole d′évangile. Françoise ajoutait même: «Moi, si j′avais été patronne je me serais trouvée vexée.» Nous avions beau, malgré notre peu de sympathie originelle pour la dame du quatrième, hausser les épaules, comme à une fable invraisemblable, à ce récit d′un si mauvais exemple, en le faisant, la narratrice savait prendre le cassant, le tranchant de la plus indiscutable et plus exaspérante affirmation.
As she uttered these words the door opened and Françoise, carrying a lamp, came in. Albertine had just time to fling herself back upon her chair. Perhaps Françoise had chosen this moment to confound us, having been listening at the door or even peeping through the keyhole. But there was no need to suppose anything of the sort; she might have scorned to assure herself, by the use of her eyes, of what her instinct must plainly enough have detected, for by dint of living with me and my parents her fears, her prudence, her alertness, her cunning had ended by giving her that instinctive and almost prophetic knowledge of us all that the mariner has of the sea, the quarry of the hunter, and, of the malady, if not the physician, often at any rate the patient. The amount of knowledge that she managed to acquire would have astounded a stranger, and with as good reason as does the advanced state of certain arts and sciences among the ancients, seeing that there was practically no source of information open to them. (Her sources were no larger. They were a few casual remarks forming barely a twentieth part of our conversation at dinner, caught on the wing by the butler and inaccurately transmitted to the kitchen.) Again, her mistakes were due, like theirs, like the fables in which Plato believed, rather to a false conception of the world and to preconceived ideas than to the insufficiency of the materials at her disposal. Only the other day, has it not been possible for the most important discoveries as to the habits of insects to be made by a scientist who had access to no laboratory and used no instruments of any sort? But if the drawbacks arising from her menial position had not prevented her from acquiring a stock of learning indispensable to the art which was its ultimate goal — and which consisted in putting us to confusion by communicating to us the results of her discoveries — the limitations under which she worked had done more; in this case the impediment, not content with merely not paralysing the flight of her imagination, had greatly strengthened it. Of course Françoise never let slip any artificial device, those for example of diction and attitude. Since (if she never believed what we said to her, hoping that she would believe it) she admitted without any shadow of doubt the truth of anything that any person of her own condition in life might tell her, however absurd, which might at the same time prove shocking to our ideas, just as her way of listening to our assertions bore witness to her incredulity, so the accents in which she reported (the use of indirect speech enabling her to hurl the most deadly insults at us with impunity) the narrative of a cook who had told her how she had threatened her employers, and won from them, by treating them before all the world like dirt, any number of privileges and concessions, shewed that the story was to her as gospel. Françoise went so far as to add: “I′m sure, if I had been the mistress I should have been quite vexed.” In vain might we, despite our scant sympathy at first with the lady on the fourth floor, shrug our shoulders, as though at an unlikely fable, at this report of so shocking an example; in making it the teller was able to speak with the crushing, the lacerating force of the most unquestionable, most irritating affirmation.
Mais surtout, comme les écrivains arrivent souvent à une puissance de concentration dont les eût dispensés le régime de la liberté politique ou de l′anarchie littéraire, quand ils sont ligotés par la tyrannie d′un monarque ou d′une poétique, par les sévérités des règles prosodiques ou d′une religion d′État, ainsi Françoise, ne pouvant nous répondre d′une façon explicite, parlait comme Tirésias et eût écrit comme Tacite. Elle savait faire tenir tout ce qu′elle ne pouvait exprimer directement, dans une phrase que nous ne pouvions incriminer sans nous accuser, dans moins qu′une phrase même, dans un silence, dans la manière dont elle plaçait un objet.
But above all, just as great writers often attain to a power of concentration from which they would have been dispensed under a system of political liberty or literary anarchy, when they are bound by the tyranny of a monarch or of a school of poetry, by the severity of prosodie laws or of a state religion, so Françoise, not being able to reply to us in an explicit fashion, spoke like Tiresias and would have written like Tacitus. She managed to embody everything that she could not express directly in a sentence for which we could not find fault with her without accusing ourselves, indeed in less than a sentence, in a silence, in the way in which she placed a thing in a room.
Ainsi, quand il m′arrivait de laisser, par mégarde, sur ma table, au milieu d′autres lettres, une certaine qu′il n′eût pas fallu qu′elle vît, par exemple parce qu′il y était parlé d′elle avec une malveillance qui en supposait une aussi grande à son égard chez le destinataire que chez l′expéditeur, le soir, si je rentrais inquiet et allais droit à ma chambre, sur mes lettres rangées bien en ordre en une pile parfaite, le document compromettant frappait tout d′abord mes yeux comme il n′avait pas pu ne pas frapper ceux de Françoise, placé par elle tout en dessus, presque à part, en une évidence qui était un langage, avait son éloquence, et dès la porte me faisait tressaillir comme un cri. Elle excellait à régler ces mises en scène destinées à instruire si bien le spectateur, Françoise absente, qu′il savait déjà qu′elle savait tout quand ensuite elle faisait son entrée. Elle avait, pour faire parler ainsi un objet inanimé, l′art à la fois génial et patient d′Irving et de Frédéric Lemaître. En ce moment, tenant au-dessus d′Albertine et de moi la lampe allumée qui ne laissait dans l′ombre aucune des dépressions encore visibles que le corps de la jeune fille avait creusées dans le couvre-pieds, Françoise avait l′air de la «Justice éclairant le Crime». La figure d′Albertine ne perdait pas à cet éclairage. Il découvrait sur les joues le même vernis ensoleillé qui m′avait charmé à Balbec. Ce visage d′Albertine, dont l′ensemble avait quelquefois, dehors, une espèce de pâleur blême, montrait, au contraire, au fur et à mesure que la lampe les éclairait, des surfaces si brillamment, si uniformément colorées, si résistantes et si lisses, qu′on aurait pu les comparer aux carnations soutenues de certaines fleurs. Surpris pourtant par l′entrée inattendue de Françoise, je m′écriai:
Thus when I happened to leave, by accident, on my table, among a pile of other letters, one which it was imperative that she should not see, because, let us say, it referred to her with a dislike which afforded a presumption of the same feeling towards her in the recipient as in the writer, that evening, if I came home with a troubled conscience and went straight to my room, there on top of my letters, neatly arranged in a symmetrical pile, the compromising document caught my eye as it could not possibly have failed to catch the eye of Françoise, placed by her right at the top, almost separated from the rest, in a prominence that was a form of speech, that had an eloquence all its own, and, as I stood in the doorway, made me shudder like a cry. She excelled in the preparation of these scenic effects, intended so to enlighten the spectator, in her absence, that he already knew that she knew everything when in due course she made her appearance. She possessed, for thus making an inanimate object speak, the art, at once inspired and painstaking, of Irving or Frédéric Lemaître. On this occasion, holding over Albertine and myself the lighted lamp whose searching beams missed none of the still visible depressions which the girl′s body had hollowed in the counterpane, Françoise made one think of a picture of ‘Justice throwing light upon Crime.′ Albertine′s face did not suffer by this illumination. It revealed on her cheeks the same sunny burnish that had charmed me at Balbec. This face of Albertine, the general effect of Which sometimes was, out of doors, a sort of milky pallor, now shewed, according as the lamp shone on them, surfaces so dazzlingly, so uniformly coloured, so firm, so glowing that one might have compared them to the sustained flesh tints of certain flowers. Taken aback meanwhile by the unexpected entry of Françoise, I exclaimed:
— Comment, déjà la lampe? Mon Dieu que cette lumière est vive!
“What? The lamp already? I say, the light is strong!”
Mon but était sans doute par la seconde de ces phrases de dissimuler mon trouble, par la première d′excuser mon retard. Françoise répondit avec une ambigueacute; cruelle:
My object, as may be imagined, was by the second of these ejaculations to account for my confusion, by the first to excuse my lateness in rising. Françoise replied with a cruel ambiguity:
— Faut-il que j′éteinde?
“Do you want me to extinglish it?”
— Teigne? glissa à mon oreille Albertine, me laissant charmé par la vivacité familière avec laquelle, me prenant à la fois pour maître et pour complice, elle insinua cette affirmation psychologique dans le ton interrogatif d′une question grammaticale. Quand Françoise fut sortie de la chambre et Albertine rassise sur mon lit:
“— guish!” Albertine slipped into my ear, leaving me charmed by the familiar vivacity with which, taking me at once for teacher and for accomplice, she insinuated this psychological affirmation as though asking a grammatical question. When Françoise had left the room and Albertine was seated once again on my bed:
— Savez-vous ce dont j′ai peur, lui dis-je, c′est que si nous continuons comme cela, je ne puisse pas m′empêcher de vous embrasser.
“Do you know what I′m afraid of?” I asked her. “It is that if we go on like this I may not be able to resist the temptation to kiss you.”
— Ce serait un beau malheur.
“That would be a fine pity.”
Je n′obéis pas tout de suite à cette invitation, un autre l′eût même pu trouver superflue, car Albertine avait une prononciation si charnelle et si douce que, rien qu′en vous parlant, elle semblait vous embrasser. Une parole d′elle était une faveur, et sa conversation vous couvrait de baisers. Et pourtant elle m′était bien agréable, cette invitation. Elle me l′eût été même d′une autre jolie fille du même âge; mais qu′Albertine me fût maintenant si facile, cela me causait plus que du plaisir, une confrontation d′images empreintes de beauté. Je me rappelais Albertine d′abord devant la plage, presque peinte sur le fond de la mer, n′ayant pas pour moi une existence plus réelle que ces visions de théâtre, où on ne sait pas si on a affaire à l′actrice qui est censée apparaître, à une figurante qui la double à ce moment-là, ou à une simple projection. Puis la femme vraie s′était détachée du faisceau lumineux, elle était venue à moi, mais simplement pour que je pusse m′apercevoir qu′elle n′avait nullement, dans le monde réel, cette facilité amoureuse qu′on lui supposait empreinte dans le tableau magique. J′avais appris qu′il n′était pas possible de la toucher, de l′embrasser, qu′on pouvait seulement causer avec elle, que pour moi elle n′était pas plus une femme que des raisins de jade, décoration incomestible des tables d′autrefois, ne sont des raisins. Et voici que dans un troisième plan elle m′apparaissait, réelle comme dans la seconde connaissance que j′avais eue d′elle, mais facile comme dans la première; facile, et d′autant plus délicieusement que j′avais cru si longtemps qu′elle ne l′était pas. Mon surplus de science sur la vie (sur la vie moins unie, moins simple que je ne l′avais cru d′abord) aboutissait provisoirement à l′agnosticisme. Que peut-on affirmer, puisque ce qu′on avait cru probable d′abord s′est montré faux ensuite, et se trouve en troisième lieu être vrai? Et hélas, je n′étais pas au bout de mes découvertes avec Albertine. En tout cas, même s′il n′y avait pas eu l′attrait romanesque de cet enseignement d′une plus grande richesse de plans découverts l′un après l′autre par la vie (cet attrait inverse de celui que Saint–Loup goûtait, pendant les dîners de Rivebelle, à retrouver, parmi les masques que l′existence avait superposés dans une calme figure, des traits qu′il avait jadis tenus sous ses lèvres), savoir qu′embrasser les joues d′Albertine était une chose possible, c′était un plaisir peut-être plus grand encore que celui de les embrasser. Quelle différence entre posséder une femme sur laquelle notre corps seul s′applique parce qu′elle n′est qu′un morceau de chair, ou posséder la jeune fille qu′on apercevait sur la plage avec ses amies, certains jours, sans même savoir pourquoi ces jours-là plutôt que tels autres, ce qui faisait qu′on tremblait de ne pas la revoir. La vie vous avait complaisamment révélé tout au long le roman de cette petite fille, vous avait prêté pour la voir un instrument d′optique, puis un autre, et ajouté au désir charnel un accompagnement, qui le centuple et le diversifie, de ces désirs plus spirituels et moins assouvissables qui ne sortent pas de leur torpeur et le laissent aller seul quand il ne prétend qu′à la saisie d′un morceau de chair, mais qui, pour la possession de toute une région de souvenirs d′où ils se sentaient nostalgiquement exilés, s′élèvent en tempête à côté de lui, le grossissent, ne peuvent le suivre jusqu′à l′accomplissement, jusqu′à l′assimilation, impossible sous la forme où elle est souhaitée, d′une réalité immatérielle, mais attendent ce désir à mi-chemin, et au moment du souvenir, du retour, lui font à nouveau escorte; baiser, au lieu des joues de la première venue, si fraîches soient-elles, mais anonymes, sans secret, sans prestige, celles auxquelles j′avais si longtemps rêvé, serait connaître le goût, la saveur, d′une couleur bien souvent regardée. On a vu une femme, simple image dans le décor de la vie, comme Albertine, profilée sur la mer, et puis cette image on peut la détacher, la mettre près de soi, et voir peu à peu son volume, ses couleurs, comme si on l′avait fait passer derrière les verres d′un stéréoscope. C′est pour cela que les femmes un peu difficiles, qu′on ne possède pas tout de suite, dont on ne sait même pas tout de suite qu′on pourra jamais les posséder, sont les seules intéressantes. Car les connaître, les approcher, les conquérir, c′est faire varier de forme, de grandeur, de relief l′image humaine, c′est une leçon de relativisme dans l′appréciation, belle à réapercevoir quand elle a repris sa minceur de silhouette dans le décor de la vie. Les femmes qu′on connaît d′abord chez l′entremetteuse n′intéressent pas parce qu′elles restent invariables.
I did not respond at once to this invitation, which another man might even have found superfluous, for Albertine′s way of pronouncing her words was so carnal, so seductive that merely in speaking to you she seemed to be caressing you. A word from her was a favour, and her conversation covered you with kisses. And yet it was highly attractive to me, this invitation. It would have been so, indeed, coming from any pretty girl of Albertine′s age; but that Albertine should be now so accessible to me gave me more than pleasure, brought before my eyes a series of images that bore the stamp of beauty. I recalled the original Albertine standing between me and the beach, almost painted upon a background of sea, having for me no more real existence than those figures seen on the stage, when one knows not whether one is looking at the actress herself who is supposed to appear, at an understudy who for the moment is taking her principal′s part, or at a mere projection from a lantern. Then the real woman had detached herself from the luminous mass, had come towards me, with the sole result that I had been able to see that she had nothing in real life of that amorous facility which one supposed to be stamped upon her in the magic pictures. I had learned that it was not possible to touch her, to embrace her, that one might only talk to her, that′ for me she was no more a woman than the jade grapes, an inedible decoration at one time in fashion on dinner tables, are really fruit. And now she was appearing to me in a third plane, real as in the second experience that I had had of her but facile as in the first; facile, and all the more deliciously so in that I had so long imagined that she was not. My surplus knowledge of life (of a life less uniform, less simple than I had at first supposed it to be) inclined me provisionally towards agnosticism. What can one positively affirm, when the thing that one thought probable at first has then shewn itself to be false and in the third instance turns out true? And alas, I was not yet at the end of my discoveries with regard to Albertine. In any case, even if there had not been the romantic attraction of this disclosure of a greater wealth of planes revealed one after another by life (an attraction the opposite of that which Saint-Loup had felt during our dinners at Rivebelle on recognising beneath the mask with which the course of existence had overlaid them, in a calm face, features to which his lips had once been pressed), the knowledge that to kiss Albertine′s cheeks was a possible thing was a pleasure perhaps greater even than that of kissing them. What a difference between possessing a woman to whom one applies one′s body alone, because she is no more than a piece of flesh, and possessing the girl whom one used to see on the beach with her friends on certain days without even knowing why one saw her on those days and not on others, which made one tremble to think that one might not see her again. Life had obligingly revealed to one in its whole extent the romance of this little girl, had lent one, for the study of her, first one optical instrument, then another, and had added to one′s carnal desire an accompaniment which multiplied it an hundredfold and diversified it with those other desires, more spiritual and less easily assuaged, which do not emerge from their torpor, leaving carnal desire to move by itself, when it aims only at the conquest of a piece of flesh, but which to gain possession of a whole tract of memories, whence they have felt the wretchedness of exile, rise in a tempest round about it, enlarge, extend it, are unable to follow it to the accomplishment, the assimilation, impossible in the form in which it is looked for, of an immaterial reality, but wait for this desire halfway and at the moment of recollection, of return furnish it afresh with their escort; to kiss, instead of the cheeks of the first comer, however cool and fresh they might be, but anonymous, with no secret, with no distinction, those of which I had so long been dreaming, would be to know the taste, the savour of a colour on which I had endlessly gazed. One has seen a woman, a mere image in the decorative setting of life, like Albertine, outlined against the sea, and then one has been able to take that image, to detach it, to bring it close to oneself, gradually to discern its solidity, its colours, as though one had placed it behind the glasses of a stereoscope. It is for this reason that the women who are a little difficult, whose resistance one does not at once overcome, of whom one does not indeed know at first whether one ever will overcome it, are alone interesting. For to know them, to approach them, to conquer them is to make fluctuate in form, in dimensions, in relief the human image, is an example of relativity in the appreciation of an image which it is delightful to see afresh when it has resumed the slender proportions of a silhouette in the setting of one′s life. The women one meets first of all in a brothel are of no interest because they remain invariable.
D′autre part Albertine tenait, liées autour d′elle, toutes les impressions d′une série maritime qui m′était particulièrement chère. Il me semblait que j′aurais pu, sur les deux joues de la jeune fille, embrasser toute la plage de Balbec.
In addition, Albertine preserved, inseparably attached to her, all my impressions of a series of seascapes of which I was particularly fond. I felt that it was possible for me, on the girl′s two cheeks, to kiss the whole of the beach at Balbec.
— Si vraiment vous permettez que je vous embrasse, j′aimerais mieux remettre cela à plus tard et bien choisir mon moment. Seulement il ne faudrait pas que vous oubliiez alors que vous m′avez permis. Il me faut un «bon pour un baiser».
“If you really don′t mind my kissing you, I would rather put it off for a little and choose a good moment. Only you mustn′t forget that you′ve said I may. I shall want a voucher: ‘Valid for one kiss.′”
— Faut-il que je le signe?
“Shall I have to sign it?”
— Mais si je le prenais tout de suite, en aurais-je un tout de même plus tard?
“But if I took it now, should I be entitled to another later on?”
— Vous m′amusez avec vos bons, je vous en referai de temps en temps.
“You do make me laugh with your vouchers; I shall issue a new one every now and then.”
— Dites-moi, encore un mot: vous savez, à Balbec, quand je ne vous connaissais pas encore, vous aviez souvent un regard dur, rusé; vous ne pouvez pas me dire à quoi vous pensiez à ces moments-là?
“Tell me; just one thing more. You know, at Balbec, before I had been introduced to you, you used often to have a hard, calculating look; you can′t tell me what you were thinking about when you looked like that?”
— Ah! je n′ai aucun souvenir.
“No; I don′t remember at all.”
— Tenez, pour vous aider, un jour votre amie Gisèle a sauté à pieds joints par-dessus la chaise où était assis un vieux monsieur. Tâchez de vous rappeler ce que vous avez pensé à ce moment-là.
“Wait; this may remind you: one day your friend Gisèle put her feet together and jumped over the chair an old gentleman was sitting in. Try to remember what was in your mind at that moment.”
— Gisèle était celle que nous fréquentions le moins, elle était de la bande si vous voulez, mais pas tout à fait. J′ai dû penser qu′elle était bien mal élevée et commune.
“Gisèle was the one we saw least of; she did belong to the band, I suppose, but not properly. I expect I thought that she was very ill-bred and common.”
— Ah! c′est tout?
“Oh, is that all?”
J′aurais bien voulu, avant de l′embrasser, pouvoir la remplir à nouveau du mystère qu′elle avait pour moi sur la plage, avant que je la connusse, retrouver en elle le pays où elle avait vécu auparavant; à sa place du moins, si je ne le connaissais pas, je pouvais insinuer tous les souvenirs de notre vie à Balbec, le bruit du flot déferlant sous ma fenêtre, les cris des enfants. Mais en laissant mon regard glisser sur le beau globe rose de ses joues, dont les surfaces doucement incurvées venaient mourir aux pieds des premiers plissements de ses beaux cheveux noirs qui couraient en chaînes mouvementées, soulevaient leurs contreforts escarpés et modelaient les ondulations de leurs vallées, je dus me dire: «Enfin, n′y ayant pas réussi à Balbec, je vais savoir le goût de la rose inconnue que sont les joues d′Albertine. Et puisque les cercles que nous pouvons faire traverser aux choses et aux êtres, pendant le cours de notre existence, ne sont pas bien nombreux, peut-être pourrai-je considérer la mienne comme en quelque manière accomplie, quand, ayant fait sortir de son cadre lointain le visage fleuri que j′avais choisi entre tous, je l′aurai amené dans ce plan nouveau, où j′aurai enfin de lui la connaissance par les lèvres.» Je me disais cela parce que je croyais qu′il est une connaissance par les lèvres; je me disais que j′allais connaître le goût de cette rose charnelle, parce que je n′avais pas songé que l′homme, créature évidemment moins rudimentaire que l′oursin ou même la baleine, manque cependant encore d′un certain nombre d′organes essentiels, et notamment n′en possède aucun qui serve au baiser. A cet organe absent il supplée par les lèvres, et par là arrive-t-il peut-être à un résultat un peu plus satisfaisant que s′il était réduit à caresser la bien-aimée avec une défense de corne. Mais les lèvres, faites pour amener au palais la saveur de ce qui les tente, doivent se contenter, sans comprendre leur erreur et sans avouer leur déception, de vaguer à la surface et de se heurter à la clôture de la joue impénétrable et désirée. D′ailleurs à ce moment-là, au contact même de la chair, les lèvres, même dans l′hypothèse où elles deviendraient plus expertes et mieux douées, ne pourraient sans doute pas goûter davantage la saveur que la nature les empêche actuellement de saisir, car, dans cette zone désolée où elles ne peuvent trouver leur nourriture, elles sont seules, le regard, puis l′odorat les ont abandonnées depuis longtemps. D′abord au fur et à mesure que ma bouche commença à s′approcher des joues que mes regards lui avaient proposé d′embrasser, ceux-ci se déplaçant virent des joues nouvelles; le cou, aperçu de plus près et comme à la loupe, montra, dans ses gros grains, une robustesse qui modifia le caractère de la figure.
I should certainly have liked, before kissing her, to be able to fill her afresh with the mystery which she had had for me on the beach before I knew her, to find latent in her the place in which she had lived earlier still; for that, at any rate, if I knew nothing of it, I could substitute all my memories of our life at Balbec, the sound of the waves rolling up and breaking beneath my window, the shouts of the children. But when I let my eyes glide over the charming pink globe of her cheeks, the gently curving surfaces of which ran up to expire beneath the first foothills of her piled black tresses which ran in undulating mountain chains, thrust out escarped ramparts and moulded the hollows of deep valleys, I could not help saying to myself: “Now at last, after failing at Balbec, I am going to learn the fragrance of the secret rose that blooms in Albertine′s cheeks, and, since the cycles through which we are able to make things and people pass in the course of our existence are comparatively few, perhaps I ought now to regard mine as nearing its end when, having made to emerge from its remoteness the flowering face that I had chosen from among all others, I shall have brought it into this new plane in which I shall at last acquire a tactual experience of it with my lips.” I told myself this because I believed that there was such a thing as knowledge acquired by the lips; I told myself that I was going to know the taste of this fleshly rose, because I had never stopped to think that man, a creature obviously less rudimentary in structure than the sea-urchin or even the whale, is nevertheless still unprovided with a certain number of essential organs, and notably possesses none that will serve for kissing. The place of this absent organ he supplies with his lips, and thereby arrives perhaps at a slightly more satisfying result than if he were reduced to caressing the beloved with a horny tusk. But a pair of lips, designed to convey to the palate the taste of whatever whets the appetite, must be content, without ever realising their mistake or admitting their disappointment, with roaming over the surface and with coming to a halt at the barrier of the impenetrable but irresistible cheek. Besides, at such moments, at the actual contact between flesh and flesh, the lips, even supposing them to become more expert and better endowed, could taste no better probably the savour which nature prevents their ever actually grasping, for in that desolate zone in which they are unable to find their proper nourishment, they are alone; the sense of sight, then that of smell have long since deserted them. To begin with, as my mouth began gradually to approach the cheeks which my eyes had suggested to it that it should kiss, my eyes, changing their position, saw a different pair of cheeks; the throat, studied at closer range and as though through a magnifying glass shewed in its coarse grain a robustness which modified the character of the face.
Les dernières applications de la photographie — qui couchent aux pieds d′une cathédrale toutes les maisons qui nous parurent si souvent, de près, presque aussi hautes que les tours, font successivement manoeuvrer comme un régiment, par files, en ordre dispersé, en masses serrées, les mêmes monuments, rapprochent l′une contre l′autre les deux colonnes de la Piazzetta tout à l′heure si distantes, éloignent la proche Salute et dans un fond pâle et dégradé réussissent à faire tenir un horizon immense sous l′arche d′un pont, dans l′embrasure d′une fenêtre, entre les feuilles d′un arbre situé au premier plan et d′un ton plus vigoureux, donnent successivement pour cadre à une même église les arcades de toutes les autres — je ne vois que cela qui puisse, autant que le baiser, faire surgir de ce que nous croyons une chose à aspect défini, les cent autres choses qu′elle est tout aussi bien, puisque chacune est relative à une perspective non moins légitime. Bref, de même qu′à Balbec, Albertine m′avait souvent paru différente, maintenant — comme si, en accélérant prodigieusement la rapidité des changements de perspective et des changements de coloration que nous offre une personne dans nos diverses rencontres avec elle, j′avais voulu les faire tenir toutes en quelques secondes pour recréer expérimentalement le phénomène qui diversifie l′individualité d′un être et tirer les unes des autres, comme d′un étui, toutes les possibilités qu′il enferme — dans ce court trajet de mes lèvres vers sa joue, c′est dix Albertines que je vis; cette seule jeune fille étant comme une déesse à plusieurs têtes, celle que j′avais vue en dernier, si je tentais de m′approcher d′elle, faisait place une autre. Du moins tant que je ne l′avais pas touchée, cette tête, je la voyais, un léger parfum venait d′elle jusqu′à moi. Mais hélas! — car pour le baiser, nos narines et nos yeux sont aussi mal placés que nos lèvres mal faites — tout d′un coup, mes yeux cessèrent de voir, à son tour mon nez s′écrasant ne perçut plus aucune odeur, et sans connaître pour cela davantage le goût du rose désiré, j′appris à ces détestables signes, qu′enfin j′étais en train d′embrasser la joue d′Albertine.
Apart from the most recent applications of the art of photography — which set crouching at the foot of a cathedral all the houses which, time and again, when we stood near them, have appeared to us to reach almost to the height of the towers, drill and deploy like a regiment, in file, in open order, in mass, the same famous and familiar structures, bring into actual contact the two columns on the Piazzetta which a moment ago were so far apart, thrust away the adjoining dome of the Salute, and in a pale and toneless background manage to include a whole immense horizon within the span of a bridge, in the embrasure of a window, among the leaves of a tree that stands in the foreground and is portrayed in a more vigorous tone, give successively as setting to the same church the arched walls of all the others — I can think of nothing that can so effectively as a kiss evoke from what we believe to be a thing with one definite aspect, the hundred other things which it may equally well be since each is related to a view of it no less legitimate. In short, just as at Balbec Albertine had often appeared to me different, so now, as if, wildly accelerating the speed of the changes of aspect and changes of colouring which a person presents to us in the course of our various encounters, I had sought to contain them all in the space of a few seconds so as to reproduce experimentally the phenomenon which diversifies the individuality of a fellow creature, and to draw out one from another, like a nest of boxes, all the possibilities that it contains, in this brief passage of my lips towards her cheek it was ten Albertines that I saw; this single girl being like a goddess with several heads, that which I had last seen, if I tried to approach it, gave place to another. At least so long as I had not touched it, that head, I could still see it, a faint perfume reached me from it. But alas — for in this matter of kissing our nostrils and eyes are as ill placed as our lips are shaped — suddenly my eyes ceased to see; next, my nose, crushed by the collision, no longer perceived any fragrance, and, without thereby gaining any clearer idea of the taste of the rose of my desire, I learned, from these unpleasant signs, that at last I was in the act of kissing Albertine′s cheek.
Était-ce parce que nous jouions (figurée par la révolution d′un solide) la scène inverse de celle de Balbec, que j′étais, moi, couché, et elle levée, capable d′esquiver une attaque brutale et de diriger le plaisir à sa guise, qu′elle me laissa prendre avec tant de facilité maintenant ce qu′elle avait refusé jadis avec une mine si sévère? (Sans doute, de cette mine d′autrefois, l′expression voluptueuse que prenait aujourd′hui son visage à l′approche de mes lèvres ne différait que par une déviation de lignes infinitésimales, mais dans lesquelles peut tenir toute la distance qu′il y a entre le geste d′un homme qui achève un blessé et d′un qui le secourt, entre un portrait sublime ou affreux.) Sans savoir si j′avais à faire honneur et savoir gré de son changement d′attitude à quelque bienfaiteur involontaire qui, un de ces mois derniers, à Paris ou à Balbec, avait travaillé pour moi, je pensai que la façon dont nous étions placés était la principale cause de ce changement. C′en fut pourtant une autre que me fournit Albertine; exactement celle-ci: «Ah! c′est qu′à ce moment-là, à Balbec, je ne vous connaissais pas, je pouvais croire que vous aviez de mauvaises intentions.» Cette raison me laissa perplexe. Albertine me la donna sans doute sincèrement. Une femme a tant de peine à reconnaître dans les mouvements de ses membres, dans les sensations éprouvées par son corps, au cours d′un tête-à-tête avec un camarade, la faute inconnue où elle tremblait qu′un étranger préméditât de la faire tomber.
Was it because we were enacting — as may be illustrated by the rotation of a solid body — the converse of our scene together at Balbec, because it was I, now, who was lying in bed and she who sat beside me, capable of evading any brutal attack and of dictating her pleasure to me, that she allowed me to take so easily now what she had refused me on the former occasion with so forbidding a frown? (No doubt from that same frown the voluptuous expression which her face assumed now at the approach of my lips differed only by a deviation of its lines immeasurably minute but one in which may be contained all the disparity that there is between the gesture of ‘finishing off′ a wounded man and that of bringing him relief, between a sublime and a hideous portrait.) Not knowing whether I had to give the credit, and to feel grateful for this change of attitude to some unwitting benefactor who in these last months, in Paris or at Balbec, had been working on my behalf, I supposed that the respective positions in which we were now placed might account for it. It was quite another explanation, however, that Albertine offered me; this, in short: “Oh, well, you see, that time at Balbec I didn′t know you properly. For all I knew, you might have meant mischief.” This argument left me in perplexity. Albertine was no doubt sincere in advancing it. So difficult is it for a woman to recognise in the movements of her limbs, in the sensations felt by her body in the course of an intimate conversation with a friend, the unknown sin into which she would tremble to think that a stranger was planning her fall.
En tout cas, quelles que fussent les modifications survenues depuis quelque temps dans sa vie, et qui eussent peut-être expliqué qu′elle eût accordé aisément à mon désir momentané et purement physique ce qu′à Balbec elle avait avec horreur refusé à mon amour, une bien plus étonnante se produisit en Albertine, ce soir-là même, aussitôt que ses caresses eurent amené chez moi la satisfaction dont elle dut bien s′apercevoir et dont j′avais même craint qu′elle ne lui causât le petit mouvement de répulsion et de pudeur offensée que Gilberte avait eu à un moment semblable, derrière le massif de lauriers, aux Champs-Élysées.
In any case, whatever the modifications that had occurred at some recent time in her life, which might perhaps have explained why it was that she now readily accorded to my momentary and purely physical desire what at Balbec she had with horror refused to allow to my love, another far more surprising manifested itself in Albertine that same evening as soon as her caresses had procured in me the satisfaction which she could not have failed to notice, which, indeed, I had been afraid might provoke in her the instinctive movement of revulsion and offended modesty which Gilberte had given at a corresponding moment behind the laurel shrubbery in the Champs-Elysées.
Ce fut tout le contraire. Déjà, au moment où je l′avais couchée sur mon lit et où j′avais commencé à la caresser, Albertine avait pris un air que je ne lui connaissais pas, de bonne volonté docile, de simplicité presque puérile. Effaçant d′elle toutes préoccupations, toutes prétentions habituelles, le moment qui précède le plaisir, pareil en cela à celui qui suit la mort, avait rendu à ses traits rajeunis comme l′innocence du premier âge. Et sans doute tout être dont le talent est soudain mis en jeu devient modeste, appliqué et charmant; surtout si, par ce talent, il sait nous donner un grand plaisir, il en est lui-même heureux, veut nous le donner bien complet. Mais dans cette expression nouvelle du visage d′Albertine il y avait plus que du désintéressement et de la conscience, de la générosité professionnels, une sorte de dévouement conventionnel et subit; et c′est plus loin qu′à sa propre enfance, mais à la jeunesse de sa race qu′elle était revenue. Bien différente de moi qui n′avais rien souhaité de plus qu′un apaisement physique, enfin obtenu, Albertine semblait trouver qu′il y eût eu de sa part quelque grossièreté à croire que ce plaisir matériel allât sans un sentiment moral et terminât quelque chose. Elle, si pressée tout à l′heure, maintenant sans doute et parce qu′elle trouvait que les baisers impliquent l′amour et que l′amour l′emporte sur tout autre devoir, disait, quand je lui rappelais son dîner:
The exact opposite happened. Already, when I had first made her lie on my bed and had begun to fondle her, Albertine had assumed an air which I did not remember in her, of docile good will, of an almost childish simplicity. Obliterating every trace of her customary anxieties and interests, the moment preceding pleasure, similar in this respect to the moment after death, had restored to her rejuvenated features what seemed like the innocence of earliest childhood. And no doubt everyone whose special talent is suddenly brought into play becomes modest, devoted, charming; especially if by this talent he knows that he is giving us a great pleasure, he is himself happy in the display of it, anxious to present it to us in as complete a form as possible. But in this new expression on Albertine′s face there was more than a mere profession of disinterestedness, conscience, generosity, a sort of conventional and unexpected devotion; and it was farther than to her own childhood, it was to the infancy of the race that she had reverted. Very different from myself who had looked for nothing more than a physical alleviation, which I had finally secured, Albertine seemed to feel that it would indicate a certain coarseness on her part were she to seem to believe that this material pleasure could be unaccompanied by a moral sentiment or was to be regarded as terminating anything. She, who had been in so great a hurry a moment ago, now, presumably because she felt that kisses implied love and that love took precedence of all other duties, said when I reminded her of her dinner:
— Mais ça ne fait rien du tout, voyons, j′ai tout mon temps.
“Oh, but that doesn′t matter in the least; I have plenty of time.”
Elle semblait gênée de se lever tout de suite après ce qu′elle venait de faire, gênée par bienséance, comme Françoise, quand elle avait cru, sans avoir soif, devoir accepter avec une gaieté décente le verre de vin que Jupien lui offrait, n′aurait pas osé partir aussitôt la dernière gorgée bue, quelque devoir impérieux qui l′eût appelée. Albertine — et c′était peut-être, avec une autre que l′on verra plus tard, une des raisons qui m′avaient à mon insu fait la désirer —était une des incarnations de la petite paysanne française dont le modèle est en pierre à Saint–André-des-Champs. De Françoise, qui devait pourtant bientôt devenir sa mortelle ennemie, je reconnus en elle la courtoisie envers l′hôte et l′étranger, la décence, le respect de la couche.
She seemed embarrassed by the idea of getting up and going immediately after what had happened, embarrassed by good manners, just as Françoise when, without feeling thirsty, she had felt herself bound to accept with a seemly gaiety the glass of wine which Jupien offered her, would never have dared to leave him as soon as the last drops were drained, however urgent the call of duty. Albertine — and this was perhaps, with another which the reader will learn in due course, one of the reasons which bad made me unconsciously desire her — was one of the incarnations of the little French peasant whose type may be seen in stone at Saint-André-des-Champs. As in Françoise, who presently nevertheless was to become her deadly enemy, I recognised in her a courtesy towards friend and stranger, a sense of decency, of respect for the bedside.
Françoise, qui, après la mort de ma tante, ne croyait pouvoir parler que sur un ton apitoyé, dans les mois qui précédèrent le mariage de sa fille, eût trouvé choquant, quand celle-ci se promenait avec son fiancé, qu′elle ne le tînt pas par le bras. Albertine, immobilisée auprès de moi, me disait:
Françoise who, after the death of my aunt, felt obliged to speak only in a plaintive tone, would, in the months that preceded her daughter′s marriage, have been quite shocked if, when the young couple walked out together, the girl had not taken her lover′s arm. Albertine lying motionless beside me said:
— Vous avez de jolis cheveux, vous avez de beaux yeux, vous êtes gentil.
“What nice hair you have; what nice eyes; you are a dear boy.”
Comme, lui ayant fait remarquer qu′il était tard, j′ajoutais: «Vous ne me croyez pas?», elle me répondit, ce qui était peut-être vrai, mais seulement depuis deux minutes et pour quelques heures:
When, after pointing out to her that it was getting late, I added: “You don′t believe me?” she replied, what was perhaps true but could be so only since the minute before and for the next few hours:
— Je vous crois toujours.
“I always believe you.”
Elle me parla de moi, de ma famille, de mon milieu social. Elle me dit: «Oh! je sais que vos parents connaissent des gens très bien. Vous êtes ami de Robert Forestier et de Suzanne Delage.» A la première minute, ces noms ne me dirent absolument rien. Mais tout d′un coup je me rappelai que j′avais en effet joué aux Champs-Élysées avec Robert Forestier que je n′avais jamais revu. Quant à Suzanne Delage, c′était la petite nièce de Mme Blandais, et j′avais dû une fois aller à une leçon de danse, et même tenir un petit rôle dans une comédie de salon, chez ses parents. Mais la peur d′avoir le fou rire, et des saignements de nez m′en avaient empêché, de sorte que je ne l′avais jamais vue. J′avais tout au plus cru comprendre autrefois que l′institutrice à plumet des Swann avait été chez ses parents, mais peut-être n′était-ce qu′une soeur de cette institutrice ou une amie. Je protestai à Albertine que Robert Forestier et Suzanne Delage tenaient peu de place dans ma vie. «C′est possible, vos mères sont liées, cela permet de vous situer. Je croise souvent Suzanne Delage avenue de Messine, elle a du chic.» Nos mères ne se connaissaient que dans l′imagination de Mme Bontemps qui, ayant su que j′avais joué jadis avec Robert Forestier auquel, paraît-il, je récitais des vers, en avait conclu que nous étions liés par des relations de famille. Elle ne laissait jamais, m′a-t-on dit, passer le nom de maman sans dire: «Ah! oui, c′est le milieu des Delage, des Forestier, etc.», donnant à mes parents un bon point qu′ils ne méritaient pas.
She spoke to me of myself, my family, my social position. She said: “Oh, I know your parents know some very nice people. You are a friend of Robert Forestier and Suzanne Delage.” For the moment these names conveyed absolutely nothing to me. But suddenly I remembered that I had indeed played as a child in the Champs-Elysées with Robert Forestier, whom I had never seen since then. As for Suzanne Delage, she was the great-niece of Mme. Blatin, and I had once been going to a dancing lesson, and had even promised to take a small part in a play that was being acted in her mother′s drawing-room. But the fear of being sent into fits of laughter, and of a bleeding nose, had made me decline, so that I had never set eyes on her. I had at the most a vague idea that I had once heard that the Swanns′ governess with the feather in her hat had at one time been with the Delages, but perhaps it was only a sister of this governess, or a friend. I protested to Albertine that Robert Forestier and Suzanne Delage occupied a very small place in my life. “That may be; but your mothers are friends, I can place you by that. I often pass Suzanne Delage in the Avenue de Messine, I admire her style.” Our mothers were acquainted only in the imagination of Mme. Bontemps, who having heard that I had at one time played with Robert Forestier, to whom, it appeared, I used to recite poetry, had concluded from that that we were bound by family ties. She could never, I gathered, hear my mother′s name mentioned without observing: “Oh, yes, she is in the Delage Forestier set,” giving my parents a good mark which they had done nothing to deserve.
Du reste les notions sociales d′Albertine étaient d′une sottise extrême. Elle croyait les Simonnet avec deux n inférieurs non seulement aux Simonet avec un seul n , mais à toutes les autres personnes possibles. Que quelqu′un ait le même nom que vous, sans être de votre famille, est une grande raison de le dédaigner. Certes il y a des exceptions. Il peut arriver que deux Simonnet (présentés l′un à l′autre dans une de ces réunions où l′on éprouve le besoin de parler de n′importe quoi et où on se sent d′ailleurs plein de dispositions optimistes, par exemple dans le cortège d′un enterrement qui se rend au cimetière), voyant qu′ils s′appellent de même, cherchent avec une bienveillance réciproque, et sans résultat, s′ils n′ont aucun lien de parenté. Mais ce n′est qu′une exception. Beaucoup d′hommes sont peu honorables, mais nous l′ignorons ou n′en avons cure. Mais si l′homonymie fait qu′on nous remet des lettres à eux destinées, ou vice versa nous commençons par une méfiance, souvent justifiée, quant à ce qu′ils valent. Nous craignons des confusions, nous les prévenons par une moue de dégoût si l′on nous parle d′eux. En lisant notre nom porté par eux, dans le journal, ils nous semblent l′avoir usurpé. Les péchés des autres membres du corps social nous sont indifférents. Nous en chargeons plus lourdement nos homonymes. La haine que nous portons aux autres Simonnet est d′autant plus forte qu′elle n′est pas individuelle, mais se transmet héréditairement. Au bout de deux générations on se souvient seulement de la moue insultante que les grands-parents avaient à l′égard des autres Simonnet; on ignore la cause; on ne serait pas étonné d′apprendre que cela a commencé par un assassinat. Jusqu′au jour fréquent où, entre une Simonnet et un Simonnet qui ne sont pas parents du tout, cela finit par un mariage.
Apart from this, Albertine′s social ideas were fatuous in the extreme. She regarded the Simonnets with a double ‘n′ as inferior not only to the Simonets with a single ‘n′ but to everyone in the world. That some one else should bear the same name as yourself without belonging to your family is an excellent reason for despising him. Of course there are exceptions. It may happen that two Simonnets (introduced to one another at one of those gatherings where one feels the need to converse, no matter on what subject, and where moreover one is instinctively well disposed towards strangers, for instance in a funeral procession on its way to the cemetery), finding that they have the same name, will seek with a mutual friendliness though without success to discover a possible connexion. But that is only an exception. Plenty of people are of dubious character, but we either know nothing or care nothing about them. If, however, a similarity of names brings to our door letters addressed to them, or vice versa, we at once feel a mistrust, often justified, as to their moral worth. We are afraid of being confused with them, we forestall the mistake by a grimace of disgust when anyone refers to them in our hearing. When we read our own name, as borne by them, in the newspaper, they seem to have usurped it. The transgressions of other members of the social organism leave us cold. We lay the burden of them more heavily upon our namesakes. The hatred which we bear towards the other Simonnets is all the stronger in that it is not a personal feeling but has been transmitted by heredity. After the second generation we remember only the expression of disgust with which our grandparents used to refer to the other Simonnets, we know nothing of the reason, we should not be surprised to learn that it had begun with a murder. Until, as is not uncommon, the time comes when a male and female Simonnet, who are not related in any way, are joined together in matrimony and so repair the breach.
Non seulement Albertine me parla de Robert Forestier et de Suzanne Delage, mais spontanément, par un devoir de confidence que le rapprochement des corps crée, au début du moins, avant qu′il ait engendré une duplicité spéciale et le secret envers le même être, Albertine me raconta sur sa famille et un oncle d′Andrée une histoire dont elle avait, à Balbec, refusé de me dire un seul mot, mais elle ne pensait pas qu′elle dût paraître avoir encore des secrets à mon égard. Maintenant sa meilleure amie lui eût raconté quelque chose contre moi qu′elle se fût fait un devoir de me le rapporter. J′insistai pour qu′elle rentrât, elle finit par partir, mais si confuse pour moi de ma grossièreté, qu′elle riait presque pour m′excuser, comme une maîtresse de maison chez qui on va en veston, qui vous accepte ainsi mais à qui cela n′est pas indifférent.
Not only did Albertine speak to me of Robert Forestier and Suzanne Delage, but spontaneously, with that impulse to confide which the approximation of two human bodies creates, that is to say at first, before it has engendered a special duplicity and reticence in one person towards the other, she told me a story about her own family and one of Andrée′s uncles, as to which, at Balbec, she had refused to utter a word; thinking that now she ought not to appear to have any secrets in which I might not share. From this moment, had her dearest friend said anything to her against me, she would have made it her duty to inform me. I insisted upon her going home, and finally she did go, but so ashamed on my account at my discourtesy that she laughed almost as though to apologise for me, as a hostess to whose party you have gone without dressing makes the best of you but is offended nevertheless.
— Vous riez? lui dis-je.
“Are you laughing at me?” I inquired.
— Je ne ris pas, je vous souris, me répondit-elle tendrement. Quand est-ce que je vous revois? ajouta-t-elle comme n′admettant pas que ce que nous venions de faire, puisque c′en est d′habitude le couronnement, ne fût pas au moins le prélude d′une amitié grande, d′une amitié préexistante et que nous nous devions de découvrir, de confesser et qui seule pouvait expliquer ce à quoi nous nous étions livrés.
“I am not laughing, I am smiling at you,” she replied lovingly. “When am I going to see you again?” she went on, as though declining to admit that what had just happened between us, since it is generally the crowning consummation, might not be at least the prelude to a great friendship, a friendship already existing which we should have to discover, to confess, and which alone could account for the surrender we had made of ourselves.
— Puisque vous m′y autorisez, quand je pourrai je vous ferai chercher. Je n′osai lui dire que je voulais tout subordonner à la possibilité de voir Mme de Stermaria. — Hélas! ce sera à l′improviste, je ne sais jamais d′avance, lui dis-je. Serait-ce possible que je vous fisse chercher le soir quand je serai libre?
“Since you give me leave, I shall send for you when I can.” I dared not let her know that I was subordinating everything else to the chance of seeing Mme. de Stermaria. “It will have to be at short notice, unfortunately,” I went on, “I never know beforehand. Would it be possible for me to send round for you in the evenings, when I am free?”
— Ce sera très possible bientôt car j′aurai une entrée indépendante de celle de ma tante. Mais en ce moment c′est impraticable. En tout cas je viendrai à tout hasard demain ou après-demain dans l′après-midi. Vous ne me recevrez que si vous le pouvez.
“It will be quite possible in a little while, I am going to have a latch-key of my own. But just at present it can′t be done. Anyhow I shall come round to-morrow or next day in the afternoon. You needn′t see me if you′re busy.”
Arrivée à la porte, étonnée que je ne l′eusse pas devancée, elle me tendit sa joue, trouvant qu′il n′y avait nul besoin d′un grossier désir physique pour que maintenant nous nous embrassions. Comme les courtes relations que nous avions eues tout à l′heure ensemble étaient de celles auxquelles conduisent parfois une intimité absolue et un choix du coeur, Albertine avait cru devoir improviser et ajouter momentanément aux baisers que nous avions échangés sur mon lit, le sentiment dont ils eussent été le signe pour un chevalier et sa dame tels que pouvait les concevoir un jongleur gothique.
On reaching the door, surprised that I had not anticipated her, she offered me her cheek, feeling that there was no need now for any coarse physical desire to prompt us to kiss one another. The brief relations in which we had just indulged being of the sort to which an absolute intimacy and a heartfelt choice often tend, Albertine had felt it incumbent upon her to improvise and add provisionally to the kisses which we had exchanged on my bed the sentiment of which those kisses would have been the symbol for a knight and his lady such as they might have been conceived in the mind of a gothic minstrel.
Quand m′eut quitté la jeune Picarde, qu′aurait pu sculpter à son porche l′imagier de Saint–André-des-Champs, Françoise m′apporta une lettre qui me remplit de joie, car elle était de Mme de Stermaria, laquelle acceptait à dîner. De Mme de Stermaria, c′est-à-dire, pour moi, plus que de la Mme de Stermaria réelle, de celle à qui j′avais pensé toute la journée avant l′arrivée d′Albertine. C′est la terrible tromperie de l′amour qu′il commence par nous faire jouer avec une femme non du monde extérieur, mais avec une poupée intérieure à notre cerveau, la seule d′ailleurs que nous ayons toujours à notre disposition, la seule que nous posséderons, que l′arbitraire du souvenir, presque aussi absolu que celui de l′imagination, peut avoir fait aussi différente de la femme réelle que du Balbec réel avait été pour moi le Balbec rêvé; création factice à laquelle peu à peu, pour notre souffrance, nous forcerons la femme réelle à ressembler.
When she had left me, this young Picard, who might have been carved on his porch by the image-maker of Saint-André-des-Champs, Françoise brought me a letter which filled me with joy, for it was from Mme. de Stermaria, who accepted my invitation to dinner. From Mme. de Stermaria, that was to say for me not so much from the real Mme. de Stermaria as from her of whom I had been thinking all day before Albertine′s arrival. It is the terrible deception of love that it begins by engaging us in play not with a woman of the external world but with a puppet fashioned and kept in our brain, the only form of her moreover that we have always at our disposal, the only one that we shall ever possess, one which the arbitrary power of memory, almost as absolute as that of imagination, may have made as different from the real woman as had been from the real Balbec the Balbec of my dreams; an artificial creation to which by degrees, and to our own hurt, we shall force the real woman into resemblance.
Albertine m′avait tant retardé que la comédie venait de finir quand j′arrivai chez Mme de Villeparisis; et peu désireux de prendre à revers le flot des invités qui s′écoulait en commentant la grande nouvelle: la séparation qu′on disait déjà accomplie entre le duc et la duchesse de Guermantes, je m′étais, en attendant de pouvoir saluer la maîtresse de maison, assis sur une bergère vide dans le deuxième salon, quand du premier, où sans doute elle avait été assise tout à fait au premier rang de chaises, je vis déboucher, majestueuse, ample et haute dans une longue robe de satin jaune à laquelle étaient attachés en relief d′énormes pavots noirs, la duchesse. Sa vue ne me causait plus aucun trouble. Un certain jour, m′imposant les mains sur le front (comme c′était son habitude quand elle avait peur de me faire de la peine), en me disant: «Ne continue pas tes sorties pour rencontrer Mme de Guermantes, tu es la fable de la maison. D′ailleurs, vois comme ta grand′mère est souffrante, tu as vraiment des choses plus sérieuses à faire que de te poster sur le chemin d′une femme qui se moque de toi», d′un seul coup, comme un hypnotiseur qui vous fait revenir du lointain pays où vous vous imaginiez être, et vous rouvre les yeux, ou comme le médecin qui, vous rappelant au sentiment du devoir et de la réalité, vous guérit d′un mal imaginaire dans lequel vous vous complaisiez, ma mère m′avait réveillé d′un trop long songe. La journée qui avait suivi avait été consacrée à dire un dernier adieu à ce mal auquel je renonçais; j′avais chanté des heures de suite en pleurant l′«Adieu» de Schubert:
Albertine had made me so late that the play had just finished when I entered Mme. de Villeparisis′s drawing-room; and having little desire to be caught in the stream of guests who were pouring out, discussing the great piece of news, the separation, said to be already effected, of the Duc de Guermantes from his wife, I had, until I should have an opportunity of shaking hands with my hostess, taken my seat on an empty sofa in the outer room, when from the other, in which she had no doubt had her chair in the very front row of all, I saw emerging, majestic, ample and tall in a flowing gown of yellow satin upon which stood out in relief huge black poppies, the Duchess herself. The sight of her no longer disturbed me in the least. There had been a day when, laying her hands on my forehead (as was her habit when she was afraid of hurting my feelings) and saying: “You really must stop hanging about trying to meet Mme. de Guermantes. All the neighbours are talking about you. Besides, look how ill your grandmother is, you really have something more serious to think about than waylaying a woman who only laughs at you,” in a moment, like a hypnotist who brings one back from the distant country in which one imagined oneself to be, and opens one′s eyes for one, or like the doctor who, by recalling one to a sense of duty and reality, cures one of an imaginary disease in which one has been indulging one′s fancy, my mother had awakened me from an unduly protracted dream. The rest of the day had been consecrated to a last farewell to this malady which I was renouncing; I had sung, for hours on end and weeping as I sang, the sad words of Schubert′s Adieu:
. . .
Adieu, des voix étranges T′appellent loin de moi, céleste soeur des Anges .
Farewell, strange voices call thee [b>Away from me, dear sister of the angels.
Et puis ç‘avait été fini. J′avais cessé mes sorties du matin, et si facilement que je tirai alors le pronostic, qu′on verra se trouver faux, plus tard, que je m′habituerais aisément, dans le cours de ma vie, à ne plus voir une femme. Et quand ensuite Françoise m′eut raconté que Jupien, désireux de s′agrandir, cherchait une boutique dans le quartier, désireux de lui en trouver une (tout heureux aussi, en flânant dans la rue que déjà de mon lit j′entendais crier lumineusement comme une plage, de voir, sous le rideau de fer levé des crémeries, les petites laitières à manches blanches), j′avais pu recommencer ces sorties. Fort librement du reste; car j′avais conscience de ne plus les faire dans le but de voir Mme de Guermantes; telle une femme qui prend des précautions infinies tant qu′elle a un amant, du jour qu′elle a rompu avec lui laisse traîner ses lettres, au risque de découvrir à son mari le secret d′une faute dont elle a fini de s′effrayer en même temps que de la commettre. Ce qui me faisait de la peine c′était d′apprendre que presque toutes les maisons étaient habitées par des gens malheureux. Ici la femme pleurait sans cesse parce que son mari la trompait. Là c′était l′inverse. Ailleurs une mère travailleuse, rouée de coups par un fils ivrogne, tâchait de cacher sa souffrance aux yeux des voisins. Toute une moitié de l′humanité pleurait. Et quand je la connus, je vis qu′elle était si exaspérante que je me demandai si ce n′était pas le mari ou la femme adultères, qui l′étaient seulement parce que le bonheur légitime leur avait été refusé, et se montraient charmants et loyaux envers tout autre que leur femme ou leur mari, qui avaient raison. Bientôt je n′avais même plus eu la raison d′être utile à Jupien pour continuer mes pérégrinations matinales. Car on apprit que l′ébéniste de notre cour, dont les ateliers n′étaient séparés de la boutique de Jupien que par une cloison fort mince, allait recevoir congé du gérant parce qu′il frappait des coups trop bruyants. Jupien ne pouvait espérer mieux, les ateliers avaient un sous-sol où mettre les boiseries, et qui communiquait avec nos caves. Jupien y mettrait son charbon, ferait abattre la cloison et aurait une seule et vaste boutique. Mais même sans l′amusement de chercher pour lui, j′avais continué à sortir avant déjeuner. Même comme Jupien, trouvant le prix que M. de Guermantes faisait très élevé, laissait visiter pour que, découragé de ne pas trouver de locataire, le duc se résignât à lui faire une diminution, Françoise, ayant remarqué que, même après l′heure où on ne visitait pas, le concierge laissait «contre» la porte de la boutique à louer, flaira un piège dressé par le concierge pour attirer la fiancée du valet de pied des Guermantes (ils y trouveraient une retraite d′amour), et ensuite les surprendre.
And then it had finished. I had given up my morning walks, and with so little difficulty that I thought myself justified in the prophecy (which we shall see was to prove false later on) that I should easily grow accustomed in the course of my life to ceasing to see a woman. And when, shortly afterwards, Françoise had reported to me that Jupien, anxious to enlarge his business, was looking for a shop in the neighbourhood, wishing to find one for him (quite happy, moreover, when strolling along a street which already from my bed I had heard luminously vociferous like a peopled beach, to see behind the raised iron shutters of the dairies the young milk-girls with their white sleeves), I had been able to begin these excursions again. Nor did I feel the slightest constraint; for I was conscious that I was no longer going out with the object of seeing Mme. de Guermantes; much as a married woman who takes endless precautions so long as she has a lover, from the day on which she has broken with him leaves his letters lying about, at the risk of disclosing to her husband an infidelity which ceased to alarm her the moment she ceased to be guilty of it. What troubled me now was the discovery that almost every house sheltered some unhappy person. In one the wife was always in tears because her husband was unfaithful to her. In the next it was the other way about. In another a hardworking mother, beaten black and blue by a drunkard son, was endeavouring to conceal her sufferings from the eyes of the neighbours. Quite half of the human race was in tears. And when I came to know the people who composed it I saw that they were so exasperating that I asked myself whether it might not be the adulterous husband and wife (who were so simply because their lawful happiness had been withheld from them, and shewed themselves charming and faithful to everyone but their respective wife and husband) who were in the right. Presently I ceased to have even the excuse of being useful to Jupien for continuing my morning wanderings. For we learned that the cabinet-maker in our courtyard, whose workrooms were separated from Jupien′s shop only by the flimsiest of partitions, was shortly to be ‘given notice′ by the Duke′s agent because his hammering made too much noise. Jupien could have hoped for nothing better; the workrooms had a basement for storing timber, which communicated with our cellars. He could keep his coal in this, he could knock down the partition, and would then have a huge shop all in one room. But even without the amusement of house-hunting on his behalf I had continued to go out every day before luncheon, just as Jupien himself, finding the rent that M. de Guermantes was asking him exorbitant, was allowing the premises to be inspected in the hope that, discouraged by his failure to find a tenant, the Duke would resign himself to accepting a lower offer. Françoise, noticing that, even at an hour when no prospective tenant was likely to call, the porter left the door of the empty shop on the latch, scented a trap laid by him to entice the young woman who was engaged to the Guer — mantes footman (they would find a lovers′ retreat there) and to catch them red-handed.
Quoi qu′il en fût, bien que n′ayant plus à chercher une boutique pour Jupien, je continuai à sortir avant le déjeuner. Souvent, dans ces sorties, je rencontrais M. de Norpois. Il arrivait que, causant avec un collègue, il jetait sur moi des regards qui, après m′avoir entièrement examiné, se détournaient vers son interlocuteur sans m′avoir plus souri ni salué que s′il ne m′avait pas connu du tout. Car chez ces importants diplomates, regarder d′une certaine manière n′a pas pour but de vous faire savoir qu′ils vous ont vu, mais qu′ils ne vous ont pas vu et qu′ils ont à parler avec leur collègue de quelque question sérieuse. Une grande femme que je croisais souvent près de la maison était moins discrète avec moi. Car bien que je ne la connusse pas, elle se retournait vers moi, m′attendait — inutilement — devant les vitrines des marchands, me souriait, comme si elle allait m′embrasser, faisait le geste de s′abandonner. Elle reprenait un air glacial à mon égard si elle rencontrait quelqu′un qu′elle connût. Depuis longtemps déjà dans ces courses du matin, selon ce que j′avais à faire, fût-ce acheter le plus insignifiant journal, je choisissais le chemin le plus direct, sans regret s′il était en dehors du parcours habituel que suivaient les promenades de la duchesse et, s′il en faisait au contraire partie, sans scrupules et sans dissimulation parce qu′il ne me paraissait plus le chemin défendu où j′arrachais à une ingrate la faveur de la voir malgré elle. Mais je n′avais pas songé que ma guérison, en me donnant à l′égard de Mme de Guermantes une attitude normale, accomplirait parallèlement la même oeuvre en ce qui la concernait et rendrait possible une amabilité, une amitié qui ne m′importaient plus. Jusque-là les efforts du monde entier ligués pour me rapprocher d′elle eussent expiré devant le mauvais sort que jette un amour malheureux. Des fées plus puissantes que les hommes ont décrété que, dans ces cas-là, rien ne pourra servir jusqu′au jour où nous aurons dit sincèrement dans notre coeur la parole: «Je n′aime plus.» J′en avais voulu à Saint–Loup de ne m′avoir pas mené chez sa tante. Mais pas plus que n′importe qui, il n′était capable de briser un enchantement. Tandis que j′aimais Mme de Guermantes, les marques de gentillesse que je recevais des autres, les compliments, me faisaient de la peine, non seulement parce que cela ne venait pas d′elle, mais parce qu′elle ne les apprenait pas. Or, les eût-elle sus que cela n′eût été d′aucune utilité. Même dans les détails d′une affection, une absence, le refus d′un dîner, une rigueur involontaire, inconsciente, servent plus que tous les cosmétiques et les plus beaux habits. Il y aurait des parvenus, si on enseignait dans ce sens l′art de parvenir.
However that might be, and for all that I had no longer to find Jupien a new shop, I still went out before luncheon. Often, on these excursions, I met M. de Norpois. It would happen that, conversing as he walked with a colleague, he cast at me a glance which after making a thorough scrutiny of my person returned to his companion without his having smiled at me or given me any more sign of recognition than if he had never set eyes on me before. For, with these eminent diplomats, looking at you in a certain way is intended to let you know not that they have seen you but that they have not seen you and that they have some serious question to discuss with the colleague who is accompanying them. A tall woman whom I frequently encountered near the house was less discreet with me. For in spite of the fact that I did not know her, she would turn round to look at me, would wait for me, unavailingly, before shop windows, smile at me as though she were going to kiss me, make gestures indicative of a complete surrender. She resumed an icy coldness towards me if anyone appeared whom she knew. For a long time now in these morning walks, thinking only of what I had to do, were it but the most trivial purchase of a newspaper, I had chosen the shortest way, with no regret were it outside the ordinary course which the Duchess followed in her walks, and if on the other hand it lay along that course, without either compunction or concealment, because it no longer appeared to me the forbidden way on which I should snatch from an ungrateful woman the favour of setting eyes on her against her will. But it had never occurred to me that my recovery, when it restored me to a normal attitude towards Mme. de Guermantes, would have a corresponding effect on her, and so render possible a friendliness, even a friendship in which I no longer felt any interest. Until then, the efforts of the entire world banded together to bring me into touch with her would have been powerless to counteract the evil spell that is cast by an ill-starred love. Fairies more powerful than mankind have decreed that in such cases nothing can avail us until the day on which we have uttered sincerely and from our hearts the formula: “I am no longer in love.” I had been vexed with Saint-Loup for not having taken me to see his aunt. But he was no more capable than anyone else of breaking an enchantment. So long as I was in love with Mme. de Guermantes, the marks of politeness that ퟲeceived from others, their compliments actually distressed me, not only because they did not come from her but because she would never hear of them. And yet even if she had known of them it would not have been of the slightest use to me. Indeed, among the lesser auxiliaries to success in iove, an absence, the declining of an invitation to dinner, an unintentional, unconscious harshness are of more service than all the cosmetics and fine clothes in the world. There would be plenty of social success, were people taught upon these lines the art of succeeding.
Au moment où elle traversait le salon où j′étais assis, la pensée pleine du souvenir des amis que je ne connaissais pas et qu′elle allait peut-être retrouver tout à l′heure dans une autre soirée, Mme de Guermantes m′aperçut sur ma bergère, véritable indifférent qui ne cherchais qu′à être aimable, alors que, tandis que j′aimais, j′avais tant essayé de prendre, sans y réussir, l′air d′indifférence; elle obliqua, vint à moi et retrouvant le sourire du soir de l′Opéra-Comique et que le sentiment pénible d′être aimée par quelqu′un qu′elle n′aimait pas n′effaçait plus: — Non, ne vous dérangez pas, vous permettez que je m′asseye un instant à côté de vous? me dit-elle en relevant gracieusement son immense jupe qui sans cela eût occupé la bergère dans son entier.
As she swept through the room in which I was sitting, her mind filled with thoughts of friends whom I did not know and whom she would perhaps be meeting presently at some other party, Mme. de Guermantes caught sight of me on my sofa, genuinely indifferent and seeking only to be polite whereas while I was in love I had tried so desperately, without ever succeeding, to assume an air of indifference; she swerved aside, came towards me and, reproducing the smile she had worn that evening at the Opéra-Comique, which the unpleasant feeling of being cared for by some one for whom she did not care was no longer there to obliterate: “No, don′t move; you don′t mind if I sit down beside you for a moment?” she asked, gracefully gathering in her immense skirt which otherwise would have covered the entire sofa.
Plus grande que moi et accrue encore de tout le volume de sa robe, j′étais presque effleuré par son admirable bras nu autour duquel un duvet imperceptible et innombrable faisait fumer perpétuellement comme une vapeur dorée, et par la torsade blonde de ses cheveux qui m′envoyaient leur odeur. N′ayant guère de place, elle ne pouvait se tourner facilement vers moi et, obligée de regarder plutôt devant elle que de mon côté, prenait une expression rêveuse et douce, comme dans un portrait.
Of less stature than she, who was further expanded by the volume of her gown, I was almost brushed by her exquisite bare arm round which a faint, innumerable down rose in perpetual smoke like a golden mist, and by the fringe of her fair tresses which wafted their fragrance over me. Having barely room to sit down, she could not turn easily to face me, and so obliged to look straight before her rather than in my direction, assumed the sort of dreamy, sweet expression one sees in a portrait.
— Avez-vous des nouvelles de Robert? me dit-elle.
“Have you any news of Robert?” she inquired.
Mme de Villeparisis passa à ce moment-là.
At that moment Mme. de Villeparisis entered the room.
— Eh bien! vous arrivez à une jolie heure, monsieur, pour une fois qu′on vous voit. Et remarquant que je parlais avec sa nièce, supposant peut-être que nous étions plus liés qu′elle ne savait: — Mais je ne veux pas déranger votre conversation avec Oriane, ajouta-t-elle (car les bons offices de l′entremetteuse font partie des devoirs d′une maîtresse de maison). Vous ne voulez pas venir dîner mercredi avec elle?
“Well, Sir, you arrive at a fine time, when we do see you here for once in a way!” And noticing that I was talking to her niece, concluding, perhaps, that we were more intimate than she had supposed: “But don′t let me interrupt your conversation with Oriane,” she went on, and (for these good offices as pander are part of the duties of the perfect hostess): “You wouldn′t care to dine with her here on Thursday?”
C′était le jour où je devais dîner avec Mme de Stermaria, je refusai.
It was the day on which I was to entertain Mme. de Stermaria, so I declined.
— Et samedi?
“Saturday, then?”
Ma mère revenant le samedi ou le dimanche, c′eût été peu gentil de ne pas rester tous les soirs à dîner avec elle; je refusai donc encore.
As my mother was returning on Saturday or Sunday, it would never do for me not to stay at home every evening to dine with her; I therefore declined this invitation also.
— Ah! vous n′êtes pas un homme facile à avoir chez soi.
“Ah, you′re not an easy person to get hold of.”
— Pourquoi ne venez-vous jamais me voir? me dit Mme de Guermantes quand Mme de Villeparisis se fut éloignée pour féliciter les artistes et remettre à la diva un bouquet de roses dont la main qui l′offrait faisait seule tout le prix, car il n′avait coûté que vingt francs. (C′était du reste son prix maximum quand on n′avait chanté qu′une fois. Celles qui prêtaient leur concours à toutes les matinées et soirées recevaient des roses peintes par la marquise.)
“Why do you never come to see me?” inquired Mme. de Guermantes when Mme. de Villeparisis had left us to go and congratulate the performers and present the leading lady with a bunch of roses upon which the hand that offered it conferred all its value, for it had cost no more than twenty francs. (This, incidentally, was as high as she ever went when an artist had performed only once. Those who gave their services at all her afternoons and evenings throughout the season received roses painted by the Marquise.)
— C′est ennuyeux de ne jamais se voir que chez les autres. Puisque vous ne voulez pas dîner avec moi chez ma tante, pourquoi ne viendriez-vous pas dîner chez moi? Certaines personnes, étant restées le plus longtemps possible, sous des prétextes quelconques, mais qui sortaient enfin, voyant la duchesse assise pour causer avec un jeune homme, sur un meuble si étroit qu′on n′y pouvait tenir que deux, pensèrent qu′on les avait mal renseignées, que c′était la duchesse, non le duc, qui demandait la séparation, à cause de moi. Puis elles se hâtèrent de répandre cette nouvelle. J′étais plus à même que personne d′en connaître la fausseté. Mais j′étais surpris que, dans ces périodes difficiles où s′effectue une séparation non encore consommée, la duchesse, au lieu de s′isoler, invitât justement quelqu′un qu′elle connaissait aussi peu. J′eus le soupçon que le duc avait été seul à ne pas vouloir qu′elle me reçût et que, maintenant qu′il la quittait, elle ne voyait plus d′obstacles à s′entourer des gens qui lui plaisaient.
“It′s such a bore that we never see each other except in other people′s houses. Since you won′t meet me at dinner at my aunt′s, why not come and dine with me?” Various people who had stayed to the last possible moment, upon one pretext or another, but were at length preparing to leave, seeing that the Duchess had sat down to talk to a young man on a seat so narrow as just to contain them both, thought that they must have been misinformed, that it was the Duchess, and not the Duke, who was seeking a separation, and on my account. Whereupon they hastened to spread abroad this intelligence. I had better grounds than anyone to be aware of its falsehood. But I was myself surprised that at one of those difficult periods in which a separation that is not yet completed is beginning to take effect, the Duchess, instead of withdrawing from society should go out of her way to invite a — person whom she knew so slightly. The suspicion crossed my mind that it had been the Duke alone who had been opposed to her having me in the house, and that now that he was leaving her she saw no further obstacle to her surrounding herself with the people that she liked.
Deux minutes auparavant j′eusse été stupéfait si on m′avait dit que Mme de Guermantes allait me demander d′aller la voir, encore plus de venir dîner. J′avais beau savoir que le salon Guermantes ne pouvait pas présenter les particularités que j′avais extraites de ce nom, le fait qu′il m′avait été interdit d′y pénétrer, en m′obligeant à lui donner le même genre d′existence qu′aux salons dont nous avons lu la description dans un roman, ou vu l′image dans un rêve, me le faisait, même quand j′étais certain qu′il était pareil à tous les autres, imaginer tout différent; entre moi et lui il y avait la barrière où finit le réel. Dîner chez les Guermantes, c′était comme entreprendre un voyage longtemps désiré, faire passer un désir de ma tête devant mes yeux et lier connaissance avec un songe. Du moins eussé-je pu croire qu′il s′agissait d′un de ces dîners auxquels les maîtres de maison invitent quelqu′un en disant: «Venez, il n′y aura absolument que nous», feignant d′attribuer au paria la crainte qu′ils éprouvent de le voir mêlé à leurs autres amis, et cherchant même à transformer en un enviable privilège réservé aux seuls intimes la quarantaine de l′exclu, malgré lui sauvage et favorisé. Je sentis, au contraire, que Mme de Guermantes avait le désir de me faire goûter à ce qu′elle avait de plus agréable quand elle me dit, mettant d′ailleurs devant mes yeux comme la beauté violâtre d′une arrivée chez la tante de Fabrice et le miracle d′une présentation au comte Mosca:
A minute earlier I should have been stupefied had anyone told me that Mme. de Guermantes was going to ask me to call on her, let alone to dine with her. I might be perfectly aware that the Guermantes drawing-room could not furnish those particular refinements which I had extracted from the name of its occupants, the fact that it had been forbidden ground to me, by obliging me to give it the same kind of existence that we give to the drawing-rooms of which we have read the description in a novel, or seen the image in a dream, made me, even when I was certain that it was just like any other, imagine it as quite different. Between myself and it was the barrier at which reality ends. To dine with the Guermantes was like travelling to a place I had long wished to see, making a desire emerge from my brain and take shape before my eyes, forming acquaintance with a dream. At the most, I might have supposed that it would be one of those dinners to which one′s hosts invite one with: “Do come; there′ll be absolutely nobody but ourselves,” pretending to attribute to the pariah the alarm which they themselves feel at the thought of his mixing with their other friends, seeking indeed to convert into an enviable privilege, reserved for their intimates alone, the quarantine of the outsider, hopelessly uncouth, whom they are befriending. I felt on the contrary that Mme. de Guermantes was anxious for me to enjoy the most delightful society that she had to offer me when she went on, projecting as she spoke before my eyes as it were the violet-hued loveliness of a visit to Fabrice′s aunt with the miracle of an introduction to Count Mosca:
— Vendredi vous ne seriez pas libre, en petit comité? Ce serait gentil. Il y aura la princesse de Parme qui est charmante; d′abord je ne vous inviterais pas si ce n′était pas pour rencontrer des gens agréables.
“On Friday, now, couldn′t you? There are just a few people coming; the Princesse de Parme, who is charming, not that I′d ask you to meet anyone who wasn′t nice.”
Désertée dans les milieux mondains intermédiaires qui sont livrés à un mouvement perpétuel d′ascension, la famille joue au contraire un rôle important dans les milieux immobiles comme la petite bourgeoisie et comme l′aristocratie princière, qui ne peut chercher à s′élever puisque, au-dessus d′elle, à son point de vue spécial, il n′y a rien. L′amitié que me témoignaient «la tante Villeparisis» et Robert avait peut-être fait de moi pour Mme de Guermantes et ses amis, vivant toujours sur eux-mêmes et dans une même coterie, l′objet d′une attention curieuse que je ne soupçonnais pas.
Discarded in the intermediate social grades which are engaged in a perpetual upward movement, the family still plays an important part in certain stationary grades, such as the lower middle class and the semi-royal aristocracy, which latter cannot seek to raise itself since above it, from its own special point of view, there exists nothing higher. The friendship shewn me by her ‘aunt Villeparisis′ and Robert had perhaps made me, for Mme. de Guermantes and her friends, living always upon themselves and in the same little circle, the object of a curious interest of which I had no suspicion.
Elle avait de ces parents-là une connaissance familiale, quotidienne, vulgaire, fort différente de ce que nous imaginons, et dans laquelle, si nous nous y trouvons compris, loin que nos actions en soient expulsées comme le grain de poussière de l′oeil ou la goutte d′eau de la trachée-artère, elles peuvent rester gravées, être commentées, racontées encore des années après que nous les avons oubliées nous-mêmes, dans le palais où nous sommes étonnés de les retrouver comme une lettre de nous dans une précieuse collection d′autographes.
She had of those two relatives a familiar, everyday, homely knowledge, of a sort, utterly different from what we imagine, in which if we happen to be comprised in it, so far from our actions being at once ejected, like the grain of dust from the eye or the drop of water from the windpipe, they are capable of remaining engraved, and will still be related and discussed years after we ourselves have forgotten them, in the palace in which we are astonished to find them preserved, like a letter in our own handwriting among a priceless collection of autographs.
De simples gens élégants peuvent défendre leur porte trop envahie. Mais celle des Guermantes ne l′était pas. Un étranger n′avait presque jamais l′occasion de passer devant elle. Pour une fois que la duchesse s′en voyait désigner un, elle ne songeait pas à se préoccuper de la valeur mondaine qu′il apporterait, puisque c′était chose qu′elle conférait et ne pouvait recevoir. Elle ne pensait qu′à ses qualités réelles, Mme de Villeparisis et Saint–Loup lui avaient dit que j′en possédais. Et sans doute ne les eût-elle pas crus, si elle n′avait remarqué qu′ils ne pouvaient jamais arriver à me faire venir quand ils le voulaient, donc que je ne tenais pas au monde, ce qui semblait à la duchesse le signe qu′un étranger faisait partie des «gens agréables».
People who are merely fashionable may set a guard upon doors which are too freely invalided. But the Guermantes door was not that. Hardly ever did a stranger have occasion to pass by it. If, for once in a way, the Duchess had one pointed out to her, she never dreamed of troubling herself about the social increment that he would bring, since this was a thing that she conferred and could not receive. She thought only of his real merits. Both Mme. de Villeparisis and Saint-Loup had testified to mine Doubtless she might not have believed them if she had not at the same time observed that they could never manage to secure me when they wanted me, and therefore that I attached no importance to worldly things, which seemed to the Duchess a sign that the stranger was to be numbered among what she called ‘nice people.′
Il fallait voir, parlant de femmes qu′elle n′aimait guère, comme elle changeait de visage aussitôt si on nommait, à propos de l′une, par exemple sa belle-soeur. «Oh! elle est charmante», disait-elle d′un air de finesse et de certitude. La seule raison qu′elle en donnât était que cette dame avait refusé d′être présentée à la marquise de Chaussegros et à la princesse de Silistrie. Elle n′ajoutait pas que cette dame avait refusé de lui être présentée à elle-même, duchesse de Guermantes. Cela avait eu lieu pourtant, et depuis ce jour, l′esprit de la duchesse travaillait sur ce qui pouvait bien se passer chez la dame si difficile à connaître. Elle mourait d′envie d′être reçue chez elle. Les gens du monde ont tellement l′habitude qu′on les recherche que qui les fuit leur semble un phénix et accapare leur attention. Le motif véritable de m′inviter était-il, dans l′esprit de Mme de Guermantes (depuis que je ne l′aimais plus), que je ne recherchais pas ses parents quoique étant recherché d′eux? Je ne sais. En tout cas, s′étant décidée à m′inviter, elle voulait me faire les honneurs de ce qu′elle avait de meilleur chez elle, et éloigner ceux de ses amis qui auraient pu m′empêcher de revenir, ceux qu′elle savait ennuyeux. Je n′avais pas su à quoi attribuer le changement de route de la duchesse quand je l′avais vue dévier de sa marche stellaire, venir s′asseoir à côté de moi et m′inviter à dîner, effet de causes ignorées, faute de sens spécial qui nous renseigne à cet égard. Nous nous figurons les gens que nous connaissons à peine — comme moi la duchesse — comme ne pensant à nous que dans les rares moments où ils nous voient. Or, cet oubli idéal où nous nous figurons qu′ils nous tiennent est absolument arbitraire. De sorte que, pendant que dans le silence de la solitude pareil à celui d′une belle nuit nous nous imaginons les différentes reines de la société poursuivant leur route dans le ciel à une distance infinie, nous ne pouvons nous défendre d′un sursaut de malaise ou de plaisir s′il nous tombe de là-haut, comme un aérolithe portant gravé notre nom, que nous croyions inconnu dans Vénus ou Cassiopée, une invitation à dîner ou un méchant potin.
It was worth seeing, when one spoke to her of women for whom she did not care, how her face changed as soon as one named, in connexion with one of these, let us say, her sister-in-law. “Oh, she is charming!” the Duchess would exclaim in a judicious, confident tone. The only reason that she gave was that this lady had declined to be introduced to the Marquise de Chaussegros and the Princesse de Silistrie. She did not add that the lady had declined also an introduction to herself, the Duchesse de Guermantes. This had, nevertheless, been the case, and ever since the mind of the Duchess had been at work trying to unravel the motives of a woman who was so hard to know, she was dying to be invited to call on her. People in society are so accustomed to be sought after that the person who shuns them seems to them a phoenix and at once monopolises their attention. Was the true motive in the mind of Mme. de Guermantes for thus inviting me (now that I was no longer in love with her) that I did not run after her relatives, although apparently run after myself by them? I cannot say. In any case, having made up her mind to invite me, she was anxious to do me the honours of the best company at her disposal and to keep away those of her friends whose presence might have dissuaded me from coming again, those whom she knew to be boring. I had not known to what to attribute her change of direction, when I had seen her deviate from her stellar path, come to sit down beside me and had heard her invite me to dinner, the effect of causes unknown for want of a special sense to enlighten us in this respect. We picture to ourselves the people who know us but slightly — such as, in my case, the Duchesse de Guermantes — as thinking of us only at the rare moments at which they set eyes on us. As a matter of fact this ideal oblivion in which we picture them as holding us is a purely arbitrary conception on our part. So that while, in our solitary silence, like that of a cloudless night, we imagine the various queens of society pursuing their course in the heavens at an infinite distance, we cannot help an involuntary start of dismay or pleasure if there falls upon us from that starry height, like a meteorite engraved with our name which we supposed to be unknown on Venus or Cassiopeia, an invitation to dinner or a piece of malicious gossip.
Peut-être parfois, quand, à l′imitation des princes persans qui, au dire du Livre d′Esther , se faisaient lire les registres où étaient inscrits les noms de ceux de leurs sujets qui leur avaient témoigné du zèle, Mme de Guermantes consultait la liste des gens bien intentionnés, elle s′était dit de moi: «Un à qui nous demanderons de venir dîner.» Mais d′autres pensées l′avaient distraite
Perhaps now and then when, following the example of the Persian princes who, according to the Book of Esther, made their scribes read out to them the registers in which were enrolled the names of those of their subjects who had shewn zeal in their service, Mme. de Guermantes consulted her list of the well-disposed, she had said to herself, on coming to my name: “A man we must ask to dine some day.” But other thoughts had distracted her
(De soins tumultueux un prince environné Vers de nouveaux objets est sans cesse entraîné)
(Beset by surging cares, a Prince′s mind Towards fresh matters ever is inclined)
jusqu′au moment où elle m′avait aperçu seul comme Mardochée à la porte du palais; et ma vue ayant rafraîchi sa mémoire elle voulait, tel Assuérus, me combler de ses dons.
until the moment when she had caught sight of me sitting alone like Mordecai at the palace gate; and, the sight of me having refreshed her memory, sought, like Ahasuerus, to lavish her gifts upon me.
Cependant je dois dire qu′une surprise d′un genre opposé allait suivre celle que j′avais eue au moment où Mme de Guermantes m′avait invité. Cette première surprise, comme j′avais trouvé plus modeste de ma part et plus reconnaissant de ne pas la dissimuler et d′exprimer au contraire avec exagération ce qu′elle avait de joyeux, Mme de Guermantes, qui se disposait à partir pour une dernière soirée, venait de me dire, presque comme une justification, et par peur que je ne susse pas bien qui elle était, pour avoir l′air si étonné d′être invité chez elle: «Vous savez que je suis la tante de Robert de Saint–Loup qui vous aime beaucoup, et du reste nous nous sommes déjà vus ici.» En répondant que je le savais, j′ajoutai que je connaissais aussi M. de Charlus, lequel «avait été très bon pour moi à Balbec et à Paris». Mme de Guermantes parut étonnée et ses regards semblèrent se reporter, comme pour une vérification, à une page déjà plus ancienne du livre intérieur. «Comment! vous connaissez Palamède?» Ce prénom prenait dans la bouche de Mme de Guermantes une grande douceur à cause de la simplicité involontaire avec laquelle elle parlait d′un homme si brillant, mais qui n′était pour elle que son beau-frère et le cousin avec lequel elle avait été élevée. Et dans le gris confus qu′était pour moi la vie de la duchesse de Guermantes, ce nom de Palamède mettait comme la clarté des longues journées d′été où elle avait joué avec lui, jeune fille, à Guermantes, au jardin. De plus, dans cette partie depuis longtemps écoulée de leur vie, Oriane de Guermantes et son cousin Palamède avaient été fort différents de ce qu′ils étaient devenus depuis; M. de Charlus notamment, tout entier livré à des goûts d′art qu′il avait si bien refrénés par la suite que je fus stupéfait d′apprendre que c′était par lui qu′avait été peint l′immense éventail d′iris jaunes et noirs que déployait en ce moment la duchesse. Elle eût pu aussi me montrer une petite sonatine qu′il avait autrefois composée pour elle. J′ignorais absolument que le baron eût tous ces talents dont il ne parlait jamais. Disons en passant que M. de Charlus n′était pas enchanté que dans sa famille on l′appelât Palamède. Pour Mémé, on eût pu comprendre encore que cela ne lui plût pas. Ces stupides abréviations sont un signe de l′incompréhension que l′aristocratie a de sa propre poésie (le judaî²e a d′ailleurs la même puisqu′un neveu de Lady Rufus Israël, qui s′appelait Moî²¥, était couramment appelé dans le monde: «Momo») en même temps que de sa préoccupation de ne pas avoir l′air d′attacher d′importance à ce qui est aristocratique. Or, M. de Charlus avait sur ce point plus d′imagination poétique et plus d′orgueil exhibé. Mais la raison qui lui faisait peu goûter Mémé n′était pas celle-là puisqu′elle s′étendait aussi au beau prénom de Palamède. La vérité est que se jugeant, se sachant d′une famille princière, il aurait voulu que son frère et sa belle-soeur disent de lui: «Charlus», comme la reine Marie–Amélie ou le duc d′Orléans pouvaient dire de leurs fils, petits-fils, neveux et frères: «Joinville, Nemours, Chartres, Paris».
I must at the same time add that a surprise of a totally different sort was to follow that which I had felt on hearing Mme. de Guermantes ask me to dine with her. Since I had decided that it would shew greater modesty, on my part, and gratitude also not to conceal this initial surprise, but rather to exaggerate my expression of the delight that it gave me, Mme. de Guermantes, who was getting ready to go on to another, final party, had said to me, almost as a justification and for fear of my not being quite certain who she was, since I appeared so astonished at being invited to dine with her: “You know I′m the aunt of Robert de Saint-Loup, who is such a friend of yours; besides we have met before.” In replying that I was aware of this I added that I knew also M. de Charlus, “who had been very good to me at Balbec and in Paris.” Mme. de Guermantes appeared dumbfoundered, and her eyes seemed to turn, as though for a verification of this statement, to some page, already filled and turned, of her internal register of events. “What, so you know Palamède, do you?” This name assumed on the lips of Mme. de Guermantes a great charm, due to the instinctive simplicity with which she spoke of a man who was socially so brilliant a figure, but for her was no more than her brother-in-law and the cousin with whom she had grown up. And on the confused greyness which the life of the Duchesse de Guermantes was for me this name, Palamède, shed as it were the radiance of long summer days on which she had played with him as a girl, at Guermantes, in the garden. Moreover, in this long outgrown period in their lives, Oriane de Guermantes and her cousin Palamède had been very different from what they had since become; M. de Charlus in particular, entirely absorbed in the artistic pursuits from which he had so effectively restrained himself in later life that I was stupefied to learn that it was he who had painted the huge fan with black and yellow irises which the Duchess was at this moment unfurling. She could also have shewn me a little sonatina which he had once composed for her. I was completely unaware that the Baron possessed all these talents, of which he never spoke. Let me remark in passing that M. de Charlus did not at all relish being called ‘Palamède′ by his family. That the form ‘Mémé′ might not please him one could easily understand. These stupid abbreviations are a sign of the utter inability of the aristocracy to appreciate its own Poetic beauty (in Jewry, too, we may see the same defect, since a nephew of Lady Israels, whose name was Moses, was commonly known as ‘Momo′) concurrently with its anxiety not to appear to attach any importance to what is aristocratic. Now M. de Charlus had, in this connexion, a greater wealth of poetic imagination and a more blatant pride. But the reason for his distaste for ‘Mémé′ could not be this, since it extended also to the fine name Palamède. The truth was that, considering, knowing himself to come of a princely stock, he would have liked his brother and sister-in-law to refer to him as ‘Charlus,′ just as Queen Marie-Amélie and Duc d′Orléans might have spoken of their sons and grandsons, brothers and nephews as ‘Joinville, Nemours, Chartres, Paris.′
— Quel cachottier que ce Mémé, s′écria-t-elle. Nous lui avons parlé longuement de vous, il nous a dit qu′il serait très heureux de faire votre connaissance, absolument comme s′il ne vous avait jamais vu. Avouez qu′il est drôle! et, ce qui n′est pas très gentil de ma part à dire d′un beau-frère que j′adore et dont j′admire la rare valeur, par moments un peu fou.
“What a humbug Mémé is!” she exclaimed. “We talked to him about you for hours; he told us that he would be delighted to make your acquaintance, just as if he had never set eyes on you. You must admit he′s odd, and — though it′s not very nice of me to say such a thing about a brother-in-law I′m devoted to, and really do admire immensely — a trifle mad at times.”
Je fus très frappé de ce mot appliqué à M. de Charlus et je me dis que cette demi-folie expliquait peut-être certaines choses, par exemple qu′il eût paru si enchanté du projet de demander à Bloch de battre sa propre mère. Je m′avisai que non seulement par les choses qu′il disait, mais par la manière dont il les disait, M. de Charlus était un peu fou. La première fois qu′on entend un avocat ou un acteur, on est surpris de leur ton tellement différent de la conversation. Mais comme on se rend compte que tout le monde trouve cela tout naturel, on ne dit rien aux autres, on ne se dit rien à soi-même, on se contente d′apprécier le degré de talent. Tout au plus pense-t-on d′un acteur du Théâtre-Français: «Pourquoi au lieu de laisser retomber son bras levé l′a-t-il fait descendre par petites saccades coupées de repos, pendant au moins dix minutes?» ou d′un Labori: «Pourquoi, dès qu′il a ouvert la bouche, a-t-il émis ces sons tragiques, inattendus, pour dire la chose la plus simple?» Mais comme tout le monde admet cela a priori , on n′est pas choqué. De même, en y réfléchissant, on se disait que M. de Charlus parlait de soi avec emphase, sur un ton qui n′était nullement celui du débit ordinaire. Il semblait qu′on eût dû à toute minute lui dire: «Mais pourquoi criez-vous si fort? pourquoi êtes-vous si insolent?» Seulement tout le monde semblait bien avoir admis tacitement que c′était bien ainsi. Et on entrait dans la ronde qui lui faisait fête pendant qu′il pérorait. Mais certainement à de certains moments un étranger eût cru entendre crier un dément.
I was struck by the application of this last epithet to M. de Charlus, and said to myself that this half-madness might perhaps account for certain things, such as his having appeared so delighted by his own proposal that I should ask Bloch to castigate his mother. I decided that, by reason not only of the things he said but of the way in which he said them, M. de Charlus must be a little mad. The first time that one listens to a barrister or an actor, one is surprised by his tone, so different from the conversational. But, observing that everyone else seems to find this quite natural, one says nothing about it to other people, one says nothing in fact to oneself, one is content with appreciating the degree of talent shewn. At the most, one may think, of an actor at the Théâtre-Français: “Why, instead of letting his raised arm fall naturally, did he make it drop in a series of little jerks broken by pauses for at least ten minutes?” or of a Labori: “Why, whenever he opened his mouth, did he utter those tragic, unexpected sounds to express the simplest things?” But as everybody admits these actions to be necessary and obvious one is not shocked by them. So, upon thinking it over, one said to oneself that M. de Charlus spoke of himself with undue emphasis in a tone which was not in the least that of ordinary speech. It seemed as though one might have at any moment interrupted him with: “But why do you shout so? Why are you so offensive?” only everyone seemed to have tacitly agreed that it was all right. And one took one′s place in the circle which applauded his outbursts. But certainly, at certain moments, a stranger might have thought that he was listening to the ravings of a maniac.
— Mais vous êtes sûr que vous ne confondez pas, que vous parlez bien de mon beau-frère Palamède? ajouta la duchesse avec une légère impertinence qui se greffait chez elle sur la simplicité.
“But are you sure you′re not thinking of some one else? Do you really mean my brother-in-law Palamède?” went on the Duchess, a trace of impertinence grafted upon her natural simplicity.
Je répondis que j′étais absolument sûr et qu′il fallait que M. de Charlus eût mal entendu mon nom.
I replied that I was absolutely sure, and that M. de Charlus must have failed to catch my name.
— Eh bien! je vous quitte, me dit comme à regret Mme de Guermantes. Il faut que j′aille une seconde chez la princesse de Ligne. Vous n′y allez pas? Non, vous n′aimez pas le monde? Vous avez bien raison, c′est assommant. Si je n′étais pas obligée! Mais c′est ma cousine, ce ne serait pas gentil. Je regrette égoî²´ement, pour moi, parce que j′aurais pu vous conduire, même vous ramener. Alors je vous dis au revoir et je me réjouis pour mercredi.
“Oh well! I shall leave you now,” said Mme. de Guermantes, as though she regretted the parting. “I must look in for a moment at the Princesse de Ligne′s. You aren′t going on there? No? You don′t care for parties? You′re very wise, they are too boring for words. If only I hadn′t got to go. But she′s my cousin; it wouldn′t be polite. I am sorry, selfishly, for my own sake, because I could have taken you there, and brought you back afterwards, too. So I shall say good-bye now, and look forward to Friday.”
Que M. de Charlus eût rougi de moi devant M. d′Argencourt, passe encore. Mais qu′à sa propre belle-soeur, et qui avait une si haute idée de lui, il niât me connaître, fait si naturel puisque je connaissais à la fois sa tante et son neveu, c′est ce que je ne pouvais comprendre.
That M. de Charlus should have blushed to be seen with me by M. d′Argencourt was all very well. But that to his own sister-in-law, who had so high an opinion of him besides, he should deny all knowledge of me, knowledge which was perfectly natural seeing that I was a friend of both his aunt and his nephew, was a thing that I could not understand.
Je terminerai ceci en disant qu′à un certain point de vue il y avait chez Mme de Guermantes une véritable grandeur qui consistait à effacer entièrement tout ce que d′autres n′eussent qu′incomplètement oublié. Elle ne m′eût jamais rencontré la harcelant, la suivant, la pistant, dans ses promenades matinales, elle n′eût jamais répondu à mon salut quotidien avec une impatience excédée, elle n′eût jamais envoyé promener Saint–Loup quand il l′avait suppliée de m′inviter, qu′elle n′aurait pas pu avoir avec moi des façons plus noblement et naturellement aimables. Non seulement elle ne s′attardait pas à des explications rétrospectives, à des demi-mots, à des sourires ambigus, à des sous-entendus, non seulement elle avait dans son affabilité actuelle, sans retours en arrière, sans réticences, quelque chose d′aussi fièrement rectiligne que sa majestueuse stature, mais les griefs qu′elle avait pu ressentir contre quelqu′un dans le passé étaient si entièrement réduits en cendres, ces cendres étaient elles-mêmes rejetées si loin de sa mémoire ou tout au moins de sa manière d′être, qu′à regarder son visage chaque fois qu′elle avait à traiter par la plus belle des simplifications ce qui chez tant d′autres eût été prétexte à des restes de froideur, à des récriminations, on avait l′impression d′une sorte de purification.
I shall end my account of this incident with the remark that from one point of view there was in Mme. de Guermantes a true greatness which consisted in her entirely obliterating from her memory what other people would have only partially forgotten. Had she never seen me waylaying her, following her, tracking her down as she took her morning walks, had she never responded to my daily salute with an angry impatience, had she never refused Saint-Loup when he begged her to invite me to her house, she could not have greeted me now in a nobler or more gracious manner. Not only did she waste no time in retrospective explanations, in hints, allusions or ambiguous smiles, not only was there in her present affability, without any harking back to the past, without any reticence, something as proudly rectilinear as her majestic stature, but the resentment which she might have felt against anyone in the past was so entirely reduced to ashes, the ashes were themselves cast so utterly from her memory, or at least from her manner, that on studying her face whenever she had occasion to treat with the most exquisite simplification what in so many other people would have been a pretext for reviving stale antipathies and recriminations one had the impression of an intense purity of mind.
Mais si j′étais surpris de la modification qui s′était opérée en elle à mon égard, combien je l′étais plus d′en trouver en moi une tellement plus grande au sien. N′y avait-il pas eu un moment où je ne reprenais vie et force que si j′avais, échafaudant toujours de nouveaux projets, cherché quelqu′un qui me ferait recevoir par elle et, après ce premier bonheur, en procurerait bien d′autres à mon coeur de plus en plus exigeant? C′était l′impossibilité de rien trouver qui m′avait fait partir à Doncières voir Robert de Saint–Loup. Et maintenant, c′était bien par les conséquences dérivant d′une lettre de lui que j′étais agité, mais à cause de Mme de Stermaria et non de Mme de Guermantes.
But if I was surprised by the modification that had occurred in her opinion of me, how much more did it surprise me to find a similar but ever so much greater change in my feeling for her. Had there not been a time during which I could regain life and strength only if — always building new castles in the air! — I had found some one who would obtain for me an invitation to her house and, after this initial boon, would procure many others for my increasingly exacting heart? It was the impossibility of finding any avenue there that had made me leave Paris for Doncières to visit Robert de Saint-Loup. And now it was indeed by the consequence of a letter from him that I was agitated, but on account this time of Mme. de Stermaria, not of Mme. de Guermantes.
Ajoutons, pour en finir avec cette soirée, qu′il s′y passa un fait, démenti quelques jours après, qui ne laissa pas de m′étonner, me brouilla pour quelque temps avec Bloch, et qui constitue en soi une de ces curieuses contradictions dont on va trouver l′explication à la fin de ce volume[1] (Sodome I). Donc, chez Mme de Villeparisis, Bloch ne cessa de me vanter l′air d′amabilité de M. de Charlus, lequel Charlus, quand il le rencontrait dans la rue, le regardait dans les yeux comme s′il le connaissait, avait envie de le connaître, savait très bien qui il était. J′en souris d′abord, Bloch s′étant exprimé avec tant de violence à Balbec sur le compte du même M. de Charlus. Et je pensai simplement que Bloch, à l′instar de son père pour Bergotte, connaissait le baron «sans le connaître». Et que ce qu′il prenait pour un regard aimable était un regard distrait. Mais enfin Bloch vint à tant de précisions, et sembla si certain qu′à deux ou trois reprises M. de Charlus avait voulu l′aborder, que, me rappelant que j′avais parlé de mon camarade au baron, lequel m′avait justement, en revenant d′une visite chez Mme de Villeparisis, posé sur lui diverses questions, je fis la supposition que Bloch ne mentait pas, que M. de Charlus avait appris son nom, qu′il était mon ami, etc. . . . Aussi quelque temps après, au théâtre, je demandai à M. de Charlus de lui présenter Bloch, et sur son acquiescement allai le chercher. Mais dès que M. de Charlus l′aperçut, un étonnement aussitôt réprimé se peignit sur sa figure où il fut remplacé par une étincelante fureur. Non seulement il ne tendit pas la main à Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui répondit de l′air le plus insolent, d′une voix irritée et blessante. De sorte que Bloch, qui, à ce qu′il disait, n′avait eu jusque-là du baron que des sourires, crut que je l′avais non pas recommandé mais desservi, pendant le court entretien où, sachant le goût de M. de Charlus pour les protocoles, je lui avais parlé de mon camarade avant de l′amener à lui. Bloch nous quitta, éreinté comme qui a voulu monter un cheval tout le temps prêt à prendre le mors aux dents, ou nager contre des vagues qui vous rejettent sans cesse sur le galet, et ne me reparla pas de six mois.
Let me add further, to conclude my account of this party, that there Occurred at it an incident, contradicted a few days later, which continued to puzzle me, interrupted for some time my friendship with Bloch, and constitutes in itself one of those curious paradoxes the explanation of which will be found in the next part of this work. At this party at Mme. de Villeparisis′s, Bloch kept on boasting to me about the friendly attentions shewn him by M. de Charlus, who, when he passed him in the street, looked him straight in the face as though he recognised him, was anxious to know him personally, knew quite well who he was. I smiled at first, Bloch having expressed so vehemently at Balbec his contempt for the said M. de Charlus. And I supposed merely that Bloch, like his father in the Case of Bergotte, knew the Baron ‘without actually knowing him,′ and that what he took for a friendly glance was due to absent-mindedness. But finally Bloch became so precise and appeared so confident that on two or three occasions M. de Charlus had wished to address him that, remembering that I had spoken of my friend to the Baron, who had, as we walked away together from this very house, as it happened, asked me various questions about him, I came to the conclusion that Bloch was not lying that M. de Charlus had heard his name, realised that he was my friend′ and so forth. And so, a little later, at the theatre one evening, I asked M! de Charlus if I might introduce Bloch to him, and, on his assenting, went in search of my friend. But as soon as M. de Charlus caught sight of him an expression of astonishment, instantly repressed, appeared on his face where it gave way to a blazing fury. Not only did he not offer Bloch his hand but whenever Bloch spoke to him he replied in the most insolent manner, in an angry and wounding tone. So that Bloch, who, according to his version, had received nothing until then from the Baron but smiles, assumed that I had not indeed commended but disparaged him in the short speech in which, knowing M. de Charlus′s liking for formal procedure, I had told him about my friend before bringing him up to be introduced. Bloch left us, his spirit broken, like a man who has been trying to mount a horse which is always ready to take the bit in its teeth, or to swim against waves which continually dash him back on the shingle, and did not speak to me again for six months.
[SMALL>[Footnote 1: Dans l′édition originale «Sodome et Gomorrhe I» se trouvait compris dans le même volume que cette 2e partie du Côté de Guermantes, ce qui explique la phrase et la parenthèse. Mais, dans cette édition inoctavo, le titre de Sodome est reporté au volume suivant.][/SMALL>
Les jours qui précédèrent mon dîner avec Mme de Stermaria me furent, non pas délicieux, mais insupportables. C′est qu′en général, plus le temps qui nous sépare de ce que nous nous proposons est court, plus il nous semble long, parce que nous lui appliquons des mesures plus brèves ou simplement parce que nous songeons à le mesurer. La papauté, dit-on, compte par siècles, et peut-être même ne songe pas à compter, parce que son but est à l′infini. Le mien étant seulement à la distance de trois jours, je comptais par secondes, je me livrais à ces imaginations qui sont des commencements de caresses, de caresses qu′on enrage de ne pouvoir faire achever par la femme elle-même (ces caresses-là précisément, à l′exclusion de toutes autres). Et en somme, s′il est vrai qu′en général la difficulté d′atteindre l′objet d′un désir l′accroît (la difficulté, non l′impossibilité, car cette dernière le supprime), pourtant pour un désir tout physique, la certitude qu′il sera réalisé à un moment prochain et déterminé n′est guère moins exaltante que l′incertitude; presque autant que le doute anxieux, l′absence de doute rend intolérable l′attente du plaisir infaillible parce qu′elle fait de cette attente un accomplissement innombrable et, par la fréquence des représentations anticipées, divise le temps en tranches aussi menues que ferait l′angoisse. Ce qu′il me fallait, c′était posséder Mme de Stermaria, car depuis plusieurs jours, avec une activité incessante, mes désirs avaient préparé ce plaisir-là, dans mon imagination, et ce plaisir seul, un autre (le plaisir avec une autre) n′eût pas, lui, été prêt, le plaisir n′étant que la réalisation d′une envie préalable et qui n′est pas toujours la même, qui change selon les mille combinaisons de la rêverie, les hasards du souvenir, l′état du tempérament, l′ordre de disponibilité des désirs dont les derniers exaucés se reposent jusqu′à ce qu′ait été un peu oubliée la déception de l′accomplissement; je n′eusse pas été prêt, j′avais déjà quitté la grande route des désirs généraux et m′étais engagé dans le sentier d′un désir particulier; il aurait fallu, pour désirer un autre rendez-vous, revenir de trop loin pour rejoindre la grande route et prendre un autre sentier. Posséder Mme de Stermaria dans l′île du Bois de Boulogne où je l′avais invitée à dîner, tel était le plaisir que j′imaginais à toute minute. Il eût été naturellement détruit, si j′avais dîné dans cette île sans Mme de Stermaria; mais peut-être aussi fort diminué, en dînant, même avec elle, ailleurs. Du reste, les attitudes selon lesquelles on se figure un plaisir sont préalables à la femme, au genre de femmes qui convient pour cela. Elles le commandent, et aussi le lieu; et à cause de cela font revenir alternativement, dans notre capricieuse pensée, telle femme, tel site, telle chambre qu′en d′autres semaines nous eussions dédaignés. Filles de l′attitude, telles femmes ne vont pas sans le grand lit où on trouve la paix à leur côté, et d′autres, pour être caressées avec une intention plus secrète, veulent les feuilles au vent, les eaux dans la nuit, sont légères et fuyantes autant qu′elles.
The days that preceded my dinner with Mme. de Stermaria were for me by no means delightful, in fact it was all I could do to live through them. For as a general rule, the shorter the interval is that separates us from our planned objective, the longer it seems to us, because we apply to it a more minute scale of measurement, or simply because it occurs to us to measure it at all. The Papacy, we are told, reckons by centuries, and indeed may not think perhaps of reckoning time at all, since its goal is in eternity. Mine was no more than three days off; I counted by seconds, I gave myself up to those imaginings which are the first movements of caresses, of caresses which it maddens us not to be able to make the woman herself reciprocate and complete — those identical caresses, to the exclusion of all others. And, as a matter of fact, it is true that, generally speaking, the difficulty of attaining to the object of a desire enhances that desire (the difficulty, not the impossibility, for that suppresses it altogether), yet in the case of a desire that is wholly physical the certainty that it will be realised, at a fixed and not distant point in time, is scarcely less exciting than uncertainty; almost as much as an anxious doubt, the absence of doubt makes intolerable the period of waiting for the pleasure that is bound to come, because it makes of that suspense an innumerably rehearsed accomplishment and by the frequency of our proleptic representations divides time into sections as minute as could be carved by agony. What I required was to possess Mme. de Stermaria, for during the last few days, with an incessant activity, my desires had been preparing this pleasure, in my imagination, and this pleasure alone, for any other kind (pleasure, that is, taken with another woman) would not have been ready, pleasure being but the realisation of a previous wish, and of one which is not always the same, but changes according to the endless combinations of one′s fancies, the accidents of one′s memory, the state of one′s temperament, the variability of one′s desires, the most recently granted of which lie dormant until the disappointment of their satisfaction has been to some extent forgotten; I should not have been prepared, I had already turned from the main road of general desires and had ventured along the bridle-path of a particular desire; I should have had — in order to wish for a different assignation — to retrace my steps too far before rejoining the main road and taking another path. To take possession of Mme. de Stermaria on the island in the Bois de Boulogne where I had asked her to dine with me, this was the pleasure that I imagined to myself afresh every moment. It would have automatically perished if I had dined on that island without Mme. de Stermaria; but perhaps as greatly diminished had I dined, even with her, somewhere else. Besides, the attitudes in which one pictures a pleasure to oneself exist previously to the woman, to the type of woman required to give one that pleasure. They dictate the pleasure, and the place as well, and on that account bring to the fore alternatively, in our capricious fancy, this or that woman, this or that scene, this or that room, which in other weeks we should have dismissed with contempt. Child of the attitude that produced her, one woman will not appeal to us without the large bed in which we find peace by her side, while others, to be caressed with a more secret intention, require leaves blown by the wind, water rippling in the night, are as frail and fleeting as they.
Sans doute déjà, bien avant d′avoir reçu la lettre de Saint–Loup, et quand il ne s′agissait pas encore de Mme de Stermaria, l′île du Bois m′avait semblé faite pour le plaisir parce que je m′étais trouvé aller y goûter la tristesse de n′en avoir aucun à y abriter. C′est aux bords du lac qui conduisent à cette île et le long desquels, dans les dernières semaines de l′été, vont se promener les Parisiennes qui ne sont pas encore parties, que, ne sachant plus où la retrouver, et si même elle n′a pas déjà quitté Paris, on erre avec l′espoir de voir passer la jeune fille dont on est tombé amoureux dans le dernier bal de l′année, qu′on ne pourra plus retrouver dans aucune soirée avant le printemps suivant. Se sentant à la veille, peut-être au lendemain du départ de l′être aimé, on suit au bord de l′eau frémissante ces belles allées où déjà une première feuille rouge fleurit comme une dernière rose, on scrute cet horizon où, par un artifice inverse à celui de ces panoramas sous la rotonde desquels les personnages en cire du premier plan donnent à la toile peinte du fond l′apparence illusoire de la profondeur et du volume, nos yeux passant sans transition du parc cultivé aux hauteurs naturelles de Meudon et du mont Valérien ne savent pas où mettre une frontière, et font entrer la vraie campagne dans l′oeuvre du jardinage dont ils projettent bien au delà d′elle-même l′agrément artificiel; ainsi ces oiseaux rares élevés en liberté dans un jardin botanique et qui chaque jour, au gré de leurs promenades ailées, vont poser jusque dans les bois limitrophes une note exotique. Entre la dernière fête de l′été et l′exil de l′hiver, on parcourt anxieusement ce royaume romanesque des rencontres incertaines et des mélancolies amoureuses, et on ne serait pas plus surpris qu′il fût situé hors de l′univers géographique que si à Versailles, au haut de la terrasse, observatoire autour duquel les nuages s′accumulent contre le ciel bleu dans le style de Van der Meulen, après s′être ainsi élevé en dehors de la nature, on apprenait que là où elle recommence, au bout du grand canal, les villages qu′on ne peut distinguer, à l′horizon éblouissant comme la mer, s′appellent Fleurus ou Nimègue.
No doubt in the past, long before I received Saint-Loup′s letter and when there was as yet no question of Mme. de Stermaria, the island in the Bois had seemed to me to be specially designed for pleasure, because I had found myself going there to taste the bitterness of having no pleasure to enjoy in its shelter. It is to the shores of the lake from which one goes to that island, and along which, in the last weeks of summer, those ladies of Paris who have not yet left for the country take the air, that, not knowing where to look for her, or if indeed she has not already left Paris, one wanders in the hope of seeing the girl go by with whom one fell in love at the last ball of the season, whom one will not have a chance of meeting again in any drawing-room until the following spring. Feeling it to be at least the eve, if not the morrow, of the beloved′s departure, one follows along the brink of the shivering water those attractive paths by which already a first red leaf is blooming like a last rose, one scans that horizon where, by a device the opposite of that employed in those panoramas beneath whose domed roofs the wax figures in the foreground impart to the painted canvas beyond them the illusory appearance of depth and mass, our eyes, passing without any transition from the cultivated park to the natural heights of Meudon and the Mont Valérien, do not know where to set the boundary, and make the natural country trespass upon the handiwork of the gardener, of which they project far beyond its own limits the artificial charm; like those rare birds reared in the open in a botanical garden which every day in the liberty of their winged excursions sally forth to strike, among the surrounding woods, an exotic note. Between the last festivity of summer and one′s winter exile, one ranges anxiously that romantic world of chance encounters and lover′s melancholy, and one would be no more surprised to learn that it was situated outside the mapped universe than if, at Versailles, looking down from the terrace, an observatory round which the clouds are massed against a blue sky in the manner of Van der Meulen, after having thus risen above the bounds of nature, one were informed that, there where nature begins again at the end of the great canal, the villages which one just could not make out, on a horizon as dazzling as the sea, were called Fleurus or Nimègue.
Et le dernier équipage passé, quand on sent avec douleur qu′elle ne viendra plus, on va dîner dans l′île; au-dessus des peupliers tremblants, qui rappellent sans fin les mystères du soir plus qu′ils n′y répondent, un nuage rose met une dernière couleur de vie dans le ciel apaisé. Quelques gouttes de pluie tombent sans bruit sur l′eau antique, mais dans sa divine enfance restée toujours couleur du temps et qui oublie à tout moment les images des nuages et des fleurs. Et après que les géraniums ont inutilement, en intensifiant l′éclairage de leurs couleurs, lutté contre le crépuscule assombri, une brume vient envelopper l′île qui s′endort; on se promène dans l′humide obscurité le long de l′eau ou tout au plus le passage silencieux d′un cygne vous étonne comme dans un lit nocturne les yeux un instant grands ouverts et le sourire d′un enfant qu′on ne croyait pas réveillé. Alors on voudrait d′autant plus avoir avec soi une amoureuse qu′on se sent seul et qu′on peut se croire loin.
And then, the last carriage having rolled by, when one feels with a throb of pain that she will not come now, one goes to dine on the island; above the shivering poplars which suggest endless mysteries of evening though without response, a pink cloud paints a last touch of life in the tranquil sky. A few drops of rain fall without noise on the water, ancient but still in its diyine infancy coloured always by the weather and continually forgetting the reflexions of clouds and flowers. And after the geraniums have vainly striven, by intensifying the brilliance of their scarlet, to resist the gathering darkness, a mist rises to envelop the now slumbering island; one walks in the moist dimness along the water′s edge, where at the most the silent passage of a swan startles one like, in a bed, at night, the eyes, for a moment wide open, and the swift smile of a child whom one did not suppose to be awake. Then one would like to have with one a loving companion, all the more as one feels oneself to be alone and can imagine oneself to be far away from the world.
Mais dans cette île, où même l′été il y avait souvent du brouillard, combien je serais plus heureux d′emmener Mme de Stermaria maintenant que la mauvaise saison, que la fin de l′automne était venue. Si le temps qu′il faisait depuis dimanche n′avait à lui seul rendu grisâtres et maritimes les pays dans lesquels mon imagination vivait — comme d′autres saisons les faisaient embaumés, lumineux, italiens — l′espoir de posséder dans quelques jours Mme de Stermaria eût suffi pour faire se lever vingt fois par heure un rideau de brume dans mon imagination monotonement nostalgique. En tout cas, le brouillard qui depuis la veille s′était élevé même à Paris, non seulement me faisait songer sans cesse au pays natal de la jeune femme que je venais d′inviter, mais comme il était probable que, bien plus épais encore que dans la ville, il devait le soir envahir le Bois, surtout au bord du lac, je pensais qu′il ferait pour moi de l′île des Cygnes un peu l′île de Bretagne dont l′atmosphère maritime et brumeuse avait toujours entouré pour moi comme un vêtement la pâle silhouette de Mme de Stermaria. Certes quand on est jeune, à l′âge que j′avais dans mes promenades du côté de Méséglise, notre désir, notre croyance confère au vêtement d′une femme une particularité individuelle, une irréductible essence. On poursuit la réalité. Mais à force de la laisser échapper, on finit par remarquer qu′à travers toutes ces vaines tentatives où on a trouvé le néant, quelque chose de solide subsiste, c′est ce qu′on cherchait. On commence à dégager, à connaître ce qu′on aime, on tâche à se le procurer, fût-ce au prix d′un artifice. Alors, à défaut de la croyance disparue, le costume signifie la suppléance à celle-ci par le moyen d′une illusion volontaire. Je savais bien qu′à une demi-heure de la maison je ne trouverais pas la Bretagne. Mais en me promenant enlacé à Mme de Stermaria, dans les ténèbres de l′île, au bord de l′eau, je ferais comme d′autres qui, ne pouvant pénétrer dans un couvent, du moins, avant de posséder une femme, l′habillent en religieuse.
But to this island, where even in summer there was often a mist, how much more gladly would I have brought Mme. de Stermaria now that the cold season, the back end of autumn had come. If the weather that had prevailed since Sunday had not by itself rendered grey and maritime the scenes in which my imagination was living — as other seasons made them balmy, luminous, Italian — the hope of, in a few days′ time, making Mme. de Stermaria mine would have been quite enough to raise, twenty times in an hour, a curtain of mist in my monotonously lovesick imagination. In any event the mist, which since yesterday had risen even in Paris, not only made me think incessantly of the native place of the young woman whom I had invited to dine with me, but, since it was probable that, far more thickly than in the streets of the town, it must after sunset be invading the Bois, especially the shores of the lake, I thought that it would make the Swans′ Island, for me, something like that Breton island the marine and misty atmosphere of which had always enwrapped in my mind like a garment the pale outline of Mme. de Stermaria. Of course when we are young, at the age I had reached at the period of my walks along the Méséglise way, our desires, our faith bestow on a woman′s clothing an individual personality, an ultimate quintessence. We pursue reality. But by dint of allowing it to escape we end by noticing that, after all those vain endeavours which have led to nothing, something solid subsists, which is what we have been seeking. We begin to separate, to recognise what we love, we try to procure it for ourselves, be it only by a stratagem. Then, in the absence of our vanished faith, costume fills the gap, by means of a deliberate illusion. I knew quite well that within half an hour of home I should not find myself in Brittany. But in walking arm in arm with Mme. de Stermaria in the dusk of the island, by the water′s edge, I should be acting like other men who, unable to penetrate the walls of à convent, do at least, before enjoying a woman, clothe her in the habit of a nun.
Je pouvais même espérer d′écouter avec la jeune femme quelque clapotis de vagues, car, la veille du dîner, une tempête se déchaîna. Je commençais à me raser pour aller dans l′île retenir le cabinet (bien qu′à cette époque de l′année l′île fût vide et le restaurant désert) et arrêter le menu pour le dîner du lendemain, quand Françoise m′annonça Albertine. Je fis entrer aussitôt, indifférent à ce qu′elle me vît enlaidi d′un menton noir, celle pour qui à Balbec je ne me trouvais jamais assez beau, et qui m′avait coûté alors autant d′agitation et de peine que maintenant Mme de Stermaria. Je tenais à ce que celle-ci reçût la meilleure impression possible de la soirée du lendemain. Aussi je demandai à Albertine de m′accompagner tout de suite jusqu′à l′île pour m′aider à faire le menu. Celle à qui on donne tout est si vite remplacée par une autre, qu′on est étonné soi-même de donner ce qu′on a de nouveau, à chaque heure, sans espoir d′avenir. A ma proposition le visage souriant et rose d′Albertine, sous un toquet plat qui descendait très bas, jusqu′aux yeux, sembla hésiter. Elle devait avoir d′autres projets; en tout cas elle me les sacrifia aisément, à ma grande satisfaction, car j′attachais beaucoup d′importance à avoir avec moi une jeune ménagère qui saurait bien mieux commander le dîner que moi.
I could even look forward to hearing, as I sat with the lady, the lapping of waves, for, on the day before our dinner, a storm broke over Paris. I was beginning to shave myself before going to the island to engage the room (albeit at this time of year the island was empty and the restaurant deserted) and order the food for our dinner next day when Françoise came in to tell me that Albertine had called. I made her come in at once, indifferent to her finding me disfigured by a bristling chin, her for whom at Balbec I had never felt smart enough and who had cost me then as much agitation and distress as Mme. de Stermaria was costing me now. The latter, I was determined, must go away with the best possible impression from our evening together. Accordingly I asked Albertine to come with me there and then to the island to order the food. She to whom one gives everything is so quickly replaced by another that one is surprised to find oneself giving all that one has, afresh, at every moment, without any hope of future reward. At my suggestion the smiling rosy face beneath Albertine′s flat cap, which came down very low, to her eyebrows, seemed to hesitate. She had probably other plans; if so she sacrificed them willingly, to my great satisfaction, for I attached the utmost importance to my having with me a young housewife who would know a great deal more than myself about ordering dinner.
Il est certain qu′elle avait représenté tout autre chose pour moi, à Balbec. Mais notre intimité, même quand nous ne la jugeons pas alors assez étroite, avec une femme dont nous sommes épris crée entre elle et nous, malgré les insuffisances qui nous font souffrir alors, des liens sociaux qui survivent à notre amour et même au souvenir de notre amour. Alors, dans celle qui n′est plus pour nous qu′un moyen et un chemin vers d′autres, nous sommes tout aussi étonnés et amusés d′apprendre de notre mémoire ce que son nom signifia d′original pour l′autre être que nous avons été autrefois, que si, après avoir jeté à un cocher une adresse, boulevard des Capucines ou rue du Bac, en pensant seulement à la personne que nous allons y voir, nous nous avisons que ces noms furent jadis celui des religieuses capucines dont le couvent se trouvait là et celui du bac qui traversait la Seine.
It is quite true that she had represented something utterly different for me at Balbec. But our intimacy, even when we do not consider it close enough at the time, with a woman with whom we are in love creates between her and us, in spite of the shortcomings that pain us while our love lasts, social ties which outlast our love and even the memory of our love. Then, in her who is nothing more for us than a means of approach, an avenue towards others, we are just as astonished and amused to learn from our memory what her name meant originally to that other creature which we then were as if, after giving a cabman an address in the Boulevard des Capucines or the Rue du Bac, thinking only of the person whom we are going to see there, we remind ourself that the names were once those of, respectively, the Capuchin nuns whose convent stood on the site and the ferry across the Seine.
Certes, mes désirs de Balbec avaient si bien mûri le corps d′Albertine, y avaient accumulé des saveurs si fraîches et si douces que, pendant notre course au Bois, tandis que le vent, comme un jardinier soigneux, secouait les arbres, faisait tomber les fruits, balayait les feuilles mortes, je me disais que, s′il y avait eu un risque pour que Saint–Loup se fût trompé, ou que j′eusse mal compris sa lettre et que mon dîner avec Mme de Stermaria ne me conduisît à rien, j′eusse donné rendez-vous pour le même soir très tard à Albertine, afin d′oublier pendant une heure purement voluptueuse, en tenant dans mes bras le corps dont ma curiosité avait jadis supputé, soupesé tous les charmes dont il surabondait maintenant, les émotions et peut-être les tristesses de ce commencement d′amour pour Mme de Stermaria. Et certes, si j′avais pu supposer que Mme de Stermaria ne m′accorderait aucune faveur le premier soir, je me serais représenté ma soirée avec elle d′une façon assez décevante. Je savais trop bien par expérience comment les deux stades qui se succèdent en nous, dans ces commencements d′amour pour une femme que nous avons désirée sans la connaître, aimant plutôt en elle la vie particulière où elle baigne qu′elle-même presque inconnue encore — comment ces deux stades se reflètent bizarrement dans le domaine des faits, c′est-à-dire non plus en nous-même, mais dans nos rendez-vous avec elle. Nous avons, sans avoir jamais causé avec elle, hésité, tentés que nous étions par la poésie qu′elle représente pour nous. Sera-ce elle ou telle autre? Et voici que les rêves se fixent autour d′elle, ne font plus qu′un avec elle. Le premier rendez-vous avec elle, qui suivra bientôt, devrait refléter cet amour naissant. Il n′en est rien. Comme s′il était nécessaire que la vie matérielle eût aussi son premier stade, l′aimant déjà, nous lui parlons de la façon la plus insignifiante: «Je vous ai demandé de venir dîner dans cette île parce que j′ai pensé que ce cadre vous plairait. Je n′ai du reste rien de spécial à vous dire. Mais j′ai peur qu′il ne fasse bien humide et que vous n′ayez froid. — Mais non. — Vous le dites par amabilité. Je vous permets, madame, de lutter encore un quart d′heure contre le froid, pour ne pas vous tourmenter, mais dans un quart d′heure, je vous ramènerai de force. Je ne veux pas vous faire prendre un rhume.» Et sans lui avoir rien dit, nous la ramenons, ne nous rappelant rien d′elle, tout au plus une certaine façon de regarder, mais ne pensant qu′à la revoir. Or, la seconde fois (ne retrouvant même plus le regard, seul souvenir, mais ne pensant plus malgré cela qu′à la revoir) le premier stade est dépassé. Rien n′a eu lieu dans l′intervalle. Et pourtant, au lieu de parler du confort du restaurant, nous disons, sans que cela étonne la personne nouvelle, que nous trouvons laide, mais à qui nous voudrions qu′on parle de nous à toutes les minutes de sa vie: «Nous allons avoir fort à faire pour vaincre tous les obstacles accumulés entre nos coeurs. Pensez-vous que nous y arriverons? Vous figurez-vous que nous puissions avoir raison de nos ennemis, espérer un heureux avenir?» Mais ces conversations, d′abord insignifiantes, puis faisant allusion à l′amour, n′auraient pas lieu, j′en pouvais croire la lettre de Saint–Loup. Mme de Stermaria se donnerait dès le premier soir, je n′aurais donc pas besoin de convoquer Albertine chez moi, comme pis aller, pour la fin de la soirée. C′était inutile, Robert n′exagérait jamais et sa lettre était claire!
At the same time, my Balbec desires had so generously ripened Albertine′s body, had gathered and stored in it savours so fresh and sweet that, as we drove through the Bois, while the wind like a careful gardener shook the trees, brought down the fruit, swept up the fallen leaves, I said to myself that had there been any risk of Saint-Loup′s being mistaken, or of my having misunderstood his letter, so that my dinner with Mme. de Stermaria might lead to no satisfactory result, I should have made an appointment for the same evening, later on, with Albertine, so as to forget, for a purely voluptuous hour, as I held in my arms a body of which my curiosity had long since computed, weighed up all the possible charms in which now it abounded, the emotions and perhaps the regrets of this first phase of love for Mme. de Stermaria. And certainly if I could have supposed that Mme de Stermaria would not grant me any of her favours at our first meeting, I should have formed a slightly depressing picture of my evening with her. I knew too well from experience how the two stages which occur in us in the first phase of our love for a woman whom we have desired without knowing her, loving in her rather the particular kind of existence in which she is steeped than her still unfamiliar self — how distorted is the reflexion of those two stages in the world of facts, that is to say not in ourselves any longer but in our meetings with her. We have, without ever having talked to her, hesitated, tempted as we were by the poetic charm which she represented for us. Shall it be this woman or another? And lo, our dreams become fixed round about her, cease to have any separate existence from her. The first meeting with her which will shortly follow should reflect this dawning love. Nothing of the sort. As if it were necessary that our material life should have its first period also, in love with her already, we talk to her in the most trivial fashion: “I asked you to dine on this island because I thought the surroundings would amuse you. I′ve nothing particular to say to you, don′t you know. But it′s rather damp, I′m afraid, and you may find it cold —” “Oh, no, not at all!” “You just say that out of politeness. Very well, Madame, I shall allow you to battle against the cold for another quarter of an hour, as I don′t want to bother you, but in fifteen minutes I shall carry you off by force. I don′t want to have you catching a chill.” And without another word said we take her home, remembering nothing about her, at the most a certain look in her eyes, but thinking only of seeing her again. Well, at our second meeting (when we do not find even that look, our sole memory of her, but nevertheless have been thinking only of seeing her again), the first stage is passed. Nothing has happened in the interval. And yet, instead of talking about the comfort or want of comfort of the restaurant, we say, without our words appearing to surprise the new person, who seems to us positively plain but to whom we should like to think that people were talking about us at every moment in her life: “We are going to have our work cut out to overcome all the obstacles in our way. Do you think we shall be successful? Do you suppose that we can triumph over our enemies — live happily ever afterwards, and all that sort of thing?” But these conversational openings, trivial to begin with, then hinting at love, would not be required; I could trust Saint-Loup′s letter for that. Mme. de Stermaria would yield herself to me from the first, I should have no need therefore to engage Albertine to come to me, as a makeshift, later in the evening. It would be superfluous; Robert never exaggerated, and his letter was explicit.
Albertine me parlait peu, car elle sentait que j′étais préoccupé. Nous fîmes quelques pas à pied, sous la grotte verdâtre, quasi sous-marine, d′une épaisse futaie sur le dôme de laquelle nous entendions déferler le vent et éclabousser la pluie. J′écrasais par terre des feuilles mortes, qui s′enfonçaient dans le sol comme des coquillages, et je poussais de ma canne des châtaignes piquantes comme des oursins.
Albertine spoke hardly at all, conscious that my thoughts were elsewhere. We went a little way on foot into the greenish, almost submarine grotto of a dense mass of trees, on the domed tops of which we heard the wind sweep and the rain pelt. I trod underfoot dead leaves which, like shells, were trampled into the soil, and poked with my stick at fallen chestnuts prickly as sea-urchins.
Aux branches les dernières feuilles convulsées ne suivaient le vent que de la longueur de leur attache, mais quelquefois, celle-ci se rompant, elles tombaient à terre et le rattrapaient en courant. Je pensais avec joie combien, si ce temps durait, l′île serait demain plus lointaine encore et en tout cas entièrement déserte. Nous remontâmes en voiture, et comme la bourrasque s′était calmée, Albertine me demanda de poursuivre jusqu′à Saint–Cloud. Ainsi qu′en bas les feuilles mortes, en haut les nuages suivaient le vent. Et des soirs migrateurs, dont une sorte de section conique pratiquée dans le ciel laissait voir la superposition rose, bleue et verte, étaient tout préparés à destination de climats plus beaux. Pour voir de plus près une déesse de marbre qui s′élançait de son socle, et, toute seule dans un grand bois qui semblait lui être consacré, l′emplissait de la terreur mythologique, moitié animale, moitié sacrée de ses bonds furieux, Albertine monta sur un tertre, tandis que je l′attendais sur le chemin. Elle-même, vue ainsi d′en bas, non plus grosse et rebondie comme l′autre jour sur mon lit où les grains de son cou apparaissaient à la loupe de mes yeux approchés, mais ciselée et fine, semblait une petit statue sur laquelle les minutes heureuses de Balbec avaient passé leur patine. Quand je me retrouvai seul chez moi, me rappelant que j′avais été faire une course l′après-midi avec Albertine, que je dînais le surlendemain chez Mme de Guermantes, et que j′avais à répondre à une lettre de Gilberte, trois femmes que j′avais aimées, je me dis que notre vie sociale est, comme un atelier d′artiste, remplie des ébauches délaissées où nous avions cru un moment pouvoir fixer notre besoin d′un grand amour, mais je ne songeai pas que quelquefois, si l′ébauche n′est pas trop ancienne, il peut arriver que nous la reprenions et que nous en fassions une oeuvre toute différente, et peut-être même plus importante que celle que nous avions projetée d′abord.
On the boughs the last clinging leaves, shaken by the wind, followed it only as far as their stems would allow, but sometimes these broke, and they fell to the ground, along which they coursed to overtake it. I thought with joy how much more remote still, if this weather lasted, the island would be on the morrow — and in any case quite deserted. We returned to our carriage and, as the storm had passed off, Albertine asked me to take her on to Saint-Cloud. As on the ground the drifting leaves so up above the clouds were chasing the wind. And a stream of migrant evenings, of which a sort of conic section cut through the sky made visible the successive layers, pink, blue and green, were gathered in readiness for departure to warmer climes. To obtain a closer view of a marble goddess who had been carved in the act of leaping from her pedestal and, alone in a great wood which seemed to be consecrated to her, filled it with the mythological terror, half animal, half divine, of her frenzied bounding, Albertine climbed a grassy slope while I waited for her in the road. She herself, seen thus from below, no longer coarse and plump as, a few days earlier, on my bed when the grain of her throat became apparent in the lens of my eye as it approached her person, but chiselled and delicate, seemed a little statue on which our happy hours together at Balbec had left their patina. When I found myself alone again at home, and remembered that I had taken a drive that afternoon with Albertine, that I was to dine in two days′ time with Mme. de Guermantes and that I had to answer a letter from Gilberte, three women each of whom I had once loved, I said to myself that our social existence is, like an artist′s studio, filled with abandoned sketches in which we have fancied for a moment that we could set down in permanent form our need of a great love, but it did not occur to me that sometimes, if the sketch be not too old, it may happen that we return to it and make of it a work wholly different, and possibly more important than what we had originally planned.
Le lendemain, il fit froid et beau: on sentait l′hiver (et, de fait, la saison était si avancée que c′était miracle si nous avions pu trouver dans le Bois déjà saccagé quelques dômes d′or vert). En m′éveillant je vis, comme de la fenêtre de la caserne de Doncières, la brume mate, unie et blanche qui pendait gaiement au soleil, consistante et douce comme du sucre filé. Puis le soleil se cacha et elle s′épaissit encore dans l′après-midi. Le jour tomba de bonne heure, je fis ma toilette, mais il était encore trop tôt pour partir; je décidai d′envoyer une voiture à Mme de Stermaria. Je n′osai pas y monter pour ne pas la forcer à faire la route avec moi, mais je remis au cocher un mot pour elle où je lui demandais si elle permettait que je vinsse la prendre. En attendant, je m′étendis sur mon lit, je fermai les yeux un instant, puis les rouvris. Au-dessus des rideaux, il n′y avait plus qu′un mince liséré de jour qui allait s′obscurcissant. Je reconnaissais cette heure inutile, vestibule profond du plaisir, et dont j′avais appris à Balbec à connaître le vide sombre et délicieux, quand, seul dans ma chambre comme maintenant, pendant que tous les autres étaient à dîner, je voyais sans tristesse le jour mourir au-dessus des rideaux, sachant que bientôt, après une nuit aussi courte que les nuits du pôle, il allait ressusciter plus éclatant dans le flamboiement de Rivebelle. Je sautai à bas de mon lit, je passai ma cravate noire, je donnai un coup de brosse à mes cheveux, gestes derniers d′une mise en ordre tardive, exécutés à Balbec en pensant non à moi mais aux femmes que je verrais à Rivebelle, tandis que je leur souriais d′avance dans la glace oblique de ma chambre, et restés à cause de cela les signes avant-coureurs d′un divertissement mêlé de lumières et de musique. Comme des signes magiques ils l′évoquaient, bien plus le réalisaient déjà; grâce à eux j′avais de sa vérité une notion aussi certaine, de son charme enivrant et frivole une jouissance aussi complète que celles que j′avais à Combray, au mois de juillet, quand j′entendais les coups de marteau de l′emballeur et que je jouissais, dans la fraîcheur de ma chambre noire, de la chaleur et du soleil.
The next day was cold and fine; winter was in the air — indeed the season was so far advanced that it had seemed miraculous that we should find in the already pillaged Bois a few domes of gilded green. When I awoke I saw, as from the window of the barracks at Doncières, a uniform, dead white mist which hung gaily in the sunlight, consistent and sweet as a web of spun sugar. Then the sun withdrew, and the mist thickened still further in the afternoon. Night fell early, I made ready for dinner, but it was still too soon to start; I decided to send a carriage for Mme. de Stermaria. I did not like to go for her in it myself, not wishing to force my company on her, but I gave the driver a note for her in which I asked whether she would mind my coming to call for her. While I waited for her answer I lay down on my bed, shut my eyes for a moment, then opened them again. Over the top of the curtains there was nothing now but a thin strip of daylight which grew steadily fainter. I recognised that wasted hour, the large ante-room of pleasure, the dark, delicious emptiness of which I had learned at Balbec to know and to enjoy when, alone in my room as I was now, while all the rest were at dinner, I saw without regret the daylight fade from above my curtains, knowing that, presently, after a night of arctic brevity, it was to be resuscitated in a more dazzling brightness in the lighted rooms of Rivebelle. I sprang from my bed, tied my black necktie, passed a brush over my hair, final gestures of a belated tidying carried out at Balbec with my mind not on myself but on the women whom I should see at Rivebelle while I smiled at them in anticipation in the mirror that stood across a corner of my room, gestures which, on that account, had continued to herald a form of entertainment in which music and lights would be mingled. Like magic signs they summoned, nay rather presented this entertainment already; thanks to them I had, of its intoxicating frivolous charm as complete an enjoyment as I had had at Combray, in the month of July, when I heard the hammer-blows ring on the packing cases and enjoyed, in the coolness of my darkened room, a sense of warmth and sunshine.
Aussi n′était-ce plus tout à fait Mme de Stermaria que j′aurais désiré voir. Forcé maintenant de passer avec elle ma soirée, j′aurais préféré, comme celle-ci était ma dernière avant le retour de mes parents, qu′elle restât libre et que je pusse chercher à revoir des femmes de Rivebelle. Je me relavai une dernière fois les mains, et dans la promenade que le plaisir me faisait faire à travers l′appartement, je me les essuyai dans la salle à manger obscure. Elle me parut ouverte sur l′antichambre éclairée, mais ce que j′avais pris pour la fente illuminée de la porte qui, au contraire, était fermée, n′était que le reflet blanc de ma serviette dans une glace posée le long du mur, en attendant qu′on la plaçât pour le retour de maman. Je repensai à tous les mirages que j′avais ainsi découverts dans notre appartement et qui n′étaient pas qu′optiques, car les premiers jours j′avais cru que la voisine avait un chien, à cause du jappement prolongé, presque humain, qu′avait pris un certain tuyau de cuisine chaque fois qu′on ouvrait le robinet. Et la porte du palier ne se refermait d′elle-même très lentement, sur les courants d′air de l′escalier, qu′en exécutant les hachures de phrases voluptueuses et gémissantes qui se superposent au choeur des Pèlerins, vers la fin de l′ouverture de Tannhäuser . J′eus du reste, comme je venais de remettre ma serviette en place, l′occasion d′avoir une nouvelle audition de cet éblouissant morceau symphonique, car un coup de sonnette ayant retenti, je courus ouvrir la porte de l′antichambre au cocher qui me rapportait la réponse. Je pensais que ce serait: «Cette dame est en bas», ou «Cette dame vous attend.» Mais il tenait à la main une lettre. J′hésitai un instant à prendre connaissance de ce que Mme de Stermaria avait écrit, qui tant qu′elle avait la plume en main aurait pu être autre, mais qui maintenant était, détaché d′elle, un destin qui poursuivait seul sa route et auquel elle ne pouvait plus rien changer. Je demandai au cocher de redescendre et d′attendre un instant, quoiqu′il maugréât contre la brume. Dès qu′il fut parti, j′ouvris l′enveloppe. Sur la carte: Vicomtesse Alix de Stermaria, mon invitée avait écrit: «Je suis désolée, un contretemps m′empêche de dîner ce soir avec vous à l′île du Bois. Je m′en faisais une fête. Je vous écrirai plus longuement de Stermaria. Regrets. Amitiés.» Je restai immobile, étourdi par le choc que j′avais reçu. A mes pieds étaient tombées la carte et l′enveloppe, comme la bourre d′une arme à feu quand le coup est parti. Je les ramassai, j′analysai cette phrase. «Elle me dit qu′elle ne peut dîner avec moi à l′île du Bois. On pourrait en conclure qu′elle pourrait dîner avec moi ailleurs. Je n′aurai pas l′indiscrétion d′aller la chercher, mais enfin cela pourrait se comprendre ainsi.» Et cette île du Bois, comme depuis quatre jours ma pensée y était installée d′avance avec Mme de Stermaria, je ne pouvais arriver à l′en faire revenir. Mon désir reprenait involontairement la pente qu′il suivait déjà depuis tant d′heures, et malgré cette dépêche, trop récente pour prévaloir contre lui, je me préparais instinctivement encore à partir, comme un élève refusé à un examen voudrait répondre à une question de plus. Je finis par me décider à aller dire à Françoise de descendre payer le cocher. Je traversai le couloir, ne la trouvant pas, je passai par la salle à manger; tout d′un coup mes pas cessèrent de retentir sur le parquet comme ils avaient fait jusque-là et s′assourdirent en un silence qui, même avant que j′en reconnusse la cause, me donna une sensation d′étouffement et de claustration. C′étaient les tapis que, pour le retour de mes parents, on avait commencé de clouer, ces tapis qui sont si beaux par les heureuses matinées, quand parmi leur désordre le soleil vous attend comme un ami venu pour vous emmener déjeuner à la campagne, et pose sur eux le regard de la forêt, mais qui maintenant, au contraire, étaient le premier aménagement de la prison hivernale d′où, obligé que j′allais être de vivre, de prendre mes repas en famille, je ne pourrais plus librement sortir.
Also, it was no longer exactly Mme. de Stermaria that I should have wished most to see. Forced now to spend my evening with her, I should have preferred, as it was almost the last before the return of my parents that it should remain free and myself try instead to find some of the women from Rivebelle. I gave my hands one more final wash and, my sense of pleasure keeping me on the move, dried them as I walked through the shuttered dining-room. It appeared to have a door open on to the lighted hall but what I had taken for the bright chink of the door, which as a matter of fact was closed, was only the gleaming reflexion of my towel in a mirror that had been laid against the wall in readiness to be fixed in its place before Mamma′s return. I thought of all the other illusions of the sort which I had discovered in different parts of the house, and which were not optical only, for when we first came there I had supposed that our next-door neighbour kept a dog on account of the continuous, almost human yapping which came from a certain pipe in the kitchen whenever the tap was turned on. And the door on to the outer landing never closed by itself, very gently, caught by a draught on the staircase, without rendering those broken, voluptuous, whimpering passages which sound over the chant of the pilgrims towards the end of Overture to Tannhäuser. I had, moreover, just as I had put my towel back on its rail, an opportunity of hearing a fresh rendering of this brilliant symphonic fragment, for at a peal of the bell I hurried out to open the door to the driver who had come with Mme. de Stermaria′s answer. I thought that his message would be: “The lady is downstairs,” or “The lady is waiting.” But he had a letter in his hand. I hesitated for a moment before looking to see what Mme. de Stermaria had written, who, while she held the pen in her hand, might have been anything but was now, detached from herself, an engine of fate, pursuing a course alone, which she was utterly powerless to alter. I asked the driver to wait downstairs for a moment, although he was cursing the fog. As soon as he had gone I opened the envelope. On her card, inscribed Vicomtesse Alix de. Stermaria, my guest had written: “Am so sorry — am unfortunately prevented from dining with you this evening on the island in the Bois. Had been so looking forward to it. Will write you a proper letter from Stermaria. Very sorry. Kindest regards.” I stood motionless, stunned by the shock that I had received. At my feet lay the card and envelope, fallen like the spent cartridge from a gun when the shot has been fired. I picked them up, tried to analyse her message. “She says that she cannot dine with me on the island in the Bois. One might gather from that that she would dine with me somewhere else. I shall not be so indiscreet as to go and fetch her, but, after all, that is quite a reasonable interpretation.” And from that island in the Bois, as for the last few days my thoughts had been installed there beforehand with Mme. de Stermâria, I could not succeed in bringing them back to where I was. My desire responded automatically to the gravitational force which had been pulling it now for so many hours on end, and in spite of this message, too recent to counteract that force, I went on instinctively getting ready to start, just as a student, although ploughed by the examiners, tries to answer one question more. At last I decided to tell Françoise to go down and pay the driver. I went along the passage without finding her, I passed through the dining-room, where suddenly my feet ceased to sound on the bare boards as they had been doing and were hushed to a silence which, even before I had realised the explanation of it, gave me a feeling of suffocation and confinement. It was the carpets which, in view of my parents′ return, the servants had begun to put down again, those carpets which look so well on bright mornings when amid their disorder the sun stays and waits for you like a friend come to take you out to luncheon in the country, and casts over them the dappled light and shade of the forest, but which now on the contrary were the first installation of the wintry prison from which, obliged as I should be to live, to take my meals at home, I should no longer be free now to escape when I chose.
— Que Monsieur prenne garde de tomber, ils ne sont pas encore cloués, me cria Françoise. J′aurais dû allumer. On est déjà à la fin de sectembre , les beaux jour sont finis. Bientôt l′hiver; au coin de la fenêtre, comme sur un verre de Gallé, une veine de neige durcie; et, même aux Champs-Élysées, au lieu des jeunes filles qu′on attend, rien que les moineaux tout seuls.
“Take care you don′t slip, Sir; they′re not tacked yet,” Françoise called to me. “I ought to have lighted up. Oh, dear, it′s the end of ‘Sectember′ already, the fine days are over.” In no time, winter; at the corner of a window, as in a Galle glass, a vein of crusted snow; and even in the Champs-Elysées, instead of the girls one waits to see, nothing but solitary sparrows.
Ce qui ajoutait à mon désespoir de ne pas voir Mme de Stermaria, c′était que sa réponse me faisait supposer que pendant qu′heure par heure, depuis dimanche, je ne vivais que pour ce dîner, elle n′y avait sans doute pas pensé une fois. Plus tard, j′appris un absurde mariage d′amour qu′elle fit avec un jeune homme qu′elle devait déjà voir à ce moment-là et qui lui avait fait sans doute oublier mon invitation. Car si elle se l′était rappelée, elle n′eût pas sans doute attendu la voiture que je ne devais du reste pas, d′après ce qui était convenu, lui envoyer, pour m′avertir qu′elle n′était pas libre. Mes rêves de jeune vierge féodale dans une île brumeuse avaient frayé le chemin à un amour encore inexistant. Maintenant ma déception, ma colère, mon désir désespéré de ressaisir celle qui venait de se refuser, pouvaient, en mettant ma sensibilité de la partie, fixer l′amour possible que jusque-là mon imagination seule m′avait, mais plus mollement, offert.
What added to my distress at not seeing Mme. de Stermâria was that her answer led me to suppose that whereas, hour by hour, since Sunday, I had been living for this dinner alone, she had presumably never given it a second thought. Later on I learned of an absurd love match that she had suddenly made with a young man whom she must already have been seeing at this time, and who had presumably made her forget my invitation. For if she had remembered it she would surely never have waited for the carriage which I was not, for that matter, supposed to be sending for her, to inform me that she was otherwise engaged. My dreams of a young feudal maiden on a misty island had cleared the way to a still non-existent love. Now my disappointment, my rage, my desperate desire to recapture her who had just refused me were able, by bringing my sensibility into play, to make definite the possible love which until then my imagination alone had — and that more loosely — offered me.
Combien y en a-t-il dans nos souvenirs, combien plus dans notre oubli, de ces visages de jeunes filles et de jeunes femmes, tous différents, et auxquels nous n′avons ajouté du charme et un furieux désir de les revoir que parce qu′ils s′étaient au dernier moment dérobés? A l′égard de Mme de Stermaria c′était bien plus et il me suffisait maintenant, pour l′aimer, de la revoir afin que fussent renouvelées ces impressions si vives mais trop brèves et que la mémoire n′aurait pas sans cela la force de maintenir dans l′absence. Les circonstances en décidèrent autrement, je ne la revis pas. Ce ne fut pas elle que j′aimai, mais ç‘aurait pu être elle. Et une des choses qui me rendirent peut-être le plus cruel le grand amour que j′allais bientôt avoir, ce fut, en me rappelant cette soirée, de me dire qu′il aurait pu, si de très simples circonstances avaient été modifiées, se porter ailleurs, sur Mme de Stermaria; appliqué à celle qui me l′inspira si peu après, il n′était donc pas — comme j′aurais pourtant eu si envie, si besoin de le croire — absolument nécessaire et prédestiné.
How many are there in our memories, how many more have we forgotten, of these faces of girls and young women, all different, to which we have added a certain charm and a frenzied desire to see them again only because at the last moment they eluded us? In the case of Mme. de Stermaria there was a good deal more than this, and it was enough now to make me love her for me to see her again so that I might refresh those impressions, so vivid but all too brief, which my memory would not, without such refreshment, have the strength to keep alive when we were apart. Circumstances decided against me; I did not see her again. It was not she that I loved, but it might well have been. And one of the things that made most cruel, perhaps, the great love which was presently to come to me was that when I thought of this evening I used to say to myself that my love might, given a slight modification of very ordinary circumstances, have been directed elsewhere, to Mme. de Stermaria; its application to her who inspired it in me so soon afterwards was not therefore — as I so longed so needed to believe — absolutely necessary and predestined.
Françoise m′avait laissé seul dans la salle à manger, en me disant que j′avais tort d′y rester avant qu′elle eût allumé le feu. Elle allait faire à dîner, car avant même l′arrivée de mes parents et dès ce soir, ma réclusion commençait. J′avisai un énorme paquet de tapis encore tout enroulés, lequel avait été posé au coin du buffet, et m′y cachant la tête, avalant leur poussière et mes larmes, pareil aux Juifs qui se couvraient la tête de cendres dans le deuil, je me mis à sangloter. Je frissonnais, non pas seulement parce que la pièce était froide, mais parce qu′un notable abaissement thermique (contre le danger et, faut-il le dire, le léger agrément duquel on ne cherche pas à réagir) est causé par certaines larmes qui pleurent de nos yeux, goutte à goutte, comme une pluie fine, pénétrante, glaciale, semblant ne devoir jamais finir. Tout d′un coup j′entendis une voix:
Françoise had left me by myself in the dining-room with the remark that it was foolish of me to stay there before she had lighted the fire. She went to get me some dinner, for even before the return of my parents, from this very evening, my seclusion was to begin. I caught sight of a huge bundle of carpets, still rolled up, and leaning against one end of the sideboard, and burying my head in it, swallowing its dust with my own tears, as the Jews used to cover their heads with ashes in times of mourning, I began to sob. I shuddered not only because the room was cold, but because a distinct lowering of temperature (against the danger and — I should add, perhaps — the by no means disagreeable sensation of which we make no attempt to react) is brought about by a certain kind of tears which fall from our eyes, drop by drop, like a fine, penetrating, icy rain, and seem as though never would they cease to flow. Suddenly I heard a voice:
— Peut-on entrer? Françoise m′a dit que tu devais être dans la salle à manger. Je venais voir si tu ne voulais pas que nous allions dîner quelque part ensemble, si cela ne te fait pas mal, car il fait un brouillard à couper au couteau.
“May I come in? Françoise told me you would be in the dining-room. I looked in to see whether you would care to come out and dine somewhere, if it isn′t bad for your throat — there′s a fog outside you could cut with a knife.”
C′était, arrivé du matin, quand je le croyais encore au Maroc ou en mer, Robert de Saint–Loup.
It was — arrived in Paris that morning, when I imagined him to be still in Morocco or on the sea — Robert de Saint-Loup.
J′ai dit (et précisément c′était, à Balbec, Robert de Saint–Loup qui m′avait, bien malgré lui, aidé à en prendre conscience) ce que je pense de l′amitié: à savoir qu′elle est si peu de chose que j′ai peine à comprendre que des hommes de quelque génie, et par exemple un Nietzsche, aient eu la naîµ¥té de lui attribuer une certaine valeur intellectuelle et en conséquence de se refuser à des amitiés auxquelles l′estime intellectuelle n′eût pas été liée. Oui, cela m′a toujours été un étonnement de voir qu′un homme qui poussait la sincérité avec lui-même jusqu′à se détacher, par scrupule de conscience, de la musique de Wagner, se soit imaginé que la vérité peut se réaliser dans ce mode d′expression par nature confus et inadéquat que sont, en général, des actions et, en particulier, des amitiés, et qu′il puisse y avoir une signification quelconque dans le fait de quitter son travail pour aller voir un ami et pleurer avec lui en apprenant la fausse nouvelle de l′incendie du Louvre. J′en étais arrivé, à Balbec, à trouver le plaisir de jouer avec des jeunes filles moins funeste à la vie spirituelle, à laquelle du moins il reste étranger, que l′amitié dont tout l′effort est de nous faire sacrifier la partie seule réelle et incommunicable (autrement que par le moyen de l′art) de nous-même, à un moi superficiel, qui ne trouve pas comme l′autre de joie en lui-même, mais trouve un attendrissement confus à se sentir soutenu sur des étais extérieurs, hospitalisé dans une individualité étrangère, où, heureux de la protection qu′on lui donne, il fait rayonner son bien-être en approbation et s′émerveille de qualités qu′il appellerait défauts et chercherait à corriger chez soi-même. D′ailleurs les contempteurs de l′amitié peuvent, sans illusions et non sans remords, être les meilleurs amis du monde, de même qu′un artiste portant en lui un chef-d′oeuvre et qui sent que son devoir serait de vivre pour travailler, malgré cela, pour ne pas paraître ou risquer d′être égoî²´e, donne sa vie pour une cause inutile, et la donne d′autant plus bravement que les raisons pour lesquelles il eût préféré ne pas la donner étaient des raisons désintéressées. Mais quelle que fût mon opinion sur l′amitié, même pour ne parler que du plaisir qu′elle me procurait, d′une qualité si médiocre qu′elle ressemblait à quelque chose d′intermédiaire entre la fatigue et l′ennui, il n′est breuvage si funeste qui ne puisse à certaines heures devenir précieux et réconfortant en nous apportant le coup de fouet qui nous était nécessaire, la chaleur que nous ne pouvons pas trouver en nous-même.
I have already said (as a matter of fact, it was Robert himself who, at Balbec, had helped me, quite without meaning it, to arrive at this conclusion) what I think about friendship: to wit that it is so small a thing that I find it hard to understand how men with some claim to genius — Nietzsche, for instance — can have been such simpletons as to ascribe to it a certain intellectual value, and consequently to deny themselves friendships in which intellectual esteem would have no part. Yes, it has always been a surprise to me to find a man who carried sincerity towards himself to so high a pitch as to cut himself off, by a scruple of conscience, from Wagner′s music, imagining that the truth could ever be attained by the mode of expression, naturally vague and inadequate, which our actions in general and acts of friendship in particular furnish, or that there could be any kind of significance in the fact of one′s leaving one′s work to go and see a friend and shed tears with him on hearing the false report that the Louvre was burned. I had got so far, at Balbec, as to find that the pleasure of playing with a troop of girls is less destructive of the spiritual life, to which at least it remains alien, than friendship, the whole effort of which is directed towards making us sacrifice the one real and (save by the channel of art) incommunicable part of ourself to a superficial self which finds — not, like the other, any joy in itself, but rather a vague, sentimental attraction in the feeling that it is being supported by external props, hospitably entertained by a strange personality, through which, happy in the protection that is afforded it there, it makes its own comfort radiate in warm approval, and marvels at qualities which it would denounce as faults and seek to correct in itself. Moreover the scorners of friendship can, without illusion and not without remorse, be the finest friends in the world, just as an artist carrying in his brain a masterpiece and feeling that his duty is rather to live and carry on his work, nevertheless, so as not to be thought or to run the risk of actually being selfish, gives his life for a vain cause, and gives it all the more gallantly in that the reasons for which he would have preferred not to give it were disinterested. But whatever might be my opinion of friendship, to mention only the pleasure that it procured me, of a quality so mediocre as to be like something halfway between physical exhaustion and mental boredom, there is no brew so deadly that it cannot at certain moments, become precious and invigorating by giving us just the stimulus that was necessary, the warmth that we cannot generate in ourselves.
J′étais bien éloigné certes de vouloir demander à Saint–Loup, comme je le désirais il y a une heure, de me faire revoir des femmes de Rivebelle; le sillage que laissait en moi le regret de Mme de Stermaria ne voulait pas être effacé si vite, mais, au moment où je ne sentais plus dans mon coeur aucune raison de bonheur, Saint–Loup entrant, ce fut comme une arrivée de bonté, de gaîté, de vie, qui étaient en dehors de moi sans doute mais s′offraient à moi, ne demandaient qu′à être à moi. Il ne comprit pas lui-même mon cri de reconnaissance et mes larmes d′attendrissement. Qu′y a-t-il de plus paradoxalement affectueux d′ailleurs qu′un de ces amis — diplomate, explorateur, aviateur ou militaire — comme l′était Saint–Loup, et qui, repartant le lendemain pour la campagne et de là pour Dieu sait où, semblent faire tenir pour eux-mêmes, dans la soirée qu′ils nous consacrent, une impression qu′on s′étonne de pouvoir, tant elle est rare et brève, leur être si douce, et, du moment qu′elle leur plaît tant, de ne pas les voir prolonger davantage ou renouveler plus souvent. Un repas avec nous, chose si naturelle, donne à ces voyageurs le même plaisir étrange et délicieux que nos boulevards à un Asiatique. Nous partîmes ensemble pour aller dîner et tout en descendant l′escalier je me rappelai Doncières, où chaque soir j′allais retrouver Robert au restaurant, et les petites salles à manger oubliées. Je me souvins d′une à laquelle je n′avais jamais repensé et qui n′était pas à l′hôtel où Saint–Loup dînait, mais dans un bien plus modeste, intermédiaire entre l′hôtellerie et la pension de famille, et où on était servi par la patronne et une de ses domestiques. La neige m′avait arrêté là. D′ailleurs Robert ne devait pas ce soir-là dîner à l′hôtel et je n′avais pas voulu aller plus loin. On m′apporta les plats, en haut, dans une petite pièce toute en bois. La lampe s′éteignit pendant le dîner, la servante m′alluma deux bougies. Moi, feignant de ne pas voir très clair en lui tendant mon assiette, pendant qu′elle y mettait des pommes de terre, je pris dans ma main son avant-bras nu comme pour la guider. Voyant qu′elle ne le retirait pas, je le caressai, puis, sans prononcer un mot, l′attirai tout entière à moi, soufflai la bougie et alors lui dis de me fouiller, pour qu′elle eût un peu d′argent. Pendant les jours qui suivirent, le plaisir physique me parut exiger, pour être goûté, non seulement cette servante mais la salle à manger de bois, si isolée. Ce fut pourtant vers celle où dînaient Robert et ses amis que je retournai tous les soirs, par habitude, par amitié, jusqu′à mon départ de Doncières. Et pourtant, même cet hôtel où il prenait pension avec ses amis, je n′y songeais plus depuis longtemps. Nous ne profitons guère de notre vie, nous laissons inachevées dans les crépuscules d′été ou les nuits précoces d′hiver les heures où il nous avait semblé qu′eût pu pourtant être enfermé un peu de paix ou de plaisir. Mais ces heures ne sont pas absolument perdues. Quand chantent à leur tour de nouveaux moments de plaisir qui passeraient de même aussi grêles et linéaires, elles viennent leur apporter le soubassement, la consistance d′une riche orchestration. Elles s′étendent ainsi jusqu′à un de ces bonheurs types, qu′on ne retrouve que de temps à autre mais qui continuent d′être; dans l′exemple présent, c′était l′abandon de tout le reste pour dîner dans un cadre confortable qui par la vertu des souvenirs enferme dans un tableau de nature des promesses de voyage, avec un ami qui va remuer notre vie dormante de toute son énergie, de toute son affection, nous communiquer un plaisir ému, bien différent de celui que nous pourrions devoir à notre propre effort ou à des distractions mondaines; nous allons être rien qu′à lui, lui faire des serments d′amitié qui, nés dans les cloisons de cette heure, restant enfermés en elle, ne seraient peut-être pas tenus le lendemain, mais que je pouvais faire sans scrupule à Saint–Loup, puisque, avec un courage où il entrait beaucoup de sagesse et le pressentiment que l′amitié ne se peut approfondir, le lendemain il serait reparti.
The thought of course never entered my mind now of asking Saint-Loup to take me (as, an hour earlier, I had been longing to go) to see some of the Rivebelle women; the scar left by my disappointment with Mme. de Stermaria was too recent still to be so easily healed, but at the moment when I had ceased to feel in my heart any reason for happiness Saint-Loup′s bursting in upon me was like a sudden apparition of kindness, mirth, life, which were external to me, no doubt, but offered themselves to me, asked only to be made mine. He did not himself understand my shout of gratitude, my tears of affection. And yet is there anything more unaccountably affecting than one of those friends, be he diplomat, explorer, airman or soldier like Saint-Loup, who, having to start next day for the country, from where they will go on heaven knows where, seem to form for themselves, in the evening which they devote to us, an impression which we are astonished both to find, so rare and fleeting is it, can be so pleasant to them, and, since it does so delight them, not to see them prolong farther or repeat more often. A meal with us, an event so natural in itself, affords these travellers the same strange and exquisite pleasure as our boulevards give to an Asiatic. We set off together to dine, and as I went downstairs I thought of Doncières where every evening I used to meet Robert at his restaurant, and the little dining-rooms there that I had forgotten. I remembered one of these to which I had never given a thought, and which was not in the hotel where Saint-Loup dined but in another, far humbler, a cross between an inn and a boarding-house, where the waiting was done by the landlady and one of her servants. I had been forced to take shelter there once from a snowstorm. Besides, Robert was not to be dining at the hotel that evening and I had not cared to go any farther. My food was brought to me, upstairs, in a little room with bare wooden walls. The lamp went out during dinner and the servant lighted a couple of candles. I, pretending that I could not see very well as I held out my plate, while she helped me to potatoes, took her bare fore-arm in my hand, as though to guide her. Seeing that she did not withdraw it, I began to fondle it, then, without saying a word, pulled her bodily to me, blew out the candles and told her to feel in my pocket for some money. For the next few days physical pleasure seemed to me to require, to be properly enjoyed, not only this servant but the timbered dining-room, so remote and lonely. And yet it was to the other, in which Saint-Loup and his friends dined, that I returned every evening, from force of habit and in friendship for them, until I left Doncières. But even of this hotel, where he took his meals with his friends, I had long ceased to think; we make little use of our experience, we leave unconsumed in the summer dusk or precocious nights of winter the hours in which it had seemed to us that there might nevertheless be contained some element of tranquillity or pleasure. But those hours are not altogether wasted. When, in their turn, come and sing to us fresh moments of pleasure, which by themselves would pass by equally bare in outline, the others recur, bringing with them the groundwork, the solid consistency of a rich orchestration. They are in this way prolonged into one of those types of happiness which we recapture only now and again but which continue to exist; in the present instance the type was that of forsaking everything else to dine in comfortable surroundings, which by the help of memory embody in a scene from nature suggestions of the rewards of travel, with a friend who is going to stir our dormant life with all his energy, his affection, to communicate to us an emotional pleasure, very different from anything that we could derive from our own efforts or from social distractions; we are going to exist solely for him, to utter vows of friendship which, born within the confines of the hour, remaining imprisoned in it, will perhaps not be kept on the morrow but which I need have no scruple in taking before Saint-Loup since, with a courage into which there entered a great deal of common sense and the presentiment that friendship cannot explore its own depths, on the morrow he would be gone.
Si en descendant l′escalier je revivais les soirs de Doncières, quand nous fûmes arrivés dans la rue brusquement, la nuit presque complète où le brouillard semblait avoir éteint les réverbères, qu′on ne distinguait, bien faibles, que de tout près, me ramena à je ne sais quelle arrivée, le soir, à Combray, quand la ville n′était encore éclairée que de loin en loin, et qu′on y tâtonnait dans une obscurité humide, tiède et sainte de Crèche, à peine étoilée ça et là d′un lumignon qui ne brillait pas plus qu′un cierge. Entre cette année, d′ailleurs incertaine, de Combray, et les soirs à Rivebelle revus tout à l′heure au-dessus des rideaux, quelles différences! J′éprouvais à les percevoir un enthousiasme qui aurait pu être fécond si j′étais resté seul, et m′aurait évité ainsi le détour de bien des années inutiles par lesquelles j′allais encore passer avant que se déclarât la vocation invisible dont cet ouvrage est l′histoire. Si cela fût advenu ce soir-là, cette voiture eût mérité de demeurer plus mémorable pour moi que celle du docteur Percepied sur le siège de laquelle j′avais composé cette petite description — précisément retrouvée il y avait peu de temps, arrangée, et vainement envoyée au Figaro — des cloches de Martainville. Est-ce parce que nous ne revivons pas nos années dans leur suite continue jour par jour, mais dans le souvenir figé dans la fraîcheur ou l′insolation d′une matinée ou d′un soir, recevant l′ombre de tel site isolé, enclos, immobile, arrêté et perdu, loin de tout le reste, et qu′ainsi, les changements gradués non seulement au dehors, mais dans nos rêves et notre caractère évoluant, lesquels nous ont insensiblement conduit dans la vie d′un temps à tel autre très différent, se trouvant supprimés, si nous revivons un autre souvenir prélevé sur une année différente, nous trouvons entre eux, grâce à des lacunes, à d′immenses pans d′oubli, comme l′abîme d′une différence d′altitude, comme l′incompatibilité de deux qualités incomparables d′atmosphère respirée et de colorations ambiantes? Mais entre les souvenirs que je venais d′avoir, successivement, de Combray, de Doncières et de Rivebelle, je sentais en ce moment bien plus qu′une distance de temps, la distance qu′il y aurait entre des univers différents où la matière ne serait pas la même. Si j′avais voulu dans un ouvrage imiter celle dans laquelle m′apparaissaient ciselés mes plus insignifiants souvenirs de Rivebelle, il m′eût fallu veiner de rose, rendre tout d′un coup translucide, compacte, fraîchissante et sonore, la substance jusque-là analogue au grès sombre et rude de Combray. Mais Robert, ayant fini de donner ses explications au cocher, me rejoignit dans la voiture. Les idées qui m′étaient apparues s′enfuirent. Ce sont des déesses qui daignent quelquefois se rendre visibles à un mortel solitaire, au détour d′un chemin, même dans sa chambre pendant qu′il dort, alors que debout dans le cadre de la porte elles lui apportent leur annonciation. Mais dès qu′on est deux elles disparaissent, les hommes en société ne les aperçoivent jamais. Et je me trouvai rejeté dans l′amitié. Robert en arrivant m′avait bien averti qu′il faisait beaucoup de brouillard, mais tandis que nous causions il n′avait cessé d′épaissir. Ce n′était plus seulement la brume légère que j′avais souhaité voir s′élever de l′île et nous envelopper Mme de Stermaria et moi. A deux pas les réverbères s′éteignaient et alors c′était la nuit, aussi profonde qu′en pleins champs, dans une forêt, ou plutôt dans une molle île de Bretagne vers laquelle j′eusse voulu aller, je me sentis perdu comme sur la côte de quelque mer septentrionale où on risque vingt fois la mort avant d′arriver à l′auberge solitaire; cessant d′être un mirage qu′on recherche, le brouillard devenait un de ces dangers contre lesquels on lutte, de sorte que nous eûmes, à trouver notre chemin et à arriver à bon port, les difficultés, l′inquiétude et enfin la joie que donne la sécurité— si insensible à celui qui n′est pas menacé de la perdre — au voyageur perplexe et dépaysé. Une seule chose faillit compromettre mon plaisir pendant notre aventureuse randonnée, à cause de l′étonnement irrité où elle me jeta un instant. «Tu sais, j′ai raconté à Bloch, me dit Saint–Loup, que tu ne l′aimais pas du tout tant que ça, que tu lui trouvais des vulgarités. Voilà comme je suis, j′aime les situations tranchées», conclut-il d′un air satisfait et sur un ton qui n′admettait pas de réplique. J′étais stupéfait. Non seulement j′avais la confiance la plus absolue en Saint–Loup, en la loyauté de son amitié, et il l′avait trahie par ce qu′il avait dit à Bloch, mais il me semblait que de plus il eût dû être empêché de le faire par ses défauts autant que par ses qualités, par cet extraordinaire acquis d′éducation qui pouvait pousser la politesse jusqu′à un certain manque de franchise. Son air triomphant était-il celui que nous prenons pour dissimuler quelque embarras en avouant une chose que nous savons que nous n′aurions pas dû faire? traduisait-il de l′inconscience? de la bêtise érigeant en vertu un défaut que je ne lui connaissais pas? un accès de mauvaise humeur passagère contre moi le poussant à me quitter, ou l′enregistrement d′un accès de mauvaise humeur passagère vis-à-vis de Bloch à qui il avait voulu dire quelque chose de désagréable même en me compromettant? Du reste sa figure était stigmatisée, pendant qu′il me disait ces paroles vulgaires, par une affreuse sinuosité que je ne lui ai vue qu′une fois ou deux dans la vie, et qui, suivant d′abord à peu près le milieu de la figure, une fois arrivée aux lèvres les tordait, leur donnait une expression hideuse de bassesse, presque de bestialité toute passagère et sans doute ancestrale. Il devait y avoir dans ces moments-là, qui sans doute ne revenaient qu′une fois tous les deux ans, éclipse partielle de son propre moi, par le passage sur lui de la personnalité d′un al qui s′y reflétait. Tout autant que l′air de satisfaction de Robert, ses paroles: «J′aime les situations tranchées» prêtaient au même doute, et auraient dû encourir le même blâme. Je voulais lui dire que si l′on aime les situations tranchées, il faut avoir de ces accès de franchise en ce qui vous concerne et ne point faire de trop facile vertu aux dépens des autres. Mais déjà la voiture s′était arrêtée devant le restaurant dont la vaste façade vitrée et flamboyante arrivait seule à percer l′obscurité. Le brouillard lui-même, par les clartés confortables de l′intérieur, semblait jusque sur le trottoir même vous indiquer l′entrée avec la joie de ces valets qui reflètent les dispositions du maître; il s′irisait des nuances les plus délicates et montrait l′entrée comme la colonne lumineuse qui guida les Hébreux. Il y en avait d′ailleurs beaucoup dans la clientèle. Car c′était dans ce restaurant que Bloch et ses amis étaient venus longtemps, ivres d′un jeûne aussi affamant que le jeûne rituel, lequel du moins n′a lieu qu′une fois par an, de café et de curiosité politique, se retrouver le soir. Toute excitation mentale donnant une valeur qui prime, une qualité supérieure aux habitudes qui s′y rattachent, il n′y a pas de goût un peu vif qui ne compose ainsi autour de lui une société qu′il unit, et où la considération des autres membres est celle que chacun recherche principalement dans la vie. Ici, fût-ce dans une petite ville de province, vous trouverez des passionnés de musique; le meilleur de leur temps, le plus clair de leur argent se passe aux séances de musique de chambre, aux réunions où on cause musique, au café où l′on se retrouve entre amateurs et où on coudoie les musiciens de l′orchestre. D′autres épris d′aviation tiennent à être bien vus du vieux garçon du bar vitré perché au haut de l′aérodrome; à l′abri du vent, comme dans la cage en verre d′un phare, il pourra suivre, en compagnie d′un aviateur qui ne vole pas en ce moment, les évolutions d′un pilote exécutant des loopings, tandis qu′un autre, invisible l′instant d′avant, vient atterrir brusquement, s′abattre avec le grand bruit d′ailes de l′oiseau Roch. La petite coterie qui se retrouvait pour tâcher de perpétuer, d′approfondir, les émotions fugitives du procès Zola, attachait de même une grande importance à ce café. Mais elle y était mal vue des jeunes nobles qui formaient l′autre partie de la clientèle et avaient adopté une seconde salle du café, séparée seulement de l′autre par un léger parapet décoré de verdure. Ils considéraient Dreyfus et ses partisans comme des traîtres, bien que vingt-cinq ans plus tard, les idées ayant eu le temps de se classer et le dreyfusisme de prendre dans l′histoire une certaine élégance, les fils, bolchevisants et valseurs, de ces mêmes jeunes nobles dussent déclarer aux «intellectuels» qui les interrogeaient que sûrement, s′ils avaient vécu en ce temps-là, ils eussent été pour Dreyfus, sans trop savoir beaucoup plus ce qu′avait été l′Affaire que la comtesse Edmond de Pourtalès ou la marquise de Galliffet, autres splendeurs déjà éteintes au jour de leur naissance. Car, le soir du brouillard, les nobles du café qui devaient être plus tard les pères de ces jeunes intellectuels rétrospectivement dreyfusards étaient encore garçons. Certes, un riche mariage était envisagé par les familles de tous, mais n′était encore réalisé pour aucun. Encore virtuel, il se contentait, ce riche mariage désiré à la fois par plusieurs (il y avait bien plusieurs «riches partis» en vue, mais enfin le nombre des fortes dots était beaucoup moindre que le nombre des aspirants), de mettre entre ces jeunes gens quelque rivalité.
If as I came downstairs I lived over again the evenings at Doncières, when we reached the street, in a moment the darkness, now almost total, in which the fog seemed to have put out the lamps, which one could make out, glimmering very faintly, only when close at hand, took me back to I could not say what arrival, by night, at Combray, when the streets there were still lighted only at long intervals and one felt one′s way through a darkness moist, warm, consecrated, like that of a Christmas manger, just visibly starred here and there by a wick that burned no brighter than a candle. Between that year — to which I could ascribe no precise date — of my Combray life and the evenings at Rivebelle which had, an hour earlier, been reflected above my drawn curtains, what a world of differences! I felt on perceiving them an enthusiasm which might have borne fruit had I been left alone and would then have saved me the unnecessary round of many wasted years through which I was yet to pass before there was revealed to me that invisible vocation of which these volumes are the history. Had the revelation come to me this evening, the carriage in which I sat would have deserved to rank as more memorable with me than Dr. Percepied′s, on the box seat of which I had composed that little sketch — on which, as it happened, I had recently laid my hands, altered it and sent it in vain to the Figaro — of the spires of Martinville. Is it because we live over our past years not in their continuous sequence, day by day, but in a memory that fastens upon the coolness or sun-parched heat of some morning or afternoon, receives the shadow of some solitary place, is enclosed, immovable, arrested, lost, remote from all others, because, therefore, the changes gradually wrought not only in the world outside but in our dreams and our evolving character (changes which have imperceptibly carried us through life from one to another, wholly different time), are of necessity eliminated, that, if we revive another memory taken from a different year, we find between the two, thanks to lacunae, to vast stretches of oblivion, as it were the gulf of a difference in altitude or the incompatibility of two divers qualities, that of the air we breathe and the colour of the scene before our eyes? But between one and another of the memories that had now come to me in turn of Combray, of Doncières and of Rivebelle, I was conscious at the moment of more than a distance in time, of the distance that there would be between two separate universes the material elements in which were not the same. If I had sought to reproduce the element in which appeared carven my most trivial memories of Rivebelle, I should have had to streak with rosy veins, to render at once translucent, compact, refreshing, resonant a substance hitherto analogous to the coarse dark sandstone walls of Combray. But Robert having finished giving his instructions to the driver joined me now in the carriage. The ideas that had appeared before me took flight. Ideas are goddesses who deign at times to make themselves visible to a solitary mortal, at a turning in the road, even in his bedroom while he sleeps, when they, standing framed in the doorway, bring him the annunciation of their tidings. But as soon as a companion joins him they vanish, in the society of his fellows no man has ever beheld them. And I found myself cast back upon friendship. When he first appeared Robert had indeed warned me that there was a good deal of fog outside, but while we were indoors, talking, it had grown steadily thicker. It was no longer merely the light mist which I had looked forward to seeing rise from the island and envelop Mme. de Stermaria and myself. A few feet away from us the street lamps were blotted out and then it was night, as dark as in the open fields, in a forest, or rather on a mild Breton island whither I would fain have gone; I lost myself, as on the stark coast of some. Northern sea where one risks one′s life twenty times over before coming to the solitary inn; ceasing to be a mirage for which one seeks, the fog became one of those dangers against which one has to fight, so that we had, in finding our way and reaching a safe haven, the difficulties, the anxiety and finally the joy which safety, so little perceived by him who is not threatened with the loss of it, gives to the perplexed and benighted traveller. One thing only came near to destroying my pleasure during our adventurous ride, owing to the angry astonishment into which it flung me for a moment, “You know, I told Bloch,” Saint-Loup suddenly informed me, “that you didn′t really think all that of him, that you found him rather vulgar at times. I′m like that, you see, I want people to know where they stand,” he wound up with a satisfied air and in a tone which brooked no reply. I was astounded. Not only had I the most absolute confidence in Saint-Loup, in the loyalty of his friendship, and he had betrayed it by what he had said to Bloch, but it seemed to me that he of all men ought to have been restrained from doing so, by his defects as well as by his good qualities, by that astonishing veneer of breeding which was capable of carrying politeness to what was positively a want of frankness. His triumphant air, was it what we assume to cloak a certain embarrassment in admitting a thing which we know that we ought not to have done, or did it mean complete unconsciousness; stupidity making a virtue out of a defect which I had not associated with him; a passing fit of ill humour towards me prompting him to make an end of our friendship, or the notation in words of a passing fit of ill humour in the company of Bloch to whom he had felt that he must say something disagreeable, even although I should be compromised by it? However that might be, his face was seared, while he uttered this vulgar speech, by a frightful sinuosity which I saw on it once or twice only in all the time I knew him, and which, beginning by running more or less down the middle of his face, when it came to his lips twisted them, gave them a hideous expression of baseness, almost of bestiality, quite transitory and no doubt inherited. There must have been at such moments, which recurred probably not more than once every other year, a partial eclipse of his true self by the passage across it of the personality of some ancestor whose shadow fell on him. Fully as much as his satisfied air, the words: “I want people to know where they stand,” encouraged the same doubt and should have incurred a similar condemnation. I felt inclined to say to him that if one wants people to know where they stand one ought to confine these outbursts of frankness to one′s own affairs and not to acquire a too easy merit at the expense of others. But by this time the carriage had stopped outside the restaurant, the huge front of which, glazed and streaming with light, alone succeeded in piercing the darkness. The fog itself, beside the comfortable brightness of the lighted interior, seemed to be waiting outside on the pavement to shew one the way in with the joy of servants whose faces reflect the hospitable instincts of their master; shot with the most delicate shades of light, it pointed the way like the pillar of fire which guided the Children of Israel. Many of whom, as it happened, were to be found inside. For this was the place to which Bloch and his friends had long been in the habit, maddened by a hunger as famishing as the Ritual Fast, which at least occurs only once a year, for coffee and the satisfaction of political curiosity, of repairing in the evenings. Every mental excitement creating a value that overrides others, a quality superior to the rest of one′s habits, there is no taste at all keenly developed that does not thus gather round it a society which it unites and in which the esteem of his fellows is what each of its members seeks before anything else from life. Here, in their café, be it in a little provincial town, you will find impassioned music-lovers; the greater part of their time, all their spare cash is spent in chamber-concerts, in meetings for musical discussion, in cafés where one finds oneself among musical people and rubs shoulders with the members of the orchestra. Others, keen upon flying, seek to stand well with the old waiter in the glazed bar perched on top of the aerodrome; sheltered from the wind as in the glass cage of a lighthouse, they can follow in the company of an airman who is not going up that day the evolutions of a pilot practising loops, while another, invisible a moment ago, comes suddenly swooping down to land with the great winged roar of an Arabian roc. The little group which met to try to perpetuate, to explore the fugitive emotions aroused by the Zola trial attached a similar importance to this particular café. But they were not viewed with favour by the young nobles who composed the rest of its patrons and had taken possession of a second room, separated from the other only by a flimsy parapet topped with a row of plants. These looked upon Dreyfus and his supporters as traitors, albeit twenty-five years later, ideas having had time to classify themselves and Dreyfusism to acquire, in the light of history, a certain distinction, the sons, dance-mad Bolshevists, of these same young nobles were to declare to the ‘intellectuals′ who questioned them that undoubtedly, had they been alive at the time, they would have stood up for Dreyfus, without having any clearer idea of what the great Case had been about than Comtesse Edmond de Pourtalès or the Marquise de Galliffet, other luminaries already extinct at the date of their birth. For on the night of the fog the noblemen of the café, who were in^ due course to become the fathers of these young intellectuals, Dreyfusards in retrospect, were still bachelors. Naturally the idea of a rich marriage was present in the minds of all their families, but none of them had yet brought such a marriage off. While still potential, the only effect of this rich marriage, the simultaneous ambition of several of them (there were indeed several heiresses in view, but after all the number of big dowries was considerably below that of the aspirants to them), was to create among these young men a certain amount of rivalry.
Le malheur voulut pour moi que, Saint–Loup étant resté quelques minutes à s′adresser au cocher afin qu′il revînt nous prendre après avoir dîné, il me fallut entrer seul. Or, pour commencer, une fois engagé dans la porte tournante dont je n′avais pas l′habitude, je crus que je ne pourrais pas arriver à en sortir. (Disons en passant, pour les amateurs d′un vocabulaire plus précis, que cette porte tambour, malgré ses apparences pacifiques, s′appelle porte revolver, de l′anglais revolving door .) Ce soir-là le patron, n′osant pas se mouiller en allant dehors ni quitter ses clients, restait cependant près de l′entrée pour avoir le plaisir d′entendre les joyeuses doléances des arrivants tout illuminés par la satisfaction de gens qui avaient eu du mal à arriver et la crainte de se perdre. Pourtant la rieuse cordialité de son accueil fut dissipée par la vue d′un inconnu qui ne savait pas se dégager des volants de verre. Cette marque flagrante d′ignorance lui fit froncer le sourcil comme à un examinateur qui a bonne envie de ne pas prononcer le dignus es intrare . Pour comble de malchance j′allai m′asseoir dans la salle réservée à l′aristocratie d′où il vint rudement me tirer en m′indiquant, avec une grossièreté à laquelle se conformèrent immédiatement tous les garçons, une place dans l′autre salle. Elle me plut d′autant moins que la banquette où elle se trouvait était déjà pleine de monde (et que j′avais en face de moi la porte réservée aux Hébreux qui, non tournante celle-là, s′ouvrant et se fermant à chaque instant, m′envoyait un froid horrible). Mais le patron m′en refusa une autre en me disant: «Non, monsieur, je ne peux pas gêner tout le monde pour vous.» Il oublia d′ailleurs bientôt le dîneur tardif et gênant que j′étais, captivé qu′il était par l′arrivée de chaque nouveau venu, qui, avant de demander son bock, son aile de poulet froid ou son grog (l′heure du dîner était depuis longtemps passée), devait, comme dans les vieux romans, payer son écot en disant son aventure au moment où il pénétrait dans cet asile de chaleur et de sécurité, où le contraste avec ce à quoi on avait échappé faisait régner la gaieté et la camaraderie qui plaisantent de concert devant le feu d′un bivouac.
As ill luck would have it, Saint-Loup remaining outside for a minute to explain to the driver that he was to call for us again after dinner, I had to make my way in by myself. In the first place, once I had involved myself in the spinning door, to which I was not accustomed, I began to fear that I should never succeed in escaping from it. (Let me note here for the benefit of lovers of verbal accuracy that the contrivance in question, despite its peaceful appearance, is known as a ‘revolver,′ from the English ‘revolving door.′) This evening the proprietor, not venturing either to brave the elements outside or to desert his customers, remained standing near the entrance so as to have the pleasure of listening to the joyful complaints of the new arrivals, all aglow with the satisfaction of people who have had difficulty in reaching a place and have been afraid of losing their way. The smiling cordiality of his welcome was, however, dissipated by the sight of a stranger incapable of disengaging himself from the rotating sheets of glass. This flagrant sign of social ignorance made him knit his brows like an examiner who has a good mind not to utter the formula: Dignus est intrare. As a crowning error I went to look for a seat in the room set apart for the nobility, from which he at once expelled me, indicating to me, with a rudeness to which all the waiters at once conformed, a place in the other room. This was all the less to my liking because the seat was in the middle of a crowded row and I had opposite me the door reserved for the Hebrews which, as it did not revolve, opening and shutting at every moment kept me in a horrible draught. But the proprietor declined to move me, saying: “No, Sir, I cannot have the whole place upset for you.” Presently, however, he forgot this belated and troublesome guest, captivated as he was by the arrival of each newcomer who, before calling for his beer, his wing of cold chicken or his hot grog (it was by now long past dinner-time), must first, as in the old romances, pay his scot by relating his adventure at the moment of his entry into this asylum of warmth and security where the contrast with the perils just escaped made that gaiety and sense of comradeship prevail which create a cheerful harmony round the campfire.
L′un racontait que sa voiture, se croyant arrivée au pont de la Concorde, avait fait trois fois le tour des Invalides; un autre que la sienne, essayant de descendre l′avenue des Champs-Élysées, était entrée dans un massif du Rond–Point, d′où elle avait mis trois quarts d′heure à sortir. Puis suivaient des lamentations sur le brouillard, sur le froid, sur le silence de mort des rues, qui étaient dites et écoutées de l′air exceptionnellement joyeux qu′expliquaient la douce atmosphère de la salle où excepté à ma place il faisait chaud, la vive lumière qui faisait cligner les yeux déjà habitués à ne pas voir et le bruit des causeries qui rendait aux oreilles leur activité.
One reported that his carriage, thinking it had got to the Pont de la Concorde, had circled three times round the Invalides, another that his, in trying to make its way down the Avenue des Champs-Elysées, had driven into a clump of trees at the Rond Point, from which it had taken him three quarters of an hour to get clear. Then followed lamentations upon the fog, the cold, the deathly stillness of the streets, uttered and received with the same exceptionally jovial air, which was accounted for by the pleasant atmosphere of the room which, except where I sat, was warm, the dazzling light which set blinking eyes already accustomed to not seeing, and the buzz of talk which restored their activity to deafened ears.
Les arrivants avaient peine à garder le silence. La singularité des péripéties, qu′ils croyaient uniques, leur brûlaient la langue, et ils cherchaient des yeux quelqu′un avec qui engager la conversation. Le patron lui-même perdait le sentiment des distances: «M. le prince de Foix s′est perdu trois fois en venant de la porte Saint–Martin», ne craignit-il pas de dire en riant, non sans désigner, comme dans une présentation, le célèbre aristocrate à un avocat israélite qui, tout autre jour, eût été séparé de lui par une barrière bien plus difficile à franchir que la baie ornée de verdures. «Trois fois! voyez-vous ça», dit l′avocat en touchant son chapeau. Le prince ne goûta pas la phrase de rapprochement. Il faisait partie d′un groupe aristocratique pour qui l′exercice de l′impertinence, même à l′égard de la noblesse quand elle n′était pas de tout premier rang, semblait être la seule occupation. Ne pas répondre à un salut; si l′homme poli récidivait, ricaner d′un air narquois ou rejeter la tête en arrière d′un air furieux; faire semblant de ne pas connaître un homme âgé qui leur aurait rendu service; réserver leur poignée de main et leur salut aux ducs et aux amis tout à fait intimes des ducs que ceux-ci leur présentaient, telle était l′attitude de ces jeunes gens et en particulier du prince de Foix. Une telle attitude était favorisée par le désordre de la prime jeunesse (où, même dans la bourgeoisie, on paraît ingrat et on se montre mufle parce qu′ayant oublié pendant des mois d′écrire à un bienfaiteur qui vient de perdre sa femme, ensuite on ne le salue plus pour simplifier), mais elle était surtout inspirée par un snobisme de caste suraigu. Il est vrai que, à l′instar de certaines affections nerveuses dont les manifestations s′atténuent dans l′âge mûr, ce snobisme devait généralement cesser de se traduire d′une façon aussi hostile chez ceux qui avaient été de si insupportables jeunes gens. La jeunesse une fois passée, il est rare qu′on reste confiné dans l′insolence. On avait cru qu′elle seule existait, on découvre tout d′un coup, si prince qu′on soit, qu′il y a aussi la musique, la littérature, voire la députation. L′ordre des valeurs humaines s′en trouvera modifié, et on entre en conversation avec les gens qu′on foudroyait du regard autrefois. Bonne chance à ceux de ces gens-là qui ont eu la patience d′attendre et de qui le caractère est assez bien fait — si l′on doit ainsi dire — pour qu′ils éprouvent du plaisir à recevoir vers la quarantaine la bonne grâce et l′accueil qu′on leur avait sèchement refusés à vingt ans.
It was all the newcomers could do to keep silence. The singularity of the mishaps which each of them thought unique burned their tongues, and their eyes roved in search of some one to engage in conversation. The proprietor himself lost all sense of social distinction. “M. le Prince de Foix lost his way three times coming from the Porte Saint-Martin,” he was not afraid to say with a laugh, actually pointing out, as though introducing one to the other, the illustrious nobleman to an Israelite barrister, who, on any evening but this, would have been divided from him by a barrier far harder to surmount than the ledge of greenery. “Three times — fancy that!” said the barrister, touching his hat. This note of personal interest was not at all to the Prince′s liking. He formed one of an aristocratic group for whom the practice of impertinence, even at the expense of their fellow-nobles when these were not of the very highest rank, seemed the sole possible occupation. Not to acknowledge a bow, and, if the polite stranger repeated the offence, to titter with sneering contempt or fling back one′s head with a look of fury, to pretend not to know some elderly man who might have done them a service, to reserve their handclasp for dukes and the really intimate friends of dukes whom the latter introduced to them, such was the attitude of these young men, and especially of the Prince de Foix. Such an attitude was encouraged by the ill-balanced mentality of early manhood (a period in which, even in the middle class, one appears ungrateful and behaves like a cad because, having forgotten for months to write to a benefactor after he has lost his wife, one then ceases to nod to him in the street so as to simplify matters), but it was inspired above all by an over-acute caste snobbishness. It is true that, after the fashion of certain nervous affections the symptoms of which grow less pronounced in later life, this snobbishness was on the whole to cease to express itself in so offensive a form in these men who had been so intolerable when young. Once youth is outgrown, it is seldom that anyone remains hidebound by insolence. He had supposed it to be the only thing in the world; suddenly he discovers, for all the Prince that he is, that there also are such things as music, literature, even standing for parliament. The scale of human values is correspondingly altered and he joins in conversation with people whom at one time he would have slain with a glare of lightning. Which is fortunate for those of the latter who have had the patience to wait, and whose character is sufficiently formed — if one may so put it — for them to feel pleasure in receiving in their forties the civility and welcome that had been coldly withheld from them at twenty.
A propos du prince de Foix il convient de dire, puisque l′occasion s′en présente, qu′il appartenait à une coterie de douze à quinze jeunes gens et à un groupe plus restreint de quatre. La coterie de douze à quinze avait cette caractéristique, à laquelle échappait, je crois, le prince, que ces jeunes gens présentaient chacun un double aspect. Pourris de dettes, ils semblaient des rien-du-tout aux yeux de leurs fournisseurs, malgré tout le plaisir que ceux-ci avaient à leur dire: «Monsieur le Comte, monsieur le Marquis, monsieur le Duc . . . » Ils espéraient se tirer d′affaire au moyen du fameux «riche mariage», dit encore «gros sac», et comme les grosses dots qu′ils convoitaient n′étaient qu′au nombre de quatre ou cinq, plusieurs dressaient sourdement leurs batteries pour la même fiancée. Et le secret était si bien gardé que, quand l′un d′eux venant au café disait: «Mes excellents bons, je vous aime trop pour ne pas vous annoncer mes fiançailles avec Mlle d′Ambresac», plusieurs exclamations retentissaient, nombre d′entre eux, croyant déjà la chose faite pour eux-mêmes avec elle, n′ayant pas le sang-froid nécessaire pour étouffer au premier moment le cri de leur rage et de leur stupéfaction: «Alors ça te fait plaisir de te marier, Bibi?» ne pouvait s′empêcher de s′exclamer le prince de Châtellerault, qui laissait tomber sa fourchette d′étonnement et de désespoir, car il avait cru que les mêmes fiançailles de Mlle d′Ambresac allaient bientôt être rendues publiques, mais avec lui, Châtellerault. Et pourtant, Dieu sait tout ce que son père avait adroitement conté aux Ambresac contre la mère de Bibi. «Alors ça t′amuse de te marier?» ne pouvait-il s′empêcher de demander une seconde fois à Bibi, lequel, mieux préparé puisqu′il avait eu tout le temps de choisir son attitude depuis que c′était «presque officiel», répondait en souriant: «Je suis content non pas de me marier, ce dont je n′avais guère envie, mais d′épouser Daisy d′Ambresac que je trouve délicieuse.» Le temps qu′avait duré cette réponse, M. de Châtellerault s′était ressaisi, mais il songeait qu′il fallait au plus vite faire volte-face en direction de Mlle de la Canourque ou de Miss Foster, les grands partis nº 2 et nº 3, demander patience aux créanciers qui attendaient le mariage Ambresac, et enfin expliquer aux gens auxquels il avait dit aussi que Mlle d′Ambresac était charmante que ce mariage était bon pour Bibi, mais que lui se serait brouillé avec toute sa famille s′il l′avait épousée. Mme de Soléon avait été, allait-il prétendre, jusqu′à dire qu′elle ne les recevrait pas.
As I have mentioned the Prince de Foix, it may not be inconsequent here to add that he belonged to a set of a dozen or fifteen young men and to an inner group of four. The dozen or fifteen shared this characteristic (which the Prince lacked, I fancy) that each of them faced the world in a dual aspect. Up to their own eyes in debt, they were of no account in those of their tradesmen, notwithstanding the pleasure these took in addressing them as ‘Monsieur le Comte,′ ‘Monsieur le Marquis,′ ‘Monsieur le Duc.′ They hoped to retrieve their fortunes by means of the famous rich marriage (‘money-bags′ as the expression still was) and, as the fat dowries which they coveted numbered at the most four or five, several of them would be silently training their batteries on the same damsel. And the secret would be so well kept that when one of them, on arriving at the café, announced: “My dear fellows, I am too fond of you all not to tell you of my engagement to Mlle. d′Ambresac,” there was a general outburst, more than one of the others imagining that the marriage was as good as settled already between Mlle. d′Ambresac and himself, and not having enough self-control to stifle a spontaneous cry of stupefaction and rage. “So you like the idea of marriage, do you Bibi?” the Prince de Châtellerault could not help exclaiming, letting his fork drop in his surprise and despair, for he had been fully expecting the engagement of this identical Mlle. d′Ambresac to be announced, but with himself, Châtellerault, as her bridegroom. And heaven only knew all that his father had cunningly hinted to the Ambresacs against Bibi′s mother. “So you think it′ll be fun, being married, do you?” he was impelled to repeat his question to Bibi, who, better prepared to meet it, for he had had plenty of time to decide on the right attitude to adopt since the engagement had reached the semi-official stage, replied with a smile: “What pleases me is not the idea of marriage, which never appealed much to me, but marrying Daisy d′Ambresac, whom I think charming.” In the time taken up by this response M. de Châtellerault had recovered his composure, but he was thinking that he must at the earliest possible moment execute a change of front in the direction of Mlle. de la Canourque or Miss Foster, numbers two and three on the list of heiresses, pacify somehow the creditors who were expecting the Ambresac marriage and finally explain to the people to whom he too had declared that Mlle. d′Ambresac was charming that this marriage was all very well for Bibi, but that he himself would have had all his family down on him like a ton of bricks if he had married her. Mme. Soléon (he decided to say) had actually announced that she would not have them in her house.
Mais si, aux yeux des fournisseurs, patrons de restaurants, etc . . ., ils semblaient des gens de peu, en revanche, êtres doubles, dès qu′ils se trouvaient dans le monde, ils n′étaient plus jugés d′après le délabrement de leur fortune et les tristes métiers auxquels ils se livraient pour essayer de le réparer. Ils redevenaient M. le Prince, M. le Duc un tel, et n′étaient comptés que d′après leurs quartiers. Un duc presque milliardaire et qui semblait tout réunir en soi passait après eux parce que, chefs de famille, ils étaient anciennement princes souverains d′un petit pays où ils avaient le droit, de battre monnaie, etc . . . Souvent, dans ce café, l′un baissait les yeux quand un autre entrait, de façon à ne pas forcer l′arrivant à le saluer. C′est qu′il avait, dans sa poursuite imaginative de la richesse, invité à dîner un banquier. Chaque fois qu′un homme entre, dans ces conditions, en rapports avec un banquier, celui-ci lui fait perdre une centaine de mille francs, ce qui n′empêche pas l′homme du monde de recommencer avec un autre. On continue de brûler des cierges et de consulter les médecins.
But if in the eyes of tradesmen, proprietors of restaurants and the like they seemed of little account, conversely, being creatures of dual personality, the moment they appeared in society they ceased to be judged by the decay of their fortunes and the sordid occupations by which they sought to repair them. They became once more M. le Prince this, M. le Duc that and were reckoned only in terms of their quarterings. A duke who was prac^ tically a multi-millionaire and seemed to combine in his own person every possible distinction gave precedence to them because, the heads of their various houses, they were by descent sovereign princes of minute territories in which they were entitled to coin money and so forth. Often in this café one of them lowered his eyes when another came in so as not to oblige the newcomer to greet him. This was because in his imaginative pursuit of riches he had invited a banker to dine. Every time that a man about town enters into relations, on this footing, with a banker, the latter leaves him the poorer by a hundred thousand francs, which does not prevent the man about town from at once repeating the process with another. We continue to burn candles in churches and to consult doctors.
Mais le prince de Foix, riche lui-même, appartenait non seulement à cette coterie élégante d′une quinzaine de jeunes gens, mais à un groupe plus fermé et inséparable de quatre, dont faisait partie Saint–Loup. On ne les invitait jamais l′un sans l′autre, on les appelait les quatre gigolos, on les voyait toujours ensemble à la promenade, dans les châteaux on leur donnait des chambres communicantes, de sorte que, d′autant plus qu′ils étaient tous très beaux, des bruits couraient sur leur intimité. Je pus les démentir de la façon la plus formelle en ce qui concernait Saint–Loup. Mais ce qui est curieux, c′est que plus tard, si l′on apprit que ces bruits étaient vrais pour tous les quatre, en revanche chacun d′eux l′avait entièrement ignoré des trois autres. Et pourtant chacun d′eux avait bien cherché à s′instruire sur les autres, soit pour assouvir un désir, ou plutôt une rancune, empêcher un mariage, avoir barre sur l′ami découvert. Un cinquième (car dans les groupes de quatre on est toujours plus de quatre) s′était joint aux quatre platoniciens qui l′étaient plus que tous les autres. Mais des scrupules religieux le retinrent jusque bien après que le groupe des quatre fût désuni et lui-même marié, père de famille, implorant à Lourdes que le prochain enfant fût un garçon ou une fille, et dans l′intervalle se jetant sur les militaires.
But the Prince de Foix, who was rich already, belonged not only to this fashionable set of fifteen or so young men, but to a more exclusive and inseparable group of four which included Saint-Loup. These were never asked anywhere separately, they were known as the four gigolos, they were always to be seen riding together, in country houses their hostesses gave them communicating bedrooms, with the result that, especially as they were all four extremely good looking, rumours were current as to the extent of their intimacy. I was in a position to give these the lie direct so far as Saint-Loup was concerned. But the curious thing is that if, later on, one was to learn that these rumours were true of all four, each of the quartet had been entirely in the dark as to the other three. And yet each of them had done his utmost to find out about the others, to gratify a desire or (more probably) a resentment, to prevent a marriage or to secure a hold over the friend whose secret he discovered. A fifth (for in these groups of four there are never four only) had joined this Platonic party who was more so than any of the others. But religious scruples restrained him until long after the group had broken up, and he himself was a married man, the father of a family, fervently praying at Lourdes that the next baby might be a boy or a girl, and spending the intervals of procreation in the pursuit of soldiers.
Malgré la manière d′être du prince, le fait que le propos fut tenu devant lui sans lui être directement adressé rendit sa colère moins forte qu′elle n′eût été sans cela. De plus, cette soirée avait quelque chose d′exceptionnel. Enfin l′avocat n′avait pas plus de chance d′entrer en relations avec le prince de Foix que le cocher qui avait conduit ce noble seigneur. Aussi ce dernier crut-il pouvoir répondre d′un air rogue et à la cantonade à cet interlocuteur qui, à la faveur du brouillard, était comme un compagnon de voyage rencontré dans quelque plage située aux confins du monde, battue des vents ou ensevelie dans les brumes. «Ce n′est pas tout de se perdre, mais c′est qu′on ne se retrouve pas.» La justesse de cette pensée frappa le patron parce qu′il l′avait déjà entendu exprimer plusieurs fois ce soir.
Despite the Prince′s code of manners, the fact that the barrister′s comment, though uttered in his hearing, had not been directly addressed to him made him less angry than he would otherwise have been. Besides, this evening was somewhat exceptional. Finally, the barrister had no more prospect of coming to know the Prince de Foix than the cabman who had driven that noble lord to the restaurant. The Prince felt, accordingly, that he might allow himself to reply, in an arrogant tone, as though speaking to some one ‘off stage,′ to this stranger who, thanks to the fog, was in the position of a travelling companion whom one meets at some seaside place at the ends of the earth, scoured by all the winds of heaven or shrouded in mist: “Losing your way′s nothing; the trouble is, you can′t find it again.” The wisdom of this aphorism impressed the proprietor, for he had already heard it several times in the course of the evening.
En effet, il avait l′habitude de comparer toujours ce qu′il entendait ou lisait à un certain texte déjà connu et sentait s′éveiller son admiration s′il ne voyait pas de différences. Cet état d′esprit n′est pas négligeable car, appliqué aux conversations politiques, à la lecture des journaux, il forme l′opinion publique, et par là rend possibles les plus grands événements. Beaucoup de patrons de cafés allemands admirant seulement leur consommateur ou leur journal, quand ils disaient que la France, l′Angleterre et la Russie «cherchaient» l′Allemagne, ont rendu possible, au moment d′Agadir, une guerre qui d′ailleurs n′a pas éclaté. Les historiens, s′ils n′ont pas eu tort de renoncer à expliquer les actes des peuples par la volonté des rois, doivent la remplacer par la psychologie de l′individu médiocre.
He was, in fact, in the habit of always comparing what he heard or read with an already familiar canon, and felt his admiration aroused if he could detect no difference. This state of mind is by no means to be ignored, for, applied to political conversations, to the reading of newspapers, it forms public opinion and thereby makes possible the greatest events in history. An aggregation of German landlords, simply by being impressed by a customer or a newspaper when he or it said that France, England and Russia were ‘out to crush′ Germany, made war, at the time of Agadir, possible, even if no war occurred. Historians, if they have not been wrong to abandon the practice of attributing the actions of peoples to the will of kings, ought to substitute for the latter the psychology of the person of no importance.
En politique, le patron du café où je venais d′arriver n′appliquait depuis quelque temps sa mentalité de professeur de récitation qu′à un certain nombre de morceaux sur l′affaire Dreyfus. S′il ne retrouvait pas les termes connus dans les propos d′un client où les colonnes d′un journal, il déclarait l′article assommant, ou le client pas franc. Le prince de Foix l′émerveilla au contraire au point qu′il laissa à peine à son interlocuteur le temps de finir sa phrase. «Bien dit, mon prince, bien dit (ce qui voulait dire, en somme, récité sans faute), c′est ça, c′est ça», s′écria-t-il, dilaté, comme s′expriment les Mille et une nuits , «à la limite de la satisfaction». Mais le prince avait déjà disparu dans la petite salle. Puis, comme la vie reprend même après les événements les plus singuliers, ceux qui sortaient de la mer de brouillard commandaient les uns leur consommation, les autres leur souper; et parmi ceux-ci des jeunes gens du Jockey qui, à cause du caractère anormal du jour, n′hésitèrent pas à s′installer à deux tables dans la grande salle, et se trouvèrent ainsi fort près de moi. Tel le cataclysme avait établi même de la petite salle à la grande, entre tous ces gens stimulés par le confort du restaurant, après leurs longues erreurs dans l′océan de brume, une familiarité dont j′étais seul exclu, et à laquelle devait ressembler celle qui régnait dans l′arche de Noé. Tout à coup, je vis le patron s′infléchir en courbettes, les maîtres d′hôtel accourir au grand complet, ce qui fit tourner les yeux à tous les clients. «Vite, appelez-moi Cyprien, une table pour M. le marquis de Saint–Loup», s′écriait le patron, pour qui Robert n′était pas seulement un grand seigneur jouissant d′un véritable prestige, même aux yeux du prince de Foix, mais un client qui menait la vie à grandes guides et dépensait dans ce restaurant beaucoup d′argent. Les clients de la grande salle regardaient avec curiosité, ceux de la petite hélaient à qui mieux mieux leur ami qui finissait de s′essuyer les pieds. Mais au moment où il allait pénétrer dans la petite salle, il m′aperçut dans la grande. «Bon Dieu, cria-t-il, qu′est-ce que tu fais là, et avec la porte ouverte devant toi», dit-il, non sans jeter un regard furieux au patron qui courut la fermer en s′excusant sur les garçons: «Je leur dis toujours de la tenir fermée.»
In politics the proprietor of this particular café had for some time now concentrated his pupil-teacher′s mind on certain particular details of the Dreyfus case. If he did not find the terms that were familiar to him in the conversation of a customer or the columns of a newspaper he would pronounce the article boring or the speaker insincere. The Prince de Foix, however, impressed him so forcibly that he barely gave him time to finish what he was saying. “That′s right, Prince, that′s right,” (which meant neither more nor less than ‘repeated without a mistake′) “that′s exactly how it is!” he exclaimed, expanding, like people in the Arabian Nights ‘to the limit of repletion.′ But the Prince had by this time vanished into the smaller room. Then, as life resumes its normal course after even the most sensational happenings, those who had emerged from the sea of fog began to order whatever they wanted to eat or drink; among them a party of young men from the Jockey Club who, in view of the abnormality of the situation, had no hesitation in taking their places at a couple of tables in the big room, and were thus quite close to me. So the cataclysm had established even between the smaller room and the bigger, among all these people stimulated by the comfort of the restaurant after their long wanderings across the ocean of fog, a familiarity from which I alone was excluded, not unlike the spirit that must have prevailed in Noah′s ark. Suddenly I saw the landlord′s body whipped into a series of bows, the head waiters hurrying to support him in a full muster which drew every eye towards the door. “Quick, send Cyprien here, lay a table for M. le Marquis de Saint-Loup,” cried the proprietor, for whom Robert was not merely a great nobleman possessing a real importance even in the eyes of the Prince de Foix, but a client who drove through life four-in-hand, so to speak, and spent a great deal of money in this restaurant. The customers in the big room looked on with interest, those in the small room shouted simultaneous greetings to their friend as he finished wiping his shoes. But just as he was about to make his way into the small room he caught sight of me in the big one. “Good God,” he exclaimed, “what on earth are you doing there? And with the door wide open too?” he went on, with an angry glance at the proprietor, who ran to shut it, throwing the blame on his staff: “I′m always telling them to keep it shut.”
J′avais été obligé de déranger ma table et d′autres qui étaient devant la mienne, pour aller à lui. «Pourquoi as-tu bougé? Tu aimes mieux dîner là que dans la petite salle? Mais, mon pauvre petit, tu vas geler. Vous allez me faire le plaisir de condamner cette porte, dit-il au patron. — A l′instant même, M. le Marquis, les clients qui viendront à partir de maintenant passeront par la petite salle, voilà tout.» Et pour mieux montrer son zèle, il commanda pour cette opération un maître d′hôtel et plusieurs garçons, et tout en faisant sonner très haut de terribles menaces si elle n′était pas menée à bien. Il me donnait des marques de respect excessives pour que j′oubliasse qu′elles n′avaient pas commencé dès mon arrivée, mais seulement après celle de Saint–Loup, et pour que je ne crusse pas cependant qu′elles étaient dues à l′amitié que me montrait son riche et aristocratique client, il m′adressait à la dérobée de petits sourires où semblait se déclarer une sympathie toute personnelle.
I had been obliged to shift my own table and to disturb others which stood in the way in order to reach him. “Why did you move? Would you sooner dine here than in the little room? Why, my poor fellow, you′re freezing. You will oblige me by keeping that door locked;” he turned to the proprietor. “This very instant, M. le Marquis; the gentlemen will have to go out of this room through the other, that is all.” And the better to shew his zeal he detailed for this operation a head waiter and several satel lites, vociferating the most terrible threats of punishment were it not properly carried out. He began to shew me exaggerated marks of respect so as to make me forget that these had begun not upon my arrival but only after that of Saint-Loup, while, lest I should think them to have been prompted by the friendliness shewn me by his rich and noble client he gave me now and again a surreptitious little smile which seemed to indicate a regard that was wholly personal.
Derrière moi le propos d′un consommateur me fit tourner une seconde la tête. J′avais entendu au lieu des mots: «Aile de poulet, très bien, un peu de champagne; mais pas trop sec», ceux-ci: «J′aimerais mieux de la glycérine. Oui, chaude, très bien.» J′avais voulu voir quel était l′ascète qui s′infligeait un tel menu. Je retournai vivement la tête vers Saint–Loup pour ne pas être reconnu de l′étrange gourmet. C′était tout simplement un docteur, que je connaissais, à qui un client, profitant du brouillard pour le chambrer dans ce café, demandait une consultation. Les médecins comme les boursiers disent «je».
Something said by one of the diners behind me made me turn my head for a moment. I had caught, instead of the words: “Wing of chicken, excellent; and a glass of champagne, only not too dry,” the unexpected: “I should prefer glycerine. Yes, hot, excellent.” I wanted to see who the ascetic was that was inflicting upon himself such a diet. I turned quickly back to Saint-Loup so as not to be recognised by the man of strange appetite. It was simply a doctor, whom I happened to know, and of whom another customer, taking advantage of the fog to buttonhole him here in the café, was asking his professional advice. Like stockbrokers, doctors employ the first person singular.
Cependant je regardais Robert et je songeais à ceci. Il y avait dans ce café, j′avais connu dans la vie, bien des étrangers, intellectuels, rapins de toute sorte, résignés au rire qu′excitaient leur cape prétentieuse, leurs cravates 1830 et bien plus encore leurs mouvements maladroits, allant jusqu′à le provoquer pour montrer qu′ils ne s′en souciaient pas, et qui étaient des gens d′une réelle valeur intellectuelle et morale, d′une profonde sensibilité. Ils déplaisaient — les Juifs principalement, les Juifs non assimilés bien entendu, il ne saurait être question des autres — aux personnes qui ne peuvent souffrir un aspect étrange, loufoque (comme Bloch à Albertine). Généralement on reconnaissait ensuite que, s′ils avaient contre eux d′avoir les cheveux trop longs, le nez et les yeux trop grands, des gestes théâtraux et saccadés, il était puéril de les juger là-dessus, ils avaient beaucoup d′esprit, de coeur et étaient, à l′user, des gens qu′on pouvait profondément aimer. Pour les Juifs en particulier, il en était peu dont les parents n′eussent une générosité de coeur, une largeur d′esprit, une sincérité, à côté desquelles la mère de Saint–Loup et le duc de Guermantes ne fissent piètre figure morale par leur sécheresse, leur religiosité superficielle qui ne flétrissait que les scandales, et leur apologie d′un christianisme aboutissant infailliblement (par les voies imprévues de l′intelligence uniquement prisée) à un colossal mariage d′argent. Mais enfin chez Saint–Loup, de quelque façon que les défauts des parents se fussent combinés en une création nouvelle de qualités, régnait la plus charmante ouverture d′esprit et de coeur. Et alors, il faut bien le dire à la gloire immortelle de la France, quand ces qualités-là se trouvent chez un pur Français, qu′il soit de l′aristocratie ou du peuple, elles fleurissent — s′épanouissent serait trop dire car la mesure y persiste et la restriction — avec une grâce que l′étranger, si estimable soit-il, ne nous offre pas. Les qualités intellectuelles et morales, certes les autres les possèdent aussi, et s′il faut d′abord traverser ce qui déplaît et ce qui choque et ce qui fait sourire, elles ne sont pas moins précieuses. Mais c′est tout de même une jolie chose et qui est peut-être exclusivement française, que ce qui est beau au jugement de l′équité, ce qui vaut selon l′esprit et le coeur, soit d′abord charmant aux yeux, coloré avec grâce, ciselé avec justesse, réalise aussi dans sa matière et dans sa forme la perfection intérieure. Je regardais Saint–Loup, et je me disais que c′est une jolie chose quand il n′y a pas de disgrâce physique pour servir de vestibule aux grâces intérieures, et que les ailes du nez soient délicates et d′un dessin parfait comme celles des petits papillons qui se posent sur les fleurs des prairies, autour de Combray; et que le véritable opus francigenum , dont le secret n′a pas été perdu depuis le XIIIe siècle, et qui ne périrait pas avec nos églises, ce ne sont pas tant les anges de pierre de Saint–André-des-Champs que les petits Français, nobles, bourgeois ou paysans, au visage sculpté avec cette délicatesse et cette franchise restées aussi traditionnelles qu′au porche fameux, mais encore créatrices.
Meanwhile I was studying Saint-Loup, and my thoughts took a line of their own. They were in this café, I had myself known at other times, plenty of foreigners, intellectuals, budding geniuses of all sorts, resigned to the laughter excited by their pretentious capes, their 1830 neckties and still more by the clumsiness of their movements, going so far as to provoke that laughter in order to shew that they paid no heed to it, who yet were men of real intellectual and moral worth, of an extreme sensibility. They repelled — the Jews among them principally, the unassimilated Jews, that is to say, for with the other kind we are not concerned — those who could not endure any oddity or eccentricity of appearance (as Bloch repelled Al-bertine). Generally speaking, one realised afterwards that if they had against them hair worn too long, noses and eyes that were too big, stilted theatrical gestures, it was puerile to judge them by these only, they had plenty of intelligence and spirit and were men to whom, in the long run, one could become closely attached. Among the Jews especially there were few whose parents and kinsfolk had not a warmth of heart, a breadth of mind in comparison with which Saint-Loup′s mother and the Duc de Guermantes cut the poorest of figures by their sereness, their skin-deep religiosity which denounced only the most open scandals, their apology for a Christianity which led invariably (by the unexpected channel of a purely calculating mind) to an enormously wealthy marriage. But in Saint-Loup, when all was said, however the faults of his relatives might be combined in a fresh creation of character, there reigned the most charming openness of mind and heart. And whenever (it must be frankly admitted, to the undying glory of France) these qualities are found in a man who is purely French, be he noble or plebeian, they flower — flourish would be too strong a word, for a sense of proportion persists and also a certain restraint — with a grace which the foreign visitor, however estimable he may be, does not present to us. Of these intellectual and moral qualities others undoubtedly have their share, and if we have first to overcome what repels us and what makes us smile they remain no less precious. But it is all the same a pleasant thing, and one which is perhaps exclusively French that what is fine from the standpoint of equity, what is of value to the heart and mind should be first of all attractive to the eyes, charmingly coloured, consummately chiselled, should express outwardly as well in substance as in form an inward perfection. I studied Saint-Loup′s features and said to myself that it is a thing to be glad of when there is no lack of bodily grace to prepare one for the graces within, and when the winged nostrils are spread as delicately and with as perfect a design as the wings of the little butterflies that hover over the field-flowers round Combray; and that the true opus francigenum, the secret of which was not lost in the thirteenth century, the beauty of which would not be lost with the destruction of our churches, consists not so much in the stone angels of Saint-André-des-Champs as in the young sons of France, noble, citizen or peasant, whose faces are carved with that delicacy and boldness which have remained as traditional there as on the famous porch, but are creative still as well.
Après être parti un instant pour veiller lui-même à la fermeture de la porte et à la commande du dîner (il insista beaucoup pour que nous prissions de la «viande de boucherie», les volailles n′étant sans doute pas fameuses), le patron revint nous dire que M. le prince de Foix aurait bien voulu que M. le marquis lui permît de venir dîner à une table près de lui. «Mais elles sont toutes prises, répondit Robert en voyant les tables qui bloquaient la mienne. — Pour cela, cela ne fait rien, si ça pouvait être agréable à M. le marquis, il me serait bien facile de prier ces personnes de changer de place. Ce sont des choses qu′on peut faire pour M. le marquis! — Mais c′est à toi de décider, me dit Saint–Loup, Foix est un bon garçon, je ne sais pas s′il t′ennuiera, il est moins bête que beaucoup.» Je répondis à Robert qu′il me plairait certainement, mais que pour une fois où je dînais avec lui et où je m′en sentais si heureux, j′aurais autant aimé que nous fussions seuls. «Ah! il a un manteau bien joli, M. le prince», dit le patron pendant notre délibération. «Oui, je le connais», répondit Saint–Loup. Je voulais raconter à Robert que M. de Charlus avait dissimulé à sa belle-soeur qu′il me connût et lui demander quelle pouvait en être la raison, mais j′en fus empêché par l′arrivée de M. de Foix. Venant pour voir si sa requête était accueillie, nous l′aperçûmes qui se tenait à deux pas. Robert nous présenta, mais ne cacha pas à son ami qu′ayant à causer avec moi, il préférait qu′on nous laissât tranquilles. Le prince s′éloigna en ajoutant au salut d′adieu qu′il me fit, un sourire qui montrait Saint–Loup et semblait s′excuser sur la volonté de celui-ci de la brièveté d′une présentation qu′il eût souhaitée plus longue. Mais à ce moment Robert semblant frappé d′une idée subite s′éloigna avec son camarade, après m′avoir dit: «Assieds-toi toujours et commence à dîner, j′arrive», et il disparut dans la petite salle. Je fus peiné d′entendre les jeunes gens chics, que je ne connaissais pas, raconter les histoires les plus ridicules et les plus malveillantes sur le jeune grand-duc héritier de Luxembourg (ex-comte de Nassau) que j′avais connu à Balbec et qui m′avait donné des preuves si délicates de sympathie pendant la maladie de ma grand′mère. L′un prétendait qu′il avait dit à la duchesse de Guermantes: «J′exige que tout le monde se lève quand ma femme passe» et que la duchesse avait répondu (ce qui eût été non seulement dénué d′esprit mais d′exactitude, la grand′mère de la jeune princesse ayant toujours été la plus honnête femme du monde): «Il faut qu′on se lève quand passe ta femme, cela changera de sa grand′mère car pour elle les hommes se couchaient.» Puis on raconta qu′étant allé voir cette année sa tante la princesse de Luxembourg, à Balbec, et étant descendu au Grand Hôtel, il s′était plaint au directeur (mon ami) qu′il n′eût pas hissé le fanion de Luxembourg au-dessus de la digue. Or, ce fanion étant moins connu et de moins d′usage que les drapeaux d′Angleterre ou d′Italie, il avait fallu plusieurs jours pour se le procurer, au vif mécontentement du jeune grand-duc. Je ne crus pas un mot de cette histoire, mais me promis, dès que j′irais à Balbec, d′interroger le directeur de l′hôtel de façon à m′assurer qu′elle était une invention pure. En attendant Saint–Loup, je demandai au patron du restaurant de me faire donner du pain. «Tout de suite, monsieur le baron. — Je ne suis pas baron, lui répondis-je. — Oh! pardon, monsieur le comte!» Je n′eus pas le temps de faire entendre une seconde protestation, après laquelle je fusse sûrement devenu «monsieur le marquis»; aussi vite qu′il l′avait annoncé, Saint–Loup réapparut dans l′entrée tenant à la main le grand manteau de vigogne du prince à qui je compris qu′il l′avait demandé pour me tenir chaud. Il me fit signe de loin de ne pas me déranger, il avança, il aurait fallu qu′on bougeât encore ma table ou que je changeasse de place pour qu′il pût s′asseoir. Dès qu′il entra dans la grande salle, il monta légèrement sur les banquettes de velours rouge qui en faisaient le tour en longeant le mur et où en dehors de moi n′étaient assis que trois ou quatre jeunes gens du Jockey, connaissances à lui qui n′avaient pu trouver place dans la petite salle. Entre les tables, des fils électriques étaient tendus à une certaine hauteur; sans s′y embarrasser Saint–Loup les sauta adroitement comme un cheval de course un obstacle; confus qu′elle s′exerçât uniquement pour moi et dans le but de m′éviter un mouvement bien simple, j′étais en même temps émerveillé de cette sûreté avec laquelle mon ami accomplissait cet exercice de voltige; et je n′étais pas le seul; car encore qu′ils l′eussent sans doute médiocrement goûté de la part d′un moins aristocratique et moins généreux client, le patron et les garçons restaient fascinés, comme des connaisseurs au pesage; un commis, comme paralysé, restait immobile avec un plat que des dîneurs attendaient à côté; et quand Saint–Loup, ayant à passer derrière ses amis, grimpa sur le rebord du dossier et s′y avança en équilibre, des applaudissements discrets éclatèrent dans le fond de la salle. Enfin arrivé à ma hauteur, il arrêta net son élan avec la précision d′un chef devant la tribune d′un souverain, et s′inclinant, me tendit avec un air de courtoisie et de soumission le manteau de vigogne, qu′aussitôt après, s′étant assis à côté de moi, sans que j′eusse eu un mouvement à faire, il arrangea, en châle léger et chaud, sur mes épaules.
After leaving us for a moment in order to supervise personally the barring of the door and the ordering of our dinner (he laid great stress on our choosing ‘butcher′s meat,′ the fowls being presumably nothing to boast of) the proprietor came back to inform us that M. le Prince de Foix would esteem it a favour if M. le Marquis would allow him to dine at a table next to ours. “But they are all taken,” objected Robert, casting an eye over the tables which blocked the way to mine. “That doesn′t matter in the least, if M. le Marquis would like it, I can easily ask these people to move to another table. It is always a pleasure to do anything for M. le Marquis!” “But you must decide,” said Saint-Loup to me. “Foix is a good fellow, he may bore you or he may not; anyhow he′s not such a fool as most of them.” I told Robert that of course I should like to meet his friend but that now that I was for once in a way dining with him and was so entirely happy, I should be just as well pleased to have him all to myself. “He′s got a very fine cloak, the Prince has,” the proprietor broke in upon our deliberation. “Yes, I know,” said Saint-Loup. I wanted to tell Robert that M. de Charlus had disclaimed all knowledge of me to his sister-in-law, and to ask him what could be the reason of this, but was prevented by the arrival of M. de Foix. Come to see whether his request had been favourably received, we caught sight of him standing beside our table. Robert introduced us, but did not hide from his friend that as we had things to talk about he would prefer not to be disturbed. The Prince withdrew, adding to the farewell bow which he made me a smile which, pointed at Saint-Loup, seemed to transfer to him the responsibility for the shortness of a meeting which the Prince himself would have liked to see prolonged. As he turned to go, Robert, struck, it appeared, by a sudden idea, dashed off after his friend, with a “Stay where you are and get on with your dinner, I shall be back in a moment,” to me; and vanished into the smaller room. I was pained to hear the smart young men sitting near me, whom I did not know, repeat the most absurd and malicious stories about the young Hereditary Grand Duke of Luxembourg (formerly Comte de Nassau) whom I had met at Balbec and who had shewn me such delicate marks of sympathy at the time of my grandmother′s illness. According to one of these young me he had said to the Duchesse de Guermantes: “I expect everyone to get up when my wife passes,” to which the Duchess had retorted (with as little truth, had she said any such thing, as humour, the grandmother of the young Princess having always been the very pink of propriety): “Get up when your wife passes, do they? Well, that′s a change from her grandmother′s day. She expected the gentlemen to lie down.” Then some one alleged that, having gone down to see his aunt the Princesse de Luxembourg at Balbec, and put up at the Grand Hotel, he had complained to the manager there (my friend) that the royal standard of Luxembourg was not flown in front of the hotel, over the sea. And that this flag being less familiar and less generally in use than the British or Italian, it had taken him several days to procure one, greatly to the young Grand Duke′s annoyance. I did not believe a word of this story, but made up my mind, as soon as I went to Balbec, to inquire of the manager, so as to make certain that it was a pure invention. While waiting for Saint-Loup to return I asked the proprietor to get me some bread. “Certainly, Monsieur le Baron!” “I am not a Baron,” I told him. “Oh, beg pardon, Monsieur le Comte!” I had no time to lodge a second protest which would certainly have promoted me to the rank of marquis; faithful to his promise of an immediate return, Saint-Loup reappeared in the doorway carrying over his arm the thick vicuna cloak of the Prince de Foix, from whom I guessed that he had borrowed it in order to keep me warm. He signed to me not to get up, and came towards me, but either my table would have to be moved again or I must change my seat if he was to get to his. Entering the big room he sprang lightly on to one of the red plush benches which ran round its walls and on which, apart from myself, there were sitting only three or four of the young men from the Jockey Club, friends of his own, who had not managed to find places in the other room. Between the tables and the wall electric wires were stretched at a certain height; without the least hesitation Saint-Loup jumped nimbly over them like a horse in a steeplechase; embarrassed that it should be done wholly for my benefit and to save me the trouble of a slight movement, I was at the same time amazed at the precision with which my friend performed this exercise in lévitation; and in this I was not alone; for, albeit they would probably have had but little admiration for a similar display on the part of a more humbly born and less generous client, the proprietor and his staff stood fascinated, like racegoers in the enclosure; one underling, apparently rooted to the ground, stood there gaping with a dish in his hand for which a party close beside him were waiting; and when Saint-Loup, having to get past his friends, climbed on the narrow ledge behind them and ran along it, balancing himself with his arms, discreet applause broke from the body of the room. On coming to where I was sitting he stopped short in his advance with the precision of a tributary chieftain before the throne of a sovereign, and, stooping down, handed to me with an air of courtesy and submission the vicuna cloak which, a moment later, having taken his place beside me, without my having to make a single movement he arranged as a light but warm shawl about my shoulders.
— Dis-moi pendant que j′y pense, me dit Robert, mon oncle Charlus a quelque chose à te dire. Je lui ai promis que je t′enverrais chez lui demain soir.
“By the way, while I think of it, my uncle Charlus has something to say to you. I promised I′d send you round to him to-morrow evening.”
— Justement j′allais te parler de lui. Mais demain soir je dîne chez ta tante Guermantes.
“I was just going to speak to you about him. But to-morrow evening I am dining with your aunt Guermantes.”
— Oui, il y a un geuleton à tout casser, demain, chez Oriane. Je ne suis pas convié. Mais mon oncle Palamède voudrait que tu n′y ailles pas. Tu ne peux pas te décommander? En tout cas, va chez mon oncle Palamède après. Je crois qu′il tient à te voir. Voyons, tu peux bien y être vers onze heures. Onze heures, n′oublie pas, je me charge de le prévenir. Il est très susceptible. Si tu n′y vas pas, il t′en voudra. Et cela finit toujours de bonne heure chez Oriane. Si tu ne fais qu′y dîner, tu peux très bien être à onze heures chez mon oncle. Du reste, moi, il aurait fallu que je visse Oriane, pour mon poste au Maroc que je voudrais changer. Elle est si gentille pour ces choses-là et elle peut tout sur le général de Saint–Joseph de qui ça dépend. Mais ne lui en parle pas. J′ai dit un mot à la princesse de Parme, ça marchera tout seul. Ah! le Maroc, très intéressant. Il y aurait beaucoup à te parler. Hommes très fins là-bas. On sent la parité d′intelligence.
“Yes there′s a regular beanfeast to-morrow at Oriane′s. I′m not asked. But my uncle Palamède doesn′t want you to go there. You can′t get out of it, I suppose? Well, anyhow, go on to my uncle′s afterwards. I′m sure he really does want to see you. Look here, you can easily manage to get there by eleven. Eleven o′clock; don′t forget; I′ll let him know. He′s very touchy. If you don′t turn up he′ll never forgive you. And Oriane′s parties are always over quite early. If you are only going to dine there you can quite easily be at my uncle′s by eleven. I ought really to go and see Oriane, about getting shifted from Morocco; I want an exchange. She is so nice about all that sort of thing, and she can get anything she likes out of General de Saint-Joseph, who runs that branch. But don′t say anything about it to her. I′ve mentioned it to the Princesse de Parme, everything will be all right. Interesting place, Morocco. I could tell you all sorts of things. Very fine lot of men out there. One feels they′re on one′s own level, mentally.”
— Tu ne crois pas que les Allemands puissent aller jusqu′à la guerre à propos de cela?
“You don′t think the Germans are going to go to war about it?”
— Non, cela les ennuie, et au fond c′est très juste. Mais l′empereur est pacifique. Ils nous font toujours croire qu′ils veulent la guerre pour nous forcer à céder. Cf. Poker. Le prince de Monaco, agent de Guillaume II, vient nous dire en confidence que l′Allemagne se jette sur nous si nous ne cédons pas. Alors nous cédons. Mais si nous ne cédions pas, il n′y aurait aucune espèce de guerre. Tu n′as qu′à penser quelle chose comique serait une guerre aujourd′hui. Ce serait plus catastrophique que le Déluge et le Götter Dämmerung . Seulement cela durerait moins longtemps.
“No; they′re annoyed with us, as after all they have every right to be. But the Emperor is out for peace. They are always making us think they want war, to force us to give in. Pure bluff, you know, like poker. The Prince of Monaco, one of Wilhelm′s agents, comes and tells us in confidence that Germany will attack us. Then we give way. But if we didn′t give way, there wouldn′t be war in any shape or form. You have only to think what a comic spectacle a war would be in these days. It′d be a bigger catastrophe than the Flood and the Götterdämmerung rolled in one. Only it wouldn′t last so long.”
Il me parla d′amitié, de prédilection, de regret, bien que, comme tous les voyageurs de sa sorte, il allât repartir le lendemain pour quelques mois qu′il devait passer à la campagne et dût revenir seulement quarante-huit heures à Paris avant de retourner au Maroc (ou ailleurs); mais les mots qu′il jeta ainsi dans la chaleur de coeur que j′avais ce soir-là y allumaient une douce rêverie. Nos rares tête-à-tête, et celui-là surtout, ont fait depuis époque dans ma mémoire. Pour lui, comme pour moi, ce fut le soir de l′amitié. Pourtant celle que je ressentais en ce moment (et à cause de cela non sans quelque remords) n′était guère, je le craignais, celle qu′il lui eût plu d′inspirer. Tout rempli encore du plaisir que j′avais eu à le voir s′avancer au petit galop et toucher gracieusement au but, je sentais que ce plaisir tenait à ce que chacun des mouvements développés le long du mur, sur la banquette, avait sa signification, sa cause, dans la nature individuelle de Saint–Loup peut-être, mais plus encore dans celle que par la naissance et par l′éducation il avait héritée de sa race.
He spoke to me of friendship, affection, regret, albeit like all visitors of his sort he was going off the next morning for some months, which he was to spend in the country, and would only be staying a couple of nights in Paris on his way back to Morocco (or elsewhere); but the words which he thus let fall into the heated furnace which my heart was this evening kindled a pleasant glow there. Our infrequent meetings, this one in particular, have since formed a distinct episode in my memories. For him, as for me, this was the evening of friendship. And yet the friendship that I felt for him at this moment was scarcely, I feared (and felt therefore some remorse at the thought), what he would have liked to inspire. Filled still with the pleasure that I had had in seeing him come bounding towards me and gracefully pause on arriving at his goal, I felt that this pleasure lay in my recognising that each of the series of movements which he had developed against the wall, along the bench, had its meaning, its cause in Saint-Loup′s own personal nature, possibly, but even more in that which by birth and upbringing he had inherited from his race.
Une certitude du goût dans l′ordre non du beau mais des manières, et qui en présence d′une circonstance nouvelle faisait saisir tout de suite à l′homme élégant — comme à un musicien à qui on demande de jouer un morceau inconnu — le sentiment, le mouvement qu′elle réclame et y adapter le mécanisme, la technique qui conviennent le mieux; puis permettait à ce goût de s′exercer sans la contrainte d′aucune autre considération, dont tant de jeunes bourgeois eussent été paralysés, aussi bien par peur d′être ridicules aux yeux des autres en manquant aux convenances, que de paraître trop empressés à ceux de leurs amis, et que remplaçait chez Robert un dédain que certes il n′avait jamais éprouvé dans son coeur, mais qu′il avait reçu par héritage en son corps, et qui avait plié les façons de ses ancêtres à une familiarité qu′ils croyaient ne pouvoir que flatter et ravir celui à qui elle s′adressait; enfin une noble libéralité qui, ne tenant aucun compte de tant d′avantages matériels (des dépenses à profusion dans ce restaurant avaient achevé de faire de lui, ici comme ailleurs, le client le plus à la mode et le grand favori, situation que soulignait l′empressement envers lui non pas seulement de la domesticité mais de toute la jeunesse la plus brillante), les lui faisait fouler aux pieds, comme ces banquettes de pourpre effectivement et symboliquement trépignées, pareilles à un chemin somptueux qui ne plaisait à mon ami qu′en lui permettant de venir vers moi avec plus de grâce et de rapidité; telles étaient les qualités, toutes essentielles à l′aristocratie, qui derrière ce corps non pas opaque et obscur comme eût été le mien, mais significatif et limpide, transparaissaient comme à travers une oeuvre d′art la puissance industrieuse, efficiente qui l′a créée, et rendaient les mouvements de cette course légère que Robert avait déroulée le long du mur, intelligibles et charmants ainsi que ceux de cavaliers sculptés sur une frise. «Hélas, eût pensé Robert, est-ce la peine que j′aie passé ma jeunesse à mépriser la naissance, à honorer seulement la justice et l′esprit, à choisir, en dehors des amis qui m′étaient imposés, des compagnons gauches et mal vêtus s′ils avaient de l′éloquence, pour que le seul être qui apparaisse en moi, dont on garde un précieux souvenir, soit non celui que ma volonté, en s′efforçant et en méritant, a modelé à ma ressemblance, mais un être qui n′est pas mon oeuvre, qui n′est même pas moi, que j′ai toujours méprisé et cherché à vaincre; est-ce la peine que j′aie aimé mon ami préféré comme je l′ai fait, pour que le plus grand plaisir qu′il trouve en moi soit celui d′y découvrir quelque chose de bien plus général que moi-même, un plaisir qui n′est pas du tout, comme il le dit et comme il ne peut sincèrement le croire, un plaisir d′amitié, mais un plaisir intellectuel et désintéressé, une sorte de plaisir d′art?» Voilà ce que je crains, aujourd′hui que Saint–Loup ait quelquefois pensé. Il s′est trompé, dans ce cas. S′il n′avait pas, comme il avait fait, aimé quelque chose de plus élevé que la souplesse innée de son corps, s′il n′avait pas été si longtemps détaché de l′orgueil nobiliaire, il y eût eu plus d′application et de lourdeur dans son agilité même, une vulgarité importante dans ses manières. Comme à Mme de Villeparisis il avait fallu beaucoup de sérieux pour qu′elle donnât dans sa conversation et dans ses Mémoires le sentiment de la frivolité, lequel est intellectuel, de même, pour que le corps de Saint–Loup fût habité par tant d′aristocratie, il fallait que celle-ci eût déserté sa pensée tendue vers de plus hauts objets, et, résorbée dans son corps, s′y fût fixée en lignes inconscientes et nobles. Par là sa distinction d′esprit n′était pas absente d′une distinction physique qui, la première faisant défaut, n′eût pas été complète. Un artiste n′a pas besoin d′exprimer directement sa pensée dans son ouvrage pour que celui-ci en reflète la qualité; on a même pu dire que la louange la plus haute de Dieu est dans la négation de l′athée qui trouve la création assez parfaite pour se passer d′un créateur. Et je savais bien aussi que ce n′était pas qu′une oeuvre d′art que j′admirais en ce jeune cavalier déroulant le long du mur la frise de sa course; le jeune prince (descendant de Catherine de Foix, reine de Navarre et petite-fille de Charles VII) qu′il venait de quitter à mon profit, la situation de naissance et de fortune qu′il inclinait devant moi, les ancêtres dédaigneux et souples qui survivaient dans l′assurance et l′agilité, la courtoisie avec laquelle il venait disposer autour de mon corps frileux le manteau de vigogne, tout cela n′était-ce pas comme des amis plus anciens que moi dans sa vie, par lesquels j′eusse cru que nous dussions toujours être séparés, et qu′il me sacrifiait au contraire par un choix que l′on ne peut faire que dans les hauteurs de l′intelligence, avec cette liberté souveraine dont les mouvements de Robert étaient l′image et dans laquelle se réalise la parfaite amitié?
A certainty of taste in the region not of beauty but manners, which when he was faced by a novel combination of circumstances enabled the man of breeding to grasp at once — like a musician who has been asked to play a piece he has never seen — the feeling, the motions that were required, and to apply the appropriate mechanism and technique; which then allowed this taste to display itself without the constraint of any other consideration, by which the average young man of the middle class would have been paralysed, from fear as well of making himself ridiculous in the eyes of strangers by his disregard of convention as of appearing too deferential in the eyes of his friends; the place of this constraint being taken in Robert by a lofty disdain which certainly he had never felt in his heart but which he had received by inheritance in his body, and which had moulded the attitudes of his ancestors to a familiarity with their inferiors which, they imagined, could only flatter and enchant those to whom it was displayed; lastly, a noble liberality which, taking no account of his boundless natural advantages (lavish expenditure in this restaurant had succeeded in making him, here as elsewhere, the most fashionable customer and the general favourite, a position which was underlined by the deference shewn him throughout the place not only by the waiters but by all its most exclusive young patrons), led him to trample them underfoot, just as he had, actually and symbolically, trodden upon those benches decked with purple, like a triumphal way which pleased my friend only because it enabled him more gracefully and swiftly to arrive at my side; such were the qualities, essential to aristocracy, which through the husk of this body, not opaque and vague as mine would have been, but significant and limpid, transmitted as through a work of art the industrious, energetic force which had created it and rendered the movements of this lightfoot course which Robert had pursued along the wall intelligible and charming as those of a row of knights upon a marble frieze. “Alas!” Robert might have thought, “was it worth while to have grown up despising birth, honouring only justice and intellect, choosing outside the ranks of the friends provided for me companions who were awkward and ill-dressed, provided they had the gift of eloquence, only for the sole personality apparent in me, which is to remain a treasured memory, to be not that which my will, with the most praiseworthy effort, has fashioned in my likeness, but one which is not of my making, which is not even myself, which I have always disliked and striven to overcome; was it worth while to love my chosen friend as I have loved him, for the greatest pleasure that he can find in me to be that of discovering something far more general than myself, a pleasure which is not in the least (as he says, though he cannot seriously believe it) one of the pleasures of friendship, but an intellectual and detached, a sort of artistic pleasure?” This is what I am now afraid that Saint-Loup may at times have thought. If so, he was mistaken. If he had not (as he steadfastly had) cherished something more lofty than the suppleness innate in his body, if he had not kept aloof for so long from the pride that goes with noble birth, there would have been something more studied, a certain heaviness in his very agility, a self-important vulgarity in his manners. As with Mme. de Villeparisis a strong vein of seriousness had been necessary for her to give in her conversation and in her Memoirs a sense of the frivolous, which is intellectual, so, in order that Saint-Loup′s body might be indwelt by so much nobility, the latter had first to desert a mind that was aiming at higher things, and, reabsorbed into his body, to be fixed there in unconscious, noble lines. In this way his distinction of mind was not absent from a bodily distinction which otherwise would not have been complete. An artist has no need to express his mind directly in his work for it to express the quality of that mind; it has indeed been said that the highest praise of God consists in the denial of Him by the atheist, who finds creation so perfect that it can dispense with a creator. And I was quite well aware that it was not merely a work of art that I was admiring in this young man unfolding along the wall the frieze of his flying course; the young Prince (a descendant of Catherine de Foix, Queen of Navarre and grand-daughter of Charles VII) whom he had just left for my sake, the endowments, by birth and fortune, which he was laying at my feet, the proud and shapely ancestors who survived in the assurance, the agility, the courtesy with which he now arranged about my shivering body the warm woollen cloak, were not all these like friends of longer standing in his life, by whom I might have expected that we should be permanently kept apart, and whom, on the contrary, he was sacrificing to me by a choice which one can make only in the loftiest places of the mind, with that sovereign liberty of which Robert′s movements were the presentment and in which is realised perfect friendship?
Ce que la familiarité d′un Guermantes — au lieu de la distinction qu′elle avait chez Robert, parce que le dédain héréditaire n′y était que le vêtement, devenu grâce inconsciente, d′une réelle humilité morale — eût décelé de morgue vulgaire, j′avais pu en prendre consciente, non en M. de Charlus chez lequel les défauts de caractère que jusqu′ici je comprenais mal s′étaient superposés aux habitudes aristocratiques, mais chez le duc de Guermantes. Lui aussi pourtant, dans l′ensemble commun qui avait tant déplu à ma grand′mère quand autrefois elle l′avait rencontré chez Mme de Villeparisis, offrait des parties de grandeur ancienne, et qui me furent sensibles quand j′allai dîner chez lui, le lendemain de la soirée que j′avais passée avec Saint–Loup.
How much familiar intercourse with a Guermantes — in place of the distinction that it had in Robert, because there the inherited scorn of humanity was but the outer garment, become an unconscious charm, of a real moral humility — could disclose of vulgar arrogance I had had an opportunity of seeing, not in M. de Charlus, in whom certain characteristic faults, for which I had been unable, so far, to account, were overlaid upon his aristocratic habits, but in the Duc de Guermantes. And yet he too, in the general impression of commonness which had so strongly repelled my grandmother when she had met him once, years earlier, at Mme. de Villeparisis′s, included glimpses of historic grandeur of which I became conscious when I went to dine in his house, on the evening following that which I had spent with Saint-Loup.
Elles ne m′étaient apparues ni chez lui ni chez la duchesse, quand je les avais vus d′abord chez leur tante, pas plus que je n′avais vu le premier jour les différences qui séparaient la Berma de ses camarades, encore que chez celle-ci les particularités fussent infiniment plus saisissantes que chez des gens du monde, puisqu′elles deviennent plus marquées au fur et à mesure que les objets sont plus réels, plus concevables à l′intelligence. Mais enfin si légères que soient les nuances sociales (et au point que lorsqu′un peintre véridique comme Sainte–Beuve veut marquer successivement les nuances qu′il y eut entre le salon de Mme Geoffrin, de Mme Récamier et de Mme de Boigne, ils apparaissent tous si semblables que la principale vérité qui, à l′insu de l′auteur, ressort de ses études, c′est le néant de la vie de salon), pourtant, en vertu de la même raison que pour la Berma, quand les Guermantes me furent devenus indifférents et que la gouttelette de leur originalité ne fut plus vaporisée par mon imagination, je pus la recueillir, tout impondérable qu′elle fût.
They had not been apparent to me either in himself or in the Duchess when I had met them first in their aunt′s drawing-room, any more than I had discerned, on first seeing her, the differences that set Berma apart from her fellow-players, all the more that in her the individuality was infinitely more striking than in any social celebrity, such distinctions becoming more marked in proportion as the objects are more real, more conceivable by the intellect. And yet, however slight the shades of social distinction may be (and so slight are they that when an accurate portrayer like Sainte-Beuve tries to indicate the shades of difference between the salons of Mme. Geoffrin, Mme. Récamier and Mme. de Boigne, they appear so much alike that the cardinal truth which, unknown to the author, emerges from his investigations is the vacuity of that form of life), with them, and for the same reason as with Berma, when the Guermantes had ceased to impress me and the tiny drop of their originality was no longer vaporised by my imagination, I was able to distil and analyse it, imponderable as it was.
La duchesse ne m′ayant pas parlé de son mari, à la soirée de sa tante, je me demandais si, avec les bruits de divorce qui couraient, il assisterait au dîner. Mais je fus bien vite fixé car parmi les valets de pied qui se tenaient debout dans l′antichambre et qui (puisqu′ils avaient dû jusqu′ici me considérer à peu près comme les enfants de l′ébéniste, c′est-à-dire peut-être avec plus de sympathie que leur maître mais comme incapable d′être reçu chez lui) devaient chercher la cause de cette révolution, je vis se glisser M. de Guermantes qui guettait mon arrivée pour me recevoir sur le seuil et m′ôter lui-même mon pardessus.
The Duchess having made no reference to her husband when she talked to me at her aunt′s party, I wondered whether, in view of the rumours of a divorce that were current, he would be present at the dinner. But my doubts were speedily set at rest, for through the crowd of footmen who stood about in the hall and who (since they must until then have regarded me much as they regarded the children of the evicted cabinet-maker, that is to say with more fellow-feeling perhaps than their master but as a person incapable of being admitted to his house) must have been asking themselves to what this social revolution could be due, I saw slip towards me M. de Guermantes himself, who had been watching for my arrival so as to receive me upon his threshold and take off my greatcoat with his own hands.
— Mme de Guermantes va être tout ce qu′il y a de plus heureuse, me dit-il d′un ton habilement persuasif. Permettez-moi de vous débarrasser de vos frusques (il trouvait à la fois bon enfant et comique de parler le langage du peuple). Ma femme craignait un peu une défection de votre part, bien que vous eussiez donné votre jour. Depuis ce matin nous nous disions l′un à l′autre: «Vous verrez qu′il ne viendra pas.» Je dois dire que Mme de Guermantes a vu plus juste que moi. Vous n′êtes pas un homme commode à avoir et j′étais persuadé que vous nous feriez faux bond. Et le duc était si mauvais mari, si brutal même, disait-on, qu′on lui savait gré, comme on sait gré de leur douceur aux méchants, de ces mots «Mme de Guermantes» avec lesquels il avait l′air d′étendre sur la duchesse une aile protectrice pour qu′elle ne fasse qu′un avec lui. Cependant me saisissant familièrement par la main, il se mit en devoir de me guider et de m′introduire dans les salons. Telle expression courante peu claire dans la bouche d′un paysan si elle montre la survivance d′une tradition locale, la trace d′un événement historique, peut-être ignorés de celui qui y fait allusion; de même cette politesse de M. de Guermantes, et qu′il allait me témoigner pendant toute la soirée, me charma comme un reste d′habitudes plusieurs fois séculaires, d′habitudes en particulier du XVIIIe siècle. Les gens des temps passés nous semblent infiniment loin de nous. Nous n′osons pas leur supposer d′intentions profondes au delà de ce qu′ils expriment formellement; nous sommes étonnés quand nous rencontrons un sentiment à peu près pareil à ceux que nous éprouvons chez un héros d′Homère ou une habile feinte tactique chez Hannibal pendant la bataille de Cannes, où il laissa enfoncer son flanc pour envelopper son adversaire par surprise; on dirait que nous nous imaginons ce poète épique et ce général aussi éloignés de nous qu′un animal vu dans un jardin zoologique. Même chez tels personnages de la cour de Louis XIV, quand nous trouvons des marques de courtoisie dans des lettres écrites par eux à quelque homme de rang inférieur et qui ne peut leur être utile à rien, elles nous laissent surpris parce qu′elles nous révèlent tout à coup chez ces grands seigneurs tout un monde de croyances qu′ils n′expriment jamais directement mais qui les gouvernent, et en particulier la croyance qu′il faut par politesse feindre certains sentiments et exercer avec le plus grand scrupule certaines fonctions d′amabilité.
“Mme. de Guermantes will be as pleased as punch,” he greeted me in a glibly persuasive tone. “Let me help you off with your duds.” (He felt it to be at once companionable and comic to employ the speech of the people.) “My wife was just the least bit afraid you might fail us, although you had fixed a date. We′ve been saying to each other all day long: ‘Depend upon it, he′ll never turn up.′ I am bound to say, Mme. de Guermantes was a better prophet than I was. You are not an easy man to get hold of, and I was quite sure you were going to play us false.” And the Duke was so bad a husband, so brutal even (people said), that one felt grateful to him, as one feels grateful to wicked people for their occasional kindness of heart, for those words ‘Mme. de Guermantes′ with which he appeared to be spreading out over the Duchess a protecting wing, that she might be but one flesh with him. Meanwhile, taking me familiarly by the hand, he began to lead the way, to introduce me into his household. Just as some casual phrase may delight us coming from the lips of a peasant if it points to the survival of a local tradition, shews the trace of some historic event unknown, it may be, to him who thus alludes to it; so this politeness on the part of M. de Guermantes, which, moreover, he was to continue to shew me throughout the evening, charmed me as a survival of habits of many centuries′ growth, habits of the seventeenth century in particular. The people of bygone ages seem to us infinitely remote. We do not feel justified in ascribing to them any underlying intention apart from those to which they give formal expression; we are amazed when we come upon a sentiment more or less akin to what we are feeling to-day in a Homeric hero, or upon a skilful tactical feint in Hannibal, during the buttle of Cannae, where he let his flank be driven back in order to take the enemy by surprise and surround him; it would seem that we imagined the epic poet and the Punic general as being as remote from ourselves as an animal seen in a zoological garden. Even in certain personages of the court of Louis XIV, when we find signs of courtesy in the letters written by them to some man of inferior rank who could be of no service to them whatever, they leave us bewildered because they reveal to us suddenly, as existing among these great gentlemen, a whole world of beliefs to which they never give any direct expression but which govern their conduct, and especially the belief that they are bound in politeness to feign certain sentiments and to carry out with the most scrupulous care certain obligations of friendship.
Cet éloignement imaginaire du passé est peut-être une des raisons qui permettent de comprendre que même de grands écrivains aient trouvé une beauté géniale aux oeuvres de médiocres mystificateurs comme Ossian. Nous sommes si étonnés que des bardes lointains puissent avoir des idées modernes, que nous nous émerveillons si, dans ce que nous croyons un vieux chant gaélique, nous en rencontrons une que nous n′eussions trouvée qu′ingénieuse chez un contemporain. Un traducteur de talent n′a qu′à ajouter à un Ancien qu′il restitue plus ou moins fidèlement, des morceaux qui, signés d′un nom contemporain et publiés à part, paraîtraient seulement agréables: aussitôt il donne une émouvante grandeur à son poète, lequel joue ainsi sur le clavier de plusieurs siècles. Ce traducteur n′était capable que d′un livre médiocre, si ce livre eût été publié comme un original de lui. Donné pour une traduction, il semble celle d′un chef-d′oeuvre. Le passé non seulement n′est pas fugace, il reste sur place. Ce n′est pas seulement des mois après le commencement d′une guerre que des lois votées sans hâte peuvent agir efficacement sur elle, ce n′est pas seulement quinze ans après un crime resté obscur qu′un magistrat peut encore trouver les éléments qui serviront à l′éclaircir; après des siècles et des siècles, le savant qui étudie dans une région lointaine la toponymie, les coutumes des habitants, pourra saisir encore en elles telle légende bien antérieure au christianisme, déjà incomprise, sinon même oubliée au temps d′Hérodote et qui dans l′appellation donnée à une roche, dans un rite religieux, demeure au milieu du présent comme une émanation plus dense, immémoriale et stable. Il y en avait une aussi, bien moins antique, émanation de la vie de cour, sinon dans les manières souvent vulgaires de M. de Guermantes, du moins dans l′esprit qui les dirigeait. Je devais la goûter encore, comme une odeur ancienne, quand je la retrouvai un peu plus tard au salon. Car je n′y étais pas allé tout de suite.
This imagined remoteness of the past is perhaps one of the things that enable us to understand how even great writers have found an inspired beauty in the works of mediocre mystifiers, such as Macpherson′s Ossian. We so little expected to learn that bards long dead could have modern ideas that we marvel if in what we believe to be an ancient Gaelic ode we come upon one which we should have thought, at the most, ingenious in a contemporary. A translator of talent has simply to add to an ancient writer whom he presents to us more or less faithfully reproduced fragments which, signed with a contemporary name and published separately, would seem entertaining only; at once he imparts a moving grandeur to his poet, who is thus made to play upon the keyboards of several ages at once. This translator was capable only of a mediocre book, if that book had been published as his original work. Given out as a translation, it seems that of a masterpiece. The past not merely is not fugitive, it remains present. It is not within a few months only after the outbreak of a war that laws passed without haste can effectively influence its course, it is not within fifteen years only after a crime which has remained obscure that a magistrate can still find the vital evidence which will throw a light on it; after hundreds and thousands of years the scholar who has been studying in a distant land the place-names, the customs of the inhabitants, may still extract from them some legend long anterior to the Christian era, already unintelligible, if not actually forgotten, at the time of Herodotus, which in the name given to a rock, in a religious rite, dwells surrounded by the present, like an emanation of greater density, immemorial and stable. There was similarly an emanation, though far less ancient, of the life of the court, if not in the manners of M. de Guermantes, which were often vulgar, at least in the mind that controlled them. I was to breathe this again, like the odour of antiquity, when I joined him a little later in the drawing-room. For I did not go there at once.
En quittant le vestibule, j′avais dit à M. de Guermantes que j′avais un grand désir de voir ses Elstir. «Je suis à vos ordres, M. Elstir est-il donc de vos amis? Je suis fort marri car je le connais un peu, c′est un homme aimable, ce que nos pères appelaient l′honnête homme, j′aurais pu lui demander de me faire la grâce de venir, et le prier à dîner. Il aurait certainement été très flatté de passer la soirée en votre compagnie.» Fort peu ancien régime quand il s′efforçait ainsi de l′être, le duc le redevenait ensuite sans le vouloir. M′ayant demandé si je désirais qu′il me montrât ces tableaux, il me conduisit, s′effaçant gracieusement devant chaque porte, s′excusant quand, pour me montrer le chemin, il était obligé de passer devant, petite scène qui (depuis le temps où Saint–Simon raconte qu′un ancêtre des Guermantes lui fit les honneurs de son hôtel avec les mêmes scrupules dans l′accomplissement des devoirs frivoles du gentilhomme) avait dû, avant de glisser jusqu′à nous, être jouée par bien d′autres Guermantes pour bien d′autres visiteurs. Et comme j′avais dit au duc que je serais bien aise d′être seul un moment devant les tableaux, il s′était retiré discrètement en me disant que je n′aurais qu′à venir le retrouver au salon.
As we left the outer hall, I had mentioned to M. de Guermantes that I was extremely anxious to see his Elstirs. “I am at your service. Is M. Elstir a friend of yours, then? If so, it is most vexing, for I know him slightly; he is a pleasant fellow, what our fathers used to call an ‘honest fellow′; I might have asked him to honour us with his company, and to dine tonight. I am sure he would have been highly flattered at being invited to spend the evening in your society.” Very little suggestive of the old order when he tried thus to assume its manner, the Duke relapsed unconsciously into it. After inquiring whether I wished him to shew me the pictures, he conducted me to them, gracefully standing aside for me at each door, apologising when, to shew me the way, he was obliged to precede me, a little scene which (since the days when Saint-Simon relates that an ancestor of the Guermantes did him the honours of his town house with the same punctilious exactitude in the performance of the frivolous duties of a gentleman) must, before coming gradually down to us, have been enacted by many other Guermantes for numberless other visitors. And as I had said to the Duke that I would like very much to be left alone for a few minutes with the pictures, he discreetly withdrew, telling me that I should find him in the drawing-room when I was ready.
Seulement une fois en tête à tête avec les Elstir, j′oubliai tout à fait l′heure du dîner; de nouveau comme à Balbec j′avais devant moi les fragments de ce monde aux couleurs inconnues qui n′était que la projection, la manière de voir particulière à ce grand peintre et que ne traduisaient nullement ses paroles. Les parties du mur couvertes de peintures de lui, toutes homogènes les unes aux autres, étaient comme les images lumineuses d′une lanterne magique laquelle eût été, dans le cas présent, la tête de l′artiste et dont on n′eût pu soupçonner l′étrangeté tant qu′on n′aurait fait que connaître l′homme, c′est-à-dire tant qu′on n′eût fait que voir la lanterne coiffant la lampe, avant qu′aucun verre coloré eût encore été placé. Parmi ces tableaux, quelques-uns de ceux qui semblaient le plus ridicules aux gens du monde m′intéressaient plus que les autres en ce qu′ils recréaient ces illusions d′optique qui nous prouvent que nous n′identifierions pas les objets si nous ne faisions pas intervenir le raisonnement. Que de fois en voiture ne découvrons-nous pas une longue rue claire qui commence à quelques mètres de nous, alors que nous n′avons devant nous qu′un pan de mur violemment éclairé qui nous a donné le mirage de la profondeur. Dès lors n′est-il pas logique, non par artifice de symbolisme mais par retour sincère à la racine même de l′impression, de représenter une chose par cette autre que dans l′éclair d′une illusion première nous avons prise pour elle? Les surfaces et les volumes sont en réalité indépendants des noms d′objets que notre mémoire leur impose quand nous les avons reconnus. Elstir tâchait d′arracher à ce qu′il venait de sentir ce qu′il savait, son effort avait souvent été de dissoudre cet agrégat de raisonnements que nous appelons vision.
Only, once I was face to face with the Elstirs, I completely forgot about dinner and the time; here again as at Balbec I had before me fragments of that strangely coloured world which was no more than the projection, the way of seeing things peculiar to that great painter, which his speech in no way expressed. The parts of the walls that were covered by paintings from his brush, all homogeneous with one another, were like the luminous images of a magic lantern, which would have been in this instance the brain of the artist, and the strangeness of which one could never have suspected so long as one had known only the man, which was like seeing the iron lantern boxing its lamp before any coloured slide had been slid into its groove. Among these pictures several of the kind that seemed most absurd to ordinary people interested me more than the rest because they recreated those optical illusions which prove to us that we should never succeed in identifying objects if we did not make some process of reasoning intervene How often, when driving in the dark, do we not come upon a long, lighted street which begins a few feet away from us, when what we have actually before our eyes is nothing but a rectangular patch of wall with a bright light falling on it, which has given us the mirage of depth. In view of which is it not logical, not by any artifice of symbolism but by a sincere return to the very root of the impression, to represent one thing by that other for which, in the flash of a first illusion, we mistook it? Surfaces and volumes are in reality independent of the names of objects which our memory imposes on them after we have recognised them. Elstir attempted to wrest from what he had just felt what he already knew, his effort had often been to break up that aggregate of impressions which we call vision.
Les gens qui détestaient ces «horreurs» s′étonnaient qu′Elstir admirât Chardin, Perroneau, tant de peintres qu′eux, les gens du monde, aimaient. Ils ne se rendaient pas compte qu′Elstir avait pour son compte refait devant le réel (avec l′indice particulier de son goût pour certaines recherches) le même effort qu′un Chardin ou un Perroneau, et qu′en conséquence, quand il cessait de travailler pour lui-même, il admirait en eux des tentatives du même genre, des sortes de fragments anticipés d′oeuvres de lui. Mais les gens du monde n′ajoutaient pas par la pensée à l′oeuvre d′Elstir cette perspective du Temps qui leur permettait d′aimer ou tout au moins de regarder sans gêne la peinture de Chardin. Pourtant les plus vieux auraient pu se dire qu′au cours de leur vie ils avaient vu, au fur et à mesure que les années les en éloignaient, la distance infranchissable entre ce qu′ils jugeaient un chef-d′oeuvre d′Ingres et ce qu′ils croyaient devoir rester à jamais une horreur (par exemple l′Olympia de Manet) diminuer jusqu′à ce que les deux toiles eussent l′air jumelles. Mais on ne profite d′aucune leçon parce qu′on ne sait pas descendre jusqu′au général et qu′on se figure toujours se trouver en présence d′une expérience qui n′a pas de précédents dans le passé.
The people who detested these ‘horrors′ were astonished to find that Elstir admired Chardin, Perroneau, any number of painters whom they, the ordinary men and women of society, liked. They did not take into account that Elstir had had to make, for his own part, in striving to reproduce reality (with the particular index of his taste for certain lines of approach), the same effort as a Chardin or a Perroneau and that consequently, when he ceased to work for himself, he admired in them attempts of the same order, fragments anticipatory so to speak of works of his own. Nor did these society people include in their conception of Elstir′s work that temporal perspective which enabled them to like, or at least to look without discomfort at Chardin′s painting. And yet the older among them might have reminded themselves that in the course of their lives they had seen gradually, as the years bore them away from it, the unbridgeable gulf between what they considered a masterpiece by Ingres and what, they had supposed, must remain for ever a ‘horror′ (Manet′s Olympia, for example) shrink until the two canvases seemed like twins. But we learn nothing from any lesson because we have not the wisdom to work backwards from the particular to the general, and imagine ourselves always to be going through an experience which is without precedents in the past.
Je fus émus de retrouver dans deux tableaux (plus réalistes, ceux-là, et d′une manière antérieure) un même monsieur, une fois en frac dans son salon, une autre fois en veston et en chapeau haut de forme dans une fête populaire au bord de l′eau où il n′avait évidemment que faire, et qui prouvait que pour Elstir il n′était pas seulement un modèle habituel, mais un ami, peut-être un protecteur, qu′il aimait, comme autrefois Carpaccio tels seigneurs notoires — et parfaitement ressemblants — de Venise, à faire figurer dans ses peintures; de même encore que Beethoven trouvait du plaisir à inscrire en tête d′une oeuvre préférée le nom chéri de l′archiduc Rodolphe. Cette fête au bord de l′eau avait quelque chose d′enchanteur. La rivière, les robes des femmes, les voiles des barques, les reflets innombrables des unes et des autres voisinaient parmi ce carré de peinture qu′Elstir avait découpé dans une merveilleuse après-midi. Ce qui ravissait dans la robe d′une femme cessant un moment de danser, à cause de la chaleur et de l′essoufflement, était chatoyant aussi, et de la même manière, dans la toile d′une voile arrêtée, dans l′eau du petit port, dans le ponton de bois, dans les feuillages et dans le ciel. Comme dans un des tableaux que j′avais vus à Balbec, l′hôpital, aussi beau sous son ciel de lapis que la cathédrale elle-même, semblait, plus hardi qu′Elstir théoricien, qu′Elstir homme de goût et amoureux du moyen âge, chanter: «Il n′y a pas de gothique, il n′y a pas de chef-d′oeuvre, l′hôpital sans style vaut le glorieux portail», de même j′entendais: «La dame un peu vulgaire qu′un dilettante en promenade éviterait de regarder, excepterait du tableau poétique que la nature compose devant lui, cette femme est belle aussi, sa robe reçoit la même lumière que la voile du bateau, et il n′y a pas de choses plus ou moins précieuses, la robe commune et la voile en elle-même jolie sont deux miroirs du même reflet, tout le prix est dans les regards du peintre.» Or celui-ci avait su immortellement arrêter le mouvement des heures à cet instant lumineux où la dame avait eu chaud et avait cessé de danser, où l′arbre était cerné d′un pourtour d′ombre, où les voiles semblaient glisser sur un vernis d′or. Mais justement parce que l′instant pesait sur nous avec tant de force, cette toile si fixée donnait l′impression la plus fugitive, on sentait que la dame allait bientôt s′en retourner, les bateaux disparaître, l′ombre changer de place, la nuit venir, que le plaisir finit, que la vie passe et que les instants, montrés à la fois par tant de lumières qui y voisinent ensemble, ne se retrouvent pas. Je reconnaissais encore un aspect, tout autre il est vrai, de ce qu′est l′instant, dans quelques aquarelles à sujets mythologiques, datant des débuts d′Elstir et dont était aussi orné ce salon. Les gens du monde «avancés» allaient «jusqu′à» cette manière-là, mais pas plus loin. Ce n′était certes pas ce qu′Elstir avait fait de mieux, mais déjà la sincérité avec laquelle le sujet avait été pensé ôtait sa froideur. C′est ainsi que, par exemple, les Muses étaient représentées comme le seraient des êtres appartenant à une espèce fossile mais qu′il n′eût pas été rare, aux temps mythologiques, de voir passer le soir, par deux ou par trois, le long de quelque sentier montagneux. Quelquefois un poète, d′une race ayant aussi une individualité particulière pour un zoologiste (caractérisée par une certaine insexualité), se promenait avec une Muse, comme, dans la nature, des créatures d′espèces différentes mais amies et qui vont de compagnie. Dans une de ces aquarelles, on voyait un poète épuisé d′une longue course en montagne, qu′un Centaure, qu′il a rencontré, touché de sa fatigue, prend sur son dos et ramène. Dans plus d′une autre, l′immense paysage (où la scène mythique, les héros fabuleux tiennent une place minuscule et sont comme perdus) est rendu, des sommets à la mer, avec une exactitude qui donne plus que l′heure, jusqu′à la minute qu′il est, grâce au degré précis du déclin du soleil, à la fidélité fugitive des ombres. Par là l′artiste donne, en l′instantanéisant, une sorte de réalité historique vécue au symbole de la fable, le peint, et le relate au passé défini.
I was moved by the discovery in two of the pictures (more realistic, these, and in an earlier manner) of the same person, in one in evening dress in his own drawing-room, in the other wearing a frock coat and tall hat at some popular regatta where he had evidently no business to be, which proved that for Elstir he was not only a regular sitter but a friend, perhaps a patron whom it pleased him (just as Carpaccio used to introduce prominent figures, and in speaking likenesses, from contemporary life in Venice) to introduce into his pictures, just as Beethoven, too, found pleasure in inscribing at the top of a favourite work the beloved name of the Archduke Rudolph. There was something enchanting about this waterside carnival. The river, the women′s dresses, the sails of the boats, the innumerable reflexions of one thing and another came crowding into this little square panel of beauty which Elstir had cut out of a marvellous afternoon. What delighted one in the dress of a woman who had stopped for a moment in the dance because it was hot and she was out of breath was irresistible also in the same way in the canvas of a motionless sail, in the water of the little harbour, in the wooden bridge, in the leaves of the trees and in the sky. As in one of the pictures that I had seen at Balbec, the hospital, as beautiful beneath its sky of lapis lazuli as the cathedral itself, seemed (more bold than Elstir the theorician, then Elstir the man of taste, the lover of things mediaeval) to be intoning: “There is no such thing as gothic, there is no such thing as a masterpiece; this tasteless hospital is just as good as the glorious porch,” so I now heard: “The slightly vulgar lady at whom a man of discernment would refrain from glancing as he passed her by, would except from the poetical composition which nature has set before him — her dress is receiving the same light as the sail of that boat, and there are no degrees of value and beauty; the commonplace dress and the sail, beautiful in itself, are two mirrors reflecting the same gleam; the value is all in the painter′s eye.” This eye had had the skill to arrest for all time the motion of the hours at this luminous instant, when the lady had felt hot and had stopped dancing, when the tree was fringed with a belt of shadow, when the sails seemed to be slipping over a golden glaze. But just because the depicted moment pressed on one with so much force, this so permanent canvas gave one the most fleeting impression, one felt that the lady would presently move out of it, the boats drift away, the night draw on, that pleasure comes to an end, that life passes and that the moments illuminated by the convergence, at once, of so many lights do not recur. I recognized yet another aspect, quite different it is true, of what the moment means in a series of water-colours of mythological subjects, dating from Elstir′s first period, which also adorned this room. Society people who held ‘advanced′ views on art went ‘as far as′ this earliest manner, but no further. These were certainly not the best work that he had done, but already the sincerity with which the subject had been thought out melted its natural coldness. Thus the Muses, for instance, were represented as it might be creatures belonging to a species now fossilised, but creatures which it would not have been surprising in mythological times to see pass in the evening, in twos or threes, along some mountain path. Here and there a poet, of a race that had also a peculiar interest for the zoologist (characterised by a certain sexlessness) strolled with a Muse, as one sees in nature creatures of different but of kindred species consort together. In one of these water-colours one saw a poet wearied by long wanderings on the mountains, whom a Centaur, meeting him and moved to pity by his weakness, had taken on his back and was carrying home. In more than one other, the vast landscape (in which the mythical scene, the fabulous heroes, occupied a minute place and were almost lost) was rendered, from the mountain tops to the sea, with an exactitude which told one more than the hour, told one to the very minute what time of day ft was, thanks to the precise angle of the setting sun, to the fleeting fidelity of the shadows. In this way the artist managed to give, by making it instantaneous, a sort of historical reality, as of a thing actually lived, to the symbol of his fable, painted it and set it at a definite point in the past.
Pendant que je regardais les peintures d′Elstir, les coups de sonnette des invités qui arrivaient avaient tinté, ininterrompus, et m′avaient bercé doucement. Mais le silence qui leur succéda et qui durait déjà depuis très longtemps finit — moins rapidement il est vrai — par m′éveiller de ma rêverie, comme celui qui succède à la musique de Lindor tire Bartholo de son sommeil. J′eus peur qu′on m′eût oublié, qu′on fût à table et j′allai rapidement vers le salon. A la porte du cabinet des Elstir je trouvai un domestique qui attendait, vieux ou poudré, je ne sais, l′air d′un ministre espagnol, mais me témoignant du même respect qu′il eût mis aux pieds d′un roi. Je sentis à son air qu′il m′eût attendu une heure encore, et je pensai avec effroi au retard que j′avais apporté au dîner, alors surtout que j′avais promis d′être à onze heures chez M. de Charlus.
While I was examining Elstir′s paintings the bell, rung by arriving guests had been pealing uninterruptedly, and had lulled me into a pleasing unconsciousness. But the silence which followed its clangour and had already lasted for some time succeeded — less rapidly, it is true — in awakening me from my dream, as the silence that follows Lindor′s music arouses Bartolo from his sleep. I was afraid that I had been forgotten, that they had sat down to dinner, and hurried to the drawing-room. At the door of the Elstir gallery I found a servant waiting for me, white-haired, though whether with age or powder I cannot say, with the air of a Spanish Minister, but treating me with the same respect that he would have shewn to a King. I felt from his manner that he must have been waiting for at least an hour, and I thought with alarm of the delay I had caused in the service of dinner, especially as I had promised to be at M. de Charlus′s by eleven.
Le ministre espagnol (non sans que je rencontrasse, en route, le valet de pied persécuté par le concierge, et qui, rayonnant de bonheur quand je lui demandai des nouvelles de sa fiancée, me dit que justement demain était le jour de sortie d′elle et de lui, qu′il pourrait passer toute la journée avec elle, et célébra la bonté de Madame la duchesse) me conduisit au salon où je craignais de trouver M. de Guermantes de mauvaise humeur. Il m′accueillit au contraire avec une joie évidemment en partie factice et dictée par la politesse, mais par ailleurs sincère, inspirée et par son estomac qu′un tel retard avait affamé, et par la conscience d′une impatience pareille chez tous ses invités lesquels remplissaient complètement le salon. Je sus, en effet, plus tard, qu′on m′avait attendu près de trois quarts d′heure. Le duc de Guermantes pensa sans doute que prolonger le supplice général de deux minutes ne l′aggraverait pas, et que la politesse l′ayant poussé à reculer si longtemps le moment de se mettre à table, cette politesse serait plus complète si en ne faisant pas servir immédiatement il réussissait à me persuader que je n′étais pas en retard et qu′on n′avait pas attendu pour moi. Aussi me demanda-t-il, comme si nous avions une heure avant le dîner et si certains invités n′étaient pas encore là, comment je trouvais les Elstir. Mais en même temps et sans laisser apercevoir ses tiraillements d′estomac, pour ne pas perdre une seconde de plus, de concert avec la duchesse il procédait aux présentations. Alors seulement je m′aperçus que venait de se produire autour de moi, de moi qui jusqu′à ce jour — sauf le stage dans le salon de Mme Swann — avais été habitué chez ma mère, à Combray et à Paris, aux façons ou protectrices ou sur la défensive de bourgeoises rechignées qui me traitaient en enfant, un changement de décor comparable à celui qui introduit tout à coup Parsifal au milieu des filles fleurs. Celles qui m′entouraient, entièrement décolletées (leur chair apparaissait des deux côtés d′une sinueuse branche de mimosa ou sous les larges pétales d′une rose), ne me dirent bonjour qu′en coulant vers moi de longs regards caressants comme si la timidité seule les eût empêchées de m′embrasser. Beaucoup n′en étaient pas moins fort honnêtes au point de vue des moeurs; beaucoup, non toutes, car les plus vertueuses n′avaient pas pour celles qui étaient légères cette répulsion qu′eût éprouvée ma mère. Les caprices de la conduite, niés par de saintes amies, malgré l′évidence, semblaient, dans le monde des Guermantes, importer beaucoup moins que les relations qu′on avait su conserver. On feignait d′ignorer que le corps d′une maîtresse de maison était manié par qui voulait, pourvu que le «salon» fût demeuré intact. Comme le duc se gênait fort peu avec ses invités (de qui et à qui il n′avait plus dès longtemps rien à apprendre), mais beaucoup avec moi dont le genre de supériorité, lui étant inconnu, lui causait un peu le même genre de respect qu′aux grands seigneurs de la cour de Louis XIV les ministres bourgeois, il considérait évidemment que le fait de ne pas connaître ses convives n′avait aucune importance, sinon pour eux, du moins pour moi, et, tandis que je me préoccupais à cause de lui de l′effet que je ferais sur eux, il se souciait seulement de celui qu′ils feraient sur moi.
The Spanish Minister (though I also met on the way the footman persecuted by the porter, who, radiant with delight when I inquired after his girl, told me that the very next day they were both to be off duty, so that he would be able to spend the whole day with her, and extolled the generosity of Madame la Duchesse) conducted me to the drawing-room, where I was afraid of finding M. de Guermantes in an ill humour. He welcomed me, on the contrary, with a joy that was evidently to a certain extent artificial and dictated by politeness, but was also sincere, prompted both by his stomach which so long a delay had begun to famish, and his consciousness of a similar impatience in all his other guests, who completely filled the room. Indeed I heard afterwards that I had kept them waiting for nearly three-quarters of an hour. The Duc de Guermantes probably thought that to prolong the general torment for two minutes more would not intensify it and that, politeness having driven him to postpone for so long the moment of moving into the dining-room, this politeness would be more complete if, by not having dinner announced immediately, he could succeed in persuading me that I was not late, and that they had not been waiting for me. And so he asked me, as if we had still an hour before dinner and some of the party had not yet arrived, what I thought of his Elstirs. But at the same time, and without letting the cravings of his stomach become apparent, so as not to lose another moment, he, in concert with the Duchess, proceeded to the ceremony of introduction. Then only I perceived that there had occurred round about me, me who until this evening, save for my novitiate in Mme. Swann′s drawing-room, had been accustomed, in my mother′s homes, at Combray and in Paris, to the manners, either protecting or defensive, of the grim ladies of our middle-world, who treated me as a child, a change of surroundings comparable to that which introduces Parsifal suddenly into the midst of the Flower-Maidens. Those who surrounded me now, their bosoms entirely bare (the naked flesh appeared on either side of a sinuous spray of mimosa or behind the broad petals of a rose) could not murmur a word of greeting without at the same time bathing me in long, caressing glances, as though shyness alone restrained them from kissing me. Many of them were nevertheless highly respectable from the moral standpoint; many, not all, for the most virtuous had not for those of a lighter vein the same repulsion that my mother would have felt. The caprices of one′s conduct, denied by saintlier friends, in the face of the evidence, seemed in the Guermantes world to matter far less than the relations which one had been able to maintain. One pretended not to know that the body of one′s hostess was at the disposal of all comers, provided that her visiting list showed no gaps. As the Duke put himself out not at all for his other guests (of whom he had long known everything that there was to know, and they of him) but quite markedly for me, whose kind of superiority, being outside his experience, inspired in him something akin to the respect which the great nobleman of the court of Louis XIV used to feel for his plebeian Ministers, he evidently considered that the fact of my not knowing his other guests mattered not at all — to me at least, though it might to them — and while I was anxious, on his account, as to the impression that I was going to make on them he was thinking only of how his friends would impress me.
Tout d′abord, d′ailleurs, se produisit un double petit imbroglio. Au moment même, en effet, où j′étais entré dans le salon, M. de Guermantes, sans même me laisser le temps de dire bonjour à la duchesse, m′avait mené, comme pour faire une bonne surprise à cette personne à laquelle il semblait dire: «Voici votre ami, vous voyez je vous l′amène par la peau du cou», vers une dame assez petite. Or, bien avant que, poussé par le duc, je fusse arrivé devant elle, cette dame n′avait cessé de m′adresser avec ses larges et doux yeux noirs les mille sourires entendus que nous adressons à une vieille connaissance qui peut-être ne nous reconnaît pas. Comme c′était justement mon cas et que je ne parvenais pas à me rappeler qui elle était, je détournais la tête tout en m′avançant de façon à ne pas avoir à répondre jusqu′à ce que la présentation m′eût tiré d′embarras. Pendant ce temps, la dame continuait à tenir en équilibre instable son sourire destiné à moi. Elle avait l′air d′être pressée de s′en débarrasser et que je dise enfin: «Ah! madame, je crois bien! Comme maman sera heureuse que nous nous soyons retrouvés!» J′étais aussi impatient de savoir son nom qu′elle d′avoir vu que je la saluais enfin en pleine connaissance de cause et que son sourire indéfiniment prolongé, comme un sol dièse, pouvait enfin cesser. Mais M. de Guermantes s′y prit si mal, au moins à mon avis, qu′il me sembla qu′il n′avait nommé que moi et que j′ignorais toujours qui était la pseudo-inconnue, laquelle n′eut pas le bon esprit de se nommer tant les raisons de notre intimité, obscures pour moi, lui paraissaient claires. En effet, dès que je fus auprès d′elle elle ne me tendit pas sa main, mais prit familièrement la mienne et me parla sur le même ton que si j′eusse été aussi au courant qu′elle des bons souvenirs à quoi elle se reportait mentalement. Elle me dit combien Albert, que je compris être son fils, allait regretter de n′avoir pu venir. Je cherchai parmi mes anciens camarades lequel s′appelait Albert, je ne trouvai que Bloch, mais ce ne pouvait être Mme Bloch mère que j′avais devant moi puisque celle-ci était morte depuis de longues années. Je m′efforçais vainement à deviner le passé commun à elle et à moi auquel elle se reportait en pensée. Mais je ne l′apercevais pas mieux, à travers le jais translucide des larges et douces prunelles qui ne laissaient passer que le sourire, qu′on ne distingue un paysage situé derrière une vitre noire même enflammée de soleil. Elle me demanda si mon père ne se fatiguait pas trop, si je ne voudrais pas un jour aller au théâtre avec Albert, si j′étais moins souffrant, et comme mes réponses, titubant dans l′obscurité mentale où je me trouvais, ne devinrent distinctes que pour dire que je n′étais pas bien ce soir, elle avança elle-même une chaise pour moi en faisant mille frais auxquels ne m′avaient jamais habitué les autres amis de mes parents. Enfin le mot de l′énigme me fut donné par le duc: «Elle vous trouve charmant», murmura-t-il à mon oreille, laquelle fut frappée comme si ces mots ne lui étaient pas inconnus. C′étaient ceux que Mme de Villeparisis nous avait dits, à ma grand′mère et à moi, quand nous avions fait la connaissance de la princesse de Luxembourg. Alors je compris tout, la dame présente n′avait rien de commun avec Mme de Luxembourg, mais au langage de celui qui me la servait je discernai l′espèce de la bête. C′était une Altesse. Elle ne connaissait nullement ma famille ni moi-même, mais issue de la race la plus noble et possédant la plus grande fortune du monde, car, fille du prince de Parme, elle avait épousé un cousin également princier, elle désirait, dans sa gratitude au Créateur, témoigner au prochain, de si pauvre ou de si humble extraction fût-il, qu′elle ne le méprisait pas. A vrai dire, les sourires auraient pu me le faire deviner, j′avais vu la princesse de Luxembourg acheter des petits pains de seigle sur la plage pour en donner à ma grand′mère, comme à une biche du Jardin d′acclimatation. Mais ce n′était encore que la seconde princesse du sang à qui j′étais présenté, et j′étais excusable de ne pas avoir dégagé les traits généraux de l′amabilité des grands. D′ailleurs eux-mêmes n′avaient-ils pas pris la peine de m′avertir de ne pas trop compter sur cette amabilité, puisque la duchesse de Guermantes, qui m′avait fait tant de bonjours avec la main à l′Opéra-comique, avait eu l′air furieux que je la saluasse dans la rue, comme les gens qui, ayant une fois donné un louis à quelqu′un, pensent qu′avec celui-là ils sont en règle pour toujours. Quant à M. de Charlus, ses hauts et ses bas étaient encore plus contrastés. Enfin j′ai connu, on le verra, des altesses et des majestés d′une autre sorte, reines qui jouent à la reine, et parlent non selon les habitudes de leurs congénères, mais comme les reines dans Sardou.
At the very outset I found myself completely bewildered. No sooner had I entered the drawing-room than M. de Guermantes, without even allowing me time to shake hands with the Duchess, had led me, as though I were a delightful surprise to the person in question to whom he seemed to be saying: “Here′s your friend! You see, I′m bringing him to you by the scruff of his neck,” towards a lady of smallish stature. Whereupon, long before, thrust forward by the Duke, I had reached her chair, the lady had begun to flash at me continuously from her large, soft, dark eyes the thousand smiles of understanding which we address to an old friend who perhaps has not recognised us. As this was precisely my case and I could not succeed in calling to mind who she was I averted my eyes from her as I approached so as not to have to respond until our introduction should have released me from my predicament. Meanwhile the lady continued to maintain in unstable equilibrium the smile intended for myself. She looked as though she were anxious to be relieved of it and to hear me say: “Oh, but this is a pleasure! Mamma will be pleased when I tell her I′ve met you!” I was as impatient to learn her name as she was to see that I did finally greet her, fully aware of what I was doing, so that the smile which she was holding on indefinitely, like the note of a tuning-fork, might at length be let go. But M. de Guermantes managed things so badly (to my mind, at least) that I seemed to have heard only my own name uttered and was given no clue to the identity of my unknown friend, to whom it never occurred to tell me herself what her name was, so obvious did the grounds of our intimacy, which baffled me completely, seem to her. Indeed, as soon as I had come within reach, she did not offer me her hand, but took mine in a familiar clasp, and spoke to me exactly as though I had been equally conscious with herself of the pleasant memories to which her mind reverted. She told me how sorry Albert (who, I gathered, was her son) would be to have missed seeing me. I tried to remember who, among the people I had known as boys, was called Albert, and could think only of Bloch, but this could not be Bloch′s mother that I saw before me since she had been dead for some time. In vain I struggled to identify the past experience common to herself and me to which her thoughts had been carried back. But I could no more distinguish it through the translucent jet of her large, soft pupils which allowed only her smile to pierce their surface than one can distinguish a landscape that lies on the other side of a smoked glass, even when the sun is blazing on it. She asked me whether my father was not working too hard, if I would not come to the theatre some evening with Albert, if I was stronger now, and as my replies, stumbling through the mental darkness in which I was plunged, became distinct only to explain that I was not feeling well that evening, she pushed forward a chair for me herself, going to all sorts of trouble which I was not accustomed to see taken by my parents′ friends. At length the clue to the riddle was furnished me by the Duke: “She thinks you′re charming,” he murmured in my ear, which felt somehow that it had heard these words before. They were what Mme. de Villeparisis had said to my grandmother and myself after we had made the acquaintance of the Princesse de Luxembourg. Everything became clear; the lady I now saw had nothing in common with Mme. de Luxembourg, but from the language of him who thus served me with her I could discern the nature of the animal. It was a Royalty. She had never before heard of either my family or myself, but, a scion of the noblest race and endowed with the greatest fortune in the world (for, a daughter of the Prince de Parme, she had married a cousin of equal princelihood), she sought always, in gratitude to her Creator, to testify to her neighbour, however poor or lowly he might be, that she did not look down upon him. Really, I might have guessed this from her smile. I had seen the Princesse de Luxembourg buy little rye-cakes on the beach at Balbec to give to my grandmother, as though to a caged deer in the zoological garden. But this was only the second Princess of the Blood Royal to whom I had been presented, and I might be excused my failure to discern in her the common factors of the friendliness of the great. Besides, had not they themselves gone out of their way to warn me not to count too much on this friendliness, since the Duchesse de Guermantes, who had waved me so effusive a greeting with her gloved hand at the Opéra-Comique, had appeared furious when I bowed to her in the street, like people who, having once given somebody a sovereign, feel that this has set them free from any further obligation toward him. As for M. de Charlus, his ups and downs were even more sharply contrasted. While in the sequel I have known, as the reader will learn, Highnesses and Majesties of another sort altogether, Queens who play the Queen and speak not after the conventions of their kind but like the Queens in Sardou′s plays.
Si M. de Guermantes avait mis tant de hâte à me présenter, c′est que le fait qu′il y ait dans une réunion quelqu′un d′inconnu à une Altesse royale est intolérable et ne peut se prolonger une seconde. C′était cette même hâte que Saint–Loup avait mise à se faire présenter à ma grand′mère. D′ailleurs, par un reste hérité de la vie des cours qui s′appelle la politesse mondaine et qui n′est pas superficiel, mais où, par un retournement du dehors au dedans, c′est la superficie qui devient essentielle et profonde, le duc et la duchesse de Guermantes considéraient comme un devoir plus essentiel que ceux, assez souvent négligés, au moins par l′un d′eux, de la charité, de la chasteté, de la pitié et de la justice, celui, plus inflexible, de ne guère parler à la princesse de Parme qu′à la troisième personne.
If M. de Guermantes had been in such haste to present me, it was because the presence at a party of anyone not personally known to a Royal Personage is an intolerable state of things which must not be prolonged for a single instant. It was similar to the haste which Saint-Loup had shewn in making me introduce him to my grandmother. By the same token, by a fragmentary survival of the old life of the court which is called social courtesy and is not superficial, in which, rather, by a centripetal reversion, it is the surface that becomes essential and profound, the Due and Duchesse de Guermantes regarded as a duty more essential than those (which one at least of the pair neglected often enough) of charity, chastity, pity and justice, as a more unalterable law that of never addressing the Princesse de Parme save in the third person.
A défaut d′être encore jamais de ma vie allé à Parme (ce que je désirais depuis de lointaines vacances de Pâques), en connaître la princesse, qui, je le savais, possédait le plus beau palais de cette cité unique où tout d′ailleurs devait être homogène, isolée qu′elle était du reste du monde, entre les parois polies, dans l′atmosphère, étouffante comme un soir d′été sans air sur une place de petite ville italienne, de son nom compact et trop doux, cela aurait dû substituer tout d′un coup à ce que je tâchais de me figurer ce qui existait réellement à Parme, en une sorte d′arrivée fragmentaire et sans avoir bougé; c′était, dans l′algèbre du voyage à la ville de Giorgione, comme une première équation à cette inconnue. Mais si j′avais depuis des années — comme un parfumeur à un bloc uni de matière grasse — fait absorber à ce nom de princesse de Parme le parfum de milliers de violettes, en revanche, dès que je vis la princesse, que j′aurais été jusque-là convaincu être au moins la Sanseverina, une seconde opération commença, laquelle ne fut, à vrai dire, parachevée que quelques mois plus tard, et qui consista, à l′aide de nouvelles malaxations chimiques, à expulser toute huile essentielle de violettes et tout parfum stendhalien du nom de la princesse et à y incorporer à la place l′image d′une petite femme noire, occupée d′oeuvres, d′une amabilité tellement humble qu′on comprenait tout de suite dans quel orgueil altier cette amabilité prenait son origine. Du reste, pareille, à quelques différences près, aux autres grandes dames, elle était aussi peu stendhalienne que, par exemple, à Paris, dans le quartier de l′Europe, la rue de Parme, qui ressemble beaucoup moins au nom de Parme qu′à toutes les rues avoisinantes, et fait moins penser à la Chartreuse où meurt Fabrice qu′à la salle des pas perdus de la gare Saint–Lazare.
Having never yet in my life been to Parma (a pilgrimage I had been anxious to make ever since certain Easter holidays long ago), to meet its Princess, who, I knew, owned the finest palace in that matchless city, where, moreover, everything must be in keeping, isolated as it was from the rest of the world, within the polished walls, in the atmosphere, stifling as a breathless summer evening on the Piazza of a small town in Italy, of its compact and almost cloying name, would surely have substituted in a flash for what I had so often tried to imagine all that did really exist at Parma in a sort of partial arrival there, without my having to stir from Paris, of myself; it was in the algebraical expression of a journey to the city of Correggio a simple equation, so to speak, of that unknown quantity. But if I had for many years past — like a perfumer impregnating a solid mass of grease with scent — made this name, Princesse de Parme, absorb the fragrance of thousands of violets, in return, when I set eyes on the Princess, who, until then I should have sworn, must be the Sanseverina herself, a second process began which was not, I may say, completed until several months had passed, and consisted in expelling, by means of fresh chemical combinations, all the essential oil of violets and all the Stendhalian fragrance from the name of the Princess, and in implanting there, in their place, the image of a little dark woman, taken up with good works, of a friendliness so humble that one felt at once in how exalted a pride that friendliness had its roots. Moreover, while, barring a few points of difference, she was exactly like any other great lady, she was as little Stendhalian as is, for example, in Paris, in the Europe quarter, the Rue de Parme, which bears far less resemblance to the name of Parma than to any or all of the neighbouring streets, and reminds one not nearly so much of the Charterhouse in which Fabrice ends his days as of the waiting room in the Saint-Lazare station.
Son amabilité tenait à deux causes. L′une, générale, était l′éducation que cette fille de souverains avait reçue. Sa mère (non seulement alliée à toutes les familles royales de l′Europe, mais encore — contraste avec la maison ducale de Parme — plus riche qu′aucune princesse régnante) lui avait, dès son âge le plus tendre, inculqué les préceptes orgueilleusement humbles d′un snobisme évangélique; et maintenant chaque trait du visage de la fille, la courbe de ses épaules, les mouvements de ses bras semblaient répéter: «Rappelle-toi que si Dieu t′a fait naître sur les marches d′un trône, tu ne dois pas en profiter pour mépriser ceux à qui la divine Providence a voulu (qu′elle en soit louée!) que tu fusses supérieure par la naissance et par les richesses. Au contraire, sois bonne pour les petits. Tes ax étaient princes de Clèves et de Juliers dès 647; Dieu a voulu dans sa bonté que tu possédasses presque toutes les actions du canal de Suez et trois fois autant de Royal Dutch qu′Edmond de Rothschild; ta filiation en ligne directe est établie par les généalogistes depuis l′an 63 de l′ère chrétienne; tu as pour belles-soeurs deux impératrices. Aussi n′aie jamais l′air en parlant de te rappeler de si grands privilèges, non qu′ils soient précaires (car on ne peut rien changer à l′ancienneté de la race et on aura toujours besoin de pétrole), mais il est inutile d′enseigner que tu es mieux née que quiconque et que tes placements sont de premier ordre, puisque tout le monde le sait. Sois secourable aux malheureux. Fournis à tous ceux que la bonté céleste t′a fait la grâce de placer au-dessous de toi ce que tu peux leur donner sans déchoir de ton rang, c′est-à-dire des secours en argent, même des soins d′infirmière, mais bien entendu jamais d′invitations à tes soirées, ce qui ne leur ferait aucun bien, mais, en diminuant ton prestige, ôterait de son efficacité à ton action bienfaisante.»
Her friendliness sprang from two causes. The first and more general was the education which this daughter of Kings had received. Her mother (not merely allied by blood to all the royal families of Europe but furthermore — in contrast to the Ducal House of Parma — richer than any reigning Princess) had instilled into her from her earliest childhood the arrogantly humble precepts of an evangelical snobbery; and to-day every line of the daughter′s face, the curve of her shoulders, the movements of her arms seemed to repeat the lesson: “Remember that if God has caused you to be born on the steps of a throne you ought not to make that a reason for looking down upon those to whom Divine Providence has willed (wherefore His Name be praised) that you should be superior by birth and fortune. On the contrary, you must suffer the little ones. Your ancestors were Princes of Treves and Juliers from the year 647: God has decreed in His bounty that you should hold practically all the shares in the Suez Canal and three times as many Royal Dutch as Edmond de Rothschild; your pedigree in a direct line has been established by genealogists from the year 63 of the Christian Era; you have as sisters-in-law two Empresses. Therefore never seem, in your speech, to be recalling these great privileges, not that they are precarious (for nothing can alter antiquity of race, while the world will always need petrol), but because it is useless to point out that you are better born than other people or that your investments are all gilt-edged, since everyone knows these facts already. Be helpful to the needy. Furnish to all those whom the bounty of Heaven has done you the favour of placing beneath you as much as you can give them without forfeiture of your rank, that is to say help in the form of money, even your personal service by their sickbeds, but never (bear well in mind) invite them to your parties, which would do them no possible good and, by weakening your own position, would diminish the efficacy of your benevolent activities.”
Aussi, même dans les moments où elle ne pouvait pas faire de bien, la princesse cherchait à montrer, ou plutôt à faire croire par tous les signes extérieurs du langage muet, qu′elle ne se croyait pas supérieure aux personnes au milieu de qui elle se trouvait. Elle avait avec chacun cette charmante politesse qu′ont avec les inférieurs les gens bien élevés et à tout moment, pour se rendre utile, poussait sa chaise dans le but de laisser plus de place, tenait mes gants, m′offrait tous ces services, indignes des fières bourgeoises, et que rendent bien volontiers les souveraines, ou, instinctivement et par pli professionnel, les anciens domestiques.
And so even at the moments when she could not do good the Princess endeavoured to shew, or rather to let it be thought, by all the external signs of dumb language, that she did not consider herself superior to the people among whom she found herself thrown. She treated each of them with that charming courtesy with which well-bred people treat their inferiors and was continually, to make herself useful, pushing back her chair so as to leave more room, holding my gloves, offering me all those services which would demean the proud spirit of a commoner but are very willingly rendered by sovereign ladies or, instinctively and by force of professional habit, by retired servants.
Déjà, en effet, le duc, qui semblait pressé d′achever les présentations, m′avait entraîné vers une autre des filles fleurs. En entendant son nom je lui dis que j′avais passé devant son château, non loin de Balbec. «Oh! comme j′aurais été heureuse de vous le montrer», dit-elle presque à voix basse comme pour se montrer plus modeste, mais d′un ton senti, tout pénétré du regret de l′occasion manquée d′un plaisir tout spécial, et elle ajouta avec un regard insinuant: «J′espère que tout n′est pas perdu. Et je dois dire que ce qui vous aurait intéressé davantage c′eût été le château de ma tante Brancas; il a été construit par Mansard; c′est la perle de la province.» Ce n′était pas seulement elle qui eût été contente de montrer son château, mais sa tante Brancas n′eût pas été moins ravie de me faire les honneurs du sien, à ce que m′assura cette dame qui pensait évidemment que, surtout dans un temps où la terre tend à passer aux mains de financiers qui ne savent pas vivre, il importe que les grands maintiennent les hautes traditions de l′hospitalité seigneuriale, par des paroles qui n′engagent à rien. C′était aussi parce qu′elle cherchait, comme toutes les personnes de son milieu, à dire les choses qui pouvaient faire le plus de plaisir à l′interlocuteur, à lui donner la plus haute idée de lui-même, à ce qu′il crût qu′il flattait ceux à qui il écrivait, qu′il honorait ses hôtes, qu′on brûlait de le connaître. Vouloir donner aux autres cette idée agréable d′eux-mêmes existe à vrai dire quelquefois même dans la bourgeoisie elle-même. On y rencontre cette disposition bienveillante, à titre de qualité individuelle compensatrice d′un défaut, non pas, hélas, chez les amis les plus sûrs, mais du moins chez les plus agréables compagnes. Elle fleurit en tout cas tout isolément. Dans une partie importante de l′aristocratie, au contraire, ce trait de caractère a cessé d′être individuel; cultivé par l′éducation, entretenu par l′idée d′une grandeur propre qui ne peut craindre de s′humilier, qui ne connaît pas de rivales, sait que par aménité elle peut faire des heureux et se complaît à en faire, il est devenu le caractère générique d′une classe. Et même ceux que des défauts personnels trop opposés empêchent de le garder dans leur coeur en portent la trace inconsciente dans leur vocabulaire ou leur gesticulation.
But already the Duke, who seemed in a hurry to complete the round of introduction, had led me off to another of the flower-maidens. On hearing her name I told her that I had passed by her country house, not far from Balbec. “Oh, I should have been so pleased to take you over it,” she informed me, almost in a whisper, to enhance her modesty, but in a tone of deep feeling, steeped in regret for the loss of an opportunity to enjoy a quite exceptional pleasure; and went on, with a meaning glance: “I do hope you will come again some day. But I must say that what would interest you more still would be my aunt Brancas′s place. It was built by Mansard; it is the jewel of the province.” It was not only she herself who would have been glad to shew me over her house, but her aunt Brancas would have been no less delighted to do me the honours of hers, or so I was assured by this lady who thought evidently that, especially at a time when the land shewed a tendency to pass into the hands of financiers who had no knowledge of the world, it was important that the great should keep up the exalted traditions of lordly hospitality, by speeches which involved them in nothing. It was also because she sought, like everyone in her world, to say the things which would give most pleasure to the person she was addressing, to give him the highest idea of himself, to make him think that he flattered people by writing to them, that he honoured those who entertained him, that everyone was burning to know him. The desire to give other people this comforting idea of themselves does, it must be admitted, exist even among the middle classes. We find there that kindly disposition, in the form of an individual merit compensating for some other defect, not alas among the most trusty male friends but at any rate among the most agreeable female companions. But there anyhow it blooms only in isolated patches. In an important section of the aristocracy, on the other hand, this characteristic has ceased to be individual; cultivated by education, sustained by the idea of a personal greatness which can fear no humiliation, which knows no rival, is aware that by being pleasant it can make people happy and delights in doing so, it has become the generic feature of a class. And even those whom personal defects of too incompatible a kind prevent from keeping it in their hearts bear the unconscious trace of it in their vocabulary or their gesticulation.
— C′est une très bonne femme, me dit M. de Guermantes de la princesse de Parme, et qui sait être «grande dame» comme personne.
“She is a very good creature,” said the Duc de Guermantes, of the Princesse de Parme, “and she can play the ‘great lady′ when she likes, better than anyone.”
Pendant que j′étais présenté aux femmes, il y avait un monsieur qui donnait de nombreux signes d′agitation: c′était le comte Hannibal de Bréauté-Consalvi. Arrivé tard, il n′avait pas eu le temps de s′informer des convives et quand j′étais entré au salon, voyant en moi un invité qui ne faisait pas partie de la société de la duchesse et devait par conséquent avoir des titres tout à fait extraordinaires pour y pénétrer, il installa son monocle sous l′arcade cintrée de ses sourcils, pensant que celui-ci l′aiderait beaucoup à discerner quelle espèce d′homme j′étais. Il savait que Mme de Guermantes avait, apanage précieux des femmes vraiment supérieures, ce qu′on appelle un «salon», c′est-à-dire ajoutait parfois aux gens de son monde quelque notabilité que venait de mettre en vue la découverte d′un remède ou la production d′un chef-d′oeuvre. Le faubourg Saint–Germain restait encore sous l′impression d′avoir appris qu′à la réception pour le roi et la reine d′Angleterre, la duchesse n′avait pas craint de convier M. Detaille. Les femmes d′esprit du faubourg se consolaient malaisément de n′avoir pas été invitées tant elles eussent été délicieusement intéressées d′approcher ce génie étrange. Mme de Courvoisier prétendait qu′il y avait aussi M. Ribot, mais c′était une invention destinée à faire croire qu′Oriane cherchait à faire nommer son mari ambassadeur. Enfin, pour comble de scandale, M. de Guermantes, avec une galanterie digne du maréchal de Saxe, s′était présenté au foyer de la Comédie-Française et avait prié Mlle Reichenberg de venir réciter des vers devant le roi, ce qui avait eu lieu et constituait un fait sans précédent dans les annales des raouts. Au souvenir de tant d′imprévu, qu′il approuvait d′ailleurs pleinement, étant lui-même autant qu′un ornement et, de la même façon que la duchesse de Guermantes, mais dans le sexe masculin, une consécration pour un salon, M. de Bréauté se demandant qui je pouvais bien être sentait un champ très vaste ouvert à ses investigations. Un instant le nom de M. Widor passa devant son esprit; mais il jugea que j′étais bien jeune pour être organiste, et M. Widor trop peu marquant pour être «reçu». Il lui parut plus vraisemblable de voir tout simplement en moi le nouvel attaché de la légation de Suède duquel on lui avait parlé; et il se préparait à me demander des nouvelles du roi Oscar par qui il avait été à plusieurs reprises fort bien accueilli; mais quand le duc, pour me présenter, eut dit mon nom à M. de Bréauté, celui-ci, voyant que ce nom lui était absolument inconnu, ne douta plus dès lors que, me trouvant là, je ne fusse quelque célébrité. Oriane décidément n′en faisait pas d′autres et savait l′art d′attirer les hommes en vue dans son salon, au pourcentage de un pour cent bien entendu, sans quoi elle l′eût déclassé. M. de Bréauté commença donc à se pourlécher les babines et à renifler de ses narines friandes, mis en appétit non seulement par le bon dîner qu′il était sûr de faire, mais par le caractère de la réunion que ma présence ne pouvait manquer de rendre intéressante et qui lui fournirait un sujet de conversation piquant le lendemain au déjeuner du duc de Chartres. Il n′était pas encore fixé sur le point de savoir si c′était moi dont on venait d′expérimenter le sérum contre le cancer ou de mettre en répétition le prochain lever de rideau au Théâtre-Français, mais grand intellectuel, grand amateur de «récits de voyages», il ne cessait pas de multiplier devant moi les révérences, les signes d′intelligence, les sourires filtrés par son monocle; soit dans l′idée fausse qu′un homme de valeur l′estimerait davantage s′il parvenait à lui inculquer l′illusion que pour lui, comte de Bréauté-Consalvi, les privilèges de la pensée n′étaient pas moins dignes de respect que ceux de la naissance; soit tout simplement par besoin et difficulté d′exprimer sa satisfaction, dans l′ignorance de la langue qu′il devait me parler, en somme comme s′il se fût trouvé en présence de quelqu′un des «naturels» d′une terre inconnue où aurait atterri son radeau et avec lesquels, par espoir du profit, il tâcherait, tout en observant curieusement leurs coutumes et sans interrompre les démonstrations d′amitié ni pousser comme eux de grands cris, de troquer des oeufs d′autruche et des épices contre des verroteries. Après avoir répondu de mon mieux à sa joie, je serrai la main du duc de Châtellerault que j′avais déjà rencontré chez Mme de Villeparisis, de laquelle il me dit que c′était une fine mouche. Il était extrêmement Guermantes par la blondeur des cheveux, le profil busqué, les points où la peau de la joue s′altère, tout ce qui se voit déjà dans les portraits de cette famille que nous ont laissés le XVIe et le XVIIe siècle. Mais comme je n′aimais plus la duchesse, sa réincarnation en un jeune homme était sans attrait pour moi. Je lisais le crochet que faisait le nez du duc de Châtellerault comme la signature d′un peintre que j′aurais longtemps étudié, mais qui ne m′intéressait plus du tout. Puis je dis aussi bonjour au prince de Foix, et, pour le malheur de mes phalanges qui n′en sortirent que meurtries, je les laissai s′engager dans l′étau qu′était une poignée de mains à l′allemande, accompagnée d′un sourire ironique ou bonhomme du prince de Faffenheim, l′ami de M. de Norpois, et que, par la manie de surnoms propre à ce milieu, on appelait si universellement le prince Von, que lui-même signait prince Von, ou, quand il écrivait à des intimes, Von. Encore cette abréviation-là se comprenait-elle à la rigueur, à cause de la longueur d′un nom composé. On se rendait moins compte des raisons qui faisaient remplacer Elisabeth tantôt par Lili, tantôt par Bebeth, comme dans un autre monde pullulaient les Kikim. On s′explique que des hommes, cependant assez oisifs et frivoles en général, eussent adopté «Quiou» pour ne pas perdre, en disant Montesquiou, leur temps. Mais on voit moins ce qu′ils en gagnaient à prénommer un de leurs cousins Dinand au lieu de Ferdinand. Il ne faudrait pas croire du reste que pour donner des prénoms les Guermantes procédassent invariablement par la répétition d′une syllabe. Ainsi deux soeurs, la comtesse de Montpeyroux et la vicomtesse de Vélude, lesquelles étaient toutes d′une énorme grosseur, ne s′entendaient jamais appeler, sans s′en fâcher le moins du monde et sans que personne songeât à en sourire, tant l′habitude était ancienne, que «Petite» et «Mignonne». Mme de Guermantes, qui adorait Mme de Montpeyroux, eût, si celle-ci eût été gravement atteinte, demandé avec des larmes à sa soeur: «On me dit que «Petite» est très mal.» Mme de l′Éclin portant les cheveux en bandeaux qui lui cachaient entièrement les oreilles, on ne l′appelait jamais que «ventre affamé». Quelquefois on se contentait d′ajouter un a au nom ou au prénom du mari pour désigner la femme. L′homme le plus avare, le plus sordide, le plus inhumain du faubourg ayant pour prénom Raphaël, sa charmante, sa fleur sortant aussi du rocher signait toujours Raphaëla; mais ce sont là seulement simples échantillons de règles innombrables dont nous pourrons toujours, si l′occasion s′en présente, expliquer quelques-unes. Ensuite je demandai au duc de me présenter au prince d′Agrigente. «Comment, vous ne connaissez pas cet excellent Gri-gri», s′écria M. de Guermantes, et il dit mon nom à M. d′Agrigente. Celui de ce dernier, si souvent cité par Françoise, m′était toujours apparu comme une transparente verrerie, sous laquelle je voyais, frappés au bord de la mer violette par les rayons obliques d′un soleil d′or, les cubes roses d′une cité antique dont je ne doutais pas que le prince — de passage à Paris par un bref miracle — ne fût lui-même, aussi lumineusement sicilien et glorieusement patiné, le souverain effectif. Hélas, le vulgaire hanneton auquel on me présenta, et qui pirouetta pour me dire bonjour avec une lourde désinvolture qu′il croyait élégante, était aussi indépendant de son nom que d′une oeuvre d′art qu′il eût possédée, sans porter sur soi aucun reflet d′elle, sans peut-être l′avoir jamais regardée. Le prince d′Agrigente était si entièrement dépourvu de quoi que ce fût de princier et qui pût faire penser à Agrigente, que c′en était à supposer que son nom, entièrement distinct de lui, relié par rien à sa personne, avait eu le pouvoir d′attirer à soit tout ce qu′il aurait pu y avoir de vague poésie en cet homme comme chez tout autre, et de l′enfermer après cette opération dans les syllabes enchantées. Si l′opération avait eu lieu, elle avait été en tout cas bien faite, car il ne restait plus un atome de charme à retirer de ce parent des Guermantes. De sorte qu′il se trouvait à la fois le seul homme au monde qui fût prince d′Agrigente et peut-être l′homme au monde qui l′était le moins. Il était d′ailleurs fort heureux de l′être, mais comme un banquier est heureux d′avoir de nombreuses actions d′une mine, sans se soucier d′ailleurs si cette mine répond au joli nom de mine Ivanhoe et de mine Primerose, ou si elle s′appelle seulement la mine Premier. Cependant, tandis que s′achevaient les présentations si longues à raconter mais qui, commencées dès mon entrée au salon, n′avaient duré que quelques instants, et que Mme de Guermantes, d′un ton presque suppliant, me disait: «Je suis sûre que Basin vous fatigue à vous mener ainsi de l′une à l′autre, nous voulons que vous connaissiez nos amis, mais nous voulons surtout ne pas vous fatiguer pour que vous reveniez souvent», le duc, d′un mouvement assez gauche et timoré, donna (ce qu′il aurait bien voulu faire depuis une heure remplie pour moi par la contemplation des Elstir) le signe qu′on pouvait servir.
While I was being introduced to the ladies, one of the gentlemen of the party had been shewing various signs of agitation: this was Comte Hannibal de Bréauté-Consalvi. Arriving late, he had not had time to investigate the composition of the party, and when I entered the room, seeing in me a guest who was not one of the Duchess′s regular circle and must therefore have some quite extraordinary claim to admission, installed his monocle beneath the groined arch of his eyebrow, thinking that this would be a great help to him in discovering what manner of man I was. He knew that Mme. de Guermantes possessed (the priceless appanage of truly superior women) what was called a ‘salon,′ that is to say added occasionally to the people of her own set some celebrity who had recently come into prominence by the discovery of a new cure for something or the production of a masterpiece. The Faubourg Saint-Germain had not yet recovered from the shock of learning that, to the reception which she had given to meet the King and Queen of England, the Duchess had not been afraid to invite M. Détaille. The clever women of the Faubourg who had not been invited were inconsolable, so deliciously thrilling would it have been to come into contact with that strange genius. Mme. de Courvoisier made out that M. Ribot had been there as well, but this was a pure invention, designed to make people believe that Oriane was aiming at an Embassy for her husband. Finally, a last straw of scandal, M. de Guermantes, with a gallantry that would have done credit to Marshal Saxe, had repaired to the green-room of the Comédie Française, and had begged Mlle. Reichemberg to come and recite before the King, which having come to pass constituted an event without precedent in the annals of routs. Remembering all these surprises, which, moreover, had his entire approval, his own presence being not merely an ornament but, in the same way as that of the Duchesse de Guermantes, a consecration to any drawing-room, M. de Bréauté, when he asked himself who I could be, felt that the field of exploration was very wide. For a moment the name of M. Widor flashed before his mind, but he decided that I was not old enough to be an organist, and M. Widor not striking enough to be ‘asked out.′ It seemed on the whole more plausible to regard me simply as the new Attaché at the Swedish Legation of whom he had heard, and he was preparing to ask me for the latest news of Oscar, by whom he had several times been very hospitably received; but when the Duke, in introducing me, had mentioned my name to M. de Bréauté, the latter, finding that name to be completely unknown to him had no longer any doubt that, being where I was, I must be a celebrity Of some sort. Oriane would certainly never invite anyone who was not, and had the art of attracting men who were in the public eye to her house, in a ratio that of course never exceeded one per cent, otherwise she would have lowered its tone. M. de Bréauté began, therefore, to lick his chops and to sniff the air greedily, his appetite whetted not only by the good dinner upon which he could count, but by the character of the party, which my presence could not fail to make interesting, and which would furnish him with a topic for brilliant conversation next day at the Duc de Chartres′s luncheon-table. He had not yet settled in his own mind whether I was the man who had just been making those experiments with a serum to cure cancer, or the author of the new ‘curtain-raiser′ then in rehearsal at the Théâtre Français; but, a great intellectual, a great collector of ‘travellers′ tales,′ he continued an ever increasing display of reverences, signs of mutual understanding, smiles filtered through the glass of his monocle; either in the mistaken idea that a man of my standing would esteem him more highly if he could manage to instil into me the illusion that for him, the Comte de Bréauté-Consalvi, the privileges of the mind were no less deserving of respect than those of birth; or simply from the need to express and difficulty of expressing his satisfaction, in his ignorance of the language in which he ought to address me, just as if, in fact, he had found himself face to face with one of the ‘natives′ of an undiscovered country on which his keel had grounded, natives from whom, in the hope of ultimate profit, he would endeavour, observing with interest the while their quaint customs and without interrupting his demonstrations of friendship, or like them uttering loud cries, to obtain ostrich eggs and spices in exchange for his glass beads. Having responded as best I could to his joy, I shook hands next with the Duc de Chatellerault, whom I had already met at Mme. de Villeparisis′s, who, he informed me, was as ‘cunning as they made ′em.′ He was typically Guermantes in the fairness of his hair, his arched profile, the points where the skin of his cheeks lost colour, all of which may be seen in the portraits of that family which have come down to us from the sixteenth and seventeenth centuries. But, as I was no longer in love with the Duchess, her reincarnation in the person of a young man offered me no attraction. I interpreted the hook made by the Duc de Chatellerault′s nose, as if it had been the signature of a painter whose work I had long studied but who no longer interested me in the least. Next, I said good evening also to the Prince de Foix, and to the detriment of my knuckles, which emerged crushed and mangled, let them be caught in a vice which was the German handclasp, accompanied by an ironical or good-natured smile, of the Prince von Faffenheim, M. de Norpois′s friend, who, by virtue of the mania for nicknames which prevailed in this set, was known so universally as Prince Von that he himself used to sign his letters ‘Prince Von,′ or, when he wrote to his intimates, ‘Von.′ And yet this abbreviation was understandable, in view of his triple-barrelled name. It was less easy to grasp the reasons which made ‘Elizabeth′ be replaced, now by ‘Lili,′ now by ‘Bebeth,′ just as another world swarmed with ‘Kikis.′ One can realise that these people, albeit in most respects idle and light-minded enough, might have come to adopt ‘Quiou′ in order not to waste the precious time that it would have taken them to pronounce ‘Montesquieu.′ But it is not so easy to see what they saved by naming one of their cousins ‘Dinand′ instead of ‘Ferdinand.′ It must not be thought, however, that in the invention of nicknames the Guermantes invariably proceed to curtail or reduplicate syllables. Thus two sisters, the Comtesse de Montpeyroux and the Vicomtesse de Vélude, who were both of them enormously stout, invariably heard themselves addressed, without the least trace of annoyance on their part or of amusement on other people′s, so long established was the custom, as ‘Petite′ and ‘Mignonne.′ Mme. de Guermantes, who adored Mme. de Montpeyroux, would, if her friend had been seriously ill, have flown to the sister with tears in her eyes and exclaimed: “I hear Petite is dreadfully bad!” Mme. de l′Eclin, who wore her hair in bands that entirely hid her ears, was never called anything but ‘The Empty Stomach′; in some cases people simply added an ‘a′ to the last or first name of the husband to indicate the wife. The most miserly, most sordid, most inhuman man in the Faubourg having been christened Raphael, his charmer, his flower springing also from the rock always signed herself ‘Raphaela′— but these are merely a few specimens taken from innumerable rules, to which we can always return later on, if the occasion offers, and explain some of them. I then asked the Duke to present me to the Prince d′Agrigente. “What! Do you mean to say you don′t know our excellent Gri-gri!” cried M. de Guermantes, and gave M. d′Agrigente my name. His own, so often quoted by Françoise, had always appeared to me like a transparent sheet of coloured glass through which I beheld, struck, on the shore of the violet sea, by the slanting rays of a golden sun, the rosy marble cubes of an ancient city of which I had not the least doubt that the Prince — happening for a miraculous moment to be passing through Paris — was himself, as luminously Sicilian and gloriously mellowed, the absolute sovereign. Alas, the vulgar drone to whom I was introduced, and who wheeled round to bid me good evening with a ponderous ease which he considered elegant, was as independent of his name as of any work of art that he might have owned without bearing upon his person any trace of its beauty, without, perhaps, ever having stopped to examine it. The Prince d′Agrigente was so entirely devoid of anything princely, anything that might make one think of Girgenti that one was led to suppose that his name, entirely distinct from himself, bound by no ties to his person, had had the power of attracting to itself the whole of whatever vague poetical element there might have been in this man as in any other, and isolating it, after the operation, in the enchanted syllables. If any such operation had been performed, it had certainly been done most efficiently, for there remained not an atom of charm to be drawn from this kinsman of Guermantes. With the result that he found himself at one and the same time the only man in the world who was Prince d′Agrigente and the man who, of all the men in the world was, perhaps, least so. He was, for all that, very glad to be what he was, but as a banker is glad to hold a number of shares in a mine without caring whether the said mine answers to the charming name of Ivanhoe or Primrose, or is called merely the Premier. Meanwhile, as these introductions, which it has taken me so long to recount but which, beginning as I entered the room, had lasted only a few seconds, were coming to an end, and Mme. de Guermantes, in an almost suppliant tone, was saying to me: “I am sure Basin is tiring you, dragging you round like that; we are anxious for you to know our friends, but we are a great deal more anxious not to tire you, so that you may come again often,” the Duke, with a somewhat awkward and timid wave of the hand, gave (as he would gladly have given it at any time during the last hour, filled for me by the contemplation of his Elstirs) the signal that dinner might now be served.
Il faut ajouter qu′un des invités manquait, M. de Grouchy, dont la femme, née Guermantes, était venue seule de son côté, le mari devant arriver directement de la chasse où il avait passé la journée. Ce M. de Grouchy, descendant de celui du Premier Empire et duquel on a dit faussement que son absence au début de Waterloo avait été la cause principale de la défaite de Napoléon, était d′une excellente famille, insuffisante pourtant aux yeux de certains entichés de noblesse. Ainsi le prince de Guermantes, qui devait être bien des années plus tard moins difficile pour lui-même, avait-il coutume de dire à ses nièces: «Quel malheur pour cette pauvre Mme de Guermantes (la vicomtesse de Guermantes, mère de Mme de Grouchy) qu′elle n′ait jamais pu marier ses enfants. — Mais, mon oncle, l′aînée a épousé M. de Grouchy. — Je n′appelle pas cela un mari! Enfin, on prétend que l′oncle François a demandé la cadette, cela fera qu′elles ne seront pas toutes restées filles.» Aussitôt l′ordre de servir donné, dans un vaste déclic giratoire, multiple et simultané, les portes de la salle à manger s′ouvrirent à deux battants; un maître d′hôtel qui avait l′air d′un maître des cérémonies s′inclina devant la princesse de Parme et annonça la nouvelle: «Madame est servie», d′un ton pareil à celui dont il aurait dit: «Madame se meurt», mais qui ne jeta aucune tristesse dans l′assemblée, car ce fut d′un air folâtre, et comme l′été à Robinson, que les couples s′avancèrent l′un derrière l′autre vers la salle à manger, se séparant quand ils avaient gagné leur place où des valets de pied poussaient derrière eux leur chaise; la dernière, Mme de Guermantes s′avança vers moi, pour que je la conduisisse à table et sans que j′éprouvasse l′ombre de la timidité que j′aurais pu craindre, car, en chasseresse à qui une grande adresse musculaire a rendu la grâce facile, voyant sans doute que je m′étais mis du côté qu′il ne fallait pas, elle pivota avec tant de justesse autour de moi que je trouvai son bras sur le mien et le plus naturellement encadré dans un rythme de mouvements précis et nobles. Je leur obéis avec d′autant plus d′aisance que les Guermantes n′y attachaient pas plus d′importance qu′au savoir un vrai savant, chez qui on est moins intimidé que chez un ignorant; d′autres portes s′ouvrirent par où entra la soupe fumante, comme si le dîner avait lieu dans un théâtre de pupazzi habilement machiné et où l′arrivée tardive du jeune invité mettait, sur un signe du maître, tous les rouages en action.
I should add that one of the guests was still missing, M. de Grouchy, whose wife, a Guermantes by birth, had arrived by herself, her husband being due to come straight from the country, where he had been shooting all day. This M. de Grouchy, a descendant of his namesake of the First Empire, of whom it has been said, quite wrongly, that his absence at the start of the Battle of Waterloo was the principal cause of Napoleon′s defeat, came of an excellent family which, however, was not good enough in the eyes of certain fanatics for blue blood. Thus the Prince de Guermantes, whose own tastes, in later life, were to prove more easily satisfied, had been in the habit of saying to his nieces: “What a misfortune for that poor Mme. de Guermantes” (the Vicomtesse de Guermantes, Mme. de Grouchy′s mother) “that she has never succeeded in marrying any of her children.” “But, uncle, the eldest girl married M. de Grouchy.” “I do not call that a husband! However, they say that your uncle François has proposed for the youngest one, so perhaps they won′t all die old maids.” No sooner was the order to serve dinner given than with a vast gyratory whirr, multiple and simultaneous, the double doors of the dining-room swung apart; a chamberlain with the air of a Lord Chamberlain bowed before the Princesse de Parme and announced the tidings “Madame is served,” in a tone such as he would have employed to say “Madame is dead,” which, however, cast no gloom over the assembly for it was with an air of unrestrained gaiety and as, in summer, at ‘Robinson′ that the couples moved forward one behind another to the dining-room, separating when they had reached their places where footmen thrust their chairs in behind them; last of all, Mme. de Guermantes advanced upon me, that I might lead her to the table, and without my feeling the least shadow of the timidity that I might have feared, for, like a huntress to whom her great muscular prowess has made graceful motion an easy thing, observing no doubt that I had placed myself on the wrong side of her, she pivoted with such accuracy round me that I found her arm resting on mine and attuned in the most natural way to a rhythm of precise and noble movements. I yielded to these with all the more readiness in that the Guermantes attached no more importance to them than does to learning a truly learned man in whose company one is less alarmed than in that of a dunce; other doors opened through which there entered the steaming soup, as though the dinner were being held in a puppet-theatre of skilful mechanism where the belated arrival of the young guest set, on a signal from the puppet-master, all the machinery in motion.
C′est timide et non majestueusement souverain qu′avait été ce signe du duc, auquel avait répondu le déclanchement de cette vaste, ingénieuse, obéissante et fastueuse horlogerie mécanique et humaine. L′indécision du geste ne nuisit pas pour moi à l′effet du spectacle qui lui était subordonné. Car je sentais que ce qui l′avait rendu hésitant et embarrassé était la crainte de me laisser voir qu′on n′attendait que moi pour dîner et qu′on m′avait attendu longtemps, de même que Mme de Guermantes avait peur qu′ayant regardé tant de tableaux, on ne me fatiguât et ne m′empêchât de prendre mes aises en me présentant à jet continu. De sorte que c′était le manque de grandeur dans le geste qui dégageait la grandeur véritable. De même que cette indifférence du duc à son propre luxe, ses égards au contraire pour un hôte, insignifiant en lui-même mais qu′il voulait honorer. Ce n′est pas que M. de Guermantes ne fût par certains côtés fort ordinaire, et n′eût même des ridicules d′homme trop riche, l′orgueil d′un parvenu qu′il n′était pas.
Timid and not majestically sovereign had been this signal from the Duke, to which had responded the unlocking of that vast, ingenious, subservient and sumptuous clockwork, mechanical and human. The indecision of his gesture did not spoil for me the effect of the spectacle that was attendant upon it. For I could feel that what had made it hesitating and embarrassed was the fear of letting me see that they were waiting only for myself to begin dinner and that they had been waiting for some time, just as Mme. de Guermantes was afraid that after looking at so many pictures I would find it tiring and would be hindered from taking my ease among them if her husband engaged me in a continuous flow of introductions. So that it was the absence of grandeur in this gesture that disclosed its true grandeur. As, also, did that indifference shewn by the Duke to the splendour of his surroundings, in contrast to his deference towards a guest, however insignificant, whom he desired to honour. Not that M. de Guermantes was not in certain respects thoroughly commonplace, shewing indeed some of the absurd weaknesses of a man with too much money, the arrogance of an upstart, which he certainly was not.
Mais de même qu′un fonctionnaire ou qu′un prêtre voient leur médiocre talent multiplié à l′infini (comme une vague par toute la mer qui se presse derrière elle) par ces forces auxquelles ils s′appuient, l′administration française et l′église catholique, de même M. de Guermantes était porté par cette autre force, la politesse aristocratique la plus vraie. Cette politesse exclut bien des gens. Mme de Guermantes n′eût pas reçu Mme de Cambremer ou M. de Forcheville. Mais du moment que quelqu′un, comme c′était mon cas, paraissait susceptible d′être agrégé au milieu Guermantes, cette politesse découvrait des trésors de simplicité hospitalière plus magnifiques encore s′il est possible que ces vieux salons, ces merveilleux meubles restés là.
But just as a public official or a priest sees his own humble talents multiplied to infinity (as a wave is by the whole mass of the sea which presses behind it) by those forces on which they can rely, the Government of France and the Catholic Church, so M. de Guermantes was borne on by that other force, aristocratic courtesy in its truest form. This courtesy drew the line at any number of people. Mme. de Guermantes would not have asked to her house Mme. de Cambremer, or M. de Forcheville. But the moment that anyone (as was the case with me) appeared eligible for admission into the Guermantes world, this courtesy revealed treasures of hospitable simplicity more splendid still, were that possible, than those historic rooms, or the marvellous furniture that had remained in them.
Quand il voulait faire plaisir à quelqu′un, M. de Guermantes avait ainsi pour faire de lui, ce jour-là, le personnage principal, un art qui savait mettre à profit la circonstance et le lieu. Sans doute à Guermantes ses «distinctions» et ses «grâces» eussent pris une autre forme. Il eût fait atteler pour m′emmener faire seul avec lui une promenade avant dîner. Telles qu′elles étaient, on se sentait touché par ses façons comme on l′est, en lisant des Mémoires du temps, par celles de Louis XIV quand il répond avec bonté, d′un air riant et avec une demi-révérence, à quelqu′un qui vient le solliciter. Encore faut-il, dans les deux cas, comprendre que cette politesse n′allait pas au delà de ce que ce mot signifie.
When he wished to give pleasure to anyone, M. de Guermantes possessed, in this way, for making his guest for the moment the principal person present, an art which made the most of the circumstances and the place. No doubt at Guermantes his ‘distinctions′ and ‘favours′ would have assumed another form. He would have ordered his carriage to take me for a drive, alone with himself, before dinner. Such as they were, one could not help feeling touched by his manners as one is in reading memoirs of the period by those of Louis XIV when he replies good-naturedly, smiling and almost with a bow, to some one who has come to solicit his favour. It must however in both instances be borne in mind that this ‘politeness′ did not go beyond the strict meaning of the word.
Louis XIV (auquel les entichés de noblesse de son temps reprochent pourtant son peu de souci de l′étiquette, si bien, dit Saint–Simon, qu′il n′a été qu′un fort petit roi pour le rang en comparaison de Philippe de Valois, Charles V, etc.) fait rédiger les instructions les plus minutieuses pour que les princes du sang et les ambassadeurs sachent à quels souverains ils doivent laisser la main. Dans certains cas, devant l′impossibilité d′arriver à une entente, on préfère convenir que le fils de Louis XIV, Monseigneur, ne recevra chez lui tel souverain étranger que dehors, en plein air, pour qu′il ne soit pas dit qu′en entrant dans le château l′un a précédé l′autre; et l′Électeur palatin, recevant le duc de Chevreuse à dîner, feint, pour ne pas lui laisser la main, d′être malade et dîne avec lui mais couché, ce qui tranche la difficulté. M. le Duc évitant les occasions de rendre le service à Monsieur, celui-ci, sur le conseil du roi son frère dont il est du reste tendrement aimé, prend un prétexte pour faire monter son cousin à son lever et le forcer à lui passer sa chemise. Mais dès qu′il s′agit d′un sentiment profond, des choses du coeur, le devoir, si inflexible tant qu′il s′agit de politesse, change entièrement. Quelques heures après la mort de ce frère, une des personnes qu′il a le plus aimées, quand Monsieur, selon l′expression du duc de Montfort, est «encore tout chaud», Louis XIV chante des airs d′opéras, s′étonne que la duchesse de Bourgogne, laquelle a peine à dissimuler sa douleur, ait l′air si mélancolique, et voulant que la gaieté recommence aussitôt, pour que les courtisans se décident à se remettre au jeu ordonne au duc de Bourgogne de commencer une partie de brelan. Or, non seulement dans les actions mondaines et concentrées, mais dans le langage le plus involontaire, dans les préoccupations, dans l′emploi du temps de M. de Guermantes, on retrouvait le même contraste: les Guermantes n′éprouvaient pas plus de chagrin que les autres mortels, on peut même dire que leur sensibilité véritable était moindre; en revanche, on voyait tous les jours leur nom dans les mondanités du Gaulois à cause du nombre prodigieux d′enterrements où ils eussent trouvé coupable de ne pas se faire inscrire. Comme le voyageur retrouve, presque semblables, les maisons couvertes de terre, les terrasses que purent connaître Xénophon ou saint Paul, de même dans les manières de M. de Guermantes, homme attendrissant de gentillesse et révoltant de dureté, esclave des plus petites obligations et délié des pactes les plus sacrés, je retrouvais encore intacte après plus de deux siècles écoulés cette déviation particulière à la vie de cour sous Louis XIV et qui transporte les scrupules de conscience du domaine des affections et de la moralité aux questions de pure forme.
Louis XIV (with whom the sticklers for pure nobility of his day find fault, nevertheless, for his scant regard for etiquette, so much so that, according to Saint-Simon, he was only a very minor king, as kings go, when compared with such monarchs as Philippe de Valois or Charles V), has the most minute instructions drawn up so that Princes of the Blood and Ambassadors may know to what sovereigns they ought to give precedence. In certain cases, in view of the impossibility of arriving at a decision a compromise is arranged by which the son of Louis XIV, Monseigneur, shall entertain certain foreign sovereigns only out of doors, in the open air, so that it may not be said that in entering the house one has preceded the other; and the Elector Palatine, entertaining the Duc de Chevreuse at dinner, pretends, so as not to have to make way for his guest, to be taken ill, and dines with him indeed, but dines lying down, thus avoiding the difficulty. M. le Duc evading opportunities of paying his duty to Monsieur the latter, on the advice of the King, his brother, who is moreover extremely attached to him, seizes an excuse for making his cousin attend his levee and forcing him to pass him his shirt. But as soon as the feeling is deep, when the heart is involved, this rule of duty, so inflexible when politeness only is at stake, changes entirely. A few hours after the death of his brother, one of the people whom he most dearly loved, when Monsieur, in the words of the Duc de Montfort, is ‘still warm,′ we find Louis XIV singing snatches from operas, astonished that the Duchesse de Bourgogne, who has difficulty in concealing her grief, should be looking so woe-begone, and, desiring that the gaiety of the court shall be at once resumed, so that his courtiers may be encouraged to sit down to the tables, ordering the Duc de Bourgogne to start a game of brelan. Well, not only in his social and concentrated activities, but in the most spontaneous utterances, the ordinary preoccupations of M. de Guermantes, the use he made of his time, one found a similar contrast; the Guermantes were no more susceptible than other mortals to grief; one might indeed say that their actual sensibility was lower; on the other hand one saw their names every day in the social columns of the Gaulois on account of the prodigious number of funerals at which they would have felt it a neglect of duty not to have their presence recorded. As the traveller discovers, almost unaltered, the houses roofed with turf, the terraces which may have met the eyes of Xenophon or Saint Paul, so in the manners of M. de Guermantes, a man who melted one′s heart by his courtesy and revolted it by his harshness, I found still intact after the lapse of more than two centuries that deviation typical of court life under Louis XIV which transfers all scruples of conscience from matters of the affections and morality and applies them to purely formal questions.
L′autre raison de l′amabilité que me montra la princesse de Parme était plus particulière. C′est qu′elle était persuadée d′avance que tout ce qu′elle voyait chez la duchesse de Guermantes, choses et gens, était d′une qualité supérieure à tout ce qu′elle avait chez elle. Chez toutes les autres personnes, elle agissait, il est vrai, comme s′il en avait été ainsi; pour le plat le plus simple, pour les fleurs les plus ordinaires, elle ne se contentait pas de s′extasier, elle demandait la permission d′envoyer dès le lendemain chercher la recette ou regarder l′espèce par son cuisinier ou son jardinier en chef, personnages à gros appointements, ayant leur voiture à eux et surtout leurs prétentions professionnelles, et qui se trouvaient fort humiliés de venir s′informer d′un plat dédaigné ou prendre modèle sur une variété d′oeillets laquelle n′était pas moitié aussi belle, aussi «panachée» de «chinages», aussi grande quant aux dimensions des fleurs, que celles qu′ils avaient obtenues depuis longtemps chez la princesse. Mais si de la part de celle-ci, chez tout le monde, cet étonnement devant les moindres choses était factice et destiné à montrer qu′elle ne tirait pas de la supériorité de son rang et de ses richesses un orgueil défendu par ses anciens précepteurs, dissimulé par sa mère et insupportable à Dieu, en revanche, c′est en toute sincérité qu′elle regardait le salon de la duchesse de Guermantes comme un lieu privilégié où elle ne pouvait marcher que de surprises en délices. D′une façon générale d′ailleurs, mais qui serait bien insuffisante à expliquer cet état d′esprit, les Guermantes étaient assez différents du reste de la société aristocratique, ils étaient plus précieux et plus rares. Ils m′avaient donné au premier aspect l′impression contraire, je les avais trouvés vulgaires, pareils à tous les hommes et à toutes les femmes, mais parce que préalablement j′avais vu en eux, comme en Balbec, en Florence, en Parme, des noms. Évidemment, dans ce salon, toutes les femmes que j′avais imaginées comme des statuettes de Saxe ressemblaient tout de même davantage à la grande majorité des femmes. Mais de même que Balbec ou Florence, les Guermantes, après avoir déçu l′imagination parce qu′ils ressemblaient plus à leurs pareils qu′à leur nom, pouvaient ensuite, quoique à un moindre degré, offrir à l′intelligence certaines particularités qui les distinguaient. Leur physique même, la couleur d′un rose spécial, allant quelquefois jusqu′au violet, de leur chair, une certaine blondeur quasi éclairante des cheveux délicats, même chez les hommes, massés en touffes dorées et douces, moitié de lichens pariétaires et de pelage félin (éclat lumineux à quoi correspondait un certain brillant de l′intelligence, car, si l′on disait le teint et les cheveux des Guermantes, on disait aussi l′esprit des Guermantes comme l′esprit des Mortemart — une certaine qualité sociale plus fine dès avant Louis XIV, et d′autant plus reconnue de tous qu′ils la promulguaient eux-mêmes), tout cela faisait que, dans la matière même, si précieuse fût-elle, de la société aristocratique où on les trouvait engainés ça et là, les Guermantes restaient reconnaissables, faciles à discerner et à suivre, comme les filons dont la blondeur veine le jaspe et l′onyx, ou plutôt encore comme le souple ondoiement de cette chevelure de clarté dont les crins dépeignés courent comme de flexibles rayons dans les flancs de l′agate-mousse.
The other reason for the friendliness shewn me by the Princesse de Parme was of a more personal kind. It was that she was convinced beforehand that everything that she saw at the Duchesse de Guermantes′s, people and things alike, was of a quality superior to that of anything that she had at home. It is true that in all the other houses of her acquaintance she behaved as if this had been the case; over the simplest dish, the most ordinary flowers, she was not satisfied with going into ecstasies, she would ask leave to send round next morning, to copy the recipe or to examine the variety of blossom, her head cook or head gardener, gentlemen with large salaries who kept their own carriages and were deeply humiliated at having to come to inquire after a dish they despised or to take notes of a kind of carnation that was not half so fine, had not such ornamental streaks, did not produce so large a blossom as those which they had long been growing for her at home. But if in the Princess, wherever she went, this astonishment at the sight of the most commonplace things was assumed, and intended to shew that she did not derive from the superiority of her rank and riches a pride forbidden by her early instructors, habitually dissembled by her mother and intolerable in the sight of her Creator, it was, on the other hand, in all sincerity that she regarded the drawing-room of the Duchesse de Guermantes as a privileged place in which she could pass only from surprise to delight. To a certain extent, for that matter, though not nearly enough to justify this state of mind, the Guermantes were different from the rest of noble society, they were rarer and more refined. They had given me at first sight the opposite impression; I had found them vulgar, similar to all other men and women, but because before meeting them I had seen in them, as in Balbec, in Florence, in Parma, only names. Evidently, in this drawing-room, all the women whom I had imagined as being like porcelain figures were even more like the great majority of women. But, in the same way as Balbec or Florence, the Guermantes, after first disappointing the imagination because they resembled their fellow-creatures rather than their name, could subsequently, though to a less degree, appeal to the intellect by certain distinctive characteristics. Their bodily structure, the colour — a peculiar pink that merged at times into violet — of their skins, a certain almost flashing fairness of the finely spun hair, even in the men, on whom it was massed in soft golden tufts, half a wall-growing lichen, half a catlike fur (a luminous sparkle to which corresponded a certain brilliance of intellect, for if people spoke of the Guermantes complexion, the Guermantes hair, they spoke also of the wit of the Guermantes, as of the wit of the Mortemarts — a certain social quality whose superior fineness was famed even before the days of Louis XIV and all the more universally recognised since they published the fame of it themselves), all this meant that in the material itself, precious as that might be, in which one found them embedded here and there, the Guermantes remained recognisable, easy to detect and to follow, like the veins whose paleness streaks a block of jasper or onyx, or, better still, like the pliant waving of those tresses of light whose loosened hairs run like flexible rays along the sides of a moss-agate.
Les Guermantes — du moins ceux qui étaient dignes du nom — n′étaient pas seulement d′une qualité de chair, de cheveu, de transparent regard, exquise, mais avaient une manière de se tenir, de marcher, de saluer, de regarder avant de serrer la main, de serrer la main, par quoi ils étaient aussi différents en tout cela d′un homme du monde quelconque que celui-ci d′un fermier en blouse. Et malgré leur amabilité on se disait: n′ont-ils pas vraiment le droit, quoiqu′ils le dissimulent, quand ils nous voient marcher, saluer, sortir, toutes ces choses qui, accomplies par eux, devenaient aussi gracieuses que le vol de l′hirondelle ou l′inclinaison de la rose, de penser: ils sont d′une autre race que nous et nous sommes, nous, les princes de la terre? Plus tard je compris que les Guermantes me croyaient en effet d′une race autre, mais qui excitait leur envie, parce que je possédais des mérites que j′ignorais et qu′ils faisaient profession de tenir pour seuls importants. Plus tard encore j′ai senti que cette profession de foi n′était qu′à demi sincère et que chez eux le dédain ou l′étonnement coexistaient avec l′admiration et l′envie. La flexibilité physique essentielle aux Guermantes était double; grâce à l′une, toujours en action, à tout moment, et si par exemple un Guermantes mâle allait saluer une dame, il obtenait une silhouette de lui-même, faite de l′équilibre instable de mouvements asymétriques et nerveusement compensés, une jambe traînant un peu soit exprès, soit parce qu′ayant été souvent cassée à la chasse elle imprimait au torse, pour rattraper l′autre jambe, une déviation à laquelle la remontée d′une épaule faisait contrepoids, pendant que le monocle s′installait dans l′oeil, haussait un sourcil au même moment où le toupet des cheveux s′abaissait pour le salut; l′autre flexibilité, comme la forme de la vague, du vent ou du sillage que garde à jamais la coquille ou le bateau, s′était pour ainsi dire stylisée en une sorte de mobilité fixée, incurvant le nez busqué qui sous les yeux bleus à fleur de tête, au-dessus des lèvres trop minces, d′où sortait, chez les femmes, une voix rauque, rappelait l′origine fabuleuse enseignée au XVIe siècle par le bon vouloir de généalogistes parasites et hellénisants à cette race, ancienne sans doute, mais pas au point qu′ils prétendaient quand ils lui donnaient pour origine la fécondation mythologique d′une nymphe par un divin Oiseau.
The Guermantes — those at least who were worthy of the name — were not only of a quality of flesh, of hair, of transparency of gaze that was exquisite, but had a way of holding themselves, of walking, of bowing, of looking at one before they shook one′s hand, of shaking hands, which made them as different in all these respects from an ordinary person in society as he in turn was from a peasant in a smock. And despite their friendliness one asked oneself: “Have they not indeed the right, though they waive it, when they see us walk, bow, leave a room, do any of those things which when performed by them become as graceful as the flight of a swallow or the bending of a rose on its stem, to think: ‘These people are of another race than ours, and we are, we, the true lords of creation.′?” Later on, I realised that the Guermantes did indeed regard me as being of another race, but one that aroused their envy because I possessed merits of which I knew nothing and which they professed to regard as alone important. Later still I came to feel that this profession of faith was only half sincere and that in them scorn or surprise could be coexistent with admiration and envy The physical flexibility essential to the Guermantes was twofold; thanks to one of its forms, constantly in action, at any moment and if, for example, a male Guermantes were about to salute a lady, he produced a silhouette of himself made from the unstable equilibrium of a series of asymmetrical movements with nervous compensations, one leg dragging a little either on purpose or because, having been broken so often in the hunting-field, it imparted to his trunk in its effort to keep pace with the other a deviation to which the upward thrust of one shoulder gave a counterpoise, while the monocle settled itself before his eye, raising an eyebrow just as the tuft of hair on the forehead was lowered in the formal bow; the other flexibility, like the form of the wave, the wind or the ocean track which is preserved on the shell or the vessel, was so to speak stereotyped in a sort of fixed mobility, curving the arched nose which, beneath the blue, protruding eyes, above the over-thin lips, from which, in the women, there emerged a raucous voice, recalled the fabulous origin attributed in the sixteenth century by the complaisance of parasitic and Hellenising genealogists to his race, ancient beyond dispute, but not to the degree of antiquity which they claimed when they gave as its source the mythological impregnation of a nymph by a divine Bird.
Les Guermantes n′étaient pas moins spéciaux au point de vue intellectuel qu′au point de vue physique. Sauf le prince Gilbert (l′époux aux idées surannées de «Marie Gilbert» et qui faisait asseoir sa femme à gauche quand ils se promenaient en voiture parce qu′elle était de moins bon sang, pourtant royal, que lui), mais il était une exception et faisait, absent, l′objet des railleries de la famille et d′anecdotes toujours nouvelles, les Guermantes, tout en vivant dans le pur «gratin» de l′aristocratie, affectaient de ne faire aucun cas de la noblesse. Les théories de la duchesse de Guermantes, laquelle à vrai dire à force d′être Guermantes devenait dans une certaine mesure quelque chose d′autre et de plus agréable, mettaient tellement au-dessus de tout l′intelligence et étaient en politique si socialistes qu′on se demandait où dans son hôtel se cachait le génie chargé d′assurer le maintien de la vie aristocratique, et qui toujours invisible, mais évidemment tapi tantôt dans l′antichambre, tantôt dans le salon, tantôt dans le cabinet de toilette, rappelait aux domestiques de cette femme qui ne croyait pas aux titres de lui dire «Madame la duchesse», à cette personne qui n′aimait que la lecture et n′avait point de respect humain, d′aller dîner chez sa belle-soeur quand sonnaient huit heures et de se décolleter pour cela.
The Guermantes were just as idiomatic from the intellectual as from the physical point of view. With the exception of Prince Gilbert (the husband with antiquated ideas of ‘Marie-Gilbert,′ who made his wife sit on his left when they drove out together because her blood, though royal, was inferior to his own)— but he was an exception and furnished, behind his back, a perpetual laughing-stock to the rest of the family, who had always fresh anecdotes to tell of him — the Guermantes, while living in the pure cream of aristocracy, affected to take no account of nobility. The theories of the Duchesse de Guermantes, who, to tell the truth, by dint of being a Guermantes, became to a certain extent something different and more attractive, subordinated everything else so completely to intellect, and were in politics so socialistic that one asked oneself where in her mansion could be hiding the familiar spirit whose duty it was to ensure the maintenance of the aristocratic standard of living, and which, always invisible but evidently crouching at one moment in the entrance hall, at another in the drawing-room, at a third in her dressing-room, reminded the servants of this woman who did not believe in titles to address her as Mme. la Duchesse, reminding also herself who cared only for reading and had no respect for persons to go out to dinner with her sister-in-law when eight o′clock struck, and to put on a low gown.
Le même génie de la famille présentait à Mme de Guermantes la situation des duchesses, du moins des premières d′entre elles, et comme elle multimillionnaires, le sacrifice à d′ennuyeux thés-dîners en ville, raouts, d′heures où elle eût pu lire des choses intéressantes, comme des nécessités désagréables analogues à la pluie, et que Mme de Guermantes acceptait en exerçant sur elles sa verve frondeuse mais sans aller jusqu′à rechercher les raisons de son acceptation. Ce curieux effet du hasard que le maître d′hôtel de Mme de Guermantes dît toujours: «Madame la duchesse» à cette femme qui ne croyait qu′à l′intelligence, ne paraissait pourtant pas la choquer. Jamais elle n′avait pensé à le prier de lui dire «Madame» tout simplement. En poussant la bonne volonté jusqu′à ses extrêmes limites, on eût pu croire que, distraite, elle entendait seulement «Madame» et que l′appendice verbal qui y était ajouté n′était pas perçu. Seulement, si elle faisait la sourde, elle n′était pas muette. Or, chaque fois qu′elle avait une commission à donner à son mari, elle disait au maître d′hôtel: «Vous rappellerez à Monsieur le duc . . . »
The same familiar spirit represented to Mme. de Guermantes the social duties of duchesses, of the foremost among them, that was, who like herself were multi-millionaires, the sacrifice to boring tea, dinner and evening parties of hours in which she might have read interesting books, as unpleasant necessities like rain, which Mme. de Guermantes accepted, letting play on them her biting humour, but without seeking in any way to justify her acceptance of them. The curious accident by which the butler of Mme. de Guermantes invariably said “Madame la Duchesse” to this woman who believed only in the intellect did not however appear to shock her. Never had it entered her head to request him to address her simply as ‘Madame.′ Giving her the utmost benefit of the doubt one might have supposed that, thinking of something else at the time, she had heard only the word ‘Madame′ and that the suffix appended to it had not caught her attention. Only, though she might feign deafness, she was not dumb. In fact, whenever she had a message to give to her husband she would say to the butler: “Remind Monsieur le Duc —”
Le génie de la famille avait d′ailleurs d′autres occupations, par exemple de faire parler de morale. Certes il y avait des Guermantes plus particulièrement intelligents, des Guermantes plus particulièrement moraux, et ce n′étaient pas d′habitude les mêmes. Mais les premiers — même un Guermantes qui avait fait des faux et trichait au jeu et était le plus délicieux de tous, ouvert à toutes les idées neuves et justes — traitaient encore mieux de la morale que les seconds, et de la même façon que Mme de Villeparisis, dans les moments où le génie de la famille s′exprimait par la bouche de la vieille dame. Dans des moments identiques on voyait tout d′un coup les Guermantes prendre un ton presque aussi vieillot, aussi bonhomme, et à cause de leur charme plus grand, plus attendrissant que celui de la marquise pour dire d′une domestique: «On sent qu′elle a un bon fond, c′est une fille qui n′est pas commune, elle doit être la fille de gens bien, elle est certainement restée toujours dans le droit chemin.» A ces moments-là le génie de la famille se faisait intonation. Mais parfois il était aussi tournure, air de visage, le même chez la duchesse que chez son grand-père le maréchal, une sorte d′insaisissable convulsion (pareille à celle du Serpent, génie carthaginois de la famille Barca), et par quoi j′avais été plusieurs fois saisi d′un battement de coeur, dans mes promenades matinales, quand, avant d′avoir reconnu Mme de Guermantes, je me sentais regardé par elle du fond d′une petite crémerie. Ce génie était intervenu dans une circonstance qui avait été loin d′être indifférente non seulement aux Guermantes, mais aux Courvoisier, partie adverse de la famille et, quoique d′aussi bon sang que les Guermantes, tout l′opposé d′eux (c′est même par sa grand′mère Courvoisier que les Guermantes expliquaient le parti pris du prince de Guermantes de toujours parler naissance et noblesse comme si c′était la seule chose qui importât). Non seulement les Courvoisier n′assignaient pas à l′intelligence le même rang que les Guermantes, mais ils ne possédaient pas d′elle la même idée. Pour un Guermantes (fût-il bête), être intelligent, c′était avoir la dent dure, être capable de dire des méchancetés, d′emporter le morceau, c′était aussi pouvoir vous tenir tête aussi bien sur la peinture, sur la musique, sur l′architecture, parler anglais. Les Courvoisier se faisaient de l′intelligence une idée moins favorable et, pour peu qu′on ne fût pas de leur monde, être intelligent n′était pas loin de signifier «avoir probablement assassiné père et mère». Pour eux l′intelligence était l′espèce de «pince monseigneur» grâce à laquelle des gens qu′on ne connaissait ni d′ève ni d′Adam forçaient les portes des salons les plus respectés, et on savait chez les Courvoisier qu′il finissait toujours par vous en cuire d′avoir reçu de telles «espèces». Aux insignifiantes assertions des gens intelligents qui n′étaient pas du monde, les Courvoisier opposaient une méfiance systématique. Quelqu′un ayant dit une fois: «Mais Swann est plus jeune que Palamède. — Du moins il vous le dit; et s′il vous le dit soyez sûr que c′est qu′il y trouve son intérêt», avait répondu Mme de Gallardon. Bien plus, comme on disait de deux étrangères très élégantes que les Guermantes recevaient, qu′on avait fait passer d′abord celle-ci puisqu′elle était l′aînée: «Mais est-elle même l′aînée?» avait demandé Mme de Gallardon, non pas positivement comme si ce genre de personnes n′avaient pas d′âge, mais comme si, vraisemblablement dénuées d′état civil et religieux, de traditions certaines, elles fussent plus ou moins jeunes comme les petites chattes d′une même corbeille entre lesquelles un vétérinaire seul pourrait se reconnaître. Les Courvoisier, mieux que les Guermantes, maintenaient d′ailleurs en un sens l′intégrité de la noblesse à la fois grâce à l′étroitesse de leur esprit et à la méchanceté de leur coeur. De même que les Guermantes (pour qui, au-dessous des familles royales et de quelques autres comme les de Ligne, les La Trémoille, etc., tout le reste se confondait dans un vague fretin) étaient insolents avec des gens de race ancienne qui habitaient autour de Guermantes, précisément parce qu′ils ne faisaient pas attention à ces mérites de second ordre dont s′occupaient énormément les Courvoisier, le manque de ces mérites leur importait peu. Certaines femmes qui n′avaient pas un rang très élevé dans leur province mais brillamment mariées, riches, jolies, aimées des duchesses, étaient pour Paris, où l′on est peu au courant des «père et mère», un excellent et élégant article d′importation. Il pouvait arriver, quoique rarement, que de telles femmes fussent, par le canal de la princesse de Parme, ou en vertu de leur agrément propre, reçues chez certaines Guermantes. Mais, à leur égard, l′indignation des Courvoisier ne désarmait jamais. Rencontrer entre cinq et six, chez leur cousine, des gens avec les parents de qui leurs parents n′aimaient pas à frayer dans le Perche, devenait pour eux un motif de rage croissante et un thème d′inépuisables déclamations. Dès le moment, par exemple, où la charmante comtesse G . . . entrait chez les Guermantes, le visage de Mme de Villebon prenait exactement l′expression qu′il eût dû prendre si elle avait eu à réciter le vers:
The familiar spirit had other occupations as well, one of which was to inspire them to talk morality. It is true that there were Guermantes who went in for intellect and Guermantes who went in for morals, and that these two classes did not as a rule coincide. But the former kind — including a Guermantes who had forged cheques, who cheated at cards and was the most delightful of them all, with a mind open to every new and sound idea — spoke even more eloquently upon morals than the others, and in the same strain as Mme. de Villeparisis, at the moments in which the familiar spirit expressed itself through the lips of the old lady. At corresponding moments one saw the Guermantes adopt suddenly a tone almost as old-ladylike, as genial and (as they themselves had more charm) more touching than that of the Marquise, to say of a servant: “One feels that she has a thoroughly sound nature, she′s not at all a common girl, she must come of decent parents, she is certainly a girl who has never gone astray.” At such moments the familiar spirit took the form of an intonation. But at times it could be bearing also, the expression on a face, the same in the Duchess as in her grandfather the Marshal, a sort of undefinable convulsion (like that of the Serpent, the genius of the Carthaginian family of Barca) by which my heart had more than once been set throbbing, on my morning walks, when before I had recognised Mme. de Guermantes I felt her eyes fastened upon me from the inside of a little dairy. This familiar spirit had intervened in a situation which was far from immaterial not merely to the Guermantes but to the Courvoisiers, the rival faction of the family and, though of as good blood as the Guermantes (it was, indeed, through his Courvoisier grandmother that the Guermantes explained the obsession which led the Prince de Guermantes always to speak of birth and titles as though those were the only things that mattered), their opposite in every respect. Not only did the Courvoisiers not assign to intelligence the same importance as the Guermantes, they had not the same idea of it. For a Guermantes (even were he a fool) to be intelligent meant to have a sharp tongue, to be capable of saying cutting things, to ‘get away with it′; but it meant also the capacity to hold one′s own equally in painting, music, architecture, to speak English. The Courvoisiers had formed a less favourable impression of intelligence, and unless one were actually of their world being intelligent was almost tantamount to ‘having probably murdered one′s father and mother.′ For them intelligence was the sort of burglar′s jemmy by means of which people one did not know from Adam forced the doors of the most reputable drawing-rooms, and it was common knowledge among the Courvoisiers that you always had to pay in the long run for having ‘those sort′ of people in your house. To the most trivial statements made by intelligent people who were not ‘in society′ the Courvoisiers opposed a systematic distrust. Some one having on one occasion remarked: “But Swann is younger than Palamède,”—“He says so, at any rate, and if he says it you may be sure it′s because he thinks it is to his interest!” had been Mme. de Gallardon′s retort. Better still, when some one said of two highly distinguished foreigners whom the Guermantes had entertained that one of them had been sent in first because she was the elder: “But is she really the elder?” Mme. de Gallardon had inquired, not positively as though that sort of person did not have any age but as if presumably devoid of civil or religious status, of definite traditions, they were both more or less young, like two kittens of the same litter between which only a veterinary surgeon was competent to decide. The Courvoisiers, more than the Guermantes, maintained also in a certain sense the integrity of the titled class thanks at once to the narrowness of their minds and the bitterness of their hearts. Just as the Guermantes (for whom, below the royal families and a few others like the Lignes, the La Trémoes and so forth, all the rest were lost in a common rubbish-heap) were insolent towards various people of long descent who lived round Guermantes, simply because they paid no attention to those secondary distinctions by which the Courvoisiers were enormously impressed, so the absence of such distinctions affected them little. Certain women who did not hold any specially exalted rank in their native provinces but, brilliantly married, rich, good-looking, beloved of Duchesses, were for Paris, where people are never very well up in who one′s ‘father and mother′ were, an excellent and exclusive piece of ‘imported goods.′ It might happen, though not commonly, that such women were, through the channel of the Princesse de Parme or by virtue of their own attractions, received by certain Guermantes. But with regard to these the indignation of the Courvoisiers knew no bounds. Having to meet, between five and six in the afternoon, at their cousin′s, people with whose relatives their own relatives did not care to be seen mixing down in the Perche became for them an ever-increasing source of rage and an inexhaustible fount of rhetoric. The moment, for instance, when the charming Comtesse G——-entered the Guermantes drawing-room, the face of Mme. de Villebon assumed exactly the expression that would have befitted it had she been called to recite the line:
Et s′il n′en reste qu′un, je serai celui-là.
vers qui lui était du reste inconnu. Cette Courvoisier avait avalé presque tous les lundis un éclair chargé de crème à quelques pas de la comtesse G . . ., mais sans résultat. Et Mme de Villebon confessait en cachette qu′elle ne pouvait concevoir comment sa cousine Guermantes recevait une femme qui n′était même pas de la deuxième société, à Châteaudun. «Ce n′est vraiment pas la peine que ma cousine soit si difficile sur ses relations, c′est à se moquer du monde», concluait Mme de Villebon avec une autre expression de visage, celle-là souriante et narquoise dans le désespoir, sur laquelle un petit jeu de devinettes eût plutôt mis un autre vers que la comtesse ne connaissait naturellement pas davantage:
[And should but one stand fast, that one were surely
a line which for that matter was unknown to her. This Courvoisier had consumed almost every Monday an éclair stuffed with cream within a few feet of the Comtesse G— — but to no consequence. And Mme. de Villebon confessed in secret that she could not conceive how her cousin Guermantes could allow a woman into her house who was not even in the second-best society of Châteaudun. “I really fail to see why my cousin should make such a fuss about whom she knows; it′s making a perfect farce of society!” concluded Mme. de Villebon with a change of facial expression, this time a sly smile of despair, which, in a charade, would have been interpreted rather as indicating another line of poetry, though one with which she was no more familiar than with the first:
Grâce aux dieux mon malheur passe mon espérance .
Grâce aux Dieux mon malheur passe mon espérance.
Au reste, anticipons sur les événements en disant que la «persévérance», rime d′espérance dans le vers suivant, de Mme de Villebon à snober Mme G . . . ne fut pas tout à fait inutile. Aux yeux de Mme G . . . elle doua Mme de Villebon d′un prestige tel, d′ailleurs purement imaginaire, que, quand la fille de Mme G . . ., qui était la plus jolie et la plus riche des bals de l′époque, fut à marier, on s′étonna de lui voir refuser tous les ducs. C′est que sa mère, se souvenant des avanies hebdomadaires qu′elle avait essuyées rue de Grenelle en souvenir de Châteaudun, ne souhaitait véritablement qu′un mari pour sa fille: un fils Villebon.
We may here anticipate events to explain that the persévérance, (which rhymes, in the following line with espérance) shewn by Mme. de Villebon in snubbing Mme. G——-was not entirely wasted. In the eyes of Mme. G——— it invested Mme. de Villebon with a distinction so supreme, though purely imaginary, that when the time came for Mme. G——-‘s daughter, who was the prettiest girl and the greatest heiress in the ballrooms of that season, to marry, people were astonished to see her refuse all the Dukes in succession. The fact was that her mother, remembering the weekly humiliations she had had to endure in the Rue de Grenelle on account of Chateaudun could think of only one possible husband for her daughter — a Villebon son.
Un seul point sur lequel Guermantes et Courvoisier se rencontraient était dans l′art, infiniment varié d′ailleurs, de marquer les distances. Les manières des Guermantes n′étaient pas entièrement uniformes chez tous. Mais, par exemple, tous les Guermantes, de ceux qui l′étaient vraiment, quand on vous présentait à eux, procédaient à une sorte de cérémonie, à peu près comme si le fait qu′ils vous eussent tendu la main eût été aussi considérable que s′il s′était agi de vous sacrer chevalier. Au moment où un Guermantes, n′eût-il que vingt ans, mais marchant déjà sur les traces de ses aînés, entendait votre nom prononcé par le présentateur, il laissait tomber sur vous, comme s′il n′était nullement décidé à vous dire bonjour, un regard généralement bleu, toujours de la froideur d′un acier qu′il semblait prêt à vous plonger dans les plus profonds replis du coeur. C′est du reste ce que les Guermantes croyaient faire en effet, se jugeant tous des psychologues de premier ordre. Ils pensaient de plus accroître par cette inspection l′amabilité du salut qui allait suivre et qui ne vous serait délivré qu′à bon escient. Tout ceci se passait à une distance de vous qui, petite s′il se fût agi d′une passe d′armes, semblait énorme pour une poignée de main et glaçait dans le deuxième cas comme elle eût fait dans le premier, de sorte que quand le Guermantes, après une rapide tournée accomplie dans les dernières cachettes de votre âme et de votre honorabilité, vous avait jugé digne de vous rencontrer désormais avec lui, sa main, dirigée vers vous au bout d′un bras tendu dans toute sa longueur, avait l′air de vous présenter un fleuret pour un combat singulier, et cette main était en somme placée si loin du Guermantes à ce moment-là que, quand il inclinait alors la tête, il était difficile de distinguer si c′était vous ou sa propre main qu′il saluait. Certains Guermantes n′ayant pas le sentiment de la mesure, ou incapables de ne pas se répéter sans cesse, exagéraient en recommençant cette cérémonie chaque fois qu′ils vous rencontraient. Étant donné qu′ils n′avaient plus à procéder à l′enquête psychologique préalable pour laquelle le «génie de la famille» leur avait délégué ses pouvoirs dont ils devaient se rappeler les résultats, l′insistance du regard perforateur précédant la poignée de main ne pouvait s′expliquer que par l′automatisme qu′avait acquis leur regard ou par quelque don de fascination qu′ils pensaient posséder. Les Courvoisier, dont le physique était différent, avaient vainement essayé de s′assimiler ce salut scrutateur et s′étaient rabattus sur la raideur hautaine ou la négligence rapide. En revanche, c′était aux Courvoisier que certaines très rares Guermantes du sexe féminin semblaient avoir emprunté le salut des dames. En effet, au moment où on vous présentait à une de ces Guermantes-là, elle vous faisait un grand salut dans lequel elle approchait de vous, à peu près selon un angle de quarante-cinq degrés, la tête et le buste, le bas du corps (qu′elle avait fort haut jusqu′à la ceinture, qui faisait pivot) restant immobile. Mais à peine avait-elle projeté ainsi vers vous la partie supérieure de sa personne, qu′elle la rejetait en arrière de la verticale par un brusque retrait d′une longueur à peu près égale. Le renversement consécutif neutralisait ce qui vous avait paru être concédé, le terrain que vous aviez cru gagner ne restait même pas acquis comme en matière de duel, les positions primitives étaient gardées. Cette même annulation de l′amabilité par la reprise des distances (qui était d′origine Courvoisier et destinée à montrer que les avances faites dans le premier mouvement n′étaient qu′une feinte d′un instant) se manifestait aussi clairement, chez les Courvoisier comme chez les Guermantes, dans les lettres qu′on recevait d′elles, au moins pendant les premiers temps de leur connaissance. Le «corps» de la lettre pouvait contenir des phrases qu′on n′écrirait, semble-t-il, qu′à un ami, mais c′est en vain que vous eussiez cru pouvoir vous vanter d′être celui de la dame, car la lettre commençait par: «monsieur» et finissait par: «Croyez, monsieur, à mes sentiments distingués.» Dès lors, entre ce froid début et cette fin glaciale qui changeaient le sens de tout le reste, pouvaient se succéder (si c′était une réponse à une lettre de condoléance de vous) les plus touchantes peintures du chagrin que la Guermantes avait eu à perdre sa soeur, de l′intimité qui existait entre elles, des beautés du pays où elle villégiaturait, des consolations qu′elle trouvait dans le charme de ses petits enfants, tout cela n′était plus qu′une lettre comme on en trouve dans des recueils et dont le caractère intime n′entraînait pourtant pas plus d′intimité entre vous et l′épistolière que si celle-ci avait été Pline le Jeune ou Mme de Simiane.
A single point at which Guermantes and Courvoisiers converged was the art (one, for that matter, of infinite variety) of marking distances. The Guermantes manners were not absolutely uniform towards everyone. And yet, to take an example, all the Guermantes, all those who really were Guermantes, when you were introduced to them proceeded to perform a sort of ceremony almost as though the fact that they held out their hands to you had been as important as the conferring of an order of knighthood. At the moment when a Guermantes, were he no more than twenty, but treading already in the footsteps of his ancestors, heard your name uttered by the person who introduced you, he let fall on you as though he had by no means made up his mind to say “How d′ye do?” a gaze generally blue, always of the coldness of a steel blade which he seemed ready to plunge into the deepest recesses of your heart. Which was a matter of fact what the Guermantes imagined themselves to be doing, each of them regarding himself as a psychologist of the highest order. They thought moreover that they increased by this inspection the affability of the salute which was to follow it, and would not be rendered you without full knowledge of your deserts. All this occurred at a distance from yourself which, little enough had it been a question of a passage of arms, seemed immense for a handclasp, and had as chilling an effect in this connexion as in the other, so that when the Guermantes, after a rapid twisting thrust that explored the most intimate secrets of your soul and laid bare your title to honour, had deemed you worthy to associate with him thereafter, his hand, directed towards you at the end of an arm stretched out to its fullest extent, appeared to be presenting a rapier at you for a single combat, and that hand was in fact placed so far in advance of the Guermantes himself at that moment that when he afterwards bowed his head it was difficult to distinguish whether it was yourself or his own hand that he was saluting. Certain Guermantes, lacking the sense of proportion, or being incapable of refraining from repeating themselves incessantly, went further and repeated this ceremony afresh every time that they met you. Seeing that they had no longer any need to conduct the preliminary psychological investigation for which the ‘familiar spirit′ had delegated its powers to them and the result of which they had presumably kept in mind, the insistence of the perforating gaze preceding the handclasp could be explained only by the automatism which their gaze had acquired or by some power of fascination which they believed themselves to possess. The Courvoisiers whose physique was different, had tried in vain to assimilate that searching gaze and had had to fall back upon a lordly stiffness or a rapid indifference On the other hand, it was from the Courvoisiers that certain very exceptional Guermantes of the gentler sex seemed to have borrowed the feminine form of greeting. At the moment when you were presented to one of these she made you a sweeping bow in which she carried towards you, almost to an angle of forty-five degrees, her head and bust, the rest of her body (which came very high, up to the belt which formed a pivot) remaining stationary. But no sooner had she projected thus towards you the upper part of her person than she flung it backwards beyond the vertical line by a sudden retirement through almost the same angle. This subsequent withdrawal neutralised what appeared to have been conceded to you; the ground which you believed yourself to have gained did not even remain a conquest, as in a duel; the original positions were retained. This same annulment of affability by the resumption of distance (which was Courvoisier in origin and intended to shew that the advances made in the first movement were no more than a momentary feint) displayed itself equally clearly, in the Courvoisier ladies as in the Guermantes, in the letters which you received from them, at any rate in the first period of your acquaintance. The ‘body′ of the letter might contain sentences such as one writes only (you would suppose) to a friend, but in vain might you have thought yourself entitled to boast of being in that relation to the lady, since the letter began with ‘Monsieur,′ and ended with ‘Croyez monsieur à mes sentiments distingués.′ After which, between this cold opening and frigid conclusion which altered the meaning of all the rest, there might come in succession (were it a reply to a letter of condolence from yourself) the most touching pictures of the grief which the Guermantes lady had felt on losing her sister, of the intimacy that had existed between them, of the beauty of the place in which she was staying, of the consolation that she found in the charm of her young children, all this amounted to no more than a letter such as one finds in printed collections, the intimate character of which implied, however, no more intimacy between yourself and the writer than if she had been the Younger Pliny or Mme. de Simiane.
Il est vrai que certaines Guermantes vous écrivaient dès les premières fois «mon cher ami», «mon ami», ce n′étaient pas toujours les plus simples d′entre elles, mais plutôt celles qui, ne vivant qu′au milieu des rois et, d′autre part, étant «légères», prenaient dans leur orgueil la certitude que tout ce qui venait d′elles faisait plaisir et dans leur corruption l′habitude de ne marchander aucune des satisfactions qu′elles pouvaient offrir. Du reste, comme il suffisait qu′on eût eu une trisale commune sous Louis XIII pour qu′un jeune Guermantes dit en parlant de la marquise de Guermantes «la tante Adam», les Guermantes étaient si nombreux que même pour ces simples rites, celui du salut de présentation par exemple, il existait bien des variétés. Chaque sous-groupe un peu raffiné avait le sien, qu′on se transmettait des parents aux enfants comme une recette de vulnéraire et une manière particulière de préparer les confitures. C′est ainsi qu′on a vu la poignée de main de Saint–Loup se déclancher comme malgré lui au moment où il entendait votre nom, sans participation de regard, sans adjonction de salut. Tout malheureux roturier qui pour une raison spéciale — ce qui arrivait du reste assez rarement —était présenté à quelqu′un du sous-groupe Saint–Loup, se creusait la tête, devant ce minimum si brusque de bonjour, revêtant volontairement les apparences de l′inconscience, pour savoir ce que le ou la Guermantes pouvait avoir contre lui. Et il était bien étonné d′apprendre qu′il ou elle avait jugé à propos d′écrire tout spécialement au présentateur pour lui dire combien vous lui aviez plu et qu′il ou elle espérait bien vous revoir. Aussi particularisés que le geste mécanique de Saint–Loup étaient les entrechats compliqués et rapides (jugés ridicules par M. de Charlus) du marquis de Fierbois, les pas graves et mesurés du prince de Guermantes. Mais il est impossible de décrire ici la richesse de cette chorégraphie des Guermantes à cause de l′étendue même du corps de ballet.
It is true that certain Guermantes ladies wrote to you from the first as ‘My dear friend,′ or ‘My friends′; these were not always the most simple natured among them, but rather those who, living only in the society of kings and being at the same time ‘light,′ assumed in their pride the certainty that everything which came from themselves gave pleasure and in their corruption the habit of setting no price upon any of the satisfactions that they had to offer. However, since to have had a common ancestor in the reign of Louis XIII was enough to make a young Guermantes say, in speaking of the Marquise de Guermantes: “My aunt Adam,” the Guermantes were so numerous a clan that, even among these simple rites, that for example of the bow upon introduction to a stranger, there existed a wide divergence. Each subsection of any refinement had its own, which was handed down from parents to children like the prescription for a liniment or a special way of making jam. Thus it was that we saw Saint-Loup′s handclasp thrust out as though involuntarily at the moment of his hearing one′s name, without any participation by his eyes, without the addition of a bow. Any unfortunate commoner who for a particular reason — which, for that matter, very rarely occurred — was presented to anyone of the Saint-Loup subsection racked his brains over this abrupt minimum of a greeting, which deliberately assumed the appearance of non-recognition, to discover what in the world the Guermantes — male or female — could have against him. And he was highly surprised to learn that the said Guermantes had thought fit to write specially to the introducer to tell him how delighted he or she had been with the stranger, • whom he or she looked forward to meeting again. As specialised as the mechanical gestures of Saint-Loup were the complicated and rapid capers (which M. de Charlus condemned as ridiculous) of the Marquis de Fierbois, the grave and measured paces of the Prince de Guermantes. But it is impossible to describe here the richness of the choreography of the Guermantes ballet owing to the sheer length of the cast.
Pour en revenir à l′antipathie qui animait les Courvoisier contre la duchesse de Guermantes, les premiers auraient pu avoir la consolation de la plaindre tant qu′elle fut jeune fille, car elle était alors peu fortunée. Malheureusement, de tout temps une sorte d′émanation fuligineuse et sui generis enfouissait, dérobait aux yeux, la richesse des Courvoisier qui, si grande qu′elle fût, demeurait obscure. Une Courvoisier fort riche avait beau épouser un gros parti, il arrivait toujours que le jeune ménage n′avait pas de domicile personnel à Paris, y «descendait» chez ses beaux-parents, et pour le reste de l′année vivait en province au milieu d′une société sans mélange mais sans éclat. Pendant que Saint–Loup, qui n′avait guère plus que des dettes, éblouissait Doncières par ses attelages, un Courvoisier fort riche n′y prenait jamais que le tram. Inversement (et d′ailleurs bien des années auparavant) Mlle de Guermantes (Oriane), qui n′avait pas grand′chose, faisait plus parler de ses toilettes que toutes les Courvoisier réunies des leurs. Le scandale même de ses propos faisait une espèce de réclame à sa manière de s′habiller et de se coiffer. Elle avait osé dire au grand-duc de Russie: «Eh bien! Monseigneur, il paraît que vous voulez faire assassiner Tolstoí¥±uest;» dans un dîner auquel on n′avait point convié les Courvoisier, d′ailleurs peu renseignés sur Tolstoí¬ Ils ne l′étaient pas beaucoup plus sur les auteurs grecs, si l′on en juge par la duchesse de Gallardon douairière (belle-mère de la princesse de Gallardon, alors encore jeune fille) qui, n′ayant pas été en cinq ans honorée d′une seule visite d′Oriane, répondit à quelqu′un qui lui demandait la raison de son absence: «Il paraît qu′elle récite de l′Aristote (elle voulait dire de l′Aristophane) dans le monde. Je ne tolère pas ça chez moi!»
To return to the antipathy which animated the Courvoisiers against the Duchesse de Guermantes, they might have had the consolation of feeling sorry for her so long as she was still unmarried, for she was then comparatively poor. Unfortunately, at all times and seasons, a sort of fuliginous emanation, quite sut generis, enveloped, hid from the eye the wealth of the Courvoisiers which, however great it might be, remained obscure. In vain might a young Courvoisier with an ample dowry find a most eligible bridegroom; it invariably happened that the young couple had no house of their own in Paris, ‘came up to stay′ in the season with his parents, and for the rest of the year lived down in the country in the thick of a society that may have been unadulterated but was also quite undistinguished. Whereas a Saint-Loup who was up to the eyes in debt dazzled Doncières with his carriage-horses, a Courvoisier who was extremely rich always went in the tram. Similarly (though of course many years earlier) Mlle, de Guermantes (Oriane), who had scarcely a penny to her name, created more stir with her clothes than all the Courvoisiers put together. The really scandalous things she said gave a sort of advertisement to her style of dressing and doing her hair. She had had the audacity to say to the Russian Grand Duke: “Well, Sir, I hear you would like to have Tolstoy murdered?” at a dinner-party to which none of the Courvoisiers, not that any of them knew very much about Tolstoy, had been asked. They knew little more about Greek writers, if we may judge by the Dowager Duchesse de Gallardon (mother-in-law of the Princesse de Gallardon who at that time was still a girl) who, not having been honoured by Oriane with a single visit in five years, replied to some one who asked her the reason for this abstention: “It seems she recites Aristotle” (meaning Aristophanes) “in society. I cannot allow that sort of thing in my house!”
On peut imaginer combien cette «sortie» de Mlle de Guermantes sur Tolstoíª si elle indignait les Courvoisier, émerveillait les Guermantes, et, par delà, tout ce qui leur tenait non seulement de près, mais de loin. La comtesse douairière d′Argencourt, née Seineport, qui recevait un peu tout le monde parce qu′elle était bas bleu et quoique son fils fût un terrible snob, racontait le mot devant des gens de lettres en disant: «Oriane de Guermantes qui est fine comme l′ambre, maligne comme un singe, douée pour tout, qui fait des aquarelles dignes d′un grand peintre et des vers comme en font peu de grands poètes, et vous savez, comme famille, c′est tout ce qu′il y a de plus haut, sa grand′mère était Mlle de Montpensier, et elle est la dix-huitième Oriane de Guermantes sans une mésalliance, c′est le sang le plus pur, le plus vieux de France.» Aussi les faux hommes de lettres, ces demi-intellectuels que recevait Mme d′Argencourt, se représentant Oriane de Guermantes, qu′ils n′auraient jamais l′occasion de connaître personnellement, comme quelque chose de plus merveilleux et de plus extraordinaire que la princesse Badroul Boudour, non seulement se sentaient prêts à mourir pour elle en apprenant qu′une personne si noble glorifiait par-dessus tout Tolstoíª mais sentaient aussi que reprenaient dans leur esprit une nouvelle force leur propre amour de Tolstoíª leur désir de résistance au tsarisme. Ces idées libérales avaient pu s′anémier entre eux, ils avaient pu douter de leur prestige, n′osant plus les confesser, quand soudain de Mlle de Guermantes elle-même, c′est-à-dire d′une jeune fille si indiscutablement précieuse et autorisée, portant les cheveux à plat sur le front (ce que jamais une Courvoisier n′eût consenti à faire) leur venait un tel secours. Un certain nombre de réalités bonnes ou mauvaises gagnent ainsi beaucoup à recevoir l′adhésion de personnes qui ont autorité sur nous. Par exemple chez les Courvoisier, les rites de l′amabilité dans la rue se composaient d′un certain salut, fort laid et peu aimable en lui-même, mais dont on savait que c′était la manière distinguée de dire bonjour, de sorte que tout le monde, effaçant de soi le sourire, le bon accueil, s′efforçait d′imiter cette froide gymnastique. Mais les Guermantes, en général, et particulièrement Oriane, tout en connaissant mieux que personne ces rites, n′hésitaient pas, si elles vous apercevaient d′une voiture, à vous faire un gentil bonjour de la main, et dans un salon, laissant les Courvoisier faire leurs saluts empruntés et raides, esquissaient de charmantes révérences, vous tendaient la main comme à un camarade en souriant de leurs yeux bleus, de sorte que tout d′un coup, grâce aux Guermantes, entraient dans la substance du chic, jusque-là un peu creuse et sèche, tout ce que naturellement on eût aimé et qu′on s′était efforcé de proscrire, la bienvenue, l′épanchement d′une amabilité vraie, la spontanéité. C′est de la même manière, mais par une réhabilitation cette fois peu justifiée, que les personnes qui portent le plus en elles le goût instinctif de la mauvaise musique et des mélodies, si banales soient-elles, qui ont quelque chose de caressant et de facile, arrivent, grâce à la culture symphonique, à mortifier en elles ce goût. Mais une fois arrivées à ce point, quand, émerveillées avec raison par l′éblouissant coloris orchestral de Richard Strauss, elles voient ce musicien acueillir avec une indulgence digne d′Auber les motifs plus vulgaires, ce que ces personnes aimaient trouve soudain dans une autorité si haute une justification qui les ravit et elles s′enchantent sans scrupules et avec une double gratitude, en écoutant Salomé , de ce qui leur était interdit d′aimer dans Les Diamants de la Couronne . Authentique ou non, l′apostrophe de Mlle de Guermantes au grand-duc, colportée de maison en maison, était une occasion de raconter avec quelle élégance excessive Oriane était arrangée à ce dîner. Mais si le luxe (ce qui précisément le rendait inaccessible aux Courvoisier) ne naît pas de la richesse, mais de la prodigalité, encore la seconde dure-t-elle plus longtemps si elle est enfin soutenue par la première, laquelle lui permet alors de jeter tous ses feux. Or, étant donné les principes affichés ouvertement non seulement par Oriane, mais par Mme de Villeparisis, à savoir que la noblesse ne compte pas, qu′il est ridicule de se préoccuper du rang, que la fortune ne fait pas le bonheur, que seuls l′intelligence, le coeur, le talent ont de l′importance, les Courvoisier pouvaient espérer qu′en vertu de cette éducation qu′elle avait reçue de la marquise, Oriane épouserait quelqu′un qui ne serait pas du monde, un artiste, un repris de justice, un va-nu-pieds, un libre penseur, qu′elle entrerait définitivement dans la catégorie de ce que les Courvoisier appelaient «les dévoyés». Ils pouvaient d′autant plus l′espérer que, Mme de Villeparisis traversant en ce moment au point de vue social une crise difficile (aucune des rares personnes brillantes que je rencontrai chez elle ne lui étaient encore revenues), elle affichait une horreur profonde à l′égard de la société qui la tenait à l′écart. Même quand elle parlait de son neveu le prince de Guermantes qu′elle voyait, elle n′avait pas assez de railleries pour lui parce qu′il était féru de sa naissance. Mais au moment même où il s′était agi de trouver un mari à Oriane, ce n′étaient plus les principes affichés par la tante et la nièce qui avaient mené l′affaire; ç‘avait été le mystérieux «Génie de la famille». Aussi infailliblement que si Mme de Villeparisis et Oriane n′eussent jamais parlé que titres de rente et généalogies au lieu de mérite littéraire et de qualités du coeur, et comme si la marquise, pour quelques jours avait été— comme elle serait plus tard — morte, et en bière, dans l′église de Combray, où chaque membre de la famille n′était plus qu′un Guermantes, avec une privation d′individualité et de prénoms qu′attestait sur les grandes tentures noires le seul G . . . de pourpre, surmonté de la couronne ducale, c′était sur l′homme le plus riche et le mieux né, sur le plus grand parti du faubourg Saint–Germain, sur le fils aîné du duc de Guermantes, le prince des Laumes, que le Génie de la famille avait porté le choix de l′intellectuelle, de la frondeuse, de l′évangélique Mme de Villeparisis. Et pendant deux heures, le jour du mariage, Mme de Villeparisis eut chez elle toutes les nobles personnes dont elle se moquait, dont elle se moqua même avec les quelques bourgeois intimes qu′elle avait conviés et auxquels le prince des Laumes mit alors des cartes avant de «couper le câble» dès l′année suivante. Pour mettre le comble au malheur des Courvoisier, les maximes qui font de l′intelligence et du talent les seules supériorités sociales recommencèrent à se débiter chez la princesse des Laumes, aussitôt après le mariage. Et à cet égard, soit dit en passant, le point de vue que défendait Saint–Loup quand il vivait avec Rachel, fréquentait les amis de Rachel, aurait voulu épouser Rachel, comportait — quelque horreur qu′il inspirât dans la famille — moins de mensonge que celui des demoiselles Guermantes en général, prônant l′intelligence, n′admettant presque pas qu′on mît en doute l′égalité des hommes, alors que tout cela aboutissait à point nommé au même résultat que si elles eussent professé des maximes contraires, c′est-à-dire à épouser un duc richissime. Saint–Loup agissait, au contraire, conformément à ses théories, ce qui faisait dire qu′il était dans une mauvaise voie. Certes, du point de vue moral, Rachel était en effet peu satisfaisante. Mais il n′est pas certain que si une personne ne valait pas mieux, mais eût été duchesse ou eût possédé beaucoup de millions, Mme de Marsantes n′eût pas été favorable au mariage.
One can imagine how greatly this ‘sally′ by Mlle. de Guermantes upon Tolstoy, if it enraged the Courvoisiers, delighted the Guermantes, and by derivation everyone who was not merely closely but even remotely attached to them. The Dowager Comtesse d′Argencourt (née Seineport) who entertained a little of everything, because she was a blue-stocking and in spite of her son′s being a terrible snob, repeated the saying before her literary friends with the comment: “Oriane de Guermantes, you know; she′s as fine as amber, as mischievous as a monkey, there′s nothing she couldn′t do if she chose, her water-colours are worthy of a great painter and she writes better verses than most of the great poets, and as for family, don′t you know, you couldn′t imagine anything better, her grandmother was Mlle, de Montpensier, and she is the eighteenth Oriane de Guermantes in succession, without a single misalliance; it′s the purest blood, the oldest in the whole of France.” And so the sham men of letters, those demi-intellectuals who went to Mme. d′Argencourt′s, forming a mental picture of Oriane de Guermantes, whom they would never have an opportunity to know personally, as something more wonderful and more extraordinary than Princess Badroulbadour, not only felt themselves ready to die for her on learning that so noble a person glorified Tolstoy above all others, but felt also quickening with a fresh strength in their minds their own love of Tolstoy, their longing to fight against Tsarism. These liberal ideas might have grown faint in them, they might have begun to doubt their importance, no longer venturing to confess to holding them, when suddenly from Mlle, de Guermantes herself, that is to say from a girl so indisputably cultured and authorised to speak, who wore her hair flat on her brow (a thing that no Courvoisier would ever have consented to do), came this vehement support. A certain number of realities, good or bad in themselves, gain enormously in this way by receiving the adhesion of people who are in authority over us. For instance among the Courvoisiers the rites of affability in a public thoroughfare consisted in a certain bow, very ugly and far from affable in itself but which people knew to be the distinguished way of bidding a person good day, with the result that everyone else, suppressing the instinctive smile of welcome on his own face, endeavoured to imitate these frigid gymnastics. But the Guermantes in general and Oriane in particular, while better conversant than anyone with these rites, did not hesitate, if they caught sight of you from a carriage, to greet you with a sprightly wave of the hand, and in a drawing-room, leaving the Courvoisiers to make their stiff and imitative bows, sketched charming reverences in the air, held out their hands as though to a comrade with a smile from their blue eyes, so that suddenly, thanks to the Guermantes, there entered into the substance of smartness, until then a little hollow and dry, everything that you would naturally have liked and had compelled yourself to forego, a genuine welcome, the effusion of a true friendliness, spontaneity. It is in a similar fashion (but by a rehabilitation which this time is scarcely justified) that people who carry in themselves an instinctive taste for bad music and for melodies, however commonplace, which have in them something easy and caressing, succeed, by dint of education in symphonic culture, in mortifying that appetite. But once they have arrived at this point, when, dazzled — and rightly so — by the brilliant orchestral colouring of Richard Strauss, they see that musician adopt with an indulgence worthy of Auber the most vulgar motifs, what those people originally admired finds suddenly in so high an authority a justification which delights them, and they let themselves be enchanted without scruple and with a twofold gratitude, when they listen to Salomé, by what it would have been impossible for them to admire in Les Diamants de la Couronne. Authentic or not, the retort made by Mlle, de Guermantes to the Grand Duke, retailed from house to house, furnished an opportunity to relate the excessive smartness with which Oriane had been turned out at the dinner-party in question. But if such splendour (and this is precisely what rendered it unattainable by the Courvoisiers) springs not from wealth but from prodigality, the latter does nevertheless last longer if it enjoys the constant support of the former, which allows it to spend all its fire. Given the principles openly advertised not. only by Oriane but by Mlle, de Villeparisis, namely that nobility does not count, that it is ridiculous to bother one′s head about rank, that wealth does not necessarily mean happiness, that intellect, heart, talent are alone of importance, the Courvoisiers were justified in hoping that, as a result of the training she had received from the Marquise, Oriane would marry some one who was not in society, an artist, a fugitive from justice, a scallawag, a free-thinker, that she would pass definitely into the category of what the Courvoisiers called ‘detrimentals.′ They were all the more justified in this hope since, inasmuch as Mme. de Villeparisis was at this very moment, from the social point of view, passing through an awkward crisis (none of the few bright stars whom I was to meet in her drawing-room had as yet reappeared there), she professed an intense horror of the society which was thus holding her aloof. Even when she referred to her nephew the Prince de Guermantes, whom she did still see, she could never make an end of mocking at him because he was so infatuated about his pedigree. But the moment it became a question of finding a husband for Oriane, it had been no longer the principles publicly advertised by aunt and niece that had controlled the operations, it had been the mysterious ‘familiar spirit′ of their race. As unerringly as if Mme. de Villeparisis and Oriane had never spoken of anything but rent-rolls and pedigrees in place of literary merit and depth of character, and as if the Marquise, for the space of a few days, had been — as she would ultimately be — dead and on her bier, in the church of Combray, where each member of the family would be reduced to a mere Guermantes, with a forfeiture of individuality and baptismal names to which there testified on the voluminous black drapery of the pall the single ‘G′ in purple surmounted by the ducal coronet, it was on the wealthiest man and the most nobly born, on the most eligible bachelor of the Faubourg Saint-Germain, on the eldest son of the Duc de Guermantes, the Prince des Laumes, that the familiar spirit had let fall the choice of the intellectual, the critical, the evangelical Mme. de Villeparisis. And for a couple of hours, on the day of the wedding, Mme. de Villeparisis received in her drawing-room all the noble persons at whom she had been in the habit of sneering, at whom she indeed sneered still to the various plebeian intimates whom she had invited and on whom the Prince des Laumes promptly left cards, preparatory to ‘cutting the cable′ in the following year. And then, making the Courvoisiers′ cup of bit terness overflow, the same old maxims, which made out intellect and talent to be the sole claims to social pre-eminence, resumed their doctrinal fore in the household of the Princesse des Laumes immediately after her mar riage. And in this respect, be it said in passing, the point of view which Saint-Loup upheld when he lived with Rachel, frequented the friends of Rachel, would have liked to marry Rachel, implied — whatever the horror that it inspired in the family — less falsehood than that of the Guermantes young ladies in general, preaching the virtues of intellect, barely admitting the possibility of anyone′s questioning the equality of mankind, all of which ended at a given point in the same result as if they had professed the opposite principles, that is to say in marriage to an extremely wealthy duke. Saint-Loup did, on the contrary, act in conformity with his theories which led people to say that he was treading in evil ways. Certainly from the moral standpoint Rachel was not altogether satisfactory. But it is by no means certain whether, if she had been some person no more worthy but a duchess or the heiress to many millions, Mme. de Marsantes would not have been in favour of the match.
Or, pour en revenir à Mme des Laumes (bientôt après duchesse de Guermantes par la mort de son beau-père) ce fut un surcroît de malheur infligé aux Courvoisier que les théories de la jeune princesse, en restant ainsi dans son langage, n′eussent dirigé en rien sa conduite; car ainsi cette philosophie (si l′on peut ainsi dire) ne nuisit nullement à l′élégance aristocratique du salon Guermantes. Sans doute toutes les personnes que Mme de Guermantes ne recevait pas se figuraient que c′était parce qu′elles n′étaient pas assez intelligentes, et telle riche Américaine qui n′avait jamais possédé d′autre livre qu′un petit exemplaire ancien, et jamais ouvert, des poésies de Parny, posé, parce qu′il était «du temps», sur un meuble de son petit salon, montrait quel cas elle faisait des qualités de l′esprit par les regards dévorants qu′elle attachait sur la duchesse de Guermantes quand celle-ci entrait à l′Opéra. Sans doute aussi Mme de Guermantes était sincère quand elle élisait une personne à cause de son intelligence. Quand elle disait d′une femme, il paraît qu′elle est «charmante», ou d′un homme qu′il était tout ce qu′il y a de plus intelligent, elle ne croyait pas avoir d′autres raisons de consentir à les recevoir que ce charme ou cette intelligence, le génie des Guermantes n′intervenant pas à cette dernière minute: plus profond, situé à l′entrée obscure de la région où les Guermantes jugeaient, ce génie vigilant empêchait les Guermantes de trouver l′homme intelligent ou de trouver la femme charmante s′ils n′avaient pas de valeur mondaine, actuelle ou future. L′homme était déclaré savant, mais comme un dictionnaire, ou au contraire commun avec un esprit de commis voyageur, la femme jolie avait un genre terrible, ou parlait trop. Quant aux gens qui n′avaient pas de situation, quelle horreur, c′étaient des snobs. M. de Breauté, dont le château était tout voisin de Guermantes, ne fréquentait que des altesses. Mais il se moquait d′elles et ne rêvait que vivre dans les musées. Aussi Mme de Guermantes était-elle indignée quand on traitait M. de Breauté de snob. «Snob, Babal! Mais vous êtes fou, mon pauvre ami, c′est tout le contraire, il déteste les gens brillants, on ne peut pas lui faire faire une connaissance. Même chez moi! si je l′invite avec quelqu′un de nouveau, il ne vient qu′en gémissant.» Ce n′est pas que, même en pratique, les Guermantes ne fissent pas de l′intelligence un tout autre cas que les Courvoisier. D′une façon positive cette différence entre les Guermantes et les Courvoisier donnait déjà d′assez beaux fruits. Ainsi la duchesse de Guermantes, du reste enveloppée d′un mystère devant lequel rêvaient de loin tant de poètes, avait donné cette fête dont nous avons déjà parlé, où le roi d′Angleterre s′était plu mieux que nulle part ailleurs, car elle avait eu l′idée, qui ne serait jamais venue à l′esprit, et la hardiesse, qui eût fait reculer le courage de tous les Courvoisier, d′inviter, en dehors des personnalités que nous avons citées, le musicien Gaston Lemaire et l′auteur dramatique Grandmougin. Mais c′est surtout au point de vue négatif que l′intellectualité se faisait sentir. Si le coefficient nécessaire d′intelligence et de charme allait en s′abaissant au fur et à mesure que s′élevait le rang de la personne qui désirait être invitée chez la princesse de Guermantes, jusqu′à approcher de zéro quand il s′agissait des principales têtes couronnées, en revanche plus on descendait au-dessous de ce niveau royal, plus le coefficient s′élevait. Par exemple, chez la princesse de Parme, il y avait une quantité de personnes que l′Altesse recevait parce qu′elle les avait connues enfant, ou parce qu′elles étaient alliées à telle duchesse, ou attachées à la personne de tel souverain, ces personnes fussent-elles laides, d′ailleurs, ennuyeuses ou sottes; or, pour un Courvoisier la raison «aimé de la princesse de Parme», «soeur de mère avec la duchesse d′Arpajon», «passant tous les ans trois mois chez la reine d′Espagne», aurait suffi à leur faire inviter de telles gens, mais Mme de Guermantes, qui recevait poliment leur salut depuis dix ans chez la princesse de Parme, ne leur avait jamais laissé passer son seuil, estimant qu′il en est d′un salon au sens social du mot comme au sens matériel où il suffit de meubles qu′on ne trouve pas jolis, mais qu′on laisse comme remplissage et preuve de richesse, pour le rendre affreux. Un tel salon ressemble à un ouvrage où on ne sait pas s′abstenir des phrases qui démontrent du savoir, du brillant, de la facilité. Comme un livre, comme une maison, la qualité d′un «salon», pensait avec raison Mme de Guermantes, a pour pierre angulaire le sacrifice.
Well, to return to Mme. des Laumes (shortly afterwards Duchesse de Guermantes, on the death of her father-in-law), it was the last agonising straw upon the backs of the Courvoisiers that the theories of the young Princess, remaining thus lodged in her speech, should not in any sense be guiding her conduct; with the result that this philosophy (if one may so call it) in no way impaired the aristocratic smartness of the Guermantes drawing-room. No doubt all the people whom Mme. de Guermantes did not invite imagined that it was because they were not clever enough, and some rich American lady who had never had any book in her possession except a little old copy, never opened, of Parny′s poems, arranged because it was of the ‘period′ upon one of the tables in her inner room, shewed how much importance she attached to the things of the mind by the devouring gaze which she fastened on the Duchesse de Guermantes when that lady made her appearance at the Opera. No doubt, also, Mme. de Guermantes was sincere when she selected a person on account of his or her intellect. When she said of a woman: “It appears, she′s quite charming!” or of a man that he was the “cleverest person in the world,” she imagined herself to have no other reason for consenting to receive them than this charm or cleverness, the familiar spirit not interposing itself at this last moment; more deeply rooted, stationed at the obscure entry of the region in which the Guermantes exercised their judgment, this vigilant spirit precluded them from finding the man clever or the woman charming if they had no social value, actual or potential. The man was pronounced learned, but like a dictionary, or, on the contrary, common, with the mind of a commercial traveller, the woman pretty, but with a terribly bad style, or too talkative. As for the people who had no definite position, they were simply dreadful — such snobs! M. de Bréauté, whose country house was quite close to Guermantes, mixed with no one below the rank of Highness. But he laughed at them in his heart and longed only to spend his days in museums. Accordingly Mme. de Guermantes was indignant when anyone spoke of M. de Bréauté as a snob. “A snob! Babal! But, my poor friend, you must be mad, it′s just the opposite. He loathes smart people; he won′t let himself be introduced to anyone. Even in my house! If I ask him to meet some one he doesn′t know, he swears at me all the time.” This was not to say that, even in practice, the Guermantes did not adopt an entirely different attitude towards cleverness from the Courvoisiers. In a positive sense, this difference between the Guermantes and the Courvoisiers had begun already to bear very promising fruit. Thus the Duchesse de Guermantes, enveloped moreover in a mystery which had set so many poets dreaming of her at a respectful distance, had given that party to which I have already referred, at which the King of England had enjoyed himself more thoroughly than anywhere else, for she had had the idea, which would never have occurred to a Courvoisier mind, of inviting, and the audacity, from which a Courvoisier courage would have recoiled, to invite, apart from the personages already mentioned, the musician Gaston Lemaire and the dramatist Grandmougin. But it was pre-eminently from the negative point of view that intellectuality made itself felt. If the necessary coefficient of cleverness and charm declined steadily as the rank of the person who sought an invitation from the Princesse des Laumes became more exalted, vanishing into zero when he or she was one of the principal Crowned Heads of Europe, conversely the farther they fell below this royal level the higher the coefficient rose. For instance at the Princesse de Parme′s parties there were a number of people whom her Royal Highness invited because she had known them as children, or because they were related to some duchess, or attached to the person of some Sovereign, they themselves being quite possibly ugly, boring or stupid; well, with a Courvoisier any of the reasons: “a favourite of the Princesse de Parme,” “a niece on the mother′s side of the Duchesse d′Arpajon,” “spends three months every year with the Queen of Spain,” would have been sufficient to make her invite such people to her house, but Mme. de Guermantes, who had politely acknowledged their bows for ten years at the Princesse de Parme′s, had never once allowed them to cross her threshold, considering that the same rule applied to a drawing-room in a social as in a material sense, where it only needed a few pieces of furniture which had no particular beauty but were left there to fill the room and as a sign of the owner′s wealth, to render it hideous. Such a drawing-room resembled a book in which the author could not refrain from the use of language advertising his own learning, brilliance, fluency. Like a book, like a house, the quality of a ‘salon,′ thought Mme. de Guermantes — and rightly — is based on the corner-stone of sacrifice.
Beaucoup des amies de la princesse de Parme et avec qui la duchesse de Guermantes se contentait depuis des années du même bonjour convenable, ou de leur rendre des cartes, sans jamais les inviter, ni aller à leurs fêtes, s′en plaignaient discrètement à l′Altesse, laquelle, les jours où M. de Guermantes venait seul la voir, lui en touchait un mot. Mais le rusé seigneur, mauvais mari pour la duchesse en tant qu′il avait des maîtresses, mais compère à toute épreuve en ce qui touchait le bon fonctionnement de son salon (et l′esprit d′Oriane, qui en était l′attrait principal), répondait: «Mais est-ce que ma femme la connaît? Ah! alors, en effet, elle aurait dû. Mais je vais dire la vérité à Madame, Oriane au fond n′aime pas la conversation des femmes. Elle est entourée d′une cour d′esprits supérieurs — moi je ne suis pas son mari, je ne suis que son premier valet de chambre. Sauf un tout petit nombre qui sont, elles, très spirituelles, les femmes l′ennuient. Voyons, Madame, votre Altesse, qui a tant de finesse, ne me dira pas que la marquise de Souvré ait de l′esprit. Oui, je comprends bien, la princesse la reçoit par bonté. Et puis elle la connaît. Vous dites qu′Oriane l′a vue, c′est possible, mais très peu je vous assure. Et puis je vais dire à la princesse, il y a aussi un peu de ma faute. Ma femme est très fatiguée, et elle aime tant être aimable que, si je la laissais faire, ce serait des visites à n′en plus finir. Pas plus tard qu′hier soir, elle avait de la température, elle avait peur de faire de la peine à la duchesse de Bourbon en n′allant pas chez elle. J′ai dû montrer les dents, j′ai défendu qu′on attelât. Tenez, savez-vous, Madame, j′ai bien envie de ne pas même dire à Oriane que vous m′avez parlé de Mme de Souvré. Oriane aime tant votre Altesse qu′elle ira aussitôt inviter Mme de Souvré, ce sera une visite de plus, cela nous forcera à entrer en relations avec la soeur dont je connais très bien le mari. Je crois que je ne dirai rien du tout à Oriane, si la princesse m′y autorise. Nous lui éviterons comme cela beaucoup de fatigue et d′agitation. Et je vous assure que cela ne privera pas Mme de Souvré. Elle va partout, dans les endroits les plus brillants. Nous, nous ne recevons même pas, de petits dîners de rien, Mme de Souvré s′ennuierait à périr.» La princesse de Parme, naîµ¥ment persuadée que le duc de Guermantes ne transmettrait pas sa demande à la duchesse et désolée de n′avoir pu obtenir l′invitation que désirait Mme de Souvré, était d′autant plus flattée d′être une des habituées d′un salon si peu accessible. Sans doute cette satisfaction n′allait pas sans ennuis. Ainsi chaque fois que la princesse de Parme invitait Mme de Guermantes, elle avait à se mettre l′esprit à la torture pour n′avoir personne qui pût déplaire à la duchesse et l′empêcher de revenir.
Many of the friends of the Princesse de Parme, with whom the Duchesse de Guermantes had confined herself for years past to the same conventional greeting, or to returning their cards, without ever inviting them to her parties or going to theirs, complained discreetly of these omissions to her Highness who, on days when M. de Guermantes came by himself to see her, passed on a hint to him. But the wily nobleman, a bad husband to the Duchess in so far as he kept mistresses, but her most tried and trusty friend in everything that concerned the good order of her drawing-room (and her own wit, which formed its chief attraction), replied: “But doe my wife know her? Indeed! Oh, well, I daresay she does. But the truth is, Ma′am, that Oriane does not care for women′s conversation. She lives surrounded by a court of superior minds — I am not her husband, I am only the first footman. Except for quite a small number, who are all of them very clever indeed, women bore her. Surely, Ma′am, your Highness with all her fine judgment is not going to tell me that the Marquise de Souvré has any brains. Yes, I quite understand, the Princess receives her out of kindness. Besides, your Highness knows her. You tell me that Oriane has met her; it is quite possible, but once or twice at the most I assure you. And then, I must explain to your Highness, it is really a little my fault as well. My wife is very easily tired, and she is so anxious to be friendly always that if I allowed her she would never stop going to see people. Only yesterday evening she had a temperature, she was afraid of hurting the Duchesse de Bourbon′s feelings by not going to see her. I had to shew my teeth, I assure you; I positively forbade them to bring the carriage round. Do you know, Ma′am, I should really prefer not to mention to Oriane that you have spoken to me about Mme. de Souvré. My wife is so devoted to your Highness, she will go round at once to invite Mme. de Souvré to the house; that will mean another call to be paid, it will oblige us to make friends with the sister, whose husband I know quite well. I think I shall say nothing at all about it to Oriane, if the Princess has no objection. That will save her a great deal of strain and excitement. And I assure you that it will be no loss to Mme. de Souvré. She goes everywhere, moves in the most brilliant circles. You know, we don′t entertain at all, really, just a few little friendly dinners, Mme. de Souvré would be bored to death.” The Princesse de Parme, innocently convinced that the Duc de Guermantes would not transmit her request to his Duchess, and dismayed by her failure to procure the invitation that Mme. de Souvré sought, was all the more flattered to think that she herself was one of the regular frequenters of so exclusive a household. No doubt this satisfaction had its drawbacks also. Thus whenever the Princesse de Parme invited Mme. de Guermantes to her own parties she had to rack her brains to be sure that there was no one else on her list whose presence might offend the Duchess and make her refuse to come again.
Les jours habituels (après le dîner où elle avait toujours de très bonne heure, ayant gardé les habitudes anciennes, quelques convives), le salon de la princesse de Parme était ouvert aux habitués, et d′une façon générale à toute la grande aristocratie française et étrangère. La réception consistait en ceci qu′au sortir de la salle à manger, la princesse s′asseyait sur un canapé devant une grande table ronde, causait avec deux des femmes les plus importantes qui avaient dîné, ou bien jetait les yeux sur un «magazine», jouait aux cartes (ou feignait d′y jouer, suivant une habitude de cour allemande), soit en faisant une patience, soit en prenant pour partenaire vrai ou supposé un personnage marquant. Vers neuf heures la porte du grand salon ne cessant plus de s′ouvrir à deux battants, de se refermer, de se rouvrir de nouveau, pour laisser passage aux visiteurs qui avaient dîné quatre à quatre (ou s′ils dînaient en ville escamotaient le café en disant qu′ils allaient revenir, comptant en effet «entrer par une porte et sortir par l′autre») pour se plier aux heures de la princesse. Celle-ci cependant, attentive à son jeu ou à la causerie, faisait semblant de ne pas voir les arrivantes et ce n′est qu′au moment où elles étaient à deux pas d′elle, qu′elle se levait gracieusement en souriant avec bonté pour les femmes. Celles-ci cependant faisaient devant l′Altesse debout une révérence qui allait jusqu′à la génuflexion, de manière à mettre leurs lèvres à la hauteur de la belle main qui pendait très bas et à la baiser. Mais à ce moment la princesse, de même que si elle eût chaque fois été surprise par un protocole qu′elle connaissait pourtant très bien, relevait l′agenouillée comme de vive force avec une grâce et une douceur sans égales, et l′embrassait sur les joues. Grâce et douceur qui avaient pour condition, dira-t-on, l′humilité avec laquelle l′arrivante pliait le genou. Sans doute, et il semble que dans une société égalitaire la politesse disparaîtrait, non, comme on croit, par le défaut de l′éducation, mais parce que, chez les uns disparaîtrait la déférence due au prestige qui doit être imaginaire pour être efficace, et surtout chez les autres l′amabilité qu′on prodigue et qu′on affine quand on sent qu′elle a pour celui qui la reçoit un prix infini, lequel dans un monde fondé sur l′égalité tomberait subitement à rien, comme tout ce qui n′avait qu′une valeur fiduciaire. Mais cette disparition de la politesse dans une société nouvelle n′est pas certaine et nous sommes quelquefois trop disposés à croire que les conditions actuelles d′un état de choses en sont les seules possibles. De très bons esprits ont cru qu′une république ne pourrait avoir de diplomatie et d′alliances, et que la classe paysanne ne supporterait pas la séparation de l′Église et de l′État. Après tout, la politesse dans une société égalitaire ne serait pas un miracle plus grand que le succès des chemins de fer et l′utilisation militaire de l′aéroplane. Puis, si même la politesse disparaissait, rien ne prouve que ce serait un malheur. Enfin une société ne serait-elle pas secrètement hiérarchisée au fur et à mesure qu′elle serait en fait plus démocratique? C′est fort possible. Le pouvoir politique des papes a beaucoup grandi depuis qu′ils n′ont plus ni États, ni armée; les cathédrales exerçaient un prestige bien moins grand sur un dévot du XVIIe siècle que sur un athée du XXe, et si la princesse de Parme avait été souveraine d′un État, sans doute eussé-je eu l′idée d′en parler à peu près autant que d′un président de la république, c′est-à-dire pas du tout.
On ordinary evenings (after dinner, at which she invariably entertained at a very early hour, for she clung to old customs, a small party) the drawing-room of the Princesse de Parme was thrown open to her regular guests, and, generally speaking, to all the higher ranks of the aristocracy, French and foreign. The order of her receptions was as follows: on issuing from the dining-room the Princess sat down on a sofa before a large round table and chatted with the two most important of the ladies who had dined with her, or else cast her eyes over a magazine, or sometimes played cards (or pretended to play, adopting a German court custom), either a game of patience by herself or selecting as her real or pretended partner some prominent personage. By nine o′clock the double doors of the big drawing-room were in a state of perpetual agitation, opening and shutting and opening again to admit the visitors who had dined quietly at home (or if they had dined in town hurried from their café promising to return later, since they intended only to go in at one door and out at the other) in order to conform with the Princess′s time-table. She, meanwhile, her mind fixed on her game or conversation, made a show of not seeing the new arrivals, and it was not until they were actually within reach of her that she rose graciously from her seat, with a friendly smile for the women. The latter thereupon sank before the upright Presence in a courtesy which was tantamount to a genuflexion, so as to bring their lips down to the level of the beautiful hand which hung very low, and to kiss it. But at that moment the Princess, just as if she had been every time surprised by a formality with which nevertheless she was perfectly familiar, raised the kneeling figure as though by main force, and with incomparable grace and sweetness, and kissed her on both cheeks. A grace and sweetness that were conditional, you may say, upon the meekness with which the arriving guest inclined her knee. Very likely; and it seems that in a society without distinctions of rank politeness would vanish, not, as is generally supposed, from want of breeding, but because from one class would have vanished the deference due to a distinction which must be imaginary to be effective, and, more completely still, from the other class the affability in the distribution of which one is prodigal so long as one knows it to be, to the recipient, of an untold value which, in a world based on equality, would at once fall to nothing like everything that has only a promissory worth. But this disappearance of politeness in a reconstructed society is by no means certain, and we are at times too ready to believe that the present is the only possible state of things. People of first-rate intelligence have held the opinion that a Republic could not have any diplomacy or foreign alliances, and, more recently, that the peasant class would not tolerate the separation of Church and State. After all, the survival of politeness in a society levelled to uniformity would be no more miraculous than the practical success of the railway or the use of the aeroplane in war. Besides, even if politeness were to vanish, there is nothing to shew that this would be a misfortune. Lastly, would not society become secretly more hierarchical as it became outwardly more democratic? This seems highly probable. The political power of the Popes has grown enormously since they ceased to possess either States or an Army; our cathedrals meant far less to a devout Catholic of the seventeenth century than they mean to an atheist of the twentieth, and if the Princesse de Parme had been the sovereign ruler of a State, no doubt I should have felt myself impelled to speak of her almost as I should speak of a President of the Republic, that is to say not at all.
Une fois l′impétrante relevée et embrassée par la princesse, celle-ci se rasseyait, se remettait à sa patience non sans avoir, si la nouvelle venue était d′importance, causé un moment avec elle en la faisant asseoir sur un fauteuil.
As soon as the postulant had been raised from the ground and embraced by the Princess, the latter resumed her seat and returned to her game of patience, but first of all, if the newcomer were of any importance, held her for a moment in conversation, making her sit down in an armchair.
Quand le salon devenait trop plein, la dame d′honneur chargée du service d′ordre donnait de l′espace en guidant les habitués dans un immense hall sur lequel donnait le salon et qui était rempli de portraits, de curiosités relatives à la maison de Bourbon. Les convives habituels de la princesse jouaient alors volontiers le rôle de cicérone et disaient des choses intéressantes, que n′avaient pas la patience d′écouter les jeunes gens, plus attentifs à regarder les Altesses vivantes (et au besoin à se faire présenter à elles par la dame d′honneur et les filles d′honneur) qu′à considérer les reliques des souveraines mortes. Trop occupés des connaissances qu′ils pourraient faire et des invitations qu′ils pêcheraient peut-être, ils ne savaient absolument rien, même après des années, de ce qu′il y avait dans ce précieux musée des archives de la monarchie, et se rappelaient seulement confusément qu′il était orné de cactus et de palmiers géants qui faisaient ressembler ce centre des élégances au Palmarium du Jardin d′Acclimatation.
When the room became too crowded the lady in waiting who had to control the traffic cleared the floor by leading the regular guests into an immense hall on to which the drawing-room opened, a hall filled with portraits and minor trophies of the House of Bourbon. The intimate friends of the Princess would then volunteer for the part of guide and would repeat interesting anecdotes, to which the young people had not the patience to listen, more interested in the spectacle of living Royalties (with the possibility of having themselves presented to them by the lady in waiting and the maids of honour) than in examining the relics of dead Sovereigns. Too much occupied with the acquaintances which they would be able to form and the invitations it might perhaps be possible to secure, they knew absolutely nothing, even in after-years, of what there was in this priceless museum of the archives of the Monarchy, and could only recall confusedly that it was decorated with cacti and giant palms which gave this centre of social elegance a look of the palmarium in the Jardin d′Acclimatation.
Sans doute la duchesse de Guermantes, par mortification, venait parfois faire, ces soirs-là, une visite de digestion à la princesse, qui la gardait tout le temps à côté d′elle, tout en badinant avec le duc. Mais quand la duchesse venait dîner, la princesse se gardait bien d′avoir ses habitués et fermait sa porte en sortant de table, de peur que des visiteurs trop peu choisis déplussent à l′exigeante duchesse. Ces soirs-là, si des fidèles non prévenus se présentaient à la porte de l′Altesse, le concierge répondait: «Son Altesse Royale ne reçoit pas ce soir», et on repartait. D′avance, d′ailleurs, beaucoup d′amis de la princesse savaient que, à cette date-là, ils ne seraient pas invités. C′était une série particulière, une série fermée à tant de ceux qui eussent souhaité d′y être compris. Les exclus pouvaient, avec une quasi-certitude, nommer les élus, et se disaient entre eux d′un ton piqué: «Vous savez bien qu′Oriane de Guermantes ne se déplace jamais sans tout son état-major.» A l′aide de celui-ci, la princesse de Parme cherchait à entourer la duchesse comme d′une muraille protectrice contre les personnes desquelles le succès auprès d′elle serait plus douteux. Mais à plusieurs des amis préférés de la duchesse, à plusieurs membres de ce brillant «état-major», la princesse de Parme était gênée de faire des amabilités, vu qu′ils en avaient fort peu pour elle. Sans doute la princesse de Parme admettait fort bien qu′on pût se plaire davantage dans la société de Mme de Guermantes que dans la sienne propre. Elle était bien obligée de constater qu′on s′écrasait aux «jours» de la duchesse et qu′elle-même y rencontrait souvent trois ou quatre altesses qui se contentaient de mettre leur carte chez elle. Et elle avait beau retenir les mots d′Oriane, imiter ses robes, servir, à ses thés, les mêmes tartes aux fraises, il y avait des fois où elle restait seule toute la journée avec une dame d′honneur et un conseiller de légation étranger. Aussi, lorsque (comme ç‘avait été par exemple le cas pour Swann jadis) quelqu′un ne finissait jamais la journée sans être allé passer deux heures chez la duchesse et faisait une visite une fois tous les deux ans à la princesse de Parme, celle-ci n′avait pas grande envie, même pour amuser Oriane, de faire à ce Swann quelconque les «avances» de l′inviter à dîner. Bref, convier la duchesse était pour la princesse de Parme une occasion de perplexités, tant elle était rongée par la crainte qu′Oriane trouvât tout mal. Mais en revanche, et pour la même raison, quand la princesse de Parme venait dîner chez Mme de Guermantes, elle était sûre d′avance que tout serait bien, délicieux, elle n′avait qu′une peur, c′était de ne pas savoir comprendre, retenir, plaire, de ne pas savoir assimiler les idées et les gens. A ce titre ma présence excitait son attention et sa cupidité aussi bien que l′eût fait une nouvelle manière de décorer la table avec des guirlandes de fruits, incertaine qu′elle était si c′était l′une ou l′autre, la décoration de la table ou ma présence, qui était plus particulièrement l′un de ces charmes, secret du succès des réceptions d′Oriane, et, dans le doute, bien décidée à tenter d′avoir à son prochain dîner l′un et l′autre. Ce qui justifiait du reste pleinement la curiosité ravie que la princesse de Parme apportait chez la duchesse, c′était cet élément comique, dangereux, excitant, où la princesse se plongeait avec une sorte de crainte, de saisissement et de délices (comme au bord de la mer dans un de ces «bains de vagues» dont les guides baigneurs signalent le péril, tout simplement parce qu′aucun d′eux ne sait nager), d′où elle sortait tonifiée, heureuse, rajeunie, et qu′on appelait l′esprit des Guermantes. L′esprit des Guermantes — entité aussi inexistante que la quadrature du cercle, selon la duchesse, qui se jugeait la seule Guermantes à le posséder —était une réputation comme les rillettes de Tours ou les biscuits de Reims. Sans doute (une particularité intellectuelle n′usant pas pour se propager des mêmes modes que la couleur des cheveux ou du teint) certains intimes de la duchesse, et qui n′étaient pas de son sang, possédaient pourtant cet esprit, lequel en revanche n′avait pu envahir certains Guermantes par trop réfractaires à n′importe quelle sorte d′esprit. Les détenteurs non apparentés à la duchesse de l′esprit des Guermantes avaient généralement pour caractéristique d′avoir été des hommes brillants, doués pour une carrière à laquelle, que ce fût les arts, la diplomatie, l′éloquence parlementaire, l′armée, ils avaient préféré la vie de coterie. Peut-être cette préférence aurait-elle pu être expliquée par un certain manque d′originalité, ou d′initiative, ou de vouloir, ou de santé, ou de chance, ou par le snobisme.
Naturally the Duchesse de Guermantes, by way of self-mortification, did occasionally appear on these evenings to pay an ‘after dinner′ call on the Princess, who kept her all the time by her side, while she rallied the Duke. But on evenings when the Duchess came to dine, the Princess took care not to invite her regular party, and closed her doors to the world on rising from table, for fear lest a too liberal selection of guests might offend the exacting Duchess. On such evenings, were any of the faithful who had not received warning to present themselves on the royal doorstep, they would be informed by the porter: “Her Royal Highness is not at home this evening,” and would turn away. But, long before this, many of the Princess′s friends had known that, on the day in question, they would not be asked to her house. These were a special set of parties, a privilege barred to so many who must have longed for admission. The excluded could, with a practical certainty, enumerate the roll of the elect, and would say irritably among themselves: “You know, of course, that Oriane de Guermantes never goes anywhere without her entire staff.” With the help of this body the Princesse de Parme sought to surround the Duchess as with a protecting rampart against those persons the chance of whose making a good impression on her was at all doubtful. But with several of the Duchess′s favourites, with several members of this glittering ‘staff,′ the Princesse de Parme resented having to go out of her way to shew them attentions, seeing that they paid little or no attention to herself. No doubt the Princess was fully prepared to admit that it was possible to derive more enjoyment in the company of the Duchesse de Guermantes than in her own. She could not deny that there was always a ‘crush′ on the Duchess′s at-home days, or that she herself often met there three or four royal personages who thought it sufficient to leave their cards upon her. And in vain might she commit to memory Oriane′s witty sayings, copy her gowns, serve at her own tea parties the same strawberry tarts, there were occasions on which she was left by herself all afternoon with a lady in waiting and some foreign Counsellor of Legation. And so whenever (as had been the case with Swann, for instance, at an earlier period) there was anyone who never let a day pass without going to spend an hour or two at the Duchess′s and paid a call once in two years on the Princesse de Parme, the latter felt no great desire, even for the sake of amusing Oriane, to make to this Swann or whoever he was the ‘advances′ of an invitation to dinner. In a word, having the Duchess in her house was for the Princess a source of endless perplexity, so haunted was she by the fear that Oriane would find fault with everything. But in return, and for the same reason, when the Princesse de Parme came to dine with Mme. de Guermantes she could be certain beforehand that everything would be perfect, delightful, she had only one fear which was that of her own inability to understand, remember, give satisfaction, her inability to assimilate new ideas and people. On this account my presence aroused her attention and excited her cupidity, just as might a new way of decorating the dinner-table with festoons of fruit, uncertain as she was which of the two it might be — the table decorations or my presence — that was the more distinctively one of those charms, the secret of the success of Oriane′s parties, and in her uncertainty firmly resolved to try at her own next dinner-party to introduce them both. What for that matter fully justified the enraptured curiosity which the Princesse de Parme brought to the Duchess′s house was that element — amusing, dangerous, exciting — into which the Princess used to plunge with a combination of anxiety, shock and delight (as at the seaside on one of those days of ‘big waves′ of the danger of which the bathing-masters warn us, simply and solely because none of them knows how to swim), from which she used to emerge terrified, happy, rejuvenated, and which was known as the wit of the Guermantes. The wit of the Guermantes — a thing as non-existent as the squared circle, according to the Duchess who regarded herself as the sole Guermantes to possess it — was a family reputation like that of the pork pies of Tours or the biscuits of Rheims. No doubt (since an intellectual peculiarity does not employ for its perpetuation the same channels as a shade of hair or complexion) certain intimate friends of the Duchess who were not of her blood were nevertheless endowed with this wit, which on the other hand had failed to permeate the minds of various Guermantes, too refractory to assimilate wit of any kind. The holders, not related to the Duchess, of this Guermantes wit had generally the characteristic feature of having been brilliant men, fitted for a career to which, whether it were in the arts, diplomacy, parliamentary eloquence or the army, they had preferred the life of a small and intimate group. Possibly this preference could be explained by a certain want of originality, of initiative, of will power, of health or of luck, or possibly by snobbishness.
Chez certains (il faut d′ailleurs reconnaître que c′était l′exception), si le salon Guermantes avait été la pierre d′achoppement de leur carrière, c′était contre leur gré. Ainsi un médecin, un peintre et un diplomate de grand avenir n′avaient pu réussir dans leur carrière, pour laquelle ils étaient pourtant plus brillamment doués que beaucoup, parce que leur intimité chez les Guermantes faisait que les deux premiers passaient pour des gens du monde, et le troisième pour un réactionnaire, ce qui les avait empêchés tous trois d′être reconnus par leurs pairs. L′antique robe et la toque rouge que revêtent et coiffent encore les collèges électoraux des facultés n′est pas, ou du moins n′était pas, il n′y a pas encore si longtemps, que la survivance purement extérieure d′un passé aux idées étroites, d′un sectarisme fermé. Sous la toque à glands d′or comme les grands-prêtres sous le bonnet conique des Juifs, les «professeurs» étaient encore, dans les années qui précédèrent l′affaire Dreyfus, enfermés dans des idées rigoureusement pharisiennes. Du Boulbon était au fond un artiste, mais il était sauvé parce qu′il n′aimait pas le monde. Cottard fréquentait les Verdurin. Mais Mme Verdurin était une cliente, puis il était protégé par sa vulgarité, enfin chez lui il ne recevait que la Faculté, dans des agapes sur lesquelles flottait une odeur d′acide phénique. Mais dans les corps fortement constitués, où d′ailleurs la rigueur des préjugés n′est que la rançon de la plus belle intégrité, des idées morales les plus élevées, qui fléchissent dans des milieux plus tolérants, plus libres et bien vite dissolus, un professeur, dans sa robe rouge en satin écarlate doublé d′hermine comme celle d′un Doge (c′est-à-dire un duc) de Venise enfermé dans le palais ducal, était aussi vertueux, aussi attaché à de nobles principes, mais aussi impitoyable pour tout élément étranger, que cet autre duc, excellent mais terrible, qu′était M. de Saint–Simon. L′étranger, c′était le médecin mondain, ayant d′autres manières, d′autres relations. Pour bien faire, le malheureux dont nous parlons ici, afin de ne pas être accusé par ses collègues de les mépriser (quelles idées d′homme du monde!) s′il leur cachait la duchesse de Guermantes, espérait les désarmer en donnant les dîners mixtes où l′élément médical était noyé dans l′élément mondain. Il ne savait pas qu′il signait ainsi sa perte, ou plutôt il l′apprenait quand le conseil des dix (un peu plus élevé en nombre) avait à pourvoir à la vacance d′une chaire, et que c′était toujours le nom d′un médecin plus normal, fût-il plus médiocre, qui sortait de l′urne fatale, et que le «veto» retentissait dans l′antique Faculté, aussi solennel, aussi ridicule, aussi terrible que le «juro» sur lequel mourut Molière. Ainsi encore du peintre à jamais étiqueté homme du monde, quand des gens du monde qui faisaient de l′art avaient réussi à se faire étiqueter artistes, ainsi pour le diplomate ayant trop d′attaches réactionnaires.
With certain people (though these, it must be admitted, were the exception) if the Guermantes drawing-room had been the stumbling-block in their careers, it had been without their knowledge. Thus a doctor, a painter and a diplomat of great promise had failed to achieve success in the careers for which they were nevertheless more brilliantly endowed than most of their competitors because their friendship with the Guermantes had the result that the two former were regarded as men of fashion and the third as a reactionary, which had prevented each of the three from winning the recognition of his colleagues. The mediaeval gown and red cap which are still donned by the electoral colleges of the Faculties are (or were at least, not so long since) something more than a purely outward survival from a narrow-minded past, from a rigid sectarianism. Under the cap with its golden tassels, like the High Priest in the conical mitre of the Jews, the ‘Professors′ were still, in the years that preceded the Dreyfus case, fast rooted in rigorously pharisaical ideas. Du Boulbon was at heart an artist, but was safe because he did not care for society. Cottard was always at the Verdurins′. But Mme. Verdurin was a patient; besides, he was protected by his vulgarity; finally, at his own house he entertained no one outside the Faculty, at banquets over which there floated an aroma of carbolic. But in powerful corporations, where moreover the rigidity of their prejudices is but the price that must be paid for the noblest integrity, the most lofty conceptions of morality, which weaken in an atmosphere that, more tolerant, freer at first, becomes very soon dissolute, a Professor in his gown of scarlet satin faced with ermine, like that of a Doge (which is to say a Duke) of Venice enshrined in the Ducal Palace, was as virtuous, as deeply attached to noble principles, but as unsparing of any alien element as that other Duke, excellent but terrible, whom we know as M. de Saint-Simon. The alien, here, was the wordly doctor, with other manners, other social relations. To make good, the unfortunate of whom we are now speaking, so as not to be accused by his colleagues of looking down on them (the strange ideas of a man of fashion!) if he concealed from them his Duchesse de Guermantes, hoped to disarm them by giving mixed dinner-parties in which the medical element was merged in the fashionable. He was unaware that in so doing he signed his own death-warrant, or rather he discovered this later, when the Council of Ten had to fill a vacant chair, and it was invariably the name of another doctor, more normal, it might be obviously inferior, that leaped from the fatal urn, when their ‘Veto′ thundered from the ancient Faculty, as solemn, as absurd and as terrible as the ‘Juro′ that spelled the death of Molière. So too with the painter permanently labelled man of fashion, when fashionable people who dabbled in art had succeeded in making themselves be labelled artists; so with the diplomat who had too many reactionary associations.
Mais ce cas était le plus rare. Le type des hommes distingués qui formaient le fond du salon Guermantes était celui des gens ayant renoncé volontairement (ou le croyant du moins) au reste, à tout ce qui était incompatible avec l′esprit des Guermantes, la politesse des Guermantes, avec ce charme indéfinissable odieux à tout «corps» tant soit peu centralisé.
But this case was the rarest of all. The type of distinguished man who formed the main substance of the Guermantes drawing-room was that of people who had voluntarily (or so at least they supposed) renounced all else, everything that was incompatible with the wit of the Guermantes, with the courtesy of the Guermantes, with that indefinable charm odious to any ‘Corporation′ however little centralised.
Et les gens qui savaient qu′autrefois l′un de ces habitués du salon de la duchesse avait eu la médaille d′or au Salon, que l′autre, secrétaire de la Conférence des avocats, avait fait des débuts retentissants à la Chambre, qu′un troisième avait habilement servi la France comme chargé d′affaires, auraient pu considérer comme des ratés les gens qui n′avaient plus rien fait depuis vingt ans. Mais ces «renseignés» étaient peu nombreux, et les intéressés eux-mêmes auraient été les derniers à le rappeler, trouvant ces anciens titres de nulle valeur, en vertu même de l′esprit des Guermantes: celui-ci ne faisait-il pas taxer de raseur, de pion, ou bien au contraire de garçon de magasin, tels ministres éminents, l′un un peu solennel, l′autre amateur de calembours, dont les journaux chantaient les louanges, mais à côté de qui Mme de Guermantes bâillait et donnait des signes d′impatience si l′imprudence d′une maîtresse de maison lui avait donné l′un ou l′autre pour voisin? Puisque être un homme d′État de premier ordre n′était nullement une recommandation auprès de la duchesse, ceux de ses amis qui avaient donné leur démission de la «carrière» ou de l′armée, qui ne s′étaient pas représentés à la Chambre, jugeaient, en venant tous les jours déjeuner et causer avec leur grande amie, en la retrouvant chez des Altesses, d′ailleurs peu appréciées d′eux, du moins le disaient-ils, qu′ils avaient choisi la meilleure part, encore que leur air mélancolique, même au milieu de la gaîté, contredît un peu le bien-fondé de ce jugement.
And the people who were aware that in days gone by one of these frequenters of the Duchess′s drawing-room had been awarded the gold medal of the Salon, that another, Secretary to the Bar Council, had made a brilliant start in the Chamber, that a third had ably served France as Chargé d′Affaires, might have been led to regard as ‘failures′ people who had done nothing more now for twenty years. But there were few who were thus ‘well-informed,′ and the parties concerned would themselves have been the last to remind people, finding these old distinctions to be now valueless, in the light of this very Guermantes spirit of wit: for did not this condemn respectively as a bore or an usher, and as a counter-jumper a pair of eminent Ministers, one a trifle solemn, the other addicted to puns, of whose praises the newspapers were always full but in whose company Mme. de Guermantes would begin to yawn and shew signs of impatience if the imprudence of a hostess had placed either of them next to her at the dinner-table. Since being a statesman of the first rank was in no sense a recommendation to the Duchess′s favour, those of her friends who had definitely abandoned the ‘Career′ or the ‘Service,′ who had never stood for the Chamber, felt, as they came day after day to have luncheon and talk with their great friend, or when they met her in the houses of Royal Personages, of whom for that matter they thought very little (or at least they said so), that they themselves had chosen the better part, albeit their melancholy air, even in the midst of the gaiety, seemed somehow to challenge the soundness of this opinion.
Encore faut-il reconnaître que la délicatesse de vie sociale, la finesse des conversations chez les Guermantes avait, si mince cela fût-il, quelque chose de réel. Aucun titre officiel n′y valait l′agrément de certains des préférés de Mme de Guermantes que les ministres les plus puissants n′auraient pu réussir à attirer chez eux. Si dans ce salon tant d′ambitions intellectuelles et même de nobles efforts avaient été enterrés pour jamais, du moins, de leur poussière, la plus rare floraison de mondanité avait pris naissance. Certes, des hommes d′esprit, comme Swann par exemple, se jugeaient supérieurs à des hommes de valeur, qu′ils dédaignaient, mais c′est que ce que la duchesse de Guermantes plaçait au-dessus de tout, ce n′était pas l′intelligence, c′était, selon elle, cette forme supérieure, plus exquise, de l′intelligence élevée jusqu′à une variété verbale de talent — l′esprit. Et autrefois chez les Verdurin, quand Swann jugeait Brichot et Elstir, l′un comme un pédant, l′autre comme un mufle, malgré tout le savoir de l′un et tout le génie de l′autre, c′était l′infiltration de l′esprit Guermantes qui l′avait fait les classer ainsi. Jamais il n′eût osé présenter ni l′un ni l′autre à la duchesse, sentant d′avance de quel air elle eût accueilli les tirades de Brichot, les calembredaines d′Elstir, l′esprit des Guermantes rangeant les propos prétentieux et prolongés du genre sérieux ou du genre farceur dans la plus intolérable imbécillité.
It must be recognised also that the refinement of social life, the subtlety of conversation at the Guermantes′ did also contain, exiguous as it may have been, an element of reality. No official title was equivalent to the approval of certain chosen friends of Mme. de Guermantes, whom the most powerful Ministers had been unable to attract to their houses. If in this drawing-room so many intellectual ambitions, such noble efforts even had been for ever buried, still at least from their dust the rarest blossoms of civilised society had taken life. Certainly men of wit, Swann for instance, regarded themselves as superior to men of genuine worth, whom they despised, but that was because what the Duchesse de Guermantes valued above everything else was not intellect; it was, according to her, that superior, more exquisite form of the human intellect exalted to a verbal variety of talent — wit. And long ago at the Verdurins′ when Swann condemned Brichot and Elstir, one as a pedant and the other as a clown, despite all the learning of one and the other′s genius, it was the infiltration of the Guermantes spirit that had led him to classify them so. Never would he have dared to present either of them to the Duchess, conscious instinctively of the air with which she would have listened to Brichot′s monologues and Elstir′s hair-splittings, the Guermantes spirit regarding pretentious and prolix speech, whether in a serious or a farcical vein, as alike of the most intolerable imbecility.
Quant aux Guermantes selon la chair, selon le sang, si l′esprit des Guermantes ne les avait pas gagnés aussi complètement qu′il arrive, par exemple, dans les cénacles littéraires, où tout le monde a une même manière de prononcer, d′énoncer, et par voie de conséquence de penser, ce n′est pas certes que l′originalité soit plus forte dans les milieux mondains et y mette obstacle à l′imitation. Mais l′imitation a pour conditions, non pas seulement l′absence d′une originalité irréductible, mais encore une finesse relative d′oreilles qui permette de discerner d′abord ce qu′on imite ensuite. Or, il y avait quelques Guermantes auxquels ce sens musical faisait aussi entièrement défaut qu′aux Courvoisier.
As for the Guermantes of the true flesh and blood, if the Guermantes spirit had not absorbed them as completely as we see occur in, to take an example, those literary circles in which everyone shares a common way of pronouncing his words, of expressing his thoughts, and consequently of thinking, it was certainly not because originality is stronger in purely social groups or presents any obstacle there to imitation. But imitation depends not merely upon the absence of any unconquerable originality but also demands a relative fineness of ear which enables one first of all to discern what one is afterwards to imitate. Whereas there were several Guermantes in whom this musical sense was as entirely lacking as in the Courvoisiers.
Pour prendre comme exemple l′exercice qu′on appelle, dans une autre acception du mot imitation, «faire des imitations» (ce qui se disait chez les Guermantes «faire des charges»), Mme de Guermantes avait beau le réussir à ravir, les Courvoisier étaient aussi incapables de s′en rendre compte que s′ils eussent été une bande de lapins, au lieu d′hommes et femmes, parce qu′ils n′avaient jamais su remarquer le défaut ou l′accent que la duchesse cherchait à contrefaire. Quand elle «imitait» le duc de Limoges, les Courvoisier protestaient: «Oh! non, il ne parle tout de même pas comme cela, j′ai encore dîné hier soir avec lui chez Bebeth, il m′a parlé toute la soirée, il ne parlait pas comme cela», tandis que les Guermantes un peu cultivés s′écriaient: «Dieu qu′Oriane est drolatique! Le plus fort c′est que pendant qu′elle l′imite elle lui ressemble! Je crois l′entendre. Oriane, encore un peu Limoges!» Or, ces Guermantes-là (sans même aller jusqu′à ceux tout à fait remarquables qui, lorsque la duchesse imitait le duc de Limoges, disaient avec admiration: «Ah! on peut dire que vous le tenez » ou «que tu le tiens») avaient beau ne pas avoir d′esprit, selon Mme de Guermantes (en quoi elle était dans le vrai), à force d′entendre et de raconter les mots de la duchesse ils étaient arrivés à imiter tant bien que mal sa manière de s′exprimer, de juger, ce que Swann eût appelé, comme le duc, sa manière de «rédiger», jusqu′à présenter dans leur conversation quelque chose qui pour les Courvoisier paraissait affreusement similaire à l′esprit d′Oriane et était traité par eux d′esprit des Guermantes. Comme ces Guermantes étaient pour elle non seulement des parents, mais des admirateurs, Oriane (qui tenait fort le reste de sa famille à l′écart, et vengeait maintenant par ses dédains les méchancetés que celle-ci lui avait faites quand elle était jeune fille) allait les voir quelquefois, et généralement en compagnie du duc, à la belle saison, quand elle sortait avec lui. Ces visites étaient un événement. Le coeur battait un peu plus vite à la princesse d′Épinay qui recevait dans son grand salon du rez-de-chaussée, quand elle apercevait de loin, telles les premières lueurs d′un inoffensif incendie ou les «reconnaissances» d′une invasion non espérée, traversant lentement la cour, d′une démarche oblique, la duchesse coiffée d′un ravissant chapeau et inclinant une ombrelle d′où pleuvait une odeur d′été. «Tiens, Oriane», disait-elle comme un «garde-à-vous» qui cherchait à avertir ses visiteuses avec prudence, et pour qu′on eût le temps de sortir en ordre, qu′on évacuât les salons sans panique. La moitié des personnes présentes n′osait pas rester, se levait. «Mais non, pourquoi? rasseyez-vous donc, je suis charmée de vous garder encore un peu», disait la princesse d′un air dégagé et à l′aise (pour faire la grande dame), mais d′une voix devenue factice. «Vous pourriez avoir à vous parler. — Vraiment, vous êtes pressée? eh bien, j′irai chez vous», répondait la maîtresse de maison à celles qu′elle aimait autant voir partir. Le duc et la duchesse saluaient fort poliment des gens qu′ils voyaient là depuis des années sans les connaître pour cela davantage, et qui leur disaient à peine bonjour, par discrétion. A peine étaient-ils partis que le duc demandait aimablement des renseignements sur eux, pour avoir l′air de s′intéresser à la qualité intrinsèque des personnes qu′il ne recevait pas par la méchanceté du destin ou à cause de l′état nerveux d′Oriane. «Qu′est-ce que c′était que cette petite dame en chapeau rose? — Mais, mon cousin, vous l′avez vue souvent, c′est la vicomtesse de Tours, née Lamarzelle. — Mais savez-vous qu′elle est jolie, elle a l′air spirituel; s′il n′y avait pas un petit défaut dans la lèvre supérieure, elle serait tout bonnement ravissante. S′il y a un vicomte de Tours, il ne doit pas s′embêter. Oriane? savez-vous à quoi ses sourcils et la plantation de ses cheveux m′ont fait penser? A votre cousine Hedwige de Ligne.» La duchesse de Guermantes, qui languissait dès qu′on parlait de la beauté d′une autre femme qu′elle, laissait tomber la conversation. Elle avait compté sans le goût qu′avait son mari pour faire voir qu′il était parfaitement au fait des gens qu′il ne recevait pas, par quoi il croyait se montrer plus sérieux que sa femme. «Mais, disait-il tout d′un coup avec force, vous avez prononcé le nom de Lamarzelle. Je me rappelle que, quand j′étais à la Chambre, un discours tout à fait remarquable fut prononcé . . . — C′était l′oncle de la jeune femme que vous venez de voir. — Ah! quel talent! Non, mon petit», disait-il à la vicomtesse d′Égremont, que Mme de Guermantes ne pouvait souffrir mais qui, ne bougeant pas de chez la princesse d′Épinay, où elle s′abaissait volontairement à un rôle de soubrette (quitte à battre la sienne en rentrant), restait confuse, éplorée, mais restait quand le couple ducal était là, débarrassait des manteaux, tâchait de se rendre utile, par discrétion offrait de passer dans la pièce voisine, «ne faites pas de thé pour nous, causons tranquillement, nous sommes des gens simples, à la bonne franquette. Du reste, ajoutait-il en se tournant vers Mme d′Épinay (en laissant l′Égremont rougissante, humble, ambitieuse et zélée), nous n′avons qu′un quart d′heure à vous donner.» Ce quart d′heure était occupé tout entier à une sorte d′exposition des mots que la duchesse avait eus pendant la semaine et qu′elle-même n′eût certainement pas cités, mais que fort habilement le duc, en ayant l′air de la gourmander à propos des incidents qui les avaient provoqués, l′amenait comme involontairement à redire.
To take as an instance what is called, in another sense of the word imitation, ‘giving imitations′ (or among the Guermantes was called ‘taking off′), Mme. de Guermantes might succeed in this to perfection, the Courvoisiers were as incapable of appreciating her as if they had been a tribe of rabbits instead of men and women, because they had never had the sense to observe the particular defect or accent that the Duchess was endeavouring to copy. When she ‘gave an imitation′ of the Duc de Limoges, the Courvoisiers would protest: “Oh, no, he doesn′t really speak like that! I met him again only yesterday at dinner at Bebeth′s; he talked to me all evening and he didn′t speak like that at all!” whereas the Guermantes of any degree of culture exclaimed: “Gad, what fun Oriane is! The odd part of it is that when she is copying him she looks exactly like him! I feel I′m listening to him. Oriane, do give us a little more Limoges!” Now these Guermantes (and not necessarily the few really outstanding members of the clan who when the Duchess imitated the Duc de Limoges, would say admiringly′ “Oh, you really have got him,” or “You do get him,”) might indeed be del void of wit according to Mme. de Guermantes (and in this respect she was right); yet, by dint of hearing and repeating her sayings they had come to imitate more or less her way of expressing herself, of criticising people of what Swann, like the Duke himself, used to call her ‘phrasing′ of things so that they presented in their conversation something which to the Courvoisiers appeared ‘fearfully like′ Oriane′s wit and was treated by them collectively as the ‘wit of the Guermantes.′ As these Guermantes were to her not merely kinsfolk but admirers, Oriane (who kept the rest of the family rigorously at arm′s-length and now avenged by her disdain the insults that they had heaped upon her in her girlhood) went to call on them now and then, generally in company with the Duke, in the season, when she drove out with him. These visits were historic events. The heart began to beat more rapidly in the bosom of the Princesse d′Epinay, who was ‘at home′ in her big drawing-room on the ground floor, when she perceived afar off, like the first glow of an innocuous fire, or the ‘reconnaissances′ of an unexpected invasion, making her way across the courtyard slowly, in a diagonal course, the Duchess crowned with a ravishing hat and holding atilt a sunshade from which there rained down a summer fragrance. “Why, here comes Oriane,” she would say, like an ‘On guard!′ intended to convey a prudent warning to her visitors, so that they should have time to beat an orderly retreat, to clear the rooms without panic. Half of those present dared not remain, and rose at once to go. “But no, why? Sit down again, I insist on keeping you a little longer,” said the Princess in a careless tone and seemingly at her ease (to shew herself the great lady) but in a voice that suddenly rang false. “But you may want to talk to each other.” “Really, you′re in a hurry? Oh, very well, I shall come and see you,” replied the lady of the house to those whom she was just as well pleased to see depart. The Duke and Duchess gave a very civil greeting to people whom they had seen there regularly for years, without for that reason coming to know them any better, while these in return barely said good day to them, thinking this more discreet. Scarcely had they left the room before the Duke began asking good-naturedly who they were, so as to appear to be taking an interest in the intrinsic quality of people whom he himself, owing to the cross-purposes of fate or the wretched state of Oriane′s nerves, never saw in his own house. “Tell me, who was that little woman in the pink hat?” “Why, my dear cousin, you have seen her hundreds of times, she′s the Vicomtesse de Tours, who was a Lamarzelle.” “But, do you know, she′s quite good-looking; she seems clever too; if it weren′t for a little flaw in her upper lip she′d be a regular charmer. If there′s a Vicomte de Tours, he can′t have any too bad a time. Oriane, do you know what those eyebrows and the way her hair grows reminded me of? Your cousin Hedwige de Ligne.” The Duchesse de Guermantes, who languished whenever people spoke of the beauty of any woman other than herself, let the conversation drop. She bad reckoned without the weakness her husband had for letting it be seen that he knew all about the people who did not come to his house, whereby be believed that he shewed himself to be more seriously minded than his wife. ‘“But,” he resumed suddenly with emphasis, “you mentioned the name Lamarzelle. I remember, when I was in the Chamber, hearing a really remarkable speech made . . . ” “That was the uncle of the young woman you saw just now.” “Indeed! What talent! No, my dear girl,” he assured the Vicomtesse d′Egremont, whom Mme. de Guermantes could not endure, but who, refusing to stir from the Princesse d′Epinay′s drawing-room where she willingly humbled herself to play the part of parlour-maid (and was ready to slap her own parlour-maid on returning home), stayed there, confused, tearful, but stayed when the ducal couple were in the room, took their cloaks, tried to make herself useful, offered discreetly to withdraw into the next room, “you are not to make tea for us, let us just sit and talk quietly, we are simple souls, really, honestly. Besides,” he went on, turning to the Princesse d′Epinay (leaving the Egremont lady blushing, humble, ambitious and full of zeal), “we can only give you a quarter of an hour.” This quarter of an hour was entirely taken up with a sort of exhibition of the witty things which the Duchess had said during the previous week, and to which she herself would certainly not have referred had not her husband, with great adroitness, by appearing to be rebuking her with reference to the incidents that had provoked them, obliged her as though against her will to repeat them.
La princesse d′Épinay, qui aimait sa cousine et savait qu′elle avait un faible pour les compliments, s′extasiait sur son chapeau, son ombrelle, son esprit. «Parlez-lui de sa toilette tant que vous voudrez», disait le duc du ton bourru qu′il avait adopté et qu′il tempérait d′un malicieux sourire pour qu′on ne prit pas son mécontentement au sérieux, «mais, au nom du ciel, pas de son esprit, je me passerais fort d′avoir une femme aussi spirituelle. Vous faites probablement allusion au mauvais calembour qu′elle a fait sur mon frère Palamède, ajoutait-il sachant fort bien que la princesse et le reste de la famille ignoraient encore ce calembour et enchanté de faire valoir sa femme. D′abord je trouve indigne d′une personne qui a dit quelquefois, je le reconnais, d′assez jolies choses, de faire de mauvais calembours, mais surtout sur mon frère qui est très susceptible, et si cela doit avoir pour résultat de me fâcher avec lui, c′est vraiment bien la peine.»
The Princesse d′Epinay, who was fond of her cousin and knew that she had a weakness for compliments, went into ecstasies over her hat, her sunshade, her wit. “Talk to her as much as you like about her clothes,” said the Duke in the sullen tone which he had adopted and now tempered with a sardonic smile so that his resentment should not be taken seriously, “but for heaven′s sake don′t speak of her wit, I should be only too glad not to have so witty a wife. You are probably alluding to the shocking pun she made about my brother Palamède,” he went on, knowing quite well that the Princess and the rest of the family had not yet heard this pun, and delighted to have an opportunity of shewing off his wife. “In the first place I consider it unworthy of a person who has occasionally, I must admit, said some quite good things, to make bad puns, but especially about my brother, who is very susceptible, and if it is going to lead to his quarrelling with me, that would really be too much of a good thing.”
— Mais nous ne savons pas! Un calembour d′Oriane? Cela doit être délicieux. Oh! dites-le. — Mais non, mais non, reprenait le duc encore boudeur quoique plus souriant, je suis ravi que vous ne l′ayez pas appris. Sérieusement j′aime beaucoup mon frère. —Écoutez, Basin, disait la duchesse dont le moment de donner la réplique à son mari était venu, je ne sais pourquoi vous dites que cela peut fâcher Palamède, vous savez très bien le contraire. Il est beaucoup trop intelligent pour se froisser de cette plaisanterie stupide qui n′a quoi que ce soit de désobligeant. Vous allez faire croire que j′ai dit une méchanceté, j′ai tout simplement répondu quelque chose de pas drôle, mais c′est vous qui y donnez de l′importance par votre indignation. Je ne vous comprends pas. — Vous nous intriguez horriblement, de quoi s′agit-il? — Oh! évidemment de rien de grave! s′écriait M. de Guermantes. Vous avez peut-être entendu dire que mon frère voulait donner Brézé, le château de sa femme, à sa soeur Marsantes. — Oui, mais on nous a dit qu′elle ne le désirait pas, qu′elle n′aimait pas le pays où il est, que le climat ne lui convenait pas. — Eh bien, justement quelqu′un disait tout cela à ma femme et que si mon frère donnait ce château à notre soeur, ce n′était pas pour lui faire plaisir, mais pour la taquiner. C′est qu′il est si taquin, Charlus, disait cette personne. Or, vous savez que Brézé, c′est royal, cela peut valoir plusieurs millions, c′est une ancienne terre du roi, il y a là une des plus belles forêts de France. Il y a beaucoup de gens qui voudraient qu′on leur fît des taquineries de ce genre. Aussi en entendant ce mot de taquin appliqué à Charlus parce qu′il donnait un si beau château, Oriane n′a pu s′empêcher de s′écrier, involontairement, je dois le confesser, elle n′y a pas mis de méchanceté, car c′est venu vite comme l′éclair, «Taquin . . . taquin . . . Alors c′est Taquin le Superbe!» Vous comprenez, ajoutait en reprenant son ton bourru et non sans avoir jeté un regard circulaire pour juger de l′esprit de sa femme, le duc qui était d′ailleurs assez sceptique quant à la connaissance que Mme d′Épinay avait de l′histoire ancienne, vous comprenez, c′est à cause de Tarquin le Superbe, le roi de Rome; c′est stupide, c′est un mauvais jeu de mots, indigne d′Oriane. Et puis moi qui suis plus circonspect que ma femme, si j′ai moins d′esprit, je pense aux suites, si le malheur veut qu′on répète cela à mon frère, ce sera toute une histoire. D′autant plus, ajouta-t-il, que comme justement Palamède est très hautain, très haut et aussi très pointilleux, très enclin aux commérages, même en dehors de la question du château, il faut reconnaître que Taquin le Superbe lui convient assez bien. C′est ce qui sauve les mots de Madame, c′est que même quand elle veut s′abaisser à de vulgaires à peu près, elle reste spirituelle malgré tout et elle peint assez bien les gens.
“But we never heard a word about it! One of Oriane′s puns! It′s sure to be delicious. Oh, do tell us!” “No, no,” the Duke went on, still sulking though with a broader smile, “I′m so glad you haven′t heard it. Seriously, I′m very fond of my brother.” “Listen, Basin,” broke in the Duchess, the moment having come for her to take up her husband′s cue, “I can′t think why you should say that it might annoy Palamède, you know quite well it would do nothing of the sort. He is far too intelligent to be vexed by a stupid joke which has nothing offensive about it. You are making them think I said something nasty; I simply uttered a remark which was not in the least funny, it is you who make it seem important by losing your temper over it. I don′t understand you.” “You are making us terribly excited, what is it all about?” “Oh, obviously nothing serious!” cried M. de Guermantes. “You may have heard that my brother offered to give Brézé, the place he got from his wife, to his sister Marsantes.” “Yes, but we were told that she didn′t want it, she didn′t care for that part of the country, the climate didn′t suit her.” “Very well, some one had been telling my wife all that and saying that if my brother was giving this place to our sister it was not so much to please her as to tease her. ‘He′s such a teaser, Charlus,′ was what they actually said. Well, you know Brézé, it′s a royal domain, I should say it′s worth millions, it used to be part of the crown lands, it includes one of the finest forests in the whole of France. There are plenty of people who would be only too delighted to be teased to that tune. And so when she heard the word ‘teaser′ applied to Charlus because he was giving away such a magnificent property, Oriane could not help exclaiming, without meaning anything, I must admit, there wasn′t a trace of ill-nature about it, for it came like a flash of lightning: ‘Teaser, teaser? Then he must be Teaser Augustus.′ You understand,” he went on, resuming his sulky tone, having first cast a sweeping glance round the room in order to judge the effect of his wife′s witticism — and in some doubt as to the extent of Mme. d′Epinay′s acquaintance with ancient history, “you understand, it′s an allusion to Augustus Caesar, the Roman Emperor; it′s too stupid, a bad play on words, quite unworthy of Oriane. And then, you see, I am more circumspect than my wife, if I haven′t her wit, I think of the consequences; if anyone should be so ill-advised as to repeat the remark to my brother there′ll be the devil to pay. All the more,” he went on, “because as you know Palamède is very high and mighty, and very fussy also, given to gossip and all that sort of thing, so that quite apart from the question of his giving away Brézé you must admit that ‘Teaser Augustus′ suits him down to the ground. That is what justifies my wife′s remarks; even when she is inclined to stoop to what is almost vulgar, she is always witty and does really describe people.”
Ainsi grâce, une fois, à Taquin le Superbe, une autre fois à un autre mot, ces visites du duc et de la duchesse à leur famille renouvelaient la provision des récits, et l′émoi qu′elles avaient causé durait bien longtemps après le départ de la femme d′esprit et de son imprésario. On se régalait d′abord, avec les privilégiés qui avaient été de la fête (les personnes qui étaient restées là), des mots qu′Oriane avait dits. «Vous ne connaissiez pas Taquin le Superbe?» demandait la princesse d′Épinay. — Si, répondait en rougissant la marquise de Baveno, la princesse de Sarsina (La Rochefoucauld) m′en avait parlé, pas tout à fait dans les mêmes termes. Mais cela a dû être bien plus intéressant de l′entendre raconter ainsi devant ma cousine, ajoutait-elle comme elle aurait dit de l′entendre accompagner par l′auteur. «Nous parlions du dernier mot d′Oriane qui était ici tout à l′heure», disait-on à une visiteuse qui allait se trouver désolée de ne pas être venue une heure auparavant. — Comment, Oriane était ici? — Mais oui, vous seriez venue un peu plus tôt, lui répondait la princesse d′Épinay, sans reproche, mais en laissant comprendre tout ce que la maladroite avait raté. C′était sa faute si elle n′avait pas assisté à la création du monde ou à la dernière représentation de Mme Carvalho. «Qu′est-ce que vous dites du dernier mot d′Oriane? j′avoue que j′apprécie beaucoup Taquin le Superbe», et le «mot» se mangeait encore froid le lendemain à déjeuner, entre intimes qu′on invitait pour cela, et repassait sous diverses sauces pendant la semaine. Même la princesse faisant cette semaine-là sa visite annuelle à la princesse de Parme en profitait pour demander à l′Altesse si elle connaissait le mot et le lui racontait. «Ah! Taquin le Superbe», disait la princesse de Parme, les yeux écarquillés par une admiration a priori , mais qui implorait un supplément d′explications auquel ne se refusait pas la princesse d′Épinay. «J′avoue que Taquin le Superbe me plaît infiniment comme rédaction» concluait la princesse. En réalité, le mot de rédaction ne convenait nullement pour ce calembour, mais la princesse d′Épinay, qui avait la prétention d′avoir assimilé l′esprit des Guermantes, avait pris à Oriane les expressions «rédigé, rédaction» et les employait sans beaucoup de discernement. Or la princesse de Parme, qui n′aimait pas beaucoup Mme d′Épinay qu′elle trouvait laide, savait avare et croyait méchante, sur la foi des Courvoisier, reconnut ce mot de «rédaction» qu′elle avait entendu prononcer par Mme de Guermantes et qu′elle n′eût pas su appliquer toute seule. Elle eut l′impression que c′était, en effet, la rédaction qui faisait le charme de Taquin le Superbe, et sans oublier tout à fait son antipathie pour la dame laide et avare, elle ne put se défendre d′un tel sentiment d′admiration pour une femme qui possédait à ce point l′esprit des Guermantes qu′elle voulut inviter la princesse d′Épinay à l′Opéra. Seule la retint la pensée qu′il conviendrait peut-être de consulter d′abord Mme de Guermantes. Quant à Mme d′Épinay qui, bien différente des Courvoisier, faisait mille grâces à Oriane et l′aimait, mais était jalouse de ses relations et un peu agacée des plaisanteries que la duchesse lui faisait devant tout le monde sur son avarice, elle raconta en rentrant chez elle combien la princesse de Parme avait eu de peine à comprendre Taquin le Superbe et combien il fallait qu′Oriane fût snob pour avoir dans son intimité une pareille dinde. «Je n′aurais jamais pu fréquenter la princesse de Parme si j′avais voulu, dit-elle aux amis qu′elle avait à dîner, parce que M. d′Épinay ne me l′aurait jamais permis à cause de son immoralité, faisant allusion à certains débordements purement imaginaires de la princesse. Mais même si j′avais eu un mari moins sévère, j′avoue que je n′aurais pas pu. Je ne sais pas comment Oriane fait pour la voir constamment. Moi j′y vais une fois par an et j′ai bien de la peine à arriver au bout de la visite.» Quant à ceux des Courvoisier qui se trouvaient chez Victurnienne au moment de la visite de Mme de Guermantes, l′arrivée de la duchesse les mettait généralement en fuite à cause de l′exaspération que leur causaient les «salamalecs exagérés» qu′on faisait pour Oriane. Un seul resta le jour de Taquin le Superbe. Il ne comprit pas complètement la plaisanterie, mais tout de même à moitié, car il était instruit. Et les Courvoisier allèrent répétant qu′Oriane avait appelé l′oncle Palamède «Tarquin le Superbe», ce qui le peignait selon eux assez bien. «Mais pourquoi faire tant d′histoires avec Oriane? ajoutaient-ils. On n′en aurait pas fait davantage pour une reine. En somme, qu′est-ce qu′Oriane? Je ne dis pas que les Guermantes ne soient pas de vieille souche, mais les Courvoisier ne le leur cèdent en rien, ni comme illustration, ni comme ancienneté, ni comme alliances. Il ne faut pas oublier qu′au Camp du drap d′or, comme le roi d′Angleterre demandait à François Ier quel était le plus noble des seigneurs là présents: «Sire, répondit le roi de France, c′est Courvoisier.» D′ailleurs tous les Courvoisier fussent-ils restés que les mots les eussent laissés d′autant plus insensibles que les incidents qui les faisaient généralement naître auraient été considérés par eux d′un point de vue tout à fait différent. Si, par exemple, une Courvoisier se trouvait manquer de chaises, dans une réception qu′elle donnait, ou si elle se trompait de nom en parlant à une visiteuse qu′elle n′avait pas reconnue, ou si un des ses domestiques lui adressait une phrase ridicule, la Courvoisier, ennuyée à l′extrême, rougissante, frémissant d′agitation, déplorait un pareil contretemps. Et quand elle avait un visiteur et qu′Oriane devait venir, elle disait sur un ton anxieusement et impérieusement interrogatif: «Est-ce que vous la connaissez?» craignant, si le visiteur ne la connaissait pas, que sa présence donnât une mauvaise impression à Oriane. Mais Mme de Guermantes tirait, au contraire, de tels incidents, l′occasion de récits qui faisaient rire les Guermantes aux larmes, de sorte qu′on était obligé de l′envier d′avoir manqué de chaises, d′avoir fait ou laissé faire à son domestique une gaffe, d′avoir eu chez soi quelqu′un que personne ne connaissait, comme on est obligé de se féliciter que les grands écrivains aient été tenus à distance par les hommes et trahis par les femmes quand leurs humiliations et leurs souffrances ont été, sinon l′aiguillon de leur génie, du moins la matière de leurs oeuvres.
And so, thanks on one occasion to ‘Teaser Augustus,′ on another to something else, the visits paid by the Duke and Duchess to their kinsfolk replenished the stock of anecdotes, and the emotion which these visits aroused lasted long after the departure of the sparkling lady and her ‘producer.′ Her hostess would begin by going over again with the privileged persons who had been at the entertainment (those who had remained in the room) the clever things that Oriane had said. “You hadn′t heard ‘Teaser Augustus′?” asked the Princesse d′Epinay. “Yes,” replied the Marquise de Baveno, blushing as she spoke, “the Princesse de Sarsina (the La Rochefoucauld one) mentioned it to me, not quite in the same words. But of course it was far more interesting to hear it repeated like that with my cousin in the room,” she went on, as though speaking of a song that had been accompanied by the composer himself. “We were speaking of Oriane′s latest — she was here just now,” her hostess greeted a visitor who would be plunged in despair at not having arrived an hour earlier. “What! Has Oriane been here?” “Yes, you ought to have come a little sooner,” the Princesse d′Epinay informed her, not in reproach but letting her understand all that her clumsiness had made her miss. It was her fault alone if she had not been present at the Creation of the World or at Mme. Carvalho′s last performance. “What do you think of Oriane′s latest? I must say, I do enjoy ‘Teaser Augustus′,” and the ‘saying′ would be served up again cold next day at luncheon before a few intimate friends who were invited on purpose, and would reappear under various sauces throughout the week. Indeed the Princess happening in the course of that week to pay her annual visit to the Princesse de Parme seized the opportunity to ask whether her Royal Highness had heard the pun, and repeated it to her. “Ah! Teaser Augustus,” said the Princesse de Parme, her eyes bulging with an instinctive admiration, which begged however for a complementary elucidation which Mme. d′Epinay was not loath to furnish. “I must say, ‘Teaser Augustus′ pleases me enormously as a piece of ‘phrasing′,” she concluded. As a matter of fact the word ‘phrasing′ was not in the least applicable to this pun, but the Princesse d′Epinay, who claimed to have assimilated her share of the Guermantes spirit, had borrowed from Oriane the expressions ‘phrased′ and ‘phrasing′ and employed them without much discrimination. New the Princesse de Parme, who was not at all fond of Mme. d′Epinay, whom she considered plain, knew to be miserly and believed, on the authority of the Courvoisiers, to be malicious, recognised this word ‘phrasing′ which she had heard used by Mme. de Guermantes but would not by herself have known how or when to apply. She received the impression that it was in fact its ‘phrasing′ that formed the charm of ‘Teaser Augustus′ and, without altogether forgetting her antipathy towards the plain and miserly lady, could not repress a burst of admiration for a person endowed to such a degree with the Guermantes spirit, so strong that she was on the point of inviting the Princesse d′Epinay to the Opera. She was held in check only by the reflexion that it would be wiser perhaps to consult Mme. de Guermantes first. As for Mme. d′Epinay, who, unlike the Courvoisiers, paid endless attentions to Oriane and was genuinely fond of her but was jealous of her exalted friends and slightly irritated by the fun which the Duchess used to make of her before everyone on account of her meanness, she reported on her return home what an effort it had required to make the Princesse de Parme grasp the point of ‘Teaser Augustus,′ and declared what a snob Oriane must be to number such a goose among her friends. “I should never have been able to see much of the Princesse de Parme even if I had cared to,” she informed the friends who were dining with her. “M. d′Epinay would not have allowed it for a moment, because of her immorality,” she explained, alluding to certain purely imaginary excesses on the part of the Princess. “But even if I had had a husband less strict in his views, I must say I could never have made friends with her. I don′t know how Oriane can bear to see her every other day, as she does. I go there once a year, and it′s all I can do to sit out my call.” As for those of the Courvoisiers who happened to be at Victurnienne′s on the day of Mme. de Guermantes′s visit, the arrival of the Duchess generally put them to flight owing to the exasperation they felt at the ‘ridiculous salaams′ that were made to her there. One alone remained on the afternoon of ‘Teaser Augustus.′ He did not entirely see the point, but he did see part of it, being an educated man. And the Courvoisiers went about repeating that Oriane had called uncle Palarned ‘Caesar Augustus,′ which was, according to them, a good enough descrin tion of him, but why all this endless talk about Oriane, they went on People couldn′t make more fuss about a queen. “After all, what is Oriane? I don′t say that the Guermantes aren′t an old family, but the Courvoisiers are every bit as good in rank, antiquity, marriages. We mustn′t forget that on the Field of the Cloth of Gold, when the King of England asked François I who was the noblest of the lords there present, ‘Sire,′ said the King of France, ‘Courvoisier.′” But even if all the Courvoisiers had stayed in the room to hear them, Oriane′s sayings would have fallen on deaf ears, since the incidents that usually gave occasion for those sayings would have been regarded by them from a totally different point of view. If, for instance, a Courvoisier found herself running short of chairs, in the middle of a party, or if she used the wrong name in greeting a guest whose face she did not remember, or if one of her servants said something stupid, the Courvoisier, extremely annoyed, flushed, quivering with excitement, would deplore so unfortunate an occurrence. And when she had a visitor in the room and Oriane was expected, she would say in a tone anxiously and imperiously questioning: “Do you know her?”, fearing that if the visitor did not know her his presence might make an unfortunate impression on Oriane. But Mme. de Guermantes on the contrary extracted from such incidents opportunities for stories which made the Guermantes laugh until the tears streamed down their cheeks, so that one was obliged to envy her her having run short of chairs, having herself made or having allowed her servant to make a blunder, having had at her party some one whom nobody knew, as one is obliged to be thankful that great writers have been kept at a distance by men and betrayed by women when their humiliations and their sufferings have been if not the direct stimulus of their genius, at any rate the subject matter of their works.
Les Courvoisier n′étaient pas davantage capables de s′élever jusqu′à l′esprit d′innovation que la duchesse de Guermantes introduisait dans la vie mondaine et qui, en l′adaptant selon un sûr instinct aux nécessités du moment, en faisait quelque chose d′artistique, là où l′application purement raisonnée de règles rigides eût donné d′aussi mauvais résultats qu′à quelqu′un qui, voulant réussir en amour ou dans la politique, reproduirait à la lettre dans sa propre vie les exploits de Bussy d′Amboise. Si les Courvoisier donnaient un dîner de famille, ou un dîner pour un prince, l′adjonction d′un homme d′esprit, d′un ami de leur fils, leur semblait une anomalie capable de produire le plus mauvais effet. Une Courvoisier dont le père avait été ministre de l′empereur, ayant à donner une matinée en l′honneur de la princesse Mathilde, déduisit par esprit de géométrie qu′elle ne pouvait inviter que des bonapartistes. Or elle n′en connaissait presque pas. Toutes les femmes élégantes de ses relations, tous les hommes agréables furent impitoyablement bannis, parce que, d′opinion ou d′attaches légitimistes, ils auraient, selon la logique des Courvoisier, pu déplaire à l′Altesse Impériale. Celle-ci, qui recevait chez elle la fleur du faubourg Saint–Germain, fut assez étonnée quand elle trouva seulement chez Mme de Courvoisier une pique-assiette célèbre, veuve d′un ancien préfet de l′Empire, la veuve du directeur des postes et quelques personnes connues pour leur fidélité à Napoléon, leur bêtise et leur ennui. La princesse Mathilde n′en répandit pas moins le ruissellement généreux et doux de sa grâce souveraine sur les laiderons calamiteux que la duchesse de Guermantes se garda bien, elle, de convier, quand ce fut son tour de recevoir la princesse, et qu′elle remplaça, sans raisonnements a priori sur le bonapartisme, par le plus riche bouquet de toutes les beautés, de toutes les valeurs, de toutes les célébrités qu′une sorte de flair, de tact et de doigté lui faisait sentir devoir être agréables à la nièce de l′empereur, même quand elles étaient de la propre famille du roi. Il n′y manqua même pas le duc d′Aumale, et quand, en se retirant, la princesse, relevant Mme de Guermantes qui lui faisait la révérence et voulait lui baiser la main, l′embrassa sur les deux joues, ce fut du fond du coeur qu′elle put assurer à la duchesse qu′elle n′avait jamais passé une meilleure journée ni assisté à une fête plus réussie. La princesse de Parme était Courvoisier par l′incapacité d′innover en matière sociale, mais, à la différence des Courvoisier, la surprise que lui causait perpétuellement la duchesse de Guermantes engendrait non comme chez eux l′antipathie, mais l′émerveillement. Cet étonnement était encore accru du fait de la culture infiniment arriérée de la princesse. Mme de Guermantes était elle-même beaucoup moins avancée qu′elle ne le croyait. Mais il suffisait qu′elle le fût plus que Mme de Parme pour stupéfier celle-ci, et comme chaque génération de critiques se borne à prendre le contrepied des vérités admises par leurs prédécesseurs, elle n′avait qu′à dire que Flaubert, cet ennemi des bourgeois, était avant tout un bourgeois, ou qu′il y avait beaucoup de musique italienne dans Wagner, pour procurer à la princesse, au prix d′un surmenage toujours nouveau, comme à quelqu′un qui nage dans la tempête, des horizons qui lui paraissaient inouî± et lui restaient confus. Stupéfaction d′ailleurs devant les paradoxes, proférés non seulement au sujet des oeuvres artistiques, mais même des personnes de leur connaissance, et aussi des actions mondaines. Sans doute l′incapacité où était Mme de Parme de séparer le véritable esprit des Guermantes des formes rudimentairement apprises de cet esprit (ce qui la faisait croire à la haute valeur intellectuelle de certains et surtout de certaines Guermantes dont ensuite elle était confondue d′entendre la duchesse lui dire en souriant que c′était de simples cruches), telle était une des causes de l′étonnement que la princesse avait toujours à entendre Mme de Guermantes juger les personnes. Mais il y en avait une autre et que, moi qui connaissais à cette époque plus de livres que de gens et mieux la littérature que le monde, je m′expliquai en pensant que la duchesse, vivant de cette vie mondaine dont le désoeuvrement et la stérilité sont à une activité sociale véritable ce qu′est en art la critique à la création, étendait aux personnes de son entourage l′instabilité de points de vue, la soif malsaine du raisonneur qui pour étancher son esprit trop sec va chercher n′importe quel paradoxe encore un peu frais et ne se gênera point de soutenir l′opinion désaltérante que la plus belle Iphigénie est celle de Piccini et non celle de Gluck, au besoin la véritable Phèdre celle de Pradon.
The Courvoisiers were incapable of rising to the level of the spirit of innovation which the Duchesse de Guermantes introduced into the life of society and, by adapting it, following an unerring instinct, to the necessities of the moment, made into something artistic where the purely rational application of cut and dried rules would have given as unfortunate results as would greet a man who, anxious to succeed in love or in politics, was to reproduce in his own daily life the exploits of Bussy d′Amboise. If the Courvoisiers gave a family dinner or a dinner to meet some prince, the addition of a recognised wit, of some friend of their son seemed to them an anomaly capable of producing the direst consequences. A Courvoisier whose father had been a Minister of the Empire having to give an afternoon party to meet Princesse Mathilde deduced by a geometrical formula that she could invite no one but Bonapartists. Of whom she knew practically none. All the smart women of her acquaintance, all the amusing men were ruthlessly barred because, from their Legitimist views or connexions, they might easily, according to Courvoisier logic, give offence to the Imperial Highness. The latter, who in her own house entertained the flower of the Faubourg Saint-Germain, was quite surprised when she found at Mme. de Courvoisier′s only a notorious old sponger whose husband had been an Imperial Prefect, the widow of the Director of Posts and sundry others known for their loyalty to Napoleon, their stupidity and their dullness. Princesse Mathilde, however, in no way stinted the generous and refreshing shower of her sovereign grace over these miserable scarecrows whom the Duchesse de Guermantes, for her part, took good care not to invite when it was her turn to entertain the Princess, but substituted for them without any abstract reasoning about Bonapartism the most brilliant coruscation of all the beauties, all the talents, all the celebrities, who, the exercise of some subtle sixth sense made her feel, would be acceptable to the niece of the Emperor even when they belonged actually to the Royal House. There was not lacking indeed the Due d′Aumale, and when on withdrawing the Princess, raising Mme. de Guermantes from the ground where she had sunk in a curtsey and was trying to kiss the august hand, embraced her on both cheeks, it was from the bottom of her heart that she was able to assure the Duchess that never had she spent a happier afternoon nor seen so delightful a party. The Princesse de Parme was Courvoisier in her incapacity for innovation in social matters, but unlike the Courvoisiers the surprise that was perpetually caused her by the Duchesse de Guermantes engendered in her not, as in them, antipathy but admiration. This astonishment was still farther enhanced by the infinitely backward state of the Princess′s education. Mme. de Guermantes was herself a great deal less advanced than she supposed. But it was enough for her to have gone a little beyond Mme. de Parme to stupefy that lady, and, as the critics of each generation confine themselves to maintaining the direct opposite of the truths admitted by their predecessors, she had only to say that Flaubert, that archenemy of the bourgeois, had been bourgeois through and through, or that there was a great deal of Italian music in Wagner, to open before the Princess, at the cost of a nervous exhaustion which recurred every time, as before the eyes of a swimmer in a stormy sea, horizons that seemed to her unimaginable and remained for ever vague. A stupefaction caused also by the paradoxes uttered with relation not only to works of art but to persons of their acquaintance and to current social events. No doubt the incapacity that prevented Mme. de Parme from distinguishing the true wit of the Guermantes from certain rudimentarily acquired forms of that wit (which made her believe in the high intellectual worth of certain, especially certain female Guermantes, of whom she was bewildered on hearing the Duchess confide to her with a smile that they were mere blockheads) was one of the causes of the astonishment which the Princess always felt on hearing Mme. de Guermantes criticise other people. But there was another cause also, one which I, who knew at this time more books than people and literature better than life, explained to myself by thinking that the Duchess, living this wordly life the idleness and sterility of which are to a true social activity what criticism, in art, is to creation, extended to the persons who surrounded her the instability of point of view, the uneasy thirst of the reasoner who to assuage a mind that has grown too dry goes in search of no matter what paradox that is still fairly new, and will make no bones about upholding the refreshing opinion that the really great Iphigénie is Piccini′s and not Gluck′s, at a pinch the true Phèdre that of Pradon.
Quand une femme intelligente, instruite, spirituelle, avait épousé un timide butor qu′on voyait rarement et qu′on n′entendait jamais, Mme de Guermantes s′inventait un beau jour une volupté spirituelle non pas seulement en décrivant la femme, mais en «découvrant» le mari. Dans le ménage Cambremer par exemple, si elle eût vécu alors dans ce milieu, elle eût décrété que Mme de Cambremer était stupide, et en revanche, que la personne intéressante, méconnue, délicieuse, vouée au silence par une femme jacassante, mais la valant mille fois, était le marquis, et la duchesse eût éprouvé à déclarer cela le même genre de rafraîchissement que le critique qui, depuis soixante-dix ans qu′on admire Hernani , confesse lui préférer le Lion amoureux. A cause du même besoin maladif de nouveautés arbitraires, si depuis sa jeunesse on plaignait une femme modèle, une vraie sainte, d′avoir été mariée à un coquin, un beau jour Mme de Guermantes affirmait que ce coquin était un homme léger, mais plein de coeur, que la dureté implacable de sa femme avait poussé à de vraies inconséquences. Je savais que ce n′était pas seulement entre les oeuvres, dans la longue série des siècles, mais jusqu′au sein d′une même oeuvre que la critique joue à replonger dans l′ombre ce qui depuis trop longtemps était radieux et à en faire sortir ce qui semblait voué à l′obscurité définitive. Je n′avais pas seulement vu Bellini, Winterhalter, les architectes jésuites, un ébéniste de la Restauration, venir prendre la place de génies qu′on avait dits fatigués simplement parce que les oisifs intellectuels s′en étaient fatigués, comme sont toujours fatigués et changeants les neurasthéniques. J′avais vu préférer en Sainte–Beuve tour à tour le critique et le poète, Musset renié quant à ses vers sauf pour de petites pièces fort insignifiantes. Sans doute certains essayistes ont tort de mettre au-dessus des scènes les plus célèbres du Cid ou de Polyeucte telle tirade du Menteur qui donne, comme un plan ancien, des renseignements sur le Paris de l′époque, mais leur prédilection, justifiée sinon par des motifs de beauté, du moins par un intérêt documentaire, est encore trop rationnelle pour la critique folle. Elle donne tout Molière pour un vers de l′Étourdi, et, même en trouvant le Tristan de Wagner assommant, en sauvera une «jolie note de cor», au moment où passe la chasse. Cette dépravation m′aida à comprendre celle dont faisait preuve Mme de Guermantes quand elle décidait qu′un homme de leur monde reconnu pour un brave coeur, mais sot, était un monstre d′égoî²e, plus fin qu′on ne croyait, qu′un autre connu pour sa générosité pouvait symboliser l′avarice, qu′une bonne mère ne tenait pas à ses enfants, et qu′une femme qu′on croyait vicieuse avait les plus nobles sentiments. Comme gâtées par la nullité de la vie mondaine, l′intelligence et la sensibilité de Mme de Guermantes étaient trop vacillantes pour que le dégoût ne succédât pas assez vite chez elle à l′engouement (quitte à se sentir de nouveau attirée vers le genre d′esprit qu′elle avait tour à tour recherché et délaissé) et pour que le charme qu′elle avait trouvé à un homme de coeur ne se changeât pas, s′il la fréquentait trop, cherchait trop en elle des directions qu′elle était incapable de lui donner, en un agacement qu′elle croyait produit par son admirateur et qui ne l′était que par l′impuissance où on est de trouver du plaisir quand on se contente de le chercher. Les variations de jugement de la duchesse n′épargnaient personne, excepté son mari. Lui seul ne l′avait jamais aimée; en lui elle avait senti toujours un de ces caractères de fer, indifférent aux caprices qu′elle avait, dédaigneux de sa beauté, violent, d′une volonté à ne plier jamais et sous la seule loi desquels les nerveux savent trouver le calme. D′autre part M. de Guermantes poursuivant un même type de beauté féminine, mais le cherchant dans des maîtresses souvent renouvelées, n′avait, une fois qu′ils les avait quittées, et pour se moquer d′elles, qu′une associée durable, identique, qui l′irritait souvent par son bavardage, mais dont il savait que tout le monde la tenait pour la plus belle, la plus vertueuse, la plus intelligente, la plus instruite de l′aristocratie, pour une femme que lui M. de Guermantes était trop heureux d′avoir trouvée, qui couvrait tous ses désordres, recevait comme personne, et maintenait à leur salon son rang de premier salon du faubourg Saint–Germain. Cette opinion des autres, il la partageait lui-même; souvent de mauvaise humeur contre sa femme, il était fier d′elle. Si, aussi avare que fastueux, il lui refusait le plus léger argent pour des charités, pour les domestiques, il tenait à ce qu′elle eût les toilettes les plus magnifiques et les plus beaux attelages. Chaque fois que Mme de Guermantes venait d′inventer, relativement aux mérites et aux défauts, brusquement intervertis par elle, d′un de leurs amis, un nouveau et friand paradoxe, elle brûlait d′en faire l′essai devant des personnes capables de le goûter, d′en faire savourer l′originalité psychologique et briller la malveillance lapidaire. Sans doute ces opinions nouvelles ne contenaient pas d′habitude plus de vérité que les anciennes, souvent moins; mais justement ce qu′elles avaient d′arbitraire et d′inattendu leur conférait quelque chose d′intellectuel qui les rendait émouvantes à communiquer. Seulement le patient sur qui venait de s′exercer la psychologie de la duchesse était généralement un intime dont ceux à qui elle souhaitait de transmettre sa découverte ignoraient entièrement qu′il ne fût plus au comble de la faveur; aussi la réputation qu′avait Mme de Guermantes d′incomparable amie sentimentale, douce et dévouée, rendait difficile de commencer l′attaque; elle pouvait tout au plus intervenir ensuite comme contrainte et forcée, en donnant la réplique pour apaiser, pour contredire en apparence, pour appuyer en fait un partenaire qui avait pris sur lui de la provoquer; c′était justement le rôle où excellait M. de Guermantes.
When a woman who was intelligent, educated, witty had married a shy bumpkin whom one saw but seldom and never heard, Mme. de Guermantes one fine day would find a rare intellectual pleasure not only in decrying the wife but in ‘discovering′ the husband. In the Cambremer household for example, if she had lived in that section of society at the time, she would have decreed that Mme. de Cambremer was stupid, and that the really interesting person, misunderstood, delightful, condemned to silence by a chattering wife but himself worth a thousand of her, was the Marquis, and the Duchess would have felt on declaring this the same kind of refreshment as the critic who, after people have for seventy years been admiring Hernani, confesses to a preference for Le Lion Amoureux. And from this same morbid need of arbitrary novelties, if from her girlhood everyone had been pitying a model wife, a true saint, for being married to a scoundrel, one fine day Mme. de Guermantes would assert that this scoundrel was perhaps a frivolous man but one with a heart of gold, whom the implacable harshness of his wife had driven to do the most inconsistent things. I knew that it is not only over different works, in the long course of centuries, but over different parts of the same work that criticism plays, thrusting back into the shadow what for too long has been thought brilliant, and making emerge what has appeared to be doomed to permanent obscurity. I had not only seen Bellini, Winterhalter, the Jesuit architects, a Restoration cabinetmaker come to take the place of men of genius who were called ‘worn out,′ simply because they had worn out the lazy minds of the intellectuals, as neurasthenics are always worn out and always changing; I had seen preferred in Sainte-Beuve alternately the critic and the poet, Musset rejected so far as his poetry went save for a few quite unimportant little pieces. No doubt certain essayists are mistaken when they set above the most famous scenes in Le Cid or Polyeucte some speech from Le Menteur which, like an old plan, furnishes information about the Paris of the day, but their predilection, justified if not by considerations of beauty at least by a documentary interest, is still too rational for our criticism run mad. It will barter the whole of Molière for a line from L′Etourdi, and even when it pronounces Wagner′s Tristan a bore will except a ‘charming note on the horns′ at the point where the hunt goes by. This depravation of taste helped me to understand that of which Mme. de Guermantes gave proof when she decided that a man of their world, recognised as a good fellow but a fool, was a monster of egoism, sharper than people thought — that another widely known for his generosity might be the personification of avarice, that a good mother paid no attention to her children, and that a woman generally supposed to be vicious was really actuated by the noblest feelings. As though spoiled by the nullity of life in society, the intelligence and perception of Mme. de Guermantes were too vacillating for disgust not to follow pretty swiftly in the wake of infatuation (leaving her still ready to feel herself attracted afresh by the kind of cleverness which she had in turn sought out and abandoned) and for the charm which she had felt in some warm-hearted man not to change, if he came too often to see her, sought too freely from her directions which she was incapable of giving him, into an irritation which she believed to be produced by her admirer but which was in fact due to the utter impossibility of finding pleasure when one does nothing else than seek it. The variations of the Duchess′s judgment spared no one, except her husband. He alone had never been in love with her, in him she had always felt an iron character, indifferent to the caprices that she displayed, contemptuous of her beauty, violent, of a will that would never bend, the sort under which alone nervous people can find tranquillity. M. de Guermantes on the other hand, pursuing a single type of feminine beauty but seeking it in mistresses whom he constantly replaced, had, once he had left them, and to express derision of them, only an associate, permanent and identical, who irritated him often by her chatter but as to whom he knew that everyone regarded her as the most beautiful, the most virtuous, the cleverest, the best-read member of the aristocracy, as a wife whom he, M. de Guermantes, was only too fortunate to have found, who cloaked all his irregularities, entertained like no one else in the world, and upheld for their drawing-room its position as the premier in the Faubourg Saint-Germain. This common opinion he himself shared; often moved to ill-humour against her, he was proud of her. If, being as niggardly as he was fastidious, he refused her the most trifling sums for her charities or for the servants, yet he insisted upon her wearing the most sumptuous clothes and driving behind the best horses in Paris. Whenever Mme. de Guermantes had just perpetrated, with reference to the merits and defects, which she suddenly transposed, of one of their friends, a new and succulent paradox, she burned to make trial of it before people capable of relishing it, to bring out its psychological originality and to set its epigrammatic brilliance sparkling. No doubt these new opinions embodied as a rule no more truth than the old, often less; but this very element, arbitrary and incalculable, of novelty which they contained conferred on them something intellectual which made the communication of them exciting. Only the patient on whom the Duchess was exercising her psychological skill was generally an intimate friend as to whom those people to whom she longed to hand on her discovery were entirely unaware that he was not still at the apex of her favour; thus the reputation that Mme. de Guermantes had of being an incomparable friend, sentimental, tender and devoted, made it difficult for her to launch the attack herself; she could at the most intervene later on, as though under constraint, by uttering a response to appease, to contradict in appearance but actually to support a partner who had taken it on himself to provoke her; this was precisely the part in which M. de Guermantes excelled.
Quant aux actions mondaines, c′était encore un autre plaisir arbitrairement théâtral que Mme de Guermantes éprouvait à émettre sur elles de ces jugements imprévus qui fouettaient de surprises incessantes et délicieuses la princesse de Parme. Mais ce plaisir de la duchesse, ce fut moins à l′aide de la critique littéraire que d′après la vie politique et la chronique parlementaire, que j′essayai de comprendre quel il pouvait être. Les édits successifs et contradictoires par lesquels Mme de Guermantes renversait sans cesse l′ordre des valeurs chez les personnes de son milieu ne suffisant plus à la distraire, elle cherchait aussi, dans la manière dont elle dirigeait sa propre conduite sociale, dont elle rendait compte de ses moindres décisions mondaines, à goûter ces émotions artificielles, à obéir à ces devoirs factices qui stimulent la sensibilité des assemblées et s′imposent à l′esprit des politiciens. On sait que quand un ministre explique à la Chambre qu′il a cru bien faire en suivant une ligne de conduite qui semble en effet toute simple à l′homme de bon sens qui le lendemain dans son journal lit le compte rendu de la séance, ce lecteur de bon sens se sent pourtant remué tout d′un coup, et commence à douter d′avoir eu raison d′approuver le ministre, en voyant que le discours de celui-ci a été écouté au milieu d′une vive agitation et ponctué par des expressions de blâme telles que: «C′est très grave», prononcées par un député dont le nom et les titres sont si longs et suivis de mouvements si accentués que, dans l′interruption tout entière, les mots «c′est très grave!» tiennent moins de place qu′un hémistiche dans un alexandrin. Par exemple autrefois, quand M. de Guermantes, prince des Laumes, siégeait à la Chambre, on lisait quelquefois dans les journaux de Paris, bien que ce fût surtout destiné à la circonscription de Méséglise et afin de montrer aux électeurs qu′ils n′avaient pas porté leurs votes sur un mandataire inactif ou muet: «Monsieur de Guermantes–Bouillon, prince des Laumes: «Ceci est grave!» Très bien! au centre et sur quelques bancs à droite, vives exclamations à l′extrême gauche.»
As for social activities, it was yet another form of pleasure, arbitrary and spectacular, that Mme. de Guermantes felt in uttering, with regard to them, those unexpected judgments which pricked with an incessant and exquisite feeling of surprise the Princesse de Parme. But with this one of the Duchess′s pleasures it was not so much with the help of literary criticism as by following political life and the reports of parliamentary debates that I tried to understand in what it might consist. The successive and contradictory edicts by which Mme. de Guermantes continually reversed the scale of values among the people of her world no longer sufficing to distract her, she sought also in the manner in which she ordered her own social behaviour, in which she recorded her own most trivial decisions on points of fashion, to taste those artificial emotions, to fulfil those adventitious obligations which stimulate the perceptions of Parliaments and gain hold of the minds of politicians. We know that when a Minister explains to the Chamber that he believed himself to be acting rightly in following a line of conduct which does, as a matter of fact, appear quite straightforward to the commonsense person who next morning in his newspaper reads the report of the sitting, this commonsense reader does nevertheless feel himself suddenly stirred and begins to doubt whether he has been right in approving the Minister′s conduct when he sees that the latter′s speech was listened to with the accompaniment of a lively agitation and punctuated with expressions of condemnation such as: “It′s most serious!” ejaculated by a Deputy whose name and titles are so long, and followed in the report by movements so emphatic that in the whole interruption the words “It′s most serious!” occupy less room than a hemistich does in an alexandrine. For instance in the days when M. de Guermantes, Prince des Laumes, sat in the Chamber, one used to read now and then in the Paris newspapers, albeit it was intended primarily for the Méséglise division, to shew the electors there that they had not given their votes to an inactive or voiceless mandatory: (Monsieur de Guermantes-Bouillon, Prince des Laumes: “This is serious!” “Hear, hear!” from the Centre and some of the Right benches, loud exclamations from the Extreme Left.)
Le lecteur de bon sens garde encore une lueur de fidélité au sage ministre, mais son coeur est ébranlé de nouveaux battements par les premiers mots du nouvel orateur qui répond au ministre:
The commonsense reader still retains a gleam of faith in the sage Minister, but his heart is convulsed with a fresh palpitation by the first words of the speaker who rises to reply:
«L′étonnement, la stupeur, ce n′est pas trop dire (vive sensation dans la partie droite de l′hémicycle), que m′ont causés les paroles de celui qui est encore, je suppose, membre du Gouvernement (tonnerre d′applaudissements) . . . Quelques députés s′empressent vers le banc des ministres; M. le Sous–Secrétaire d′État aux Postes et Télégraphes fait de sa place avec la tête un signe affirmatif.» Ce «tonnerre d′applaudissements», emporte les dernières résistances du lecteur de bon sens, il trouve insultante pour la Chambre, monstrueuse, une façon de procéder qui en soi-même est insignifiante; au besoin, quelque fait normal, par exemple: vouloir faire payer les riches plus que les pauvres, la lumière sur une iniquité, préférer la paix à la guerre, il le trouvera scandaleux et y verra une offense à certains principes auxquels il n′avait pas pensé en effet, qui ne sont pas inscrits dans le coeur de l′homme, mais qui émeuvent fortement à cause des acclamations qu′ils déchaînent et des compactes majorités qu′ils rassemblent.
“The astonishment, it is not too much to say the stupor” (keen sensation on the Right side of the House) “that I have felt at the words of one who is still, I presume, a member of the Government” (thunder of applause) . . . Several Under-Secretaries of State for Posts and Telegraphs without Deputies then crowded round the Ministerial bench. Then rising from his seat, nodded his head in the affirmative. This ‘thunder of applause′ carries away the last shred of resistance in the mind of the commonsense reader; he discovers to be an insult to the Chamber, monstrous in fact, a course of procedure which in itself is of no importance; it may be some normal action such as arranging that the rich shall pay more than the poor, bringing to light some piece of injustice, preferring peace to war; he will find it scandalous and will see in it an offence to certain principles to which as a matter of fact he had never given a thought, which are not engraved on the human heart, but which move him forcibly by reason of the acclamations which they provoke and the compact majorities which they assemble.
Il faut d′ailleurs reconnaître que cette subtilité des hommes politiques, qui me servit à m′expliquer le milieu Guermantes et plus tard d′autres milieux, n′est que la perversion d′une certaine finesse d′interprétation souvent désignée par «lire entre les lignes». Si dans les assemblées il y a absurdité par perversion de cette finesse, il y a stupidité par manque de cette finesse dans le public qui prend tout «à la lettre», qui ne soupçonne pas une révocation quand un haut dignitaire est relevé de ses fonctions «sur sa demande» et qui se dit: «Il n′est pas révoqué puisque c′est lui qui l′a demandé», une défaite quand les Russes par un mouvement stratégique se replient devant les Japonais sur des positions plus fortes et préparées à l′avance, un refus quand une province ayant demandé l′indépendance à l′empereur d′Allemagne, celui-ci lui accorde l′autonomie religieuse. Il est possible d′ailleurs, pour revenir à ces séances de la Chambre, que, quand elles s′ouvrent, les députés eux-mêmes soient pareils à l′homme de bon sens qui en lira le compte rendu. Apprenant que des ouvriers en grève ont envoyé leurs délégués auprès d′un ministre, peut-être se demandent-ils naîµ¥ment: «Ah! voyons, que se sont-ils dit? espérons que tout s′est arrangé», au moment où le ministre monte à la tribune dans un profond silence qui déjà met en goût d′émotions artificielles. Les premiers mots du ministre: «Je n′ai pas besoin de dire à la Chambre que j′ai un trop haut sentiment des devoirs du gouvernement pour avoir reçu cette délégation dont l′autorité de ma charge n′avait pas à connaître», sont un coup de théâtre, car c′était la seule hypothèse que le bon sens des députés n′eût pas faite. Mais justement parce que c′est un coup de théâtre, il est accueilli par de tels applaudissements que ce n′est qu′au bout de quelques minutes que peut se faire entendre le ministre, le ministre qui recevra, en retournant à son banc, les félicitations de ses collègues. On est aussi ému que le jour où il a négligé d′inviter à une grande fête officielle le président du Conseil municipal qui lui faisait opposition, et on déclare que dans l′une comme dans l′autre circonstance il a agi en véritable homme d′État.
It must at the same time be recognised that this subtlety of the politician which served to explain to me the Guermantes circle, and other groups in society later on, is nothing more than the perversion of a certain fineness of interpretation often described as ‘reading between the lines.′ If in representative assemblies there is absurdity owing to perversion of this quality, there is equally stupidity, through the want of it, in the public who take everything ‘literally,′ who do not suspect a dismissal when a high dignitary is relieved of his office ‘at his own request,′ and say: “He cannot have been dismissed, since it was he who asked leave to retire,”— a defeat when the Russians by a strategic movement withdraw upon a stronger position that has been prepared beforehand, a refusal when, a Province having demanded its independence from the German Emperor, he grants it religious autonomy. It is possible, moreover (to return to these sittings of the Chamber), that when they open the Deputies themselves are like the commonsense person who will read the published report. Learning that certain workers on strike have sent their delegates to confer with a Minister, they may ask one another innocently: “There now, I wonder what they can have been saying; let′s hope it′s all settled,” at the moment when the Minister himself mounts the tribune in a solemn silence which has already brought artificial emotions into play. The first words of the Minister: “There is no necessity for me to inform the Chamber that I have too high a sense of what is the duty of the Government to have received a deputation of which the authority entrusted to me could take no cognisance,” produce a dramatic effect, for this was the one hypothesis which the commonsense of the Deputies had not imagined. But precisely because of its dramatic effect it is greeted with such applause that it is only after several minutes have passed that the Minister can succeed in making himself heard, the Minister who will receive on returning to his place on the bench the congratulations of his colleagues. We are as deeply moved as on the day when the same Minister failed to invite to a big official reception the President of the Municipal Council who was supporting the Opposition, and declare that on this occasion as on the other he has acted with true statesmanship.
M. de Guermantes, à cette époque de sa vie, avait, au grand scandale des Courvoisier, fait souvent partie des collègues qui venaient féliciter le ministre. J′ai entendu plus tard raconter que, même à un moment où il joua un assez grand rôle à la Chambre et où on songeait à lui pour un ministère ou une ambassade, il était, quand un ami venait lui demander un service, infiniment plus simple, jouait politiquement beaucoup moins au grand personnage politique que tout autre qui n′eût pas été le duc de Guermantes. Car s′il disait que la noblesse était peu de chose, qu′il considérait ses collègues comme des égaux, il n′en pensait pas un mot. Il recherchait, feignait d′estimer, mais méprisait les situations politiques, et comme il restait pour lui-même M. de Guermantes, elles ne mettaient pas autour de sa personne cet empesé des grands emplois qui rend d′autres inabordables. Et par là, son orgueil protégeait contre toute atteinte non pas seulement ses façons d′une familiarité affichée, mais ce qu′il pouvait avoir de simplicité véritable.
M. de Guermantes at this period in his life had, to the great scandal of the Courvoisiers, frequently been among the crowd of Deputies who came forward to congratulate the Minister. I have heard it said afterwards that even at a time when he was playing a fairly important part in the Chamber and was being thought of in connexion with Ministerial office or an Embassy he was, when a friend came to ask a favour of him, infinitely more simple, behaved politically a great deal less like the important political personage than anyone else who did not happen to be Duc de Guermantes. For if he said that nobility made no difference, that he regarded his fellow Deputies as equals, he did not believe it for a moment. He sought, pretended to value but really despised political importance, and as he remained in his own eyes M. de Guermantes it did not envelop his person in that dead weight of high office which makes other politicians unapproachable. And in this way his pride guarded against every assault not only his manners which were of an ostentatious familiarity but also such true simplicity as he might actually have.
Pour en revenir à ces décisions artificielles et émouvantes comme celles des politiciens, Mme de Guermantes ne déconcertait pas moins les Guermantes, les Courvoisier, tout le faubourg et plus que personne la princesse de Parme, par des décrets inattendus sous lesquels on sentait des principes qui frappaient d′autant plus qu′on s′en était moins avisé. Si le nouveau ministre de Grèce donnait un bal travesti, chacun choisissait un costume, et on se demandait quel serait celui de la duchesse. L′une pensait qu′elle voudrait être en Duchesse de Bourgogne, une autre donnait comme probable le travestissement en princesse de Dujabar, une troisième en Psyché. Enfin une Courvoisier ayant demandé: «En quoi te mettras-tu, Oriane?» provoquait la seule réponse à quoi l′on n′eût pas pensé: «Mais en rien du tout!» et qui faisait beaucoup marcher les langues comme dévoilant l′opinion d′Oriane sur la véritable position mondaine du nouveau ministre de Grèce et sur la conduite à tenir à son égard, c′est-à-dire l′opinion qu′on aurait dû prévoir, à savoir qu′une duchesse «n′avait pas à se rendre» au bal travesti de ce nouveau ministre. «Je ne vois pas qu′il y ait nécessité à aller chez le ministre de Grèce, que je ne connais pas, je ne suis pas Grecque, pourquoi irais-je là-bas, je n′ai rien à y faire», disait la duchesse. — Mais tout le monde y va, il paraît que ce sera charmant, s′écriait Mme de Gallardon. — Mais c′est charmant aussi de rester au coin de son feu, répondait Mme de Guermantes. Les Courvoisier n′en revenaient pas, mais les Guermantes, sans imiter, approuvaient. «Naturellement tout le monde n′est pas en position comme Oriane de rompre avec tous les usages. Mais d′un côté on ne peut pas dire qu′elle ait tort de vouloir montrer que nous exagérons en nous mettant à plat ventre devant ces étrangers dont on ne sait pas toujours d′où ils viennent.» Naturellement, sachant les commentaires que ne manqueraient pas de provoquer l′une ou l′autre attitude, Mme de Guermantes avait autant de plaisir à entrer dans une fête où on n′osait pas compter sur elle, qu′à rester chez soi ou à passer la soirée avec son mari au théâtre, le soir d′une fête où «tout le monde allait», ou bien, quand on pensait qu′elle éclipserait les plus beaux diamants par un diadème historique, d′entrer sans un seul bijou et dans une autre tenue que celle qu′on croyait à tort de rigueur. Bien qu′elle fût antidreyfusarde (tout en croyant à l′innocence de Dreyfus, de même qu′elle passait sa vie dans le monde tout en ne croyant qu′aux idées), elle avait produit une énorme sensation à une soirée chez la princesse de Ligne, d′abord en restant assise quand toutes les dames s′étaient levées à l′entrée du général Mercier, et ensuite en se levant et en demandant ostensiblement ses gens quand un orateur nationaliste avait commencé une conférence, montrant par là qu′elle ne trouvait pas que le monde fût fait pour parler politique; toutes les têtes s′étaient tournées vers elle à un concert du Vendredi Saint où, quoique voltairienne, elle n′était pas restée parce qu′elle avait trouvé indécent qu′on mît en scène le Christ. On sait ce qu′est, même pour les plus grandes mondaines, le moment de l′année où les fêtes commencent: au point que la marquise d′Amoncourt, laquelle, par besoin de parler, manie psychologique, et aussi manque de sensibilité, finissait souvent par dire des sottises, avait pu répondre à quelqu′un qui était venu la condoléancer sur la mort de son père, M. de Montmorency: «C′est peut-être encore plus triste qu′il vous arrive un chagrin pareil au moment où on a à sa glace des centaines de cartes d′invitations.» Eh bien, à ce moment de l′année, quand on invitait à dîner la duchesse de Guermantes en se pressant pour qu′elle ne fût pas déjà retenue, elle refusait pour la seule raison à laquelle un mondain n′eût jamais pensé: elle allait partir en croisière pour visiter les fjords de la Norvège, qui l′intéressaient. Les gens du monde en furent stupéfaits, et sans se soucier d′imiter la duchesse éprouvèrent pourtant de son action l′espèce de soulagement qu′on a dans Kant quand, après la démonstration la plus rigoureuse du déterminisme, on découvre qu′au-dessus du monde de la nécessité il y a celui de la liberté. Toute invention dont on ne s′était jamais avisé excite l′esprit, même des gens qui ne savent pas en profiter. Celle de la navigation à vapeur était peu de chose auprès d′user de la navigation à vapeur à l′époque sédentaire de la season . L′idée qu′on pouvait volontairement renoncer à cent dîners ou déjeuners en ville, au double de «thés», au triple de soirées, aux plus brillants lundis de l′Opéra et mardis des Français pour aller visiter les fjords de la Norvège ne parut pas aux Courvoisier plus explicable que Vingt mille lieues sous les Mers , mais leur communiqua la même sensation d′indépendance et de charme. Aussi n′y avait-il pas de jour où l′on n′entendît dire, non seulement «vous connaissez le dernier mot d′Oriane?», mais «vous savez la dernière d′Oriane?» Et de la «dernière d′Oriane», comme du dernier «mot» d′Oriane, on répétait: «C′est bien d′Oriane»; «c′est de l′Oriane tout pur.» La dernière d′Oriane, c′était, par exemple, qu′ayant à répondre au nom d′une société patriotique au cardinal X . . ., évêque de Maçon (que d′habitude M. de Guermantes, quand il parlait de lui, appelait «Monsieur de Mascon», parce que le duc trouvait cela vieille France), comme chacun cherchait à imaginer comment la lettre serait tournée, et trouvait bien les premiers mots: «Éminence» ou «Monseigneur», mais était embarrassé devant le reste, la lettre d′Oriane, à l′étonnement de tous, débutait par «Monsieur le cardinal» à cause d′un vieil usage académique, ou par «Mon cousin», ce terme étant usité entre les princes de l′Église, les Guermantes et les souverains qui demandaient à Dieu d′avoir les uns et les autres «dans sa sainte et digne garde». Pour qu′on parlât d′une «dernière d′Oriane», il suffisait qu′à une représentation où il y avait tout Paris et où on jouait une fort jolie pièce, comme on cherchait Mme de Guermantes dans la loge de la princesse de Parme, de la princesse de Guermantes, de tant d′autres qui l′avaient invitée, on la trouvât seule, en noir, avec un tout petit chapeau, à un fauteuil où elle était arrivée pour le lever du rideau. «On entend mieux pour une pièce qui en vaut la peine», expliquait-elle, au scandale des Courvoisier et à l′émerveillement des Guermantes et de la princesse de Parme, qui découvraient subitement que le «genre» d′entendre le commencement d′une pièce était plus nouveau, marquait plus d′originalité et d′intelligence (ce qui n′était pas pour étonner de la part d′Oriane) que d′arriver pour le dernier acte après un grand dîner et une apparition dans une soirée. Tels étaient les différents genres d′étonnement auxquels la princesse de Parme savait qu′elle pouvait se préparer si elle posait une question littéraire ou mondaine à Mme de Guermantes, et qui faisaient que, pendant ces dîners chez la duchesse, l′Altesse ne s′aventurait sur le moindre sujet qu′avec la prudence inquiète et ravie de la baigneuse émergeant entre deux «lames».
To return to those artificial and moving decisions such as are made by politicians, Mme. de Guermantes was no less disconcerting to the Guermantes, the Courvoisiers, the Faubourg in general and, more than anyone, the Princesse de Parme by her habit of issuing unaccountable decrees behind which one could feel to be latent principles which impressed one all the more, the less one expected them. If the new Greek Minister have a fancy dress ball, everyone chose a costume and asked everyone else what the Duchess would wear. One thought that she would appear as the Duchesse de Bourgogne, another suggested as probable the guise of Princess of Dujabar, a third Psyche. Finally, a Courvoisier having asked her: “What are you going to wear, Oriane?” provoked the one response of which nobody had thought: “Why, nothing at all!” which at once set every tongue wagging, as revealing Oriane′s opinion as to the true social position of the new Greek Minister and the proper attitude to adopt towards him, that is to say the opinion which ought to have been foreseen namely that a duchess ‘was not expected′ to attend the fancy dress bali given by this new Minister: “I do not see that there is any necessity to go to the Greek Minister′s; I do not know him; I am not a Greek; why should I go to these people′s house, I have nothing to do with them?” said the Duchess. “But everybody will be there, they say it′s going to be charming!” cried Mme. de Gallardon. “Still, it′s just as charming sometimes to sit by one′s own fireside,” replied Mme. de Guermantes. The Courvoisiers could not get over this, but the Guermantes, without copying it, approved of their cousin′s attitude. “Naturally, everybody isn′t in a position like Oriane to break with all the conventions. But if you look at it in one way you can′t say she was actually wrong in wishing to shew that we are going rather far in flinging ourselves at the feet of all these foreigners who appear from heaven knows where.” Naturally, knowing the stream of comment which one or other attitude would not fail to provoke, Mme. de Guermantes took as much pleasure in appearing at a party to which her hostess had not dared to count on her coming as in staying at home or spending the evening at the play with her husband on the night of a party to which ‘everybody was going,′ or, again, when people imagined that she would eclipse the finest diamonds with some historic diadem, by stealing into the room without a single jewel, and in another style of dress than what had been, wrongly, supposed to be essential to the occasion. Albeit she was anti-Dreyfusard (while retaining her belief in the innocence of Dreyfus, just as she spent her life in the social world believing only in abstract ideas) she had created an enormous sensation at a party at the Princesse de Ligne′s, first of all by remaining seated after all the ladies had risen to their feet as General Mercier entered the room, and then by getting up and in a loud voice asking for her carriage when a Nationalist orator had begun to address the gathering, thereby shewing that she did not consider that society was meant for talking politics; all heads were turned towards her at a Good Friday concert at which, although a Voltairean, she had not remained because she thought it indecent to bring Christ upon the stage. We know how important, even for the great queens of society, is that moment of the year at which the round of entertainment begins: so much so that the Marquise d′Amoncourt, who, from a need to say something, a form of mania, and also from want of perception, was always making a fool of herself, had actually replied to somebody who had called to condole with her on the death of her father, M. de Montmorency: “What makes it sadder still is that it should come at a time when one′s mirror is simply stuffed with cards!” Very well, at this point in the social year, when people invited the Duchesse de Guermantes to dinner, making every effort to see that she was not already engaged, she declined, for the one reason of which nobody in society would ever have thought; she was just starting on a cruise among the Norwegian fjords, which were so interesting. People in society were stupefied, and, without any thought of following the Duchess′s example, derived nervertheless from her action that sense of relief which one has in reading Kant when after the most rigorous demonstration of determinism one finds that above the world of necessity there is the world of freedom. Every invention of which no one has ever thought before excites the interest even of people who can derive no benefit from it. That of steam navigation was a small thing compared with the employment of steam navigation at that sedentary time of year called ‘the season.′ The idea that anyone could voluntarily renounce a hundred dinners or luncheons, twice as many afternoon teas, three times as many evening parties, the most brilliant Mondays at the Opera and Tuesdays at the Français to visit the Norwegian fjords seemed to the Courvoisiers no more explicable than the idea of Twenty Thousand Leagues Under the Sea, but conveyed to them a similar impression of independence and charm. So that not a day passed on which somebody might not be heard to ask, not merely: “You′ve heard Oriane′s latest joke?” but “You know Oriane′s latest?” and on ‘Oriane′s latest′ as on ‘Oriane′s latest joke′ would follow the comment: “How typical of Oriane!” “Isn′t that pure Oriane?” Oriane′s latest might be, for instance, that, having to write on behalf of a patriotic society to Cardinal X — Bishop of Macon (whom M. de Guermantes when he spoke of him invariably called ‘Monsieur de Mascon,′ thinking this to be ‘old French′), when everyone was trying to imagine what form the letter would take, and had no difficulty as to the opening words, the choice lying between ‘Eminence,′ and ‘Monseigneur,′ but was puzzled as to the rest, Oriane′s letter, to the general astonishment, began: ‘Monsieur le Cardinal,′ following an old academic form, or: ‘My Cousin,′ this term being in use among the Princes of the Church, the Gsermantes and Crowned Heads, who prayed to God to take each and all of them into ‘His fit and holy keeping.′ To start people on the topic of an ‘Oriane′s latest′ it was sufficient that at a performance at which all Paris was present and a most charming play was being given, when they looked for Mme. de Guermantes in the boxes of the Princesse de Parme, the Princesse de Guermantes, countless other ladies who had invited her, they discovered her sitting by herself, in black, with a tiny hat on her head, in a stall in which she had arrived before the curtain rose. “You hear better, when it′s a play that′s worth listening to,” she explained, to the scandal of the Courvoisiers and the admiring bewilderment of the Guermantes and the Princesse de Parme, who suddenly discovered that the ‘fashion′ of hearing the beginning of a play was more up to date, was a proof of greater originality and intelligence (which need not astonish them, coming from Oriane) than that of arriving for the last act after a big dinner-party and ‘going on′ somewhere first. Such were the various kinds of surprise for which the Princesse de Parme knew that she ought to be prepared if she put a literary or social question to Mme. de Guermantes, one result of which was that during these dinner-parties at Oriane′s her Royal Highness never ventured upon the slightest topic save with the uneasy and enraptured prudence of the bather emerging from between two breakers.
Parmi les éléments qui, absents des deux ou trois autres salons à peu près équivalents qui étaient à la tête du faubourg Saint–Germain, différenciaient d′eux le salon de la duchesse de Guermantes, comme Leibniz admet que chaque monade en reflétant tout l′univers y ajoute quelque chose de particulier, un des moins sympathiques était habituellement fourni par une ou deux très belles femmes qui n′avaient de titre à être là que leur beauté, l′usage qu′avait fait d′elles M. de Guermantes, et desquelles la présence révélait aussitôt, comme dans d′autres salons tels tableaux inattendus, que dans celui-ci le mari était un ardent appréciateur des grâces féminines. Elles se ressemblaient toutes un peu; car le duc avait le goût des femmes grandes, à la fois majestueuses et désinvoltes, d′un genre intermédiaire entre la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace; souvent blondes, rarement brunes, quelquefois rousses, comme la plus récente, laquelle était à ce dîner, cette vicomtesse d′Arpajon qu′il avait tant aimée qu′il la força longtemps à lui envoyer jusqu′à dix télégrammes par jour (ce qui agaçait un peu la duchesse), correspondait avec elle par pigeons voyageurs quand il était à Guermantes, et de laquelle enfin il avait été pendant longtemps si incapable de se passer, qu′un hiver qu′il avait dû passer à Parme, il revenait chaque semaine à Paris, faisant deux jours de voyage pour la voir.
Among the elements which, absent from the three or four other more or less equivalent drawing-rooms that set the fashion for the Faubourg Saint-Germain, differentiated from them that of the Duchesse de Guermantes, just as Leibniz allows that each monad, while reflecting the entire universe, adds to it something of its own, one of the least attractive was regularly furnished by one or two extremely good-looking women who had no title to be there apart from their beauty and the use that M. de Guermantes had made of them, and whose presence revealed at once, as does in other drawing-rooms that of certain otherwise unaccountable pictures, that in this household the husband was an ardent appreciator of feminine graces. They were all more or less alike, for the Duke had a taste for large women, at once statuesque and loose-limbed, of a type half-way between the Venus of Milo and the Samothracian Victory; often fair, rarely dark, sometimes auburn, like the most recent, who was at this dinner, that Vicomtesse d′Arpajon whom he had loved so well that for a long time he had obliged her to send him as many as ten telegrams daily (which slightly annoyed the Duchess), corresponded with her by carrier pigeon when he was at Guermantes, and from whom moreover he had long been so incapable of tearing himself away that, one winter which he had had to spend at Parma, he travelled back regularly every week to Paris, spending two days in the train, in order to see her.
D′ordinaire, ces belles figurantes avaient été ses maîtresses mais ne l′étaient plus (c′était le cas pour Mme d′Arpajon) ou étaient sur le point de cesser de l′être. Peut-être cependant le prestige qu′exerçaient sur elle la duchesse et l′espoir d′être reçues dans son salon, quoiqu′elles appartinssent elles-mêmes à des milieux fort aristocratiques mais de second plan, les avaient-elles décidées, plus encore que la beauté et la générosité de celui-ci, à céder aux désirs du duc. D′ailleurs la duchesse n′eût pas opposé à ce qu′elles pénétrassent chez elle une résistance absolue; elle savait qu′en plus d′une, elle avait trouvé une alliée, grâce à laquelle, elle avait obtenu mille choses dont elle avait envie et que M. de Guermantes refusait impitoyablement à sa femme tant qu′il n′était pas amoureux d′une autre. Aussi ce qui expliquait qu′elles ne fussent reçues chez la duchesse que quand leur liaison était déjà fort avancée tenait plutôt d′abord à ce que le duc, chaque fois qu′il s′était embarqué dans un grand amour, avait cru seulement à une simple passade en échange de laquelle il estimait que c′était beaucoup que d′être invité chez sa femme. Or, il se trouvait l′offrir pour beaucoup moins, pour un premier baiser, parce que des résistances, sur lesquelles il n′avait pas compté, se produisaient, ou au contraire qu′il n′y avait pas eu de résistance. En amour, souvent, la gratitude, le désir de faire plaisir, font donner au delà de ce que l′espérance et l′intérêt avaient promis. Mais alors la réalisation de cette offre était entravée par d′autres circonstances. D′abord toutes les femmes qui avaient répondu à l′amour de M. de Guermantes, et quelquefois même quand elles ne lui avaient pas encore cédé, avaient été tour à tour séquestrées par lui. Il ne leur permettait plus de voir personne, il passait auprès d′elles presque toutes ses heures, il s′occupait de l′éducation de leurs enfants, auxquels quelquefois, si l′on doit en juger plus tard sur de criantes ressemblances, il lui arriva de donner un frère ou une soeur. Puis si, au début de la liaison, la présentation à Mme de Guermantes, nullement envisagée par le duc, avait joué un rôle dans l′esprit de la maîtresse, la liaison elle-même avait transformé les points de vue de cette femme; le duc n′était plus seulement pour elle le mari de la plus élégante femme de Paris, mais un homme que sa nouvelle maîtresse aimait, un homme aussi qui souvent lui avait donné les moyens et le goût de plus de luxe et qui avait interverti l′ordre antérieur d′importance des questions de snobisme et des questions d′intérêt; enfin quelquefois, une jalousie de tous genres contre Mme de Guermantes animait les maîtresses du duc. Mais ce cas était le plus rare; d′ailleurs, quand le jour de la présentation arrivait enfin (à un moment où elle était d′ordinaire déjà assez indifférente au duc, dont les actions, comme celles de tout le monde, étaient plus souvent commandées par les actions antérieures, dont le mobile premier n′existait plus) il se trouvait souvent que ç‘avait été Mme de Guermantes qui avait cherché à recevoir la maîtresse en qui elle espérait et avait si grand besoin de rencontrer, contre son terrible époux, une précieuse alliée. Ce n′est pas que, sauf à de rares moments, chez lui, où, quand la duchesse parlait trop, il laissait échapper des paroles et surtout des silences qui foudroyaient, M. de Guermantes manquât vis-à-vis de sa femme de ce qu′on appelle les formes. Les gens qui ne les connaissaient pas pouvaient s′y tromper. Quelquefois, à l′automne, entre les courses de Deauville, les eaux et le départ pour Guermantes et les chasses, dans les quelques semaines qu′on passe à Paris, comme la duchesse aimait le café-concert, le duc allait avec elle y passer une soirée. Le public remarquait tout de suite, dans une de ces petites baignoires découvertes où l′on ne tient que deux, cet Hercule en «smoking» (puisqu′en France on donne à toute chose plus ou moins britannique le nom qu′elle ne porte pas en Angleterre), le monocle à l′oeil, dans sa grosse mais belle main, à l′annulaire de laquelle brillait un saphir, un gros cigare dont il tirait de temps à autre une bouffée, les regards habituellement tournés vers la scène, mais, quand il les laissait tomber sur le parterre où il ne connaissait d′ailleurs absolument personne, les émoussant d′un air de douceur, de réserve, de politesse, de considération. Quand un couplet lui semblait drôle et pas trop indécent, le duc se retournait en souriant vers sa femme, partageait avec elle, d′un signe d′intelligence et de bonté, l′innocente gaîté que lui procurait la chanson nouvelle. Et les spectateurs pouvaient croire qu′il n′était pas de meilleur mari que lui ni de personne plus enviable que la duchesse — cette femme en dehors de laquelle étaient pour le duc tous les intérêts de la vie, cette femme qu′il n′aimait pas, qu′il n′avait jamais cessé de tromper; — quand la duchesse se sentait fatiguée, ils voyaient M. de Guermantes se lever, lui passer lui-même son manteau en arrangeant ses colliers pour qu′ils ne se prissent pas dans la doublure, et lui frayer un chemin jusqu′à la sortie avec des soins empressés et respectueux qu′elle recevait avec la froideur de la mondaine qui ne voit là que du simple savoir-vivre, et parfois même avec l′amertume un peu ironique de l′épouse désabusée qui n′a plus aucune illusion à perdre. Mais malgré ces dehors, autre partie de cette politesse qui a fait passer les devoirs des profondeurs à la superficie, à une certaine époque déjà ancienne, mais qui dure encore pour ses survivants, la vie de la duchesse était difficile. M. de Guermantes ne redevenait généreux, humain que pour une nouvelle maîtresse, qui prenait, comme il arrivait le plus souvent, le parti de la duchesse; celle-ci voyait redevenir possibles pour elle des générosités envers des inférieurs, des charités pour les pauvres, même pour elle-même, plus tard, une nouvelle et magnifique automobile. Mais de l′irritation qui naissait d′habitude assez vite, pour Mme de Guermantes, des personnes qui lui étaient trop soumises, les maîtresses du duc n′étaient pas exceptées. Bientôt la duchesse se dégoûtait d′elles. Or, à ce moment aussi, la liaison du duc avec Mme d′Arpajon touchait à sa fin. Une autre maîtresse pointait.
As a rule these handsome ‘supers′ had been his mistresses but were no longer (as was Mme. d′Arpajon′s case) or were on the point of ceasing to be so. It may well have been that the importance which the Duchess enjoyed in their sight and the hope of being invited to her house, though they themselves came of thoroughly aristocratic, but still not quite first-class stock, had prompted them, even more than the good looks and generosity of the Duke, to yield to his desires. Not that the Duchess would have placed any insuperable obstacle in the way of their crossing her threshold: she was aware that in more than one of them she had found an ally, thanks to whom she had obtained a thousand things which she wanted but which M. de Guermantes pitilessly denied his wife so long as he was not in love with some one else. And so the reason why they were not invited by the Duchess until their intimacy with the Duke was already far advanced lay principally in the fact that he, every time that he had embarked on the deep waters of love, had imagined nothing more than a brief flirtation, as a reward for which he considered an invitation from his wife to be more than adequate. And yet he found himself offering this as the price of far less, for a first kiss in fact, because a resistance upon which he had never reckoned had been brought into play or because there had been no resistance. In love it often happens that gratitude, the desire to give pleasure, makes us generous beyond the limits of what the other person′s expectation and self-interest could have anticipated. But then the realisation of this offer was hindered by conflicting circumstances. In the first place, all the women who had responded to M. de Guermantes′s love, and sometimes even when they had not yet surrendered themselves to him, he had, one after another, segregated from the world. He no longer allowed them to see anyone, spent almost all his time in their company, looked after the education of their children to whom now and again, if one was to judge by certain speaking likenesses later on, he had occasion to present a little brother or sister. And so if, at the start of the connexion, the prospect of an introduction to Mme. de Guermantes, which had never crossed the mind of the Duke, had entered considerably into the thoughts of his mistress, their connexion had by itself altered the whole of the lady′s point of view; the Duke was no longer for her merely the husband of the smartest woman in Paris, but a man with whom his new mistress was in love, a man moreover who had given her the means and the inclination for a more luxurious style of living and had transposed the relative importance in her mind of questions of social and of material advantage; while now and then a composite jealousy, into which all these factors entered, of Mme. de Guermantes animated the Duke′s mistresses. But this case was the rarest of all; besides, when the day appointed for the introduction at length arrived (at a point when as a rule the Duke had lost practically all interest in the matter, his actions, like everyone′s else, being generally dictated by previous actions the prime motive of which had already ceased to exist), it frequently happened that it was Mme. de Guermantes who had sought the acquaintance of the mistress in whom she hoped, and so greatly needed, to discover, against her dread husband, a valuable ally. This is not to say that, save at rare moments, in their own house, where, when the Duchess talked too much, he let fall a few words or, more dreadful still, preserved a silence which rendered her speechless, M. de Guermantes failed in his outward relations with his wife to observe what are called the forms. People who did not know them might easily misunderstand. Sometimes between the racing at Deauville, the course of waters and the return to Guermantes for the shooting, in the few weeks which people spend in Paris, since the Duchess had a liking for café-concerts, the Duke would go with her to spend the evening at one of these. The audience remarked at once, in one of those little open boxes in which there is just room for two, this Hercules in his ‘smoking′ (for in France we give to everything that is more or less British the one name that it happens not to bear in England), his monocle screwed in his eye, in his plump but finely shaped hand, on the ring-finger of which there glowed a sapphire, a plump cigar from which now and then he drew a puff of smoke, keeping his eyes for the most part on the stage but, when he did let them fall upon the audience in which there was absolutely no one whom he knew, softening them with an air of gentleness, reserve, courtesy and consideration. When a verse struck him as amusing and not too indecent, the Duke would turn round with a smile to his wife, letting her share, by a twinkle of good-natured understanding, the innocent merriment which the new song had aroused in himself. And the spectators might believe that there was no better husband in the world than this, nor anyone more enviable than the Duchess — that woman outside whom every interest in the Duke′s life lay, that woman with whom he was not in love, to whom he had been consistently unfaithful; when the Duchess felt tired, they saw M. de Guermantes rise, put on her cloak with his own hands, arranging her necklaces so that they did not catch in the lining, and clear a path for her to the street with an assiduous and respectful attention which she received with the coldness of the woman of the world who sees in such behaviour simply conventional politeness, at times even with the slightly ironical bitterness of the disabused spouse who has no illusion left to shatter. But despite these externals (another element of that politeness which has made duty evolve from the depths of our being to the surface, at a period already remote but still continuing for its survivors) the life of the Duchess was by no means easy. M. de Guermantes never became generous or human save for a new mistress who would take, as it generally happened, the Duchess′s part; the latter saw becoming possible for her once again generosities towards inferiors, charities to the poor, even for herself, later on, a new and sumptuous motor-car. But from the irritation which developed as a rule pretty rapidly in Mme. de Guermantes at people whom she found too submissive the Duke′s mistresses were not exempt. Presently the Duchess grew tired of them. Simultaneously, at this moment, the Duke′s intimacy with Mme. d′Arpajon was drawing to an end. Another mistress dawned on the horizon.
Sans doute l′amour que M. de Guermantes avait eu successivement pour toutes recommençait un jour à se faire sentir: d′abord cet amour en mourant les léguait, comme de beaux marbres — des marbres beaux pour le duc, devenu ainsi partiellement artiste, parce qu′il les avait aimées, et était sensible maintenant à des lignes qu′il n′eût pas appréciées sans l′amour — qui juxtaposaient, dans le salon de la duchesse, leurs formes longtemps ennemies, dévorées par les jalousies et les querelles, et enfin réconciliées dans la paix de l′amitié; puis cette amitié même était un effet de l′amour qui avait fait remarquer à M. de Guermantes, chez celles qui étaient ses maîtresses, des vertus qui existent chez tout être humain mais sont perceptibles à la seule volupté, si bien que l′ex-maîtresse, devenue «un excellent camarade» qui ferait n′importe quoi pour nous, est un cliché comme le médecin ou comme le père qui ne sont pas un médecin ou un père, mais un ami. Mais pendant une première période, la femme que M. de Guermantes commençait à délaisser se plaignait, faisait des scènes, se montrait exigeante, paraissait indiscrète, tracassière. Le duc commençait à la prendre en grippe. Alors Mme de Guermantes avait lieu de mettre en lumière les défauts vrais ou supposés d′une personne qui l′agaçait. Connue pour bonne, Mme de Guermantes recevait les téléphonages, les confidences, les larmes de la délaissée, et ne s′en plaignait pas. Elle en riait avec son mari, puis avec quelques intimes. Et croyant, par cette pitié qu′elle montrait à l′infortunée, avoir le droit d′être taquine avec elle, en sa présence même, quoique celle-ci dît, pourvu que cela pût rentrer dans le cadre du caractère ridicule que le duc et la duchesse lui avaient récemment fabriqué, Mme de Guermantes ne se gênait pas d′échanger avec son mari des regards d′ironique intelligence.
No doubt the love which M. de Guermantes had had for each of them in succession would begin one day to make itself felt afresh; in the first place, this love in dying bequeathed them, like beautiful marbles — marbles beautiful to the Duke, become thus in part an artist, because he had loved them and was sensitive now to lines which he would not have appreciated without love — which brought into juxtaposition in the Duchess′s drawing-room their forms long inimical, devoured by jealousies and quarrels, and finally reconciled in the peace of friendship; besides, this friendship itself was an effect of the love which had made M. de Guermantes observe in those who were his mistresses virtues which exist in every human being but are perceptible only to the sensual eye, so much so that the ex-mistrêss, become ‘the best of comrades′ who would do anything in the world for one, is as recognised a type as the doctor or father who is not a doctor or a father but a friend. But during a period of transition the woman whom M. de Guermantes was preparing to abandon bewailed her lot, made scenes, shewed herself exacting, appeared indiscreet, became a nuisance. The Duke began to take a dislike to her. Then Mme. de Guermantes had an opportunity to bring into prominence the real or imagined defects of a person who annoyed her. Known as a kind woman, Mme. de Guermantes received the telephone messages, the confidences, the tears of the abandoned mistress and made no complaint. She laughed at them, first with her husband, then with a few chosen friends. And imagining that this pity which she shewed for the poor wretch gave her the right to make fun of her, even to her face, whatever the lady might say, provided it could be included among the attributes of the character for absurdity which the puke and Duchess had recently fabricated for her, Mme. de Guermantes had no hesitation in exchanging with her husband a glance of ironical connivance.
Cependant, en se mettant à table, la princesse de Parme se rappela qu′elle voulait inviter à l′Opéra la princesse de . . ., et désirant savoir si cela ne serait pas désagréable à Mme de Guermantes, elle chercha à la sonder. A ce moment entra M. de Grouchy, dont le train, à cause d′un déraillement, avait eu une panne d′une heure. Il s′excusa comme il put. Sa femme, si elle avait été Courvoisier, fût morte de honte. Mais Mme de Grouchy n′était pas Guermantes «pour des prunes». Comme son mari s′excusait du retard:
Meanwhile, as she sat down to table, the Princesse de Parme remembered that she had thought of inviting a certain other Princess to the Opera, and, wishing to be assured that this would not in any way offend Mme. de Guermantes, was preparing to sound her. At this moment there entered M. de Grouchy, whose train, owing to some block on the line, had been held up for an hour. He made what excuses he could. His wife, had she been a Courvoisier, would have died of shame. But Mme. de Grouchy was not a Guermantes for nothing. As her husband was apologising for being late:
— Je vois, dit-elle en prenant la parole, que même pour les petites choses, être en retard c′est une tradition dans votre famille.
“I see,” she broke in, “that even in little things arriving late is a tradition in your family.”
— Asseyez-vous, Grouchy, et ne vous laissez pas démonter, dit le duc.
“Sit down, Grouchy, and don′t let them pull your leg,” said the Duke.
— Tout en marchant avec mon temps, je suis forcée de reconnaître que la bataille de Waterloo a eu du bon puisqu′elle a permis la restauration des Bourbons, et encore mieux d′une façon qui les a rendus impopulaires. Mais je vois que vous êtes un véritable Nemrod!
“I hope I move with the times, still I must admit that the Battle of Waterloo had its points, since it brought about the Restoration of the Bourbons, and better still in a way which made them unpopular. But you seem to be a regular Nimrod!”
— J′ai en effet rapporté quelques belles pièces. Je me permettrai d′envoyer demain à la duchesse une douzaine de faisans.
“Well, as a matter of fact, I have had quite a good bag. I shall take the liberty of sending the Duchess six brace of pheasants to-morrow.”
Une idée sembla passer dans les yeux de Mme de Guermantes. Elle insista pour que M. de Grouchy ne prît pas la peine d′envoyer les faisans. Et faisant signe au valet de pied fiancé, avec qui j′avais causé en quittant la salle des Elstir:
An idea seemed to flicker in the eyes of Mme. de Guermantes. She insisted that M. de Grouchy must not give himself the trouble of sending the pheasants. And making a sign to the betrothed footman with whom I had exchanged a few words on my way from the Elstir room:
— Poullein, dit-elle, vous irez chercher les faisans de M. le comte et vous les rapporterez de suite, car, n′est-ce pas, Grouchy, vous permettez que je fasse quelques politesses? Nous ne mangerons pas douze faisans à nous deux, Basin et moi.
“Poullein,” she told him, “you will go to-morrow and fetch M. le Comte′s pheasants and bring them straight back — you won′t mind, will you, Grouchy, if I make a few little presents. Basin and I can′t eat a whole dozen by ourselves.”
— Mais après-demain serait assez tôt, dit M. de Grouchy.
“But the day after to-morrow will be soon enough,” said M. de Grouchy.
— Non, je préfère demain, insista la duchesse.
“No, to-morrow suits me better,” the Duchess insisted.
Poullein était devenu blanc; son rendez-vous avec sa fiancée était manqué. Cela suffisait pour la distraction de la duchesse qui tenait à ce que tout gardât un air humain. — Je sais que c′est votre jour de sortie, dit-elle à Poullein, vous n′aurez qu′à changer avec Georges qui sortira demain et restera après-demain.
Poullein had turned pale; his appointment with his sweetheart would have to be missed. This was quite enough for the diversion of the Duchess, who liked to appear to be taking a human interest in everyone. “I know it′s your day out,” she went on to Poullein, “all you′ve got to do is to change with Georges; he can take to-morrow off and stay in the day after.”
Mais le lendemain la fiancée de Poullein ne serait pas libre. Il lui était bien égal de sortir. Dès que Poullein eut quitté la pièce, chacun complimenta la duchesse de sa bonté avec ses gens. — Mais je ne fais qu′être avec eux comme je voudrais qu′on fût avec moi. — Justement! ils peuvent dire qu′ils ont chez vous une bonne place. — Pas si extraordinaire que ça. Mais je crois qu′ils m′aiment bien. Celui-là est un peu agaçant parce qu′il est amoureux, il croit devoir prendre des airs mélancoliques.
But the day after, Poullein′s sweetheart would not be free. A holiday then was of no account to him. As soon as he was out of the room, everyone complimented the Duchess on the interest she took in her servants. “But I only behave towards them as I like people to behave to me.” “That′s just it. They can say they′ve found a good place with you.” “Oh, nothing so very wonderful. But I think they all like me. That one is a little annoying because he′s in love. He thinks it incumbent on him to go about with a long face.”
A ce moment Poullein rentra. — En effet, dit M. de Grouchy, il n′a pas l′air d′avoir le sourire. Avec eux il faut être bon, mais pas trop bon. — Je reconnais que je ne suis pas terrible; dans toute sa journée il n′aura qu′à aller chercher vos faisans, à rester ici à ne rien faire et à en manger sa part. — Beaucoup de gens voudraient être à sa place, dit M. de Grouchy, car l′envie est aveugle.
At this point Poullein reappeared. “You′re quite right,” said M. de Grouchy, “he doesn′t look much like smiling. With those fellows one has to be good but not too good.” “I admit I′m not a very dreadful mistress. He′ll have nothing to do all day but call for your pheasants, sit in the house doing nothing and eat his share of them.” “There are plenty of people who would be glad to be in his place,” said M. de Grouchy, for envy makes men blind.
— Oriane, dit la princesse de Parme, j′ai eu l′autre jour la visite de votre cousine d′Heudicourt; évidemment c′est une femme d′une intelligence supérieure; c′est une Guermantes, c′est tout dire, mais on dit qu′elle est médisante . . . Le duc attacha sur sa femme un long regard de stupéfaction voulue. Mme de Guermantes se mit à rire. La princesse finit par s′en apercevoir. — Mais . . . est-ce que vous n′êtes pas . . . de mon avis? . . . demanda-t-elle avec inquiétude. — Mais Madame est trop bonne de s′occuper des mines de Basin. Allons, Basin, n′ayez pas l′air d′insinuer du mal de nos parents. — Il la trouve trop méchante? demanda vivement la princesse. — Oh! pas du tout, répliqua la duchesse. Je ne sais pas qui a dit à Votre Altesse qu′elle était médisante. C′est au contraire une excellente créature qui n′a jamais dit du mal de personne, ni fait de mal à personne. — Ah! dit Mme de Parme soulagée, je ne m′en étais pas aperçue non plus. Mais comme je sais qu′il est souvent difficile de ne pas avoir un peu de malice quand on a beaucoup d′esprit . . . — Ah! cela par exemple elle en a encore moins. — Moins d′esprit? . . . demanda la princesse stupéfaite. — Voyons, Oriane, interrompit le duc d′un ton plaintif en lançant autour de lui à droite et à gauche des regards amusés, vous entendez que la princesse vous dit que c′est une femme supérieure. — Elle ne l′est pas? — Elle est au moins supérieurement grosse. — Ne l′écoutez pas, Madame, il n′est pas sincère; elle est bête comme un (heun) oie, dit d′une voix forte et enrouée Mme de Guermantes, qui, bien plus vieille France encore que le duc quand il n′y tâchait pas, cherchait souvent à l′être, mais d′une manière opposée au genre jabot de dentelles et déliquescent de son mari et en réalité bien plus fine, par une sorte de prononciation presque paysanne qui avait une âpre et délicieuse saveur terrienne. «Mais c′est la meilleure femme du monde. Et puis je ne sais même pas si à ce degré-là cela peut s′appeler de la bêtise. Je ne crois pas que j′aie jamais connu une créature pareille; c′est un cas pour un médecin, cela a quelque chose de pathologique, c′est une espèce d′«innocente», de crétine, de «demeurée» comme dans les mélodrames ou comme dans l′Arlésienne . Je me demande toujours, quand elle est ici, si le moment n′est pas venu où son intelligence va s′éveiller, ce qui fait toujours un peu peur.» La princesse s′émerveillait de ces expressions tout en restant stupéfaite du verdict. «Elle m′a cité, ainsi que Mme d′Épinay, votre mot sur Taquin le Superbe. C′est délicieux», répondit-elle.
“Oriane,” began the Princesse de Parme, “I had a visit the other day from your cousin Heudicourt; of course she′s a highly intelligent woman — she′s a Guermantes, one can say no more, but they tell me she has a spitel ful tongue.” The Duke fastened on his wife a slow gaze of deliberate stupefaction. Mme. de Guermantes began to smile. Gradually the Princess became aware of their pantomime. “But . . . do you mean to say you don′t agree with me?” she stammered with growing uneasiness. “Really Ma′am, it′s too good of you to pay any attention to Basin′s faces. Now′ Basin, you′re not to hint nasty things about our cousins.” “He thinks her too wicked?” inquired the Princess briskly. “Oh, dear me, no!” replied the Duchess. “I don′t know who told your Highness that she was spiteful. On the contrary, she′s an excellent creature who never said any harm of anyone, or did any harm to any one.” “Ah!” sighed Mme. de Parme, greatly relieved. “I must say I never noticed anything myself. But I know it′s often difficult not to be a little spiteful when one is so full of wit . . . ” “Ah! Now that is a quality of which she has even less.” “Less wit?” asked the stupefied Princess. “Come now, Oriane,” broke in the Duke in a plaintive tone, casting to right and left of him a glance of amusement, “you heard the Princess tell you that she was a superior woman.” “But isn′t she?” “Superior in chest measurement, at any rate.” “Don′t listen to him, Ma′am, he′s not sincere; she′s as stupid as a (h′m) goose,” came in a loud and rasping voice from Mme. de Guermantes, who, a great deal more ‘old French′ even than the Duke when he was not trying, did often deliberately seek to be, but in a manner the opposite of the lace-neckcloth, deliquescent style of her husband and in reality far more subtle, by a sort of almost peasant pronunciation which had a harsh and delicious flavour of the soil. “But she′s the best woman in the world. Besides, I don′t really know that one can call it stupidity when it′s carried to such a point as that. I don′t believe I ever met anyone quite like her; she′s a case for a specialist, there′s something pathological about her, she′s a sort of ‘innocent′ or ‘cretin′ or an ‘arrested development,′ like the people you see in melodramas, or in L′Arlésienne. I always ask myself, when she comes to see me, whether the moment may not have arrived at which her intelligence is going to dawn, which makes me a little nervous always.” The Princess was lost in admiration of these utterances but remained stupefied by the preceding verdict. “She repeated to me — and so did Mme. d′Epinay — what you said about ‘Teaser Augustus.′ It′s delicious,” she put in.
M. de Guermantes m′expliqua le mot. J′avais envie de lui dire que son frère, qui prétendait ne pas me connaître, m′attendait le soir même à onze heures. Mais je n′avais pas demandé à Robert si je pouvais parler de ce rendez-vous et, comme le fait que M. de Charlus me l′eût presque fixé était en contradiction avec ce qu′il avait dit à la duchesse, je jugeai plus délicat de me taire. «Taquin le Superbe n′est pas mal, dit M. de Guermantes, mais Mme d′Heudicourt ne vous a probablement pas raconté un bien plus joli mot qu′Oriane lui a dit l′autre jour, en réponse à une invitation à déjeuner?» — Oh! non! dites-le! — Voyons, Basin, taisez-vous, d′abord ce mot est stupide et va me faire juger par la princesse comme encore inférieure à ma cruche de cousine. Et puis je ne sais pas pourquoi je dis ma cousine. C′est une cousine à Basin. Elle est tout de même un peu parente avec moi. — Oh! s′écria la princesse de Parme à la pensée qu′elle pourrait trouver Mme de Guermantes bête, et protestant éperdument que rien ne pouvait faire déchoir la duchesse du rang qu′elle occupait dans son admiration. — Et puis nous lui avons déjà retiré les qualités de l′esprit; comme ce mot tend à lui en dénier certaines du coeur, il me semble inopportun. — Dénier! inopportun! comme elle s′exprime bien! dit le duc avec une ironie feinte et pour faire admirer la duchesse. — Allons, Basin, ne vous moquez pas de votre femme. — Il faut dire à Votre Altesse Royale, reprit le duc, que la cousine d′Oriane est supérieure, bonne, grosse, tout ce qu′on voudra, mais n′est pas précisément, comment dirai-je . . . prodigue. — Oui, je sais, elle est très rapiate, interrompit la princesse. — Je ne me serais pas permis l′expression, mais vous avez trouvé le mot juste. Cela se traduit dans son train de maison et particulièrement dans la cuisine, qui est excellente mais mesurée. — Cela donne même lieu à des scènes assez comiques, interrompit M. de Bréauté. Ainsi, mon cher Basin, j′ai été passer à Heudicourt un jour où vous étiez attendus, Oriane et vous. On avait fait de somptueux préparatifs, quand, dans l′après-midi, un valet de pied apporta une dépêche que vous ne viendriez pas. — Cela ne m′étonne pas! dit la duchesse qui non seulement était difficile à avoir, mais aimait qu′on le sût. — Votre cousine lit le télégramme, se désole, puis aussitôt, sans perdre la carte, et se disant qu′il ne fallait pas de dépenses inutiles envers un seigneur sans importance comme moi, elle rappelle le valet de pied: «Dites au chef de retirer le poulet», lui crie-t-elle. Et le soir je l′ai entendue qui demandait au maître d′hôtel: «Eh bien? et les restes du boeuf d′hier? Vous ne les servez pas?» — Du reste, il faut reconnaître que la chère y est parfaite, dit le duc, qui croyait en employant cette expression se montrer ancien régime. Je ne connais pas de maison où l′on mange mieux. — Et moins, interrompit la duchesse. — C′est très sain et très suffisant pour ce qu′on appelle un vulgaire pedzouille comme moi, reprit le duc; on reste sur sa faim. — Ah! si c′est comme cure, c′est évidemment plus hygiénique que fastueux. D′ailleurs ce n′est pas tellement bon que cela, ajouta Mme de Guermantes, qui n′aimait pas beaucoup qu′on décernât le titre de meilleure table de Paris à une autre qu′à la sienne. Avec ma cousine, il arrive la même chose qu′avec les auteurs constipés qui pondent tous les quinze ans une pièce en un acte ou un sonnet. C′est ce qu′on appelle des petits chefs-d′oeuvre, des riens qui sont des bijoux, en un mot, la chose que j′ai le plus en horreur. La cuisine chez Zéna n′est pas mauvaise, mais on la trouverait plus quelconque si elle était moins parcimonieuse. Il y a des choses que son chef fait bien, et puis il y a des choses qu′il rate. J′y ai fait comme partout de très mauvais dîners, seulement ils m′ont fait moins mal qu′ailleurs parce que l′estomac est au fond plus sensible à la quantité qu′à la qualité. — Enfin, pour finir, conclut le duc, Zéna insistait pour qu′Oriane vînt déjeuner, et comme ma femme n′aime pas beaucoup sortir de chez elle, elle résistait, s′informait si, sous prétexte de repas intime, on ne l′embarquait pas déloyalement dans un grand tralala, et tâchait vainement de savoir quels convives il y aurait à déjeuner. «Viens, viens, insistait Zéna en vantant les bonnes choses qu′il y aurait à déjeuner. Tu mangeras une purée de marrons, je ne te dis que ça, et il y aura sept petites bouchées à la reine. — Sept petites bouchées, s′écria Oriane. Alors c′est que nous serons au moins huit!» Au bout de quelques instants, la princesse ayant compris laissa éclater son rire comme un roulement de tonnerre. «Ah! nous serons donc huit, c′est ravissant! Comme c′est bien rédigé!» dit-elle, ayant dans un suprême effort retrouvé l′expression dont s′était servie Mme d′Épinay et qui s′appliquait mieux cette fois. — Oriane, c′est très joli ce que dit la princesse, elle dit que c′est bien rédigé. — Mais, mon ami, vous ne m′apprenez rien, je sais que la princesse est très spirituelle, répondit Mme de Guermantes qui goûtait facilement un mot quand à la fois il était prononcé par une Altesse et louangeait son propre esprit. «Je suis très fière que Madame apprécie mes modestes rédactions. D′ailleurs, je ne me rappelle pas avoir dit cela. Et si je l′ai dit, c′était pour flatter ma cousine, car si elle avait sept bouchées, les bouches, si j′ose m′exprimer ainsi, eussent dépassé la douzaine.»
M. de Guermantes explained the joke to me. I wanted to tell him that his brother, who pretended not to know me, was expecting me that same evening at eleven o′clock. But I had not asked Robert whether I might mention this engagement, and as the fact that M. de Charlus had practically fixed it with me himself directly contradicted what he had told the Duchess I judged it more tactful to say nothing. “‘Teaser Augustus′ was not bad,” said M. de Guermantes, “but Mme. d′Heudicourt probably did not tell you a far better thing that Oriane said to her the other day in reply to an invitation to luncheon.” “No, indeed! Do tell me!” “Now Basin, you keep quiet; in the first place, it was a stupid remark, and it will make the Princess think me inferior even to my fool of a cousin. Though I don′t know why I should call her my cousin. She′s one of Basin′s cousins. Still, I believe she is related to me in some sort of way.” “Oh!” cried the Princesse de Parme, at the idea that she could possibly think Mme. de Guermantes stupid, and protesting helplessly that nothing could ever lower the Duchess from the place she held in her estimation. “Besides we have already subtracted from her the quality of wit; as what I said to her tends to deny her certain other good qualities also, it seems to me inopportune to repeat it.” “‘Deny her!′ ‘Inopportune!′ How well she expresses herself!” said the Duke with a pretence of irony, to win admiration for the Duchess. “Now, then, Basin, you′re not to make fun of your wife.” “I should explain to your Royal Highness,” went on the Duke, “that Oriane′s cousin may be superior, good, stout, anything you like to mention, but she is not exactly — what shall I say — lavish.” “No, I know, she′s terribly close-fisted,” broke in the Princess. “I should not have ventured to use the expression, but you have hit on exactly the right word. You can see it in her house-keeping, and especially in the cooking, which is excellent, but strictly rationed.” “Which leads to some quite amusing scenes,” M. de Bréauté interrupted him. “For instance, my dear Basin, I was down at Heudicourt one day when you were expected, Oriane and yourself. They had made the most elaborate preparations when, during the afternoon, a footman brought in a telegram to say that you weren′t coming.” “That doesn′t surprise me!” said the Duchess, who not only was difficult to secure, but liked people to know as much. “Your cousin read the telegram, was duly distressed, then immediately, without losing her head, telling herself that there was no point in going to unnecessary expense for so unimportant a gentleman as myself, called the footman back. ‘Tell the cook not to put on the chicken!′ she shouted after him. And that evening I heard her asking the butler: ‘Well? What about the beef that was left over yesterday? Aren′t you going to let us have that?′” “All the same, one must admit that the cheer you get there is of the very best,” said the Duke, who fancied that in using this language he shewed himself to belong to the old school. “I don′t know any house where one gets better food.” “Or less,” put in the Duchess. “It is quite wholesome and quite enough for what you would call a vulgar yokel like myself,” went on the Duke, “one keeps one′s appetite.” “Oh, if it′s to be taken as a cure, it′s certainly more hygienic than sumptuous. Not that it′s as good as all that,” added Mme. de Guermantes, who was not at all pleased that the title of ‘best table in Paris′ should be awarded to any but her own. “With my cousin it′s just the same as with those costive authors who hatch out every fifteen years a one-act play or a sonnet. The sort of thing people call a little masterpiece, trifles that are perfect gems, in fact the one thing I loathe most in the world. The cooking at Zéna′s is not bad, but you would think it more ordinary if she was less parsimonious. There are some things her cook does quite well, and others that he spoils. I have had some thoroughly bad dinners there, as in most houses, only they′ve done me less harm there because the stomach is, after all, more sensitive to quantity than to quality.” “Well, to get on with the story,” the Duke concluded “Zéna insisted that Oriane should go to luncheon there, and as my wife is not very fond of going out anywhere she resisted, wanted to be sure that under the pretence of a quiet meal she was not being trapped into some great banquet, and tried in vain to find out who else were to be of the party. ‘You must come,′ Zéna insisted, boasting of all the good things there would be to eat. ‘You are going to have a purée of chestnuts, I need say no more than that, and there will be seven little bouchées à la reine.′ ‘Seven little bouchées!′ cried Oriane, ‘that means that we shall be at least eightl′” There was silence for a few seconds, and then the Princess having seen the point let her laughter explode like a peal of thunder. “Ah! ‘Then we shall be eight,′— it′s exquisite. How very well phrased!” she said, having by a supreme effort recaptured the expression she had heard used by Mme. d′Epinay, which this time was more appropriate. “Oriane, that was very charming of the Princess, she said your remark was well phrased.” “But, my dear, you′re telling me nothing new. I know how clever the Princess is,” replied Mme. de Guermantes, who readily assimilated a remark when it was uttered at once by a Royal Personage and in praise of her own wit. “I am very proud that Ma′am should appreciate my humble phrasings. I don′t remember, though, that I ever did say such a thing, and if I did it must have been to flatter my cousin, for if she had ordered seven ‘mouthfuls,′ the mouths, if I may so express myself, would have been a round dozen if not more.”
— Elle possédait tous les manuscrits de M. de Bornier, reprit, en parlant de Mme d′Heudicourt, la princesse, qui voulait tâcher de faire valoir les bonnes raisons qu′elle pouvait avoir de se lier avec elle. — Elle a dû le rêver, je crois qu′elle ne le connaissait même pas, dit la duchesse. — Ce qui est surtout intéressant, c′est que ces correspondances sont de gens à la fois des divers pays, continua la comtesse d′Arpajon qui, alliée aux principales maisons ducales et même souveraines de l′Europe, était heureuse de le rappeler. — Mais si, Oriane, dit M. de Guermantes non sans intention. Vous vous rappelez bien ce dîner où vous aviez M. de Bornier comme voisin! — Mais, Basin, interrompit la duchesse, si vous voulez me dire que j′ai connu M. de Bornier, naturellement, il est même venu plusieurs fois pour me voir, mais je n′ai jamais pu me résoudre à l′inviter parce que j′aurais été obligée chaque fois de faire désinfecter au formol. Quant à ce dîner, je ne me le rappelle que trop bien, ce n′était pas du tout chez Zéna, qui n′a pas vu Bornier de sa vie et qui doit croire, si on lui parle de la Fille de Roland , qu′il s′agit d′une princesse Bonaparte qu′on prétendait fiancée au fils du roi de Grèce; non, c′était à l′ambassade d′Autriche. Le charmant Hoyos avait cru me faire plaisir en flanquant sur une chaise à côté de moi cet académicien empesté. Je croyais avoir pour voisin un escadron de gendarmes. J′ai été obligée de me boucher le nez comme je pouvais pendant tout le dîner, je n′ai osé respirer qu′au gruyère! M. de Guermantes, qui avait atteint son but secret, examina à la dérobée sur la figure des convives l′impression produite par le mot de la duchesse. — Vous parlez de correspondances, je trouve admirable celle de Gambetta, dit la duchesse de Guermantes pour montrer qu′elle ne craignait pas de s′intéresser à un prolétaire et à un radical. M. de Bréauté comprit tout l′esprit de cette audace, regarda autour de lui d′un oeil à la fois éméché et attendri, après quoi il essuya son monocle.
“She used to have all M. de Bornier′s manuscripts,” went on the Princess, still speaking of Mme. d′Heudicourt, and anxious to make the most of the excellent reasons she might have for associating with that lady. “She must have dreamed it, I don′t believe she ever even know him,” said the Duchess. “What is really interesting about him is that he kept up a correspondence with people of different nationalities at the same time,” put in the Vicomtesse d′Arpajon who, allied to the principal ducal and even reigning families of Europe, was always glad that people should be reminded of the fact. “Surely, Oriane,” said M. de Guermantes, with ulterior purpose, “you can′t have forgotten that dinner-party where you had M. de Bornier sitting next to you!” “But, Basin,” the Duchess interrupted him, “if you mean to inform me that I knew M. de Bornier, why of course I did, he even called upon me several times, but I could never bring myself to invite him to the house because I should always have been obliged to have it disinfected afterwards with formol. As for the dinner you mean, I remember it only too well, but it was certainly not at Zéna′s, who never set eyes on Bornier in her life, and would probably think if you spoke to her of the Fille de Roland that you meant a Bonaparte Princess who was said at one time to be engaged to the son of the King of Greece; no, it was at the Austrian Embassy. Dear Hoyos imagined he was giving me a great treat by planting on the chair next to mine that pestiferous academician. I quite thought I had a squadron of mounted police sitting beside me. I was obliged to stop my nose as best I could, all through dinner; until the gruyère came round I didn′t dare to breathe.” M. de Guermantes, whose secret object was attained, made a furtive examination of his guests′ faces to judge the effect of the Duchess′s pleasantry. “You were speaking of correspondence; I must say, I thought Gambetta′s admirable,” she went on, to shew that she was not afraid to be found taking an interest in a proletarian and a radical. M. de Bréauté, who fully appreciated the brilliance of this feat of daring, gazed round him with an eye at once flashing and affectionate, after which he wiped his monocle.
— Mon Dieu, c′était bougrement embêtant la Fille de Roland , dit M. de Guermantes, avec la satisfaction que lui donnait le sentiment de sa supériorité sur une oeuvre à laquelle il s′était tant ennuyé, peut-être aussi par le suave mari magno que nous éprouvons, au milieu d′un bon dîner, à nous souvenir d′aussi terribles soirées. Mais il y avait quelques beaux vers, un sentiment patriotique.
“Gad, it′s infernally dull that Fille de Roland,” said M. de Guermantes, with the satisfaction which he derived from the sense of his own superiority to a work which had bored him so, perhaps also from the suave mari magno feeling one has in the middle of a good dinner, when one recalls so terrible an evening in the past. “Still, there were some quite good lines in it, and a patriotic sentiment.”
J′insinuai que je n′avais aucune admiration pour M. de Bornier. «Ah! vous avez quelque chose à lui reprocher?» me demanda curieusement le duc qui croyait toujours, quand on disait du mal d′un homme, que cela devait tenir à un ressentiment personnel, et du bien d′une femme que c′était le commencement d′une amourette. — Je vois que vous avez une dent contre lui. Qu′est-ce qu′il vous a fait? Racontez-nous ça! Mais si, vous devez avoir quelque cadavre entre vous, puisque vous le dénigrez. C′est long la Fille de Roland mais c′est assez senti. — Senti est très juste pour un auteur aussi odorant, interrompit ironiquement Mme de Guermantes. Si ce pauvre petit s′est jamais trouvé avec lui, il est assez compréhensible qu′il l′ait dans le nez! — Je dois du reste avouer à Madame, reprit le duc en s′adressant à la princesse de Parme, que, Fille de Roland à part, en littérature et même en musique je suis terriblement vieux jeu, il n′y a pas de si vieux rossignol qui ne me plaise. Vous ne me croiriez peut-être pas, mais le soir, si ma femme se met au piano, il m′arrive de lui demander un vieil air d′Auber, de Bodieu, même de Beethoven! Voilà ce que j′aime. En revanche, pour Wagner, cela m′endort immédiatement. — Vous avez tort, dit Mme de Guermantes, avec des longueurs insupportables Wagner avait du génie. Lohengrin est un chef-d′oeuvre. Même dans Tristan il y a çà et là une page curieuse. Et le Choeur des fileuses du Vaisseau fantôme est une pure merveille. — N′est-ce pas, Babal, dit M. de Guermantes en s′adressant à M. de Bréauté, nous préférons:
I let it be understood that I had no admiration for M. de Bornier. “Indeed! You have some fault to find with him?” the Duke asked with a note of curiosity, for he always imagined when anyone spoke ill of a man that it must be on account of a personal resentment, just as to speak well of a woman marked the beginning of a love-affair. “I see you′ve got your knife into him. What did he do to you? You must tell us. Why yes, there must be some skeleton in the cupboard or you wouldn′t run him down. It′s long-winded, the Fille de Roland, but it′s quite strong in parts.” “Strong is just the right word for an author who smelt like that,” Mme. de Guermantes broke in sarcastically. “If this poor boy ever found himself face to face with him, I can quite understand that he carried away an impression in his nostrils!” “I must confess, though, to Ma′am,” the Duke went on, addressing the Princesse de Parme, “that quite apart from the Fille de Roland, in literature and even in music I am terribly old-fashioned; no old nightingale can be too stale for my taste. You won′t believe me, perhaps, but in the evenings, if my wife sits down to the piano, I find myself calling for some old tune by Auber or Boieldieu, or even Beethoven! That′s the sort of thing that appeals to me. As for Wagner, he sends me to sleep at once.” “You are wrong there,” said Mme. de Guermantes, “in spite of his insufferable long-windedness, Wagner was a genius. Lohengrin is a masterpiece. Even in Tristan there are some amusing passages scattered about. And the Chorus of Spinners in the Flying Dutchman is a perfect marvel.” “A′n′t I right, Babal,” said M. de Guermantes, turning to M. de Bréauté, “what we like is:
«Les rendez-vous de noble compagnie se donnent tous en ce charmant séjour.»
C′est délicieux. Et Fra Diavolo , et la Flûte enchantée , et le Chalet , et les Noces de Figaro , et les Diamants de la Couronne , voilà de la musique! En littérature, c′est la même chose. Ainsi j′adore Balzac, le Bal de Sceaux , les Mohicans de Paris .
«Les rendez-vous de noble compagnie se donnent tous en ce charmant séjour.»
It′s delicious. And Fra Diavolo, and the Magic Flute, and the Chalet, and the Marriage of Figaro, and the Diamants de la Couronne — there′s music for you! It′s the same thing in literature. For instance, I adore Balzac, the Bal de Sceaux, the Mohicans de Paris.”
— Ah! mon cher, si vous partez en guerre sur Balzac, nous ne sommes pas prêts d′avoir fini, attendez, gardez cela pour un jour où Mémé sera là. Lui, c′est encore mieux, il le sait par coeur.
“Oh, my dear, if you are going to begin about Balzac, we shall never hear the end of it; do wait, keep it for some evening when Mémé‘s here. He′s even better, he knows it all by heart.”
Irrité de l′interruption de sa femme, le duc la tint quelques instants sous le feu d′un silence menaçant. Et ses yeux de chasseur avaient l′air de deux pistolets chargés. Cependant Mme d′Arpajon avait échangé avec la princesse de Parme, sur la poésie tragique et autre, des propos qui ne me parvinrent pas distinctement, quand j′entendis celui-ci prononcé par Mme d′Arpajon: «Oh! tout ce que Madame voudra, je lui accorde qu′il nous fait voir le monde en laid parce qu′il ne sait pas distinguer entre le laid et le beau, ou plutôt parce que son insupportable vanité lui fait croire que tout ce qu′il dit est beau, je reconnais avec Votre Altesse que, dans la pièce en question, il y a des choses ridicules, inintelligibles, des fautes de goût, que c′est difficile à comprendre, que cela donne à lire autant de peine que si c′était écrit en russe ou en chinois, car évidemment c′est tout excepté du français, mais quand on a pris cette peine, comme on est récompensé, il y a tant d′imagination!» De ce petit discours je n′avais pas entendu le début. Je finis par comprendre non seulement que le poète incapable de distinguer le beau du laid était Victor Hugo, mais encore que la poésie qui donnait autant de peine à comprendre que du russe ou du chinois était:
Irritated by his wife′s interruption, the Duke held her for some seconds under the fire of a menacing silence. And his huntsman′s eyes reminded me of a brace of loaded pistols. Meanwhile Mme. d′Arpajon had been exchanging with the Princesse de Parme, upon tragic and other kinds of poetry, a series of remarks which did not reach me distinctly until I caught the following from Mme. d′Arpajon: “Oh, Ma′am is sure to be right; I quite admit he makes the world seem ugly, because he′s unable to distinguish between ugliness and beauty, or rather because his insufferable vanity makes him believe that everything he says is beautiful; I agree with your Highness that in the piece we are speaking of there are some ridiculous things, quite unintelligible, errors of taste, that it is difficult to understand, that it′s as much trouble to read as if it was written in Russian or Chinese, for of course it′s anything in the world but French, still when one has taken the trouble, how richly one is rewarded, it′s so full of imagination!” Of this little lecture I had missed the opening sentences. I gathered in the end not only that the poet incapable of distinguishing between beauty and ugliness was Victor Hugo, but furthermore that the poem which was as difficult to understand as Chinese or Russian was
«Lorsque l′enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris», pièce de la première époque du poète et qui est peut-être encore plus près de Mme Deshoulières que du Victor Hugo de la Légende des Siècles . Loin de trouver Mme d′Arpajon ridicule, je la vis (la première, de cette table si réelle, si quelconque, où je m′étais assis avec tant de déception), je la vis par les yeux de l′esprit sous ce bonnet de dentelles, d′où s′échappent les boucles rondes de longs repentirs, que portèrent Mme de Rémusat, Mme de Broglie, Mme de Saint–Aulaire, toutes les femmes si distinguées qui dans leurs ravissantes lettres citent avec tant de savoir et d′à propos Sophocle, Schiller et l′Imitation, mais à qui les premières poésies des romantiques causaient cet effroi et cette fatigue inséparables pour ma grand′mère des derniers vers de Stéphane Mallarmé. «Mme d′Arpajon aime beaucoup la poésie», dit à Mme de Guermantes la princesse de Parme, impressionnée par le ton ardent avec lequel le discours avait été prononcé.
Lorsque l′enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris, a piece dating from the poet′s earliest period, and perhaps even nearer to Mme. Deshoulières than to the Victor Hugo of the Légende des Siècles. Far from condemning Mme. d′Arpajon as absurd, I saw her (the only one, at that table so matter-of-fact, so nondescript, at which I had sat down with such keen disappointment), I saw her in my mind′s eye crowned with that lace cap, with the long spiral ringlets falling from it on either side, which was worn by Mme. de Rémusat, Mme. de Broglie, Mme. de Saint-Aularie, all those distinguished women who in their fascinating letters quote with so much learning and so aptly passages from Sophocles, Schiller and the Imitation, but in whom the earliest poetry of the Romantics induced the alarm and exhaustion inseparable for my grandmother from the latest verses of Stéphane Mallarmé. “Mme. d′Arpajon is very fond of poetry,” said the Princesse de Parme to her hostess, impressed by the ardent tone in which the speech had been delivered.
— Non, elle n′y comprend absolument rien, répondit à voix basse Mme de Guermantes, qui profita de ce que Mme d′Arpajon, répondant à une objection du général de Beautreillis, était trop occupée de ses propres paroles pour entendre celles que chuchota la duchesse. «Elle devient littéraire depuis qu′elle est abandonnée. Je dirai à Votre Altesse que c′est moi qui porte le poids de tout ça, parce que c′est auprès de moi qu′elle vient gémir chaque fois que Basin n′est pas allé la voir, c′est-à-dire presque tous les jours. Ce n′est tout de même pas ma faute si elle l′ennuie, et je ne peux pas le forcer à aller chez elle, quoique j′aimerais mieux qu′il lui fût un peu plus fidèle, parce que je la verrais un peu moins. Mais elle l′assomme et ce n′est pas extraordinaire. Ce n′est pas une mauvaise personne, mais elle est ennuyeuse à un degré que vous ne pouvez pas imaginer. Elle me donne tous les jours de tels maux de tête que je suis obligée de prendre chaque fois un cachet de pyramidon. Et tout cela parce qu′il a plu à Basin pendant un an de me trompailler avec elle. Et avoir avec cela un valet de pied qui est amoureux d′une petite grue et qui fait des têtes si je ne demande pas à cette jeune personne de quitter un instant son fructueux trottoir pour venir prendre le thé avec moi! Oh! la vie est assommante», conclut langoureusement la duchesse. Mme d′Arpajon assommait surtout M. de Guermantes parce qu′il était depuis peu l′amant d′une autre que j′appris être la marquise de Surgis-le-Duc. Justement le valet de pied privé de son jour de sortie était en train de servir. Et je pensai que, triste encore, il le faisait avec beaucoup de trouble, car je remarquai qu′en passant les plats à M. de Châtellerault, il s′acquittait si maladroitement de sa tâche que le coude du duc se trouva cogner à plusieurs reprises le coude du servant. Le jeune duc ne se fâcha nullement contre le valet de pied rougissant et le regarda au contraire en riant de son oeil bleu clair. La bonne humeur me sembla être, de la part du convive, une preuve de bonté. Mais l′insistance de son rire me fit croire qu′au courant de la déception du domestique il éprouvait peut-être au contraire une joie méchante. «Mais, ma chère, vous savez que ce n′est pas une découverte que vous faites en nous parlant de Victor Hugo, continua la duchesse en s′adressant cette fois à Mme d′Arpajon qu′elle venait de voir tourner la tête d′un air inquiet. N′espérez pas lancer ce débutant. Tout le monde sait qu′il a du talent. Ce qui est détestable c′est le Victor Hugo de la fin, la Légende des Siècles , je ne sais plus les titres. Mais les Feuilles d′Automne , les Chants du Crépuscule , c′est souvent d′un poète, d′un vrai poète. Même dans les Contemplations , ajouta la duchesse, que ses interlocuteurs n′osèrent pas contredire et pour cause, il y a encore de jolies choses. Mais j′avoue que j′aime autant ne pas m′aventurer après le Crépuscule ! Et puis dans les belles poésies de Victor Hugo, et il y en a, on rencontre souvent une idée, même une idée profonde.» Et avec un sentiment juste, faisant sortir la triste pensée de toutes les forces de son intonation, la posant au delà de sa voix, et fixant devant elle un regard rêveur et charmant, la duchesse dit lentement: «Tenez:
“No; she knows absolutely nothing about it,” replied Mme. de Guermantes in an undertone, taking advantage of the fact that Mme. d′Arpajon, who was dealing with an objection raised by General de Beautreillis, was too much intent upon what she herself was saying to hear what was being murmured by the Duchess. “She has become literary since she′s been forsaken. I can tell your Highness that it is I who have to bear the whole burden of it because it is to me that she comes in floods of tears whenever Basin hasn′t been to see her, which is practically every day. And yet it isn′t my fault, after all, if she bores him, and I can′t force him to go to her, although I would rather he were a little more faithful to her, because then I shouldn′t see quite so much of her myself. But she drives him crazy, and there′s nothing extraordinary in that. She isn′t a bad sort, but she′s boring to a degree you can′t imagine. And all this because Basin took it into his head for a year or so to play me false with her. And to have in addition a footman who has fallen in love with a little street-walker and goes about with a long face if I don′t request the young person to leave her profitable pavement for half an hour and come to tea with me! Oh! Life really is too tedious!” the Duchess languorously concluded. Mme. d′Arpajon bored M. de Guermantes principally because he had recently fallen in love with another, whom I discovered to be the Marquise de Surgis-le-Duc. At this moment the footman who had been deprived of his holiday was waiting at table. And it struck me that, still disconsolate, he was doing it with a good deal of difficulty, for I noticed that, in handing the dish to M. de Châtellerault, he performed his task so awkwardly that the Duke′s elbow came in contact several times with his own. The young Duke was not in the least annoyed with the blushing footman, but looked up at him rather with a smile in his clear blue eyes. This good humour seemed to me on the guest′s part to betoken a kindness of heart. But the persistence of his smile led me to think that, aware of the servant′s discomfiture, what he felt was perhaps really a malicious joy. “But, my dear, you know you′re not revealing any new discovery when you tell us about Victor Hugo,” went on the Duchess, this time addressing Mme. d′Arpajon whom she had just seen turn away from the General with a troubled air. “You mustn′t expect to launch that young genius. Everybody knows that he has talent. What is utterly detestable is the Victor Hugo of the last stage, the Légende des Siècles, I forget all their names. But in the Feuilles d′Automne, the Chants du Crépuscule, there′s a great deal that′s the work of a poet, a true poet! Even in the Contemplations,” went on the Duchess, whom none of her listeners dared to contradict, and with good reason, “there are still some quite pretty things. But I confess that I prefer not to venture farther than the Crepuscule! And then in the finer poems of Victor Hugo, and there really are some, one frequently comes across an idea, even a profound idea.” And with the right shade of sentiment, bringing out the sorrowful thought with the full strength of her intonation, planting it somewhere beyond the sound of her voice, and fixing straight in front of her a charming, dreamy gaze, the Duchess said slowly: “Take this:
La douleur est un fruit, Dieu ne le fait pas croître Sur la branche trop faible encor pour le porter
,
ou bien encore:
Les morts durent bien peu, [/i > Hélas, dans le cercueil ils tombent en poussière Moins vite qu′en nos coeurs
!»
La douleur est un fruit, Dieu ne le fait pas croître Sur la branche trop faible encor pour le porter
, Or, better still:
Les morts durent bien peu, [/i > Hélas, dans le cercueil ils tombent en poussière Moins vite qu′en nos coeurs
!»
Et tandis qu′un sourire désenchanté fronçait d′une gracieuse sinuosité sa bouche douloureuse, la duchesse fixa sur Mme d′Arpajon le regard rêveur de ses yeux clairs et charmants. Je commençais à les connaître, ainsi que sa voix, si lourdement traînante, si âprement savoureuse. Dans ces yeux et dans cette voix je retrouvais beaucoup de la nature de Combray. Certes, dans l′affectation avec laquelle cette voix faisait apparaître par moments une rudesse de terroir, il y avait bien des choses: l′origine toute provinciale d′un rameau de la famille de Guermantes, resté plus longtemps localisé, plus hardi, plus sauvageon, plus provocant; puis l′habitude de gens vraiment distingués et de gens d′esprit, qui savent que la distinction n′est pas de parler du bout des lèvres, et aussi de nobles fraternisant plus volontiers avec leurs paysans qu′avec des bourgeois; toutes particularités que la situation de reine de Mme de Guermantes lui avait permis d′exhiber plus facilement, de faire sortir toutes voiles dehors. Il paraît que cette même voix existait chez des soeurs à elle, qu′elle détestait, et qui, moins intelligentes et presque bourgeoisement mariées, si on peut se servir de cet adverbe quand il s′agit d′unions avec des nobles obscurs, terrés dans leur province ou à Paris, dans un faubourg Saint–Germain sans éclat, possédaient aussi cette voix mais l′avaient refrénée, corrigée, adoucie autant qu′elles pouvaient, de même qu′il est bien rare qu′un d′entre nous ait le toupet de son originalité et ne mette pas son application à ressembler aux modèles les plus vantés. Mais Oriane était tellement plus intelligente, tellement plus riche, surtout tellement plus à la mode que ses soeurs, elle avait si bien, comme princesse des Laumes, fait la pluie et le beau temps auprès du prince de Galles, qu′elle avait compris que cette voix discordante c′était un charme, et qu′elle en avait fait, dans l′ordre du monde, avec l′audace de l′originalité et du succès, ce que, dans l′ordre du théâtre, une Réjane, une Jeanne Granier (sans comparaison du reste naturellement entre la valeur et le talent de ces deux artistes) ont fait de la leur, quelque chose d′admirable et de distinctif que peut-être des soeurs Réjane et Granier, que personne n′a jamais connues, essayèrent de masquer comme un défaut.
And, while a smile of disillusionment contracted with a graceful undulation her sorrowing lips, the Duchess fastened on Mme. d′Arpajon the dreaming gaze of her charming, clear blue eyes. I was beginning to know them, as well as her voice, with its heavy drawl, its harsh savour. In those eyes and in that voice, I recognised much of the life of nature round Combray. Certainly, in the affectation with which that voice brought into prominence at times a rudeness of the soil there was more than one element: the wholly provincial origin of one branch of the Guermantes family, which had for long remained more localised, more hardy, wilder, more provoking than the rest; and also the usage of really distinguished people, and of witty people who know that distinction does not consist in mincing speech, and the usage of nobles who fraternise more readily with their peasants than with the middle classes; peculiarities all of which the regal position of Mme. de Guermantes enabled her to display more easily to bring out with every sail spread. It appears that the same voice existed also in certain of her sisters whom she detested, and who, less intelligent than herself and almost plebeianly married, if one may coin this adverb to speak of unions with obscure noblemen, entrenched on their provincial estates, or, in Paris, in a Faubourg Saint-Germain of no brilliance, possessed this voice also but had bridled it, corrected it, softened it so far as lay in their power, just as it is very rarely that any of us presumes on his own originality and does not apply himself diligently to copying the most approved models. But Oriane was so much more intelligent, so much richer, above all, so much more in fashion than her sisters, she had so effectively, when Princesse des Laumes, behaved just as she pleased in the company of the Prince of Wales, that she had realised that this discordant voice was an attraction, and had made of it, in the social order, with the courage of originality rewarded by success, what in the theatrical order a Réjane, a Jeanne Granier (which implies no comparison, naturally, between the respective merits and talents of those two actresses) had made of theirs, something admirable and distinctive which possibly certain Réjane and Granier sisters, whom no one has ever known, strove to conceal as a defect.
A tant de raisons de déployer son originalité locale, les écrivains préférés de Mme de Guermantes: Mérimée, Meilhac et Halévy, étaient venus ajouter, avec le respect du naturel, un désir de prosaî²e par où elle atteignait à la poésie et un esprit purement de société qui ressuscitait devant moi des paysages. D′ailleurs la duchesse était fort capable, ajoutant à ces influences une recherche artiste, d′avoir choisi pour la plupart des mots la prononciation qui lui semblait le plus Ile-de-France , le plus Champenoise , puisque, sinon tout à fait au degré de sa belle-soeur Marsantes, elle n′usait guère que du pur vocabulaire dont eût pu se servir un vieil auteur français. Et quand on était fatigué du composite et bigarré langage moderne, c′était, tout en sachant qu′elle exprimait bien moins de choses, un grand repos d′écouter la causerie de Mme de Guermantes — presque le même, si l′on était seul avec elle et qu′elle restreignît et clarifiât encore son flot, que celui qu′on éprouve à entendre une vieille chanson. Alors en regardant, en écoutant Mme de Guermantes, je voyais, prisonnier dans la perpétuelle et quiète après-midi de ses yeux, un ciel d′Ile-de-France ou de Champagne se tendre, bleuâtre, oblique, avec le même angle d′inclinaison qu′il avait chez Saint–Loup.
To all these reasons for displaying her local originality, the favourite writers of Mme. de Guermantes — Mérimée, Meilhac and Halévy — had brought in addition, with the respect for what was natural, a feeling for the prosaic by which she attained to poetry and a spirit purely of society which called up distant landscapes before my eyes. Besides, the Duchess was fully capable, adding to these influences an artistic research of her own, of having chosen for the majority of her words the pronunciation that seemed to her most ‘He de France,′ most ‘Champenoise,′ since, if not quite to the same extent as her sister-in-law Marsantes, she rarely used anything but the pure vocabulary that might have been employed by an old French writer. And when one was tired of the composite patchwork of modern speech, it was, albeit one was aware that she expressed far fewer ideas, a thorough relaxation to listen to the talk of Mme. de Guermantes — almost the same feeling, if one was alone with her and she restrained and clarified still further her flow of words, as one has on hearing an old song. Then, as I looked at, as I listened to Mme. de Guermantes, I could see, a prisoner in the perpetual and quiet afternoon of her eyes, a sky of the He de France or of Champagne spread itself, grey-blue, oblique, with the same angle of inclination as in the eyes of Saint-Loup.
Ainsi, par ces diverses formations, Mme de Guermantes exprimait à la fois la plus ancienne France aristocratique, puis, beaucoup plus tard, la façon dont la duchesse de Broglie aurait pu goûter et blâmer Victor Hugo sous la monarchie de juillet, enfin un vif goût de la littérature issue de Mérimée et de Meilhac. La première de ces formations me plaisait mieux que la seconde, m′aidait davantage à réparer la déception du voyage et de l′arrivée dans ce faubourg Saint–Germain, si différent de ce que j′avais cru, mais je préférais encore la seconde à la troisième. Or, tandis que Mme de Guermantes était Guermantes presque sans le vouloir, son Pailleronisme, son goût pour Dumas fils étaient réfléchis et voulus. Comme ce goût était à l′opposé du mien, elle fournissait à mon esprit de la littérature quand elle me parlait du faubourg Saint–Germain, et ne me paraissait jamais si stupidement faubourg Saint–Germain que quand elle me parlait littérature.
Thus, by these several formations, Mme. de Guermantes expressed at once the most ancient aristocratic France, then, from a far later source, the manner in which the Duchesse de Broglie might have enjoyed and found fault with Victor Hugo under the July Monarchy, and, finally, a keen taste for the literature that sprang from Mérimée and Meilhac. The first of these formations attracted me more than the second, did more to console me for the disappointments of my pilgrimage to and arrival in the Faubourg Saint-Germain, so different from what I had imagined it to be; but even the second I preferred to the last. For, so long as Mme. de Guermantes was being, almost spontaneously, a Guermantes and nothing more, her Pailleronism, her taste for the younger Dumas were reflected and deliberate. As this taste was the opposite of my own, she was productive, to my mind, of literature when she talked to me of the Faubourg Saint-Germain, and never seemed to me so stupidly Faubourg Saint-Germain as when she was talking literature.
Émue par les derniers vers, Mme d′Arpajon s′écria: — Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière! Monsieur, il faudra que vous m′écriviez cela sur mon éventail, dit-elle à M. de Guermantes. — Pauvre femme, elle me fait de la peine! dit la princesse de Parme à Mme de Guermantes. — Non, que madame ne s′attendrisse pas, elle n′a que ce qu′elle mérite. — Mais . . . pardon de vous dire cela à vous . . . cependant elle l′aime vraiment! — Mais pas du tout, elle en est incapable, elle croit qu′elle l′aime comme elle croit en ce moment qu′elle cite du Victor Hugo parce qu′elle dit un vers de Musset. Tenez, ajouta la duchesse sur un ton mélancolique, personne plus que moi ne serait touchée par un sentiment vrai. Mais je vais vous donner un exemple. Hier, elle a fait une scène terrible à Basin. Votre Altesse croit peut-être que c′était parce qu′il en aime d′autres, parce qu′il ne l′aime plus; pas du tout, c′était parce qu′il ne veut pas présenter ses fils au Jockey! Madame trouve-t-elle que ce soit d′une amoureuse? Non! Je vous dirai plus, ajouta Mme de Guermantes avec précision, c′est une personne d′une rare insensibilité. Cependant c′est l′oeil brillant de satisfaction que M. de Guermantes avait écouté sa femme parler de Victor Hugo à «brûle-pourpoint» et en citer ces quelques vers. La duchesse avait beau l′agacer souvent, dans des moments comme ceux-ci il était fier d′elle. «Oriane est vraiment extraordinaire. Elle peut parler de tout, elle a tout lu. Elle ne pouvait pas deviner que la conversation tomberait ce soir sur Victor Hugo. Sur quelque sujet qu′on l′entreprenne, elle est prête, elle peut tenir tête aux plus savants. Ce jeune homme doit être subjugué.
Moved by this last quotation, Mme. d′Arpajon exclaimed: “′Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière!′— Sir, you must write that down for me on my fan,” she said to M. de Guermantes. “Poor woman, I feel sorry for her!” said the Princesse de Parme to Mme. de Guermantes. “No, really, Ma′am, you must not be soft-hearted, she has only got what she deserves.” “But — you′ll forgive me for saying this to you — she does really love him all the same!” “Oh, not at all; she isn′t capable of it; she thinks she loves him just as she thought just now she was quoting Victor Hugo, when she repeated a line from Musset. Listen,” the Duchess went on in a tone of melancholy, “nobody would be more touched than myself by any true sentiment. But let me give you an instance. Only yesterday, she made a terrible scene with Basin. Your Highness thinks perhaps that it was because he′s in love with other women, because he no longer loves her; not in the least, it was because he won′t put her sons down for the Jockey. Does Ma′am call that the behaviour of a woman in love? No; I will go farther;” Mme. de Guermantes added with precision, “she is a person of singular insensibility.” Meanwhile it was with an eye sparkling with satisfaction that M. de Guermantes had listened to his wife talking about Victor Hugo ‘point-blank′ and quoting his poetry. The Duchess might frequently annoy him; at moments like this he was proud of her. “Oriane is really extraordinary. She can talk about anything, she has read everything. She could not possibly have guessed that the conversation this evening would turn on Victor Hugo. Whatever subject you take up, she is ready for you, she can hold her own with the most learned scholars. This young man must be quite captivated.”
— Mais changeons de conversation, ajouta Mme de Guermantes, parce qu′elle est très susceptible. Vous devez me trouver bien démodée, reprit-elle en s′adressant à moi, je sais qu′aujourd′hui c′est considéré comme une faiblesse d′aimer les idées enésie, la poésie où il y a une pensée. — C′est démodé? dit la princesse de Parme avec le léger saisissement que lui causait cette vague nouvelle à laquelle elle ne s′attendait pas, bien qu′elle sût que la conversation de la duchesse de Guermantes lui réservât toujours ces chocs successifs et délicieux, cet essoufflant effroi, cette saine fatigue après lesquels elle pensait instinctivement à la nécessité de prendre un bain de pieds dans une cabine et de marcher vite pour «faire la réaction».
“Do let us change the conversation,” Mme. de Guermantes went on, “because she′s dreadfully susceptible. You will think me quite old-fashioned,” she began, turning to me. “I know that nowadays it′s considered a weakness to care for ideas in poetry, poetry with some thought in it.” “Old-fashioned?” asked the Princesse de Parme, quivering with the slight thrill sent through her by this new wave which she had not expected, albeit she knew that the conversation of the Duchesse de Guermantes always held in store for her these continuous and delightful shocks, that breath-catching panic, that wholesome exhaustion after which her thoughts instinctively turned to the necessity of taking a footbath in a dressing cabin and a brisk walk to ‘restore her circulation.′
— Pour ma part, non, Oriane, dit Mme de Brissac, je n′en veux pas à Victor Hugo d′avoir des idées, bien au contraire, mais de les chercher dans ce qui est monstrueux. Au fond c′est lui qui nous a habitués au laid en littérature. Il y a déjà bien assez de laideurs dans la vie. Pourquoi au moins ne pas les oublier pendant que nous lisons? Un spectacle pénible dont nous nous détournerions dans la vie, voilà ce qui attire Victor Hugo.
“For my part, no, Oriane,” said Mme. de Brissac, “I don′t in the least object to Victor Hugo′s having ideas, quite the contrary, but I do object to his seeking for them in sheer monstrosities. After all, it was he who accustomed us to ugliness in literature. There are quite enough ugly things already in real life. Why can′t we be allowed at least to forget it while we are reading. A distressing spectacle, from which we should turn away in real life, that is what attracts Victor Hugo.”
— Victor Hugo n′est pas aussi réaliste que Zola, tout de même? demanda la princesse de Parme. Le nom de Zola ne fit pas bouger un muscle dans le visage de M. de Beautreillis. L′antidreyfusisme du général était trop profond pour qu′il cherchât à l′exprimer. Et son silence bienveillant quand on abordait ces sujets touchait les profanes par la même délicatesse qu′un prêtre montre en évitant de vous parler de vos devoirs religieux, un financier en s′appliquant à ne pas recommander les affaires qu′il dirige, un hercule en se montrant doux et en ne vous donnant pas de coups de poings. — Je sais que vous êtes parent de l′amiral Jurien de la Gravière, me dit d′un air entendu Mme de Varambon, la dame d′honneur de la princesse de Parme, femme excellente mais bornée, procurée à la princesse de Parme jadis par la mère du duc. Elle ne m′avait pas encore adressé la parole et je ne pus jamais dans la suite, malgré les admonestations de la princesse de Parme et mes propres protestations, lui ôter de l′esprit l′idée que je n′avais quoi que ce fût à voir avec l′amiral académicien, lequel m′était totalement inconnu. L′obstination de la dame d′honneur de la princesse de Parme à voir en moi un neveu de l′amiral Jurien de la Gravière avait en soi quelque chose de vulgairement risible. Mais l′erreur qu′elle commettait n′était que le type excessif et desséché de tant d′erreurs plus légères, mieux nuancées, involontaires ou voulues, qui accompagnent notre nom dans la «fiche» que le monde établit relativement à nous. Je me souviens qu′un ami des Guermantes, ayant vivement manifesté son désir de me connaître, me donna comme raison que je connaissais très bien sa cousine, Mme de Chaussegros, «elle est charmante, elle vous aime beaucoup». Je me fis un scrupule, bien vain, d′insister sur le fait qu′il y avait erreur, que je ne connaissais pas Mme de Chaussegros. «Alors c′est sa soeur que vous connaissez, c′est la même chose. Elle vous a rencontré en Écosse.» Je n′étais jamais allé en Écosse et pris la peine inutile d′en avertir par honnêteté mon interlocuteur. C′était Mme de Chaussegros elle-même qui avait dit me connaître, et le croyait sans doute de bonne foi, à la suite d′une confusion première, car elle ne cessa jamais plus de me tendre la main quand elle m′apercevait. Et comme, en somme, le milieu que je fréquentais était exactement celui de Mme de Chaussegros, mon humilité ne rimait à rien. Que je fusse intime avec les Chaussegros était, littéralement, une erreur, mais, au point de vue social, un équivalent de ma situation, si on peut parler de situation pour un aussi jeune homme que j′étais. L′ami des Guermantes eut donc beau ne me dire que des choses fausses sur moi, il ne me rabaissa ni ne me suréleva (au point de vue mondain) dans l′idée qu′il continua à se faire de moi. Et somme toute, pour ceux qui ne jouent pas la comédie, l′ennui de vivre toujours dans le même personnage est dissipé un instant, comme si l′on montait sur les planches, quand une autre personne se fait de vous une idée fausse, croit que nous sommes liés avec une dame que nous ne connaissons pas et que nous sommes notés pour avoir connue au cours d′un charmant voyage que nous n′avons jamais fait. Erreurs multiplicatrices et aimables quand elles n′ont pas l′inflexible rigidité de celle que commettait et commit toute sa vie, malgré mes dénégations, l′imbécile dame d′honneur de Mme de Parme, fixée pour toujours à la croyance que j′étais parent de l′ennuyeux amiral Jurien de la Gravière. «Elle n′est pas très forte, me dit le duc, et puis il ne lui faut pas trop de libations, je la crois légèrement sous l′influence de Bacchus.» En réalité Mme de Varambon n′avait bu que de l′eau, mais le duc aimait à placer ses locutions favorites. «Mais Zola n′est pas un réaliste, madame! c′est un poète!» dit Mme de Guermantes, s′inspirant des études critiques qu′elle avait lues dans ces dernières années et les adaptant à son génie personnel. Agréablement bousculée jusqu′ici, au cours du bain d′esprit, un bain agité pour elle, qu′elle prenait ce soir, et qu′elle jugeait devoir lui être particulièrement salutaire, se laissant porter par les paradoxes qui déferlaient l′un après l′autre, devant celui-ci, plus énorme que les autres, la princesse de Parme sauta par peur d′être renversée. Et ce fut d′une voix entrecoupée, comme si elle perdait sa respiration, qu′elle dit:
“Victor Hugo is not as realistic as Zola though, surely?” asked the Princesse de Parme. The name of Zola did not stir a muscle on the face of M. de Beautreillis. The General′s anti-Dreyfusism was too deep-rooted for him to seek to give expression to it. And his good-natured silence when anyone broached these topics moved the profane heart as a proof of the same delicacy that a priest shews in avoiding any reference to your religious duties, a financier when he takes care not to recommend your investing in the companies which he himself controls, a strong man when he behaves with lamblike gentleness and does not hit you in the jaw. “I know you′re related to Admiral Jurien de la Gravière,” was murmured to me with an air of connivance by Mme. de Varambon, the lady in waiting to the Princesse de Parme, an excellent but limited woman, procured for the Princess in the past by the Duke′s mother. She had not previously uttered a word to me, and I could never afterwards, despite the admonitions of the Princess and my own protestations, get out of her mind the idea that I was in some way connected with the Academician Admiral, who was a complete stranger to me. The obstinate persistence of the Princesse de Parme′s lady in waiting in seeing in me a nephew of Admiral Jurien de la Gravière was in itself quite an ordinary form of silliness. But the mistake she made was only a crowning instance of all the other mistakes, less serious, more elaborate, unconscious or deliberate, which accompany one′s name on the label which society writes out and attaches to one. I remember that a friend of the Guermantes who had expressed a keen desire to meet me gave me as the reason that I was a great friend of his cousin, Mme. de Chaussegros. “She is a charming person, she′s so fond of you.” I scrupulously, though quite vainly, insisted on the fact that there must be some mistake, as I did not know Mme. de Chaussegros. “Then it′s her sister you know; it comes to the same thing. She met you in Scotland.” I had never been in Scotland, and took the futile precaution, in my honesty, of letting my informant know this. It was Mme. de Chaussegros herself who had said that she knew me, and no doubt sincerely believed it, as a result of some initial confusion, for from that time onwards she never failed to hold out her hand to me whenever she saw me. And as, after all, the world in which I moved was precisely that in which Mme. de Chaussegros moved my modesty had neither rhyme nor reason. To say that I was intimate with the Chaussegros was, literally, a mistake, but from the social point of view was to state an equivalent of my position, if one can speak of the social position of so young a man as I then was. It therefore mattered not in the least that this friend of the Guermantes should tell me only things that were false about myself, he neither lowered nor exalted me (from the worldly point of view) in the idea which he continued to hold of me. And when all is said, for those of us who are not professional actors the tedium of living always in the same character is removed for a moment, as if we were to go on the boards, when another person forms a false idea of us, imagines that we are friends with a lady whom we do not know and are reported to have met in the course of a delightful tour of a foreign country which we have never made. Errors that multiply themselves and are harmless when they have not the inflexible rigidity of this one which had been committed, and continued for the rest of her life to be committed, in spite of my denials, by the imbecile lady in waiting to Mme. de Parme, rooted for all time in the belief that I was related to the tiresome Admiral Jurien de la Gravière. “She is not very strong in her head,” the Duke confided to me, “and besides, she ought not to indulge in too many libations. I fancy, she′s slightly under the influence of Bacchus.” As a matter of fact Mme. de Varambon had drunk nothing but water, but the Duke liked to find scope for his favourite figures of speech. “But Zola is not a realist, Ma′am, he′s a poet!” said Mme. de Guermantes, drawing inspiration from the critical essays which she had read in recent years and adapting them to her own personal genius. Agreeably buffeted hitherto, in the course of this bath of wit, a bath stirred for herself, which she was taking this evening and which, she considered, must be particularly good for her health, letting herself be swept away by the waves of paradox which curled and broke one after another, before this, the most enormous of them all, the Princesse de Parme jumped for fear of being knocked over. And it was in a choking voice, as though she were quite out of breath, that she now gasped:
— Zola un poète! — Mais oui, répondit en riant la duchesse, ravie par cet effet de suffocation. Que Votre Altesse remarque comme il grandit tout ce qu′il touche. Vous me direz qu′il ne touche justement qu′à ce qui . . . porte bonheur! Mais il en fait quelque chose d′immense; il a le fumier épique! C′est l′Homère de la vidange! Il n′a pas assez de majuscules pour écrire le mot de Cambronne. Malgré l′extrême fatigue qu′elle commençait à éprouver, la princesse était ravie, jamais elle ne s′était sentie mieux. Elle n′aurait pas échangé contre un séjour à Schoenbrunn, la seule chose pourtant qui la flattât, ces divins dîners de Mme de Guermantes rendus tonifiants par tant de sel. — Il l′écrit avec un grand C, s′écria Mme d′Arpajon. — Plutôt avec un grand M, je pense, ma petite, répondit Mme de Guermantes, non sans avoir échangé avec son mari un regard gai qui voulait dire: «Est-elle assez idiote!» — Tenez, justement, me dit Mme de Guermantes en attachant sur moi un regard souriant et doux et parce qu′en maîtresse de maison accomplie elle voulait, sur l′artiste qui m′intéressait particulièrement, laisser paraître son savoir et me donner au besoin l′occasion de faire montre du mien, tenez, me dit-elle en agitant légèrement son éventail de plumes tant elle était consciente à ce moment-là qu′elle exerçait pleinement les devoirs de l′hospitalité et, pour ne manquer à aucun, faisant signe aussi qu′on me redonnât des asperges sauce mousseline, tenez, je crois justement que Zola a écrit une étude sur Elstir, ce peintre dont vous avez été regarder quelques tableaux tout à l′heure, les seuls du reste que j′aime de lui, ajouta-t-elle. En réalité, elle détestait la peinture d′Elstir, mais trouvait d′une qualité unique tout ce qui était chez elle. Je demandai à M. de Guermantes s′il savait le nom du monsieur qui figurait en chapeau haut de forme dans le tableau populaire, et que j′avais reconnu pour le même dont les Guermantes possédaient tout à côté le portrait d′apparat, datant à peu près de cette même période où la personnalité d′Elstir n′était pas encore complètement dégagée et s′inspirait un peu de Manet. «Mon Dieu, me répondit-il, je sais que c′est un homme qui n′est pas un inconnu ni un imbécile dans sa spécialité, mais je suis brouillé avec les noms. Je l′ai là sur le bout de la langue, monsieur . . . monsieur . . . enfin peu importe, je ne sais plus. Swann vous dirait cela, c′est lui qui a fait acheter ces machines à Mme de Guermantes, qui est toujours trop aimable, qui a toujours trop peur de contrarier si elle refuse quelque chose; entre nous, je crois qu′il nous a collé des croûtes. Ce que je peux vous dire, c′est que ce monsieur est pour M. Elstir une espèce de Mécène qui l′a lancé, et l′a souvent tiré d′embarras en lui commandant des tableaux. Par reconnaissance — si vous appelez cela de la reconnaissance, ça dépend des goûts — il l′a peint dans cet endroit-là où avec son air endimanché il fait un assez drôle d′effet.
Ça peut être un pontife très calé, mais il ignore évidemment dans quelles circonstances on met un chapeau haut de forme. Avec le sien, au milieu de toutes ces filles en cheveux, il a l′air d′un petit notaire de province en goguette. Mais dites donc, vous me semblez tout à fait féru de ces tableaux. Si j′avais su ça, je me serais tuyauté pour vous répondre. Du reste, il n′y a pas lieu de se mettre autant martel en tête pour creuser la peinture de M. Elstir que s′il s′agissait de la Source d′Ingres ou des Enfants d′Édouard de Paul Delaroche. Ce qu′on apprécie là dedans, c′est que c′est finement observé, amusant, parisien, et puis on passe. Il n′y a pas besoin d′être un érudit pour regarder ça. Je sais bien que ce sont de simples pochades, mais je ne trouve pas que ce soit assez travaillé. Swann avait le toupet de vouloir nous faire acheter une Botte d′Asperges . Elles sont même restées ici quelques jours. Il n′y avait que cela dans le tableau, une botte d′asperges précisément semblables à celles que vous êtes en train d′avaler. Mais moi je me suis refusé à avaler les asperges de M. Elstir. Il en demandait trois cents francs. Trois cents francs une botte d′asperges! Un louis, voilà ce que ça vaut, même en primeurs! Je l′ai trouvée roide. Dès qu′à ces choses-là il ajoute des personnages, cela a un côté canaille, pessimiste, qui me déplaît. Je suis étonné de voir un esprit fin, un cerveau distingué comme vous, aimer cela.» — Mais je ne sais pas pourquoi vous dites cela, Basin, dit la duchesse qui n′aimait pas qu′on dépréciât ce que ses salons contenaient. Je suis loin de tout admettre sans distinction dans les tableaux d′Elstir. Il y a à prendre et à laisser. Mais ce n′est toujours pas sans talent. Et il faut avouer que ceux que j′ai achetés sont d′une beauté rare. — Oriane, dans ce genre-là je préfère mille fois la petite étude de M. Vibert que nous avons vue à l′Exposition des aquarellistes. Ce n′est rien si vous voulez, cela tiendrait dans le creux de la main, mais il y a de l′esprit jusqu′au bout des ongles: ce missionnaire décharné, sale, devant ce prélat douillet qui fait jouer son petit chien, c′est tout un petit poème de finesse et même de profondeur. — Je crois que vous connaissez M. Elstir, me dit la duchesse. L′homme est agréable. — Il est intelligent, dit le duc, on est étonné, quand on cause avec lui, que sa peinture soit si vulgaire. — Il est plus qu′intelligent, il est même assez spirituel, dit la duchesse de l′air entendu et dégustateur d′une personne qui s′y connaît. — Est-ce qu′il n′avait pas commencé un portrait de vous, Oriane? demanda la princesse de Parme. — Si, en rouge écrevisse, répondit Mme de Guermantes, mais ce n′est pas cela qui fera passer son nom à la postérité. C′est une horreur, Basin voulait le détruire. Cette phrase-là, Mme de Guermantes la disait souvent. Mais d′autres fois, son appréciation était autre: «Je n′aime pas sa peinture, mais il a fait autrefois un beau portrait de moi.» L′un de ces jugements s′adressait d′habitude aux personnes qui parlaient à la duchesse de son portrait, l′autre à ceux qui ne lui en parlaient pas et à qui elle désirait en apprendre l′existence. Le premier lui était inspiré par la coquetterie, le second par la vanité. — Faire une horreur avec un portrait de vous! Mais alors ce n′est pas un portrait, c′est un mensonge: moi qui sais à peine tenir un pinceau, il me semble que si je vous peignais, rien qu′en représentant ce que je vois je ferais un chef-d′oeuvre, dit naîµ¥ment la princesse de Parme. — Il me voit probablement comme je me vois, c′est-à-dire dépourvue d′agrément, dit Mme de Guermantes avec le regard à la fois mélancolique, modeste et câlin qui lui parut le plus propre à la faire paraître autre que ne l′avait montrée Elstir. — Ce portrait ne doit pas déplaire à Mme de Gallardon, dit le duc. — Parce qu′elle ne s′y connaît pas en peinture? demanda la princesse de Parme qui savait que Mme de Guermantes méprisait infiniment sa cousine. Mais c′est une très bonne femme n′est-ce pas? Le duc prit un air d′étonnement profond. «Mais voyons, Basin, vous ne voyez pas que la princesse se moque de vous (la princesse n′y songeait pas). Elle sait aussi bien que vous que Gallardonette est une vieille poison », reprit Mme de Guermantes, dont le vocabulaire, habituellement limité à toutes ces vieilles expressions, était savoureux comme ces plats possibles à découvrir dans les livres délicieux de Pampille, mais dans la réalité devenus si rares, où les gelées, le beurre, le jus, les quenelles sont authentiques, ne comportent aucun alliage, et même où on fait venir le sel des marais salants de Bretagne: à l′accent, au choix des mots on sentait que le fond de conversation de la duchesse venait directement de Guermantes. Par là, la duchesse différait profondément de son neveu Saint–Loup, envahi par tant d′idées et d′expressions nouvelles; il est difficile, quand on est troublé par les idées de Kant et la nostalgie de Baudelaire, d′écrire le français exquis d′Henri IV, de sorte que la pureté même du langage de la duchesse était un signe de limitation, et qu′en elle, et l′intelligence et la sensibilité étaient restées fermées à toutes les nouveautés. Là encore l′esprit de Mme de Guermantes me plaisait justement par ce qu′il excluait (et qui composait précisément la matière de ma propre pensée) et tout ce qu′à cause de cela même il avait pu conserver, cette séduisante vigueur des corps souples qu′aucune épuisante réflexion, nul souci moral ou trouble nerveux n′ont altérée. Son esprit d′une formation si antérieure au mien, était pour moi l′équivalent de ce que m′avait offert la démarche des jeunes filles de la petite bande au bord de la mer. Mme de Guermantes m′offrait, domestiquée et soumise par l′amabilité, par le respect envers les valeurs spirituelles, l′énergie et le charme d′une cruelle petite fille de l′aristocratie des environs de Combray, qui, dès son enfance, montait à cheval, cassait les reins aux chats, arrachait l′oeil aux lapins et, aussi bien qu′elle était restée une fleur de vertu, aurait pu, tant elle avait les mêmes élégances, pas mal d′années auparavant, être la plus brillante maîtresse du prince de Sagan. Seulement elle était incapable de comprendre ce que j′avais cherché en elle — le charme du nom de Guermantes — et le petit peu que j′y avais trouvé, un reste provincial de Guermantes. Nos relations étaient-elles fondées sur un malentendu qui ne pouvait manquer de se manifester dès que mes hommages, au lieu de s′adresser à la femme relativement supérieure qu′elle se croyait être, iraient vers quelque autre femme aussi médiocre et exhalant le même charme involontaire? Malentendu si naturel et qui existera toujours entre un jeune homme rêveur et une femme du monde, mais qui le trouble profondément, tant qu′il n′a pas encore reconnu la nature de ses facultés d′imagination et n′a pas pris son parti des déceptions inévitables qu′il doit éprouver auprès des êtres, comme au théâtre, en voyage et même en amour. M. de Guermantes ayant déclaré (suite aux asperges d′Elstir et à celles qui venaient d′être servies après le poulet financière) que les asperges vertes poussées à l′air et qui, comme dit si drôlement l′auteur exquis qui signe E. de Clermont–Tonnerre, «n′ont pas la rigidité impressionnante de leurs soeurs» devraient être mangées avec des oeufs: «Ce qui plaît aux uns déplaît aux autres, et vice versa », répondit M. de Bréauté. Dans la province de Canton, en Chine, on ne peut pas vous offrir un plus fin régal que des oeufs d′ortolan complètement pourris.» M. de Bréauté, auteur d′une étude sur les Mormons, parue dans la Revue des Deux–Mondes , ne fréquentait que les milieux les plus aristocratiques, mais parmi eux seulement ceux qui avaient un certain renom d′intelligence. De sorte qu′à sa présence, du moins assidue, chez une femme, on reconnaissait si celle-ci avait un salon. Il prétendait détester le monde et assurait séparément à chaque duchesse que c′était à cause de son esprit et de sa beauté qu′il la recherchait. Toutes en étaient, persuadées. Chaque fois que, la mort dans l′âme, il se résignait à aller à une grande soirée chez la princesse de Parme, il les convoquait toutes pour lui donner du courage et ne paraissait ainsi qu′au milieu d′un cercle intime. Pour que sa réputation d′intellectuel survécût à sa mondanité, appliquant certaines maximes de l′esprit des Guermantes, il partait avec des dames élégantes faire de longs voyages scientifiques à l′époque des bals, et quand une personne snob, par conséquent sans situation encore, commençait à aller partout, il mettait une obstination féroce à ne pas vouloir la connaître, à ne pas se laisser présenter. Sa haine des snobs découlait de son snobisme, mais faisait croire aux na, c′est-à-dire à tout le monde, qu′il en était exempt. «Babal sait toujours tout! s′écria la duchesse de Guermantes. Je trouve charmant un pays où on veut être sûr que votre crémier vous vende des oeufs bien pourris, des oeufs de l′année de la comète. Je me vois d′ici y trempant ma mouillette beurrée. Je dois dire que cela arrive chez la tante Madeleine (Mme de Villeparisis) qu′on serve des choses en putréfaction, même des oeufs (et comme Mme d′Arpajon se récriait): Mais voyons, Phili, vous le savez aussi bien que moi. Le poussin est déjà dans l′oeuf. Je ne sais même pas comment ils ont la sagesse de s′y tenir. Ce n′est pas une omelette, c′est un poulailler, mais au moins ce n′est pas indiqué sur le menu. Vous avez bien fait de ne pas venir dîner avant-hier, il y avait une barbue à l′acide phénique!
Ça n′avait pas l′air d′un service de table, mais d′un service de contagieux. Vraiment Norpois pousse la fidélité jusqu′à l′héroî²e: il en a repris!»
“Zola a poet!” “Why, yes,” answered the Duchess with a laugh, entranced by this display of suffocation. “Your Highness must have remarked how he magnifies everything he touches. You will tell me that he touches just what — perish the thought! But he makes it into something colossal. His is the epic dungheap. He is the Homer of the sewers! He has not enough capitals to print Cambronne′s word.” Despite the extreme exhaustion which she was beginning to feel, the Princess was enchanted; never had she felt better. She would not have exchanged for an invitation to Schonbrunn, albeit that was the one thing that really flattered her, these divine dinner-parties at Mme. de Guermantes′s, made invigorating by so liberal a dose of attic salt. “He writes it with a big C,” cried Mme. d′Arpajon. “Surely with a big M, I think, my dear,” replied Mme. de Guermantes, exchanging first with her husband a merry glance which implied: “Did you ever hear such an idiot?” “Wait a minute, now.” Mme. de Guermantes turned to me, fixing on me a tender, smiling gaze, because, as an accomplished hostess, she was anxious to display her own knowledge of the artist who interested me specially, to give me, if I required it, an opportunity for exhibiting mine. “Wait,” she urged me, gently waving her feather fan, so conscious was she at this moment that she was performing in full the duties of hospitality, and, that she might be found wanting in none of them, making a sign also to the servants to help me to more of the asparagus and mousseline sauce: “wait, now, I do believe that Zola has actually written an essay on Elstir, the painter whose things you were looking at just now — the only ones of his, really, that I care for,” she concluded. As a matter of fact sh hated Elstir′s work, but found a unique quality in anything that was in her own house. I asked M. de Guermantes if he knew the name of the gentleman in the tall hat who figured in the picture of the crowd and whom I recognised as the same person whose portrait the Guermantes also had and had hung beside the other, both dating more or less from the same early period in which Elstir′s personality was not yet completely established and he derived a certain inspiration from Manet. “Good Lord, yes,” he replied, “I know it′s a fellow who is quite well-known and no fool either in his own line, but I have no head for names. I have it on the tip of my tongue, Monsieur. . . . Monsieur. . . . oh, well, it doesn′t matter, I can′t remember it. Swann would be able to tell you, it was he who made Mme. de Guermantes buy all that stuff; she is always too good-natured, afraid of hurting people′s feelings if she refuses to do things; between ourselves, I believe he′s landed us with a lot of rubbish. What I can tell you is that the gentleman you mean has been a sort of Maecenas to M. Elstir, he started him and has often helped him out of tight places by ordering pictures from him. As a compliment to this man — if you can call that sort of thing a compliment — he has painted him standing about among that crowd, where with his Sunday-go-to-meeting look he creates a distinctly odd effect. He may be a big gun in his own way but he is evidently not aware of the proper time and place for a top hat. With that thing on his head, among all those bare-headed girls, he looks like a little country lawyer on the razzle-dazzle. But tell me, you seem quite gone on his pictures. If I had only known, I should have got up the subject properly. Not that there′s any need to rack one′s brains over the meaning of M. Elstir′s work, as one would for Ingres′s Source or the Princes in the Towier by Paul Delaroche. What one appreciates in his work is that it′s shrewdly observed, amusing, Parisian, and then one passes on to the next thing. One doesn′t need to be an expert to look at that sort of thing. I know of course that they′re merely sketches, still, I don′t feel myself that he puts enough work into them. Swann was determined that we should buy a Bundle of Asparagus. In fact it was in the house for several days. There was nothing else in the picture, a bundle of asparagus exactly like what you′re eating now. But I must say I declined to swallow M. Elstir′s asparagus. He asked three hundred francs for them. Three hundred francs for a bundle of asparagus. A louis, that′s as much as they′re worth, even if they are out of season. I thought it a bit stiff. When he puts real people into his pictures as well, there′s something rather caddish, something detrimental about him which does not appeal to me. I am surprised to see a delicate mind, a superior brain like yours admire that sort of thing.” “I don′t know why you should say that, Basin,” interrupted the Duchess, who did not like to hear people run down anything that her rooms contained. “I am by no means prepared to admit that there′s nothing distinguished in Elstir′s pictures. You have to take it or leave it. But it′s not always lacking in talent. And you must admit that the ones I bought are singularly beautiful.” “Well, Oriane, in that style of thing I′d a thousand times rather have the little study by M. Vibert we saw at the water-colour exhibition. There′s nothing much in it, if you like, you could take it in the palm of your hand, but you can see the man′s clever through and through: that unwashed scarecrow of a missionary standing before the sleek prelate who is making his little dog do tricks, it′s a perfect little poem of subtlety, and in fact goes really deep.” “I believe you know M. Elstir,” the Duchess went on to me, “as a man, he′s quite pleasant.” “He is intelligent,” said the Duke; “one is surprised, when one talks to him, that his painting should be so vulgar.” “He is more than intelligent, he is really quite clever,” said the Duchess in the confidently critical tone of a person who knew what she was talking about. “Didn′t he once start a portrait of you, Oriane?” asked the Princesse de Parme. “Yes, in shrimp pink,” replied Mme. de Guermantes, “but that′s not going to hand his name down to posterity. It′s a ghastly thing; Basin wanted to have it destroyed.” This last statement was one which Mme. de Guermantes often made. But at other times her appreciation of the picture was different: “I do not care for his painting, but he did once do a good portrait of me.” The former of these judgments was addressed as a rule to people who spoke to the Duchess of her portrait, the other to those who did not refer to it and whom therefore she was anxious to inform of its existence. The former was inspired in her by coquetry, the latter by vanity. “Make a portrait of you look ghastly! Why, then it can′t be a portrait, it′s a falsehood; I don′t know one end of a brush from the other, but I′m sure if I were to paint you, merely putting you down as I see you, I should produce a masterpiece,” said the Princesse de Parme ingenuously. “He sees me probably as I see myself, without any allurements,” said the Duchesse de Guermantes, with the look, melancholy, modest and coaxing, which seemed to her best calculated to make her appear different from what Elstir had portrayed. “That portrait ought to appeal to Mme. de Gallardon,” said the Duke. “Because she knows nothing about pictures?” asked the Princesse de Parme, who knew that Mme. de Guermantes had an infinite contempt for her cousin. “But she′s a very good woman, isn′t she?” The Duke assumed an air of profound astonishment. “Why, Basin, don′t you see the Princess is making fun of you?” (The Princess had never dreamed of doing such a thing.) “She knows as well as you do that Gallardonette is an old poison,” went on Mme. de Guermantes, whose vocabulary, limited as a rule to all these old expressions, was as savoury as those dishes which it is possible to come across in the delicious books of Pampille, but which have in real life become so rare, dishes where the jellies, the butter, the gravy, the quails are all genuine, permit of no alloy, where even the salt is brought specially from the salt-marshes of Brittany; from her accent, her choice of words, one felt that the basis of the Duchess′s conversation came directly from Guermantes. In this way the Duchess differed profoundly from her nephew Saint-Loup, the prey of so many new ideas and expressions; it is difficult, when one′s mind is troubled by the ideas of Kant and the longings of Baudelaire, to write the exquisite French of Henri IV, which meant that the very purity of the Duchess′s language was a sign of limitation, and that, in her, both her intelligence and her sensibility had remained proof against all innovation. Here again, Mme. de Guermantes′s mind attracted me just because of what it excluded was exactly the content of my own thoughts) and by everything which by virtue of that exclusion, it had been able to preserve, that seductive vigour of the supple bodies which no exhausting necessity to think no moral anxiety or nervous trouble has deformed. Her mind, of a formation so anterior to my own, was for me the equivalent of what had been offered me by the procession of the girls of the little band along the seashore Mme. de Guermantes offered me, domesticated and held in subjection by her natural courtesy, by the respect due to another person′s intellectual worth, all the energy and charm of a cruel little girl of one of the noble families round Combray who from her childhood had been brought up in the saddle, tortured cats, gouged out the eyes of rabbits, and; albeit she had remained a pillar of virtue, might equally well have been, a good few years ago now, the most brilliant mistress of the Prince de Sagan. Only she was incapable of realising what I had sought for in her, the charm of her historic name, and the tiny quantity of it that I had found in her, a rustic survival from Guermantes. Were our relations founded upon a misunderstanding which could not fail to become manifest as soon as my homage, instead of being addressed to the relatively superior woman that she believed herself to be, should be diverted to some other woman of equal mediocrity and breathing the same unconscious charm? A misunderstanding so entirely natural, and one that will always exist between a young dreamer like myself and a woman of the world, one however that profoundly disturbs him, so long as he has not yet discovered the nature of his imaginative faculties and has not acquired his share of the inevitable disappointments which he is destined to find in people, as in the theatre, in his travels and indeed in love. M. de Guermantes having declared (following upon Elstir′s asparagus and those that were brought round after the financière chicken) that green asparagus grown in the open air, which, as has been so quaintly said by the charming writer who signs himself E. de Clermont-Tonnerre, “have not the impressive rigidity of their sisters,” ought to be eaten with eggs: “One man′s meat is another man′s poison, as they say,” replied M. de Bréauté. “In the province of Canton, in China, the greatest delicacy that can be set before one is a dish of ortolan′s eggs completely rotten.” M. de Bréauté, the author of an essay on the Mormons which had appeared in the Revue des Deux Mondes, moved in none but the most aristocratic circles, but among these visited only such as had a certain reputation for intellect, with the result that from his presence, were it at all regular, in a woman′s house one could tell that she had a ‘salon.′ He pretended to a loathing of society, and assured each of his duchesses in turn that it was for the sake of her wit and beauty that he came to see her. They all believed him. Whenever, with death in his heart, he resigned himself to attending a big party at the Princesse de Parme′s, he summoned them all to accompany him, to keep up his courage, and thus appeared only to be moving in the midst of an intimate group. So that his reputation as an intellectual might survive his worldly success, applying certain maxims of the Guermantes spirit, he would set out with ladies of fashion on long scientific expeditions at the height of the dancing season, and when a woman who was a snob, and consequently still without any definite position, began to go everywhere, he would put a savage obstinacy into his refusal to know her, to allow himself to be introduced to her. His hatred of snobs was a derivative of his snobbishness, but made the simpletons (in other words, everyone) believe that he was immune from snobbishness. “Babal always knows everything,” exclaimed the Duchesse de Guermantes. “I think it must be charming, a country where you can be quite sure that your dairyman will supply you with really rotten eggs, eggs of the year of the comet. I can see myself dipping my bread and butter in them. I must say, you get the same thing at aunt Madeleine′s” (Mme. de Villeparisis′s) “where everything′s served in a state of putrefaction, eggs included.” Then, as Mme. d′Arpajon protested, “But my dear Phili, you know it as well as I do. You can see the chicken in the egg. What I can′t understand is how they manage not to fall out. It′s not an omelette you get there, it′s a poultry-yard. You were so wise not to come to dinner there yesterday, there was a brill cooked in carbolic! I assure you, it wasn′t a dinner-table, it was far more like an operating-table. Really, Norpois carries loyalty to the pitch of heroism. He actually asked for more!”
— Je crois vous avoir vu à dîner chez elle le jour où elle a fait cette sortie à ce M. Bloch (M. de Guermantes, peut-être pour donner à un nom israélite l′air plus étranger, ne prononça pas le ch de Bloch comme un k , mais comme dans hoch en allemand) qui avait dit de je ne sais plus quel poite (poète) qu′il était sublime. Châtellerault avait beau casser les tibias de M. Bloch, celui-ci ne comprenait pas et croyait les coups de genou de mon neveu destinés à une jeune femme assise tout contre lui (ici M. de Guermantes rougit légèrement). Il ne se rendait pas compte qu′il agaçait notre tante avec ses «sublimes» donnés en veux-tu en voilà. Bref, la tante Madeleine, qui n′a pas sa langue dans sa poche, lui a riposté: «Hé, monsieur, que garderez-vous alors pour M. de Bossuet.» (M. de Guermantes croyait que devant un nom célèbre, monsieur et une particule étaient essentiellement ancien régime.) C′était à payer sa place. — Et qu′a répondu ce M. Bloch? demanda distraitement Mme de Guermantes, qui, à court d′originalité à ce moment-là, crut devoir copier la prononciation germanique de son mari. — Ah! je vous assure que M. Bloch n′a pas demandé son reste, il court encore. — Mais oui, je me rappelle très bien vous avoir vu ce jour-là, me dit d′un ton marqué Mme de Guermantes, comme si de sa part ce souvenir avait quelque chose qui dût beaucoup me flatter. C′est toujours très intéressant chez ma tante. A la dernière soirée où je vous ai justement rencontré, je voulais vous demander si ce vieux monsieur qui a passé près de nous n′était pas François Coppée. Vous devez savoir tous les noms, me dit-elle avec une envie sincère pour mes relations poétiques et aussi par amabilité à mon «égard», pour poser davantage aux yeux de ses invités un jeune homme aussi versé dans la littérature. J′assurai à la duchesse que je n′avais vu aucune figure célèbre à la soirée de Mme de Villeparisis. «Comment! me dit étourdiment Mme de Guermantes, avouant par là que son respect pour les gens de lettres et son dédain du monde étaient plus superficiels qu′elle ne disait et peut-être même qu′elle ne croyait, comment! il n′y avait pas de grands écrivains! Vous m′étonnez, il y avait pourtant des têtes impossibles!» Je me souvenais très bien de ce soir-là, à cause d′un incident absolument insignifiant. Mme de Villeparisis avait présenté Bloch à Mme Alphonse de Rothschild, mais mon camarade n′avait pas entendu le nom et, croyant avoir affaire à une vieille Anglaise un peu folle, n′avait répondu que par monosyllabes aux prolixes paroles de l′ancienne Beauté quand Mme de Villeparisis, la présentant à quelqu′un d′autre, avait prononcé, très distinctement cette fois: «la baronne Alphonse de Rothschild». Alors étaient entrées subitement dans les artères de Bloch et d′un seul coup tant d′idées de millions et de prestige, lesquelles eussent dû être prudemment subdivisées, qu′il avait eu comme un coup au coeur, un transport au cerveau et s′était écrié en présence de l′aimable vieille dame: «Si j′avais su!» exclamation dont la stupidité l′avait empêché de dormir pendant huit jours. Ce mot de Bloch avait peu d′intérêt, mais je m′en souvenais comme preuve que parfois dans la vie, sous le coup d′une émotion exceptionnelle, on dit ce que l′on pense. «Je crois que Mme de Villeparisis n′est pas absolument . . . morale», dit la princesse de Parme, qui savait qu′on n′allait pas chez la tante de la duchesse et, par ce que celle-ci venait de dire, voyait qu′on pouvait en parler librement. Mais Mme de Guermantes ayant l′air de ne pas approuver, elle ajouta: — Mais à ce degré-là, l′intelligence fait tout passer. — Mais vous vous faites de ma tante l′idée qu′on s′en fait généralement, répondit la duchesse, et qui est, en somme, très fausse. C′est justement ce que me disait Mémé pas plus tard qu′hier. Elle rougit, un souvenir inconnu de moi embua ses yeux. Je fis la supposition que M. de Charlus lui avait demandé de me désinviter, comme il m′avait fait prier par Robert de ne pas aller chez elle. J′eus l′impression que la rougeur — d′ailleurs incompréhensible pour moi — qu′avait eue le duc en parlant à un moment de son frère ne pouvait pas être attribuée à la même cause: «Ma pauvre tante! elle gardera la réputation d′une personne de l′ancien régime, d′un esprit éblouissant et d′un dévergondage effréné. Il n′y a pas d′intelligence plus bourgeoise, plus sérieuse, plus terne; elle passera pour une protectrice des arts, ce qui veut dire qu′elle a été la maîtresse d′un grand peintre, mais il n′a jamais pu lui faire comprendre ce que c′était qu′un tableau; et quant à sa vie, bien loin d′être une personne dépravée, elle était tellement faite pour le mariage, elle était tellement née conjugale, que n′ayant pu conserver un époux, qui était du reste une canaille, elle n′a jamais eu une liaison qu′elle n′ait pris aussi au sérieux que si c′était une union légitime, avec les mêmes susceptibilités, les mêmes colères, la même fidélité. Remarquez que ce sont quelquefois les plus sincères, il y a en somme plus d′amants que de maris inconsolables.» — Pourtant, Oriane, regardez justement votre beau-frère Palamède dont vous êtes en train de parler; il n′y a pas de maîtresse qui puisse rêver d′être pleurée comme l′a été cette pauvre Mme de Charlus. — Ah! répondit la duchesse, que Votre Altesse me permette de ne pas être tout à fait de son avis. Tout le monde n′aime pas être pleuré de la même manière, chacun a ses préférences. — Enfin il lui a voué un vrai culte depuis sa mort. Il est vrai qu′on fait quelquefois pour les morts des choses qu′on n′aurait pas faites pour les vivants. — D′abord, répondit Mme de Guermantes sur un ton rêveur qui contrastait avec son intention gouailleuse, on va à leur enterrement, ce qu′on ne fait jamais pour les vivants! M. de Guermantes regarda d′un air malicieux M. de Bréauté comme pour le provoquer à rire de l′esprit de la duchesse. «Mais enfin j′avoue franchement, reprit Mme de Guermantes, que la manière dont je souhaiterais d′être pleurée par un homme que j′aimerais, n′est pas celle de mon beau-frère.» La figure du duc se rembrunit. Il n′aimait pas que sa femme portât des jugements à tort et à travers, surtout sur M. de Charlus. «Vous êtes difficile. Son regret a édifié tout le monde», dit-il d′un ton rogue. Mais la duchesse avait avec son mari cette espèce de hardiesse des dompteurs ou des gens qui vivent avec un fou et qui ne craignent pas de l′irriter: «Eh bien, non, qu′est-ce que vous voulez, c′est édifiant, je ne dis pas, il va tous les jours au cimetière lui raconter combien de personnes il a eues à déjeuner, il la regrette énormément, mais comme une cousine, comme une grand′mère, comme une soeur. Ce n′est pas un deuil de mari. Il est vrai que c′était deux saints, ce qui rend le deuil un peu spécial.» M. de Guermantes, agacé du caquetage de sa femme, fixait sur elle avec une immobilité terrible des prunelles toutes chargées. «Ce n′est pas pour dire du mal du pauvre Mémé, qui, entre parenthèses, n′était pas libre ce soir, reprit la duchesse, je reconnais qu′il est bon comme personne, il est délicieux, il a une délicatesse, un coeur comme les hommes n′en ont pas généralement. C′est un coeur de femme, Mémé!» — Ce que vous dites est absurde, interrompit vivement M. de Guermantes, Mémé n′a rien d′efféminé, personne n′est plus viril que lui. — Mais je ne vous dis pas qu′il soit efféminé le moins du monde. Comprenez au moins ce que je dis, reprit la duchesse. Ah! celui-là, dès qu′il croit qu′on veut toucher à son frère . . ., ajouta-t-elle en se tournant vers la princesse de Parme. — C′est très gentil, c′est délicieux à entendre. Il n′y a rien de si beau que deux frères qui s′aiment, dit la princesse de Parme, comme l′auraient fait beaucoup de gens du peuple, car on peut appartenir à une famille princière, et à une famille par le sang, par l′esprit fort populaire.
“I believe I saw you at dinner there the time she made that attack on M. Bloch” (M. de Guermantes, perhaps to give to an Israelite name a more foreign sound, pronounced the ‘ch′ in Bloch not like a ‘k′ but as in the German ‘hoch′) “when he said about some poit” (poet) “or other that he was sublime. Châtellerault did his best to break M. Bloch′s shins, the fellow didn′t understand in the least and thought my nephew′s kick was aimed at a young woman sitting opposite him.” (At this point, M. de Guermantes coloured slightly.) “He did not realise that he was annoying our aunt by his ‘sublimes′ chucked about all over the place like that. In short, aunt Madeleine, who doesn′t keep her tongue in her pocket, turned on him with: ‘Indeed, Sir, and what epithet do you keep for M. de Bousset?′” (M. de Guermantes thought that, when one mentioned a famous name, the use of ‘Monsieur′ and a particle was eminently ‘old school.′) “That put him in his place, all right.” “And what answer did this M. Bloch make?” came in a careless tone from Mme. de Guermantes, who, running short for the moment of original ideas, felt that she must copy her husband′s teutonic pronunciation. “Ah! I can assure you, M. Bloch did not wait for any more, he′s still running.” “Yes, I remember quite well seeing you there that evening,” said Mme. de Guermantes with emphasis as though, coming from her, there must be something in this reminiscence highly flattering to myself. “It is always so interesting at my aunt′s. At the last party she gave, which was, of course, when I met you, I meant to ask you whether that old gentleman who went past where we were, sitting wasn′t François Coppée. You must know who everyone is,” she went on, sincerely envious of my relations with poets and poetry, and also out of ‘consideration′ for myself, the wish to establish in a better position in the eyes of her other guests a young man so well versed in literature. I assured the Duchess that I had not observed any celebrities at Mme. de Villeparisis′s party. “What!” she replied with a bewilderment which revealed that her respect for men of letters and her contempt for society were more superficial than she said, perhaps even than she thought, “What! There were no famous authors there! You astonish me! Why, I saw all sorts of quite impossible people!” I remembered the evening in question distinctly owing to an entirely trivial incident that had occurred at the party. Mme. de Villeparisis had introduced Bloch to Mme. Alphonse de Rothschild, but my friend had not caught the name and, thinking he was talking to an old English lady who was a trifle mad had replied only in monosyllables to the garrulous conversation of the historic beauty, when Mme. de Villeparisis in making her known to some one else uttered, quite distinctly this time: “The Baronne Alphonse de Rothschild.” Thereupon there had coursed suddenly and simultaneously through Bloch′s arteries so many ideas of millions and of social importance, which it would have been more prudent to subdivide and separate, that he had undergone, so to speak, a momentary failure of heart and brain alike, and cried aloud in the dear old lady′s presence: “If I′d only known!” an exclamation the silliness of which kept him from sleeping for at least a week afterwards. His remark was of no great interest, but I remembered it as a proof that sometimes in this life, under the stress of an exceptional emotion, people do say what is in their minds. “I fancy Mme. de Villeparisis is not absolutely . . . moral,” said the Princesse de Parme, who knew that the best people did not visit the Duchess′s aunt, and, from what the Duchess herself had just been saying, that one might speak freely about her. But, Mme. de Guermantes not seeming to approve of this criticism, she hastened to add: “Though, of course, intellect carried to that degree excuses everything.” “But you take the same view of my aunt that everyone else does,” replied the Duchess, “which is, really, quite mistaken. It′s just what Mémé was saying to me only yesterday.” She blushed; a reminiscence unknown to me filmed her eyes. I formed the supposition that M. de Charlus had asked her to cancel my invitation, as he had sent Robert to ask me not to go to her house. I had the impression that the blush — equally incomprehensible to me — which had tinged the Duke′s cheek when he made some reference to his brother could not be attributed to the same cause. “My poor aunt — she will always have the reputation of being a lady of the old school, of sparkling wit and uncontrolled passions. And really there′s no more middle-class, serious, commonplace mind in Paris. She will go down as a patron of the arts, which means to say that she was once the mistress of a great painter, though he was never able to make her understand what a picture was; and as for her private life, so far from being a depraved woman, she was so much made for marriage, so conjugal from her cradle that, not having succeeded in keeping a husband, who incidentally was a cad, she has never had a love-affair which she hasn′t taken just as seriously as if it were holy matrimony, with the same susceptibilities, the same quarrels, the same fidelity. By which token, those relations are often the most sincere; you′ll find, in fact, more inconsolable lovers than husbands.” “Yet, Oriane, if you take the case of your brother-in-law Palamède you were speaking about just now; no mistress in the world could ever dream of being mourned as that poor Mme. de Charlus has been.” “Ah!” replied the Duchess, “Your Highness must permit me to be not altogether of her opinion. People don′t all like to be mourned in the same way, each of us has his preferences.” “Still, he did make a regular cult of her after her death. It is true that people sometimes do for the dead what they would not have done for the living.” “For one thing,” retorted Mme. de Guermantes in a dreamy tone which belied her teasing purpose, “we go to their funerals, which we never do for the living!” M. de Guermantes gave a sly glance at M. de Bréauté as though to provoke him into laughter at the Duchess′s wit. “At the same time I frankly admit,” went on Mme. de Guermantes, “that the manner in which I should like to be mourned by a man I loved would not be that adopted by my brother-in-law.” The Duke′s face darkened. He did not like to hear his wife utter rash judgments, especially about M. de Charlus. “You are very particular. His grief set an example to everyone,” he reproved her stiffly. But the Duchess had in dealing with her husband that sort of boldness which animal tamers shew, or people who live with a madman and are not afraid of making him angry. “Oh, very well, just as you like — he does set an example, I never said he didn′t, he goes every day to the cemetery to tell her how many people he has had to luncheon, he misses her enormously, but — as he′d mourn for a cousin, a grandmother, a sister. It is not the grief of a husband. It is true that they were a pair of saints, which makes it all rather exceptional.” M. de Guermantes, infuriated by his wife′s chatter, fixed on her with a terrible immobility a pair of eyes already loaded. “I don′t wish to say anything against poor Mémé, who, by the way, could not come this evening,” went on the Duchess, “I quite admit there′s no one like him, he′s delightful; he has a delicacy, a warmth of heart that you don′t as a rule find in men. He has a woman′s heart, Mémé has!” “What you say is absurd,” M. de Guermantes broke in sharply. “There′s nothing effeminate about Mémé, I know nobody so manly as he is.” “But I am not suggesting that he′s the least bit in the world effeminate. Do at least take the trouble to understand what I say,” retorted the Duchess. “He′s always like that the moment anyone mentions his brother,” she added, turning to the Princesse de Parme. “It′s very charming, it′s a pleasure to hear him. There′s nothing so nice as two brothers who are fond of each other,” replied the Princess, as many a humbler person might have replied, for it is possible to belong to a princely race by birth and at the same time to be mentally affiliated to a race that is thoroughly plebeian.
— Puisque nous parlions de votre famille, Oriane, dit la princesse, j′ai vu hier votre neveu Saint–Loup; je crois qu′il voudrait vous demander un service. Le duc de Guermantes fronça son sourcil jupitérien. Quand il n′aimait pas rendre un service, il ne voulait pas que sa femme s′en chargeât, sachant que cela reviendrait au même et que les personnes à qui la duchesse avait été obligée de le demander l′inscriraient au débit commun de ménage, tout aussi bien que s′il avait été demandé par le mari seul.
“As we′re discussing your family, Oriane,” said the Princess, “I saw your nephew Saint-Loup yesterday; I believe he wants to ask you to do something for him.” The Duc de Guermantes bent his Olympian brow. When he did not himself care to do a service, he preferred his wife not to assume the responsibility for it, knowing that it would come to the same thing in the end and that the people to whom the Duchess would be obliged to apply would put this concession down to the common account of the household, just as much as if it had been asked of them by the husband alone.
— Pourquoi ne me l′a-t-il pas demandé lui-même? dit la duchesse, il est resté deux heures ici, hier, et Dieu sait ce qu′il a pu être ennuyeux. Il ne serait pas plus stupide qu′un autre s′il avait eu, comme tant de gens du monde, l′intelligence de savoir rester bête. Seulement, c′est ce badigeon de savoir qui est terrible. Il veut avoir une intelligence ouverte . . . ouverte à toutes les choses qu′il ne comprend pas. Il vous parle du Maroc, c′est affreux.
“Why didn′t he tell me about it himself?” said the Duchess. “He was here yesterday and stayed a couple of hours, and heaven only knows what a bore he managed to make himself. He would be no stupider than anyone else if he had only the sense, like many people we know, to be content with being a fool. It′s his veneer of knowledge that′s so terrible. He wants to preserve an open mind — open to all the things he doesn′t understand. He talks to you about Morocco. It′s appalling.”
— Il ne veut pas y retourner, à cause de Rachel, dit le prince de Foix. — Mais puisqu′ils ont rompu, interrompit M. de Bréauté. — Ils ont si peu rompu que je l′ai trouvée il y a deux jours dans la garçonnière de Robert; ils n′avaient pas l′air de gens brouillés, je vous assure, répondit le prince de Foix qui aimait à répandre tous les bruits pouvant faire manquer un mariage à Robert et qui d′ailleurs pouvait être trompé par les reprises intermittentes d′une liaison en effet finie.
“He can′t go back there, because of Rachel,” said the Prince de Foix “Surely, now that they′ve broken it off,” interrupted M. de Bréauté. “So far from breaking it off, I found her a couple of days ago in Robert′s rooms, they didn′t look at all like people who′d quarrelled, I can assure you,” replied the Prince de Foix, who loved to spread abroad every rumour that could damage Robert′s chances of marrying, and might for that matter have been misled by one of the intermittent resumptions of a connexion that was practically at an end.
— Cette Rachel m′a parlé de vous, je la vois comme ça en passant le matin aux Champs-Élysées, c′est une espèce d′évaporée comme vous dites, ce que vous appelez une dégrafée, une sorte de «Dame aux Camélias», au figuré bien entendu. — Justement c′est à propos du Maroc . . . s′écria la princesse saisissant précipitamment ce joint. Ce discours m′était tenu par le prince Von qui tenait à avoir l′air au courant de la littérature française et des finesses parisiennes.
“That Rachel was speaking to me about you, I see her like that in the mornings, on the way to the Champs-Elysées; she′s a kind of head-in-air, as you say, what you call ‘unlaced,′ a sort of ‘Dame aux Camélias,′ only figuratively speaking, of course.” This speech was addressed to me by Prince Von, who liked always to appear conversant with French literature and Parisian catchwords.
— Qu′est-ce qu′il peut vouloir pour le Maroc? demanda sévèrement M. de Guermantes; Oriane ne peut absolument rien dans cet ordre-là, il le sait bien. — Il croit qu′il a inventé la stratégie, poursuivit Mme de Guermantes, et puis il emploie des mots impossibles pour les moindres choses, ce qui n′empêche pas qu′il fait des pâtés dans ses lettres. L′autre jour, il a dit qu′il avait mangé des pommes de terre sublimes , et qu′il avait trouvé à louer une baignoire sublime .
“Why, that′s just what it was — Morocco!” exclaimed the Princess, flinging herself into this opening. “What on earth can he want in Morocco?” asked M. de Guermantes sternly; “Oriane can do absolutely nothing for him there, as he knows perfectly well.” “He thinks he invented strategy,” Mme. de Guermantes pursued the theme, “and then he uses impossible words for the most trivial things, which doesn′t prevent him from making blots all over his letters. The other day he announced that he′d been given some sublime potatoes, and that he′d taken a sublime stage box.”
— Il parle latin, enchérit le duc. — Comment, latin? demanda la princesse. — Ma parole d′honneur! que Madame demande à Oriane si j′exagère. — Mais comment, madame, l′autre jour il a dit dans une seule phrase, d′un seul trait: «Je ne connais pas d′exemple de Sic transit gloria mundi plus touchant»; je dis la phrase à Votre Altesse parce qu′après vingt questions et en faisant appel à des linguistes , nous sommes arrivés à la reconstituer, mais Robert a jeté cela sans reprendre haleine, on pouvait à peine distinguer qu′il y avait du latin là dedans, il avait l′air d′un personnage du Malade imaginaire ! Et tout ça s′appliquait à la mort de l′impératrice d′Autriche! — Pauvre femme! s′écria la princesse, quelle délicieuse créature c′était. — Oui, répondit la duchesse, un peu folle, un peu insensée, mais c′était une très bonne femme, une gentille folle très aimable, je n′ai seulement jamais compris pourquoi elle n′avait jamais acheté un râtelier qui tînt, le sien se décrochait toujours avant la fin de ses phrases et elle était obligée de les interrompre pour ne pas l′avaler. — Cette Rachel m′a parlé de vous, elle m′a dit que le petit Saint–Loup vous adorait, vous préférait même à elle, me dit le prince Von, tout en mangeant comme un ogre, le teint vermeil, et dont le rire perpétuel découvrait toutes les dents. — Mais alors elle doit être jalouse de moi et me détester, répondis-je. — Pas du tout, elle m′a dit beaucoup de bien de vous. La maîtresse du prince de Foix serait peut-être jalouse s′il vous préférait à elle. Vous ne comprenez pas? Revenez avec moi, je vous expliquerai tout cela. — Je ne peux pas, je vais chez M. de Charlus à onze heures. — Tiens, il m′a fait demander hier de venir dîner ce soir, mais de ne pas venir après onze heures moins le quart. Mais si vous tenez à aller chez lui, venez au moins avec moi jusqu′au Théâtre-Français, vous serez dans la périphérie, dit le prince qui croyait sans doute que cela signifiait «à proximité» ou peut-être «le centre».
“He speaks Latin,” the Duke went one better. “What! Latin?” the Princesse gasped. “‘Pon my soul he does! Ma′am can ask Oriane if I′m not telling the truth.” “Why, of course, Ma′am; the other day he said to us straight out, without stopping to think: ‘I know of no more touching example of sic transit gloria mundi.′ I can repeat the phrase now to your Highness because, after endless inquiries and by appealing to linguists, we succeeded in reconstructing it, but Robert flung it out without pausing for breath, one could hardly make out that there was Latin in it, he was just like a character in the Malade Imaginaire. And all this referred simply to the death of the Empress of Austria!” “Poor woman!” cried the Princess, “what a delicious creature she was.” “Yes,” replied the Duchess, “a trifle mad, a trifle headstrong, but she was a thoroughly good woman, a nice, kind-hearted lunatic; the only thing I could never make out about her was why she had never managed to get her teeth made to fit her; they always came loose half-way through a sentence and she was obliged to stop short or she′d have swallowed them.” “That Rachel was speaking to me about you, she told me that young Saint-Loup worshipped you, that he was fonder of you than he was of her,” said Prince Von to me, devouring his food like an ogre as he spoke, his face scarlet, his teeth bared by his perpetual grin. “But in that case she must be jealous of me and hate me,” said I. “Not at all, she told me all sorts of nice things about you. The Prince de Foix′s mistress would perhaps be jealous if he preferred you to her. You don′t understand? Come home with me, and I′ll explain it all to you.” “I′m afraid I can′t, I′m going on to M. de Charlus at eleven.” “Why, he sent round to me yesterday to ask me to dine with him this evening, but told me not to come after a quarter to eleven. But if you must go to him, at least come with me as far as the Théâtre Français, you will be in the periphery,” said the Prince, who thought doubtless that this last word meant ‘proximity′ or possibly ‘centre.′
Mais ses yeux dilatés dans sa grosse et belle figure rouge me firent peur et je refusai en disant qu′un ami devait venir me chercher. Cette réponse ne me semblait pas blessante. Le prince en reçut sans doute une impression différente, car jamais il ne m′adressa plus la parole.
But the bulging eyes in his coarse though handsome red face frightened me and I declined, saying that a friend was coming to call for me. This reply seemed to me in no way offensive. The Prince, however, apparently formed a different impression of it for he did not say another word to me.
«Il faut justement que j′aille voir la reine de Naples, quel chagrin elle doit avoir!» dit, ou du moins me parut avoir dit, la princesse de Parme. Car ces paroles ne m′étaient arrivées qu′indistinctes à travers celles, plus proches, que m′avait adressées pourtant fort bas le prince Von, qui avait craint sans doute, s′il parlait plus haut, d′être entendu de M. de Foix. — Ah! non, répondit la duchesse, ça, je crois qu′elle n′en a aucun. — Aucun? vous êtes toujours dans les extrêmes, Oriane, dit M. de Guermantes reprenant son rôle de falaise qui, en s′opposant à la vague, la force à lancer plus haut son panache d′écume. — Basin sait encore mieux que moi que je dis la vérité, répondit la duchesse, mais il se croit obligé de prendre des airs sévères à cause de votre présence et il a peur que je vous scandalise. — Oh! non, je vous en prie, s′écria la princesse de Parme, craignant qu′à cause d′elle on n′altérât en quelque chose ces délicieux mercredis de la duchesse de Guermantes, ce fruit défendu auquel la reine de Suède elle-même n′avait pas encore eu le droit de goûter. — Mais c′est à lui-même qu′elle a répondu, comme il lui disait, d′un air banalement triste: Mais la reine est en deuil; de qui donc? est-ce un chagrin pour votre Majesté? «Non, ce n′est pas un grand deuil, c′est un petit deuil, un tout petit deuil, c′est ma soeur.» La vérité c′est qu′elle est enchantée comme cela, Basin le sait très bien, elle nous a invités à une fête le jour même et m′a donné deux perles. Je voudrais qu′elle perdît une soeur tous les jours! Elle ne pleure pas la mort de sa soeur, elle la rit aux éclats. Elle se dit probablement, comme Robert, que sic transit , enfin je ne sais plus, ajouta-t-elle par modestie, quoiqu′elle sût très bien.
“I really must go and see the Queen of Naples; what a grief it must be to her,” said (or at least appeared to me to have said) the Princesse de Parme. For her words had come to me only indistinctly through the intervening screen of those addressed to me, albeit in an undertone, by Prince Von, who had doubtless been afraid, if he spoke louder, of being overheard by the Prince de Foix. “Oh, dear, no!” replied the Duchess, “I don′t believe it has been any grief at all.” “None at all! You do always fly to extremes so, Oriane,” said M. de Guermantes, resuming his part of the cliff which by standing up to the wave forces it to fling higher its crest of foam. “Basin knows even better than I that I′m telling the truth,” replied the Duchess, “but he thinks he′s obliged to look severe because you are present, Ma′am, and he′s afraid of my shocking you.” “Oh, please, no, I beg of you,” cried the Princesse de Parme, dreading the slightest alteration on her account of these delicious Fridays at the Duchesse de Guermantes′s, this forbidden fruit which the Queen of Sweden herself had not yet acquired the right to taste. “Why, it was Basin himself that she told, when he said to her with a duly sorrowful expression: ‘But the Queen is in mourning; for whom, pray, is it a great grief to your Majesty?′—‘No, it′s not a deep mourning, it′s a light mourning, quite a light mourning, it′s my sister.′ The truth is, she′s delighted about it, as Basin knows perfectly well, she invited us to a party that very evening, and gave me two pearls. I wish she could lose a sister every day! So far from weeping for her sister′s death, she was in fits of laughter over it. She probably says to herself, like Robert, ‘sic transit ——′ I forget how it goes on,” she added modestly, knowing how it went on perfectly well.
D′ailleurs Mme de Guermantes faisait seulement en ceci de l′esprit, et du plus faux, car la reine de Naples, comme la duchesse d′Alençon, morte tragiquement aussi, avait un grand coeur et a sincèrement pleuré les siens. Mme de Guermantes connaissait trop les nobles soeurs bavaroises, ses cousines, pour l′ignorer. — Il aurait voulu ne pas retourner au Maroc, dit la princesse de Parme en saisissant à nouveau ce nom de Robert que lui tendait bien involontairement comme une perche Mme de Guermantes. Je crois que vous connaissez le général de Monserfeuil. — Très peu, répondit la duchesse qui était intimement liée avec cet officier. La princesse expliqua ce que désirait Saint–Loup. — Mon Dieu, si je le vois, cela peut arriver que je le rencontre, répondit, pour ne pas avoir l′air de refuser, la duchesse dont les relations avec le général de Monserfeuil semblaient s′être rapidement espacées depuis qu′il s′agissait de lui demander quelque chose. Cette incertitude ne suffit pourtant pas au duc, qui, interrompant sa femme: «Vous savez bien que vous ne le verrez pas, Oriane, dit-il, et puis vous lui avez déjà demandé deux choses qu′il n′a pas faites. Ma femme a la rage d′être aimable, reprit-il de plus en plus furieux pour forcer la princesse à retirer sa demande sans que cela pût faire douter de l′amabilité de la duchesse et pour que Mme de Parme rejetât la chose sur son propre caractère à lui, essentiellement quinteux. Robert pourrait ce qu′il voudrait sur Monserfeuil. Seulement, comme il ne sait pas ce qu′il veut, il le fait demander par nous, parce qu′il sait qu′il n′y a pas de meilleure manière de faire échouer la chose. Oriane a trop demandé de choses à Monserfeuil. Une demande d′elle maintenant, c′est une raison pour qu′il refuse.» — Ah! dans ces conditions, il vaut mieux que la duchesse ne fasse rien, dit Mme de Parme.
In saying all this Mme. de Guermantes was only being witty, and with complete insincerity, for the Queen of Naples, like the Duchesse d′Alençon, also doomed to a tragic fate, had the warmest heart in the world and mourned quite sincerely for her kinsfolk. Mme. de Guermantes knew those noble Bavarian sisters, her cousins, too well not to be aware of this. “He would like not to go back to Morocco,” said the Princesse de Parme, alighting hurriedly again upon the perch of Robert′s name which had been held out to her, quite unintentionally, by Mme. de Guermantes. “I believe you know General de Monserfeuil.” “Very slightly,” replied the Duchess, who was an intimate friend of the officer in question. The Princess explained what it was that Saint-Loup wanted. “Good gracious, yes, if I see him — it is possible that I may meet him,” the Duchess replied, so as not to appear to be refusing, the occasions of her meeting General de Monserfeuil seeming to extend rapidly farther apart as soon as it became a question of her asking him for anything. This uncertainty did not, however, satisfy the Duke, who interrupted his wife: “You know perfectly well you won′t seeing him, Oriane, and besides you have already asked him for two thing which he hasn′t done. My wife has a passion for doing good turns to people,” he went on, growing more and more furious, in order to force the Princess to withdraw her request, without there being any question made of his wife′s good nature and so that Mme. de Parme should throw the blame back upon his own character, which was essentially obstructive. “Robert could get anything he wanted out of Monserfeuil. Only, as he happens not to know himself what he wants, he gets us to ask for it because he knows there′s no better way of making the whole thing fall through. Oriane has asked too many favours of Monserfeuil. A request from her now would be a reason for him to refuse.” “Oh, in that case, it would be better if the Duchess did nothing,” said Mme. de Parme.
— Naturellement, conclut le duc. — Ce pauvre général, il a encore été battu aux élections, dit la princesse de Parme pour changer de conversation. — Oh! ce n′est pas grave, ce n′est que la septième fois, dit le duc qui, ayant dû lui-même renoncer à la politique, aimait assez les insuccès électoraux des autres. — Il s′est consolé en voulant faire un nouvel enfant à sa femme. — Comment! Cette pauvre Mme de Monserfeuil est encore enceinte, s′écria la princesse.
“Obviously!” the Duke closed the discussion. “Poor General, he′s been defeated again at the elections,” said the Princess, so as to turn the conversation from Robert. “Oh, it′s nothing serious, it′s only the seventh time,” said the Duke, who, having been obliged himself to retire from politics, quite enjoyed hearing of other people′s failures at the polls. “He has consoled himself by giving his wife another baby.” “What! Is that poor Mme. de Monserfeuil in an interesting condition again?” cried the Princess.
— Mais parfaitement, répondit la duchesse, c′est le seul arrondissement où le pauvre général n′a jamais échoué.
“Why, of course,” replied the Duke, “that′s the one division where the poor General has never failed to get in.”
Je ne devais plus cesser par la suite d′être continuellement invité, fût-ce avec quelques personnes seulement, à ces repas dont je m′étais autrefois figuré les convives comme les apôtres de la Sainte–Chapelle. Ils se réunissaient là en effet, comme les premiers chrétiens, non pour partager seulement une nourriture matérielle, d′ailleurs exquise, mais dans une sorte de Cène sociale; de sorte qu′en peu de dîners j′assimilai la connaissance de tous les amis de mes hôtes, amis auxquels ils me présentaient avec une nuance de bienveillance si marquée (comme quelqu′un qu′ils auraient de tout temps paternellement préféré), qu′il n′est pas un d′entre eux qui n′eût cru manquer au duc et à la duchesse s′il avait donné un bal sans me faire figurer sur sa liste, et en même temps, tout en buvant un des Yquem que recelaient les caves des Guermantes, je savourais des ortolans accommodés selon les différentes recettes que le duc élaborait et modifiait prudemment. Cependant, pour qui s′était déjà assis plus d′une fois à la table mystique, la manducation de ces derniers n′était pas indispensable. De vieux amis de M. et de Mme de Guermantes venaient les voir après dîner, «en cure-dents» aurait dit Mme Swann, sans être attendus, et prenaient l′hiver une tasse de tilleul aux lumières du grand salon, l′été un verre d′orangeade dans la nuit du petit bout de jardin rectangulaire. On n′avait jamais connu, des Guermantes, dans ces après-dîners au jardin, que l′orangeade. Elle avait quelque chose de rituel. Y ajouter d′autres rafraîchissements eût semblé dénaturer la tradition, de même qu′un grand raout dans le faubourg Saint–Germain n′est plus un raout s′il y a une comédie ou de la musique. Il faut qu′on soit censé venir simplement — y eût-il cinq cents personnes — faire une visite à la princesse de Guermantes, par exemple. On admira mon influence parce que je pus à l′orangeade faire ajouter une carafe contenant du jus de cerise cuite, de poire cuite. Je pris en inimitié, à cause de cela, le prince d′Agrigente qui, comme tous les gens dépourvus d′imagination, mais non d′avarice, s′émerveillent de ce que vous buvez et vous demandent la permission d′en prendre un peu. De sorte que chaque fois M. d′Agrigente, en diminuant ma ration, gâtait mon plaisir. Car ce jus de fruit n′est jamais en assez grande quantité pour qu′il désaltère. Rien ne lasse moins que cette transposition en saveur, de la couleur d′un fruit, lequel cuit semble rétrograder vers la saison des fleurs. Empourpré comme un verger au printemps, ou bien incolore et frais comme le zéphir sous les arbres fruitiers, le jus se laisse respirer et regarder goutte à goutte, et M. d′Agrigente m′empêchait, régulièrement, de m′en rassasier. Malgré ces compotes, l′orangeade traditionnelle subsista comme le tilleul. Sous ces modestes espèces, la communion sociale n′en avait pas moins lieu. En cela, sans doute, les amis de M. et de Mme de Guermantes étaient tout de même, comme je me les étais d′abord figurés, restés plus différents que leur aspect décevant ne m′eût porté à le croire. Maints vieillards venaient recevoir chez la duchesse, en même temps que l′invariable boisson, un accueil souvent assez peu aimable. Or, ce ne pouvait être par snobisme, étant eux-mêmes d′un rang auquel nul autre n′était supérieur; ni par amour du luxe: ils l′aimaient peut-être, mais, dans de moindres conditions sociales, eussent pu en connaître un splendide, car, ces mêmes soirs, la femme charmante d′un richissime financier eût tout fait pour les avoir à des chasses éblouissantes qu′elle donnerait pendant deux jours pour le roi d′Espagne. Ils avaient refusé néanmoins et étaient venus à tout hasard voir si Mme de Guermantes était chez elle. Ils n′étaient même pas certains de trouver là des opinions absolument conformes aux leurs, ou des sentiments spécialement chaleureux; Mme de Guermantes lançait parfois sur l′affaire Dreyfus, sur la République, sur les lois antireligieuses, ou même, à mi-voix, sur eux-mêmes, sur leurs infirmités, sur le caractère ennuyeux de leur conversation, des réflexions qu′ils devaient faire semblant de ne pas remarquer. Sans doute, s′ils gardaient là leurs habitudes, était-ce par éducation affinée du gourmet mondain, par claire connaissance de la parfaite et première qualité du mets social, au goût familier, rassurant et sapide, sans mélange, non frelaté, dont ils savaient l′origine et l′histoire aussi bien que celle qui la leur servait, restés plus «nobles» en cela qu′ils ne le savaient eux-mêmes. Or, parmi ces visiteurs auxquels je fus présenté après dîner, le hasard fit qu′il y eut ce général de Monserfeuil dont avait parlé la princesse de Parme et que Mme de Guermantes, du salon de qui il était un des habitués, ne savait pas devoir venir ce soir-là. Il s′inclina devant moi, en entendant mon nom, comme si j′eusse été président du Conseil supérieur de la guerre. J′avais cru que c′était simplement par quelque inserviabilité foncière, et pour laquelle le duc, comme pour l′esprit, sinon pour l′amour, était le complice de sa femme, que la duchesse avait presque refusé de recommander son neveu à M. de Monserfeuil. Et je voyais là une indifférence d′autant plus coupable que j′avais cru comprendre par quelques mots échappés à la princesse de Parme que le poste de Robert était dangereux et qu′il était prudent de l′en faire changer. Mais ce fut par la véritable méchanceté de Mme de Guermantes que je fus révolté quand, la princesse de Parme ayant timidement proposé d′en parler d′elle-même et pour son compte au général, la duchesse fit tout ce qu′elle put pour en détourner l′Altesse. — Mais Madame, s′écria-t-elle, Monserfeuil n′a aucune espèce de crédit ni de pouvoir avec le nouveau gouvernement. Ce serait un coup d′épée dans l′eau. — Je crois qu′il pourrait nous entendre, murmura la princesse en invitant la duchesse à parler plus bas. — Que Votre Altesse ne craigne rien, il est sourd comme un pot, dit sans baisser la voix la duchesse, que le général entendit parfaitement. — C′est que je crois que M. de Saint–Loup n′est pas dans un endroit très rassurant, dit la princesse. — Que voulez-vous, répondit la duchesse, il est dans le cas de tout le monde, avec la différence que c′est lui qui a demandé à y aller. Et puis, non, ce n′est pas dangereux; sans cela vous pensez bien que je m′en occuperais. J′en aurais parlé à Saint–Joseph pendant le dîner. Il est beaucoup plus influent, et d′un travailleur! Vous voyez, il est déjà parti. Du reste ce serait moins délicat qu′avec celui-ci, qui a justement trois de ses fils au Maroc et n′a pas voulu demander leur changement; il pourrait objecter cela. Puisque Votre Altesse y tient, j′en parlerai à Saint–Joseph . . . si je le vois, ou à Beautreillis. Mais si je ne les vois pas, ne plaignez pas trop Robert. On nous a expliqué l′autre jour où c′était. Je crois qu′il ne peut être nulle part mieux que là.
In the period that followed I was continually to be invited, were it with a small party only, to these repasts at which I had at one time imagined the guests as seated like the Apostles in the Sainte-Chapelle. They did assemble there indeed, like the early Christians, not to partake merely of a material nourishment, which incidentally was exquisite, but in a sort of social Eucharist; so that in the course of a few dinner-parties I assimilated the acquaintance of all the friends of my hosts, friends to whom they presented me with a shade of benevolent patronage so marked (as a person for whom they had always had a sort of parental affection) that there was not one among them who would not have felt himself to be failing in his duty to the Duke and Duchess if he had given a ball without including my name on his list, and at the same time, while I sipped one of those Yquems which lay concealed in the Guermantes cellars, I tasted ortolans dressed according to each of the different recipes which the Duke himself used to elaborate and modified with prudence. However, for one who had already set his knees more than once beneath the mystic board, the consumption of the latter was not indispensable. Old friends of M. and Mme. de Guermantes came in to see them after dinner, ‘with the tooth-picks,′ as Mme. Swann would have said, without being expected, and took in winter a cup of tilleul in the lighted warmth of the great drawing-room, in summer a glass of orangeade in the darkness of the little rectangular strip of garden outside. There was no record of anything else, among the Guermantes, in these evenings in the garden, but orangeade. It had a sort of ritual meaning. To have added other refreshments would have seemed to be falsifying the tradition, just as a big at-home in the Faubourg Saint-Germain ceases to be an at-home if there is a play also, or music. You must be supposed to have come simply — though there be five hundred of you — to pay a call on, let us say, the Princesse de Guermantes. People marvelled at my influence because I was able to procure the addition to this orangeade of a jug containing the juice of stewed cherries or stewed pears. I took a dislike on this account to the Prince d′Agrigente, who was like all the people who, lacking in imagination but not in covetousness, take a keen interest in what one is drinking and ask if they may taste a little of it themselves. Which meant that, every time, M. d′Agrigente, by diminishing my ration, spoiled my pleasure. For this fruit juice can never be provided in sufficient quantities to quench one′s thirst for it. Nothing is less cloying than these transpositions into flavour of the colour of a fruit which when cooked seems to have travelled backwards to the past season of its blossoming. Blushing like an orchard in spring, or, it may be, colourless and cool like the zephyr beneath the fruit-trees, the juice lets itself be breathed and gazed into one drop by drop, and M. d′Agrigente prevented me, regularly, from taking my fill of it. Despite these distillations the traditional orangeade persisted like the tilleul. In these humble kinds, the social communion was none the less administered. In this respect, doubtless, the friends of M. and Mme. de Guermantes had, after all, as I had originally imagined, remained more different from the rest of humanity than their outward appearance might have misled me into supposing. Numbers of elderly men came to receive from the Duchess, together with the invariable drink, a welcome that was often far from cordial. Now this could not have been due to snobbishness, they themselves being of a rank to which there was none superior; nor to love of splendour; they did love it perhaps, but on less stringent social conditions might have been enjoying a glittering example of it, for on these same evenings the charming wife of a colossally rich financier would have given anything in the world to have them among the brilliant shooting-party she was giving for a couple of days for the King of Spain. They had nevertheless declined her invitation, and had come round without fail to inquire whether Mme. de Guermantes was at home. They were not even certain of finding there opinions that conformed entirely with their own, or sentiments of any great warmth; Mme. de Guermantes let fall now and then, on the Dreyfus case, on the Republic, the Laws against Religion, or even in an undertone on themselves, their weaknesses, the dullness of their conversation, comments which they had to appear not to notice. No doubt, if they kept up their habit of coming there, it was owing to their superfine training as epicures in things worldly, to their clear consciousness of the prime and perfect quality of the social dish, with its familiar, reassuring, sappy savour, free from blend or taint, with the origin and history of which they were as well aware as she who served them with it, remaining more ‘noble′ in this respect than they themselves imagined. Now, on this occasion, among the visitors to whom I was introduced after dinner, it so happened that there was that General de Monserfeuil of whom the Princesse de Parme had been speaking, while Mme. de Guermantes, of whose drawing-room he was one of the regular frequenters, had not known that he was going to be there that evening. He bowed before me, on hearing my name, as though I had been the President of the Supreme War Council. I had supposed it to be simply from some deep-rooted unwillingness to oblige, in which the Duke, as in wit if not in love, was his wife′s accomplice, that the Duchess had practically refused to recommend her nephew to M. de Monserfeuil. And I saw in this an indifference all the more blameworthy in that I seemed to have gathered from a few words let fall by the Princess that Robert was in a post of danger from which it would be prudent to have him removed. But it was by the genuine malice of Mme. de Guermantes that I was revolted when, the Princesse de Parme having timidly suggested that she might say something herself and on her own responsibility to the General, the Duchess did everything in her power to dissuade her. “But Ma′am,” she cried, “Monserfeuil has no sort of standing or influence whatever with the new Government. You would be wasting your breath.” “I think he can hear us,” murmured the Princess, as a hint to the Duchess not to speak so loud. Without lowering her voice: “Your Highness need not be afraid, he′s as deaf as a post,” said the Duchess, every word reaching the General distinctly. “The thing is, I believe M. de Saint-Loup is in a place that is not very safe,” said the Princess. “What is one to do?” replied the Duchess. “He′s in the same boat as everybody else, the only difference being that it was he who originally asked to be sent there. Besides, no, it′s not really dangerous; if it was, you can imagine how anxious I should be to help. I, should have spoken to Saint-Joseph about it during dinner. He has far more influence, and he′s a real worker. But, as you see, he′s gone now. Still, asking him would be less awkward than going to this one, who has; three of his sons in Morocco just now and has refused to apply for them to be exchanged; he might raise that as an objection. Since your Highness insists on it, I shall speak to Saint-Joseph — if I see him again, or to Beautreillis. But if I don′t see either of them, you mustn′t waste your pity on Robert. It was explained to us the other day exactly where he is. I′m sure he couldn′t wish for a better place.”
«Quelle jolie fleur, je n′en avais jamais vu de pareille, il n′y a que vous, Oriane, pour avoir de telles merveilles!» dit la princesse de Parme qui, de peur que le général de Monserfeuil n′eût entendu la duchesse, cherchait à changer de conversation. Je reconnus une plante de l′espèce de celles qu′Elstir avait peintes devant moi. — Je suis enchantée qu′elle vous plaise; elles sont ravissantes, regardez leur petit tour de cou de velours mauve; seulement, comme il peut arriver à des personnes très jolies et très bien habillées, elles ont un vilain nom et elles sentent mauvais. Malgré cela, je les aime beaucoup. Mais ce qui est un peu triste, c′est qu′elles vont mourir. — Mais elles sont en pot, ce ne sont pas des fleurs coupées, dit la princesse. — Non, répondit la duchesse en riant, mais ça revient au même, comme ce sont des dames. C′est une espèce de plantes où les dames et les messieurs ne se trouvent pas sur le même pied. Je suis comme les gens qui ont une chienne. Il me faudrait un mari pour mes fleurs. Sans cela je n′aurai pas de petits! — Comme c′est curieux. Mais alors dans la nature . . . — Oui! il y a certains insectes qui se chargent d′effectuer le mariage, comme pour les souverains, par procuration, sans que le fiancé et la fiancée se soient jamais vus. Aussi je vous jure que je recommande à mon domestique de mettre ma plante à la fenêtre le plus qu′il peut, tantôt du côté cour, tantôt du côté jardin, dans l′espoir que viendra l′insecte indispensable. Mais cela exigerait un tel hasard. Pensez, il faudrait qu′il ait justement été voir une personne de la même espèce et d′un autre sexe, et qu′il ait l′idée de venir mettre des cartes dans la maison. Il n′est pas venu jusqu′ici, je crois que ma plante est toujours digne d′être rosière, j′avoue qu′un peu plus de dévergondage me plairait mieux. Tenez, c′est comme ce bel arbre qui est dans la cour, il mourra sans enfants parce que c′est une espèce très rare dans nos pays. Lui, c′est le vent qui est chargé d′opérer l′union, mais le mur est un peu haut. — En effet, dit M. de Bréauté, vous auriez dû le faire abattre de quelques centimètres seulement, cela aurait suffi. Ce sont des opérations qu′il faut savoir pratiquer. Le parfum de vanille qu′il y avait dans l′excellente glace que vous nous avez servie tout à l′heure, duchesse, vient d′une plante qui s′appelle le vanillier. Celle-là produit bien des fleurs à la fois masculines et féminines, mais une sorte de paroi dure, placée entre elles, empêche toute communication. Aussi ne pouvait-on jamais avoir de fruits jusqu′au jour où un jeune nègre natif de la Réunion et nommé Albins, ce qui, entre parenthèses, est assez comique pour un noir puisque cela veut dire blanc, eut l′idée, à l′aide d′une petite pointe, de mettre en rapport les organes séparés. — Babal, vous êtes divin, vous savez tout, s′écria la duchesse. — Mais vous-même, Oriane, vous m′avez appris des choses dont je ne me doutais pas, dit la princesse. — Je dirai à Votre Altesse que c′est Swann qui m′a toujours beaucoup parlé de botanique. Quelquefois, quand cela nous embêtait trop d′aller à un thé ou à une matinée, nous partions pour la campagne et il me montrait des mariages extraordinaires de fleurs, ce qui est beaucoup plus amusant que les mariages de gens, sans lunch et sans sacristie. On n′avait jamais le temps d′aller bien loin. Maintenant qu′il y a l′automobile, ce serait charmant. Malheureusement dans l′intervalle il a fait lui-même un mariage encore beaucoup plus étonnant et qui rend tout difficile. Ah! madame, la vie est une chose affreuse, on passe son temps à faire des choses qui vous ennuient, et quand, par hasard, on connaît quelqu′un avec qui on pourrait aller en voir d′intéressantes, il faut qu′il fasse le mariage de Swann. Placée entre le renoncement aux promenades botaniques et l′obligation de fréquenter une personne déshonorante, j′ai choisi la première de ces deux calamités. D′ailleurs, au fond, il n′y aurait pas besoin d′aller si loin. Il paraît que, rien que dans mon petit bout de jardin, il se passe en plein jour plus de choses inconvenantes que la nuit . . . dans le bois de Boulogne! Seulement cela ne se remarque pas parce qu′entre fleurs cela se fait très simplement, on voit une petite pluie orangée, ou bien une mouche très poussiéreuse qui vient essuyer ses pieds ou prendre une douche avant d′entrer dans une fleur. Et tout est consommé! — La commode sur laquelle la plante est posée est splendide aussi, c′est Empire, je crois, dit la princesse qui, n′étant pas familière avec les travaux de Darwin et de ses successeurs, comprenait mal la signification des plaisanteries de la duchesse. — N′est-ce pas, c′est beau? Je suis ravie que Madame l′aime, répondit la duchesse. C′est une pièce magnifique. Je vous dirai que j′ai toujours adoré le style Empire, même au temps où cela n′était pas à la mode. Je me rappelle qu′à Guermantes je m′étais fait honnir de ma belle-mère parce que j′avais dit de descendre du grenier tous les splendides meubles Empire que Basin avait hérités des Montesquiou, et que j′en avais meublé l′aile que j′habitais. M. de Guermantes sourit. Il devait pourtant se rappeler que les choses s′étaient passées d′une façon fort différente. Mais les plaisanteries de la princesse des Laumes sur le mauvais goût de sa belle-mère ayant été de tradition pendant le peu de temps où le prince avait été épris de sa femme, à son amour pour la seconde avait survécu un certain dédain pour l′infériorité d′esprit de la première, dédain qui s′alliait d′ailleurs à beaucoup d′attachement et de respect. «Les Iéna ont le même fauteuil avec incrustations de Wetgwood, il est beau, mais j′aime mieux le mien, dit la duchesse du même air d′impartialité que si elle n′avait possédé aucun de ces deux meubles; je reconnais du reste qu′ils ont des choses merveilleuses que je n′ai pas.» La princesse de Parme garda le silence. «Mais c′est vrai, Votre Altesse ne connaît pas leur collection. Oh! elle devrait absolument y venir une fois avec moi. C′est une des choses les plus magnifiques de Paris, c′est un musée qui serait vivant.» Et comme cette proposition était une des audaces les plus Guermantes de la duchesse, parce que les Iéna étaient pour la princesse de Parme de purs usurpateurs, leur fils portant, comme le sien, le titre de duc de Guastalla, Mme de Guermantes en la lançant ainsi ne se retint pas (tant l′amour qu′elle portait à sa propre originalité l′emportait encore sur sa déférence pour la princesse de Parme) de jeter sur les autres convives des regards amusés et souriants. Eux aussi s′efforçaient de sourire, à la fois effrayés, émerveillés, et surtout ravis de penser qu′ils étaient témoins de la «dernière» d′Oriane et pourraient la raconter «tout chaud». Ils n′étaient qu′à demi stupéfaits, sachant que la duchesse avait l′art de faire litière de tous les préjugés Courvoisier pour une réussite de vie plus piquante et plus agréable. N′avait-elle pas, au cours de ces dernières années, réuni à la princesse Mathilde le duc d′Aumale qui avait écrit au propre frère de la princesse la fameuse lettre: «Dans ma famille tous les hommes sont braves et toutes les femmes sont chastes?» Or, les princes le restant même au moment où ils paraissent vouloir oublier qu′ils le sont, le duc d′Aumale et la princesse Mathilde s′étaient tellement plu chez Mme de Guermantes qu′ils étaient ensuite allés l′un chez l′autre, avec cette faculté d′oublier le passé que témoigna Louis XVIII quand il prit pour ministre Fouché qui avait voté la mort de son frère. Mme de Guermantes nourrissait le même projet de rapprochement entre la princesse Murat et la reine de Naples. En attendant, la princesse de Parme paraissait aussi embarrassée qu′auraient pu l′être les héritiers de la couronne des Pays–Bas et de Belgique, respectivement prince d′Orange et duc de Brabant, si on avait voulu leur présenter M. de Mailly Nesle, prince d′Orange, et M. de Charlus, duc de Brabant. Mais d′abord la duchesse, à qui Swann et M. de Charlus (bien que ce dernier fût résolu à ignorer les Iéna) avaient à grand′peine fini par faire aimer le style Empire, s′écria: — Madame, sincèrement, je ne peux pas vous dire à quel point vous trouverez cela beau! J′avoue que le style Empire m′a toujours impressionnée. Mais, chez les Iéna, là, c′est vraiment comme une hallucination. Cette espèce, comment vous dire, de . . . reflux de l′expédition d′Égypte, et puis aussi de remontée jusqu′à nous de l′Antiquité, tout cela qui envahit nos maisons, les Sphinx qui viennent se mettre aux pieds des fauteuils, les serpents qui s′enroulent aux candélabres, une Muse énorme qui vous tend un petit flambeau pour jouer à la bouillotte ou qui est tranquillement montée sur votre cheminée et s′accoude à votre pendule, et puis toutes les lampes pompéiennes, les petits lits en bateau qui ont l′air d′avoir été trouvés sur le Nil et d′où on s′attend à voir sortir Moî²¥, ces quadriges antiques qui galopent le long des tables de nuit . . . — On n′est pas très bien assis dans les meubles Empire, hasarda la princesse. — Non, répondit la duchesse, mais, ajouta Mme de Guermantes en insistant avec un sourire, j′aime être mal assise sur ces sièges d′acajou recouverts de velours grenat ou de soie verte. J′aime cet inconfort de guerriers qui ne comprennent que la chaise curule et, au milieu du grand salon, croisaient les faisceaux et entassaient les lauriers. Je vous assure que, chez les Iéna, on ne pense pas un instant à la manière dont on est assis, quand on voit devant soi une grande gredine de Victoire peinte à fresque sur le mur. Mon époux va me trouver bien mauvaise royaliste, mais je suis très mal pensante, vous savez, je vous assure que chez ces gens-là on en arrive à aimer tous ces N, toutes ces abeilles. Mon Dieu, comme sous les rois, depuis pas mal de temps, on n′a pas été très gâté du côté gloire, ces guerriers qui rapportaient tant de couronnes qu′ils en mettaient jusque sur les bras des fauteuils, je trouve que ça a un certain chic! Votre Altesse devrait . . . — Mon Dieu, si vous croyez, dit la princesse, mais il me semble que ce ne sera pas facile. — Mais Madame verra que tout s′arrangera très bien. Ce sont de très bonnes gens, pas bêtes. Nous y avons mené Mme de Chevreuse, ajouta la duchesse sachant la puissance de l′exemple, elle a été ravie. Le fils est même très agréable . . . Ce que je vais dire n′est pas très convenable, ajouta-t-elle, mais il a une chambre et surtout un lit où on voudrait dormir — sans lui! Ce qui est encore moins convenable, c′est que j′ai été le voir une fois pendant qu′il était malade et couché. A côté de lui, sur le rebord du lit, il y avait sculptée une longue Sirène allongée, ravissante, avec une queue en nacre, et qui tient dans la main des espèces de lotus. Je vous assure, ajouta Mme de Guermantes — en ralentissant son débit pour mettre encore mieux en relief les mots qu′elle avait l′air de modeler avec la moue de ses belles lèvres, le fuselage de ses longues mains expressives, et tout en attachant sur la princesse un regard doux, fixe et profond — qu′avec les palmettes et la couronne d′or qui était à côté, c′était émouvant; c′était tout à fait l′arrangement du jeune Homme et la Mort de Gustave Moreau (Votre Altesse connaît sûrement ce chef-d′oeuvre). La princesse de Parme, qui ignorait même le nom du peintre, fit de violents mouvements de tête et sourit avec ardeur afin de manifester son admiration pour ce tableau. Mais l′intensité de sa mimique ne parvint pas à remplacer cette lumière qui reste absente de nos yeux tant que nous ne savons pas de quoi on veut nous parler. — Il est joli garçon, je crois? demanda-t-elle. — Non, car il a l′air d′un tapir. Les yeux sont un peu ceux d′une reine Hortense pour abat-jour. Mais il a probablement pensé qu′il serait un peu ridicule pour un homme de développer cette ressemblance, et cela se perd dans des joues encaustiquées qui lui donnent un air assez mameluck. On sent que le frotteur doit passer tous les matins. Swann, ajouta-t-elle, revenant au lit du jeune duc, a été frappé de la ressemblance de cette Sirène avec la Mort de Gustave Moreau. Mais d′ailleurs, ajouta-t-elle d′un ton plus rapide et pourtant sérieux, afin de faire rire davantage, il n′y a pas à nous frapper, car c′était un rhume de cerveau, et le jeune homme se porte comme un charme. — On dit qu′il est snob? demanda M. de Bréauté d′un air malveillant, allumé et en attendant dans la réponse la même précision que s′il avait dit: «On m′a dit qu′il n′avait que quatre doigts à la main droite, est-ce vrai?» — M . . . on Dieu, n . . . on, répondit Mme de Guermantes avec un sourire de douce indulgence. Peut-être un tout petit peu snob d′apparence, parce qu′il est extrêmement jeune, mais cela m′étonnerait qu′il le fût en réalité, car il est intelligent, ajouta-t-elle, comme s′il y eût eu à son avis incompatibilité absolue entre le snobisme et l′intelligence. «Il est fin, je l′ai vu drôle», dit-elle encore en riant d′un air gourmet et connaisseur, comme si porter le jugement de drôlerie sur quelqu′un exigeait une certaine expression de gaîté, ou comme si les saillies du duc de Guastalla lui revenaient à l′esprit en ce moment. «Du reste, comme il n′est pas reçu, ce snobisme n′aurait pas à s′exercer», reprit-elle sans songer qu′elle n′encourageait pas beaucoup de la sorte la princesse de Parme. — Je me demande ce que dira le prince de Guermantes, qui l′appelle Mme Iéna, s′il apprend que je suis allée chez elle. — Mais comment, s′écria avec une extraordinaire vivacité la duchesse, vous savez que c′est nous qui avons cédé à Gilbert (elle s′en repentait amèrement aujourd′hui!) toute une salle de jeu Empire qui nous venait de Quiou–Quiou et qui est une splendeur! Il n′y avait pas la place ici où pourtant je trouve que ça faisait mieux que chez lui. C′est une chose de toute beauté, moitié étrusque, moitié égyptienne . . . —Égyptienne? demanda la princesse à qui étrusque disait peu de chose. — Mon Dieu, un peu les deux, Swann nous disait cela, il me l′a expliqué, seulement, vous savez, je suis une pauvre ignorante. Et puis au fond, Madame, ce qu′il faut se dire, c′est que l′Égypte du style Empire n′a aucun rapport avec la vraie Égypte, ni leurs Romains avec les Romains, ni leur Étrurie . . . — Vraiment! dit la princesse. — Mais non, c′est comme ce qu′on appelait un costume Louis XV sous le second Empire, dans la jeunesse d′Anna de Mouchy ou de la mère du cher Brigode. Tout à l′heure Basin vous parlait de Beethoven. On nous jouait l′autre jour de lui une chose, très belle d′ailleurs, un peu froide, où il y a un thème russe. C′en est touchant de penser qu′il croyait cela russe. Et de même les peintres chinois ont cru copier Bellini. D′ailleurs même dans le même pays, chaque fois que quelqu′un regarde les choses d′une façon un peu nouvelle, les quatre quarts des gens ne voient goutte à ce qu′il leur montre. Il faut au moins quarante ans pour qu′ils arrivent à distinguer. — Quarante ans! s′écria la princesse effrayée. — Mais oui, reprit la duchesse, en ajoutant de plus en plus aux mots (qui étaient presque des mots de moi, car j′avais justement émis devant elle une idée analogue), grâce à sa prononciation, l′équivalent de ce que pour les caractères imprimés on appelle italiques, c′est comme une espèce de premier individu isolé d′une espèce qui n′existe pas encore et qui pullulera, un individu doué d′une espèce de sens que l′espèce humaine à son époque ne possède pas. Je ne peux guère me citer, parce que moi, au contraire, j′ai toujours aimé dès le début toutes les manifestations intéressantes, si nouvelles qu′elles fussent. Mais enfin l′autre jour j′ai été avec la grande-duchesse au Louvre, nous avons passé devant l′Olympia de Manet. Maintenant personne ne s′en étonne plus.
Ç‘a l′air d′une chose d′Ingres! Et pourtant Dieu sait ce que j′ai eu à rompre de lances pour ce tableau que je n′aime pas tout, mais qui est sûrement de quelqu′un. Sa place n′est peut-être pas tout à fait au Louvre. — Elle va bien, la grande-duchesse? demanda la princesse de Parme à qui la tante du tsar était infiniment plus familière que le modèle de Manet. — Oui, nous avons parlé de vous. Au fond, reprit la duchesse, qui tenait à son idée, la vérité c′est que, comme dit mon beau-frère Palamède, l′on a entre soi et chaque personne le mur d′une langue étrangère. Du reste je reconnais que ce n′est exact de personne autant que de Gilbert. Si cela vous amuse d′aller chez les Iéna, vous avez trop d′esprit pour faire dépendre vos actes de ce que peut penser ce pauvre homme, qui est une chère créature innocente, mais enfin qui a des idées de l′autre monde. Je me sens plus rapprochée, plus consanguine de mon cocher, de mes chevaux, que de cet homme qui se réfère tout le temps à ce qu′on aurait pensé sous Philippe le Hardi ou sous Louis le Gros. Songez que, quand il se promène dans la campagne, il écarte les paysans d′un air bonasse, avec sa canne, en disant: «Allez, manants!» Je suis au fond aussi étonnée quand il me parle que si je m′entendais adresser la parole par les «gisants» des anciens tombeaux gothiques. Cette pierre vivante a beau être mon cousin, elle me fait peur et je n′ai qu′une idée, c′est de la laisser dans son moyen âge. A part ça, je reconnais qu′il n′a jamais assassiné personne. — Je viens justement de dîner avec lui chez Mme de Villeparisis, dit le général, mais sans sourire ni adhérer aux plaisanteries de la duchesse. — Est-ce que M. de Norpois était là, demanda le prince Von, qui pensait toujours à l′Académie des Sciences morales. — Oui, dit le général. Il a même parlé de votre empereur. — Il paraît que l′empereur Guillaume est très intelligent, mais il n′aime pas la peinture d′Elstir. Je ne dis du reste pas cela contre lui, répondit la duchesse, je partage sa manière de voir. Quoique Elstir ait fait un beau portrait de moi. Ah! vous ne le connaissez pas? Ce n′est pas ressemblant mais c′est curieux. Il est intéressant pendant les poses. Il m′a fait comme une espèce de vieillarde. Cela imite les Régentes de l′hôpital de Hals. Je pense que vous connaissez ces sublimités, pour prendre une expression chère à mon neveu, dit en se tournant vers moi la duchesse qui faisait battre légèrement son éventail de plumes noires. Plus que droite sur sa chaise, elle rejetait noblement sa tête en arrière, car tout en étant toujours grande dame, elle jouait un petit peu à la grande dame. Je dis que j′étais allé autrefois à Amsterdam et à La Haye, mais que, pour ne pas tout mêler, comme mon temps était limité, j′avais laissé de côté Haarlem. — Ah! La Haye, quel musée! s′écria M. de Guermantes. Je lui dis qu′il y avait sans doute admiré la Vue de Delft de Vermeer. Mais le duc était moins instruit qu′orgueilleux. Aussi se contenta-t-il de me répondre d′un air de suffisance, comme chaque fois qu′on lui parlait d′une oeuvre d′un musée, ou bien du Salon, et qu′il ne se rappelait pas: «Si c′est à voir, je l′ai vu!» — Comment! vous avez fait le voyage de Hollande et vous n′êtes pas allé à Haarlem? s′écria la duchesse. Mais quand même vous n′auriez eu qu′un quart d′heure c′est une chose extraordinaire à avoir vue que les Hals. Je dirais volontiers que quelqu′un qui ne pourrait les voir que du haut d′une impériale de tramway sans s′arrêter, s′ils étaient exposés dehors, devrait ouvrir les yeux tout grands. Cette parole me choqua comme méconnaissant la façon dont se forment en nous les impressions artistiques, et parce qu′elle semblait impliquer que notre oeil est dans ce cas un simple appareil enregistreur qui prend des instantanés.
“What a pretty flower, I′ve never seen one like it; there′s no one like you, Oriane, for having such marvellous things in your house,” said the Princesse de Parme, who, fearing that General de Monserfeuil might have overheard the Duchess, sought now to change the conversation. I looked and recognised a plant of the sort that I had watched Elstir painting. “I am so glad you like them; they are charming, do look at their little purple velvet collars; the only thing against them is — as may happen with people who are very pretty and very nicely dressed — they have a hideous name and a horrid smell. In spite of which I am very fond of them. But what is rather sad is that they are dying.” “But they′re growing in a pot, they aren′t cut flowers,” said the Princess. “No,” answered the Duchess with a smile, “but it comes to the same thing, as they′re all ladies. It′s a kind of plant where the ladies and the gentlemen don′t both grow on the same stalk. I′m like people who keep a lady dog. I have to find a husband for my flowers. Otherwise I shan′t have any young ones!” “How very strange. Do you mean to say that in nature . . .?” “Yes! There are certain insects whose duty it is to bring about the marriage, as they do with Sovereigns, by proxy, without the bride and bridegroom ever having set eyes on one another. And so, I assure you, I always tell my man to put my plant out in the window as often as possible, on the courtyard side and the garden side turn about, in the hope that the necessary insect will arrive. But the odds are too great. Fancy, he has first to have been seen by a person of the same species and the opposite sex, and he must then have taken it into his head to come and leave cards at the house. He hasn′t appeared so far, I believe my plant can still qualify for the white flower of a blameless life, but I must say a little immodesty would please me better. It′s just the same with that fine tree we have in the courtyard; he will die childless because he belongs to a kind that′s very rare in these latitudes. In his case, it′s the wind that′s responsible for consummating the marriage, but the wall is a trifle high.” “By Jove, yes,” said M. de Bréauté, “you ought to take just a couple of inches off the top, that will be quite enough. There are certain operations one ought to know how to perform. The flavour of vanilla we tasted in the excellent ice you gave us this evening, Duchess, comes from a plant called the vanilla tree. This plant produces flowers which are both male and female, but a sort of solid wall set up between them prevents any communication. And so we could never get any fruit from them until a young Negro, a native of Réunion, by the name of Albins, which by the way is rather an odd name for a black man since it means ‘white,′ had the happy thought of using the point of a needle to bring the separate organs into contact.” “Babal, you′re divine, you know everything,” cried the Duchess. “But you yourself, Oriane, have told me things I had no idea of,” the Princesse de Parme assured her. “I must explain to your Highness that it is Swann who has always talked to me all about botany. Sometimes when we were too bored to go to a tea-party or a concert we would set off for the country, and he would shew me extraordinary marriages between flowers, which was far more amusing than going to human marriages — no wedding-breakfast and no crowd in the sacristy. We never had time to go very far. Now that motor-cars have come in, it Would be delightful. Unfortunately, in the interval he himself has made an even more astonishing marriage, which makes everything very difficult. Oh, Ma′am, life is a dreadful business, we spend our whole time doing things that bore us, and when by mere chance we come across somebody with whom we could go and look at something really interesting, he has to make a marriage like Swann′s. Faced with the alternatives of giving up my botanical expeditions and being obliged to call upon a degrading person, I chose the former calamity. Besides, when it comes to that, there was no need to go quite so far. It seems that here, in my own little bit of garden, more odd things happen in broad daylight than at midnight — in the Bois de Boulogne! Only they attract no attention, because among flowers it′s all done quite simply, you see a little orange shower, or else a very dusty fly coming to wipe its feet or take a bath before crawling into a flower. And that does the trick!” “The cabinet the plant is standing on is splendid, too; it′s Empire, I think,” said the Princess, who, not being familiar with the works of Darwin and his followers, was unable to grasp the point of the Duchess′s pleasantries. “It′s lovely, isn′t it? I′m so glad Ma′am likes it,” replied the Duchess, “it′s a magnificent piece. I must tell you that I′ve always adored the Empire style, even when it wasn′t in fashion. I remember at Guermantes I got into terrible disgrace with my mother-in-law because I told them to bring down from the attics all the splendid Empire furniture Basin had inherited from the Montesquious, and used it to furnish the wing we lived in.” M. de Guermantes smiled. He must nevertheless have remembered that the course of events had been totally different. But, the witticisms of the Princesse des Laumes at the expense of her mother-in-law′s bad taste having been a tradition during the short time in which the Prince was in love with his wife, his love for the latter had been outlasted by a certain contempt for the intellectual inferiority of the former, a contempt which, however, went hand in hand with a considerable attachment and respect. “The Iénas have the same armchair with Wedgwood medallions, it′s a lovely thing, but I prefer my own;” said the Duchess, with the same air of impartiality as if she had been the possessor of neither of the articles under discussion. “I know, of course, that they′ve some marvellous things which I haven′t got.” The Princesse de Parme remained silent. “But it′s quite true; your Highness hasn′t seen their collection. Oh, you ought really to come there one day with me, it′s one of the most magnificent things in Paris. You′d say it was a museum come to life.” And since this suggestion was one of the most ‘Guermantes′ of the Duchess′s audacities, inasmuch as the lénas were for the Princesse de Parme rank usurpers, their son bearing like her own the title of Duc de Guastalla, Mme. de Guermantes in thus launching it could not refrain (so far did the love that she bore for her own originality prevail over the deference due to the Princesse de Parme) from casting at her other guests a smiling glance of amusement. They too made an effort to smile, at once frightened, bewildered, and above all delighted to think that they were being ear-witnesses of Oriane′s very ‘latest′ and could carry it away with them ‘red hot.′ They were only half shocked, knowing that the Duchess had the knack of strewing the ground with all the Courvoisier prejudices to achieve a vital success more thrilling and more enjoyable. Had she not, within the last few years, brought together Princesse Mathilde and that Due d′Aumale who had written to the Princess′s own brother the famous letter: “In my family all the men are brave and the women chaste”? And inasmuch as Princes remain princely even at those moments when they appear anxious to forget that they are, the Due d′Aumale and Princesse Mathilde had enjoyed themselves so greatly at Mme. de Guermantes′s that they had thereafter formed a defensive alliance, with that faculty for forgetting the past which Louis XVIII shewed when he took as his Minister Fouché, who had voted the death of his brother. Mme. de Guermantes was now nourishing a similar project of arranging a meeting between Princesse Murât and the Queen of Naples. In the meantime, the Princesse de Parme appeared as embarrassed as might have been the heirs-apparent to the Thrones of the Netherlands and Belgium, styled respectively Prince of Orange and Duke of Brabant, had one offered to present to them M. de Mailly Nesle, Prince d′Orange, and M. de Charlus, Due de Brabant. But, before anything further could happen, the Duchess, whom Swann and M. de Charlus between them (albeit the latter was resolute in ignoring the lénas′ existence) had with great difficulty succeeded in making admire the Empire style, exclaimed: “Honestly, Ma′am, I can′t tell you how beautiful you will think it! I must confess that the Empire style has always had a fascination for me. But at the lénas′ it is really like a hallucination. That sort of — what shall I say — reflux from the Expedition to Egypt, and also the sweep forward into our own times from Antiquity, all those things that invade our houses, the Sphinxes that come to crouch at the feet of the sofas, the serpents coiled round candelabra, a huge Muse who holds out a little torch for you to play at bouillotte, or has quietly climbed on to the mantelpiece and is leaning against your clock; and then all the Pompeian lamps, the little boat-shaped beds which look as if they had been found floating on the Nile so that you expect to see Moses climb out of them, the classical chariots galloping along the bed tables. . . . ” “They′re not very comfortable to sit in, those Empire chairs,” the Princess ventured. “No,” the Duchess agreed, “but,” she at once added, insisting on the point with a smile: “I like being uncomfortable on those mahogany seats covered with ruby velvet or green silk. I like that discomfort of the warrior who understands nothing but the curule chair and in the middle of his principal drawing-room crosses his fasces and piles his laurels. I can assure you that at the Iénas′ one doesn′t stop to think for a moment of how comfortable one is, when one sees in front of one a great strapping wench of a Victory painted in fresco on the wall. My husband is going to say that I′m a very bad Royalist, but I′m terribly disaffected, as you know, I can assure you that in those people′s house one comes to love all the big N′s and all the bees. Good gracious, after all for a good many years under our Kings we weren′t exactly surfeited with glory, and so these warriors who brought home so many crowns that they stuck them even on the arms of the chairs, I must say I think it′s all rather fetching! Your Highness ought really.” “Why, my dear, if you think so,” said the Princess, “but it seems to me that it won′t be easy.” “But Ma′am will find that it will all go quite smoothly. They are very good people, and no fools. We took Mme. de Chevreuse there,” added the Duchess, knowing the force of this example, “she was enchanted. The son is really very pleasant. I′m going to say something that′s not quite proper,” she went on, “but he has a bedroom, and more especially a bed in it, in which I should love to sleep — without him! What is even less proper is that I went to see him once when he was ill and lying in it. By his side on the frame of the bed was moulded a long Siren, stretched out at full length, a lovely thing with a mother-of-pearl tail and some sort of lotus flowers in her hand. I assure you,” went on Mme. de Guermantes, reducing the speed of her utterances to bring into even bolder relief the words which she had the air of modelling with the pout of her fine lips, drawing them out with her long expressive hands, directing on the Princess as she spoke a gentle, steady and searching gaze, “that with the palms and the golden crown at the side, it was most moving, it was just the arrangement of Gustave Moreau′s Death and the Young Man (your Highness must know that great work, of course).” The Princesse de Parme, who did not know so much as the painter′s name, made violent movements with her head and smiled ardently, in order to manifest her admiration for his picture. But the intensity of her mimicry could not fill the place of that light which is absent from our eyes so long as we do not understand what people are trying to tell us. “A good-looking boy, I believe?” she asked. “No for he′s just like a tapir. The eyes are a little those of a Queen Hortense on a screen. But he has probably come to the conclusion that it is rather absurd for a man to develop such a resemblance, and it is lost in the encaustic surface of his cheeks which give him really rather a Mameluke appearance. You feel that the polisher must call round every morning. Swann,” she went on, reverting to the bed of the young Duke, “was struck by the resemblance between this Siren and Gustave Moreau′s Death. But apart from that,” she added, her speech becoming more rapid though still serious, so as to provoke more laughter, “there was nothing really that could strike us, for it was only a cold in the head, and the young man made a marvellous recovery.” “They say he′s a snob?” put in M. de Bréauté, with a malicious twinkle, expecting to be answered with the same precision as though he had said: “They tell me that he has only four fingers on his right hand; is that so?” “G— ood g — racious, n — o,” replied Mme. de Guermantes with a smile of benign indulgence. “Perhaps just the least little bit of a snob in appearance, because he′s extremely young, but I should be surprised to hear that he was really, for he′s intelligent,” she added, as though there were to her mind some absolute incompatibility between snobbishness and intelligence. “He has wit, too, I′ve known him to be quite amusing,” she said again, laughing with the air of an epicure and expert, as though the act of declaring that a person could be amusing demanded a certain expression of merriment from the speaker, or as though the Duc de Guastalla′s sallies were recurring to her mind as she spoke. “Anyway, as he never goes anywhere, he can′t have much field for his snobbishness,” she wound up, forgetting that this was hardly encouraging the Princesse de Parme to make overtures. “I cannot help wondering what the Prince de Guermantes, who calls her Mme. Iéna, will say if he hears that I′ve been to see her.” “What!” cried the Duchess with extraordinary vivacity. “Don′t you know that it was we who gave up to Gilbert” (she bitterly regretted that surrender now) “a complete card-room done in the Empire style which came to us from Quiou-Quiou, and is an absolute marvel! There was no room for it here, though I think it would look better here than it does with him. It′s a thing of sheer beauty, half Etruscan, half Egyptian. . . . ” “Egyptian?” queried the Princess, to whom the word Etruscan conveyed little. “Well, really, you know, a little of both. Swann told us that, he explained it all to me, only you know I′m such a dunce. But then, Ma′am, what one has to bear in mind is that the Egypt of the Empire cabinetmakers has nothing to do with the historical Egypt, nor their Roman with the Romans nor their Etruria. . . . ” “Indeed,” said the Princess. “No, it′s like what they used to call a Louis XV costume under the Second Empire, when Anna de Monchy and dear Brigode′s mother were girls. Basin was talking to you just now about Beethoven. We heard a thing of his played the other day which was really quite good, though a little stiff, with a Russian theme in it. It′s pathetic to think that he believed it to be Russian. In the same way as the Chinese painters believed they were copying Bellini. Besides, even in the same country, whenever anybody begins to look at things in a way that is slightly novel, nine hundred and ninety-nine people out of a thousand are totally incapable of seeing what he puts before them. It takes at least forty years before they can manage to make it out.” “Forty years!” the Princess cried in alarm. “Why, yes,” went on the Duchess, adding more and more to her words (which were practically my own, for I had just been expressing a similar idea to her), thanks to her way of pronouncing them, the equivalent of what on the printed page is called italics: “it′s like a sort of first isolated individual of a species which does not yet exist but is going to multiply in the future, an individual endowed with a kind of sense which the human race of his generation does not possess. I can hardly give myself as an instance because I, on the contrary, have always loved any interesting production from the very start, however novel it might be. But really, the other day I was with the Grand Duchess in the Louvre and we happened to pass before Manet′s Olympia. Nowadays nobody is in the least surprised by it. It looks just like an Ingres! And yet, heaven only knows how many spears I′ve had to break for that picture, which I don′t altogether like but which is unquestionably the work of somebody.” “And is the Grand Duchess well?” inquired the Princesse de Parme, to whom the Tsar′s aunt was infinitely more familiar than Manet′s model. “Yes; we talked about you. After all,” she resumed, clinging to her idea, “the fact of the matter is, as my brother-in-law Palamède always says, that one has between oneself and the rest of the world the barrier of a strange language. Though I admit that there′s no one it′s quite so true of as Gilbert. If it amuses you to go to the Iénas′, you have far too much sense to let your actions be governed by what that poor fellow may think, who is a dear, innocent creature, but really lives in a different world. I feel myself nearer, more akin to my coachman, my horses even, than to a man who keeps on harking back to what people would have thought under Philip the Bold or Louis the Fat. Just fancy, when he goes for a walk in the country, he takes a stick to drive the peasants out of his way, quite in a friendly spirit, saying: ‘Get on, clowns!′ Really, I′m just as much surprised when he speaks to me as if I heard myself addressed by one of the ‘recumbents′ on the old gothic tombs. It′s all very well that animated gravestone′s being my cousin; he frightens me, and the only idea that comes into my head is to let him stay in his Middle Ages. Apart from that, I quite admit that he′s never assassinated anyone.” “I′ve just been seeing him at dinner at Mme. de Villeparisis′s,” said the General, but without either smiling at or endorsing the Duchess′s pleasantries. “Was M. de Norpois there?” asked Prince Von, whose mind still ran on the Academy of Moral Sciences. “Why, yes;” said the General. “In fact, he was talking about your Emperor.” “It seems, the Emperor William is highly intelligent, but he does not care for Elstir′s painting. Not that I′m saying this against him,” said the Duchess, “I quite share his point of view. Although Elstir has done a fine portrait of me. You don′t know it? It′s not in the least like me, but it′s a remarkable piece of work. He is interesting while one′s sitting to him. He has made me like a little old woman It′s after the style of the Regents of the Hospital, by Hals. I expect you know those sublimities, to borrow my nephew′s favourite expression,” the Duchess turned to myself, gently flapping her fan of black feathers. More than erect on her chair, she flung her head nobly backwards, for, while always a great lady, she was a trifle inclined to play the great lady also. I said that I had been once to Amsterdam and The Hague, but that to avoid confusing my mind, as my time was limited, I had left out Haarlem. “Ah! The Hague! What a gallery!” cried M. de Guermantes. I said to him that he had doubtless admired Vermeer′s Street in Delft. But the Duke was less erudite than arrogant. Accordingly he contented himself with replying in a tone of sufficiency, as was his habit whenever anyone spoke to him of a picture in a gallery, or in the Salon, which he did not remember having seen. “If it′s to be seen, I saw it!” “What? You′ve been to Holland, and you never visited Haarlem!” cried the Duchess. “Why, even if you had only a quarter of an hour to spend in the place, they′re an extraordinary thing to have seen, those Halses. I don′t mind saying that a person who only caught a passing glimpse of them from the top of a tramway-car without stopping, supposing they were hung out to view in the street, would open his eyes pretty wide.” This utterance shocked me as indicating a misconception of the way in which artistic impressions are formed in our minds, and because it seemed to imply that our eye is in that case simply a recording machine which takes instantaneous photographs.
M. de Guermantes, heureux qu′elle me parlât avec une telle compétence des sujets qui m′intéressaient, regardait la prestance célèbre de sa femme, écoutait ce qu′elle disait de Frans Hals et pensait: «Elle est ferrée à glace sur tout. Mon jeune invité peut se dire qu′il a devant lui une grande dame d′autrefois dans toute l′acception du mot, et comme il n′y en a pas aujourd′hui une deuxième.» Tels je les voyais tous deux, retirés de ce nom de Guermantes dans lequel, jadis, je les imaginais menant une inconcevable vie, maintenant pareils aux autres hommes et aux autres femmes, retardant seulement un peu sur leurs contemporains, mais inégalement, comme tant de ménages du faubourg Saint–Germain où la femme a eu l′art de s′arrêter à l′âge d′or, l′homme, la mauvaise chance de descendre à l′âge ingrat du passé, l′une restant encore Louis XV quand le mari est pompeusement Louis–Philippe. Que Mme de Guermantes fût pareille aux autres femmes, ç‘avait été pour moi d′abord une déception, c′était presque, par réaction, et tant de bons vins aidant, un émerveillement. Un Don Juan d′Autriche, une Isabelle d′Este, situés pour nous dans le monde des noms, communiquent aussi peu avec la grande histoire que le côté de Méséglise avec le côté de Guermantes. Isabelle d′Este fut sans doute, dans la réalité, une fort petite princesse, semblable à celles qui sous Louis XIV n′obtenaient aucun rang particulier à la cour. Mais, nous semblant d′une essence unique et, par suite, incomparable, nous ne pouvons la concevoir d′une moindre grandeur, de sorte qu′un souper avec Louis XIV nous paraîtrait seulement offrir quelque intérêt, tandis qu′en Isabelle d′Este nous nous trouverions, par une rencontre, voir de nos yeux une surnaturelle héroî¥ de roman. Or, après avoir, en étudiant Isabelle d′Este, en la transplantant patiemment de ce monde féerique dans celui de l′histoire, constaté que sa vie, sa pensée, ne contenaient rien de cette étrangeté mystérieuse que nous avait suggérée son nom, une fois cette déception consommée, nous savons un gré infini à cette princesse d′avoir eu, de la peinture de Mantegna, des connaissances presque égales à celles, jusque-là méprisées par nous et mises, comme eût dit Françoise, «plus bas que terre», de M. Lafenestre. Après avoir gravi les hauteurs inaccessibles du nom de Guermantes, en descendant le versant interne de la vie de la duchesse, j′éprouvais à y trouver les noms, familiers ailleurs, de Victor Hugo, de Frans Hals et, hélas, de Vibert, le même étonnement qu′un voyageur, après avoir tenu compte, pour imaginer la singularité des moeurs dans un vallon sauvage de l′Amérique Centrale ou de l′Afrique du Nord, de l′éloignement géographique, de l′étrangeté des dénominations de la flore, éprouve à découvrir, une fois traversé un rideau d′aloès géants ou de mancenilliers, des habitants qui (parfois même devant les ruines d′un théâtre romain et d′une colonne dédiée à Vénus) sont en train de lire Mérope ou Alzire . Et si loin, si à l′écart, si au-dessus des bourgeoises instruites que j′avais connues, la culture similaire par laquelle Mme de Guermantes s′était efforcée, sans intérêt, sans raison d′ambition, de descendre au niveau de celles qu′elle ne connaîtrait jamais, avait le caractère méritoire, presque touchant à force d′être inutilisable, d′une érudition en matière d′antiquités phéniciennes chez un homme politique ou un médecin. «J′en aurais pu vous montrer un très beau, me dit aimablement Mme de Guermantes en me parlant de Hals, le plus beau, prétendent certaines personnes, et que j′ai hérité d′un cousin allemand. Malheureusement il s′est trouvé «fieffé» dans le château; vous ne connaissiez pas cette expression? moi non plus,» ajouta-t-elle par ce goût qu′elle avait de faire des plaisanteries (par lesquelles elle se croyait moderne) sur les coutumes anciennes, mais auxquelles elle était inconsciemment et âprement attachée. «Je suis contente que vous ayez vu mes Elstir, mais j′avoue que je l′aurais été encore bien plus, si j′avais pu vous faire les honneurs de mon Hals, de ce tableau «fieffé». — Je le connais, dit le prince Von, c′est celui du grand-duc de Hesse. — Justement, son frère avait épousé ma soeur, dit M. de Guermantes, et d′ailleurs sa mère était cousine germaine de la mère d′Oriane. — Mais en ce qui concerne M. Elstir, ajouta le prince, je me permettrai de dire que, sans avoir d′opinion sur ses oeuvres, que je ne connais pas, la haine dont le poursuit l′empereur ne me paraît pas devoir être retenue contre lui. L′empereur est d′une merveilleuse intelligence. — Oui, j′ai dîné deux fois avec lui, une fois chez ma tante Sagan, une fois chez ma tante Radziwill, et je dois dire que je l′ai trouvé curieux. Je ne l′ai pas trouvé simple! Mais il a quelque chose d′amusant, d′«obtenu», dit-elle en détachant le mot, comme un oeillet vert, c′est-à-dire une chose qui m′étonne et ne me plaît pas infiniment, une chose qu′il est étonnant qu′on ait pu faire, mais que je trouve qu′on aurait fait aussi bien de ne pas pouvoir. J′espère que je ne vous «choque» pas? — L′empereur est d′une intelligence inou reprit le prince, il aime passionnément les arts; il a sur les oeuvres d′art un goût en quelque sorte infaillible, il ne se trompe jamais; si quelque chose est beau, il le reconnaît tout de suite, il le prend en haine. S′il déteste quelque chose, il n′y a aucun doute à avoir, c′est que c′est excellent. (Tout le monde sourit.) — Vous me rassurez, dit la princesse. — Je comparerai volontiers l′empereur, reprit le prince qui, ne sachant pas prononcer le mot archéologue (c′est-à-dire comme si c′était écrit kéologue), ne perdait jamais une occasion de s′en servir, à un vieil archéologue (et le prince dit arshéologue) que nous avons à Berlin. Devant les anciens monuments assyriens le vieil arshéologue pleure. Mais si c′est du moderne truqué, si ce n′est pas vraiment ancien, il ne pleure pas. Alors, quand on veut savoir si une pièce arshéologique est vraiment ancienne, on la porte au vieil arshéologue. S′il pleure, on achète la pièce pour le musée. Si ses yeux restent secs, on la renvoie au marchand et on le poursuit pour faux. Eh bien, chaque fois que je dîne à Potsdam, toutes les pièces dont l′empereur me dit: «Prince, il faut que vous voyiez cela, c′est plein de génialité», j′en prends note pour me garder d′y aller, et quand je l′entends fulminer contre une exposition, dès que cela m′est possible j′y cours. — Est-ce que Norpois n′est pas pour un rapprochement anglo-français? dit M. de Guermantes. — A quoi ça vous servirait? demanda d′un air à la fois irrité et finaud le prince Von qui ne pouvait pas souffrir les Anglais. Ils sont tellement pêtes. Je sais bien que ce n′est pas comme militaires qu′ils vous aideraient. Mais on peut tout de même les juger sur la stupidité de leurs généraux. Un de mes amis a causé récemment avec Botha, vous savez, le chef boer. Il lui disait: «C′est effrayant une armée comme ça. J′aime, d′ailleurs, plutôt les Anglais, mais enfin pensez que moi, qui ne suis qu′un paysan, je les ai rossés dans toutes les batailles. Et à la dernière, comme je succombais sous un nombre d′ennemis vingt fois supérieur, tout en me rendant parce que j′y étais obligé, j′ai encore trouvé le moyen de faire deux mille prisonniers!
Ç‘a été bien parce que je n′étais qu′un chef de paysans, mais si jamais ces imbéciles-là avaient à se mesurer avec une vraie armée européenne, on tremble pour eux de penser à ce qui arriverait! Du reste, vous n′avez qu′à voir que leur roi, que vous connaissez comme moi, passe pour un grand homme en Angleterre.» J′écoutais à peine ces histoires, du genre de celles que M. de Norpois racontait à mon père; elles ne fournissaient aucun aliment aux rêveries que j′aimais; et d′ailleurs, eussent-elles possédé ceux dont elles étaient dépourvues, qu′il les eût fallu d′une qualité bien excitante pour que ma vie intérieure pût se réveiller durant ces heures mondaines où j′habitais mon épiderme, mes cheveux bien coiffés, mon plastron de chemise, c′est-à-dire où je ne pouvais rien éprouver de ce qui était pour moi dans la vie le plaisir. — Ah! je ne suis pas de votre avis, dit Mme de Guermantes, qui trouvait que le prince allemand manquait de tact, je trouve le roi Edouard charmant, si simple, et bien plus fin qu′on ne croit. Et la reine est, même encore maintenant, ce que je connais de plus beau au monde. — Mais, madame la duchesse, dit le prince irrité et qui ne s′apercevait pas qu′il déplaisait, cependant si le prince de Galles avait été un simple particulier, il n′y a pas un cercle qui ne l′aurait rayé et personne n′aurait consenti à lui serrer la main. La reine est ravissante, excessivement douce et bornée. Mais enfin il y a quelque chose de choquant dans ce couple royal qui est littéralement entretenu par ses sujets, qui se fait payer par les gros financiers juifs toutes les dépenses que lui devrait faire, et les nomme baronnets en échange. C′est comme le prince de Bulgarie . . . — C′est notre cousin, dit la duchesse, il a de l′esprit. — C′est le mien aussi, dit le prince, mais nous ne pensons pas pour cela que ce soit un brave homme. Non, c′est de nous qu′il faudrait vous rapprocher, c′est le plus grand désir de l′empereur, mais il veut que ça vienne du coeur; il dit: ce que je veux c′est une poignée de mains, ce n′est pas un coup de chapeau! Ainsi vous seriez invincibles. Ce serait plus pratique que le rapprochement anglo-français que prêche M. de Norpois. — Vous le connaissez, je sais, me dit la duchesse de Guermantes pour ne pas me laisser en dehors de la conversation. Me rappelant que M. de Norpois avait dit que j′avais eu l′air de vouloir lui baiser la main, pensant qu′il avait sans doute raconté cette histoire à Mme de Guermantes et, en tout cas, n′avait pu lui parler de moi que méchamment, puisque, malgré son amitié avec mon père, il n′avait pas hésité à me rendre si ridicule, je ne fis pas ce qu′eut fait un homme du monde. Il aurait dit qu′il détestait M. de Norpois et le lui avait fait sentir; il l′aurait dit pour avoir l′air d′être la cause volontaire des médisances de l′ambassadeur, qui n′eussent plus été que des représailles mensongères et intéressées. Je dis, au contraire, qu′à mon grand regret, je croyais que M. de Norpois ne m′aimait pas. «Vous vous trompez bien, me répondit Mme de Guermantes. Il vous aime beaucoup. Vous pouvez demander à Basin, si on me fait la réputation d′être trop aimable, lui ne l′est pas. Il vous dira que nous n′avons jamais entendu parler Norpois de quelqu′un aussi gentiment que de vous. Et il a dernièrement voulu vous faire donner au ministère une situation charmante. Comme il a su que vous étiez souffrant et ne pourriez pas l′accepter, il a eu la délicatesse de ne pas même parler de sa bonne intention à votre père qu′il apprécie infiniment.» M. de Norpois était bien la dernière personne de qui j′eusse attendu un bon office. La vérité est qu′étant moqueur et même assez malveillant, ceux qui s′étaient laissé prendre comme moi à ses apparences de saint Louis rendant la justice sous un chêne, aux sons de voix facilement apitoyés qui sortaient de sa bouche un peu trop harmonieuse, croyaient à une véritable perfidie quand ils apprenaient une médisance à leur égard venant d′un homme qui avait semblé mettre son coeur dans ses paroles. Ces médisances étaient assez fréquentes chez lui. Mais cela ne l′empêchait pas d′avoir des sympathies, de louer ceux qu′il aimait et d′avoir plaisir à se montrer serviable pour eux. «Cela ne m′étonne du reste pas qu′il vous apprécie, me dit Mme de Guermantes, il est intelligent. Et je comprends très bien, ajouta-t-elle pour les autres, et faisant allusion à un projet de mariage que j′ignorais, que ma tante, qui ne l′amuse pas déjà beaucoup comme vieille maîtresse, lui paraisse inutile comme nouvelle épouse. D′autant plus que je crois que, même maîtresse, elle ne l′est plus depuis longtemps, elle est plus confite en dévotion. Booz–Norpois peut dire comme dans les vers de Victor Hugo:
M. de Guermantes, rejoicing that she should be speaking to me with so competent a knowledge of the subjects that interested me, gazed at the illustrious bearing of his wife, listened to what she was saying about Franz Hals, and thought: “She rides rough-shod over everything! Our young friend can go home and say that he′s had before his eyes a great lady of the old school, in the full sense of the word, the like of whom couldn′t be found anywhere to-day.” Thus I beheld the pair of them, withdrawn from that name Guermantes in which long ago I had imagined them leading an unimaginable life, now just like other men and other women, lingering, only, behind their contemporaries a little way, and that not evenly, as in so many households of the Faubourg, where the wife has had the good taste to stop at the golden, the husband the misfortune to come down to the pinchbeck age of history, she remaining still Louis XV while her partner is pompously Louis-Philippe. That Mme. de Guermantes should be like other women had been for me at first a disappointment; it was now, by a natural reaction and with all these good wines to help, almost a miracle. A Don John of Austria, an Isabella d′Esté, situated for us in the world of names, have as little communication with the great pages of history as the Méséglise way had with the Guermantes. Isabella d′Esté was no doubt in reality a very minor Princess, similar to those who under Louis XIV obtained no special place at Court. But seeming to us to be of a unique and therefore incomparable essence, we cannot conceive of her as being any less in greatness, so that a supper-party with Louis XIV would appear to us only to be rather interesting, whereas with Isabella d′Este we should find ourselves, were we to meet her, gazing with our own eyes on a supernatural heroine of romance. Well, after we have, in studying Isabella d′Esté, in transplanting her patiently from this world of fairyland into that of history, established the fact that her life, her thought contained nothing of that mysterious strangeness which had been suggested to us by her name, once this disappointment is complete we feel a boundless gratitude to this Princess for having had, of Mantegna′s paintings, a knowledge almost equal to that, hitherto despised by us and put, as Françoise would have said, lower than the dirt, of M. Lafenestre. After having scaled the inaccessible heights of the name Guermantes, on descending the inner slope of the life of the Duchess, I felt on finding there the names, familiar elsewhere, of Victor Hugo, Franz Hals and, I regret to say, Vibert, the same astonishment that an explorer, after having taken into account, to imagine the singularity of the native customs in some wild valley of Central America or Northern Africa, its geographical remoteness, the strangeness of its flora, feels on discovering, once he has made his way through a hedge of giant aloes or manchineels, inhabitants who (sometimes indeed among the ruins of a Roman theatre and beneath a column dedicated to Venus) are engaged in reading Mérope or Alzire. And similarly, so remote, so distinct from, so far superior to the educated women of the middle classes whom I had known, the similar culture by which Mme. de Guermantes had made herself, with no ulterior motive, to gratify no ambition, descend to the level of people whom she would never know, had the character — meritorious, almost touching by virtue of being wholly useless — of an erudition in Phoenician antiquities in a politician or a doctor. “I might have shewn you a very fine one,” said Mme. de Guermantes, still speaking of Hals, “the finest in existence, some people say, which was left to me by a German cousin. Unfortunately, it turned out to be ‘enfeoffed′ in the castle — you don′t know the expression, nor I either,” she added, with her fondness for making jokes (which made her, she thought, seem modern) at the expense of the old customs to which nevertheless she was unconsciously but keenly attached. “I am glad you have seen my Elstirs, but, I must admit, I should have been a great deal more glad if I could have done you the honours of my Hals, this ‘enfeoffed′ picture.” “I know the one,” said Prince Von, “it′s the Grand Duke of Hesse′s Hals.” “Quite so; his brother married my sister,” said M. de Guermantes, “and his mother and Oriane′s were first cousins as well.” “But so far as M. Elstir is concerned,” the Prince went on, “I shall take the liberty of saying, without having any opinion of his work, which I do not know, that the hatred with which the Emperor pursues him ought not, it seems to me, to be counted against him. The Emperor is a man of marvellous intelligence.” “Yes, I′ve met him at dinner twice, once at my aunt Sagan′s and once at my aunt Radziwill′s, and I must say I found him quite unusual. I didn′t find him at all simple! But there is something amusing about him, something ‘forced,′” she detached the word, “like a green carnation, that is to say a thing that surprises me and docs not please me enormously, a thing it is surprising that anyone should have been able to create but which I feel would have been just as well uncreated. I trust I′m not shocking you.” “The Emperor is a man of astounding intelligence,” resumed the Prince, “he is passionately fond of the arts he has for works of art a taste that is practically infallible, if a thing is good he spots it at once and takes a dislike to it. If he detests anything there can be no more doubt about it, the thing is excellent.“Everyone smiled. “You set my mind at rest,” said the Duchess. “I should be inclined to compare the Emperor,” went on the Prince, who, not knowing how to pronounce the word archaeologist (that is to say, as though it were spelt ‘arkeologist′), never missed an opportunity of using it, “to an old archaeologist” (but the Prince said ‘arsheologist′) “we have in Berlin. If you put him in front of a genuine Assyrian antique, he weeps. But if it is a modern sham, if it is not really old, he does not weep. And so, when they want to know whether an arsheological piece is really old, they take it to the old arsheologist. If he weeps, they buy the piece for the Museum. If his eyes remain dry, they send it back to the dealer, and prosecute him for fraud. Well, every time I dine at Potsdam, if the Emperor says to me, of a play: ‘Prince, you must see that, it′s a work of genius,′ I make a note not to go to it; and when I hear him fulminating against an exhibition, I rush to see it at the first possible opportunity.” “Norpois is in favour of an Anglo-French understanding, isn′t he?” said M. de Guermantes. “What use would that be to you?” asked Prince Von, who could not endure the English, in a tone at once of irritation and cunning. “The English are so schtubid. I know, of course, that it would not be as soldiers that they would help you. But one can judge them, all the same, by the stupidity of their Generals. A friend of mine was talking the other day to Botha, you know, the Boer leader. He said to my friend: ‘It′s terrible, an army like that. I rather like the English, as a matter of fact, but just imagine that I, who am only a peasant, have beaten them in every battle. And in the last, when I gave way before a force twenty times the strength of my own, while I myself surrendered, because I had to, I managed to take two thousand prisoners! That was good enough, because I was only commanding an army of farmers, but if those poor fools ever have to stand up against a European army, one trembles to think what may happen to them!′ Besides, you have only to see how their King, whom you know as well as I do, passes for a great man in England.” I barely listened to these stories, stories of the kind that M. de Norpois used to tell my father; they supplied no food for my favourite train of thought; and besides, even had they possessed the elements which they lacked, they would have had to be of a very exciting quality for my inner life to awaken during those hours in which I dwelt in my skin, my well-brushed hair, my starched shirt-front, in which, that is to say, I could feel nothing of what constituted for me the pleasure of life. “Oh, I don′t agree with you at all,” said Mme. de Guermantes, who felt that the German Prince was wanting in tact, “I find King Edward charming, so simple, and much cleverer than people think. And the Queen is, even now, the most beautiful thing I′ve ever seen in the world.” “But, Madame la Duchesse,” said the Prince, who was losing his temper and did not see that he was giving offence, “you must admit that if the Prince of Wales had been an ordinary person there isn′t a club that wouldn′t have blackballed him, and nobody would have been willing to shake hands with him. The Queen is charming, exceedingly sweet and limited. But after all there is something shocking about a royal couple who are literally kept by their subjects, who get the big Jewish financiers to foot all the bills they ought to pay themselves, and create them Baronets in return. It′s like the Prince of Bulgaria . . . ” “He′s our cousin,” put in the Duchess. “He′s a clever fellow.” “He′s mine, too, but we don′t think him a good fellow on that account. No, it is us you ought to make friends with, it′s the Emperor′s dearest wish, but he insists on its coming from the heart. He says: ‘What I want to see is a hand clasped in mine, not waving a hat in the air.′ With that, you would be invincible. It would be more practical than the Anglo-French friendship M. de Norpois preaches.” “You know him, of course,” the Duchess said, turning to me, so as not to leave me out of the conversation. Remembering that M. de Norpois had said that I had once looked as though I wanted to kiss his hand, thinking that he had no doubt repeated this story to Mme. de Guermantes, and in any event could have spoken of me to her only with malice, since in spite of his friendship with my father he had not hesitated to make me appear so ridiculous, I did not do what a man of the world would have done. He would have said that he detested M. de Norpois, and had let him see it; he would have said this so as to give himself the appearance of being the deliberate cause of the Ambassador′s slanders, which would then have been no more than lying and calculated reprisals. I said, on the other hand, that, to my great regret, I was afraid that M. de Norpois did not like me. “You are quite mistaken,” replied the Duchess, “he likes you very much indeed. You can ask Basin, for if people give me the reputation of only saying nice things, he certainly doesn′t. He will tell you that we have never heard Norpois speak about anyone so kindly as he spoke to us of you. And only the other day he was wanting to give you a fine post at the Ministry. As he knew that you were not very strong and couldn′t accept it, he had the delicacy not to speak of his kind thought to your father, for whom he has an unbounded admiration.” M. de Norpois was quite the last person whom I should have expected to do me any practical service. The truth was that, his being a mocking and indeed somewhat malicious spirit, those people who had let themselves be taken in as I had by his outward appearance of a Saint Louis delivering justice beneath an oak-tree, by the sounds, easily modulated to pity, that emerged from his somewhat too tuneful lips, believed in a deliberate betrayal when they learned of a slander uttered at their expense by a man who had always seemed to put his whole heart into his speech. These slanders were frequent enough with him. But that did not prevent him from feeling attractions, from praising the people he liked and taking pleasure in shewing that he could be of use to them. “Not that I′m in the least surprised at his appreciating you,” said Mme. de Guermantes, “he′s an intelligent man. And I can quite understand,” she added, for the benefit of the rest of the party, making allusion to a purpose of marriage of which I had heard nothing, “that my aunt, who has long ceased to amuse him as an old mistress, may not seem of very much use to him as a young wife. Especially as I understand that even as a mistress she has ceased for years now to serve any practical purpose, she is more wrapped up in her devotions than anv thing else. Boaz-Norpois can say, in the words of Victor Hugo:
«Voilà longtemps que celle avec qui j′ai dormi,
Voilà longtemps que celle avec qui j′ai dormi,
ô Seigneur, a quitté ma couche pour la vôtre!»
O Seigneur, a quitté ma couche pour la vôtre!
Vraiment, ma pauvre tante est comme ces artistes d′avant-garde, qui ont tapé toute leur vie contre l′Académie et qui, sur le tard, fondent leur petite académie à eux; ou bien les défroqués qui se refabriquent une religion personnelle. Alors, autant valait garder l′habit, ou ne pas se coller. Et qui sait, ajouta la duchesse d′un air rêveur, c′est peut-être en prévision du veuvage. Il n′y a rien de plus triste que les deuils qu′on ne peut pas porter.» — Ah! si Mme de Villeparisis devenait Mme de Norpois, je crois que notre cousin Gilbert en ferait une maladie, dit le général de Saint–Joseph. — Le prince de Guermantes est charmant, mais il est, en effet, très attaché aux questions de naissance et d′étiquette, dit la princesse de Parme. J′ai été passer deux jours chez lui à la campagne pendant que malheureusement la princesse était malade. J′étais accompagnée de Petite (c′était un surnom qu′on donnait à Mme d′Hunolstein parce qu′elle était énorme). Le prince est venu m′attendre au bas du perron, m′a offert le bras et a fait semblant de ne pas voir Petite. Nous sommes montés au premier jusqu′à l′entrée des salons et alors là, en s′écartant pour me laisser passer, il a dit: «Ah! bonjour, madame d′Hunolstein» (il ne l′appelle jamais que comme cela, depuis sa séparation), en feignant d′apercevoir seulement alors Petite, afin de montrer qu′il n′avait pas à venir la saluer en bas. — Cela ne m′étonne pas du tout. Je n′ai pas besoin de vous dire, dit le duc qui se croyait extrêmement moderne, contempteur plus que quiconque de la naissance, et même républicain, que je n′ai pas beaucoup d′idées communes avec mon cousin. Madame peut se douter que nous nous entendons à peu près sur toutes choses comme le jour avec la nuit. Mais je dois dire que si ma tante épousait Norpois, pour une fois je serais de l′avis de Gilbert. Être la fille de Florimond de Guise et faire un tel mariage, ce serait, comme on dit, à faire rire les poules, que voulez-vous que je vous dise? Ces derniers mots, que le duc prononçait généralement au milieu d′une phrase, étaient là tout à fait inutiles. Mais il avait un besoin perpétuel de les dire, qui les lui faisait rejeter à la fin d′une période s′ils n′avaient pas trouvé de place ailleurs. C′était pour lui, entre autre choses, comme une question de métrique. «Notez, ajouta-t-il, que les Norpois sont de braves gentilshommes de bon lieu, de bonne souche.»
Really, my poor aunt is like the artists of the advanced guard who have stood out all their lives against the Academy, and in the end start a little academy of their own, or the unfrocked priests who get up a little private religion. They should either keep their frocks, or not stick to their profession. And who knows,” went on the Duchess with a meditative air, “it may be in preparation for her widowhood, there′s nothing sadder than the weeds one′s not entitled to wear.” “Ah! If Mme. de Villeparisis were to become Mme. de Norpois, I really believe our cousin Gilbert would take to his bed,” said General de Monserfeuil. “The Prince de Guermantes is a charming man, but he is, really, very much taken up with questions of birth and manners,” said the Princesse de Parme. “I went down to spend a few days with them in the country, when the Princess, unfortunately, was ill in bed. I was accompanied by Petite.” (This was a nickname that was given to Mme. d′Hunolstein because she was enormously stout.) “The Prince came to meet me at the foot of the steps, and pretended not to see Petite. We went up to the first floor, to the door into the reception rooms, and then, stepping back to make way for me, he said: ‘Oh, how d′ye do, Mme. d′Hunolstein?′ (he always calls her that now, since her separation) pretending to have caught sight of Petite for the first time, so as to shew her that he had not come down to receive her at the foot of the steps.” “That doesn′t surprise me in the least. I don′t need to tell you,” said the Duke, who regarded himself as extremely modern, more contemptuous than anyone in the world of mere birth, and in fact a Republican, “that I have not many ideas in common with my cousin. Ma′am can imagine that we are just about as much agreed on most subjects as day and night. But I must say that if my aunt were to marry Norpois, for once I should be of Gilbert′s opinion. To be the daughter of Florimond de Guise, and then to make a marriage like that would be enough, as the saying is, to make a cat laugh; what more can I say?” These last words, which the Duke uttered as a rule in the middle of a sentence, were here quite superfluous. But he felt a perpetual need to be saying them which made him postpone them to the end of a speech if he had found no place for them elsewhere. They were for him, among other things, almost a question of prosody. “Remember, though,” he added, “that the Norpois are gallant gentlemen with a good place, of a good stock.”
—Écoutez, Basin ce n′est pas la peine de se moquer de Gilbert pour parler comme lui, dit Mme de Guermantes pour qui la «bonté» d′une naissance, non moins que celle d′un vin, consistait exactement, comme pour le prince et pour le duc de Guermantes, dans son ancienneté. Mais moins franche que son cousin et plus fine que son mari, elle tenait à ne pas démentir en causant l′esprit des Guermantes et méprisait le rang dans ses paroles quitte à l′honorer par ses actions. «Mais est-ce que vous n′êtes même pas un peu cousins? demanda le général de Saint–Joseph. Il me semble que Norpois avait épousé une La Rochefoucauld.» — Pas du tout de cette manière-là, elle était de la branche des ducs de La Rochefoucauld, ma grand′mère est des ducs de Doudeauville. C′est la propre grand′mère d′Édouard Coco, l′homme le plus sage de la famille, répondit le duc qui avait, sur la sagesse, des vues un peu superficielles, et les deux rameaux ne se sont pas réunis depuis Louis XIV; ce serait un peu éloigné.
“Listen to me, Basin, it′s really not worth your while to poke fun at Gilbert if you′re going to speak the same language as he does,” said Mme. de Guermantes, for whom the ‘goodness′ of a family, no less than that of a wine, consisted in its age. But, less frank than her cousin and more subtle than her husband, she made a point of never in her conversation playing false to the Guermantes spirit, and despised rank in her speech while ready to honour it by her actions. “But aren′t you some sort of cousins?” asked General de Monserfeuil. “I seem to remember that Norpois married a La Rochefoucauld.” “Not in that way at all, she belonged to the branch of the Ducs de La Rochefoucauld, my grandmother came from the Ducs de Doudeauville. She was own grandmother to Edouard Coco, the wisest man in the family,” replied the Duke, whose views of wisdom were somewhat superficial, “and the two branches haven′t intermarried since Louis XIV′s time; the connexion would be rather distant.”
— Tiens, c′est intéressant, je ne le savais pas, dit le général. — D′ailleurs, reprit M. de Guermantes, sa mère était, je crois, la soeur du duc de Montmorency et avait épousé d′abord un La Tour d′Auvergne. Mais comme ces Montmorency sont à peine Montmorency, et que ces La Tour d′Auvergne ne sont pas La Tour d′Auvergne du tout, je ne vois pas que cela lui donne une grande position. Il dit, ce qui serait le plus important, qu′il descend de Saintrailles, et comme nous en descendons en ligne directe . . .
“I say, that′s interesting; I never knew that,” said the General. “However,” went on M. de Guermantes, “his mother, I believe, was the sister of the Duc de Montmorency, and had originally been married to a La Tour d′Auvergne. But as those Montmorencys are barely Montmorencys, while those La Tour d′Auvergnes are not La Tour d′Auvergnes at all, I cannot see that it gives him any very great position. He says — and this should be more to the point — that he′s descended from Saintrailles, and as we ourselves are in a direct line of descent. . . . ”
Il y avait à Combray une rue de Saintrailles à laquelle je n′avais jamais repensé. Elle conduisait de la rue de la Bretonnerie à la rue de l′Oiseau. Et comme Saintrailles, ce compagnon de Jeanne d′Arc, avait en épousant une Guermantes fait entrer dans cette famille le comté de Combray, ses armes écartelaient celles de Guermantes au bas d′un vitrail de Saint–Hilaire. Je revis des marches de grès noirâtre pendant qu′une modulation ramenait ce nom de Guermantes dans le ton oublié où je l′entendais jadis, si différent de celui où il signifiait les hôtes aimables chez qui je dînais ce soir. Si le nom de duchesse de Guermantes était pour moi un nom collectif, ce n′était pas que dans l′histoire, par l′addition de toutes les femmes qui l′avaient porté, mais aussi au long de ma courte jeunesse qui avait déjà vu, en cette seule duchesse de Guermantes, tant de femmes différentes se superposer, chacune disparaissant quand la suivante avait pris assez de consistance. Les mots ne changent pas tant de signification pendant des siècles que pour nous les noms dans l′espace de quelques années. Notre mémoire et notre coeur ne sont pas assez grands pour pouvoir être fidèles. Nous n′avons pas assez de place, dans notre pensée actuelle, pour garder les morts à côté des vivants. Nous sommes obligés de construire sur ce qui a précédé et que nous ne retrouvons qu′au hasard d′une fouille, du genre de celle que le nom de Saintrailles venait de pratiquer. Je trouvai inutile d′expliquer tout cela, et même, un peu auparavant, j′avais implicitement menti en ne répondant pas quand M. de Guermantes m′avait dit: «Vous ne connaissez pas notre patelin?» Peut-être savait-il même que je le connaissais, et ne fut-ce que par bonne éducation qu′il n′insista pas.
There was at Combray a Rue de Saintrailles, to which I had never given another thought. It led from the Rue de la Bretonnerie to the Rue de l′Oiseau. And as Saintrailles, the companion of Joan of Arc, had, by marrying a Guermantes, brought into that family the County of Combray, his arms were quartered with those of Guermantes at the foot of one of the windows in Saint-Hilaire. I saw again a vision of dark sandstone steps, while a modulation of sound brought to my ears that name, Guermantes, in the forgotten tone in which I used to hear it long ago, so different from that in which it was used to signify the genial hosts with whom I was dining this evening. If the name, Duchesse de Guermantes, was for me a collective name, it was so not merely in history, by the accumulation of all the women who had successively borne it, but also in the course of my own short life, which had already seen, in this single Duchesse de Guermantes, so many different women superimpose themselves, each one vanishing as soon as the next had acquired sufficient consistency. Words do not change their meaning as much in centuries as names do for us in the space of a few years. Our memory and our heart are not large enough to be able to remain faithful. We have not room enough, in our mental field, to keep the dead there as well as the living. We are obliged to build over what has gone before and is brought to light only by a chance excavation, such as the name Saintrailles had just wrought in my mind. I felt that it would be useless to explain all this, and indeed a little while earlier I had lied by implication in not answering when M. de Guermantes said to me: “You don′t know our old wheedler?” Perhaps he was quite well aware that I did know him, and it was only from good breeding that he did not press the question.
Mme de Guermantes me tira de ma rêverie. «Moi, je trouve tout cela assommant. Écoutez, ce n′est pas toujours aussi ennuyeux chez moi. J′espère que vous allez vite revenir dîner pour une compensation, sans généalogies cette fois», me dit à mi-voix la duchesse incapable de comprendre le genre de charme que je pouvais trouver chez elle et d′avoir l′humilité de ne me plaire que comme un herbier, plein de plantes démodées.
Mme. de Guermantes drew me out of my meditation. “Really, I find all that sort of thing too deadly. Listen, it′s not always as boring as this at my parties. I hope that you will soon come and dine again as a compensation, with no pedigrees next time,” she murmured, incapable both of appreciating the kind of charm which I could find in her house and of having sufficient humility to be content to appeal to me only as a herbarium, filled with plants of another day.
Ce que Mme de Guermantes croyait décevoir mon attente était, au contraire, ce qui, sur la fin — car le duc et le général ne cessèrent plus de parler généalogies — sauvait ma soirée d′une déception complète. Comment n′en eusse-je pas éprouvé une jusqu′ici? Chacun des convives du dîner, affublant le nom mystérieux sous lequel je l′avais seulement connu et rêvé à distance, d′un corps et d′une intelligence pareils ou inférieurs à ceux de toutes les personnes que je connaissais, m′avait donné l′impression de plate vulgarité que peut donner l′entrée dans le port danois d′Elseneur à tout lecteur enfiévré d′Hamlet. Sans doute ces régions géographiques et ce passé ancien, qui mettaient des futaies et des clochers gothiques dans leur nom, avaient, dans une certaine mesure, formé leur visage, leur esprit et leurs préjugés, mais n′y subsistaient que comme la cause dans l′effet, c′est-à-dire peut-être possibles à dégager pour l′intelligence, mais nullement sensibles à l′imagination.
What Mme. de Guermantes believed to be disappointing my expectations was on the contrary what in the end — for the Duke and the General went on to discuss pedigrees now without stopping — saved my evening from becoming a complete disappointment. How could I have felt otherwise until now? Each of my fellow-guests at dinner, smothering the mysterious name under which I had only at a distance known and dreamed of them with a body and with a mind similar or inferior to those of all the people I knew, had given me the impression of flat vulgarity which the view on entering the Danish port of Elsinore would give to any passionate admirer of Hamlet. No doubt those geographical regions and that ancient past which put forest glades and gothic belfries into their names had in a certain measure formed their faces, their intellects and their prejudices, but survived in them only as does the cause in the effect, that is to say as a thing possible for the brain to extract but in no way perceptible to the imagination.
Et ces préjugés d′autrefois rendirent tout à coup aux amis de M. et Mme de Guermantes leur poésie perdue. Certes, les notions possédées par les nobles et qui font d′eux les lettrés, les étymologistes de la langue, non des mots mais des noms (et encore seulement relativement à la moyenne ignorante de la bourgeoisie, car si, à médiocrité égale, un dévot sera plus capable de vous répondre sur la liturgie qu′un libre penseur, en revanche un archéologue anticlérical pourra souvent en remontrer à son curé sur tout ce qui concerne même l′église de celui-ci), ces notions, si nous voulons rester dans le vrai, c′est-à-dire dans l′esprit, n′avaient même pas pour ces grands seigneurs le charme qu′elles auraient eu pour un bourgeois. Ils savaient peut-être mieux que moi que la duchesse de Guise était princesse de Clèves, d′Orléans et de Porcien, etc., mais ils avaient connu, avant même tous ces noms, le visage de la duchesse de Guise que, dès lors, ce nom leur reflétait. J′avais commencé par la fée, dût-elle bientôt périr; eux par la femme.
And these old-time prejudices restored in a flash to the friends of M. and Mme. de Guermantes their vanished poetry. Assuredly, the motions in the possession of nobles, which make of them the scholars, the etymologists of the language not of words but of names (and this, moreover, relatively only to the ignorant mass of the middle classes, for if at the same level of mediocrity a devout Catholic would be better able to stand questioning upon the details of the Liturgy than a free-thinker, on the other hand an anti-clerical archaeologist can often give points to his parish priest on everything connected even with the latter′s own church), those notions, if we are going to confine ourselves to the truth, that is to say to the spirit, had not for these great gentlemen the charm that they would have had for a man of simple birth. They knew perhaps better than myself that the Duchesse de Guise was Princess of Cleves, of Orleans and of Porcien, and all the rest, but they had known, long before they knew all these names, the face of the Duchesse de Guise which thenceforward the names reflected back to them. I had begun with the fairy — were she fated shortly to perish — they with the woman.KL1 Dans les familles bourgeoises on voit parfois naître des jalousies si la soeur cadette se marie avant l′aînée. Tel le monde aristocratique, des Courvoisier surtout, mais aussi des Guermantes, réduisait sa grandeur nobiliaire à de simples supériorités domestiques, en vertu d′un enfantillage que j′avais connu d′abord (c′était pour moi son seul charme) dans les livres. Tallemant des Réaux n′a-t-il pas l′air de parler des Guermantes au lieu des Rohan, quand il raconte avec une évidente satisfaction que M. de Guéméné criait à son frère: «Tu peux entrer ici, ce n′est pas le Louvre!» et disait du chevalier de Rohan (parce qu′il était fils naturel du duc de Clermont): «Lui, du moins, il est prince!» La seule chose qui me fît de la peine dans cette conversation, c′est de voir que les absurdes histoires touchant le charmant grand-duc héritier de Luxembourg trouvaient créance dans ce salon aussi bien qu′auprès des camarades de Saint–Loup. Décidément c′était une épidémie, qui ne durerait peut-être que deux ans, mais qui s′étendait à tous. On reprit les mêmes faux récits, on en ajouta d′autres. Je compris que la princesse de Luxembourg elle-même, en ayant l′air de défendre son neveu, fournissait des armes pour l′attaquer. «Vous avez tort de le défendre, me dit M. de Guermantes comme avait fait Saint–Loup. Tenez, laissons même l′opinion de nos parents, qui est unanime, parlez de lui à ses domestiques, qui sont au fond les gens qui nous connaissent le mieux. M. de Luxembourg avait donné son petit nègre à son neveu. Le nègre est revenu en pleurant: «Grand-duc battu moi, moi pas canaille, grand-duc méchant, c′est épatant.» Et je peux en parler sciemment, c′est un cousin à Oriane.» Je ne peux, du reste, pas dire combien de fois pendant cette soirée j′entendis les mots de cousin et cousine. D′une part, M. de Guermantes, presque à chaque nom qu′on prononçait, s′écriait: «Mais c′est un cousin d′Oriane!» avec la même joie qu′un homme qui, perdu dans une forêt, lit au bout de deux flèches, disposées en sens contraire sur une plaque indicatrice et suivies d′un chiffre fort petit de kilomètres: «Belvédère Casimir–Perier» et «Croix du Grand–Veneur», et comprend par là qu′il est dans le bon chemin. D′autre part, ces mots cousin et cousine étaient employés dans une intention tout autre (qui faisait ici exception) par l′ambassadrice de Turquie, laquelle était venue après le dîner. Dévorée d′ambition mondaine et douée d′une réelle intelligence assimilatrice, elle apprenait avec la même facilité l′histoire de la retraite des Dix mille ou la perversion sexuelle chez les oiseaux. Il aurait été impossible de la prendre en faute sur les plus récents travaux allemands, qu′ils traitassent d′économie politique, des vésanies, des diverses formes de l′onanisme, ou de la philosophie d′Épicure. C′était du reste une femme dangereuse à écouter, car, perpétuellement dans l′erreur, elle vous désignait comme des femmes ultra-légères d′irréprochables vertus, vous mettait en garde contre un monsieur animé des intentions les plus pures, et racontait de ces histoires qui semblent sortir d′un livre, non à cause de leur sérieux, mais de leur invraisemblance. In middle-class families one sometimes sees jealousies spring up if the younger sister is married before the elder. So the aristocratic world, Courvoisiers especially but Guermantes also, reduced its ennobled greatness to simple domestic superiorities, by a system of child′s-play which I had me′ originally (and this gave it for me its sole charm) in books. Is it not just as though Tallemant des Réaux were speaking of the Guermantes, and not of the Rohans, when he relates with evident satisfaction how M. de Guéménée cried to his brother: “You can come in here; this is not the Louvre!” and said of the Chevalier de Rohan (because he was a natural son of the Duc de Clermont): “At any rate, he′s a Prince.” The only thing that distressed me in all this talk was to find that the absurd stories which were being circulated about the charming Hereditary Grand Duke of Luxembourg found as much credence in this drawing-room as they had among Saint-Loup′s friends. Plainly it was an epidemic that would not last longer than perhaps a year or two but had meanwhile infected everyone. People repeated the same old stories, or enriched them with others equally untrue. I gathered that the Princesse de Luxembourg herself, while apparently defending her nephew, supplied weapons for the assault. “You are wrong to stand up for him,” M. de Guermantes told me, as Saint-Loup had told me before. “Why, without taking into consideration the opinion of our family, who are unanimous about him, you have only to talk to his servants, and they, after all, are the people who know him best. M. de Luxembourg gave his little Negro page to his nephew. The Negro came back in tears: ‘Grand Duke beaten me; me no bad boy; Grand Duke naughty man,′ it′s really too much. And I can speak with some knowledge, he′s Oriane′s cousin.” I cannot, by the way, say how many times in the course of this evening I heard the word ‘cousin′ used. On the one hand, M. de Guermantes, almost at every name that was mentioned, exclaimed: “But he′s Oriane′s cousin!” with the sudden joy of a man who, lost in a forest, reads at the ends of a pair of arrows pointing in opposite directions on a metal plate, and followed by quite a low number of kilometres, the words: “Belvédère Casimir-Perier” and “Croix du Grand-Veneur,” and gathers from them that he is on the right road. On the other hand the word cousin was employed in a wholly different connexion (which was here the exception to the prevailing rule) by the Turkish Ambassadress, who had come in after dinner. Devoured by social ambition and endowed with a real power of assimilating knowledge, she would pick up with equal facility the story of the Retreat of the Ten Thousand or the details of sexual perversion among birds. It would have been impossible to ‘stump′ her on any of the most recent German publications, whether they dealt with political economy, mental aberrations, the various forms of onanism, or the philosophy of Epicurus. She was, incidentally, a dangerous person to listen to, for, perpetually in error, she would point out to you as being of the loosest morals women of irreproachable virtue, would put you on your guard against a gentleman whose intentions were perfectly honourable, and would tell you anecdotes of the sort that seem always to have come out of a book, not so much because they are serious as because they are so wildly improbable.
Elle était, à cette époque, peu reçue. Elle fréquentait quelques semaines des femmes tout à fait brillantes comme la duchesse de Guermantes, mais, en général, en était restée, par force, pour les familles très nobles, à des rameaux obscurs que les Guermantes ne fréquentaient plus. Elle espérait avoir l′air tout à fait du monde en citant les plus grands noms de gens peu reçus qui étaient ses amis. Aussitôt M. de Guermantes, croyant qu′il s′agissait de gens qui dînaient souvent chez lui, frémissait joyeusement de se retrouver en pays de connaissance et poussait un cri de ralliement: «Mais c′est un cousin d′Oriane! Je le connais comme ma poche. Il demeure rue Vaneau. Sa mère était Mlle d′Uzès.» L′ambassadrice était obligée d′avouer que son exemple était tiré d′animaux plus petits. Elle tâchait de rattacher ses amis à ceux de M. de Guermantes en rattrapant celui-ci de biais: «Je sais très bien qui vous voulez dire. Non, ce n′est pas ceux-là, ce sont des cousins.» Mais cette phrase de reflux jetée par la pauvre ambassadrice expirait bien vite. Car M. de Guermantes, désappointé: «Ah! alors, je ne vois pas qui vous voulez dire.» L′ambassadrice ne répliquait rien, car si elle ne connaissait jamais que «les cousins» de ceux qu′il aurait fallu, bien souvent ces cousins n′étaient même pas parents. Puis, de la part de M. de Guermantes, c′était un flux nouveau de «Mais c′est une cousine d′Oriane», mots qui semblaient avoir pour M. de Guermantes, dans chacune de ses phrases, la même utilité que certaines épithètes commodes aux poètes latins, parce qu′elles leur fournissaient pour leurs hexamètres un dactyle ou un spondée. Du moins l′explosion de «Mais c′est une cousine d′Oriane» me parut-elle toute naturelle appliquée à la princesse de Guermantes, laquelle était en effet fort proche parente de la duchesse. L′ambassadrice n′avait pas l′air d′aimer cette princesse. Elle me dit tout bas: «Elle est stupide. Mais non, elle n′est pas si belle. C′est une réputation usurpée. Du reste, ajouta-t-elle d′un air à la fois réfléchi, répulsif et décidé, elle m′est fortement antipathique.» Mais souvent le cousinage s′étendait beaucoup plus loin, Mme de Guermantes se faisant un devoir de dire «ma tante» à des personnes avec qui on ne lui eût pas trouvé un ancêtre commun sans remonter au moins jusqu′à Louis XV, tout aussi bien que, chaque fois que le malheur des temps faisait qu′une milliardaire épousait quelque prince dont le trisal avait épousé, comme celui de Mme de Guermantes, une fille de Louvois, une des joies de l′Américaine était de pouvoir, dès une première visite à l′hôtel de Guermantes, où elle était d′ailleurs plus ou moins mal reçue et plus ou moins bien épluchée, dire «ma tante» à Mme de Guermantes, qui la laissait faire avec un sourire maternel. Mais peu m′importait ce qu′était la «naissance» pour M. de Guermantes et M. de Beauserfeuil; dans les conversations qu′ils avaient à ce sujet, je ne cherchais qu′un plaisir poétique. Sans le connaître eux-mêmes, ils me le procuraient comme eussent fait des laboureurs ou des matelots parlant de culture et de marées, réalités trop peu détachées d′eux-mêmes pour qu′ils puissent y goûter la beauté que personnellement je me chargeais d′en extraire.
She was at this period little received in society. She had been going for some weeks now to the houses of women of real social brilliance, such as the Duchesse de Guermantes, but as a general rule had confined herself, of necessity, in the noblest families, to obscure scions whom the Guermantes had ceased to know. She hoped to give herself a really fashionable air by quoting the most historic names of the little-known people who were her friends. At once M. de Guermantes, thinking that she was referring to people who frequently dined at his table, quivered with joy at finding himself once more in sight of a landmark and shouted the rallying-cry: “But he′s Oriane′s cousin! I know him as well as I know my own name. He lives in the Rue Vaneau. His mother was Mlle. d′Uzés.” The Ambassadress was obliged to admit that her specimen had been drawn from smaller game. She tried to connect her friends with those of M. de Guermantes by cutting across his track: “I know quite well who′ you mean. No, it′s not those ones, they′re cousins.” But this cross-current launched by the unfortunate Ambassadress ran but a little way. For M. de Guermantes, losing interest, answered: “Oh, then I don′t know who′ you′re talking about.” The Ambassadress offered no reply, for if she never knew anyone nearer than the ‘cousins′ of those whom she ought to have known in person, very often these ‘cousins′ were not even related at all. Then from the lips of M. de Guermantes, would flow a fresh wave of “But she′s Oriane′s cousin!” words which seemed to have for the Duke the same practical value as certain epithets, convenient to the Roman poets because they provided them with dactyls or spondees for their hexameters. At least the explosion of: “But she′s Oriane′s cousin!” appeared to me quite natural when applied to the Princesse de Guermantes, who was indeed very closely related to the Duchess. The Ambassadress did not seem to care for this Princess. She said to me in an undertone: “She is stupid. No, she is not so beautiful as all that. That claim is usurped. Anyhow,” she went on, with an air at once reflective, rejecting and decided, “I find her most uncongenial.” But often the cousinship extended a great deal further than this, Mme. de Guermantes making it a point of honour to address as ‘Aunt′ ladies with whom it would have been impossible to find her an ancestress in common without going back at least to Louis XV; just as, whenever the ‘hardness′ of the times brought it about that a multimillionairess married a prince whose great-great-grandfather had espoused, as had Oriane′s also, a daughter of Louvois, one of the chief joys of the fair American was to be able, after a first visit to the Hôtel de Guermantes, where she was, incidentally, more or less coldly received and hotly cross-examined, to say ‘Aunt′ to Mme. de Guermantes, who allowed her to do so with a maternal smile. But little did it concern me what birth meant for M. de Guermantes and M. de Monserfeuil; in the conversations which they held on the subject I sought only for a poetic pleasure. Without being conscious of it themselves, they procured me this pleasure as might a couple of labourers or sailors speaking of the soil or the tides, realities too little detached from their own lives for them to be capable of enjoying the beauty which personally I proceeded to extract from them.
1 Parfois, plus que d′une race, c′était d′un fait particulier, d′une date, que faisait souvenir un nom. En entendant M. de Guermantes rappeler que la mère de M. de Bréauté était Choiseul et sa grand′mère Lucinge, je crus voir, sous la chemise banale aux simples boutons de perle, saigner dans deux globes de cristal ces augustes reliques: le coeur de Mme de Praslin et du duc de Berri; d′autres étaient plus voluptueuses, les fins et longs cheveux de Mme Tallien ou de Mme de Sabran.
Sometimes rather than of a race it was of a particular fact, of a date that a name reminded me. Hearing M. de Guermantes recall that M. de Bréauté‘s mother had been a Choiseul and his grandmother a Lucinge, I fancied I could see beneath the commonplace shirt with its plain pearl studs, bleeding still in two globes of crystal, those august relics, the hearts of Mme. de Praslin and of the Duc de Berri. Others were more voluptuous: the fine and flowing hair of Mme. de Tallien or Mme. de Sabran.
Plus instruit que sa femme de ce qu′avaient été leurs ancêtres, M. de Guermantes se trouvait posséder des souvenirs qui donnaient à sa conversation un bel air d′ancienne demeure dépourvue de chefs-d′oeuvre véritables, mais pleine de tableaux authentiques, médiocres et majestueux, dont l′ensemble a grand air. Le prince d′Agrigente ayant demandé pourquoi le prince X . . . avait dit, en parlant du duc d′Aumale, «mon oncle», M. de Guermantes répondit: «Parce que le frère de sa mère, le duc de Wurtemberg, avait épousé une fille de Louis–Philippe.» Alors je contemplai toute une châsse, pareille à celles que peignaient Carpaccio ou Memling, depuis le premier compartiment où la princesse, aux fêtes des noces de son frère le duc d′Orléans, apparaissait habillée d′une simple robe de jardin pour témoigner de sa mauvaise humeur d′avoir vu repousser ses ambassadeurs qui étaient allés demander pour elle la main du prince de Syracuse, jusqu′au dernier où elle vient d′accoucher d′un garçon, le duc de Wurtemberg (le propre oncle du prince avec lequel je venais de dîner), dans ce château de Fantaisie, un de ces lieux aussi aristocratiques que certaines familles. Eux aussi, durant au delà d′une génération, voient se rattacher à eux plus d′une personnalité historique. Dans celui-là notamment vivent côte à côte les souvenirs de la margrave de Bayreuth, de cette autre princesse un peu fantasque (la soeur du duc d′Orléans) à qui on disait que le nom du château de son époux plaisait, du roi de Bavière, et enfin du prince X . . ., dont il était précisément l′adresse à laquelle il venait de demander au duc de Guermantes de lui écrire, car il en avait hérité et ne le louait que pendant les représentations de Wagner, au prince de Polignac, autre «fantaisiste» délicieux. Quand M. de Guermantes, pour expliquer comment il était parent de Mme d′Arpajon, était obligé, si loin et si simplement, de remonter, par la chaîne et les mains unies de trois ou de cinq ales, à Marie–Louise ou à Colbert, c′était encore la même chose dans tous ces cas: un grand événement historique n′apparaissait au passage que masqué, dénaturé, restreint, dans le nom d′une propriété, dans les prénoms d′une femme, choisis tels parce qu′elle est la petite-fille de Louis–Philippe et Marie–Amélie considérés non plus comme roi et reine de France, mais seulement dans la mesure où, en tant que grands-parents, ils laissèrent un héritage. (On voit, pour d′autres raisons, dans un dictionnaire de l′oeuvre de Balzac où les personnages les plus illustres ne figurent que selon leurs rapports avec la Comédie humaine , Napoléon tenir une place bien moindre que Rastignac et la tenir seulement parce qu′il a parlé aux demoiselles de Cinq–Cygne.) Telle l′aristocratie, en sa construction lourde, percée de rares fenêtres, laissant entrer peu de jour, montrant le même manque d′envolée, mais aussi la même puissance massive et aveuglée que l′architecture romane, enferme toute l′histoire, l′emmure, la renfrogne.
Better informed than his wife as to what their ancestors had been, M. de Guermantes found himself the possessor of memories which gave to his conversation a fine air of an ancient mansion stripped of its real treasures but still full of pictures, authentic, indifferent and majestic, which taken as a whole look remarkably well. The Prince d′Agrigente having asked why Prince Von had said, in speaking of the Due d′Aumale, ‘my uncle,′ M. de Guermantes had replied: “Because his mother′s brother, the Duke of Wurttemberg, married a daughter of Louis-Philippe.” At once I was lost in contemplation of a casket, such as Carpaccio or Memling used to paint, from its first panel in which the Princess, at the wedding festivities of her brother the Duc d′Orléans, appeared wearing a plain garden dress to indicate her resentment at having seen the return, empty-handed, of the ambassadors who had been sent to sue on her behalf for the hand of the Prince of Syracuse, down to the last, in which she had just given birth to a son, the Duke of Württemberg (the first cousin of the Prince whom I had met at dinner), in that castle called Fantaisie, one of those places which are as aristocratic as certain families. They, moreover, outlasting a single generation of men, see attached to themselves more than one historical personage. In this one, especially, survive side by side memories of the Margravine of Bayreuth, of this other somewhat fantastic Princess (the Duc d′Orléans′s sister), to whom it was said that the name of her husband′s castle made a distinct appeal, of the King of Bavaria, and finally of Prince Von, to whom it was simply his own postal address, at which he had just asked the Duc de Guermantes to write to him, for he had succeeded to it, and let it only during the Wagner festivals, to the Prince de Polignac, another delightful ‘fantasist.′ When M. de Guermantes, to explain how he was related to Mme. d′Arpajon, was obliged, going so far and so simply, to climb the chain formed by the joined hands of three or five ancestresses back to Marie-Louise or Colbert, it was still the same thing in each case; a great historical event appeared only in passing, masked, unnatural, reduced, in the name of a property, in the Christian names of a woman, so selected because she was the granddaughter of Louis-Philippe and Marie-Amélie, considered no longer as King and Queen of the French, but merely in the extent to which in their capacity as grandparents they bequeathed a heritage. (We see for other reasons in a gazetteer of the works of Balzac, where the most illustrious personages figure only according to their connexion with the Comédie Humaine, Napoleon occupy a space considerably less than that allotted to Rastignac, and occupy that space solely because he once spoke to the young ladies of Cinq-Cygne.) Similarly the aristocracy, in its heavy structure, pierced with rare windows, admitting a scanty daylight, shewing the same incapacity to soar but also the same massive and blind force as the architecture of the romanesque age, embodies all our history, immures it, beetles over it.
Ainsi les espaces de ma mémoire se couvraient peu à peu de noms qui, en s′ordonnant, en se composant les uns relativement aux autres, en nouant entre eux des rapports de plus en plus nombreux, imitaient ces oeuvres d′art achevées où il n′y a pas une seule touche qui soit isolée, où chaque partie tour à tour reçoit des autres sa raison d′être comme elle leur impose la sienne.
Thus the empty spaces of my memory were covered by degrees with names which in taking order, in composing themselves with relation to one another, in linking themselves to one another by an increasingly numerous connexion, resembled those finished works of art in which there is not one touch that is isolated, in which every part in turn receives from the rest a justification which it confers on them.
Le nom de M. de Luxembourg étant revenu sur le tapis, l′ambassadrice de Turquie raconta que le grand-père de la jeune femme (celui qui avait cette immense fortune venue des farines et des pâtes) ayant invité M. de Luxembourg à déjeuner, celui-ci avait refusé en faisant mettre sur l′enveloppe: «M. de ***, meunier», à quoi le grand-père avait répondu: «Je suis d′autant plus désolé que vous n′ayez pas pu venir, mon cher ami, que j′aurais pu jouir de vous dans l′intimité, car nous étions dans l′intimité, nous étions en petit comité et il n′y aurait eu au repas que le meunier, son fils et vous.» Cette histoire était non seulement odieuse pour moi, qui savais l′impossibilité morale que mon cher M. de Nassau écrivît au grand-père de sa femme (duquel du reste il savait devoir hériter) en le qualifiant de «meunier»; mais encore la stupidité éclatait dès les premiers mots, l′appellation de meunier étant trop évidemment placée pour amener le titre de la fable de La Fontaine. Mais il y a dans le faubourg Saint–Germain une niaiserie telle, quand la malveillance l′aggrave, que chacun trouva que c′était envoyé et que le grand-père, dont tout le monde déclara aussitôt de confiance que c′était un homme remarquable, avait montré plus d′esprit que son petit-gendre. Le duc de Châtellerault voulut profiter de cette histoire pour raconter celle que j′avais entendue au café: «Tout le monde se couchait», mais dès les premiers mots et quand il eut dit la prétention de M. de Luxembourg que, devant sa femme, M. de Guermantes se levât, la duchesse l′arrêta et protesta: «Non, il est bien ridicule, mais tout de même pas à ce point.» J′étais intimement persuadé que toutes les histoires relatives à M. de Luxembourg étaient pareillement fausses et que, chaque fois que je me trouverais en présence d′un des acteurs ou des témoins, j′entendrais le même démenti. Je me demandai cependant si celui de Mme de Guermantes était dû au souci de la vérité ou à l′amour-propre. En tout cas, ce dernier céda devant la malveillance, car elle ajouta en riant: «Du reste, j′ai eu ma petite avanie aussi, car il m′a invitée à goûter, désirant me faire connaître la grande-duchesse de Luxembourg; c′est ainsi qu′il a le bon goût d′appeler sa femme en écrivant à sa tante. Je lui ai répondu mes regrets et j′ai ajouté: «Quant à «la grande-duchesse de Luxembourg», entre guillemets, dis-lui que si elle vient me voir je suis chez moi après 5 heures tous les jeudis.» J′ai même eu une seconde avanie. Étant à Luxembourg je lui ai téléphoné de venir me parler à l′appareil. Son Altesse allait déjeuner, venait de déjeuner, deux heures se passèrent sans résultat et j′ai usé alors d′un autre moyen: «Voulez-vous dire au comte de Nassau de venir me parler?» Piqué au vif, il accourut à la minute même.» Tout le monde rit du récit de la duchesse et d′autres analogues, c′est-à-dire, j′en suis convaincu, de mensonges, car d′homme plus intelligent, meilleur, plus fin, tranchons le mot, plus exquis que ce Luxembourg–Nassau, je n′en ai jamais rencontré. La suite montrera que c′était moi qui avais raison. Je dois reconnaître qu′au milieu de toutes ses «rosseries», Mme de Guermantes eut pourtant une phrase gentille. «Il n′a pas toujours été comme cela, dit-elle. Avant de perdre la raison, d′être, comme dans les livres, l′homme qui se croit devenu roi, il n′était pas bête, et même, dans les premiers temps de ses fiançailles, il en parlait d′une façon assez sympathique comme d′un bonheur inespéré: «C′est un vrai conte de fées, il faudra que je fasse mon entrée au Luxembourg dans un carrosse de féerie», disait-il à son oncle d′Ornessan qui lui répondit, car, vous savez, c′est pas grand le Luxembourg: «Un carrosse de féerie, je crains que tu ne puisses pas entrer. Je te conseille plutôt la voiture aux chèvres.» Non seulement cela ne fâcha pas Nassau, mais il fut le premier à nous raconter le mot et à en rire.» «Ornessan est plein d′esprit, il a de qui tenir, sa mère est Montjeu. Il va bien mal, le pauvre Ornessan.» Ce nom eut la vertu d′interrompre les fades méchancetés qui se seraient déroulées à l′infini. En effet M. de Guermantes expliqua que l′arrière-grand′mère de M. d′Ornessan était la soeur de Marie de Castille Montjeu, femme de Timoléon de Lorraine, et par conséquent tante d′Oriane. De sorte que la conversation retourna aux généalogies, cependant que l′imbécile ambassadrice de Turquie me soufflait à l′oreille: «Vous avez l′air d′être très bien dans les papiers du duc de Guermantes, prenez garde», et comme je demandais l′explication: «Je veux dire, vous comprendrez à demi-mot, que c′est un homme à qui on pourrait confier sans danger sa fille, mais non son fils.» Or, si jamais homme au contraire aima passionnément et exclusivement les femmes, ce fut bien le duc de Guermantes. Mais l′erreur, la contre-vérité naîµ¥ment crue étaient pour l′ambassadrice comme un milieu vital hors duquel elle ne pouvait se mouvoir. «Son frère Mémé, qui m′est, du reste, pour d′autres raisons (il ne la saluait pas), foncièrement antipathique, a un vrai chagrin des moeurs du duc. De même leur tante Villeparisis. Ah! je l′adore. Voilà une sainte femme, le vrai type des grandes dames d′autrefois. Ce n′est pas seulement la vertu même, mais la réserve. Elle dit encore: «Monsieur» à l′ambassadeur Norpois qu′elle voit tous les jours et qui, entre parenthèses, a laissé un excellent souvenir en Turquie.»
M. de Luxembourg′s name having come up again in the course of the conversation, the Turkish Ambassadress told us how, the young bride′s grandfather (he who had made that immense fortune out of flour and cereals) having invited M. de Luxembourg to luncheon, the latter had written to decline, putting on the envelope: “M. So-and-So, Miller,” to which the grandfather had replied: “I am all the more disappointed that you were not able to come, my dear friend, because I should have been able to enjoy your society quite intimately, for we were quite an intimate party, just ourselves, and there would have been only the Miller, his Son, and you.” This story was not merely utterly distasteful to me, who knew the impossibility of my dear M. de Nassau′s writing to the grandfather of his wife (whose fortune, moreover, he was expecting to inherit) and addressing him as ‘Miller′; but furthermore its stupidity became glaring from the start, the word ‘Miller′ having obviously been dragged in only to lead up to the title of La Fontaine′s fable. But there is in the Faubourg Saint-Germain a silliness so great, when it is aggravated by malice, that they decided that the letter had been sent and that the grandfather, as to whom at once everyone confidently declared that he was a remarkable man, had shewn a prettier wit than his grandson-in-law. The Duc de Châtellerault tried to take advantage of this story to tell the one that I had heard in the café: “Everyone had to lie down!”— but scarcely had he begun, or reported M. de Luxembourg′s pretension that in his wife′s presence M. de Guermantes ought to stand up, when the Duchess stopped him with the protest: “No, he is very absurd, but not as bad as that.” I was privately convinced that all these stories at the expense of M. de Luxembourg were equally untrue, and that whenever I found myself face to face with any of th reputed actors or spectators I should hear the same contradiction. I asked myself, nevertheless, whether the contradiction just uttered by Mme. de Guermantes had been inspired by regard for truth or by self-esteem. In either event the latter quality succumbed to malice, for she went on, with a laugh: “Not that I haven′t had my little fling at him too, for he invited me to luncheon, wishing to make me know the Grand Duchess of Luxembourg, which is how he has the good taste to describe his wife when he′s writing to his aunt. I sent a reply expressing my regret, and adding: As for the ‘Grand Duchess of Luxembourg′ (in inverted commas), tell her that if she is coming to see me I am at home every Thursday after five. I have even had another little fling. Happening to be at Luxembourg, I telephoned, asking him to ring me up. His Highness was going to luncheon, had just risen from luncheon, two hours went by and nothing happened; so then I employed another method: ‘Will you tell the Comte de Nassau to come and speak to me?′ Cut to the quick, he was at the instrument that very minute.” Everyone laughed at the Duchess′s story, and at other analogous, that is to say (I am convinced of it) equally untrue stories, for a man more intelligent, better, more refined, in a word more exquisite than this Luxembourg-Nassau I have never met. The sequel will shew that it was I who was in the right. I must admit that, in the midst of her onslaught, Mme. de Guermantes had still a kind word for him. “He was not always like that,” she informed us. “Before he went off his head, like the man in the story-book who thinks he′s become king, he was no fool, and indeed in the early days of his engagement he used to speak of it in really quite a nice way, as something he could never have dreamed of: ‘It′s just like a fairy-tale; I shall have to make my entry into Luxembourg in a fairy coach,′ he said to his uncle d′Ornessan, who answered — for you know it′s not a very big place, Luxembourg: ‘A fairy coach! I′m afraid, my dear fellow, you′d never get it in. I should suggest that you take a goat carriage.′ Not only did this not annoy Nassau, but he was the first to tell us the story, and to laugh at it.” “Ornessan is a witty fellow, and he′s every rea — son to be; his mother was a Montjeu. lie′s in a very bad way now, poor Ornessan.” This name had the magic virtue of interrupting the flow of stale witticisms which otherwise would have gone on for ever. In fact, M. de Guermantes had to explain that M. d′Ornessan′s great-grandmother had been the sister of Marie de Castille Montjeu, the wife of Timoléon de Lorraine, and consequently Oriane′s aunt, with the result that the conversation drifted back to genealogies, while the idiot of a Turkish Ambassadress breathed in my ear: “You appear to be very much in the Duke′s good books; have a care!” and, on my demanding an explanation: “I mean to say, you understand what I mean, he′s a man to whom one could safely entrust one′s daughter, but not one′s son.” Now if ever, on the contrary, a man existed who was passionately and exclusively a lover of women, it was certainly the Duc de Guermantes. The state of error, the falsehood fatuously believed to be the truth, were for the Ambassadress like a vital element out of which she could not move. “His brother Mémé, who is, as it happens, for other reasons altogether” (he did not bow to her) “profoundly uncongenial to me, is genuinely distressed by the Duke′s morals. So is their aunt Villeparisis. Ah, now, her I adore! There is a saint of a woman for you, the true type of the great ladies of the past. It′s not only her actual virtue that′s so wonderful but her restraint. She still says ‘Monsieur′ to the Ambassador Norpois whom she sees every day, and who, by the way, left an excellent impression behind him in Turkey.”
Je ne répondis même pas à l′ambassadrice afin d′entendre les généalogies. Elles n′étaient pas toutes importantes. Il arriva même, au cours de la conversation, qu′une des alliances inattendues, que m′apprit M. de Guermantes, était une mésalliance, mais non sans charme, car, unissant, sous la monarchie de juillet, le duc de Guermantes et le duc de Fezensac aux deux ravissantes filles d′un illustre navigateur elle donnait ainsi aux deux duchesses le piquant imprévu d′une grâce exotiquement bourgeoise, louisphilippement indienne. Ou bien, sous Louis XIV, un Norpois avait épousé la fille du duc de Mortemart, dont le titre illustre frappait, dans le lointain de cette époque, le nom que je trouvais terne et pouvais croire récent de Noirpois, y ciselait profondément la beauté d′une médaille. Et dans ces cas-là d′ailleurs, ce n′était pas seulement le nom moins connu qui bénéficiait du rapprochement: l′autre, devenu banal à force d′éclat, me frappait davantage sous cet aspect nouveau et plus obscur, comme, parmi les portraits d′un éblouissant coloriste, le plus saisissant est parfois un portrait tout en noir. La mobilité nouvelle dont me semblaient doués tous ces noms, venant se placer à côté d′autres dont je les aurais crus si loin, ne tenait pas seulement à mon ignorance; ces chassés-croisés qu′ils faisaient dans mon esprit, ils ne les avaient pas effectués moins aisément dans ces époques où un titre, étant toujours attaché à une terre, la suivait d′une famille dans une autre, si bien que, par exemple, dans la belle construction féodale qu′est le titre de duc de Nemours ou de duc de Chevreuse, je pouvais découvrir successivement, blottis comme dans la demeure hospitalière d′un Bernard-l′ermite, un Guise, un prince de Savoie, un Orléans, un Luynes. Parfois plusieurs restaient en compétition pour une même coquille; pour la principauté d′Orange, la famille royale des Pays–Bas et MM. de Mailly–Nesle; pour le duché de Brabant, le baron de Charlus et la famille royale de Belgique; tant d′autres pour les titres de prince de Naples, de duc de Parme, de duc de Reggio. Quelquefois c′était le contraire, la coquille était depuis si longtemps inhabitée par les propriétaires morts depuis longtemps, que je ne m′étais jamais avisé que tel nom de château eût pu être, à une époque en somme très peu reculée, un nom de famille. Aussi, comme M. de Guermantes répondait à une question de M. de Beauserfeuil: «Non, ma cousine était une royaliste enragée, c′était la fille du marquis de Féterne, qui joua un certain rôle dans la guerre des Chouans», à voir ce nom de Féterne, qui depuis mon séjour à Balbec était pour moi un nom de château, devenir ce que je n′avais jamais songé qu′il eût pu être, un nom de famille, j′eus le même étonnement que dans une féerie où des tourelles et un perron s′animent et deviennent des personnes. Dans cette acception-là, on peut dire que l′histoire, même simplement généalogique, rend la vie aux vieilles pierres. Il y eut dans la société parisienne des hommes qui y jouèrent un rôle aussi considérable, qui y furent plus recherchés par leur élégance ou par leur esprit, et eux-mêmes d′une aussi haute naissance que le duc de Guermantes ou le duc de La Trémoille. Ils sont aujourd′hui tombés dans l′oubli, parce que, comme ils n′ont pas eu de descendants, leur nom, qu′on n′entend plus jamais, résonne comme un nom inconnu; tout au plus un nom de chose, sous lequel nous ne songeons pas à découvrir le nom d′hommes, survit-il en quelque château, quelque village lointain. Un jour prochain le voyageur qui, au fond de la Bourgogne, s′arrêtera dans le petit village de Charlus pour visiter son église, s′il n′est pas assez studieux ou se trouve trop pressé pour en examiner les pierres tombales, ignorera que ce nom de Charlus fut celui d′un homme qui allait de pair avec les plus grands. Cette réflexion me rappela qu′il fallait partir et que, tandis que j′écoutais M. de Guermantes parler généalogies, l′heure approchait où j′avais rendez-vous avec son frère. Qui sait, continuais-je à penser, si un jour Guermantes lui-même paraîtra autre chose qu′un nom de lieu, sauf aux archéologues arrêtés par hasard à Combray, et qui devant le vitrail de Gilbert le Mauvais auront la patience d′écouter les discours du successeur de Théodore ou de lire le guide du curé. Mais tant qu′un grand nom n′est pas éteint, il maintient en pleine lumière ceux qui le portèrent; et c′est sans doute, pour une part, l′intérêt qu′offrait à mes yeux l′illustration de ces familles, qu′on peut, en partant d′aujourd′hui, les suivre en remontant degré par degré jusque bien au delà du XIVe siècle, retrouver des Mémoires et des correspondances de tous les ascendants de M. de Charlus, du prince d′Agrigente, de la princesse de Parme, dans un passé où une nuit impénétrable couvrirait les origines d′une famille bourgeoise, et où nous distinguons, sous la projection lumineuse et rétrospective d′un nom, l′origine et la persistance de certaines caractéristiques nerveuses, de certains vices, des désordres de tels ou tels Guermantes. Presque pathologiquement pareils à ceux d′aujourd′hui, ils excitent de siècle en siècle l′intérêt alarmé de leurs correspondants, qu′ils soient antérieurs à la princesse Palatine et à Mme de Motteville, ou postérieurs au prince de Ligne.
I did not even reply to the Ambassadress, in order to listen to the genealogies. They were not all of them important. There came up indeed in the course of the conversation one of those unexpected alliances, which, M. de Guermantes informed me, was a misalliance, but not without charm, for, uniting under the July Monarchy the Duc de Guermantes and the Duc de Fezensac with the two irresistible daughters of an eminent navigator, it gave the two Duchesses the exciting novelty of a grace exotically middle-class, ‘Louisphilippically′ Indian. Or else, under Louis XIV, a Norpois had married the daughter of the Duc de Mortenart, whose illustrious title struck, in the remoteness of that epoch, the name — which I had found colourless and might have supposed to be modern — of Norpois, carving deeply upon it the beauty of an old medal. And in these cases, moreover, it was not only the less well-known name that benefited by the association; the other, grown commonplace by the fact of its lustre, struck me more forcibly in this novel and more obscure aspect, just as among the portraits painted by a brilliant colourist the most striking is sometimes one that is all in black. The sudden mobility with which all these names seemed to me to have been endowed, as they sprang to take their places by the side of others from which I should have supposed them to be remote, was due not to my ignorance alone; the country-dances which they were performing in my mind they had carried out no less spontaneously at those epochs in which a title, being always attached to a piece of land, used to follow it from one family to another, so much so that, for example, in the fine feudal structure that is the title of Duc de Nemours or Duc de Chevreuse, I was able to discover successively hidden, as in the hospitable abode of a hermit-crab, a Guise, a Prince of Savoy, an Orléans, a Luynes. Sometimes several remained in competition for a single shell: for the Principality of Orange the Royal House of the Netherlands and MM. de Mailly-Nesle for the Duchy of Brabant the Baron de Charlus and the Royal House of Belgium, various others for the titles of Prince of Naples, Duke of Parma Duke of Reggio. Sometimes it was the other way; the shell had been so′ long uninhabited by proprietors long since dead that it had never occurred to me that this or that name of a country house could have been, at an epoch which after all was comparatively recent, the name of a family. And so, when M. de Guermantes replied to a question put to him by M. de Monserfeuil: “No, my cousin was a fanatical Royalist; she was the daughter of the Marquis de Féterne, who played a certain part in the Chouan rising,” on seeing this name Féterne, which had been for me, since my stay at Balbec, the name of a country house, become, what I had never dreamed that it could possibly be, a family name, I felt the same astonishment as in reading a fairy-tale, where turrets and a terrace come to life and turn into men and women. In this sense of the words, we may say that history, even mere family history, gives life to the old stones of a house. There have been in Parisian society men who played as considerable a part in it, who were more sought after for their distinction or for their wit, who were equally well born as the Duc de Guermantes or the Duc de La Trémoe. They have now fallen into oblivion because, as they left no descendants, their name which we no longer hear sounds like a name unknown; at most, the name of a thing beneath which we never think to discover the name of any person, it survives in some country house, some remote village. The day is not distant when the traveller who, in the heart of Burgundy, stops in the little village of Charlus to look at its church, if he has not sufficient industry or is in too great a hurry to examine its tombstones, will go away ignorant that this name, Charlus, was that of a man who ranked with the highest in the land. This thought reminded me that it was time to go, and that while I was listening to M. de Guermantes talking pedigrees, the hour was approaching at which I had promised to call upon his brother. “Who knows,” I continued to muse, “whether one day Guermantes itself may not appear nothing more than a place-name, save to the archaeologists who, stopping by chance at Combray and standing beneath the window of Gilbert the Bad, have the patience to listen to the account given them by Theodore′s successor or to read the Cure′s guide?” But so long as a great name is not extinct it keeps in the full light of day those men and women who bear it; and there can be no doubt that, to a certain extent, the interest which the illustriousness of these families gave them in my eyes lay in the fact that one can, starting from to-day, follow their ascending course, step by step, to a point far beyond the fourteenth century, recover the diaries and correspondence of all the forebears of M. de Charlus, of the Prince d′Agrigente, of the Princesse de Parme, in a past in which an impenetrable night would cloak the origins of a middle-class family, and in which we make out, in the luminous backward projection of a name, the origin and persistence of certain nervous characteristics, certain vices, the disorders of one or another Guermantes. Almost identical pathologically with their namesakes of the present day, they excite from century to century the startled interest of their correspondents, whether these be anterior to the Princess Palatine and Mme. de Motteville, or subsequent to the Prince de Ligne.
D′ailleurs, ma curiosité historique était faible en comparaison du plaisir esthétique. Les noms cités avaient pour effet de désincarner les invités de la duchesse, lesquels avaient beau s′appeler le prince d′Agrigente ou de Cystira, que leur masque de chair et d′inintelligence ou d′intelligence communes avait changé en hommes quelconques, si bien qu′en somme j′avais atterri au paillasson du vestibule, non pas comme au seuil, ainsi que je l′avais cru, mais au terme du monde enchanté des noms. Le prince d′Agrigente lui-même, dès que j′eus entendu que sa mère était Damas, petite-fille du duc de Modène, fut délivré, comme d′un compagnon chimique instable, de la figure et des paroles qui empêchaient de le reconnaître, et alla former avec Damas et Modène, qui eux n′étaient que des titres, une combinaison infiniment plus séduisante. Chaque nom déplacé par l′attirance d′un autre avec lequel je ne lui avais soupçonné aucune affinité, quittait la place immuable qu′il occupait dans mon cerveau, où l′habitude l′avait terni, et, allant rejoindre les Mortemart, les Stuarts ou les Bourbons, dessinait avec eux des rameaux du plus gracieux effet et d′un coloris changeant. Le nom même de Guermantes recevait de tous les beaux noms éteints et d′autant plus ardemment rallumés, auxquels j′apprenais seulement qu′il était attaché, une détermination nouvelle, purement poétique. Tout au plus, à l′extrémité de chaque renflement de la tige altière, pouvais-je la voir s′épanouir en quelque figure de sage roi ou d′illustre princesse, comme le père d′Henri IV ou la duchesse de Longueville. Mais comme ces faces, différentes en cela de celles des convives, n′étaient empâtées pour moi d′aucun résidu d′expérience matérielle et de médiocrité mondaine, elles restaient, en leur beau dessin et leurs changeants reflets, homogènes à ces noms, qui, à intervalles réguliers, chacun d′une couleur différente, se détachaient de l′arbre généalogique de Guermantes, et ne troublaient d′aucune matière étrangère et opaque les bourgeons translucides, alternants et multicolores, qui, tels qu′aux antiques vitraux de Jessé les ancêtres de Jésus, fleurissaient de l′un et l′autre côté de l′arbre de verre.
However, my historical curiosity was faint in comparison with my aesthetic pleasure. The names cited had the effect of disincarnating the Duchess′s guests, whom, for all they might call themselves Prince d′Agrigente or de Cystira, their mask of flesh and of a common intelligence or want of intelligence had transformed into ordinary mortals, so much so that I had made my landing on the ducal door-mat not as upon the threshold (as I had supposed) but as at the farthest confines of the enchanted world of names. The Prince d′Agrigente himself, as soon as I heard that his mother had been a Damas, a granddaughter of the Duke of Modena, was delivered, as from an unstable chemical alloy, from the face and speech that prevented one from recognising him, and went to form with Damas and Modena, which themselves were only titles, a combination infinitely more seductive. Each name displaced by the attractions of another, with which I had never suspected it of having any affinity, left the unalterable position which it had occupied in my brain, where familiarity had dulled it, and, speeding to join the Mortemarts, the Stuarts or the Bourbons, traced with them branches of the most graceful design and an ever-changing colour. The name Guermantes itself received from all the beautiful names — extinct, and so all the more glowingly rekindled — with which I learned only now that it was connected, a new sense and purpose, purely poetical. At the most, at the extremity of each spray that burgeoned from the exalted stem, I could see it flower in some face of a wise king or illustrious princess, like the sire of Henri IV or the Duchesse de Longueville. But as these faces, different in this respect from those of the party around me, were not discoloured for me by any trace of physical experience or fashionable mediocrity, they remained, in their handsome outlines and rainbow iridescence, homogeneous with those names which at regular intervals, each of a different hue, detached themselves from the genealogical tree of Guermantes, and disturbed with no foreign or opaque matter the buds — pellucid, alternate, many-coloured — which (like, in the old Jesse windows, the ancestors of Jesus) blossomed on either side of the tree of glass.
A plusieurs reprises déjà j′avais voulu me retirer et, plus que pour toute autre raison, à cause de l′insignifiance que ma présence imposait à cette réunion, l′une pourtant de celles que j′avais longtemps imaginées si belles, et qui sans doute l′eût été si elle n′avait pas eu de témoin gênant. Du moins mon départ allait permettre aux invités, une fois que le profane ne serait plus là, de se constituer enfin en comité secret. Ils allaient pouvoir célébrer les mystères pour la célébration desquels ils s′étaient réunis, car ce n′était pas évidemment pour parler de Frans Hals ou de l′avarice et pour en parler de la même façon que font les gens de la bourgeoisie. On ne disait que des riens, sans doute parce que j′étais là, et j′avais des remords, en voyant toutes ces jolies femmes séparées, de les empêcher, par ma présence, de mener, dans le plus précieux de ses salons, la vie mystérieuse du faubourg Saint–Germain. Mais ce départ que je voulais à tout instant effectuer, M. et Mme de Guermantes poussaient l′esprit de sacrifice jusqu′à le reculer en me retenant. Chose plus curieuse encore, plusieurs des dames qui étaient venues, empressées, ravies, parées, constellées de pierreries, pour n′assister, par ma faute, qu′à une fête qui ne différait pas plus essentiellement de celles qui se donnent ailleurs que dans le faubourg Saint–Germain, qu′on ne se sent à Balbec dans une ville qui diffère de ce que nos yeux ont coutume de voir — plusieurs de ces dames se retirèrent, non pas déçues, comme elles auraient dû l′être, mais remerciant avec effusion Mme de Guermantes de la délicieuse soirée qu′elles avaient passée, comme si, les autres jours, ceux où je n′étais pas là, il ne se passait pas autre chose.
Already I had made several attempts to slip away, on account, more than for any other reason, of the triviality which my presence at it imparted to the gathering, albeit it was one of those which I had long imagined as being so beautiful — as it would doubtless have been had there been no inconvenient witness present. At least my departure would permit the other guests, once the profane intruder was no longer among them, to constitute themselves at length into a secret conclave. They would be free to celebrate the mysteries for the celebration of which they had met together, for it could obviously not have been to talk of Franz Hals or of avarice, and to talk of them in the same way as people talk in middle-class society. They uttered nothing but trivialities, doubtless because I was in the room, and I felt with some compunction, on seeing all these pretty women kept apart, that I was preventing them by my presence from carrying on, in the most precious of its drawing-rooms, the mysterious life of the Faubourg Saint-Germain. But this departure which I was trying at every moment to effect, M. and Mme. de Guermantes carried the spirit of self-sacrifice so far as to postpone, by keeping me in the room. A more curious thing still, several of the ladies who had come hurrying, delighted, beautifully dressed, with constellations of jewels, to be present at a party which, through my fault only, differed in no essential point from those that are given elsewhere than in the Faubourg Saint-Germain, any more than one feels oneself at Balbec to be in a town that differs from what one′s eyes are accustomed to see — several of these ladies retired not at all disappointed, as they had every reason to be, but thanking Mme. de Guermantes most effusively for the delightful evening which they had spent, as though on the other days, those on which I was not present, nothing more used to occur.
Était-ce vraiment à cause de dîners tels que celui-ci que toutes ces personnes faisaient toilette et refusaient de laisser pénétrer des bourgeoises dans leurs salons si fermés, pour des dîners tels que celui-ci? pareils si j′avais été absent? J′en eus un instant le soupçon, mais il était trop absurde. Le simple bon sens me permettait de l′écarter. Et puis, si je l′avais accueilli, que serait-il resté du nom de Guermantes, déjà si dégradé depuis Combray?
Was it really for the sake of dinners such as this that all these people dressed themselves up and refused to allow the penetration of middle-class women into their so exclusive drawing-rooms — for dinners such as this? The same, had I been absent? The suspicion flashed across my mind for a moment, but it was too absurd. Plain commonsense enabled me to brush it aside. And then, if I had adopted it, what would have been left of the name Guermantes, already so degraded since Combray?
Au reste ces filles fleurs étaient, à un degré étrange, faciles à être contentées par une autre personne, ou désireuses de la contenter, car plus d′une, à laquelle je n′avais tenu pendant toute la soirée que deux ou trois propos dont la stupidité m′avait fait rougir, tint, avant de quitter le salon, à venir me dire, en fixant sur moi ses beaux yeux caressants, tout en redressant la guirlande d′orchidées qui contournait sa poitrine, quel plaisir intense elle avait eu à me connaître, et me parler — allusion voilée à une invitation à dîner — de son désir «d′arranger quelque chose», après qu′elle aurait «pris jour» avec Mme de Guermantes. Aucune de ces dames fleurs ne partit avant la princesse de Parme. La présence de celle-ci — on ne doit pas s′en aller avant une Altesse —était une des deux raisons, non devinées par moi, pour lesquelles la duchesse avait mis tant d′insistance à ce que je restasse. Dès que Mme de Parme fut levée, ce fut comme une délivrance. Toutes les dames ayant fait une génuflexion devant la princesse, qui les releva, reçurent d′elle dans un baiser, et comme une bénédiction qu′elles eussent demandée à genou, la permission de demander son manteau et ses gens. De sorte que ce fut, devant la porte, comme une récitation criée de grands noms de l′Histoire de France. La princesse de Parme avait défendu à Mme de Guermantes de descendre l′accompagner jusqu′au vestibule de peur qu′elle ne prît froid, et le duc avait ajouté: «Voyons, Oriane, puisque Madame le permet, rappelez-vous ce que vous a dit le docteur.»
It struck me that these flower-maidens were, to a strange extent, either ready to be pleased with another person or anxious to make that person pleased with them, for more than one of them, to whom I had not uttered, during the whole course of the evening, more than two or three casual remarks, the stupidity of which had left me blushing, made a point, before leaving the drawing-room, of coming to tell me, fastening on me her fine caressing eyes, straightening as she spoke the garland of orchids that followed the curve of her bosom, what an intense pleasure it had been to her to make my acquaintance, and to speak to me — a veiled allusion to an invitation to dinner — of her desire to ‘arrange something′ after she had ‘fixed a day′ with Mme. de Guermantes. None of these flower ladies left the room before the Princesse de Parme. The presence of that lady — one must never depart before Royalty — was one of the two reasons, neither of which I had guessed, for which the Duchess had insisted so strongly on my remaining. As soon as Mme. de Parme had risen, it was like a deliverance. Each of the ladies having made a genuflexion before the Princess, who raised her up from the ground, they received from her, in a kiss, and like a benediction which they had craved kneeling, the permission to ask for their cloaks and carriages. With the result that there followed, at the front door, a sort of stentorian recital of great names from the History of France. The Princesse de Parme had forbidden Mme. de Guermantes to accompany her downstairs to the hall for fear of her catching cold, and the Duke had added: “There, Oriane, since Ma′am gives you leave, remember what the doctor told you.”
«Je crois que la princesse de Parme a été très contente de dîner avec vous.» Je connaissais la formule. Le duc avait traversé tout le salon pour venir la prononcer devant moi, d′un air obligeant et pénétré, comme s′il me remettait un diplôme ou m′offrait des petits fours. Et je sentis au plaisir qu′il paraissait éprouver à ce moment-là, et qui donnait une expression momentanément si douce à son visage, que le genre de soins que cela représentait pour lui était de ceux dont il s′acquitterait jusqu′à la fin extrême de sa vie, comme de ces fonctions honorifiques et aisées que, même gâteux, on conserve encore.
“I am sure the Princesse de Parme was most pleased to take dinner with you.” I knew the formula. The Duke had come the whole way across the drawing-room in order to utter it before me with an obliging, concerned air, as though he were handing me a diploma or offering me a plateful of biscuits. And I guessed from the pleasure which he appeared to be feeling as he spoke, and which brought so sweet an expression momentarily into his face, that the effort which this represented for him was of the kind which he would continue to make to the very end of his life, like one of those honorific and easy posts which, even when paralytic, one is still allowed to retain.
Au moment où j′allais partir, la dame d′honneur de la princesse rentra dans le salon, ayant oublié d′emporter de merveilleux oeillets, venus de Guermantes, que la duchesse avait donnés à Mme de Parme. La dame d′honneur était assez rouge, on sentait qu′elle avait été bousculée, car la princesse, si bonne envers tout le monde, ne pouvait retenir son impatience devant la niaiserie de sa suivante. Aussi celle-ci courait-elle vite en emportant les oeillets, mais, pour garder son air à l′aise et mutin, elle jeta en passant devant moi: «La princesse trouve que je suis en retard, elle voudrait que nous fussions parties et avoir les oeillets tout de même. Dame! je ne suis pas un petit oiseau, je ne peux pas être à plusieurs endroits à la fois.»
Just as I was about to leave, the lady in waiting reappeared in the drawing-room, having forgotten to take away some wonderful carnations, sent up from Guermantes, which the Duchess had presented to Mme. de Parme. The lady in waiting was somewhat flushed, one felt that she had just been receiving a scolding, for the Princess, so kind to everyone else, could not contain her impatience at the stupidity of her attendant. And so the latter picked up the flowers and ran quickly, but to preserve her air of ease and independence flung at me as she passed: “The Princess says I′m keeping her waiting; she wants to be gone, and to have the carnations as well. Good lord! I′m not a little bird, I can′t be in two places at once.”
Hélas! la raison de ne pas se lever avant une Altesse n′était pas la seule. Je ne pus pas partir immédiatement, car il y en avait une autre: c′était que ce fameux luxe, inconnu aux Courvoisier, dont les Guermantes, opulents ou à demi ruinés, excellaient à faire jouir leurs amis, n′était pas qu′un luxe matériel et comme je l′avais expérimenté souvent avec Robert de Saint–Loup, mais aussi un luxe de paroles charmantes, d′actions gentilles, toute une élégance verbale, alimentée par une véritable richesse intérieure. Mais comme celle-ci, dans l′oisiveté mondaine, reste sans emploi, elle s′épanchait parfois, cherchait un dérivatif en une sorte d′effusion fugitive, d′autant plus anxieuse, et qui aurait pu, de la part de Mme de Guermantes, faire croire à de l′affection. Elle l′éprouvait d′ailleurs au moment où elle la laissait déborder, car elle trouvait alors, dans la société de l′ami ou de l′amie avec qui elle se trouvait, une sorte d′ivresse, nullement sensuelle, analogue à celle que la musique donne à certaines personnes; il lui arrivait de détacher une fleur de son corsage, un médaillon et de les donner à quelqu′un avec qui elle eût souhaité de faire durer la soirée, tout en sentant avec mélancolie qu′un tel prolongement n′aurait pu mener à autre chose qu′à de vaines causeries où rien n′aurait passé du plaisir nerveux de l′émotion passagère, semblables aux premières chaleurs du printemps par l′impression qu′elles laissent de lassitude et de tristesse. Quant à l′ami, il ne fallait pas qu′il fût trop dupe des promesses, plus grisantes qu′aucune qu′il eût jamais entendue, proférées par ces femmes, qui, parce qu′elles ressentent avec tant de force la douceur d′un moment, font de lui, avec une délicatesse, une noblesse ignorées des créatures normales, un chef-d′oeuvre attendrissant de grâce et de bonté, et n′ont plus rien à donner d′elles-mêmes après qu′un autre moment est venu. Leur affection ne survit pas à l′exaltation qui la dicte; et la finesse d′esprit qui les avait amenées alors à deviner toutes les choses que vous désiriez entendre et à vous les dire, leur permettra tout aussi bien, quelques jours plus tard, de saisir vos ridicules et d′en amuser un autre de leurs visiteurs avec lequel elles seront en train de goûter un de ces «moments musicaux» qui sont si brefs.
Alas! the rule of not leaving before Royalty was not the only one. I could not depart at once, for there was another: this was that the famous lavishness, unknown to the Courvoisiers, with which the Guermantes, whether opulent or practically ruined, excelled in entertaining their friends, was not only a material lavishness, of the kind that I had often experienced with Robert de Saint-Loup, but also a lavish display of charming words, of courteous actions, a whole system of verbal elegance supplied from a positive treasure-house within. But as this last, in the inactivity of fashionable existence, must remain unemployed, it expanded at times, sought an outlet in a sort of fugitive effusion, all the more intense, which might, in Mme. de Guermantes, have led one to suppose a genuine affection for oneself. Which she did, for that matter, feel at the moment when she let it overflow, for she found then in the society of the friend, man or woman, with whom she happened to be a sort of intoxication, in no way sensual, similar to that which music produces in certain people; she would suddenly detach a flower from her bodice, or a medallion, and present it to someone with whom she would have liked to prolong the evening, with a melancholy feeling the while that such a prolongation could have led to nothing but idle talk, into which nothing could have passed of the nervous pleasure, the fleeting emotion, similar to the first warm days of spring in the impression they leave behind them of exhaustion and regret. As for the friend, it did not do for him to put too implicit a faith in the promises, more exhilarating than anything he had ever heard, tendered by these women who, because they feel with so much more force the sweetness of a moment, make of it, with a delicacy, a nobility of which normally constituted creatures are incapable, a compelling masterpiece of grace and goodness, and have no longer anything of themselves left to give when the next moment has arrived. Their affection does not outlive the exaltation that has dictated it; and the subtlety of mind which had then led them to divine all the things that you wished to hear and to say them to you will permit them just as easily, a few days later, to seize hold of your absurdities and use them to entertain another of their visitors with whom they will then be in the act of enjoying one of those ‘musical moments′ which are so brief.
Dans le vestibule où je demandai à un valet de pied mes snow-boots, que j′avais pris par précaution contre la neige, dont il était tombé quelques flocons vite changés en boue, ne me rendant pas compte que c′était peu élégant, j′éprouvai, du sourire dédaigneux de tous, une honte qui atteignit son plus haut degré quand je vis que Mme de Parme n′était pas partie et me voyait chaussant mes caoutchoucs américains. La princesse revint vers moi. «Oh! quelle bonne idée, s′écria-t-elle, comme c′est pratique! voilà un homme intelligent. Madame, il faudra que nous achetions cela», dit-elle à sa dame d′honneur, tandis que l′ironie des valets se changeait en respect et que les invités s′empressaient autour de moi pour s′enquérir où j′avais pu trouver ces merveilles. «Grâce à cela, vous n′aurez rien à craindre, même s′il reneige et si vous allez loin; il n′y a plus de saison», me dit la princesse. — Oh! à ce point de vue, Votre Altesse Royale peut se rassurer, interrompit la dame d′honneur d′un air fin, il ne reneigera pas. — Qu′en savez-vous, madame? demanda aigrement l′excellente princesse de Parme, que seule réussissait à agacer la bêtise de sa dame d′honneur. — Je peux l′affirmer à Votre Altesse Royale, il ne peut pas reneiger, c′est matériellement impossible. — Mais pourquoi? — Il ne peut plus neiger, on a fait le nécessaire pour cela: on a jeté du sel! La naîµ¥ dame ne s′aperçut pas de la colère de la princesse et de la gaieté des autres personnes, car, au lieu de se taire, elle me dit avec un sourire amène, sans tenir compte de mes dénégations au sujet de l′amiral Jurien de la Gravière: «D′ailleurs qu′importe? Monsieur doit avoir le pied marin. Bon sang ne peut mentir.»
In the hall where I asked a footman for my snowboots which I had brought as a precaution against the snow, several flakes of which had already fallen, to be converted rapidly into slush, not having realised that they were hardly fashionable, I felt, at the contemptuous smile on all sides, a shame which rose to its highest pitch when I saw that Mme. de Parme had not gone and was watching me put on my American ‘rubbers.′ The Princess came towards me. “Oh! What a good idea,” she exclaimed, “it′s so practical! There′s a sensible man for you. Madame, we shall have to get a pair of those,” she went on to her lady in waiting, while the mockery of the footmen turned to respect and the other guests crowded round me to inquire where I had managed to find these marvels. “With those on, you will have nothing to fear even if it starts snowing again and you have a long way to go. You′re independent of the weather,” said the Princess to me. “Oh! If it comes to that, your Royal Highness can be reassured,” broke in the lady in waiting with a knowing air, “it will not snow again.” “What do you know about it, Madame?” came witheringly from the excellent Princesse de Parme, who alone could succeed in piercing the thick skin of her lady in waiting. “I can assure your Royal Highness, it cannot snow again. It is a physical impossibility.” “But why?” “It cannot snow any more, they have taken the necessary steps to prevent it, they have put down salt in the streets!” The simple-minded lady did not observe either the anger of the Princess or the mirth of the rest of her audience, for instead of remaining silent she said to me with a genial smile, paying no heed to my repeated denials of any connexion with Admiral Jurien de la Gravière: “Not that it matters, after all. This gentleman must have stout sea-legs. What′s bred in the bone!”
Et ayant reconduit la princesse de Parme, M. de Guermantes me dit en prenant mon pardessus: «Je vais vous aider à entrer votre pelure.» Il ne souriait même plus en employant cette expression, car celles qui sont le plus vulgaires étaient, par cela même, à cause de l′affectation de simplicité des Guermantes, devenues aristocratiques.
Then, having escorted the Princesse de Parme to her carriage, M. de Guermantes said to me, taking hold of my greatcoat: “Let me help you into your skin.” He had ceased even to smile when he employed this expression, for those that were most vulgar had for that very reason, because of the Guermantes affectation of simplicity, become aristocratic.
Une exaltation n′aboutissant qu′à la mélancolie, parce qu′elle était artificielle, ce fut aussi, quoique tout autrement que Mme de Guermantes, ce que je ressentis une fois sorti enfin de chez elle, dans la voiture qui allait me conduire à l′hôtel de M. de Charlus. Nous pouvons à notre choix nous livrer à l′une ou l′autre de deux forces, l′une s′élève de nous-même, émane de nos impressions profondes; l′autre nous vient du dehors. La première porte naturellement avec elle une joie, celle que dégage la vie des créateurs. L′autre courant, celui qui essaye d′introduire en nous le mouvement dont sont agitées des personnes extérieures, n′est pas accompagné de plaisir; mais nous pouvons lui en ajouter un, par choc en retour, en une ivresse si factice qu′elle tourne vite à l′ennui, à la tristesse, d′où le visage morne de tant de mondains, et chez eux tant d′états nerveux qui peuvent aller jusqu′au suicide. Or, dans la voiture qui me menait chez M. de Charlus, j′étais en proie à cette seconde sorte d′exaltation, bien différente de celle qui nous est donnée par une impression personnelle, comme celle que j′avais eue dans d′autres voitures, une fois à Combray, dans la carriole du Dr Percepied, d′où j′avais vu se peindre sur le couchant les clochers de Martainville; un jour, à Balbec, dans la calèche de Mme de Villeparisis, en cherchant à démêler la réminiscence que m′offrait une allée d′arbres. Mais dans cette troisième voiture, ce que j′avais devant les yeux de l′esprit, c′étaient ces conversations qui m′avaient paru si ennuyeuses au dîner de Mme de Guermantes, par exemple les récits du prince Von sur l′empereur d′Allemagne, sur le général Botha et l′armée anglaise. Je venais de les glisser dans le stéréoscope intérieur à travers lequel, dès que nous ne sommes plus nous-même, dès que, doués d′une âme mondaine, nous ne voulons plus recevoir notre vie que des autres, nous donnons du relief à ce qu′ils ont dit, à ce qu′ils ont fait. Comme un homme ivre plein de tendres dispositions pour le garçon de café qui l′a servi, je m′émerveillais de mon bonheur, non ressenti par moi, il est vrai, au moment même, d′avoir dîné avec quelqu′un qui connaissait si bien Guillaume II et avait raconté sur lui des anecdotes, ma foi, fort spirituelles. Et en me rappelant, avec l′accent allemand du prince, l′histoire du général Botha, je riais tout haut, comme si ce rire, pareil à certains applaudissements qui augmentent l′admiration intérieure, était nécessaire à ce récit pour en corroborer le comique. Derrière les verres grossissants, même ceux des jugements de Mme de Guermantes qui m′avaient paru bêtes (par exemple, sur Frans Hals qu′il aurait fallu voir d′un tramway) prenaient une vie, une profondeur extraordinaires. Et je dois dire que si cette exaltation tomba vite elle n′était pas absolument insensée. De même que nous pouvons un beau jour être heureux de connaître la personne que nous dédaignions le plus, parce qu′elle se trouve être liée avec une jeune fille que nous aimons, à qui elle peut nous présenter, et nous offre ainsi de l′utilité et de l′agrément, choses dont nous l′aurions crue à jamais dénuée, il n′y a pas de propos, pas plus que de relations, dont on puisse être certain qu′on ne tirera pas un jour quelque chose. Ce que m′avait dit Mme de Guermantes sur les tableaux qui seraient intéressants à voir, même d′un tramway, était faux, mais contenait une part de vérité qui me fut précieuse dans la suite.
An exaltation that sank only into melancholy, because it was artificial, was what I also, although quite differently from Mme. de Guermantes, felt once I had finally left her house, in the carriage that was taking me to that of M. de Charlus. We can at pleasure abandon ourselves to one or other of two forces of which one rises in ourselves, emanates from our deepest impressions, the other comes to us from without. The first carries with it naturally a joy, the joy that springs from the life of the creator. The other current, that which endeavours to introduce into us the movement by which persons external to ourselves are stirred, is not accompanied by pleasure; but we can add a pleasure to it, by the shock of reaction, in an intoxication so feigned that it turns swiftly into boredom, into melancholy, whence the gloomy faces of so many men of fashion, and all those nervous conditions which may make them end in suicide. Well, in the carriage which was taking me to M. de Charlus, I was a prey to this second sort of exaltation, widely different from that which is given us by a personal impression, such as I had received in other carriages, once at Combray, in Dr. Percepied′s gig, from which I had seen painted against the setting sun the spires of Martinville, another day at Balbec, in Mme. de Villeparisis′s barouche, when I strove to identify the reminiscence that was suggested to me by an avenue of trees. But in this third carriage, what I had before my mind′s eye were those conversations that had seemed to me so tedious at Mme. de Guermante′s dinner-table, for example Prince Von′s stories about the German Emperor, General Botha and the British Army. I had slipped them into the frame of the internal stereoscope through the lenses of which, once we are no longer ourselves, once, endowed with the spirit of society, we no longer wish to receive our life save from other people, we cast into relief what they have said and done. Like a tipsy man filled with tender feeling for the waiter who has been serving him, I marvelled at my good fortune, a good fortune not realised by me, it is true, at the actual moment, in having dined with a person who knew William II so well, and had told stories about him that were — upon my word — really witty. And, as I repeated to myself, with the Prince′s German accent, the story of General Botha, I laughed out loud, as though this laugh, like certain kinds of applause which increase one′s inward admiration, were necessary to the story as a corroboration of its comic element. Through the magnifying lenses even those of Mme. de Guermantes′s pronouncements which had struck me as being stupid (as for example that on the Hals pictures which one ought to see from the top of a tramway-car) took on a life, a depth that were extraordinary. And I must say that, even if this exaltation was quick to subside, it was not altogether unreasonable. Just as there may always come a day when we are glad to know the person whom we despise more than anyone in the world because he happens to be connected with a girl with whom we are in love, to whom he can introduce us, and thus offers us both utility and gratification, attributes in each of which we should have supposed him to be entirely lacking, so there is no conversation, any more than there are personal relations, from which we can be certain that we shall not one day derive some benefit. What Mme. de Guermantes had said to me about the pictures which it would be interesting to see, even from a tramway-car, was untrue, but it contained a germ of truth which was of value to me later on.
De même les vers de Victor Hugo qu′elle m′avait cités étaient, il faut l′avouer, d′une époque antérieure à celle où il est devenu plus qu′un homme nouveau, où il a fait apparaître dans l′évolution une espèce littéraire encore inconnue, douée d′organes plus complexes. Dans ces premiers poèmes, Victor Hugo pense encore, au lieu de se contenter, comme la nature, de donner à penser. Des «pensées», il en exprimait alors sous la forme la plus directe, presque dans le sens où le duc prenait le mot, quand, trouvant vieux jeu et encombrant que les invités de ses grandes fêtes, à Guermantes, fissent, sur l′album du château, suivre leur signature d′une réflexion philosophico-poétique, il avertissait les nouveaux venus d′un ton suppliant: «Votre nom, mon cher, mais pas de pensée!» Or, c′étaient ces «pensées» de Victor Hugo (presque aussi absentes de la Légende des Siècles que les «airs», les «mélodies» dans la deuxième manière wagnérienne) que Mme de Guermantes aimait dans le premier Hugo. Mais pas absolument à tort. Elles étaient touchantes, et déjà autour d′elles, sans que la forme eût encore la profondeur où elle ne devait parvenir que plus tard, le déferlement des mots nombreux et des rimes richement articulées les rendait inassimilables à ces vers qu′on peut découvrir dans un Corneille, par exemple, et où un romantisme intermittent, contenu, et qui nous émeut d′autant plus, n′a point pourtant pénétré jusqu′aux sources physiques de la vie, modifié l′organisme inconscient et généralisable où s′abrite l′idée. Aussi avais-je eu tort de me confiner jusqu′ici dans les derniers recueils d′Hugo. Des premiers, certes, c′était seulement d′une part infime que s′ornait la conversation de Mme de Guermantes. Mais justement, en citant ainsi un vers isolé on décuple sa puissance attractive. Ceux qui étaient entrés ou rentrés dans ma mémoire, au cours de ce dîner, aimantaient à leur tour, appelaient à eux avec une telle force les pièces au milieu desquelles ils avaient l′habitude d′être enclavés, que mes mains électrisées ne purent pas résister plus de quarante-huit heures à la force qui les conduisait vers le volume où étaient reliés les Orientales et les Chants du Crépuscule . Je maudis le valet de pied de Françoise d′avoir fait don à son pays natal de mon exemplaire des Feuilles d′Automne , et je l′envoyai sans perdre un instant en acheter un autre. Je relus ces volumes d′un bout à l′autre, et ne retrouvai la paix que quand j′aperçus tout d′un coup, m′attendant dans la lumière où elle les avait baignés, les vers que m′avait cités Mme de Guermantes. Pour toutes ces raisons, les causeries avec la duchesse ressemblaient à ces connaissances qu′on puise dans une bibliothèque de château, surannée, incomplète, incapable de former une intelligence, dépourvue de presque tout ce que nous aimons, mais nous offrant parfois quelque renseignement curieux, voire la citation d′une belle page que nous ne connaissions pas, et dont nous sommes heureux dans la suite de nous rappeler que nous en devons la connaissance à une magnifique demeure seigneuriale. Nous sommes alors, pour avoir trouvé la préface de Balzac à la Chartreuse ou des lettres inédites de Joubert, tentés de nous exagérer le prix de la vie que nous y avons menée et dont nous oublions, pour cette aubaine d′un soir, la frivolité stérile.
Similarly the lines of Victor Hugo which I had heard her quote were, it must be admitted, of a period earlier than that in which he became something more than a new man, in which he brought to light, in the order of evolution, a literary species till then unknown, endowed with more complex organs than any then in existence. In these first poems, Victor Hugo is still a thinker, instead of contenting himself, like Nature, with supplying food for thought. His ‘thoughts′ he at that time expressed in the most direct form, almost in the sense in which the Duke employed the word when, feeling it to be out of date and a nuisance that the guests at his big parties at Guermantes should, in the visitors′ book, append to their signatures a philosophico-poetical reflexion, he used to warn novices in an appealing tone: “Your name, my dear fellow, but no ‘thoughts′ please!” Well, it was these ‘thoughts′ of Victor Hugo (almost as entirely absent from the Légende des Siècles as ‘airs,′ as ‘melodies′ are from Wagner′s later manner) that Mme. de Guermantes admired in the early Hugo. Nor was she altogether wrong. They were touching, and already round about them, without their form′s having yet the depth which it was to acquire only in later years, the rolling tide of words and of richly articulated rhymes put them beyond comparison with the lines that one might discover in a Corneille, for example, lines in which a Romanticism that is intermittent, restrained and so all the more moving, nevertheless has not at all penetrated to the physical sources of life, modified the unconscious and generalisable organism in which the idea is latent. And so I had been wrong in confining myself, hitherto, to the later volumes of Hugo. Of the earlier, of course, it was only a fractional part that Mme. de Guermantes used to embellish her conversation. But simply by quoting in this way an isolated line one multiplies its power of attraction tenfold. The lines that had entered or returned to my mind during this dinner magnetised in turn, summoned to themselves with such force the poems in the heart of which they were normally embedded, that my magnetised hands could not hold out for longer than forty-eight hours against the force that drew them towards the volume in which were bound up the Orientales and the Chants du Crépuscule. I cursed Franchise′s footman for having made a present to his native village of my copy of the Feuilles d′Automne, and sent him off, with not a moment to be lost, to procure me another. I read these volumes from cover to cover and found peace of mind only when I suddenly came across, awaiting me in the light in which she had bathed them, the lines that I had heard Mme. de Guermantes quote. For all these reasons, conversations with the Duchess resembled the discoveries that we make in the library of a country house, out of date, incomplete, incapable of forming a mind, lacking in almost everything that we value, but offering us now and then some curious scrap of information, for instance the quotation of a fine passage which we did not know and as to which we are glad to remember in after years that we owe our knowledge of it to a stately mansion of the great. We are then, by having found Balzac′s preface to the Chartreuse, or some unpublished letters of Joubert, tempted to exaggerate the value of the life we led there, the sterile frivolity of which, for this windfall of a single evening, we forget.
A ce point de vue, si le monde n′avait pu au premier moment répondre à ce qu′attendait mon imagination, et devait par conséquent me frapper d′abord par ce qu′il avait de commun avec tous les mondes plutôt que par ce qu′il en avait de différent, pourtant il se révéla à moi peu à peu comme bien distinct. Les grands seigneurs sont presque les seules gens de qui on apprenne autant que des paysans; leur conversation s′orne de tout ce qui concerne la terre, les demeures telles qu′elles étaient habitées autrefois, les anciens usages, tout ce que le monde de l′argent ignore profondément. A supposer que l′aristocrate le plus modéré par ses aspirations ait fini par rattraper l′époque où il vit, sa mère, ses oncles, ses grand′tantes le mettent en rapport, quand il se rappelle son enfance, avec ce que pouvait être une vie presque inconnue aujourd′hui. Dans la chambre mortuaire d′un mort d′aujourd′hui, Mme de Guermantes n′eût pas fait remarquer, mais eût saisi immédiatement tous les manquements faits aux usages. Elle était choquée de voir à un enterrement des femmes mêlées aux hommes alors qu′il y a une cérémonie particulière qui doit être célébrée pour les femmes. Quant au poêle dont Bloch eût cru sans doute que l′usage était réservé aux enterrements, à cause des cordons du poêle dont on parle dans les comptes rendus d′obsèques, M. de Guermantes pouvait se rappeler le temps où, encore enfant, il l′avait vu tenir au mariage de M. de Mailly–Nesle. Tandis que Saint–Loup avait vendu son précieux «Arbre généalogique», d′anciens portraits des Bouillon, des lettres de Louis XIII, pour acheter des Carrière et des meubles modern style, M. et Mme de Guermantes, émus par un sentiment où l′amour ardent de l′art jouait peut-être un moindre rôle et qui les laissait eux-mêmes plus médiocres, avaient gardé leurs merveilleux meubles de Boule, qui offraient un ensemble autrement séduisant pour un artiste. Un littérateur eût de même été enchanté de leur conversation, qui eût été pour lui — car l′affamé n′a pas besoin d′un autre affamé— un dictionnaire vivant de toutes ces expressions qui chaque jour s′oublient davantage: des cravates à la Saint–Joseph, des enfants voués au bleu, etc., et qu′on ne trouve plus que chez ceux qui se font les aimables et bénévoles conservateurs du passé. Le plaisir que ressent parmi eux, beaucoup plus que parmi d′autres écrivains, un écrivain, ce plaisir n′est pas sans danger, car il risque de croire que les choses du passé ont un charme par elles-mêmes, de les transporter telles quelles dans son oeuvre, mort-née dans ce cas, dégageant un ennui dont il se console en se disant: «C′est joli parce que c′est vrai, cela se dit ainsi.» Ces conversations aristocratiques avaient du reste, chez Mme de Guermantes, le charme de se tenir dans un excellent français. A cause de cela elles rendaient légitime, de la part de la duchesse, son hilarité devant les mots «vatique», «cosmique», «pythique», «suréminent», qu′employait Saint–Loup — de même que devant ses meubles de chez Bing.
From this point of view, if the fashionable world had been unable, at the first moment, to provide what my imagination expected, and must consequently strike me first of all by what it had in common with all the other worlds rather than by its difference, still it revealed itself to me by degrees as something quite distinct. Great noblemen are almost the only people of whom one learns as much as one does of peasants; their conversation is adorned with everything that concerns the land, houses, as people used to live in them long ago, old customs, everything of which the world of money is profoundly ignorant. Even supposing that the aristocrat most moderate in his aspirations has finally overtaken the period in which he lives, his mother, his uncles, his great-aunts keep him in touch, when he recalls his childhood, with the conditions of a life almost unknown today. In the death-chamber of a contemporary corpse Mme. de Guermantes would not have pointed out, but would immediately have perceived, all the lapses from the traditional customs. She was shocked to see at a funeral women mingling with the men, when there was a particular ceremony which ought to be celebrated for the women. As for the pall, the use of which Bloch would doubtless have believed to be confined to coffins, on account of the pall bearers of whom one reads in the reports of funerals, M. de Guermantes could remember the time when, as a child, he had seen it borne at the wedding of M. de Mailly-Nesle. While Saint-Loup had sold his priceless ‘Genealogical Tree,′ old portraits of the Bouillons, letters of Louis XIII, in order to buy Carrières and furniture in the modern style, M. and Mme. de Guermantes, moved by a sentiment in which the burning love of art may have played only a minor part, and which left them themselves more insignificant than before, had kept their marvellous Boule furniture, which presented a picture attractive in a different way to an artist. A literary man would similarly have been enchanted by their conversation, which would have been for him — for one hungry man has no need of another to keep him company — a living dictionary of all those expressions which every day are becoming more and more forgotten: Saint-Joseph cravats, children dedicated to the Blue, and so forth, which one finds to-day only among those people who have constituted themselves the friendly and benevolent custodians of the past. The pleasure that a writer, more than among other writers, feels among them is not without danger, for there is a risk of his coming to believe that the things of the past have a charm in themselves, of his transferring them bodily into his work, still-born in that case, exhaling a tedium for which he consoles himself with the reflexion: “It is attractive because it′s true; that is how people do talk.” These aristocratic conversations had moreover the charm, with Mme. de Guermantes, of being couched in excellent French. For this reason they made permissible on the Duchess′s part her hilarity at the words ‘viaticum,′ ‘cosmic,′ ‘pythian,′ ‘pre-eminent,′ which Saint-Loup used to employ — as, similarly, at his Bing furniture.
Malgré tout, bien différentes en cela de ce que j′avais pu ressentir devant des aubépines ou en goûtant à une madeleine, les histoires que j′avais entendues chez Mme de Guermantes m′étaient étrangères. Entrées un instant en moi, qui n′en étais que physiquement possédé, on aurait dit que (de nature sociale, et non individuelle) elles étaient impatientes d′en sortir . . . Je m′agitais dans la voiture, comme une pythonisse. J′attendais un nouveau dîner où je pusse devenir moi même une sorte de prince X . . ., de Mme de Guermantes, et les raconter. En attendant, elles faisaient trépider mes lèvres qui les balbutiaient et j′essayais en vain de ramener à moi mon esprit vertigineusement emporté par une force centrifuge. Aussi est-ce avec une fiévreuse impatience de ne pas porter plus longtemps leur poids tout seul dans une voiture, où d′ailleurs je trompais le manque de conversation en parlant tout haut, que je sonnai à la porte de M. de Charlus, et ce fut en longs monologues avec moi-même, où je me répétais tout ce que j′allais lui narrer et ne pensais plus guère à ce qu′il pouvait avoir à me dire, que je passai tout le temps que je restai dans un salon où un valet de pied me fit entrer, et que j′étais d′ailleurs trop agité pour regarder. J′avais un tel besoin que M. de Charlus écoutât les récits que je brûlais de lui faire, que je fus cruellement déçu en pensant que le maître de la maison dormait peut-être et qu′il me faudrait rentrer cuver chez moi mon ivresse de paroles. Je venais en effet de m′apercevoir qu′il y avait vingt-cinq minutes que j′étais, qu′on m′avait peut-être oublié, dans ce salon, dont, malgré cette longue attente, j′aurais tout au plus pu dire qu′il était immense, verdâtre, avec quelques portraits. Le besoin de parler n′empêche pas seulement d′écouter, mais de voir, et dans ce cas l′absence de toute description du milieu extérieur est déjà une description d′un état interne. J′allais sortir du salon pour tâcher d′appeler quelqu′un et, si je ne trouvais personne, de retrouver mon chemin jusqu′aux antichambres et me faire ouvrir, quand, au moment même où je venais de me lever et de faire quelques pas sur le parquet mosaî°µé, un valet de chambre entra, l′air préoccupé: «Monsieur le baron a eu des rendez-vous jusqu′à maintenant, me dit-il. Il y a encore plusieurs personnes qui l′attendent. Je vais faire tout mon possible pour qu′il reçoive monsieur, j′ai déjà fait téléphoner deux fois au secrétaire.» — Non, ne vous dérangez pas, j′avais rendez-vous avec monsieur le baron, mais il est déjà bien tard, et, du moment qu′il est occupé ce soir, je reviendrai un autre jour. — Oh! non, que monsieur ne s′en aille pas, s′écria le valet de chambre. M. le baron pourrait être mécontent. Je vais de nouveau essayer. Je me rappelai ce que j′avais entendu raconter des domestiques de M. de Charlus et de leur dévouement à leur maître. On ne pouvait pas tout à fait dire de lui comme du prince de Conti qu′il cherchait à plaire aussi bien au valet qu′au ministre, mais il avait si bien su faire des moindres choses qu′il demandait une espèce de faveur, que, le soir, quand, ses valets assemblés autour de lui à distance respectueuse, après les avoir parcourus du regard, il disait: «Coignet, le bougeoir!» ou: «Ducret, la chemise!», c′est en ronchonnant d′envie que les autres se retiraient, envieux de celui qui venait d′être distingué par le maître. Deux, même, lesquels s′exécraient, essayaient chacun de ravir la faveur à l′autre, en allant, sous le plus absurde prétexte, faire une commission au baron, s′il était monté plus tôt, dans l′espoir d′être investi pour ce soir-là de la charge du bougeoir ou de la chemise. S′il adressait directement la parole à l′un d′eux pour quelque chose qui ne fût pas du service, bien plus, si, l′hiver, au jardin, sachant un de ses cochers enrhumé, il lui disait au bout de dix minutes: «Couvrez-vous», les autres ne lui reparlaient pas de quinze jours, par jalousie, à cause de la grâce qui lui avait été faite. J′attendis encore dix minutes et, après m′avoir demandé de ne pas rester trop longtemps, parce que M. le baron fatigué avait dû faire éconduire plusieurs personnes des plus importantes, qui avaient pris rendez-vous depuis de longs jours, on m′introduisit auprès de lui. Cette mise en scène autour de M. de Charlus me paraissait empreinte de beaucoup moins de grandeur que la simplicité de son frère Guermantes, mais déjà la porte s′était ouverte, je venais d′apercevoir le baron, en robe de chambre chinoise, le cou nu, étendu sur un canapé. Je fus frappé au même instant par la vue d′un chapeau haut de forme «huit reflets» sur une chaise avec une pelisse, comme si le baron venait de rentrer. Le valet de chambre se retira. Je croyais que M. de Charlus allait venir à moi. Sans faire un seul mouvement, il fixa sur moi des yeux implacables. Je m′approchai de lui, lui dis bonjour, il ne me tendit pas la main, ne me répondit pas, ne me demanda pas de prendre une chaise. Au bout d′un instant je lui demandai, comme on ferait à un médecin mal élevé, s′il était nécessaire que je restasse debout. Je le fis sans méchante intention, mais l′air de colère froide qu′avait M. de Charlus sembla s′aggraver encore. J′ignorais, du reste, que chez lui, à la campagne, au château de Charlus, il avait l′habitude après dîner, tant il aimait à jouer au roi, de s′étaler dans un fauteuil au fumoir, en laissant ses invités debout autour de lui. Il demandait à l′un du feu, offrait à l′autre un cigare, puis au bout de quelques instants disait: «Mais, Argencourt, asseyez-vous donc, prenez une chaise, mon cher, etc.», ayant tenu à prolonger leur station debout, seulement pour leur montrer que c′était de lui que leur venait la permission de s′asseoir. «Mettez-vous dans le siège Louis XIV», me répondit-il d′un air impérieux et plutôt pour me forcer à m′éloigner de lui que pour m′inviter à m′asseoir. Je pris un fauteuil qui n′était pas loin. «Ah! voilà ce que vous appelez un siège Louis XIV! je vois que vous êtes instruit», s′écria-t-il avec dérision. J′étais tellement stupéfait que je ne bougeai pas, ni pour m′en aller comme je l′aurais dû, ni pour changer de siège comme il le voulait. «Monsieur, me dit-il, en pesant tous les termes, dont il faisait précéder les plus impertinents d′une double paire de consonnes, l′entretien que j′ai condescendu à vous accorder, à la prière d′une personne qui désire que je ne la nomme pas, marquera pour nos relations le point final. Je ne vous cacherai pas que j′avais espéré mieux; je forcerais peut-être un peu le sens des mots, ce qu′on ne doit pas faire, même avec qui ignore leur valeur, et par simple respect pour soi-même, en vous disant que j′avais eu pour vous de la sympathie. Je crois pourtant que «bienveillance», dans son sens le plus efficacement protecteur, n′excéderait ni ce que je ressentais, ni ce que je me proposais de manifester. Je vous avais, dès mon retour à Paris, fait savoir à Balbec même que vous pouviez compter sur moi.» Moi qui me rappelais sur quelle incartade M. de Charlus s′était séparé de moi à Balbec, j′esquissai un geste de dénégation. «Comment! s′écria-t-il avec colère, et en effet son visage convulsé et blanc différait autant de son visage ordinaire que la mer quand, un matin de tempête, on aperçoit, au lieu de la souriante surface habituelle, mille serpents d′écume et de bave, vous prétendez que vous n′avez pas reçu mon message — presque une déclaration — d′avoir à vous souvenir de moi? Qu′y avait-il comme décoration autour du livre que je vous fis parvenir?» — De très jolis entrelacs historiés, lui dis-je. — Ah! répondit-il d′un air méprisant, les jeunes Français connaissent peu les chefs-d′oeuvre de notre pays. Que dirait-on d′un jeune Berlinois qui ne connaîtrait pas la Walkyrie ? Il faut d′ailleurs que vous ayez des yeux pour ne pas voir, puisque ce chef-d′oeuvre-là vous m′avez dit que vous aviez passé deux heures devant. Je vois que vous ne vous y connaissez pas mieux en fleurs qu′en styles; ne protestez pas pour les styles, cria-t-il, d′un ton de rage suraigu, vous ne savez même pas sur quoi vous vous asseyez. Vous offrez à votre derrière une chauffeuse Directoire pour une bergère Louis XIV. Un de ces jours vous prendrez les genoux de Mme de Villeparisis pour le lavabo, et on ne sait pas ce que vous y ferez. Pareillement, vous n′avez même pas reconnu dans la reliure du livre de Bergotte le linteau de myosotis de l′église de Balbec. Y avait-il une manière plus limpide de vous dire: «Ne m′oubliez pas!» Je regardais M. de Charlus. Certes sa tête magnifique, et qui répugnait, l′emportait pourtant sur celle de tous les siens; on eût dit Apollon vieilli; mais un jus olivâtre, hépatique, semblait prêt à sortir de sa bouche mauvaise; pour l′intelligence, on ne pouvait nier que la sienne, par un vaste écart de compas, avait vue sur beaucoup de choses qui resteraient toujours inconnues au duc de Guermantes. Mais de quelques belles paroles qu′il colorât ses haines, on sentait que, même s′il y avait tantôt de l′orgueil offensé, tantôt un amour déçu, ou une rancune, du sadisme, une taquinerie, une idée fixe, cet homme était capable d′assassiner et de prouver à force de logique et de beau langage qu′il avait eu raison de le faire et n′en était pas moins supérieur de cent coudées à son frère, sa belle-soeur, etc., etc. — Comme dans les Lances de Vélasquez, continua-t-il, le vainqueur s′avance vers celui qui est le plus humble, comme le doit tout être noble, puisque j′étais tout et que vous n′étiez rien, c′est moi qui ai fait les premiers pas vers vous. Vous avez sottement répondu à ce que ce n′est pas à moi à appeler de la grandeur. Mais je ne me suis pas laissé décourager. Notre religion prêche la patience. Celle que j′ai eue envers vous me sera comptée, je l′espère, et de n′avoir fait que sourire de ce qui pourrait être taxé d′impertinence, s′il était à votre portée d′en avoir envers qui vous dépasse de tant de coudées; mais enfin, monsieur, de tout cela il n′est plus question. Je vous ai soumis à l′épreuve que le seul homme éminent de notre monde appelle avec esprit l′épreuve de la trop grande amabilité et qu′il déclare à bon droit la plus terrible de toutes, la seule qui puisse séparer le bon grain de l′ivraie. Je vous reprocherais à peine de l′avoir subie sans succès, car ceux qui en triomphent sont bien rares. Mais du moins, et c′est la conclusion que je prétends tirer des dernières paroles que nous échangerons sur terre, j′entends être à l′abri de vos inventions calomniatrices.» Je n′avais pas songé jusqu′ici que la colère de M. de Charlus pût être causée par un propos désobligeant qu′on lui eût répété; j′interrogeai ma mémoire; je n′avais parlé de lui à personne. Quelque méchant l′avait fabriqué de toutes pièces. Je protestai à M. de Charlus que je n′avais absolument rien dit de lui. «Je ne pense pas que j′aie pu vous fâcher en disant à Mme de Guermantes que j′étais lié avec vous.» Il sourit avec dédain, fit monter sa voix jusqu′aux plus extrêmes registres, et là, attaquant avec douceur la note la plus aiguë et la plus insolente: «Oh! monsieur, dit-il en revenant avec une extrême lenteur à une intonation naturelle, et comme s′enchantant, au passage, des bizarreries de cette gamme descendante, je pense que vous vous faites tort à vous-même en vous accusant d′avoir dit que nous étions «liés». Je n′attends pas une très grande exactitude verbale de quelqu′un qui prendrait facilement un meuble de Chippendale pour une chaise rococo, mais enfin je ne pense pas, ajouta-t-il, avec des caresses vocales de plus en plus narquoises et qui faisaient flotter sur ses lèvres jusqu′à un charmant sourire, je ne pense pas que vous ayez dit, ni cru, que nous étions liés ! Quant à vous être vanté de m′avoir été présenté , d′avoir causé avec moi , de me connaître un peu, d′avoir obtenu, presque sans sollicitation, de pouvoir être un jour mon protégé , je trouve au contraire fort naturel et intelligent que vous l′ayez fait. L′extrême différence d′âge qu′il y a entre nous me permet de reconnaître, sans ridicule, que cette présentation , ces causeries , cette vague amorce de relations étaient pour vous, ce n′est pas à moi de dire un honneur, mais enfin à tout le moins un avantage dont je trouve que votre sottise fut non point de l′avoir divulgué, mais de n′avoir pas su le conserver. J′ajouterai même, dit-il, en passant brusquement et pour un instant de la colère hautaine à une douceur tellement empreinte de tristesse que je croyais qu′il allait se mettre à pleurer, que, quand vous avez laissé sans réponse la proposition que je vous ai faite à Paris, cela m′a paru tellement inouퟤe votre part à vous, qui m′aviez semblé bien élevé et d′une bonne famille bourgeoise (sur cet adjectif seul sa voix eut un petit sifflement d′impertinence), que j′eus la naîµ¥té de croire à toutes les blagues qui n′arrivent jamais, aux lettres perdues, aux erreurs d′adresses. Je reconnais que c′était de ma part une grande naîµ¥té, mais saint Bonaventure préférait croire qu′un boeuf pût voler plutôt que son frère mentir. Enfin tout cela est terminé, la chose ne vous a pas plu, il n′en est plus question. Il me semble seulement que vous auriez pu (et il y avait vraiment des pleurs dans sa voix), ne fût-ce que par considération pour mon âge, m′écrire. J′avais conçu pour vous des choses infiniment séduisantes que je m′étais bien gardé de vous dire. Vous avez préféré refuser sans savoir, c′est votre affaire. Mais, comme je vous le dis, on peut toujours écrire. Moi à votre place, et même dans la mienne, je l′aurais fait. J′aime mieux à cause de cela la mienne que la vôtre, je dis à cause de cela, parce que je crois que toutes les places sont égales, et j′ai plus de sympathie pour un intelligent ouvrier que pour bien des ducs. Mais je peux dire que je préfère ma place, parce que ce que vous avez fait, dans ma vie tout entière qui commence à être assez longue, je sais que je ne l′ai jamais fait. (Sa tête était tournée dans l′ombre, je ne pouvais pas voir si ses yeux laissaient tomber des larmes comme sa voix donnait à le croire.) Je vous disais que j′ai fait cent pas au-devant de vous, cela a eu pour effet de vous en faire faire deux cents en arrière. Maintenant c′est à moi de m′éloigner et nous ne nous connaîtrons plus. Je ne retiendrai pas votre nom, mais votre cas, afin que, les jours où je serais tenté de croire que les hommes ont du coeur, de la politesse, ou seulement l′intelligence de ne pas laisser échapper une chance sans seconde, je me rappelle que c′est les situer trop haut. Non, que vous ayez dit que vous me connaissiez quand c′était vrai — car maintenant cela va cesser de l′être — je ne puis trouver cela que naturel et je le tiens pour un hommage, c′est-à-dire pour agréable. Malheureusement, ailleurs et en d′autres circonstances, vous avez tenu des propos fort différents. — Monsieur, je vous jure que je n′ai rien dit qui pût vous offenser. — Et qui vous dit que j′en suis offensé? s′écria-t-il avec fureur en se redressant violemment sur la chaise longue où il était resté jusque-là immobile, cependant que, tandis que se crispaient les blêmes serpents écumeux de sa face, sa voix devenait tour à tour aiguë et grave comme une tempête assourdissante et déchaînée. (La force avec laquelle il parlait d′habitude, et qui faisait se retourner les inconnus dehors, était centuplée, comme l′est un forte , si, au lieu d′être joué au piano, il l′est à l′orchestre, et de plus se change en un fortissime . M. de Charlus hurlait.) Pensez-vous qu′il soit à votre portée de m′offenser? Vous ne savez donc pas à qui vous parlez? Croyez-vous que la salive envenimée de cinq cents petits bonshommes de vos amis, juchés les uns sur les autres, arriverait à baver seulement jusqu′à mes augustes orteils? Depuis un moment, au désir de persuader M. de Charlus que je n′avais jamais dit ni entendu dire de mal de lui avait succédé une rage folle, causée par les paroles que lui dictait uniquement, selon moi, son immense orgueil. Peut-être étaient-elles du reste l′effet, pour une partie du moins, de cet orgueil. Presque tout le reste venait d′un sentiment que j′ignorais encore et auquel je ne fus donc pas coupable de ne pas faire sa part. J′aurais pu au moins, à défaut du sentiment inconnu, mêler à l′orgueil, si je m′étais souvenu des paroles de Mme de Guermantes, un peu de folie. Mais à ce moment-là l′idée de folie ne me vint même pas à l′esprit. Il n′y avait en lui, selon moi, que de l′orgueil, en moi il n′y avait que de la fureur. Celle-ci (au moment où M. de Charlus cessant de hurler pour parler de ses augustes orteils, avec une majesté qu′accompagnaient une moue, un vomissement de dégoût à l′égard de ses obscurs blasphémateurs), cette fureur ne se contint plus. D′un mouvement impulsif je voulus frapper quelque chose, et un reste de discernement me faisant respecter un homme tellement plus âgé que moi, et même, à cause de leur dignité artistique, les porcelaines allemandes placées autour de lui, je me précipitai sur le chapeau haut de forme neuf du baron, je le jetai par terre, je le piétinai, je m′acharnai à le disloquer entièrement, j′arrachai la coiffe, déchirai en deux la couronne, sans écouter les vociférations de M. de Charlus qui continuaient et, traversant la pièce pour m′en aller, j′ouvris la porte. Des deux côtés d′elle, à ma grande stupéfaction, se tenaient deux valets de pied qui s′éloignèrent lentement pour avoir l′air de s′être trouvés là seulement en passant pour leur service. (J′ai su depuis leurs noms, l′un s′appelait Burnier et l′autre Charmel.) Je ne fus pas dupe un instant de cette explication que leur démarche nonchalante semblait me proposer. Elle était invraisemblable; trois autres me le semblèrent moins: l′une que le baron recevait quelquefois des hôtes, contre lesquels pouvant avoir besoin d′aide (mais pourquoi?), il jugeait nécessaire d′avoir un poste de secours voisin; l′autre, qu′attirés par la curiosité, ils s′étaient mis aux écoutes, ne pensant pas que je sortirais si vite; la troisième, que toute la scène que m′avait faite M. de Charlus étant préparée et jouée, il leur avait lui-même demandé d′écouter, par amour du spectacle joint peut-être à un «nunc erudimini» dont chacun ferait son profit.
When all was said, very different in this respect from what I had been able to feel before the hawthorns, or when I tasted a crumb of madeleine, the stories that I had heard at Mme. de Guermantes′s remained alien to me. Entering for a moment into me, who was only physically possessed by them, one would have said that, being of a social, not an individual nature, they were impatient to escape. I writhed in my seat in the carriage like the priestess of an oracle. I looked forward to another dinner-party at which I might myself become a sort of Prince Von to Mme. de Guermantes, and repeat them. In the meantime they made my lips quiver as I stammered them to myself, and I tried in vain to bring back and concentrate a mind that was carried away by a centrifugal force. And so it was with a feverish impatience not to have to bear the whole weight of them any longer by myself in a carriage where, for that matter, I atoned for the lack of conversation by soliloquising aloud, that I rang the bell at M. de Charlus′s door, and it was in long monologues with myself, in which I rehearsed everything that I was going to tell him and gave scarcely a thought to what he might have to say to me, that I spent the whole of the time during which I was kept waiting in a drawing-room into which a footman shewed me and where I was incidentally too much excited to look at what it contained. I felt so urgent a need that M. de Charlus should listen to the stories which I was burning to tell him that I was bitterly disappointed to think that the master of the house was perhaps in bed, and that I might have to go home to sleep off by myself my drunkenness of words. I had just noticed, in fact, that I had been twenty-five minutes — that they had perhaps forgotten about me — in this room of which, despite this long wait, I could at the most have said that it was very big, greenish in colour, and contained a large number of portraits. The need to speak prevents one not merely from listening but from seeing things, and in this case the absence of any description of my external surroundings is tantamount to a description of my internal state. I was preparing to leave the room to try to get hold of some one, and if I found no one to make my way back to the hall and have myself let out, when, just as I had risen from my chair and taken a few steps across the mosaic parquet of the floor, a manservant came in, with a troubled expression: “Monsieur le Baron has been engaged all evening, Sir,” he told me. “There are still several people waiting to see him. I am doing everything I possibly can to get him to receive you, I have already telephoned up twice to the secretary.” “No; please don′t bother. I had an appointment with M. le Baron, but it is very late already, and if he is busy this evening I can come back another day.” “Oh no, Sir, you must not go away,” cried the servant. “M. le Baron might be vexed. I will try again.” I was reminded of the things I had heard about M. de Charlus′s servants and their devotion to their master. One could not quite say of him as of the Prince de Conti that he sought to give pleasure as much to the valet as to the Minister, but he had shewn such skill in making of the least thing that he asked of them a sort of personal favour that at night, when, his body-servants assembled round him at a respectful distance, after running his eye over them he said: “Coignet, the candlestick!” or “Ducret, the nightshirt!” it was with an envious murmur that the rest used to withdraw, jealous of him who had been singled out by his master′s favour. Two of them, indeed, who could not abide one another, used to try to snatch the favour each from his rival by going on the most flimsy pretext with a message to the Baron, if he had gone upstairs earlier than usual, in the hope of being invested for the evening with the charge of candlestick or nightshirt. If he addressed a few words directly to one of them on some subject outside the scope of his duty, still more if in winter, in the garden, knowing that one of his coachmen had caught cold, he said to him, after ten minutes: “Put your cap on!” the others would not speak to the fellow again for a fortnight, in their jealousy of the great distinction that had been conferred on him. I waited ten minutes more, and then, after requesting me not to stay too long as M. le Baron was tired and had had to send away several most important people who had made appointments with him many days before, they admitted me to his presence. This setting with which M. de Charlus surrounded himself seemed to me a great deal less impressive than the simplicity of his brother Guermantes, but already the door stood open, I could see the Baron, in a Chinese dressing-gown, with his throat bare, lying upon a sofa. My eye was caught at the same moment by a tall hat, its nap flashing like a mirror, which had been left on a chair with a cape, as though the Baron had but recently come in. The valet withdrew. I supposed that M. de Charlus would rise to greet me. Without moving a muscle he fixed on me a pair of implacable eyes. I went towards him, I said good evening; he did not hold out his hand, made no reply, did not ask me to take a chair. After a moment′s silence I asked him, as one would ask an ill-mannered doctor, whether it was necessary for me to remain standing. I said this without any evil intention, but my words seemed only to intensify the cold fury on M. de Charlus′s face. I was not aware, as it happened, that at home, in the country, at the Château de Charlus, he was in the habit, after dinner (so much did he love to play the king) of sprawling in an armchair in the smoking-room, letting hi3 guests remain standing round him. He would ask for a light from one, offer a cigar to another and then, after a few minutes′ interval, would say: “But Argencourt, why don′t you sit down? Take a chair, my dear fellow,” and so forth, having made a point of keeping them standing simply to remind them that it was from himself that permission came to them to be seated. “Put yourself in the Louis XIV seat,” he answered me with an imperious air, as though rather to force me to move away farther from himself than to invite me to be seated. I took an armchair which was comparatively near. “Ah! so that is what you call a Louis XIV seat, is it? I can see you have been well educated,” he cried in derision. I was so much taken aback that I did not move, either to leave the house, as I ought to have done, or to change my seat, as he wished. “Sir,” he next said to me, weighing each of his words, to the more impertinent of which he prefixed a double yoke of consonants, “the interview which I have condescended to grant you at the request of a person who desires to be nameless, will mark the final point in our relations. I shall not conceal from you that I had hoped for better things! I should perhaps be forcing the sense of the words a little, which one ought not to do, even with people who are ignorant of their value, simply out of the respect due to oneself, were I to tell you that I had felt a certain attraction towards you. I think, however, that benevolence, in its most actively protecting sense, would exceed neither what I felt nor what I was proposing to display. I had, immediately on my return to Paris, given you to understand, while you were still at Balbec, that you could count upon me.” I who remembered with what a torrent of abuse M. de Charlus had parted from me at Balbec made an instinctive gesture of contradiction. “What!” he cried with fury, and indeed his face, convulsed and white, differed as much from his ordinary face as does the sea when on a morning of storm one finds instead of its customary smiling surface a thousand serpents writhing in spray and foam, “do you mean to pretend that you did not receive my message — almost a declaration — that you were to remember me? What was there in the way of decoration round the cover of the book that I sent you?” “Some very pretty twined garlands with tooled ornaments,” I told him. “Ah!” he replied, with an air of scorn, “these young Frenchmen know little of the treasures of our land. What would be said of a young Berliner who had never heard of the Walküre? Besides, you must have eyes to see and see not, since you yourself told me that you had stood for two hours in front of that particular treasure. I can see that you know no more about flowers than you do about styles; don′t protest that you know about styles,” he cried in a shrill scream of rage, “you can′t even tell me what you are sitting on. You offer your hindquarters a Directory chauffeuse as a Louis XIV bergère. One of these days you′ll be mistaking Mme. de Villeparisis′s knees for the seat of the rear, and a fine mess you′ll make of things then. It′s precisely the same; you didn′t even recognise on the binding of Bergotte′s book the lintel of myosotis over the door of Balbec church. Could there be any clearer way of saying to you: ‘Forget me not!′?” I looked at M. de Charlus. Undoubtedly his magnificent head, though repellent, yet far surpassed that of any of his relatives; you would have called him an Apollo grown old; but an olive-hued, bilious juice seemed ready to start from the corners of his evil mouth; as for intellect, one could not deny that his, over a vast compass, had taken in many things which must always remain unknown to his brother Guermantes. But whatever the fine words with which he coloured all his hatreds, one felt that, even if there was now an offended pride, now a disappointment in love, or a rancour, or sadism, a love of teasing, a fixed obsession, this man was capable of doing murder, and of proving by force of logic that he had been right in doin^ it and was still superior by a hundred cubits in moral stature to his brother, his sister-in-law, or any of the rest. “Just as, in Velazquez′s Lances,” he went on, “the victor advances towards him who is the humbler in rank, as is the duty of every noble nature, since I was everything and you were nothing, it was I who took the first steps towards you. You have made an idiotic reply to what it is not for me to describe as an act of greatness. But I have not allowed myself to be discouraged. Our religion inculcates patience. The patience I have shewn towards you will be counted, I hope, to my credit, and also my having only smiled at what might be denounced as impertinence, were it within your power to offer any impertinence to me who surpass you in stature by so many cubits; but after all, Sir, all this is now neither here nor there. I have subjected you to the test which the one eminent man of our world has ingeniously named the test of excessive friendliness, and which he rightly declares to be the most terrible of all, the only one that can separate the good grain from the tares. I could scarcely reproach you for having undergone it without success, for those who emerge from it triumphant are very few. But at least, and this is the conclusion which I am entitled to draw from the last words that we shall exchange on this earth, at least I intend to hear nothing more of your calumnious fabrications.” So far, I had never dreamed that M. de Charlus′s rage could have been caused by an unflattering remark which had been repeated to him; I searched my memory; I had not spoken about him to anyone. Some evil-doer had invented the whole thing. I protested to-M. de Charlus that I had said absolutely nothing about him. “I don′t think I can have annoyed you by saying to Mme. de Guermantes that I was a friend of yours.” He gave a disdainful smile, made his voice climb to the supreme pitch of its highest register, and there, without strain, attacking the shrillest and most insolent note: “Oh! Sir,” he said, returning by the most gradual stages to a natural intonation, and seeming to revel as he went in the oddities of this descending scale, “I think that you are doing yourself an injustice when you accuse yourself of having said that we were friends. I do not look for any great verbal accuracy in anyone who could readily mistake a piece of Chippendale for a rococo chaire, but really I do not believe,” he went on, with vocal caresses that grew more and more winning and brought to hover over his lips what was actually a charming smile, “I do not believe that you can ever have said, or thought, that we were frlends! As for your having boasted that you had been presented to me, had talked to me, knew me slightly, had obtained, almost without solicitation, the prospect of coming one day under my protection, I find it on the contrary very natural and intelligent of you to have done so. The extreme difference in age that there is between us enables me to recognise without absurdity that that presentation, those talks, that vague prospect of future relations were for you, it is not for me to say an honour, but still, when all is said and done, an advantage as to which I consider that your folly lay not in divulging it but in not having had the sense to keep it. I will go so far as to say,” he went on, passing abruptly for a moment from his arrogant wrath to a gentleness so tinged with melancholy that I expected him to burst into tears, “that when you left unanswered the proposal I made to you here in Paris it seemed to me so unheard-of an act on your part, coming from you who had struck me as well brought up and of a good bourgeois family,” (on this adjective alone his voice sounded a little whistle of impertinence) “that I was foolish enough to imagine all the excuses that never really happen, letters miscarrying, addresses copied down wrong. I can see that on my part it was great foolishness, but Saint Bonaventure preferred to believe that an ox could fly rather than that his brother was capable of lying. Anyhow, that is all finished now, the idea did not attract you, there is no more to be said. It seems to me only that you might have brought yourself,” (and there was a genuine sound of weeping in his voice) “were it only out of consideration for my age, to write to me. I had conceived and planned for you certain infinitely seductive things, which I had taken good care not to tell you. You have preferred to refuse without knowing what they were; that is your affair. But, as I tell you, one can always write. In your place, and indeed in my own, I should have done so. I like my place, for that reason, better than yours — I say ‘for that reason′ because I believe that we are all equal, and I have more fellow-feeling for an intelligent labourer than for many of our dukes. But I can say that I prefer my place to yours, because what you have done, in the whole course of my life, which is beginning now to be a pretty long one, I am conscious that I have never done.” His head was turned away from the light, and I could not see if his eyes were dropping tears as I might have supposed from his voice. “I told you that I had taken a hundred steps towards you; the only effect of that has been to make you retire two hundred from me. Now it is for me to withdraw, and we shall know one another no longer. I shall retain not your name but your story, so that at moments when I might be tempted to believe that men have good hearts, good manners, or simply the intelligence not to allow an unparalleled opportunity to escape them, I may remember that that is ranking them too highly. No, that you should have said that you knew me, when it was true — for henceforward it ceases to be true — I regard that as only natural, and I take it as an act of homage, that is to say something pleasant. Unfortunately, elsewhere and in other circumstances, you have uttered remarks of a very different nature.” “Sir, I swear to you that I have said nothing that could insult you.” “And who says that I am insulted?” he cried with fury, flinging himself into an erect posture on the seat on which hitherto he had been reclining motionless, while, as the pale frothing serpents stiffened in his face, his voice became alternately shrill and grave, like the deafening onrush of a storm. (The force with which he habitually spoke, which used to make strangers turn round in the street, was multiplied an hundredfold, as is a musical forte if, instead of being played on the piano, it is played by an orchestra, and changed into a fortissimo as well. M. de Charlus roared.) “Do you suppose that it is within your power to insult me? You evidently are not aware to whom you are speaking? Do you imagine that the envenomed spittle of five hundred little gentlemen of your type, heaped one upon another, would succeed in slobbering so much as the tips of my august toes?” A moment before this my desire to persuade M. de Charlus that I had never said, nor heard anyone else say any evil of him had given place to a mad rage, caused by the words which were dictated to him solely, to my mind, by his colossal pride. Perhaps they were indeed the effect, in part at any rate, of this pride. Almost all the rest sprang from a feeling of which I was then still ignorant, and for which I could not therefore be blamed for not making due allowance. I could at least, failing this unknown element, have mingled with his pride, had I remembered the words of Mme. de Guermantes, a trace of madness. But at that moment the idea of madness never even entered my head. There was in him, according to me, only pride, in me there was only fury. This fury (at the moment when M. de Charlus ceased to shout, in order to refer to his august toes, with a majesty that was accompanied by a grimace, a nausea of disgust at his obscure blasphemers), this fury could contain itself no longer. With an impulsive movement, I wanted to strike something, and, a lingering trace of discernment making me respect the person of a man so much older than myself, and even, in view of their dignity as works of art, the pieces of German porcelain that were grouped around him, I flung myself upon the Baron′s new silk hat, dashed it to the ground, trampled upon it, began blindly pulling it to pieces, wrenched off the brim, tore the crown in two, without heeding the vociferations of M. de Charlus, which continued to sound, and, crossing the room to leave it, opened the door. One on either side of it, to my intense stupefaction, stood two footmen, who moved slowly away, so as to appear only to have been casually passing in the course of their duty. (I afterwards learned their names; one was called Burnier, the other Charmel.) I was not taken in for a moment by this explanation which their leisurely gait seemed to offer me. It was highly improbable; three others appeared to me to be less so; one that the Baron sometimes entertained guests against whom, as he might happen to need assistance (but why?), he deemed it necessary to keep reinforcements posted close at hand. The second was that, drawn by curiosity, they had stopped to listen at the keyhole, not thinking that I should come out so quickly. The third, that, the whole of the scene which M. de Charlus had made with me having been prepared and acted, he had himself told them to listen, from a love of the spectacular combined, perhaps, with a ‘nunc crudimini‘ from which each would derive a suitable profit.
Ma colère n′avait pas calmé celle du baron, ma sortie de la chambre parut lui causer une vive douleur, il me rappela, me fit rappeler, et enfin, oubliant qu′un instant auparavant, en parlant de «ses augustes orteils», il avait cru me faire le témoin de sa propre déification, il courut à toutes jambes, me rattrapa dans le vestibule et me barra la porte. «Allons, me dit-il, ne faites pas l′enfant, rentrez une minute; qui aime bien châtie bien, et si je vous ai bien châtié, c′est que je vous aime bien.» Ma colère était passée, je laissai passer le mot châtier et suivis le baron qui, appelant un valet de pied, fit sans aucun amour-propre emporter les miettes du chapeau détruit qu′on remplaça par un autre. — Si vous voulez me dire, monsieur, qui m′a perfidement calomnié, dis-je à M. de Charlus, je reste pour l′apprendre et confondre l′imposteur. — Qui? ne le savez-vous pas? Ne gardez-vous pas le souvenir de ce que vous dites? Pensez-vous que les personnes qui me rendent le service de m′avertir de ces choses ne commencent pas par me demander le secret? Et croyez-vous que je vais manquer à celui que j′ai promis? — Monsieur, c′est impossible que vous me le disiez? demandai-je en cherchant une dernière fois dans ma tête (où je ne trouvais personne) à qui j′avais pu parler de M. de Charlus. — Vous n′avez pas entendu que j′ai promis le secret à mon indicateur, me dit-il d′une voix claquante. Je vois qu′au goût des propos abjects vous joignez celui des insistances vaines. Vous devriez avoir au moins l′intelligence de profiter d′un dernier entretien et de parler pour dire quelque chose qui ne soit pas exactement rien. — Monsieur, répondis-je en m′éloignant, vous m′insultez, je suis désarmé puisque vous avez plusieurs fois mon âge, la partie n′est pas égale; d′autre part je ne peux pas vous convaincre, je vous ai juré que je n′avais rien dit. — Alors je mens! s′écria-t-il d′un ton terrible, et en faisant un tel bond qu′il se trouva debout à deux pas de moi. — On vous a trompé. Alors d′une voix douce, affectueuse, mélancolique, comme dans ces symphonies qu′on joue sans interruption entre les divers morceaux, et où un gracieux scherzo aimable, idyllique, succède aux coups de foudre du premier morceau. «C′est très possible, me dit-il. En principe, un propos répété est rarement vrai. C′est votre faute si, n′ayant pas profité des occasions de me voir que je vous avais offertes, vous ne m′avez pas fourni, par ces paroles ouvertes et quotidiennes qui créent la confiance, le préservatif unique et souverain contre une parole qui vous représentait comme un traître. En tout cas, vrai ou faux, le propos a fait son oeuvre. Je ne peux plus me dégager de l′impression qu′il m′a produite. Je ne peux même pas dire que qui aime bien châtie bien, car je vous ai bien châtié, mais je ne vous aime plus.» Tout en disant ces mots, il m′avait forcé à me rasseoir et avait sonné. Un nouveau valet de pied entra. «Apportez à boire, et dites d′atteler le coupé.» Je dis que je n′avais pas soif, qu′il était bien tard et que d′ailleurs j′avais une voiture. «On l′a probablement payée et renvoyée, me dit-il, ne vous en occupez pas. Je fais atteler pour qu′on vous ramène . . . Si vous craignez qu′il ne soit trop tard . . . j′aurais pu vous donner une chambre ici . . . » Je dis que ma mère serait inquiète. «Ah! oui, vrai ou faux, le propos a fait son oeuvre. Ma sympathie un peu prématurée avait fleuri trop tôt; et comme ces pommiers dont vous parliez poétiquement à Balbec, elle n′a pu résister à une première gelée.» Si la sympathie de M. de Charlus n′avait pas été détruite, il n′aurait pourtant pas pu agir autrement, puisque, tout en me disant que nous étions brouillés, il me faisait rester, boire, me demandait de coucher et allait me faire reconduire. Il avait même l′air de redouter l′instant de me quitter et de se retrouver seul, cette espèce de crainte un peu anxieuse que sa belle-soeur et cousine Guermantes m′avait paru éprouver, il y avait une heure, quand elle avait voulu me forcer à rester encore un peu, avec une espèce de même goût passager pour moi, de même effort pour faire prolonger une minute. «Malheureusement, reprit-il, je n′ai pas le don de faire refleurir ce qui a été une fois détruit. Ma sympathie pour vous est bien morte. Rien ne peut la ressusciter. Je crois qu′il n′est pas indigne de moi de confesser que je le regrette. Je me sens toujours un peu comme le Booz de Victor Hugo: «Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe.»
My anger had not calmed that of M. de Charlus, my departure from the room seemed to cause him acute distress; he called me back, made his servants call me back, and finally, forgetting that a moment earlier, when he spoke of his ‘august toes,′ he had thought to make me a witness of his own deification, came running after me at full speed, overtook me in the hall, and stood barring the door. “There, now,” he said, “don′t be childish; come back for a minute; he who loveth well chasteneth well, and if I have chastened you well it is because I love you well.” My anger had subsided; I let the word ‘chasten′ pass, and followed the Baron, who, summoning a footman, ordered him without a trace of self-consciousness to clear away the remains of the shattered hat, which was replaced by another. “If you will tell me, Sir, who it is that has treacherously maligned me,” I said to M. de Charlus, “I will stay here to learn his name and to confute the impostor.” “Who? Do you not know? Do you retain no memory of the things you say? Do you think that the people who do me the service of informing me of those things do not begin by demanding secrecy? And do you imagine that I am going to betray a person to whom I have given my promise?” “Sir, is it impossible then for you to tell me?” I asked, racking my brains in a final effort to discover (and discovering no one) to whom I could have spoken about M. de Charlus. “You did not hear me say that I had given a promise of secrecy to my informant?” he said in a snapping voice. “I see that with your fondness for abject utterances you combine one for futile persistence. You ought to have at least the intelligence to profit by a final conversation, and so to speak as to say something that does not mean precisely nothing.” “Sir,” I replied, moving away from him, “you insult me; I am unarmed, because you are several times my age, we are not equally matched; on the other hand, I cannot convince you; I have already sworn to you that I have said nothing.” “I am lying, then, am I?” he cried in a terrifying tone, and with a bound forwards that brought him within a yard of myself. “Some one has misinformed you.” Then in a gentle, affectionate, melancholy voice, as in those symphonies which are played without any break between the different movements, in which a graceful scherzo, amiable and idyllic, follows the thunder-peals of the opening pages: “It is quite possible,” he told me. “Generally speaking, a remark repeated at second hand is rarely true. It is your fault if, not having profited by the opportunities of seeing me which I had held out to you, you have not furnished me, by that open speech of daily intercourse which creates confidence, with the unique and sovereign remedy against a spoken word which made you out a traitor. Either way, true or false, the remark has done its work. I can never again rid myself of the impression it made on me. I cannot even say that he who chasteneth well loveth well, for I have chastened you well enough but I no longer love you.” While saying this he had forced me to sit down and had rung the bell. A different footman appeared. “Bring something to drink and order the brougham.” I said that I was not thirsty and besides had a carriage waiting. “They have probably paid him and sent him away,” he told me, “you needn′t worry about that. I am ordering a carriage to take you home. . . . If you′re anxious about the time . . . I could have given you a room here. . . . ” I said that my mother would be uneasy. “Ah! Of course, yes. Well, true or false, the remark has done its work. My affection, a trifle premature, had flowered too soon, and, like those apple trees of which you spoke so poetically at Balbec, it has been unable to withstand the first frost.” If M. de Charlus′s affection for me had not been destroyed, he could hardly have acted differently, since, while assuring me that we were no longer acquainted, he made me sit down, drink, asked me to stay the night, and was going now to send me home. He had indeed an air of dreading the moment at which he must part from me and find himself alone, that sort of slightly anxious fear which his sister-in-law and cousin Guermantes had appeared to me to be feeling when she had tried to force me to stay a little longer, with something of the same momentary fondness for myself, of the same effort to prolong the passing minute. “Unfortunately,” he went on, “I have not the power to make blossom again what has once been destroyed. My affection for you is quite dead. Nothing can revive it. I believe that it is not unworthy of me to confess that I regret it. I always feel myself to be a little like Victor Hugo′s Boaz: ‘I am widowed and alone, and the darkness gathers o′er me.′”
Je traversai avec lui le grand salon verdâtre. Je lui dis, tout à fait au hasard, combien je le trouvais beau. «N′est-ce pas? me répondit-il. Il faut bien aimer quelque chose. Les boiseries sont de Bagard. Ce qui est assez gentil, voyez-vous, c′est qu′elles ont été faites pour les sièges de Beauvais et pour les consoles. Vous remarquez, elles répètent le même motif décoratif qu′eux. Il n′existait plus que deux demeures où cela soit ainsi: le Louvre et la maison de M. d′Hinnisdal. Mais naturellement, dès que j′ai voulu venir habiter dans cette rue, il s′est trouvé un vieil hôtel Chimay que personne n′avait jamais vu puisqu′il n′est venu ici que pour moi . En somme, c′est bien.
Ça pourrait peut-être être mieux, mais enfin ce n′est pas mal. N′est-ce pas, il y a de jolies choses: le portrait de mes oncles, le roi de Pologne et le roi d′Angleterre, par Mignard. Mais qu′est-ce que je vous dis, vous le savez aussi bien que moi puisque vous avez attendu dans ce salon. Non? Ah! C′est qu′on vous aura mis dans le salon bleu, dit-il d′un air soit d′impertinence à l′endroit de mon incuriosité, soit de supériorité personnelle et de n′avoir pas demandé où on m′avait fait attendre. Tenez, dans ce cabinet, il y a tous les chapeaux portés par Mme Elisabeth, la princesse de Lamballe, et par la Reine. Cela ne vous intéresse pas, on dirait que vous ne voyez pas. Peut-être êtes-vous atteint d′une affection du nerf optique. Si vous aimez davantage ce genre de beauté, voici un arc-en-ciel de Turner qui commence à briller entre ces deux Rembrandt, en signe de notre réconciliation. Vous entendez: Beethoven se joint à lui.» Et en effet on distinguait les premiers accords de la troisième partie de la Symphonie pastorale,«la joie après l′orage», exécutés non loin de nous, au premier étage sans doute, par des musiciens. Je demandai naîµ¥ment par quel hasard on jouait cela et qui étaient les musiciens. «Eh bien! on ne sait pas. On ne sait jamais. Ce sont des musiques invisibles. C′est joli, n′est-ce pas, me dit-il d′un ton légèrement impertinent et qui pourtant rappelait un peu l′influence et l′accent de Swann. Mais vous vous en fichez comme un poisson d′une pomme. Vous voulez rentrer, quitte à manquer de respect à Beethoven et à moi. Vous portez contre vous-même jugement et condamnation», ajouta-t-il d′un air affectueux et triste, quand le moment fut venu que je m′en allasse. «Vous m′excuserez de ne pas vous reconduire comme les bonnes façons m′obligeraient à le faire, me dit-il. Désireux de ne plus vous revoir, il n′importe peu de passer cinq minutes de plus avec vous. Mais je suis fatigué et j′ai fort à faire.» Cependant, remarquant que le temps était beau: «Eh bien! si, je vais monter en voiture. Il fait un clair de lune superbe, que j′irai regarder au Bois après vous avoir reconduit. Comment! vous ne savez pas vous raser, même un soir où vous dînez en ville vous gardez quelques poils, me dit-il en me prenant le menton entre deux doigts pour ainsi dire magnétisés, qui, après avoir résisté un instant, remontèrent jusqu′à mes oreilles comme les doigts d′un coiffeur. Ah! ce serait agréable de regarder ce «clair de lune bleu» au Bois avec quelqu′un comme vous», me dit-il avec une douceur subite et comme involontaire, puis, l′air triste: «Car vous êtes gentil tout de même, vous pourriez l′être plus que personne, ajouta-t-il en me touchant paternellement l′épaule. Autrefois, je dois dire que je vous trouvais bien insignifiant.» J′aurais dû penser qu′il me trouvait tel encore. Je n′avais qu′à me rappeler la rage avec laquelle il m′avait parlé, il y avait à peine une demi-heure. Malgré cela j′avais l′impression qu′il était, en ce moment, sincère, que son bon coeur l′emportait sur ce que je considérais comme un état presque délirant de susceptibilité et d′orgueil. La voiture était devant nous et il prolongeait encore la conversation. «Allons, dit-il brusquement, montez; dans cinq minutes nous allons être chez vous. Et je vous dirai un bonsoir qui coupera court et pour jamais à nos relations. C′est mieux, puisque nous devons nous quitter pour toujours, que nous le fassions comme en musique, sur un accord parfait.» Malgré ces affirmations solennelles que nous ne nous reverrions jamais, j′aurais juré que M. de Charlus, ennuyé de s′être oublié tout à l′heure et craignant de m′avoir fait de la peine, n′eût pas été fâché de me revoir encore une fois. Je ne me trompais pas, car au bout d′un moment: «Allons bon! dit-il, voilà que j′ai oublié le principal. En souvenir de madame votre grand-mère, j′avais fait relier pour vous une édition curieuse de Mme de Sévigné. Voilà qui va empêcher cette entrevue d′être la dernière. Il faut s′en consoler en se disant qu′on liquide rarement en un jour des affaires compliquées. Regardez combien de temps a duré le Congrès de Vienne.» — Mais je pourrais la faire chercher sans vous déranger, dis-je obligeamment. — Voulez-vous vous taire, petit sot, répondit-il avec colère, et ne pas avoir l′air grotesque de considérer comme peu de chose l′honneur d′être probablement (je ne dis pas certainement, car c′est peut-être un valet de chambre qui vous remettra les volumes) reçu par moi. Il se ressaisit: «Je ne veux pas vous quitter sur ces mots. Pas de dissonance avant le silence éternel de l′accord de dominante!» C′est pour ses propres nerfs qu′il semblait redouter son retour immédiatement après d′âcres paroles de brouille. «Vous ne vouliez pas venir jusqu′au Bois», me dit-il d′un ton non pas interrogatif mais affirmatif, et, à ce qu′il me sembla, non pas parce qu′il ne voulait pas me l′offrir, mais parce qu′il craignait que son amour-propre n′essuyât un refus. «Eh bien voilà, me dit-il en traînant encore, c′est le moment où, comme dit Whistler, les bourgeois rentrent (peut-être voulait-il me prendre par l′amour-propre) et où il convient de commencer à regarder. Mais vous ne savez même pas qui est Whistler.» Je changeai de conversation et lui demandai si la princesse d′Iéna était une personne intelligente. M. de Charlus m′arrêta, et prenant le ton le plus méprisant que je lui connusse: «Ah! monsieur, vous faites allusion ici à un ordre de nomenclature où je n′ai rien à voir. Il y a peut-être une aristocratie chez les Tahitiens, mais j′avoue que je ne la connais pas. Le nom que vous venez de prononcer, c′est étrange, a cependant résonné, il y a quelques jours, à mes oreilles. On me demandait si je condescendrais à ce que me fût présenté le jeune duc de Guastalla. La demande m′étonna, car le duc de Guastalla n′a nul besoin de se faire présenter à moi, pour la raison qu′il est mon cousin et me connaît de tout temps; c′est le fils de la princesse de Parme, et en jeune parent bien élevé, il ne manque jamais de venir me rendre ses devoirs le jour de l′an. Mais, informations prises, il ne s′agissait pas de mon parent, mais d′un fils de la personne qui vous intéresse. Comme il n′existe pas de princesse de ce nom, j′ai supposé qu′il s′agissait d′une pauvresse couchant sous le pont d′Iéna et qui avait pris pittoresquement le titre de princesse d′Iéna, comme on dit la Panthère des Batignolles ou le Roi de l′Acier. Mais non, il s′agissait d′une personne riche dont j′avais admiré à une exposition des meubles fort beaux et qui ont sur le nom du propriétaire la supériorité de ne pas être faux. Quant au prétendu duc de Guastalla, ce devait être l′agent de change de mon secrétaire, l′argent procure tant de choses. Mais non; c′est l′Empereur, paraît-il, qui s′est amusé à donner à ces gens un titre précisément indisponible. C′est peut-être une preuve de puissance, ou d′ignorance, ou de malice, je trouve surtout que c′est un fort mauvais tour qu′il a joué ainsi à ces usurpateurs malgré eux. Mais enfin je ne puis vous donner d′éclaircissements sur tout cela, ma compétence s′arrête au faubourg Saint–Germain où, entre tous les Courvoisier et Gallardon, vous trouverez, si vous parvenez à découvrir un introducteur, de vieilles gales tirées tout exprès de Balzac et qui vous amuseront. Naturellement tout cela n′a rien à voir avec le prestige de la princesse de Guermantes, mais, sans moi et mon Sésame, la demeure de celle-ci est inaccessible.» — C′est vraiment très beau, monsieur, à l′hôtel de la princesse de Guermantes. — Oh! ce n′est pas très beau. C′est ce qu′il y a de plus beau; après la princesse toutefois. — La princesse de Guermantes est supérieure à la duchesse de Guermantes? — Oh! cela n′a pas de rapport. (Il est à remarquer que, dès que les gens du monde ont un peu d′imagination, ils couronnent ou détrônent, au gré de leurs sympathies ou de leurs brouilles, ceux dont la situation paraissait la plus solide et la mieux fixée.)
I passed again with him through the big green drawing-room. I told him, speaking quite at random, how beautiful I thought it. “Ain′t it?” he replied. “It′s a good thing to be fond of something. The woodwork is Bagard. What is rather charming, d′you see, is that it was made to match the Beauvais chairs and the consoles. You observe, it repeats the same decorative design. There used to be only two places where you could see this, the Louvre and M. d′Hinnisdal′s house. But naturally, as soon as I had decided to come and live in this street, there cropped up an old family house of the Chimays which nobody had ever seen before because it came here expressly for me. On the whole, it′s good. It might perhaps be better, but after all it′s not bad. Some pretty things, ain′t there? These are portraits of my uncles, the King of Poland and the King of England, by Mignard. But why am I telling you all this? You must know it as well as I do, you were waiting in this room. No? Ah, then they must have put you in the blue drawing-room,” he said with an air that might have been either impertinence, on the score of my want of interest, or personal superiority, in not having taken the trouble to ask where I had been kept waiting. “Look now, in this cabinet I have all the hats worn by Mlle. Elisabeth, by the Princesse de Lamballe, and by the Queen. They don′t interest you, one would think you couldn′t see. Perhaps you are suffering from an affection of the optic nerve. If you like this kind of beauty better, here is a rainbow by Turner beginning to shine out between these two Rembrandts, as a sign of our reconciliation. You hear: Beethoven has come to join him.” And indeed one could hear the first chords of the third part of the Pastoral Symphony, ‘Joy after the Storm,′ performed somewhere not far away, on the first landing no doubt, by a band of musicians. I innocently inquired how they happened to be playing that, and who the musicians were. “Ah, well, one doesn′t know. One never does know. They are unseen music. Pretty, ain′t it?” he said to me in a slightly impertinent tone, which, nevertheless, suggested somehow the influence and accent of Swann. “But you care about as much for it as a fish does for little apples. You want to go home, regardless of any want of respect for Beethoven or for me. You are uttering your own judgment and condemnation,” he added, with an affectionate and mournful air, when the moment had come for me to go. “You will excuse my not accompanying you home, as good manners ordain that I should,” he said to me. “Since I have decided not to see you again, spending five minutes more in your company would make very little difference to me. But I am tired, and I have a great deal to do.” And then, seeing that it was a fine night: “Very well, yes, I will come in the carriage, there is a superb moon which I shall go on to admire from the Bois after I have taken you home. What, you don′t know how to shave; even on a night when you′ve been dining out, you have still a few hairs here,” he said, taking my chin between two fingers, so to speak magnetised, which after a moment′s resistance ran up to my ears, like the fingers of a barber. “Ah! It would be pleasant to look at the ‘blue light of the moon′ in the Bois with some one like yourself,” he said to me with a sudden and almost involuntary gentleness, then, in a sadder tone: “For you are nice, all the same; you could be nicer than anyone,” he went on, laying his hand in a fatherly way on my shoulder. “Originally, I must say that I found you quite insignificant.” I ought to have reflected that he must find me so still. I had only to recall the rage with which he had spoken to me, barely half an hour before. In spite of this I had the impression that he was, for the moment, sincere, that his kindness of heart was prevailing over what I regarded as an almost delirious condition of susceptibility and pride. The carriage was waiting beside us, and still he prolonged the conversation. “Come along,” he said abruptly, “jump in, in five minutes we shall be at your door. And I shall bid you a good night which will cut short our relations, and for all time. It is better, since we must part for ever, that we should do so, as in music, on a perfect chord.” Despite these solemn affirmations that we should never see one another again, I could have sworn that M. de Charlus, annoyed at having forgotten himself earlier in the evening and afraid of having hurt my feelings, would not have been displeased to see me once again. Nor was I mistaken, for, a moment later: “There, now,” he said, “if I hadn′t forgotten the most important thing of all. In memory of your grandmother, I have had bound for you a curious edition of Mme. de Sévigné. That is what is going to prevent this from being our last meeting. One must console oneself with the reflexion that complicated affairs are rarely settled in a day. Just look how long they took over the Congress of Vienna.” “But I could call for it without disturbing you,” I said obligingly. “Will you hold your tongue, you little fool,” he replied with anger, “and not give yourself a grotesque appearance of regarding as a small matter the honour of being probably (I do not say certainly, for it will perhaps be one of my servants who hands you the volumes) received by me.” Then, regaining possession of himself: “I do not wish to part from you on these words. No dissonance, before the eternal silence of the dominant.” It was for his own nerves that he seemed to dread an immediate return home after harsh words of dissension. “You would not care to come to the Bois?” he addressed me in a tone not so much interrogative as affirmative, and that not, as it seemed to me, because he did not wish to make me the offer but because he was afraid that his self-esteem might meet with a refusal. “Oh, very well,” he went on, still postponing our separation, “it is the moment when, as Whistler says, the bourgeois go to bed” (perhaps he wished now to capture me by my self-esteem) “and the right time to begin to look at things. But you don′t even know who Whistler was!” I changed the conversation and asked him whether the Princesse d′Iéna was an intelligent person. M. de Charlus stopped me, and, adopting the most contemptuous tone that I had yet heard him use, “Oh! There, Sir,” he informed me, “you are alluding to an order of nomenclature with which I have no concern. There is perhaps an aristocracy among the Tahitians, but I must confess that I know nothing about it. The name which you have just mentioned, strangely enough, did sound in my ears only a few days ago. Some one asked me whether I would condescend to allow them to present to me the young Duc de Guastalla. The request astonished me, for the Duc de Guastalla has no need to get himself presented to me, for the simple reason that he is my cousin, and has known me all his life; he is the son of the Princesse de Parme, and, as a young kinsman of good upbringing, he never fails to come and pay his respects to me on New Year′s Day. But, on making inquiries, I discovered that it was not my relative who was meant but the son of the person in whom you are interested. As there exists no Princess of that title, I supposed that my friend was referring to some poor wanton sleeping under the Pont d′Iéna, who had picturesquely assumed the title of Princesse d′Iéna, just as one talks about the Panther of the Batignolles, or the Steel King. But no, the reference was to a rich person who possesses some remarkable furniture which I had seen and admired at an exhibition, and which has this advantage over the name of its owner that it is genuine. As for this self-styled Duc de Guastalla, he, I supposed, must be my secretary′s stockbroker; one can procure so many things with money. But no; it was the Emperor, it appears, who amused himself by conferring on these people a title which simply was not his to give. It was perhaps a sign of power, or of ignorance, or of malice; in any case, I consider, it was an exceedingly scurvy trick to play on these unconscious usurpers. But really, I cannot help you by throwing any light on the matter; my knowledge begins and ends with the Faubourg Saint-Germain, where, among all the Courvoisiers and Gallardons, you will find, if you can manage to secure an introduction, plenty of mangy old cats taken straight out of Balzac who will amuse you. Naturally, all that has nothing to do with the position of the Princesse de Guermantes, but without me and my ‘Open, Sesame′ her portals are unapproachable.” “It is really very lovely, isn′t it, Sir, the Princesse de Guermantes′s mansion?” “Oh, it′s not very lovely. It′s the loveliest thing in the world. Next to the Princess herself, of course.” “The Princesse de Guermantes is better than the Duchesse de Guermantes?” “Oh! There′s no comparison.” (It is to be observed that, whenever people in society have the least touch of imagination, they will crown or dethrone, to suit their affections or their quarrels, those whose position appeared most solid and unalterably fixed.)
La duchesse de Guermantes (peut-être en ne l′appelant pas Oriane voulait-il mettre plus de distance entre elle et moi) est délicieuse, très supérieure à ce que vous avez pu deviner. Mais enfin elle est incommensurable avec sa cousine. Celle-ci est exactement ce que les personnes des Halles peuvent s′imaginer qu′était la princesse de Metternich, mais la Metternich croyait avoir lancé Wagner parce qu′elle connaissait Victor Maurel. La princesse de Guermantes, ou plutôt sa mère, a connu le vrai. Ce qui est un prestige, sans parler de l′incroyable beauté de cette femme. Et rien que les jardins d′Esther! — On ne peut pas les visiter? — Mais non, il faudrait être invité, mais on n′invite jamais personne à moins que j′intervienne. Mais aussitôt, retirant, après l′avoir jeté, l′appât de cette offre, il me tendit la main, car nous étions arrivés chez moi. «Mon rôle est terminé, monsieur; j′y ajoute simplement ces quelques paroles. Un autre vous offrira peut-être un jour sa sympathie comme j′ai fait. Que l′exemple actuel vous serve d′enseignement. Ne le négligez pas. Une sympathie est toujours précieuse. Ce qu′on ne peut pas faire seul dans la vie, parce qu′il y a des choses qu′on ne peut demander, ni faire, ni vouloir, ni apprendre par soi-même, on le peut à plusieurs et sans avoir besoin d′être treize comme dans le roman de Balzac, ni quatre comme dans les Trois Mousquetaires . Adieu.»
“The Duchesse de Guermantes” (possibly, in not calling her ‘Oriane,′ he wished to set a greater distance between her and myself) “is delightful, far superior to anything you can have guessed. But, after all, she is incommensurable with her cousin. The Princess is exactly what the people in the Markets might imagine Princess Metternich to have been, but old Metternich believed she had started Wagner, because she knew Victor Maurel. The Princesse de Guermantes, or rather her mother, knew the man himself. Which is a distinction, not to mention the incredible beauty of the lady. And the Esther gardens alone!” “One can′t see them?” “No, you would have to be invited, but they never invite anyone unless I intervene.” But at once withdrawing, after casting it at me, the bait of this offer, he held out his hand, for we had reached my door. “My part is played, Sir, I will simply add these few words. Another person will perhaps some day offer you his affection, as I have done. Let the present example serve for your instruction. Do not neglect it. Affection is always precious. What one cannot do by oneself in this life, because there are things which one cannot ask, nor do, nor wish, nor learn by oneself, one can do in company, and without needing to be Thirteen, as in Balzac′s story, or Four, as in The Three Musketeers. Good-bye.”
Il devait être fatigué et avoir renoncé à l′idée d′aller voir le clair de lune car il me demanda de dire au cocher de rentrer. Aussitôt il fit un brusque mouvement comme s′il voulait se reprendre. Mais j′avais déjà transmis l′ordre et, pour ne pas me retarder davantage, j′allai sonner à ma porte, sans avoir plus pensé que j′avais affaire à M. de Charlus, relativement à l′empereur d′Allemagne, au général Botha, des récits tout à l′heure si obsédants, mais que son accueil inattendu et foudroyant avait fait s′envoler bien loin de moi.
He must have been feeling tired and have abandoned the idea of going to look at the moonlight, for he asked me to tell his coachman to drive home. At once he made a sharp movement as though he had changed his mind. But I had already given the order, and, so as not to lose any more time, went across now to ring the bell, without its entering my head that I had been meaning to tell M. de Charlus, about the German Emperor and General Botha, stories which had been an hour ago such an obsession but which his unexpected and crushing reception had sent flying far out of my mind.
En rentrant, je vis sur mon bureau une lettre que le jeune valet de pied de Françoise avait écrite à un de ses amis et qu′il y avait oubliée. Depuis que ma mère était absente, il ne reculait devant aucun sans-gêne; je fus plus coupable d′avoir celui de lire la lettre sans enveloppe, largement étalée et qui, c′était ma seule excuse, avait l′air de s′offrir à moi.
On entering my room I saw on my desk a letter which Franchise′s young footman had written to one of his friends and had left lying there. Now that my mother was away, there was no liberty which he had the least hesitation in taking; I was the more to blame of the two for taking that of reading the letter which, without an envelope, lay spread out before me and (which was my sole excuse) seemed to offer itself to my eye.
«Cher ami et cousin,
“Dear Friend and Cousin,
«J′espère que la santé va toujours bien et qu′il en est de même pour toute la petite famille particulièrement pour mon jeune filleul Joseph dont je n′ai pas encore le plaisir de connaître mais dont je préfère à vous tous comme étant mon filleul, ces reliques du coeur ont aussi leur poussière, sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains. D′ailleurs cher ami et cousin qui te dit que demain toi et ta chère femme ma cousine Marie, vous ne serez pas précipités tous deux jusqu′au fond de la mer, comme le matelot attaché en haut du grand mât, car cette vie n′est qu′une vallée obscure. Cher ami il faut te dire que ma principale occupation, de ton étonnement j′en suis certain, est maintenant la poésie que j′aime avec délices, car il faut bien passé le temps. Aussi cher ami ne sois pas trop surpris si je ne suis pas encore répondu à ta dernière lettre, à défaut du pardon laisse venir l′oubli. Comme tu le sais, la mère de Madame a trépassé dans des souffrances inexprimables qui l′ont assez fatiguée car elle a vu jusqu′à trois médecins. Le jour de ses obsèques fut un beau jour car toutes les relations de Monsieur étaient venues en foule ainsi que plusieurs ministres. On a mis plus de deux heures pour aller au cimetière, ce qui vous fera tous ouvrir de grands yeux dans votre village car on n′en fera certainement pas autant pour la mère Michu. Aussi ma vie ne sera plus qu′un long sanglot. Je m′amuse énormément à la motocyclette dont j′ai appris dernièrement. Que diriez-vous, mes chers amis, si j′arrivais ainsi à toute vitesse aux Écorces. Mais là-dessus je ne me tairai pas plus car je sens que l′ivresse du malheur emporte sa raison. Je fréquente la duchesse de Guermantes, des personnes que tu as jamais entendu même le nom dans nos ignorants pays. Aussi c′est avec plaisir que j′enverrai les livres de Racine, de Victor Hugo, de Pages choisies de Chênedollé, d′Alfred de Musset, car je voudrais guérir le pays qui ma donner le jour de l′ignorance qui mène fatalement jusqu′au crime. Je ne vois plus rien à te dire et tanvoye comme le pélican lassé d′un long voyage mes bonnes salutations ainsi qu′à ta femme à mon filleul et à ta soeur Rose. Puisse-t-on ne pas dire d′elle: Et Rose elle n′a vécu que ce que vivent les roses, comme l′a dit Victor Hugo, le sonnet d′Arvers, Alfred de Musset, tous ces grands génies qu′on a fait à cause de cela mourir sur les flammes du bûcher comme Jeanne d′Arc. A bientôt ta prochaine missive, reçois mes baisers comme ceux d′un frère.
“I hope this finds you in good health, and the same with all the young folk, particularly my young godson Joseph whom I have not yet had the pleasure of meeting but whom I prefer to you all as being my godson, these relics of the heart they have their dust also, upon their blest remains let us not lay our hands. Besides dear friend and cousin who can say that to-morrow you and your dear wife my cousin Marie, will not both of you be cast headlong down into the bottom of the sea, like the sailor clinging to the mast on high, for this life is but a dark valley. Dear friend I must tell you that my principal occupation, which will astonish you I am certain, is now poetry which I love passionately, for one must somehow pass the time away. And so dear friend do not be too surprised if I have not answered your last letter before now, in place of pardon let oblivion come. As you are aware, Madame′s mother has passed away amid unspeakable sufferings which fairly exhausted her as she saw as many as three doctors. The day of her interment was a great day for all Monsieur′s relations came in crowds as well as several Ministers. It took them more than two hours to get to the cemetery, which will make you all open your eyes pretty wide in your village for they certainly won′t do as much for mother Michu. So all my life to come can be but one long sob. I am amusing myself enormously with the motorcycle of which I have recently learned. What would you say, my dear friends, if I arrived suddenly like that at full speed at Les Ecorces. But on that head I shall no more keep silence for I feel that the frenzy of grief sweeps its reason away. I am associating with the Duchesse de Guermantes, people whose very names you have never heard in our ignorant villages. Therefore it is with pleasure that I am going to send the works of Racine, of Victor Hugo, of Pages Choisies de Chenedolle, of Alfred de Musset, for I would cure the land in which I saw the light of ignorance which leads unerringly to crime. I can think of nothing more to say to you and send you like the pelican wearied by a long flight my best regards as well as to your wife my godson and your sister Rose. May it never be said of her: And Rose she lived only as live the roses, as has been said by Victor Hugo, the sonnet of Arvers, Alfred de Musset, all those great geniuses who for that cause have had to die upon the blazing scaffold like Jeanne d′Arc. Hoping for your next letter soon, receive my kisses like those of a brother.
«Périgot (Joseph).»
“Périgot (Joseph).”
Nous sommes attirés par toute vie qui nous représente quelque chose d′inconnu, par une dernière illusion à détruire. Malgré cela les mystérieuses paroles, grâce auxquelles M. de Charlus m′avait amené à imaginer la princesse de Guermantes comme un être extraordinaire et différent de ce que je connaissais, ne suffisent pas à expliquer la stupéfaction où je fus, bientôt suivie de la crainte d′être victime d′une mauvaise farce machinée par quelqu′un qui eût voulu me faire jeter à la porte d′une demeure où j′irais sans être invité, quand, environ deux mois après mon dîner chez la duchesse et tandis que celle-ci était à Cannes, ayant ouvert une enveloppe dont l′apparence ne m′avait averti de rien d′extraordinaire, je lus ces mots imprimés sur une carte: «La princesse de Guermantes, née duchesse en Bavière, sera chez elle le ***.» Sans doute être invité chez la princesse de Guermantes n′était peut-être pas, au point de vue mondain, quelque chose de plus difficile que dîner chez la duchesse, et mes faibles connaissances héraldiques m′avaient appris que le titre de prince n′est pas supérieur à celui de duc. Puis je me disais que l′intelligence d′une femme du monde ne peut pas être d′une essence aussi hétérogène à celle de ses congénères que le prétendait M. de Charlus, et d′une essence si hétérogène à celle d′une autre femme. Mais mon imagination, semblable à Elstir en train de rendre un effet de perspective sans tenir compte des notions de physique qu′il pouvait par ailleurs posséder, me peignait non ce que je savais, mais ce qu′elle voyait; ce qu′elle voyait, c′est-à-dire ce que lui montrait le nom. Or, même quand je ne connaissais pas la duchesse, le nom de Guermantes précédé du titre de princesse, comme une note ou une couleur ou une quantité, profondément modifiée des valeurs environnantes par le «signe» mathématique ou esthétique qui l′affecte, m′avait toujours évoqué quelque chose de tout différent. Avec ce titre on se trouve surtout dans les Mémoires du temps de Louis XIII et de Louis XIV, de la Cour d′Angleterre, de la reine d′Écosse, de la duchesse d′Aumale; et je me figurais l′hôtel de la princesse de Guermantes comme plus ou moins fréquenté par la duchesse de Longueville et par le grand Condé, desquels la présence rendait bien peu vraisemblable que j′y pénétrasse jamais.
We are attracted by every form of life which represents to us something unknown and strange, by a last illusion still unshattered. In spite of this, the mysterious utterances by means of which M. de Charlus had led me to imagine the Princesse de Guermantes as an extraordinary creature, different from anyone that I knew, were not sufficient to account for the stupefaction in which I was plunged, speedily followed by the fear that I might be the victim of some bad joke planned by some one who wanted to send me to the door of a house to which I had not been invited, when, about two months after my dinner with the Duchess and while she was at Cannes, having opened an envelope the appearance of which had not led me to suppose that it contained anything out of the common, I read the following words engraved on a card: “The Princesse de Guermantes, née Duchesse en Bavière, At Home, the ——-th.” No doubt to be invited to the Princesse de Guermantes′s was perhaps not, from the social point of view, any more difficult than to dine with the Duchess, and my slight knowledge of heraldry had taught me that the title of Prince is not superior to that of Duke. Besides, I told myself that the intelligence of a society woman could not be essentially so heterogeneous to that of her congeners as M. de Charlus made out, nor so heterogeneous to that of any one other woman in society. But my imagination, like Elstir engaged upon rendering some effect of perspective without reference to a knowledge of the laws of nature which he might quite well possess, depicted for me not what I knew but what it saw; what it saw, that is to say what the name shewed it. Now, even before I had met the Duchess, the name Guermantes preceded by the title of Princess, like a note or a colour or quantity, profoundly modified from the surrounding values by the mathematical or aesthetic sign that governs it, had already suggested to me something entirely different. With that title one finds one′s thoughts straying instinctively to the memoirs of the days of Louis XIII and Louis XIV, the English Court, the Queen of Scots, the Duchesse d′Aumale; and I imagined the town house of the Princesse de Guermantes as more or less frequented by the Duchesse de Longueville and the great Condé, whose presence there rendered it highly improbable that I should ever make my way into it.
Beaucoup de choses que M. de Charlus m′avait dites avaient donné un vigoureux coup de fouet à mon imagination et, faisant oublier à celle-ci combien la réalité l′avait déçue chez la duchesse de Guermantes (il en est des noms des personnes comme des noms des pays), l′avaient aiguillée vers la cousine d′Oriane. Au reste, M. de Charlus ne me trompa quelque temps sur la valeur et la variété imaginaires des gens du monde que parce qu′il s′y trompait lui-même. Et cela peut-être parce qu′il ne faisait rien, n′écrivait pas, ne peignait pas, ne lisait même rien d′une manière sérieuse et approfondie. Mais, supérieur aux gens du monde de plusieurs degrés, si c′est d′eux et de leur spectacle qu′il tirait la matière de sa conversation, il n′était pas pour cela compris par eux. Parlant en artiste, il pouvait tout au plus dégager le charme fallacieux des gens du monde. Mais le dégager pour les artistes seulement, à l′égard desquels il eût pu jouer le rôle du renne envers les Esquimaux; ce précieux animal arrache pour eux, sur des roches désertiques, des lichens, des mousses qu′ils ne sauraient ni découvrir, ni utiliser, mais qui, une fois digérés par le renne, deviennent pour les habitants de l′extrême Nord un aliment assimilable.
Many of the things that M. de Charlus had told me had driven a vigorous spur into my imagination and, making it forget how much the reality had disappointed me at Mme. de Guermantes′s (people′s names are in this respect like the names of places), had swung it towards Oriane′s cousin. For that matter, M. de Charlus misled me at times as to the imaginary value and variety of people in society only because he was himself at times misled. And this, perhaps, because he did nothing, did not write, did not paint, did not even read anything in a serious and thorough manner. But, superior by several degrees to the people in society, if it was from them and the spectacle they afforded that he drew the material for his conversation, he was not for that reason understood by them. Speaking as an artist, he could at the most reveal the fallacious charm of people in society. But reveal it to artists alone, with relation to whom he might be said to play the part played by the reindeer among the Esquimaux. This precious animal plucks for them from the barren rocks lichens and mosses which they themselves could neither discover nor utilise, but which, once they have been digested by the reindeer, become for the inhabitants of the far North a nourishing form of food.
A quoi j′ajouterai que ces tableaux que M. de Charlus faisait du monde étaient animés de beaucoup de vie par le mélange de ses haines féroces et de ses dévotes sympathies. Les haines dirigées surtout contre les jeunes gens, l′adoration excitée principalement par certaines femmes.
To which I may add that the pictures which M. de Charlus drew of society were animated with plenty of life by the blend of his ferocious hatreds and his passionate affections. Hatreds directed mainly against the young men, adoration aroused principally by certain women.
Si parmi celles-ci, la princesse de Guermantes était placée par M. de Charlus sur le trône le plus élevé, ses mystérieuses paroles sur «l′inaccessible palais d′Aladin» qu′habitait sa cousine ne suffisent pas à expliquer ma stupéfaction. Malgré ce qui tient aux divers points de vue subjectifs, dont j′aurai à parler, dans les grossissements artificiels, il n′en reste pas moins qu′il y a quelque réalité objective dans tous ces êtres, et par conséquent différence entre eux. Comment d′ailleurs en serait-il autrement? L′humanité que nous fréquentons et qui ressemble si peu à nos rêves est pourtant la même que, dans les Mémoires, dans les Lettres de gens remarquables, nous avons vue décrite et que nous avons souhaité de connaître. Le vieillard le plus insignifiant avec qui nous dînons est celui dont, dans un livre sur la guerre de 70, nous avons lu avec émotion la fière lettre au prince Frédéric-Charles. On s′ennuie à dîner parce que l′imagination est absente, et, parce qu′elle nous y tient compagnie, on s′amuse avec un livre. Mais c′est des mêmes personnes qu′il est question. Nous aimerions avoir connu Mme de Pompadour qui protégea si bien les arts, et nous nous serions autant ennuyés auprès d′elle qu′auprès des modernes Égéries, chez qui nous ne pouvons nous décider à retourner tant elles sont médiocres. Il n′en reste pas moins que ces différences subsistent. Les gens ne sont jamais tout à fait pareils les uns aux autres, leur manière de se comporter à notre égard, on pourrait dire à amitié égale, trahit des différences qui, en fin de compte, font compensation. Quand je connus Mme de Montmorency, elle aima à me dire des choses désagréables, mais si j′avais besoin d′un service, elle jetait pour l′obtenir avec efficacité tout ce qu′elle possédait de crédit, sans rien ménager. Tandis que telle autre, comme Mme de Guermantes, n′eût jamais voulu me faire de peine, ne disait de moi que ce qui pouvait me faire plaisir, me comblait de toutes les amabilités qui formaient le riche train de vie moral des Guermantes, mais, si je lui avais demandé un rien en dehors de cela, n′eût pas fait un pas pour me le procurer, comme en ces châteaux où on a à sa disposition une automobile, un valet de chambre, mais où il est impossible d′obtenir un verre de cidre, non prévu dans l′ordonnance des fêtes. Laquelle était pour moi la véritable amie, de Mme de Montmorency, si heureuse de me froisser et toujours prête à me servir, de Mme de Guermantes, souffrant du moindre déplaisir qu′on m′eût causé et incapable du moindre effort pour m′être utile? D′autre part, on disait que la duchesse de Guermantes parlait seulement de frivolités, et sa cousine, avec l′esprit le plus médiocre, de choses toujours intéressantes. Les formes d′esprit sont si variées, si opposées, non seulement dans la littérature, mais dans le monde, qu′il n′y a pas que Baudelaire et Mérimée qui ont le droit de se mépriser réciproquement. Ces particularités forment, chez toutes les personnes, un système de regards, de discours, d′actions, si cohérent, si despotique, que quand nous sommes en leur présence il nous semble supérieur au reste. Chez Mme de Guermantes, ses paroles, déduites comme un théorème de son genre d′esprit, me paraissaient les seules qu′on aurait dû dire. Et j′étais, au fond, de son avis, quand elle me disait que Mme de Montmorency était stupide et avait l′esprit ouvert à toutes les choses qu′elle ne comprenait pas, ou quand, apprenant une méchanceté d′elle, la duchesse me disait: «C′est cela que vous appelez une bonne femme, c′est ce que j′appelle un monstre.» Mais cette tyrannie de la réalité qui est devant nous, cette évidence de la lumière de la lampe qui fait pâlir l′aurore déjà lointaine comme un simple souvenir, disparaissaient quand j′étais loin de Mme de Guermantes, et qu′une dame différente me disait, en se mettant de plain-pied avec moi et jugeant la duchesse placée fort au-dessous de nous: «Oriane ne s′intéresse au fond à rien, ni à personne», et même (ce qui en présence de Mme de Guermantes eût semblé impossible à croire tant elle-même proclamait le contraire): «Oriane est snob.» Aucune mathématique ne nous permettant de convertir Mme d′Arpajon et Mme de Montpensier en quantités homogènes, il m′eût été impossible de répondre si on me demandait laquelle me semblait supérieure à l′autre.
If among these the Princesse de Guermantes was placed by M. de Charlus upon the most exalted throne, his mysterious words about the ‘unapproachable Aladdin′s palace′ in which his cousin dwelt were not sufficient to account for my stupefaction. Apart from whatever may be due to the divers subjective points of view, of which I shall have to speak later, in these artificial magnifications, the fact remains that there is a certain objective reality in each of these people, and consequently a difference among them. And how, when it comes to that, could it be otherwise? The humanity with which we consort and which bears so little resemblance to our dreams is, for all that, the same that, in the Memoirs, in the Letters of eminent persons, we have seen described and have felt a desire to know. The old man of complete insignificance whom we met at dinner is the same who wrote that proud letter, which (in a book on the War of 1870) we read with emotion, to Prince Friedrich-Karl. We are bored at a dinner-table because our imagination is absent, and because it is bearing us company we are interested in a book. But the people in question are the same. We should like to have known Mme. de Pompadour, who was so valuable a patron of the arts, and we should have been as much bored in her company as among the modern Egerias, at whose houses we cannot bring ourselves to pay a second call, so uninteresting do we find them. The fact remains, nevertheless, that these differences do exist. People are never exactly similar to one another, their mode of behaviour with regard to ourselves, at, one might say, the same level of friendship, reveals differences which, in the end, offer compensations. When I knew Mme. de Montmorency, she loved to say unpleasant things to me, but if I was in need of a service she would squander, in the hope of obtaining it for me effectively, all the credit at her disposal, without counting the cost. Whereas some other woman, Mme. de Guermantes for example, would never have wished to hurt my feelings, never said anything about me except what might give me pleasure, showered on me all those tokens of friendship which formed the rich manner of living, morally, of the Guermantes, but, had I asked her for the least thing above and beyond that, would not have moved an inch to procure it for me, as in those country houses where one has at one′s disposal a motor-car and a special footman, but where it is impossible to obtain a glass of cider, for which no provision has been made in the arrangements for a party. Which was for me the true friend, Mme. de Montmorency, so glad always to annoy me and always so ready to oblige, or Mme. de Guermantes, distressed by the slightest offence that might have been given me and incapable of the slightest effort to be of use to me? The types of the human mind are so varied, so opposite, not only in literature but in society, that Baudelaire and Mérimée are not the only people who have the right to despise one another mutually. These peculiarities continue to form in everyone a system of attitudes, of speech, of actions, so coherent, so despotic, that when we are in the presence of anyone his or her system seems to us superior to the rest. With Mme. de Guermantes, her words, deduced like a theorem from her type of mind, seemed to me the only ones that could possibly be said. And I was, at heart, of her opinion when she told me that Mme. de Montmorency was stupid and kept an open mind towards all the things she did not understand, or when, having heard of some spiteful remark by that lady, she said: “That is what you call a good woman; it is what I call a monster.” But this tyranny of the reality which confronts us, this preponderance of the lamplight which turns the dawn — already distant — as pale as the faintest memory, disappeared when I was away from Mme. de Guermantes, and a different lady said to me, putting herself on my level and reckoning the Duchess as placed far below either of us: “Oriane takes no interest, really, in anything or anybody,” or even (what in the presence of Mme. de Guermantes it would have seemed impossible to believe, so loudly did she herself proclaim the opposite): “Oriane is a snob.” Seeing that no mathematical process would have enabled one to convert Mme. d′Arpajon and Mme. de Montpensier into commensurable quantities, it would have been impossible for me to reply, had anyone asked me which of the two seemed to me superior to the other.
Or, parmi les traits particuliers au salon de la princesse de Guermantes, le plus habituellement cité était un certain exclusivisme, dû en partie à la naissance royale de la princesse, et surtout le rigorisme presque fossile des préjugés aristocratiques du prince, préjugés que d′ailleurs le duc et la duchesse ne s′étaient pas fait faute de railler devant moi, et qui, naturellement, devait me faire considérer comme plus invraisemblable encore que m′eût invité cet homme qui ne comptait que les altesses et les ducs et à chaque dîner, faisait une scène parce qu′il n′avait pas eu à table la place à laquelle il aurait eu droit sous Louis XIV, place que, grâce à son extrême érudition en matière d′histoire et de généalogie, il était seul à connaître. A cause de cela, beaucoup de gens du monde tranchaient en faveur du duc et de la duchesse les différences qui les séparaient de leurs cousins. «Le duc et la duchesse sont beaucoup plus modernes, beaucoup plus intelligents, ils ne s′occupent pas, comme les autres, que du nombre de quartiers, leur salon est de trois cents ans en avance sur celui de leur cousin», étaient des phrases usuelles dont le souvenir me faisait maintenant frémir en regardant la carte d′invitation à laquelle ils donnaient beaucoup plus de chances de m′avoir été envoyée par un mystificateur.
Now, among the peculiar characteristics of the drawing-room of the Princesse de Guermantes, the one most generally quoted was a certain exclusiveness, due in part to the royal birth of the Princess, but especially to the almost fossilised rigidity of the aristocratic prejudices of the Prince, prejudices which, incidentally, the Duke and Duchess had made no scruple about deriding in front of me, and which naturally were to make me regard it as more improbable than ever that I should have been invited to a party by this man who reckoned only in royalties and dukes, and at every dinner-party made a scene because he had not been put in the place to which he would have been entitled under Louis XIV, a place which, thanks to his immense erudition in matters of history and genealogy, he was the only person who knew. For this reason, many of the people in society placed to the credit of the Duke and Duchess the differences which distinguished them from their cousins. “The Duke and Duchess are far more modern, far more intelligent, they don′t think of nothing, like the other couple, but how many quarterings one has, their house is three hundred years in advance of their cousins′,” were customary remarks, the memory of which made me tremble as I looked at the card of invitation, to which they gave a far greater probability of its having been sent me by some practical joker.
Si encore le duc et la duchesse de Guermantes n′avaient pas été à Cannes, j′aurais pu tâcher de savoir par eux si l′invitation que j′avais reçue était véritable. Ce doute où j′étais n′est pas même dû, comme je m′en étais un moment flatté, au sentiment qu′un homme du monde n′éprouverait pas et qu′en conséquence un écrivain, appartînt-il en dehors de cela à la caste des gens du monde, devrait reproduire afin d′être bien «objectif» et de peindre chaque classe différemment. J′ai, en effet, trouvé dernièrement, dans un charmant volume de Mémoires, la notation d′incertitudes analogues à celles par lesquelles me faisait passer la carte d′invitation de la princesse. «Georges et moi (ou Hély et moi, je n′ai pas le livre sous la main pour vérifier), nous grillions si fort d′être admis dans le salon de Mme Delessert, qu′ayant reçu d′elle une invitation, nous crûmes prudent, chacun de notre côté, de nous assurer que nous n′étions pas les dupes de quelque poisson d′avril.» Or le narrateur n′est autre que le comte d′Haussonville (celui qui épousa la fille du duc de Broglie), et l′autre jeune homme qui «de son côté» va s′assurer s′il n′est pas le jouet d′une mystification est, selon qu′il s′appelle Georges ou Hély, l′un ou l′autre des deux inséparables amis de M. d′Haussonville, M. d′Harcourt ou le prince de Chalais.
If the Duke and Duchess had not been still at Cannes, I might have tried to find out from them whether the invitation which I had received was genuine. This state of doubt in which I was plunged was not due, as I flattered myself for a time by supposing, to a sentiment which a man of fashion would not have felt and which, consequently, a writer, even if he belonged apart from his writership to the fashionable caste, ought to reproduce in order to be thoroughly ‘objective′ and to depict each class differently. I happened, in fact, only the other day, in a charming volume of memoirs, to come upon the record of uncertainties analogous to those which the Princesse de Guermantes′s card made me undergo. “Georges and I” (or “Hély and I,” I have not the book at hand to verify the reference) “were so keen to be asked to Mme. Delessert′s that, having received an invitation from her, we thought it prudent, each of us independently, to make certain that we were not the victims of an April fool.” Now, the writer is none other than the Comte d′Haussonville (he who married the Duc de Broglie′s daughter) and the other young man who ‘independently′ makes sure that he is not having a practical joke played on him is, according to whether he is called Georges or Hély, one or other of the two inseparable friends of M. d′Haussonville, either M. d′Harcourt or the Prince de Chalais.
Le jour où devait avoir lieu la soirée chez la princesse de Guermantes, j′appris que le duc et la duchesse étaient revenus à Paris depuis la veille. Le bal de la princesse ne les eût pas fait revenir, mais un de leurs cousins était fort malade, et puis le duc tenait beaucoup à une redoute qui avait lieu cette nuit-là et où lui-même devait paraître en Louis XI et sa femme en Isabeau de Bavière. Et je résolus d′aller la voir le matin. Mais, sortis de bonne heure, ils n′étaient pas encore rentrés; je guettai d′abord d′une petite pièce, que je croyais un bon poste de vigie, l′arrivée de la voiture. En réalité j′avais fort mal choisi mon observatoire, d′où je distinguai à peine notre cour, mais j′en aperçus plusieurs autres ce qui, sans utilité pour moi, me divertit un moment. Ce n′est pas à Venise seulement qu′on a de ces points de vue sur plusieurs maisons à la fois qui ont tenté les peintres, mais à Paris tout aussi bien. Je ne dis pas Venise au hasard. C′est à ses quartiers pauvres que font penser certains quartiers pauvres de Paris, le matin, avec leurs hautes cheminées évasées, auxquelles le soleil donne les roses les plus vifs, les rouges les plus clairs; c′est tout un jardin qui fleurit au-dessus des maisons, et qui fleurit en nuances si variées, qu′on dirait, planté sur la ville, le jardin d′un amateur de tulipes de Delft ou de Haarlem. D′ailleurs l′extrême proximité des maisons aux fenêtres opposées sur une même cour y fait de chaque croisée le cadre où une cuisinière rêvasse en regardant à terre, où plus loin une jeune fille se laisse peigner les cheveux par une vieille à figure, à peine distincte dans l′ombre, de sorcière; ainsi chaque cour fait pour le voisin de la maison, en supprimant le bruit par son intervalle, en laissant voir les gestes silencieux dans un rectangle placé sous verre par la clôture des fenêtres, une exposition de cent tableaux hollandais juxtaposés. Certes, de l′hôtel de Guermantes on n′avait pas le même genre de vues, mais de curieuses aussi, surtout de l′étrange point trigonométrique où je m′étais placé et où le regard n′était arrêté par rien jusqu′aux hauteurs lointaines que formait, les terrains relativement vagues qui précédaient étant fort en pente, l′hôtel de la princesse de Silistrie et de la marquise de Plassac, cousines très nobles de M. de Guermantes, et que je ne connaissais pas. Jusqu′à cet hôtel (qui était celui de leur père, M. de Bréquigny), rien que des corps de bâtiments peu élevés, orientés des façons les plus diverses et qui, sans arrêter la vue, prolongeaient la distance de leurs plans obliques. La tourelle en tuiles rouges de la remise où le marquis de Frécourt garait ses voitures se terminait bien par une aiguille plus haute, mais si mince qu′elle ne cachait rien, et faisait penser à ces jolies constructions anciennes de la Suisse, qui s′élancent isolées au pied d′une montagne. Tous ces points vagues et divergents, où se reposaient les yeux, faisaient paraître plus éloigné que s′il avait été séparé de nous par plusieurs rues ou de nombreux contreforts l′hôtel de Mme de Plassac, en réalité assez voisin mais chimériquement éloigné comme un paysage alpestre. Quand ses larges fenêtres carrées, éblouies de soleil comme des feuilles de cristal de roche, étaient ouvertes pour le ménage, on avait, à suivre aux différents étages les valets de pied impossibles à bien distinguer, mais qui battaient des tapis, le même plaisir qu′à voir, dans un paysage de Turner ou d′Elstir, un voyageur en diligence, ou un guide, à différents degrés d′altitude du Saint–Gothard. Mais de ce «point de vue» où je m′étais placé, j′aurais risqué de ne pas voir rentrer M. ou Mme de Guermantes, de sorte que, lorsque dans l′après-midi je fus libre de reprendre mon guet, je me mis simplement sur l′escalier, d′où l′ouverture de la porte cochère ne pouvait passer inaperçue pour moi, et ce fut dans l′escalier que je me postai, bien que n′y apparussent pas, si éblouissantes avec leurs valets de pied rendus minuscules par l′éloignement et en train de nettoyer, les beautés alpestres de l′hôtel de Bréquigny et Tresmes. Or cette attente sur l′escalier devait avoir pour moi des conséquences si considérables et me découvrir un paysage, non plus turnérien, mais moral si important, qu′il est préférable d′en retarder le récit de quelques instants, en le faisant précéder d′abord par celui de ma visite aux Guermantes quand je sus qu′ils étaient rentrés. Ce fut le duc seul qui me reçut dans sa bibliothèque. Au moment où j′y entrais, sortit un petit homme aux cheveux tout blancs, l′air pauvre, avec une petite cravate noire comme en avaient le notaire de Combray et plusieurs amis de mon grand-père, mais d′un aspect plus timide et qui, m′adressant de grands saluts, ne voulut jamais descendre avant que je fusse passé. Le duc lui cria de la bibliothèque quelque chose que je ne compris pas, et l′autre répondit avec de nouveaux saluts adressés à la muraille, car le duc ne pouvait le voir, mais répétés tout de même sans fin, comme ces inutiles sourires des gens qui causent avec vous par le téléphone; il avait une voix de fausset, et me resalua avec une humilité d′homme d′affaires. Et ce pouvait d′ailleurs être un homme d′affaires de Combray, tant il avait le genre provincial, suranné et doux des petites gens, des vieillards modestes de là-bas. «Vous verrez Oriane tout à l′heure, me dit le duc quand je fus entré. Comme Swann doit venir tout à l′heure lui apporter les épreuves de son étude sur les monnaies de l′Ordre de Malte, et, ce qui est pis, une photographie immense où il a fait reproduire les deux faces de ces monnaies, Oriane a préféré s′habiller d′abord, pour pouvoir rester avec lui jusqu′au moment d′aller dîner. Nous sommes déjà encombrés d′affaires à ne pas savoir où les mettre et je me demande où nous allons fourrer cette photographie. Mais j′ai une femme trop aimable, qui aime trop à faire plaisir. Elle a cru que c′était gentil de demander à Swann de pouvoir regarder les uns à côté des autres tous ces grands maîtres de l′Ordre dont il a trouvé les médailles à Rhodes. Car je vous disais Malte, c′est Rhodes, mais c′est le même Ordre de Saint–Jean de Jérusalem. Dans le fond elle ne s′intéresse à cela que parce que Swann s′en occupe. Notre famille est très mêlée à toute cette histoire; même encore aujourd′hui, mon frère que vous connaissez est un des plus hauts dignitaires de l′Ordre de Malte. Mais j′aurais parlé de tout cela à Oriane, elle ne m′aurait seulement pas écouté. En revanche, il a suffi que les recherches de Swann sur les Templiers (car c′est inouퟬa rage des gens d′une religion à étudier celle des autres) l′aient conduit à l′Histoire des Chevaliers de Rhodes, héritiers des Templiers, pour qu′aussitôt Oriane veuille voir les têtes de ces chevaliers. Ils étaient de forts petits garçons à côté des Lusignan, rois de Chypre, dont nous descendons en ligne directe. Mais comme jusqu′ici Swann ne s′est pas occupé d′eux, Oriane ne veut rien savoir sur les Lusignan.» Je ne pus tout de suite dire au duc pourquoi j′étais venu. En effet, quelques parentes ou amies, comme Mme de Silistrie et la duchesse de Montrose, vinrent pour faire une visite à la duchesse, qui recevait souvent avant le dîner, et ne la trouvant pas, restèrent un moment avec le duc. La première de ces dames (la princesse de Silistrie), habillée avec simplicité, sèche, mais l′air aimable, tenait à la main une canne. Je craignis d′abord qu′elle ne fût blessée ou infirme. Elle était au contraire fort alerte. Elle parla avec tristesse au duc d′un cousin germain à lui — pas du côté Guermantes, mais plus brillant encore s′il était possible — dont l′état de santé, très atteint depuis quelque temps, s′était subitement aggravé. Mais il était visible que le duc, tout en compatissant au sort de son cousin et en répétant: «Pauvre Mama! c′est un si bon garçon», portait un diagnostic favorable. En effet le dîner auquel devait assister le duc l′amusait, la grande soirée chez la princesse de Guermantes ne l′ennuyait pas, mais surtout il devait aller à une heure du matin, avec sa femme, à un grand souper et bal costumé en vue duquel un costume de Louis XI pour lui et d′Isabeau de Bavière pour la duchesse étaient tout prêts. Et le duc entendait ne pas être troublé dans ces divertissement multiples par la souffrance du bon Amanien d′Osmond. Deux autres dames porteuses de canne, Mme de Plassac et Mme de Tresmes, toutes deux filles du comte de Bréquigny, vinrent ensuite faire visite à Basin et déclarèrent que l′état du cousin Mama ne laissait plus d′espoir. Après avoir haussé les épaules, et pour changer de conversation, le duc leur demanda si elles allaient le soir chez Marie–Gilbert. Elles répondirent que non, à cause de l′état d′Amanien qui était à toute extrémité, et même elles s′étaient décommandées du dîner où allait le duc, et duquel elles lui énumérèrent les convives, le frère du roi Théodose, l′infante Marie–Conception, etc. Comme le marquis d′Osmond était leur parent à un degré moins proche qu′il n′était de Basin, leur «défection» parut au duc une espèce de blâme indirect de sa conduite. Aussi, bien que descendues des hauteurs de l′hôtel de Bréquigny pour voir la duchesse (ou plutôt pour lui annoncer le caractère alarmant, et incompatible pour les parents avec les réunions mondaines, de la maladie de leur cousin), ne restèrent-elles pas longtemps, et, munies de leur bâton d′alpiniste, Walpurge et Dorothée (tels étaient les prénoms des deux soeurs) reprirent la route escarpée de leur faîte. Je n′ai jamais pensé à demander aux Guermantes à quoi correspondaient ces cannes, si fréquentes dans un certain faubourg Saint–Germain. Peut-être, considérant toute la paroisse comme leur domaine et n′aimant pas prendre de fiacres, faisaient-elles de longues courses, pour lesquelles quelque ancienne fracture, due à l′usage immodéré de la chasse et des chutes de cheval qu′il comporte souvent, ou simplement des rhumatismes provenant de l′humidité de la rive gauche et des vieux châteaux, leur rendaient la canne nécessaire. Peut-être n′étaient-elles pas parties, dans le quartier, en expédition si lointaine. Et, seulement descendues dans leur jardin (peu éloigné de celui de la duchesse) pour faire la cueillette des fruits nécessaires aux compotes, venaient-elles, avant de rentrer chez elles, dire bonsoir à Mme de Guermantes chez laquelle elles n′allaient pourtant pas jusqu′à apporter un sécateur ou un arrosoir. Le duc parut touché que je fusse venu chez eux le jour même de son retour. Mais sa figure se rembrunit quand je lui eus dit que je venais demander à sa femme de s′informer si sa cousine m′avait réellement invité. Je venais d′effleurer une de ces sortes de services que M. et Mme de Guermantes n′aimaient pas rendre. Le duc me dit qu′il était trop tard, que si la princesse ne m′avait pas envoyé d′invitation, il aurait l′air d′en demander une, que déjà ses cousins lui en avaient refusé une, une fois, et qu′il ne voulait plus, ni de près, ni de loin, avoir l′air de se mêler de leurs listes, «de s′immiscer», enfin qu′il ne savait même pas si lui et sa femme, qui dînaient en ville, ne rentreraient pas aussitôt après chez eux, que dans ce cas leur meilleure excuse de n′être pas allés à la soirée de la princesse était de lui cacher leur retour à Paris, que, certainement sans cela, ils se seraient au contraire empressés de lui faire connaître en lui envoyant un mot ou un coup de téléphone à mon sujet, et certainement trop tard, car en toute hypothèse les listes de la princesse étaient certainement closes. «Vous n′êtes pas mal avec elle», me dit-il d′un air soupçonneux, les Guermantes craignant toujours de ne pas être au courant des dernières brouilles et qu′on ne cherchât à se raccommoder sur leur dos. Enfin comme le duc avait l′habitude de prendre sur lui toutes les décisions qui pouvaient sembler peu aimables: «Tenez, mon petit, me dit-il tout à coup, comme si l′idée lui en venait brusquement à l′esprit, j′ai même envie de ne pas dire du tout à Oriane que vous m′avez parlé de cela. Vous savez comme elle est aimable, de plus elle vous aime énormément, elle voudrait envoyer chez sa cousine malgré tout ce que je pourrais lui dire, et si elle est fatiguée après dîner, il n′y aura plus d′excuse, elle sera forcée d′aller à la soirée. Non, décidément, je ne lui en dirai rien. Du reste vous allez la voir tout à l′heure. Pas un mot de cela, je vous prie. Si vous vous décidez à aller à la soirée je n′ai pas besoin de vous dire quelle joie nous aurons de passer la soirée avec vous.» Les motifs d′humanité sont trop sacrés pour que celui devant qui on les invoque ne s′incline pas devant eux, qu′il les croie sincères ou non; je ne voulus pas avoir l′air de mettre un instant en balance mon invitation et la fatigue possible de Mme de Guermantes, et je promis de ne pas lui parler du but de ma visite, exactement comme si j′avais été dupe de la petite comédie que m′avait jouée M. de Guermantes. Je demandai au duc s′il croyait que j′avais chance de voir chez la princesse Mme de Stermaria. «Mais non, me dit-il d′un air de connaisseur; je sais le nom que vous dites pour le voir dans les annuaires des clubs, ce n′est pas du tout le genre de monde qui va chez Gilbert. Vous ne verrez là que des gens excessivement comme il faut et très ennuyeux, des duchesses portant des titres qu′on croyait éteints et qu′on a ressortis pour la circonstance, tous les ambassadeurs, beaucoup de Cobourg; altesses étrangères, mais n′espérez pas l′ombre de Stermaria. Gilbert serait malade, même de votre supposition.
The day on which the party was to be given at the Princesse de Guermantes′s, I learned that the Duke and Duchess had just returned to Paris. The Princess′s ball would not have brought them back, but one of their cousins was seriously ill, and moreover the Duke was greatly taken up with a revel which was to be held the same night, and at which he himself was to appear as Louis XI and his wife as Isabel of Bavaria. And I determined to go and see her that morning. But, having gone out early, they had not yet returned; I watched first of all from a little room, which had seemed to me to be a good look-out post, for the arrival of their carriage. As a matter of fact I had made a singularly bad choice in my observatory from which I could barely make out our courtyard, but I did see into several others, and this, though of no value to me, occupied my mind for a time. It is not only in Venice that one has those outlooks on to several houses at once which have proved so tempting to painters; it is just the same in Paris. Nor do I cite Venice at random. It is of its poorer quarters that certain poor quarters of Paris make one think, in the morning, with their tall, wide chimneys to which the sun imparts the most vivid pinks, the brightest reds; it is a whole garden that flowers above the houses, and flowers in such a variety of tints that one would call it, planted on top of the town, the garden of a tulip-fancier of Delft or Haarlem. And then also, the extreme proximity of the houses, with their windows looking opposite one another on to a common courtyard, makes of each casement the frame in which a cook sits dreamily gazing down at the ground below, in which farther off a girl is having her hair combed by an old woman with the face, barely distinguishable in the shadow, of a witch: thus each courtyard provides for the adjoining house, by suppressing all sound in its interval, by leaving visible a series of silent gestures in a series of rectangular frames, glazed by the closing of the windows, an exhibition of a hundred Dutch paintings hung in rows. Certainly from the Hôtel de Guermantes one did not have the same kind of view, but one had curious views also, especially from the strange trigonometrical point at which I had placed myself and from which one′s gaze was arrested by nothing nearer than the distant heights formed by the comparatively vague plots of ground which preceded, on a steep slope, the mansion of the Marquise de Plassac and Mme. de Tresmes, cousins (of the most noble category) of M. de Guermantes, whom I did not know. Between me and this house (which was that of their father, M. de Bréquigny) nothing but blocks of buildings of low elevation, facing in every conceivable direction, which, without blocking the view, increased the distance with their diagonal perspective. The red-tiled turret of the coach-house in which the Marquis de Frécourt kept his carriages did indeed end in a spire that rose rather higher, but was so slender that it concealed nothing, and made one think of those picturesque old buildings in Switzerland which spring up in isolation at the foot of a mountain. All these vague and divergent points on which my eyes rested made more distant apparently than if it had been separated from us by several streets or by a series of foothills the house of Mme. de Plassac, actually quite near but chimerically remote as in an Alpine landscape. When its large paned windows, glittering in the sunlight like flakes of rock crystal, were thrown open so as to air the rooms, one felt, in following from one floor to the next the footmen whom it was impossible to see clearly but who were visibly shaking carpets, the same pleasure as when one sees in a landscape by Turner or Elstir a traveller in a mail-coach, or a guide, at different degrees of altitude on the Saint-Gothard. But from this point of view in which I had ensconced myself I should have been in danger of not seeing M. or Mme. de Guermantes come in, so that when in the afternoon I was free to resume my survey I simply stood on the staircase, from which the opening of the carriage-gate could not escape my notice, and it was on this staircase that I posted myself, albeit there did not appear there, so entrancing with their footmen rendered minute by distance and busily cleaning, the Alpine beauties of the Bréquigny-Tresmes mansion. Now this wait on the staircase was to have for me consequences so considerable, and to reveal to me a picture no longer Turneresque but ethical, of so great importance, that it is preferable to postpone the account of it for a little while by interposing first that of my visit to the Guermantes when I knew that they had come home. It was the Duke alone who received me in the library. As I went in there came out a little man with snow-white hair, a look of poverty, a little black neckcloth such as was worn by the lawyer at Combray and by several of my grandfather′s friends, but of a more timid aspect than they, who, making me a series of profound bows, refused absolutely to go downstairs until I had passed him. The Duke shouted after him from the library something which I did not understand, and the other responded with further bows, addressed to the wall, for the Duke could not see him, but endlessly repeated nevertheless, like the purposeless smiles on the faces of people who are talking to one over the telephone; he had a falsetto voice, and saluted me afresh with the humility of a man of business. And he might, for that matter, have been a man of business from Combray, so much was he in the style, provincial, out of date and mild, of the small folk, the modest elders of those parts. “You shall see Oriane in a minute,” the Duke told me when I had entered the room. “As Swann is coming in presently and bringing her the proofs of his book on the coinage of the Order of Malta, and, what is worse, an immense photograph he has had taken shewing both sides of each of the coins, Oriane preferred to get dressed early so that she can stay with him until it′s time to go out to dinner. We have such a heap of things in the house already that we don′t know where to put them all, and I ask myself where on earth we are going to stick this photograph. But I have too good-natured a wife, who is too fond of giving people pleasure. She thought it would be polite to ask Swann to let her see side by side on one sheet the heads of all those Grand Masters of the Order whose medals he has found at Rhodes. I said Malta, didn′t I, it is Rhodes, but it′s all the same Order of Saint John of Jerusalem. As a matter of fact, she is interested in them only because Swann makes a hobby of it. Our family is very much mixed up in the whole story; even at the present day, my brother, whom you know, is one of the highest dignitaries in the Order of Malta. But I might have told all that to Oriane, she simply wouldn′t have listened to me. On the other hand, it was quite enough that Swann′s researches into the Templars (it′s astonishing the passion that people of one religion have for studying others) should have led him on to the history of the Knights of Rhodes, who succeeded the Templars, for Oriane at once to insist on seeing the heads of these Knights. They were very small fry indeed compared with the Lusignans, Kings of Cyprus, from whom we descend in a direct line. But so far, as Swann hasn′t taken them up, Oriane doesn′t care to hear anything about the Lusignans.” I could not at once explain to the Duke why I had come. What happened was that several relatives or friends, including Mme. de Silistrie and the Duchesse de Montrose, came to pay a call on the Duchess, who was often at home before dinner, and not finding her there stayed for a short while with the Duke. The first of these ladies (the Princesse de Silistrie), simply attired, with a dry but friendly manner, carried a stick in her hand. I was afraid at first that she had injured herself, or was a cripple. She was on the contrary most alert. She spoke regretfully to the Duke of a first cousin of his own — not on the Guermantes side, but more illustrious still, were that possible — whose health, which had been in a grave condition for some time past, had grown suddenly worse. But it was evident that the Duke, while full of pity for his cousin′s lot, and repeating “Poor Mama! He′s such a good fellow!” had formed a favourable prognosis. The fact was that the dinner at which the Duke was to be present amused him, the big party at the Princesse de Guermantes′s did not bore him, but above all he was to go on at one o′clock in the morning with his wife to a great supper and costume ball, with a view to which a costume of Louis XI for himself, and one of Isabel of Bavaria for his wife were waiting in readiness. And the Duke was determined not to be disturbed amid all these gaieties by the sufferings of the worthy Amanien d′Osmond. Two other ladies carrying sticks, Mme. de Plassac and Mme. de Tresmes, both daughters of the Comte de Bréquigny, came in next to pay Basin a visit, and declared that cousin Mama′s state left no room now for hope. The Duke shrugged his shoulders, and to change the conversation asked whether they were going that evening to Marie-Gilbert′s. They replied that they were not, in view of the state of Amanien who was in his last agony, and indeed they had excused themselves from the dinner to which the Duke was going, the other guests at which they proceeded to enumerate: the brother of King Theodosius, the Infanta Maria Concepcion, and so forth. As the Marquis d′Osmond was less nearly related to them than he was to Basin, their ‘defection′ appeared to the Duke to be a sort of indirect reproach aimed at his own conduct. And so, albeit they had come down from the heights of the Bréquigny mansion to see the Duchess (or rather to announce to her the alarming character, incompatible for his relatives with attendance at social gatherings, of their cousin′s illness) they did not stay long, and, each armed with her alpenstock, Walpurge and Dorothée (such were the names of the two sisters) retraced the craggy path to their citadel. I never thought of asking the Guermantes what was the meaning of these sticks, so common in a certain part of the Faubourg Saint-Germain. Possibly, looking upon the whole parish as their domain, and not caring to hire cabs, they were in the habit of taking long walks, for which some old fracture, due to immoderate indulgence in the chase, and to the falls from horseback which are often the fruit of that indulgence, or simply rheumatism caused by the dampness of the left bank and of old country houses made a stick necessary. Perhaps they had not set out upon any such long expedition through the quarter, but, having merely come down into their garden (which lay at no distance from that of the Duchess) to pick the fruit required for stewing, had looked in on their way home to bid good evening to Mme. de Guermantes, though without going so far as to bring a pair of shears or a watering-can into her house. The Duke appeared touched that I should have come to see them so soon after their return to Paris. But his face grew dark when I told him that I had come to ask his wife to find out whether her cousin really had invited me. I had touched upon one of those services which M. and Mme. de Guermantes were not fond of rendering. The Duke explained to me that it was too late, that if the Princess had not sent me an invitation it would make him appear to be asking her for one, that his cousins had refused him one once before, and he had no wish to appear either directly or indirectly to be interfering with their visiting list, be ‘meddling′; finally, he could not even be sure that he and his wife, who were dining out that evening, would not come straight home afterwards, that in that case their best excuse for not having gone to the Princess′s party would be to conceal from her the fact of their return to Paris, instead of hastening to inform her of it, as they must do if they sent her a note, or spoke to her over the telephone about me, and certainly too late to be of any use, since, in all probability, the Princess′s list of guests would be closed by now. “You′ve not fallen foul of her in any way?” he asked in a suspicious tone, the Guermantes living in a constant fear of not being informed of the latest society quarrels, and so of people′s trying to climb back into favour on their shoulders. Finally, as the Duke was in the habit of taking upon himself all decisions that might seem not very good-natured: “Listen, my boy,” he said to me suddenly, as though the idea had just come into his head, “I would really rather not mention at all to Oriane that you have been speaking to me about it. You know how kind-hearted she is; besides, she has an enormous regard for you, she would insist on sending to ask her cousin, in spite of anything I might say to the contrary, and if she is tired after dinner, there will be no getting out of it, she will be forced to go to the party. No, decidedly, I shall say nothing to her about it. Anyhow, you will see her yourself in a minute. But not a word about that matter, I beg of you. If you decide to go to the party, I have no need to tell you what a pleasure it will be to us to spend the evening there with you.” The motives actuating humanity are too sacred for him before whom they are invoked not to bow to them, whether he believes them to be sincere or not; I did not wish to appear to be weighing in the balance for a moment the relative importance of my invitation and the possible tiredness of Mme. de Guermantes, and I promised not to speak to her of the object of my visit, exactly as though I had been taken in by the little farce which M. de Guermantes had performed for my benefit. I asked him if he thought there was any chance of my seeing Mme. de Stermaria at the Princess′s. “Why, no,” he replied with the air of an expert; “I know the name you mention, from having seen it in lists of club members, it is not at all the type of person who goes to Gilbert′s. You will see nobody there who is not excessively proper and intensely boring, duchesses bearing titles which one thought were extinct years ago and which they have revived for the occasion, all the Ambassadors, heaps of Coburgs, foreign royalties, but you mustn′t hope for the ghost of a Stermaria. Gilbert would be taken ill at the mere thought of such a thing.
«Tenez, vous qui aimez la peinture, il faut que je vous montre un superbe tableau que j′ai acheté à mon cousin, en partie en échange des Elstir, que décidément nous n′aimions pas. On me l′a vendu pour un Philippe de Champagne, mais moi je crois que c′est encore plus grand. Voulez-vous ma pensée? Je crois que c′est un Vélasquez et de la plus belle époque», me dit le duc en me regardant dans les yeux, soit pour connaître mon impression, soit pour l′accroître. Un valet de pied entra. «Mme la duchesse fait demander à M. le duc si M. le duc veut bien recevoir M. Swann, parce que Mme la duchesse n′est pas encore prête. — Faites entrer M. Swann», dit le duc après avoir regardé et vu à sa montre qu′il avait lui-même quelques minutes encore avant d′aller s′habiller. «Naturellement ma femme, qui lui a dit de venir, n′est pas prête. Inutile de parler devant Swann de la soirée de Marie–Gilbert, me dit le duc. Je ne sais pas s′il est invité. Gilbert l′aime beaucoup, parce qu′il le croit petit-fils naturel du duc de Berri, c′est toute une histoire. (Sans ça, vous pensez! mon cousin qui tombe en attaque quand il voit un Juif à cent mètres.) Mais enfin maintenant ça s′aggrave de l′affaire Dreyfus, Swann aurait dû comprendre qu′il devait, plus que tout autre, couper tout câble avec ces gens-là, or, tout au contraire, il tient des propos fâcheux.» Le duc rappela le valet de pied pour savoir si celui qu′il avait envoyé chez le cousin d′Osmond était revenu. En effet le plan du duc était le suivant: comme il croyait avec raison son cousin mourant, il tenait à faire prendre des nouvelles avant la mort, c′est-à-dire avant le deuil forcé. Une fois couvert par la certitude officielle qu′Amanien était encore vivant, il ficherait le camp à son dîner, à la soirée du prince, à la redoute où il serait en Louis XI et où il avait le plus piquant rendez-vous avec une nouvelle maîtresse, et ne ferait plus prendre de nouvelles avant le lendemain, quand les plaisirs seraient finis. Alors on prendrait le deuil, s′il avait trépassé dans la soirée. «Non, monsieur le duc, il n′est pas encore revenu. — Cré nom de Dieu! on ne fait jamais ici les choses qu′à la dernière heure», dit le duc à la pensée qu′Amanien avait eu le temps de «claquer» pour un journal du soir et de lui faire rater sa redoute. Il fit demander le Temps où il n′y avait rien. Je n′avais pas vu Swann depuis très longtemps, je me demandai un instant si autrefois il coupait sa moustache, ou n′avait pas les cheveux en brosse, car je lui trouvais quelque chose de changé; c′était seulement qu′il était en effet très «changé», parce qu′il était très souffrant, et la maladie produit dans le visage des modifications aussi profondes que se mettre à porter la barbe ou changer sa raie de place. (La maladie de Swann était celle qui avait emporté sa mère et dont elle avait été atteinte précisément à l′âge qu′il avait. Nos existences sont en réalité, par l′hérédité, aussi pleines de chiffres cabalistiques, de sorts jetés, que s′il y avait vraiment des sorcières. Et comme il y a une certaine durée de la vie pour l′humanité en général, il y en a une pour les familles en particulier, c′est-à-dire, dans les familles, pour les membres qui se ressemblent.) Swann était habillé avec une élégance qui, comme celle de sa femme, associait à ce qu′il était ce qu′il avait été. Serré dans une redingote gris perle, qui faisait valoir sa haute taille, svelte, ganté de gants blancs rayés de noir, il portait un tube gris d′une forme évasée que Delion ne faisait plus que pour lui, pour le prince de Sagan, pour M. de Charlus, pour le marquis de Modène, pour M. Charles Haas et pour le comte Louis de Turenne. Je fus surpris du charmant sourire et de l′affectueuse poignée de mains avec lesquels il répondit à mon salut, car je croyais qu′après si longtemps il ne m′aurait pas reconnu tout de suite; je lui dis mon étonnement; il l′accueillit avec des éclats de rire, un peu d′indignation, et une nouvelle pression de la main, comme si c′était mettre en doute l′intégrité de son cerveau ou la sincérité de son affection que supposer qu′il ne me reconnaissait pas. Et c′est pourtant ce qui était; il ne m′identifia, je l′ai su longtemps après, que quelques minutes plus tard, en entendant rappeler mon nom. Mais nul changement dans son visage, dans ses paroles, dans les choses qu′il me dit, ne trahirent la découverte qu′une parole de M. de Guermantes lui fit faire, tant il avait de maîtrise et de sûreté dans le jeu de la vie mondaine. Il y apportait d′ailleurs cette spontanéité dans les manières et ces initiatives personnelles, même en matière d′habillement, qui caractérisaient le genre des Guermantes. C′est ainsi que le salut que m′avait fait, sans me reconnaître, le vieux clubman n′était pas le salut froid et raide de l′homme du monde purement formaliste, mais un salut tout rempli d′une amabilité réelle, d′une grâce véritable, comme la duchesse de Guermantes par exemple en avait (allant jusqu′à vous sourire la première avant que vous l′eussiez saluée si elle vous rencontrait), par opposition aux saluts plus mécaniques, habituels aux dames du faubourg Saint–Germain. C′est ainsi encore que son chapeau, que, selon une habitude qui tendait à disparaître, il posa par terre à côté de lui, était doublé de cuir vert, ce qui ne se faisait pas d′habitude, mais parce que c′était (à ce qu′il disait) beaucoup moins salissant, en réalité parce que c′était fort seyant. «Tenez, Charles, vous qui êtes un grand connaisseur, venez voir quelque chose; après ça, mes petits, je vais vous demander la permission de vous laisser ensemble un instant pendant que je vais passer un habit; du reste je pense qu′Oriane ne va pas tarder.» Et il montra son «Vélasquez» à Swann. «Mais il me semble que je connais ça,» fit Swann avec la grimace des gens souffrants pour qui parler est déjà une fatigue. «Oui, dit le duc rendu sérieux par le retard que mettait le connaisseur à exprimer son admiration. Vous l′avez probablement vu chez Gilbert. — Ah! en effet, je me rappelle. — Qu′est-ce que vous croyez que c′est? — Eh bien, si c′était chez Gilbert, c′est probablement un de vos ancêtres , dit Swann avec un mélange d′ironie et de déférence envers une grandeur qu′il eût trouvé impoli et ridicule de méconnaître, mais dont il ne voulait, par bon goût, parler qu′en «se jouant».
“Wait now, you′re fond of painting, I must shew you a superb picture I bought from my cousin, partly in exchange for the Elstirs, which frankly did not appeal to us. It was sold to me as a Philippe de Champaigne, but I believe myself that it′s by some one even greater. Would you like to know my idea? I believe it to be a Velazquez, and of the best period,” said the Duke, looking me boldly in the eyes, whether to learn my impression or in the hope of enhancing it. A footman came in. “Mme. la Duchesse has told me to ask M. le Duc if M. le Duc will be so good as to see M. Swann, as Mme. la Duchesse is not quite ready.” “Shew M. Swann in,” said the Duke, after looking at his watch and seeing that he had still a few minutes before he need go to dress. “Naturally my wife, who told him to come, is not ready. There′s no use saying anything before Swann about Marie-Gilbert′s party,” said the Duke. “I don′t know whether he′s been invited. Gilbert likes him immensely, because he believes him to be the natural grandson of the Duc de Berri, but that′s a long story. (Otherwise, you can imagine! My cousin, who falls in a fit if he sees a Jew a mile off.) But now, don′t you see, the Dreyfus case has made things more serious. Swann ought to have realised that he more than anyone must drop all connexion with those fellows, instead of which he says the most offensive things.” The Duke called back the footman to know whether the man who had been sent to inquire at cousin Osmond′s had returned. His plan was as follows: as he believed, and rightly, that his cousin was dying, he was anxious to obtain news of him before his death, that is to say before he was obliged to go into mourning. Once covered by the official certainty that Amanien was still alive, he could go without a thought to his dinner, to the Prince′s party, to the midnight revel at which he would appear as Louis XI, and had made the most exciting assignation with a new mistress, and would make no more inquiries until the following day, when his pleasures would be at an end. Then one would put on mourning if the cousin had passed away in the night. “No, M. le Duc, he is not back yet.” “What in the Name of God! Nothing is ever done in this house till the last minute,” cried the Duke, at the thought that Amanien might still be in time to ‘croak′ for an evening paper, and so make him miss his revel. He sent for the Temps, in which there was nothing. I had not seen Swann for a long time, and asked myself at first whether in the old days he used to clip his moustache, or had not his hair brushed up vertically in front, for I found in him something altered; it was simply that he was indeed greatly ‘altered′ because he was very ill, and illness produces in the face modifications as profound as are created by growing a beard or by changing the line of one′s parting. (Swann′s illness was the same that had killed his mother, who had been attacked by it at precisely the age which he had now reached. Our existences are in truth, owing to heredity, as full of cabalistic ciphers, of horoscopic castings as if there really were sorcerers in the world. And just as there is a certain duration of life for humanity in general, so there is one for families in particular, that is to say, in any one family, for the members of it who resemble one another.) Swann was dressed with an elegance which, like that of his wife, associated with what he now was what he once had been. Buttoned up in a pearl-grey frockcoat which emphasised the tallness of his figure, slender, his white gloves stitched in black, he carried a grey tall hat of a specially wide shape which Delion had ceased now to make except for him, the Prince de Sagan, the Marquis de Modène, M. Charles Haas and Comte Louis de Turenne. I was surprised at the charming smile and affectionate handclasp with which he replied to my greeting, for I had imagined that after so long an interval he would not recognise me at once; I told him of my astonishment; he received it with a shout of laughter, a trace of indignation and a further grip of my hand, as if it were throwing doubt on the soundness of his brain or the sincerity of his affection to suppose that he did not know me. And yet that was what had happened; he did not identify me, as I learned long afterwards, until several minutes later when he heard my name mentioned. But no change in his face, in his .speech, in the things he said to me betrayed the discovery which a chance word from M. de Guermantes had enabled him to make, with such mastery, with such absolute sureness did he play the social game. He brought to it, moreover, that spontaneity in manners and personal initiative, even in his style of dress, which characterised the Guermantes type. Thus it was that the greeting which the old clubman, without recognising me, had given me was not the cold and stiff greeting of the man of the world who was a pure formalist, but a greeting full of a real friendliness, of a true charm, such as the Duchesse de Guermantes, for instance, possessed (carrying it so far as to smile at you first, before you had bowed to her, if she met you in the street), in contrast to the more mechanical greeting customary among the ladies of the Faubourg Saint-Germain. In the same way, again, the hat which, in conformity with a custom that was beginning to disappear, he laid on the floor by his feet, was lined with green leather, a thing not usually done, because, according to him, this kept the hat much cleaner, in reality because it was highly becoming. “Now, Charles, you′re a great expert, come and see what I′ve got to shew you, after which, my boys, I′m going to ask your permission to leave you together for a moment while I go and change my clothes, besides, I expect Oriane won′t be long now.” And he shewed his ‘Velazquez′ to Swann. “But it seems to me that I know this,” said Swann with the grimace of a sick man for whom the mere act of speaking requires an effort. “Yes,” said the Duke, turned serious by the time which the expert took in expressing his admiration. “You have probably seen it at Gilbert′s.” “Oh, yes, of course, I remember.” “What do you suppose it is?” “Oh, well, if it cornes from Gilbert′s, it is probably one of your ancestors,” said Swann with a blend of irony and deference towards a form of greatness which he would have felt it impolite and absurd to despise, but to which for reasons of good taste he preferred to make only a playful reference.
— Mais bien sûr, dit rudement le duc. C′est Boson, je ne sais plus quel numéro, de Guermantes. Mais ça, je m′en fous. Vous savez que je ne suis pas aussi féodal que mon cousin. J′ai entendu prononcer le nom de Rigaud, de Mignard, même de Vélasquez!» dit le duc en attachant sur Swann un regard et d′inquisiteur et de tortionnaire, pour tâcher à la fois de lire dans sa pensée et d′influencer sa réponse. «Enfin, conclut-il, car, quand on l′amenait à provoquer artificiellement une opinion qu′il désirait, il avait la faculté, au bout de quelques instants, de croire qu′elle avait été spontanément émise; voyons, pas de flatterie. Croyez-vous que ce soit d′un des grands pontifes que je viens de dire? — Nnnnon, dit Swann. — Mais alors, enfin moi je n′y connais rien, ce n′est pas à moi de décider de qui est ce croûton-là. Mais vous, un dilettante, un maître en la matière, à qui l′attribuez-vous? Vous êtes assez connaisseur pour avoir une idée. A qui l′attribuez-vous?» Swann hésita un instant devant cette toile que visiblement il trouvait affreuse: «A la malveillance!» répondit-il en riant au duc, lequel ne put laisser échapper un mouvement de rage. Quand elle fut calmée: «Vous êtes bien gentils tous les deux, attendez Oriane un instant, je vais mettre ma queue de morue et je reviens. Je vais faire dire à ma bourgeoise que vous l′attendez tous les deux.» Je causai un instant avec Swann de l′affaire Dreyfus et je lui demandai comment il se faisait que tous les Guermantes fussent antidreyfusards. «D′abord parce qu′au fond tous ces gens-là sont antisémites», répondit Swann qui savait bien pourtant par expérience que certains ne l′étaient pas, mais qui, comme tous les gens qui ont une opinion ardente, aimait mieux, pour expliquer que certaines personnes ne la partageassent pas, leur supposer une raison préconçue, un préjugé contre lequel il n′y avait rien à faire, plutôt que des raisons qui se laisseraient discuter. D′ailleurs, arrivé au terme prématuré de sa vie, comme une bête fatiguée qu′on harcèle, il exécrait ces persécutions et rentrait au bercail religieux de ses pères. — Pour le prince de Guermantes, dis-je, il est vrai, on m′avait dit qu′il était antisémite. — Oh! celui-là, je n′en parle même pas. C′est au point que, quand il était officier, ayant une rage de dents épouvantable, il a préféré rester à souffrir plutôt que de consulter le seul dentiste de la région, qui était juif, et que plus tard il a laissé brûler une aile de son château, où le feu avait pris, parce qu′il aurait fallu demander des pompes au château voisin qui est aux Rothschild. — Est-ce que vous allez par hasard ce soir chez lui? — Oui, me répondit-il, quoique je me trouve bien fatigué: Mais il m′a envoyé un pneumatique pour me prévenir qu′il avait quelque chose à me dire. Je sens que je serai trop souffrant ces jours-ci pour y aller ou pour le recevoir; cela m′agitera, j′aime mieux être débarrassé tout de suite de cela. — Mais le duc de Guermantes n′est pas antisémite. — Vous voyez bien que si puisqu′il est antidreyfusard, me répondit Swann, sans s′apercevoir qu′il faisait une pétition de principe. Cela n′empêche pas que je suis peiné d′avoir déçu cet homme — que dis-je! ce duc — en n′admirant pas son prétendu Mignard, je ne sais quoi. — Mais enfin, repris-je en revenant à l′affaire Dreyfus, la duchesse, elle, est intelligente. — Oui, elle est charmante. A mon avis, du reste, elle l′a été encore davantage quand elle s′appelait encore la princesse des Laumes. Son esprit a pris quelque chose de plus anguleux, tout cela était plus tendre dans la grande dame juvénile, mais enfin, plus ou moins jeunes, hommes ou femmes, qu′est-ce que vous voulez, tous ces gens-là sont d′une autre race, on n′a pas impunément mille ans de féodalité dans le sang. Naturellement ils croient que cela n′est pour rien dans leur opinion. — Mais Robert de Saint–Loup pourtant est dreyfusard? — Ah! tant mieux, d′autant plus que vous savez que sa mère est très contre. On m′avait dit qu′il l′était, mais je n′en étais pas sûr. Cela me fait grand plaisir. Cela ne m′étonne pas, il est très intelligent. C′est beaucoup, cela.
“To be sure, it is,” said the Duke bluntly. “It′s Boson, the I forget how manieth de Guermantes. Not that I care a damn about that. You know I′m not as feudal as my cousin. I′ve heard the names mentioned of Rigaud, Mignard, Velazquez even!” he went on, fastening on Swann the gaze of an inquisitor and executioner in an attempt at once to read into his mind and to influence his response. “Well,” he concluded, for when he was led to provoke artificially an opinion which he desired to hear, he had the faculty, after a few moments, of believing that it had been spontaneously uttered; “come, now, none of your flattery, do you think it′s by one of those big masters I′ve mentioned?” “Nnnnno,” said Swann. “But after all, I know nothing about these things, it′s not for me to decide who daubed the canvas. But you′re a dilettante, a master of the subject, to whom do you attribute it? You′re enough of an expert to have some idea. What would you put it down as?” Swann hesitated for a moment before the picture, which obviously he thought atrocious. “A bad joke!” he replied with a smile at the Duke who could not check an impulsive movement of rage. When this had subsided: “Be good fellows, both of you, wait a moment for Oriane, I must go and put on my swallow-tails and then I′ll join you. I shall send word to my good woman that you′re both waiting for her.” I talked for a minute or two with Swann about the Dreyfus case, and asked him how it was that all the Guermantes were anti-Dreyfusards. “In the first place because at heart all these people are anti-Semites,” replied Swann, who, all the same, knew very well from experience that certain of them were not, but, like everyone who supports any cause with ardour, preferred, to explain the fact that other people did not share his opinion, to suppose in them a preconceived reason, a prejudice against which there was nothing to be done, rather than reasons which might permit of discussion. Besides, having come to the premature term of his life, like a weary animal that is goaded on, he cried out against these persecutions and was returning to the spiritual fold of his fathers. “Yes, the Prince de Guermantes,” I said, “it is true, I′ve heard that he was anti-semitic.” “Oh, that fellow! I wasn′t even thinking about him. He carries it to such a point that when he was in the army and had a frightful toothache he preferred to grin and bear it rather than go to the only dentist in the district, who happened to be a Jew, and later on he allowed a wing of his castle which had caught fire to be burned to the ground, because he would have had to send for extinguishers to the place next door, which belongs to the Rothschilds.” “Are you going to be there this evening, by any chance?” “Yes,” Swann replied, “although I am far too tired. But he sent me a wire to tell me that he has something to say to me. I feel that I shall be too unwell in the next few days to go there or to see him at home; it would upset me, so I prefer to get it over at once.” “But the Duc de Guermantes is not anti-semitic?” “You can see quite well that he is, since he′s an anti-Dreyfusard,” replied Swann, without noticing the logical fallacy. “That doesn′t prevent my being very sorry that I disappointed the man — what am I saying? The Duke, I mean — by not admiring his Mignard or whatever he calls it.” “But at any rate,” I went on, reverting to the Dreyfus case, “the Duchess, she, now, is intelligent.” “Yes, she is charming. To my mind, however, she was even more charming when she was still known as the Princesse des Laumes. Her mind has become somehow more angular, it was all much softer in the juvenile great lady, but after all, young or old, men or women, what can you expect, all these people belong to a different race, one can′t have a thousand years of feudalism in one′s blood with impunity. Naturally they imagine that it counts for nothing in their opinions.” “All the same, Robert de Saint-Loup is a Dreyfusard.” “Ah! So much the better, all the more as you know that his mother is extremely ‘and.′ I had heard that he was, but I wasn′t certain of it. That gives me a great deal of pleasure. It doesn′t surprise me, he′s highly intelligent. It′s a great thing, that is.”
Le dreyfusisme avait rendu Swann d′une naîµ¥té extraordinaire et donné à sa façon de voir une impulsion, un déraillement plus notables encore que n′avait fait autrefois son mariage avec Odette; ce nouveau déclassement eût été mieux appelé reclassement et n′était qu′honorable pour lui, puisqu′il le faisait rentrer dans la voie par laquelle étaient venus les siens et d′où l′avaient dévié ses fréquentations aristocratiques. Mais Swann, précisément au moment même où, si lucide, il lui était donné, grâce aux données héritées de son ascendance, de voir une vérité encore cachée aux gens du monde, se montrait pourtant d′un aveuglement comique. Il remettait toutes ses admirations et tous ses dédains à l′épreuve d′un critérium nouveau, le dreyfusisme. Que l′antidreyfusisme de Mme Bontemps la lui fît trouver bête n′était pas plus étonnant que, quand il s′était marié, il l′eût trouvée intelligente. Il n′était pas bien grave non plus que la vague nouvelle atteignît aussi en lui les jugements politiques, et lui fit perdre le souvenir d′avoir traité d′homme d′argent, d′espion de l′Angleterre (c′était une absurdité du milieu Guermantes) Clémenceau, qu′il déclarait maintenant avoir tenu toujours pour une conscience, un homme de fer, comme Cornély. «Non, je ne vous ai jamais dit autrement. Vous confondez.» Mais, dépassant les jugements politiques, la vague renversait chez Swann les jugements littéraires et jusqu′à la façon de les exprimer. Barrès avait perdu tout talent, et même ses ouvrages de jeunesse étaient faiblards, pouvaient à peine se relire. «Essayez, vous ne pourrez pas aller jusqu′au bout. Quelle différence avec Clémenceau! Personnellement je ne suis pas anticlérical, mais comme, à côté de lui, on se rend compte que Barrès n′a pas d′os! C′est un très grand bonhomme que le père Clémenceau. Comme il sait sa langue!» D′ailleurs les antidreyfusards n′auraient pas été en droit de critiquer ces folies. Ils expliquaient qu′on fût dreyfusiste parce qu′on était d′origine juive. Si un catholique pratiquant comme Saniette tenait aussi pour la révision, c′était qu′il était chambré par Mme Verdurin, laquelle agissait en farouche radicale. Elle était avant tout contre les «calotins». Saniette était plus bête que méchant et ne savait pas le tort que la Patronne lui faisait. Que si l′on objectait que Brichot était tout aussi ami de Mme Verdurin et était membre de la Patrie française, c′est qu′il était plus intelligent. «Vous le voyez quelquefois?» dis-je à Swann en parlant de Saint–Loup. — Non, jamais. Il m′a écrit l′autre jour pour que je demande au duc de Mouchy et à quelques autres de voter pour lui au Jockey, où il a du reste passé comme une lettre à la poste. — Malgré l′Affaire! — On n′a pas soulevé la question. Du reste je vous dirai que, depuis tout ça, je ne mets plus les pieds dans cet endroit.
Dreyfusism had brought to Swann an extraordinary simplicity of mind and had imparted to his way of looking at things an impulsiveness, an inconsistency more noticeable even than had been the similar effects of his marriage to Odette; this new loss of caste would have been better described as a recasting, and was entirely to his credit, since it made him return to the ways in which his forebears had trodden and from which he had turned aside to mix with the aristocracy. But Swann, just at the very moment when with such lucidity it had been granted to him, thanks to the gifts he had inherited from his race, to perceive a truth that was still hidden from people of fashion, shewed himself nevertheless quite comically blind. He subjected afresh all his admirations and all his contempts to the test of a new criterion, Dreyfusism. That the anti-Dreyfusism of Mme. Bontemps should have made him think her a fool was no more astonishing than that, when he was first married, he should have thought her intelligent. It was not very serious either that the new wave reached also his political judgments and made him lose all memory of having treated as a man with a price, a British spy (this latter was an absurdity of the Guermantes set), Clemenceau, whom he declared now to have always stood up for conscience, to be a man of iron, like Comely. “No, no, I never told you anything of the sort. You′re thinking of some one else.” But, sweeping past his political judgments, the wave overthrew in Swann his literary judgments also, and even affected his way of pronouncing them. Barrés had lost all his talent, and even the books of his early days were feeble, one could hardly read them again. “You try, you′ll find you can′t struggle to the end. What a difference from Clemenceau! Personally, I am not anticlerical, but when you compare them together you must see that Barrés is invertebrate. He′s a very great fellow, is old Clemenceau. How he knows the language!” However, the anti-Dreyfusards were in no position to criticise these follies. They explained that one was a Dreyfusard by one′s being of Jewish origin. If a practising Catholic like Saniette stood out also for a fresh trial, that was because he was buttonholed by Mme. Verdurin, who behaved like a wild Radical. She was out above all things against the ‘frocks.′ Saniette was more fool than knave, and had no idea of the harm that the Mistress was doing him. If you pointed out that Brichot was equally a friend of Mme. Verdurin and was a member of the Patrie Française, that was because he was more intelligent. “You see him occasionally?” I asked Swann, referring to Saint-Loup. “No, never. He wrote to me the other day hoping that I would ask the Duc de Mouchy and various other people to vote for him at the Jockey, where for that matter he got through like a letter through the post.” “In spite of the Case!” “The question was never raised. However I must tell you that since all this business began I never set foot in the place.”
M. de Guermantes rentra, et bientôt sa femme, toute prête, haute et superbe dans une robe de satin rouge dont la jupe était bordée de paillettes. Elle avait dans les cheveux une grande plume d′autruche teinte de pourpre et sur les épaules une écharpe de tulle du même rouge. «Comme c′est bien de faire doubler son chapeau de vert, dit la duchesse à qui rien n′échappait. D′ailleurs, en vous, Charles, tout est joli, aussi bien ce que vous portez que ce que vous dites, ce que vous lisez et ce que vous faites.» Swann, cependant, sans avoir l′air d′entendre, considérait la duchesse comme il eût fait d′une toile de maître et chercha ensuite son regard en faisant avec la bouche la moue qui veut dire: «Bigre!» Mme de Guermantes éclata de rire. «Ma toilette vous plaît, je suis ravie. Mais je dois dire qu′elle ne me plaît pas beaucoup, continua-t-elle d′un air maussade. Mon Dieu, que c′est ennuyeux de s′habiller, de sortir quand on aimerait tant rester chez soi!» — Quels magnifiques rubis! — Ah! mon petit Charles, au moins on voit que vous vous y connaissez, vous n′êtes pas comme cette brute de Beauserfeuil qui me demandait s′ils étaient vrais. Je dois dire que je n′en ai jamais vu d′aussi beaux. C′est un cadeau de la grande-duchesse. Pour mon goût ils sont un peu gros, un peu verre à bordeaux plein jusqu′aux bords, mais je les ai mis parce que nous verrons ce soir la grande-duchesse chez Marie–Gilbert, ajouta Mme de Guermantes sans se douter que cette affirmation détruisait celles du duc. — Qu′est-ce qu′il y a chez la princesse? demanda Swann. — Presque rien, se hâta de répondre le duc à qui la question de Swann avait fait croire qu′il n′était pas invité. — Mais comment, Basin? C′est-à-dire que tout le ban et l′arrière-ban sont convoqués. Ce sera une tuerie à s′assommer. Ce qui sera joli, ajouta-t-elle en regardant Swann d′un air délicat, si l′orage qu′il y a dans l′air n′éclate pas, ce sont ces merveilleux jardins. Vous les connaissez. J′ai été là-bas, il y a un mois, au moment où les lilas étaient en fleurs, on ne peut pas se faire une idée de ce que ça pouvait être beau. Et puis le jet d′eau, enfin, c′est vraiment Versailles dans Paris. — Quel genre de femme est la princesse? demandai-je. — Mais vous savez déjà, puisque vous l′avez vue ici, qu′elle est belle comme le jour, qu′elle est aussi un peu idiote, très gentille malgré toute sa hauteur germanique, pleine de coeur et de gaffes. Swann était trop fin pour ne pas voir que Mme de Guermantes cherchait en ce moment à «faire de l′esprit Guermantes» et sans grands frais, car elle ne faisait que resservir sous une forme moins parfaite d′anciens mots d′elle. Néanmoins, pour prouver à la duchesse qu′il comprenait son intention d′être drôle et comme si elle l′avait réellement été, il sourit d′un air un peu forcé, me causant, par ce genre particulier d′insincérité, la même gêne que j′avais autrefois à entendre mes parents parler avec M. Vinteuil de la corruption de certains milieux (alors qu′ils savaient très bien qu′était plus grande celle qui régnait à Montjouvain), Legrandin nuancer son débit pour des sots, choisir des épithètes délicates qu′il savait parfaitement ne pouvoir être comprises d′un public riche ou chic, mais illettré. «Voyons, Oriane, qu′est-ce que vous dites, dit M. de Guermantes. Marie bête? Elle a tout lu, elle est musicienne comme le violon.» — Mais, mon pauvre petit Basin, vous êtes un enfant qui vient de naître. Comme si on ne pouvait pas être tout ça et un peu idiote. Idiote est du reste exagéré, non elle est nébuleuse, elle est Hesse–Darmstadt, Saint–Empire et gnan gnan. Rien que sa prononciation m′énerve. Mais je reconnais, du reste, que c′est une charmante loufoque. D′abord cette seule idée d′être descendue de son trône allemand pour venir épouser bien bourgeoisement un simple particulier. Il est vrai qu′elle l′a choisi! Ah! mais c′est vrai, dit-elle en se tournant vers moi, vous ne connaissez pas Gilbert! Je vais vous en donner une idée: il a autrefois pris le lit parce que j′avais mis une carte à Mme Carnot . . . Mais, mon petit Charles, dit la duchesse pour changer de conversation, voyant que l′histoire de sa carte à Mme Carnot paraissait courroucer M. de Guermantes, vous savez que vous n′avez pas envoyé la photographie de nos chevaliers de Rhodes, que j′aime par vous et avec qui j′ai si envie de faire connaissance. Le duc, cependant, n′avait pas cessé de regarder sa femme fixement: «Oriane, il faudrait au moins raconter la vérité et ne pas en manger la moitié. Il faut dire, rectifia-t-il en s′adressant à Swann, que l′ambassadrice d′Angleterre de ce moment-là, qui était une très bonne femme, mais qui vivait un peu dans la lune et qui était coutumière de ce genre d′impairs, avait eu l′idée assez baroque de nous inviter avec le Président et sa femme. Nous avons été, même Oriane, assez surpris, d′autant plus que l′ambassadrice connaissait assez les mêmes personnes que nous pour ne pas nous inviter justement à une réunion aussi étrange. Il y avait un ministre qui a volé, enfin je passe l′éponge, nous n′avions pas été prévenus, nous étions pris au piège, et il faut du reste reconnaître que tous ces gens ont été fort polis. Seulement c′était déjà bien comme ça. Mme de Guermantes, qui ne me fait pas souvent l′honneur de me consulter, a cru devoir aller mettre une carte dans la semaine à l′Élysée. Gilbert a peut-être été un peu loin en voyant là comme une tache sur notre nom. Mais il ne faut pas oublier que, politique mise à part, M. Carnot, qui tenait du reste très convenablement sa place, était le petit-fils d′un membre du tribunal révolutionnaire qui a fait périr en un jour onze des nôtres.» — Alors, Basin, pourquoi alliez-vous dîner toutes les semaines à Chantilly? Le duc d′Aumale n′était pas moins petit-fils d′un membre du tribunal révolutionnaire, avec cette différence que Carnot était un brave homme et Philippe-Égalité une affreuse canaille. — Je m′excuse d′interrompre pour vous dire que j′ai envoyé la photographie, dit Swann. Je ne comprends pas qu′on ne vous l′ait pas donnée. —
Ça ne m′étonne qu′à moitié, dit la duchesse. Mes domestiques ne me disent que ce qu′ils jugent à propos. Ils n′aiment probablement pas l′Ordre de Saint–Jean. Et elle sonna. «Vous savez, Oriane, que quand j′allais dîner à Chantilly, c′était sans enthousiasme.» — Sans enthousiasme, mais avec chemise de nuit pour si le prince vous demandait de rester à coucher, ce qu′il faisait d′ailleurs rarement, en parfait mufle qu′il était, comme tous les Orléans. Savez-vous avec qui nous dînons chez Mme de Saint–Euverte? demanda Mme de Guermantes à son mari. — En dehors des convives que vous savez, il y aura, invité de la dernière heure, le frère du roi Théodose. A cette nouvelle les traits de la duchesse respirèrent le contentement et ses paroles l′ennui. «Ah! mon Dieu, encore des princes.» — Mais celui-là est gentil et intelligent, dit Swann. — Mais tout de même pas complètement, répondit la duchesse en ayant l′air de chercher ses mots pour donner plus de nouveauté à sa pensée. Avez-vous remarqué parmi les princes que les plus gentils ne le sont pas tout à fait? Mais si, je vous assure! Il faut toujours qu′ils aient une opinion sur tout. Alors comme ils n′en ont aucune, ils passent la première partie de leur vie à nous demander les nôtres, et la seconde à nous les resservir. Il faut absolument qu′ils disent que ceci a été bien joué, que cela a été moins bien joué. Il n′y a aucune différence. Tenez, ce petit Théodose Cadet (je ne me rappelle pas son nom) m′a demandé comment ça s′appelait, un motif d′orchestre. Je lui ai répondu, dit la duchesse les yeux brillants et en éclatant de rire de ses belles lèvres rouges: «
Ça s′appelle un motif d′orchestre.» Eh bien! dans le fond, il n′était pas content. Ah! mon petit Charles, reprit Mme de Guermantes, ce que ça peut être ennuyeux de dîner en ville! Il y a des soirs où on aimerait mieux mourir! Il est vrai que de mourir c′est peut-être tout aussi ennuyeux puisqu′on ne sait pas ce que c′est.» Un laquais parut. C′était le jeune fiancé qui avait eu des raisons avec le concierge, jusqu′à ce que la duchesse, dans sa bonté, eût mis entre eux une paix apparente. «Est-ce que je devrai prendre ce soir des nouvelles de M. le marquis d′Osmond?» demanda-t-il. — Mais jamais de la vie, rien avant demain matin! Je ne veux même pas que vous restiez ici ce soir. Son valet de pied, que vous connaissez, n′aurait qu′à venir vous donner des nouvelles et vous dire d′aller nous chercher. Sortez, allez où vous voudrez, faites la noce, découchez, mais je ne veux pas de vous ici avant demain matin. Une joie immense déborda du visage du valet de pied. Il allait enfin pouvoir passer de longues heures avec sa promise qu′il ne pouvait quasiment plus voir, depuis qu′à la suite d′une nouvelle scène avec le concierge, la duchesse lui avait gentiment expliqué qu′il valait mieux ne plus sortir pour éviter de nouveaux conflits. Il nageait, à la pensée d′avoir enfin sa soirée libre, dans un bonheur que la duchesse remarqua et comprit. Elle éprouva comme un serrement de coeur et une démangeaison de tous les membres à la vue de ce bonheur qu′on prenait à son insu, en se cachant d′elle, duquel elle était irritée et jalouse. «Non, Basin, qu′il reste ici, qu′il ne bouge pas de la maison, au contraire.» — Mais, Oriane, c′est absurde, tout votre monde est là, vous aurez en plus, à minuit, l′habilleuse et le costumier pour notre redoute. Il ne peut servir à rien du tout, et comme seul il est ami avec le valet de pied de Mama, j′aime mille fois mieux l′expédier loin d′ici. —Écoutez, Basin, laissez-moi, j′aurai justement quelque chose à lui faire dire dans la soirée je ne sais au juste à quelle heure. Ne bougez surtout pas d′ici d′une minute, dit-elle au valet de pied désespéré. S′il y avait tout le temps des querelles et si on restait peu chez la duchesse, la personne à qui il fallait attribuer cette guerre constante était bien inamovible, mais ce n′était pas le concierge; sans doute pour le gros ouvrage, pour les martyres plus fatigants à infliger, pour les querelles qui finissent par des coups, la duchesse lui en confiait les lourds instruments; d′ailleurs jouait-il son rôle sans soupçonner qu′on le lui eût confié. Comme les domestiques, il admirait la bonté de la duchesse; et les valets de pied peu clairvoyants venaient, après leur départ, revoir souvent Françoise en disant que la maison du duc aurait été la meilleure place de Paris s′il n′y avait pas eu la loge. La duchesse jouait de la loge comme on joua longtemps du cléricalisme, de la franc-maçonnerie, du péril juif, etc . . . Un valet de pied entra. «Pourquoi ne m′a-t-on pas monté le paquet que M. Swann a fait porter? Mais à ce propos (vous savez que Mama est très malade, Charles), Jules, qui était allé prendre des nouvelles de M. le marquis d′Osmond, est-il revenu?» — Il arrive à l′instant, M. le duc. On s′attend d′un moment à l′autre à ce que M. le marquis ne passe. — Ah! il est vivant, s′écria le duc avec un soupir de soulagement. On s′attend, on s′attend! Satan vous-même. Tant qu′il y a de la vie il y a de l′espoir, nous dit le duc d′un air joyeux. On me le peignait déjà comme mort et enterré. Dans huit jours il sera plus gaillard que moi. — Ce sont les médecins qui ont dit qu′il ne passerait pas la soirée. L′un voulait revenir dans la nuit. Leur chef a dit que c′était inutile. M. le marquis devrait être mort; il n′a survécu que grâce à des lavements d′huile camphrée. — Taisez-vous, espèce d′idiot, cria le duc au comble de la colère. Qu′est-ce qui vous demande tout ça? Vous n′avez rien compris à ce qu′on vous a dit. — Ce n′est pas à moi, c′est à Jules. — Allez-vous vous taire? hurla le duc, et se tournant vers Swann: «Quel bonheur qu′il soit vivant! Il va reprendre des forces peu à peu. Il est vivant après une crise pareille. C′est déjà une excellente chose. On ne peut pas tout demander à la fois.
Ça ne doit pas être désagréable un petit lavement d′huile camphrée.» Et le duc, se frottant les mains: «Il est vivant, qu′est-ce qu′on veut de plus? Après avoir passé par où il a passé, c′est déjà bien beau. Il est même à envier d′avoir un tempérament pareil. Ah! les malades, on a pour eux des petits soins qu′on ne prend pas pour nous. Il y a ce matin un bougre de cuisinier qui m′a fait un gigot à la sauce béarnaise, réussie à merveille, je le reconnais, mais justement à cause de cela, j′en ai tant pris que je l′ai encore sur l′estomac. Cela n′empêche qu′on ne viendra pas prendre de mes nouvelles comme de mon cher Amanien. On en prend même trop. Cela le fatigue. Il faut le laisser souffler. On le tue, cet homme, en envoyant tout le temps chez lui.» — Eh bien! dit la duchesse au valet de pied qui se retirait, j′avais demandé qu′on montât la photographie enveloppée que m′a envoyée M. Swann. — Madame la duchesse, c′est si grand que je ne savais pas si ça passerait dans la porte. Nous l′avons laissé dans le vestibule. Est-ce que madame la duchesse veut que je le monte? — Eh bien! non, on aurait dû me le dire, mais si c′est si grand, je le verrai tout à l′heure en descendant. — J′ai aussi oublié de dire à madame la duchesse que Mme la comtesse Molé avait laissé ce matin une carte pour madame la duchesse. — Comment, ce matin? dit la duchesse d′un air mécontent et trouvant qu′une si jeune femme ne pouvait pas se permettre de laisser des cartes le matin. — Vers dix heures, madame la duchesse. — Montrez-moi ces cartes. — En tout cas, Oriane, quand vous dites que Marie a eu une drôle d′idée d′épouser Gilbert, reprit le duc qui revenait à sa conversation première, c′est vous qui avez une singulière façon d′écrire l′histoire. Si quelqu′un a été bête dans ce mariage, c′est Gilbert d′avoir justement épousé une si proche parente du roi des Belges, qui a usurpé le nom de Brabant qui est à nous. En un mot nous sommes du même sang que les Hesse, et de la branche aînée. C′est toujours stupide de parler de soi, dit-il en s′adressant à moi, mais enfin quand nous sommes allés non seulement à Darmstadt, mais même à Cassel et dans toute la Hesse électorale, les landgraves ont toujours tous aimablement affecté de nous céder le pas et la première place, comme étant de la branche aînée. — Mais enfin, Basin, vous ne me raconterez pas que cette personne qui était major de tous les régiments de son pays, qu′on fiançait au roi de Suède . . . — Oh! Oriane, c′est trop fort, on dirait que vous ne savez pas que le grand-père du roi de Suède cultivait la terre à Pau quand depuis neuf cents ans nous tenions le haut du pavé dans toute l′Europe. —
Ça m′empêche pas que si on disait dans la rue: «Tiens, voilà le roi de Suède», tout le monde courrait pour le voir jusque sur la place de la Concorde, et si on dit: «Voilà M. de Guermantes», personne ne sait qui c′est. — En voilà une raison! — Du reste, je ne peux pas comprendre comment, du moment que le titre de duc de Brabant est passé dans la famille royale de Belgique, vous pouvez y prétendre.
M. de Guermantes returned, and was presently joined by his wife, all ready now for the evening, tall and proud in a gown of red satin the skirt of which was bordered with spangles. She had in her hair a long ostrich feather dyed purple, and over her shoulders a tulle scarf of the same red as her dress. “How nice it is to have one′s hat lined with leather,” said the Duchess, whom nothing escaped. “However, with you, Charles, everything is always charming, whether it′s what you wear or what you say what you read or what you do.” Swann meanwhile, without apparently listening, was considering the Duchess as he would have studied the canvas of a master, and then sought her gaze, making with his lips the grimace which implies: ‘The devil!′ Mme. de Guermantes rippled with laughter. “So my clothes please you? I′m delighted. But I must say that they don′t please me much,” she went on with a sulking air. “Good Lord, what a bore it is to have to dress up and go out when one would ever so much rather stay at home!” “What magnificent rubies!” “Ah! my dear Charles, at least one can see that you know what you′re talking about, you′re not like that brute Monserfeuil who asked me if they were real. I must say that I′ve never seen anything quite like them. They were a present from the Grand Duchess. They′re a little too large for my liking, a little too like claret glasses filled to the brim, but I′ve put them on because we shall be seeing the Grand Duchess this evening at Marie-Gilbert′s,” added Mme. de Guermantes, never suspecting that this assertion destroyed the force of those previously made by the Duke. “What′s on at the Princess′s?” inquired Swann. “Practically nothing,” the Duke hastened to reply, the question having made him think that Swann was not invited. “What′s that, Basin? When all the highways and hedgerows have been scoured? It will be a deathly crush. What will be pretty, though,” she went on, looking wistfully at Swann, “if the storm I can feel in the air now doesn′t break, will be those marvellous gardens. You know them, of course. I was there a month ago, at the time when the lilacs were in flower, you can′t have any idea how lovely they were. And then the fountain, really, it′s Versailles in Paris.” “What sort of person is the Princess?” I asked. “Why, you know quite well, you′ve seen her here, she′s as beautiful as the day, also rather an idiot. Very nice, in spite of all her Germanic high-and-mightiness, full of good nature and stupid mistakes.” Swann was too subtle not to perceive that the Duchess, in this speech, was trying to shew the ‘Guermantes wit,′ and at no great cost to herself, for she was only serving up in a less perfect form an old saying of her own. Nevertheless, to prove to the Duchess that he appreciated her intention to be, and as though she had really succeeded in being, funny, he smiled with a slightly forced air, causing me by this particular form of insincerity the same feeling of awkwardness that used to disturb me long ago when I heard my parents discussing with M. Vinteuil the corruption of certain sections of society (when they knew very well that a corruption far greater sat enthroned at Montjouvain), Legrandin colouring his utterances for the benefit of fools, choosing delicate epithets which he knew perfectly well would not be understood by a rich or smart but illiterate public. “Come now, Oriane, what on earth are you saying?” broke in M. de Guermantes. “Marie a fool? Why, she has read everything, she′s as musical as a fiddle.” “But, my poor little Basin, you′re as innocent as a new-born babe. As if one could not be all that, and rather an idiot as well. Idiot is too strong a word; no, she′s in the clouds, she′s Hesse-Darmstadt, Holy Roman Empire, and! wa-wa-wa. Her pronunciation alone makes me tired. But I quite admit that she′s a charming loony. Simply the idea of stepping down from her German throne to go and marry, in the most middle-class way, a private citizen. It is true that she chose him! Yes, it′s quite true,” she went on, turning to me, “you don′t know Gilbert. Let me give you an idea of him, he took to his bed once because I had left a card on Mme. Carnot. But, my little Charles,” said the Duchess, changing the conversation when she saw that the story of the card left on the Carnots appeared to irritate M. de Guermantes, “you know, you′ve never sent me that photograph of our Knights of Rhodes, whom I′ve learned to love through you, and I am so anxious to make their acquaintance.” The Duke meanwhile had not taken his eyes from his wife′s face. “Oriane, you might at least tell the story properly and not cut out half. I ought to explain,” he corrected, addressing Swann, “that the British Ambassadress at that time, who was a very worthy woman, but lived rather in the moon and was in the habit of making up these odd combinations, conceived the distinctly quaint idea of inviting us with the President and his wife. We were — Oriane herself was rather surprised, especially as the Ambassadress knew quite enough of the people we knew not to invite us, of all things, to so ill-assorted a gathering. There was a Minister there who is a swindler, however I pass over all that, we had not been warned in time, were caught in the trap, and, I′m bound to admit, all these people behaved most civilly to us. Only, once was enough. Mme. de Guermantes, who does not often do me the honour of consulting me, felt it incumbent upon her to leave a card in the course of the following week at the Elysée. Gilbert may perhaps have gone rather far in regarding it as a stain upon our name. But it must not be forgotten that, politics apart, M. Carnot, who for that matter filled his post quite adequately, was the grandson of a member of the Revolutionary Tribunal which caused the death of eleven of our people in a single day.” “In that case, Basin, why did you go every week to dine at Chantilly? The Due d′Aumale was just as much the grandson of a member of the Revolutionary Tribunal, with this difference, that Carnot was a brave man and Philippe Egalité a wretched scoundrel.” “Excuse my interrupting you to explain that I did send the photograph,” said Swann. “I can′t understand how it hasn′t reached you.” “It doesn′t altogether surprise me,” said the Duchess, “my servants tell me only what they think fit. They probably do not approve of the Order of Saint John.” And she rang the bell. “You, know, Oriane, that when I used to go to Chantilly it was without enthusiasm.” “Without enthusiasm, but with a nightshirt in a bag, in case the Prince asked you to stay, which for that matter he very rarely did, being a perfect cad like all the Orléans lot. Do you know who else are to be dining at Mme. de Saint-Euverte′s?” Mme. de Guermantes asked her husband. “Besides the people you know already, she′s asked at the last moment King Theodosius′s brother.” At these tidings the Duchess′s features breathed contentment and her speech boredom. “Oh, good heavens, more princes!” “But that one is well-mannered and intelligent,” Swann suggested. “Not altogether, though,” replied the Duchess, apparently seeking for words that would give more novelty to the thought expressed. “Have you ever noticed with princes that the best-mannered among them are not really well-mannered? They must always have an opinion about everything. Then, as they have none of their own, they spend the first half of their lives asking us ours and the other half serving it up to us secondhand. They positively must be able to say that one piece has been well played and the next not so well. When there is no difference. Listen, this little Theodosius junior (I forget his name) asked me what one called an orchestral motif. I replied,” said the Duchess, her eyes sparkling while a laugh broke from her beautiful red lips: “‘One calls it an orchestral motif.′ I don′t think he was any too well pleased, really. Oh, my dear Charles,” she went on, “what a bore it can be, dining out. There are evenings when one would sooner die! It is true that dying may be perhaps just as great a bore, because we don′t know what it′s like.” A servant appeared. It was the young lover who used to have trouble with the porter, until the Duchess, in her kindness of heart, brought about an apparent peace between them. “Am I to go up this evening to inquire for M. le Marquis d′Osmond?” he asked. “Most certainly not, nothing before to-morrow morning. In fact I don′t want you to remain in the house to-night. The only thing that will happen will be that his footman, who knows you, will come to you with the latest report and send you out after us. Get off, go anywhere you like, have a woman, sleep out, but I don′t want to see you here before to-morrow morning.” An immense joy overflowed from the footman′s face. He would at last be able to spend long hours with his ladylove, whom he had practically ceased to see ever since, after a final scene with the porter, the Duchess had considerately explained to him that it would be better, to avoid further conflicts, if he did not go out at all. He floated, at the thought of having an evening free at last, in a happiness which the Duchess saw and guessed its reason. She felt, so to speak, a tightening of the heart and an itching in all her limbs at the sight of this happiness which an amorous couple were snatching behind her back, concealing themselves from her, which left her irritated and jealous. “No, Basin, let him stay here; I say, he′s not to stir out of the house.” “But, Oriane, that′s absurd, the house is crammed with servants, and you have the costumier′s people coming as well at twelve to dress us for this show. There′s absolutely nothing for him to do, and he′s the only one who′s a friend of Mama′s footman; I would a thousand times rather get him right away from the house.” “Listen, Basin, let me do what I want, I shall have a message for him to take in the evening, as it happens, I can′t tell yet at what time. In any case you′re not to go out of the house for a single instant, do you hear?” she said to the despairing footman. If there were continual quarrels, and if servants did not stay long with the Duchess, the person to whose charge this guerrilla warfare was to be laid was indeed irremovable, but it was not the porter; no doubt for the rougher tasks, for the martyrdoms that it was more tiring to inflict, for the quarrels which ended in blows, the Duchess entrusted the heavier instruments to him; but even then he played his part without the least suspicion that he had been cast for it. Like the household servants, he admired the Duchess for her kindness of heart; and footmen of little discernment who came back, after leaving her service, to visit Françoise used to say that the Duke′s house would have been the finest ‘place′ in Paris if it had not been for the porter′s lodge. The Duchess ‘played′ the lodge on them, just as at different times clericalism, freemasonry, the Jewish peril have been played on the public. Another footman came into the room. “Why have not they brought up the package that M. Swann sent here? And, by the way (you′ve heard, Charles, that Mama is seriously ill?), Jules went up to inquire for news of M. le Marquis d′Osmond: has he come back yet?” “He′s just come this instant, M. le Duc. They′re waiting from one moment to the next for M. le Marquis to pass away.” “Ah! He′s alive!” exclaimed the Duke with a sigh of relief. “That′s all right, that′s all right: sold again, Satan! While there′s life there′s hope,” the Duke announced to us with a joyful air. “They′ve been talking about him as though he were dead and buried. In a week from now he′ll be fitter than I am.” “It′s the Doctors who said that he wouldn′t last out the evening. One of them wanted to call again during the night. The head one said it was no use. M. le Marquis would be dead by then; they′ve only kept him alive by injecting him with camphorated oil.” “Hold your tongue, you damned fool,” cried the Duke in a paroxysm of rage. “Who the devil asked you to say all that? You haven′t understood a word of what they told you.” “It wasn′t me they told, it was Jules.” “Will you hold your tongue!” roared the Duke, and, turning to Swann, “What a blessing he′s still alive! He will regain his strength gradually, don′t you know. Still alive, after being in such a critical state, that in itself is an excellent sign. One mustn′t expect everything at once. It can′t be at all unpleasant, a little injection of camphorated oil.” He rubbed his hands. “He′s alive; what more could anyone want? After going through all that he′s gone through, it′s a great step forward. Upon my word, I envy him having such a temperament. Ah! these invalids, you know, people do all sorts of little things for them that they don′t do for us. Now to-day there was a devil of a cook who sent me up a leg of mutton with béarnaise sauce — it was done to a turn, I must admit, but just for that very reason I took so much of it that it′s still lying on my stomach. However, that doesn′t make people come to inquire for me as they do for dear Amanien. We do too much inquiring. It only tires him. We must let him have room to breathe. They′re killing the poor fellow by sending round to him all the time.” “Well,” said the Duchess to the footman as he was leaving the room, “I gave orders for the envelope containing a photograph which M. Swann sent me to be brought up here.” “Madame la Duchesse, it is so large that I didn′t know if I could get it through the door. We have left it in the hall. Does Madame la Duchesse wish me to bring it up?” “Oh, in that case, no; they ought to have told me, but if it′s so big I shall see it in a moment when I come downstairs.” “I forgot to tell Mme. la Duchesse that Mme. la Comtesse Mole left a card this morning for Mme. la Duchesse.” “What, this morning?” said the Duchess with an air of disapproval, feeling that so young a woman ought not to take the liberty of leaving cards in the morning. “About ten o′clock, Madame la Duchesse.” “Shew me the cards.” “In any case, Oriane, when you say that it was a funny idea on Marie′s part to marry Gilbert,” went on the Duke, reverting to the original topic of conversation, “it is you who have an odd way of writing history. If either of them was a fool, it was Gilbert, for having married of all people a woman so closely related to the King of the Belgians, who has usurped the name of Brabant which belongs to us. To put it briefly, we are of the same blood as the Hesses, and of the elder branch. It is always stupid to talk about oneself,” he apologised to me, “but after all, whenever we have been not only at Darmstadt, but even at Cassel and all over Electoral Hesse, the Landgraves have always, all of them, been most courteous in giving us precedence as being of the elder branch.” “But really, Basin, you don′t mean to tell me that a person who was a Major in every regiment in her country, who had been engaged to the King of Sweden . . . ” “Oriane, that is too much; anyone would think that you didn′t know that the King of Sweden′s grandfather was tilling the soil at Pau when we had been ruling the roost for nine hundred years throughout the whole of Europe.” “That doesn′t alter the fact that if somebody were to say in the street: ‘Hallo, there′s the King of Sweden,′ everyone would at once rush to see him as far as the Place de la Concorde, and if he said: ‘There′s M. de Guermantes,′ nobody would know who M. de Guermantes was.” “What an argument!” “Besides, I never can understand how, once the title of Duke of Brabant has passed to the Belgian Royal Family, you can continue to claim it.”
Le valet de pied rentra avec la carte de la comtesse Molé, ou plutôt avec ce qu′elle avait laissé comme carte. Alléguant qu′elle n′en avait pas sur elle, elle avait tiré de sa poche une lettre qu′elle avait reçue, et, gardant le contenu, avait corné l′enveloppe qui portait le nom: La comtesse Molé. Comme l′enveloppe était assez grande, selon le format du papier à lettres qui était à la mode cette année-là, cette «carte», écrite à la main, se trouvait avoir presque deux fois la dimension d′une carte de visite ordinaire. «C′est ce qu′on appelle la simplicité de Mme Molé, dit la duchesse avec ironie. Elle veut nous faire croire qu′elle n′avait pas de cartes et montrer son originalité. Mais nous connaissons tout ça, n′est-ce pas, mon petit Charles, nous sommes un peu trop vieux et assez originaux nous-mêmes pour apprendre l′esprit d′une petite dame qui sort depuis quatre ans. Elle est charmante, mais elle ne me semble pas avoir tout de même un volume suffisant pour s′imaginer qu′elle peut étonner le monde à si peu de frais que de laisser une enveloppe comme carte et de la laisser à dix heures du matin. Sa vieille mère souris lui montrera qu′elle en sait autant qu′elle sur ce chapitre-là.» Swann ne put s′empêcher de rire en pensant que la duchesse, qui était du reste un peu jalouse du succès de Mme Molé, trouverait bien dans «l′esprit des Guermantes» quelque réponse impertinente à l′égard de la visiteuse. «Pour ce qui est du titre de duc de Brabant, je vous ai dit cent fois, Oriane . . . », reprit le duc, à qui la duchesse coupa la parole, sans écouter. — Mais mon petit Charles, je m′ennuie après votre photographie. — Ah! extinctor draconis labrator Anubis , dit Swann. — Oui, c′est si joli ce que vous m′avez dit là-dessus en comparaison du Saint–Georges de Venise. Mais je ne comprends pas pourquoi Anubis . — Comment est celui qui est ancêtre de Babal? demanda M. de Guermantes. — Vous voudriez voir sa baballe, dit Mme de Guermantes d′un air sec pour montrer qu′elle méprisait elle-même ce calembour. Je voudrais les voir tous, ajouta-t-elle. —Écoutez, Charles, descendons en attendant que la voiture soit avancée, dit le duc, vous nous ferez votre visite dans le vestibule, parce que ma femme ne nous fichera pas la paix tant qu′elle n′aura pas vu votre photographie. Je suis moins impatient à vrai dire, ajouta-t-il d′un air de satisfaction. Je suis un homme calme, moi, mais elle nous ferait plutôt mourir. — Je suis tout à fait de votre avis, Basin, dit la duchesse, allons dans le vestibule, nous savons au moins pourquoi nous descendons de votre cabinet, tandis que nous ne saurons jamais pourquoi nous descendons des comtes de Brabant. — Je vous ai répété cent fois comment le titre était entré dans la maison de Hesse, dit le duc (pendant que nous allions voir la photographie et que je pensais à celles que Swann me rapportait à Combray), par le mariage d′un Brabant, en 1241, avec la fille du dernier landgrave de Thuringe et de Hesse, de sorte que c′est même plutôt ce titre de prince de Hesse qui est entré dans la maison de Brabant, que celui de duc de Brabant dans la maison de Hesse. Vous vous rappelez du reste que notre cri de guerre était celui des ducs de Brabant: «Limbourg à qui l′a conquis», jusqu′à ce que nous ayons échangé les armes des Brabant contre celles des Guermantes, en quoi je trouve du reste que nous avons eu tort, et l′exemple des Gramont n′est pas pour me faire changer d′avis. — Mais, répondit Mme de Guermantes, comme c′est le roi des Belges qui l′a conquis . . . Du reste, l′héritier de Belgique s′appelle le duc de Brabant. — Mais, mon petit, ce que vous dites ne tient pas debout et pèche par la base. Vous savez aussi bien que moi qu′il y a des titres de prétention qui subsistent parfaitement si le territoire est occupé par un usurpateur. Par exemple, le roi d′Espagne se qualifie précisément de duc de Brabant, invoquant par là une possession moins ancienne que la nôtre, mais plus ancienne que celle du roi des Belges. Il se dit aussi duc de Bourgogne, roi des Indes Occidentales et Orientales, duc de Milan. Or, il ne possède pas plus la Bourgogne, les Indes, ni le Brabant, que je ne possède moi-même ce dernier, ni que ne le possède le prince de Hesse. Le roi d′Espagne ne se proclame pas moins roi de Jérusalem, l′empereur d′Autriche également, et ils ne possèdent Jérusalem ni l′un ni l′autre.» Il s′arrêta un instant, gêné que le nom de Jérusalem ait pu embarrasser Swann, à cause des «affaires en cours», mais n′en continua que plus vite: «Ce que vous dites là, vous pouvez le dire de tout. Nous avons été ducs d′Aumale, duché qui a passé aussi régulièrement dans la maison de France que Joinville et que Chevreuse dans la maison d′Albert. Nous n′élevons pas plus de revendications sur ces titres que sur celui de marquis de Noirmoutiers, qui fut nôtre et qui devint fort régulièrement l′apanage de la maison de La Trémoille, mais de ce que certaines cessions sont valables, il ne s′ensuit pas qu′elles le soient toutes. Par exemple, dit-il en se tournant vers moi, le fils de ma belle-soeur porte le titre de prince d′Agrigente, qui nous vient de Jeanne la Folle, comme aux La Trémoille celui de prince de Tarente. Or Napoléon a donné ce titre de Tarente à un soldat, qui pouvait d′ailleurs être un fort bon troupier, mais en cela l′empereur a disposé de ce qui lui appartenait encore moins que Napoléon III en faisant un duc de Montmorency, puisque Périgord avait au moins pour mère une Montmorency, tandis que le Tarente de Napoléon Ier n′avait de Tarente que la volonté de Napoléon qu′il le fût. Cela n′a pas empêché Chaix d′Est–Ange, faisant allusion à notre oncle Condé, de demander au procureur impérial s′il avait été ramasser le titre de duc de Montmorency dans les fossés de Vincennes.
The footman returned with the Comtesse Mole′s card, or rather what she had left in place of a card. Alleging that she had none on her, she had taken from her pocket a letter addressed to herself, and keeping the contents had handed in the envelope which bore the inscription: ‘La Comtesse Mole.′ As the envelope was rather large, following the fashion in notepaper which prevailed that year, this manuscript ‘card′ was almost twice the size of an ordinary visiting card. “That is what people call Mme. Mole′s ‘simplicity,′” said the Duchess ironically. “She wants to make us think that she had no cards on her, and to shew her originality. But we know all about that, don′t we, my little Charles, we are quite old enough and quite original enough ourselves to see through the tricks of a little lady who has only been going about for four years. She is charming, but she doesn′t seem to me, all the same, to be quite ‘big′ enough to imagine that she can take the world by surprise with so little effort as merely leaving an envelope instead of a card and leaving it at ten o′clock in the morning. Her old mother mouse will shew her that she knows a thing or two about that.” Swann could not help smiling at the thought that the Duchess, who was, incidentally, a trifle jealous of Mme. Mole′s success, would find it quite in accordance with the ‘Guermantes wit′ to make some impertinent retort to her visitor. “So far as the title of Duc de Brabant is concerned, I′ve told you a hundred times, Oriane . . . ” the Duke continued, but the Duchess, without listening, cut him short. “But, my little Charles, I′m longing to see your photograph.” “Ah! Extinctor draconis latrator Anubis,” said Swann. “Yes, it was so charming what you said about that when you were comparing the Saint George at Venice. But I don′t understand: why Anubis?” “What′s the one like who was an ancestor of Babal?” asked M. de Guermantes. “You want to see his bauble?” retorted his wife, dryly, to shew she herself scorned the pun. “I want to see them all,” she added. “Listen, Charles, let us wait downstairs till the carriage comes,” said the Duke; “you can pay your call on us in the hall, because my wife won′t let us have any peace until she′s seen your photograph. I am less impatient, I must say,” he added with a satisfied air. “I am not easily moved myself, but she would see us all dead rather than miss it.” “I am entirely of your opinion, Basin,” said the Duchess, “let us go into the hall; we shall at least know why we have come down from your study, while we shall never know how we have come down from the Counts of Brabant.” “I′ve told you a hundred times how the title came into the House of Hesse,” said the Duke (while we were going downstairs to look at the photograph, and I thought of those that Swann used to bring me at Combray), “through the marriage of a Brabant in 1241 with the daughter of the last Landgrave of Thuringia and Hesse, so that really it is the title of Prince of Hesse that came to the House of Brabant rather than that of Duke of Brabant to the House of Hesse. You will remember that our battle-cry was that of the Dukes of Brabant: ‘Limbourg to her conqueror!′ until we exchanged the arms of Brabant for those of Guermantes, in which I think myself that we were wrong, and the example of the Gramonts will not make me change my opinion.” “But,” replied Mme. de Guermantes, “as it is the King of the Belgians who is the conqueror . . . Besides the Belgian Crown Prince calls himself Duc de Brabant.” “But, my dear child, your argument will not hold water for a moment. You know as well as I do that there are titles of pretension which can perfectly well exist even if the territory is occupied by usurpers. For instance, the King of Spain describes himself equally as Duke of Brabant, claiming in virtue of a possession less ancient than ours, but more ancient than that of the King of the Belgians. He calls himself also Duke of Burgundy, King of the Indies Occidental and Oriental, and Duke of Milan. Well, he is no more in possession of Burgundy, the Indies or Brabant than I possess Brabant myself, or the Prince of Hesse either, for that matter. The King of Spain likewise proclaims himself King of Jerusalem, as does the Austrian Emperor, and Jerusalem belongs to neither one nor the other.” He stopped for a moment with an awkward feeling that the mention of Jerusalem might have embarrassed Swann, in view of ‘current events,′ but only went on more rapidly: “What you said just now might be said of anyone. We were at one time Dukes of Aumale, a duchy that has passed as regularly to the House of France as Joinville and Chevreuse have to the House of Albert. We make no more claim to those titles than to that of Marquis de Noirmoutiers, which was at one time ours, and became perfectly regularly the appanage of the House of La Trémoe, but because certain cessions are valid, it does not follow that they all are. For instance,” he went on, turning to me, “my sister-in-law′s son bears the title of Prince d′Agrigente, which comes to us from Joan the Mad, as that of Prince de Tarente comes to the La Trémoes. Well, Napoleon went and gave this title of Tarente to a soldier, who may have been admirable in the ranks, but in doing so the Emperor was disposing of what belonged to him even less than Napoleon III when he created a Duc de Montmorency, since Périgord had at least a mother who was a Montmorency, while the Tarente of Napoleon I had no more Tarente about him than Napoleon′s wish that he should become so. That did not prevent Chaix d′Est-Ange, alluding to our uncle Condé, from asking the Procurer Impérial if he had picked up the title of Duc de Montmorency in the moat of Vincennes.”
—Écoutez, Basin, je ne demande pas mieux que de vous suivre dans les fossés de Vincennes, et même à Tarente. Et à ce propos, mon petit Charles, c′est justement ce que je voulais vous dire pendant que vous me parliez de votre Saint–Georges, de Venise. C′est que nous avons l′intention, Basin et moi, de passer le printemps prochain en Italie et en Sicile. Si vous veniez avec nous, pensez ce que ce serait différent! Je ne parle pas seulement de la joie de vous voir, mais imaginez-vous, avec tout ce que vous m′avez souvent raconté sur les souvenirs de la conquête normande et les souvenirs antiques, imaginez-vous ce qu′un voyage comme ça deviendrait, fait avec vous! C′est-à-dire que même Basin, que dis-je, Gilbert! en profiteraient, parce que je sens que jusqu′aux prétentions à la couronne de Naples et toutes ces machines-là m′intéresseraient, si c′était expliqué par vous dans de vieilles églises romanes, ou dans des petits villages perchés comme dans les tableaux de primitifs. Mais nous allons regarder votre photographie. Défaites l′enveloppe, dit la duchesse à un valet de pied. — Mais, Oriane, pas ce soir! vous regarderez cela demain, implora le duc qui m′avait déjà adressé des signes d′épouvante en voyant l′immensité de la photographie. — Mais ça m′amuse de voir cela avec Charles», dit la duchesse avec un sourire à la fois facticement concupiscent et finement psychologique, car, dans son désir d′être aimable pour Swann, elle parlait du plaisir qu′elle aurait à regarder cette photographie comme de celui qu′un malade sent qu′il aurait à manger une orange, ou comme si elle avait à la fois combiné une escapade avec des amis et renseigné un biographe sur des goûts flatteurs pour elle. «Eh bien, il viendra vous voir exprès, déclara le duc, à qui sa femme dut céder. Vous passerez trois heures ensemble devant, si ça vous amuse, dit-il ironiquement. Mais où allez-vous mettre un joujou de cette dimension-là? — Mais dans ma chambre, je veux l′avoir sous les yeux. — Ah! tant que vous voudrez, si elle est dans votre chambre, j′ai chance de ne la voir jamais, dit le duc, sans penser à la révélation qu′il faisait aussi étourdiment sur le caractère négatif de ses rapports conjugaux. — Eh bien, vous déferez cela bien soigneusement, ordonna Mme de Guermantes au domestique (elle multipliait les recommandations par amabilité pour Swann). Vous n′abîmerez pas non plus l′enveloppe. — Il faut même que nous respections l′enveloppe, me dit le duc à l′oreille en levant les bras au ciel. Mais, Swann, ajouta-t-il, moi qui ne suis qu′un pauvre mari bien prosaî°µe, ce que j′admire là dedans c′est que vous ayez pu trouver une enveloppe d′une dimension pareille. Où avez-vous déniché cela? — C′est la maison de photogravures qui fait souvent ce genre d′expéditions. Mais c′est un mufle, car je vois qu′il a écrit dessus: «la duchesse de Guermantes» sans «madame». — Je lui pardonne, dit distraitement la duchesse, qui, tout d′un coup paraissant frappée d′une idée qui l′égaya, réprima un léger sourire, mais revenant vite à Swann: Eh bien! vous ne dites pas si vous viendrez en Italie avec nous? — Madame, je crois bien que ce ne sera pas possible. — Eh bien, Mme de Montmorency a plus de chance. Vous avez été avec elle à Venise et à Vicence. Elle m′a dit qu′avec vous on voyait des choses qu′on ne verrait jamais sans ça, dont personne n′a jamais parlé, que vous lui avez montré des choses inou, et même, dans les choses connues, qu′elle a pu comprendre des détails devant qui, sans vous, elle aurait passé vingt fois sans jamais les remarquer. Décidément elle a été plus favorisée que nous . . . Vous prendrez l′immense enveloppe des photographies de M. Swann, dit-elle au domestique, et vous irez la déposer, cornée de ma part, ce soir à dix heures et demie, chez Mme la comtesse Molé. Swann éclata de rire. «Je voudrais tout de même savoir, lui demanda Mme de Guermantes, comment, dix mois d′avance, vous pouvez savoir que ce sera impossible.» — Ma chère duchesse, je vous le dirai si vous y tenez, mais d′abord vous voyez que je suis très souffrant. — Oui, mon petit Charles, je trouve que vous n′avez pas bonne mine du tout, je ne suis pas contente de votre teint, mais je ne vous demande pas cela pour dans huit jours, je vous demande cela pour dans dix mois. En dix mois on a le temps de se soigner, vous savez. A ce moment un valet de pied vint annoncer que la voiture était avancée. «Allons, Oriane, à cheval», dit le duc qui piaffait déjà d′impatience depuis un moment, comme s′il avait été lui-même un des chevaux qui attendaient. «Eh bien, en un mot la raison qui vous empêchera de venir en Italie?» questionna la duchesse en se levant pour prendre congé de nous. — Mais, ma chère amie, c′est que je serai mort depuis plusieurs mois. D′après les médecins que j′ai consultés, à la fin de l′année le mal que j′ai, et qui peut du reste m′emporter de suite, ne me laissera pas en tous les cas plus de trois ou quatre mois à vivre, et encore c′est un grand maximum, répondit Swann en souriant, tandis que le valet de pied ouvrait la porte vitrée du vestibule pour laisser passer la duchesse. — Qu′est-ce que vous me dites là? s′écria la duchesse en s′arrêtant une seconde dans sa marche vers la voiture et en levant ses beaux yeux bleus et mélancoliques, mais pleins d′incertitude. Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et, ne sachant auquel donner la préférence, elle crut devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir à la première qui demandait en ce moment moins d′efforts, et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier. «Vous voulez plaisanter?» dit-elle à Swann. — Ce serait une plaisanterie d′un goût charmant, répondit ironiquement Swann. Je ne sais pas pourquoi je vous dis cela, je ne vous avais pas parlé de ma maladie jusqu′ici. Mais comme vous me l′avez demandé et que maintenant je peux mourir d′un jour à l′autre . . . Mais surtout je ne veux pas que vous vous retardiez, vous dînez en ville, ajouta-t-il parce qu′il savait que, pour les autres, leurs propres obligations mondaines priment la mort d′un ami, et qu′il se mettait à leur place, grâce à sa politesse. Mais celle de la duchesse lui permettait aussi d′apercevoir confusément que le dîner où elle allait devait moins compter pour Swann que sa propre mort. Aussi, tout en continuant son chemin vers la voiture, baissa-t-elle les épaules en disant: «Ne vous occupez pas de ce dîner. Il n′a aucune importance!» Mais ces mots mirent de mauvaise humeur le duc qui s′écria: «Voyons, Oriane, ne restez pas à bavarder comme cela et à échanger vos jérémiades avec Swann, vous savez bien pourtant que Mme de Saint–Euverte tient à ce qu′on se mette à table à huit heures tapant. Il faut savoir ce que vous voulez, voilà bien cinq minutes que vos chevaux attendent Je vous demande pardon, Charles, dit-il en se tournant vers Swann, mais il est huit heures moins dix, Oriane est toujours en retard, il nous faut plus de cinq minutes pour aller chez la mère Saint–Euverte.» Mme de Guermantes s′avança décidément vers la voiture et redit un dernier adieu à Swann. «Vous savez, nous reparlerons de cela, je ne crois pas un mot de ce que vous dites, mais il faut en parler ensemble. On vous aura bêtement effrayé, venez déjeuner, le jour que vous voudrez (pour Mme de Guermantes tout se résolvait toujours en déjeuners), vous me direz votre jour et votre heure», et relevant sa jupe rouge elle posa son pied sur le marchepied. Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s′écria d′une voix terrible: «Oriane, qu′est-ce que vous alliez faire, malheureuse. Vous avez gardé vos souliers noirs! Avec une toilette rouge! Remontez vite mettre vos souliers rouges, ou bien, dit-il au valet de pied, dites tout de suite à la femme de chambre de Mme la duchesse de descendre des souliers rouges». — Mais, mon ami, répondit doucement la duchesse, gênée de voir que Swann, qui sortait avec moi mais avait voulu laisser passer la voiture devant nous, avait entendu . . . puisque nous sommes en retard . . . — Mais non, nous avons tout le temps. Il n′est que moins dix, nous ne mettrons pas dix minutes pour aller au parc Monceau. Et puis enfin, qu′est-ce que vous voulez, il serait huit heures et demie, ils patienteront, vous ne pouvez pourtant pas aller avec une robe rouge et des souliers noirs. D′ailleurs nous ne serons pas les derniers, allez, il y a les Sassenage, vous savez qu′ils n′arrivent jamais avant neuf heures moins vingt. La duchesse remonta dans sa chambre. «Hein, nous dit M. de Guermantes, les pauvres maris, on se moque bien d′eux, mais ils ont du bon tout de même. Sans moi, Oriane allait dîner en souliers noirs.» — Ce n′est pas laid, dit Swann, et j′avais remarqué les souliers noirs, qui ne m′avaient nullement choqué. — Je ne vous dis pas, répondit le duc, mais c′est plus élégant qu′ils soient de la même couleur que la robe. Et puis, soyez tranquille, elle n′aurait pas été plutôt arrivée qu′elle s′en serait aperçue et c′est moi qui aurais été obligé de venir chercher les souliers. J′aurais dîné à neuf heures. Adieu, mes petits enfants, dit-il en nous repoussant doucement, allez-vous-en avant qu′Oriane ne redescende. Ce n′est pas qu′elle n′aime vous voir tous les deux. Au contraire c′est qu′elle aime trop vous voir. Si elle vous trouve encore là, elle va se remettre à parler, elle est déjà très fatiguée, elle arrivera au dîner morte. Et puis je vous avouerai franchement que moi je meurs de faim. J′ai très mal déjeuné ce matin en descendant de train. Il y avait bien une sacrée sauce béarnaise, mais malgré cela, je ne serai pas fâché du tout, mais du tout, de me mettre à table. Huit heures moins cinq! Ah! les femmes! Elle va nous faire mal à l′estomac à tous les deux. Elle est bien moins solide qu′on ne croit. Le duc n′était nullement gêné de parler des malaises de sa femme et des siens à un mourant, car les premiers, l′intéressant davantage, lui apparaissaient plus importants. Aussi fut-ce seulement par bonne éducation et gaillardise, qu′après nous avoir éconduits gentiment, il cria à la cantonade et d′une voix de stentor, de la porte, à Swann qui était déjà dans la cour: — Et puis vous, ne vous laissez pas frapper par ces bêtises des médecins, que diable! Ce sont des ânes. Vous vous portez comme le Pont–Neuf. Vous nous enterrerez tous!
“Listen, Basin, I ask for nothing better than to follow you to the ditches of Vincennes, or even to Tarante. And that reminds me, Charles, of what I was going to say to you when you were telling me about your Saint George at Venice. We have an idea, Basin and I, of spending next spring in Italy and Sicily. If you were to come with us, just think what a difference it would make! I′m not thinking only of the pleasure of seeing you, but imagine, after all you′ve told me so often about the remains of the Norman Conquest and of ancient history, imagine what a trip like that would become if you came with us! I mean to say that even Basin — what am I saying, Gilbert — would benefit by it, because I feel that even his claims to the throne of Naples and all that sort of thing would interest me if they were explained by you in old romanesque churches in little villages perched on hills like primitive paintings. But now we′re going to look at your photograph. Open the envelope,” said the Duchess to a footman. “Please, Oriane, not this evening; you can look at it to-morrow,” implored the Duke, who had already been making signs of alarm to me on seeing the huge size of the photograph. “But I like to look at it with Charles,” said the Duchess, with a smile at once artificially concupiscent and psychologically subtle, for in her desire to be friendly to Swann she spoke of the pleasure which she would have in looking at the photograph as though it were the pleasure an invalid feels he would find in eating an orange, or as though she had managed to combine an escapade with her friends with giving information to a biographer as to some of her favourite pursuits. “All right, he will come again to see you, on purpose,” declared the Duke, to whom his wife was obliged to yield. “You can spend three hours in front of it, if that amuses you,” he added ironically. “But where are you going to stick a toy of those dimensions?” “Why, in my room, of course. I like to have it before my eyes.” “Oh, just as you please; if it′s in your room, probably I shall never see it,” said the Duke, without thinking of the revelation he was thus blindly making of the negative character of his conjugal relations. “Very well, you will undo it with the greatest care,” Mme. de Guermantes told the servant, multiplying her instructions out of politeness to Swann. “And see that you don′t crumple the envelope, either.” “So even the envelope has got to be respected!” the Duke murmured to me, raising his eyes to the ceiling. “But, Swann,” he added, “I, who am only a poor married man and thoroughly prosaic, what I wonder at is how on earth you managed to find an envelope that size. Where did you pick it up?” “Oh, at the photographer′s; they′re always sending out things like that. But the man is a fool, for I see he′s written on it ‘The Duchesse de Guermantes,′ without putting ‘Madame.′” “I′ll forgive him for that,” said the Duchess carelessly; then, seeming to be struck by a sudden idea which enlivened her, checked a faint smile; but at once returning to Swann: “Well, you don′t say whether you′re coming to Italy with us?” “Madame, I am really afraid that it will not be possible.” “Indeed! Mme. de Montmorency is more fortunate. You went with her to Venice and Vicenza. She told me that with you one saw things one would never see otherwise, things no one had ever thought of mentioning before, that you shewed her things she had never dreamed of, and that even in the well-known things she had been able to appreciate details which without you she might have passed by a dozen times without ever noticing. Obviously, she has been more highly favoured than we are to be. . . . You will take the big envelope from M. Swann′s photograph,” she said to the servant, “and you will hand it in, from me, this evening at half past ten at Mme. la Comtesse Mole′s.” Swann laughed. “I should like to know, all the same,” Mme. de Guermantes asked him, “how, ten months before the time, you can tell that a thing will be impossible.” “My dear Duchess, I will tell you if you insist upon it, but, first of all, you can see that I am very ill.” “Yes, my little Charles, I don′t think you look at all well. I′m not pleased with your colour, but I′m not asking you to come with me next week, I ask you to come in ten months. In ten months one has time to get oneself cured, you know.” At this point a footman came in to say that the carriage was at the door. “Come, Oriane, to horse,” said the Duke, already pawing the ground with impatience as though he were himself one of the horses that stood waiting outside. “Very well, give me in one word the reason why you can′t come to Italy,” the Duchess put it to Swann as she rose to say good-bye to us. “But, my dear friend, it′s because I shall then have been dead for several months. According to the doctors I consulted last winter, the thing I′ve got — which may, for that matter, carry me off at any moment — won′t in any case leave me more than three or four months to live, and even that is a generous estimate,” replied Swann with a smile, while the footman opened the glazed door of the hall to let the Duchess out. “What′s that you say?” cried the Duchess, stopping for a moment on her way to the carriage, and raising her fine eyes, their melancholy blue clouded by uncertainty. Placed for the first time in her life between two duties as incompatible as getting into her carriage to go out to dinner and shewing pity for a man who was about to die, she could find nothing in the code of conventions that indicated the right line to follow, and, not knowing which to choose, felt it better to make a show of not believing that the latter alternative need be seriously considered, so as to follow the first, which demanded of her at the moment less effort, and thought that the best way of settling the conflict would be to deny that any existed. “You′re joking,” she said to Swann. “It would be a joke in charming taste,” replied he ironically. “I don′t know why I am telling you this; I have never said a word to you before about my illness. But as you asked me, and as now I may die at any moment . . . But whatever I do I mustn′t make you late; you′re dining out, remember,” he added, because he knew that for other people their own social obligations took precedence of the death of a friend, and could put himself in her place by dint of his instinctive politeness. But that of the Duchess enabled her also to perceive in a vague way that the dinner to which she was going must count for less to Swann than his own death. And so, while continuing on her way towards the carriage, she let her shoulders droop, saying: “Don′t worry about our dinner. It′s not of any importance!” But this put the Duke in a bad humour, who exclaimed: “Come, Oriane, don′t stop there chattering like that and exchanging your jeremiads with Swann; you know very well that Mme. de Saint-Euverte insists on sitting down to table at eight o′clock sharp. We must know what you propose to do; the horses have been waiting for a good five minutes. I beg your pardon, Charles,” he went on, turning to Swann, “but it′s ten minutes to eight already. Oriane is always late, and it will take us more than five minutes to get to old Saint-Euverte′s.” Mme. de Guermantes advanced resolutely towards the carriage and uttered a last farewell to Swann. “You know, we can talk about that another time; I don′t believe a word you′ve been saying, but we must discuss it quietly. I expect they gave you a dreadful fright, come to luncheon, whatever day you like” (with Mme. de Guermantes things always resolved themselves into luncheons), “you will let me know your day and time,” and, lifting her red skirt, she set her foot on the step. She was just getting into the carriage when, seeing this foot exposed, the Duke cried in a terrifying voice: “Oriane, what have you been thinking of, you wretch? You′ve kept on your black shoes! With a red dress! Go upstairs quick and put on red shoes, or rather,” he said to the footman, “tell the lady′s maid at once to bring down a pair of red shoes.” “But, my dear,” replied the Duchess gently, annoyed to see that Swann, who was leaving the house with me but had stood back to allow the carriage to pass out in front of us, could hear, “since we are late.” “No, no, we have plenty of time. It is only ten to; it won′t take us ten minutes to get to the Parc Monceau. And, after all, what would it matter? If we turned up at half past eight they′d have to wait for us, but you can′t possibly go there in a red dress and black shoes. Besides, we shan′t be the last, I can tell you; the Sassenages are coming, and you know they never arrive before twenty to nine.” The Duchess went up to her room. “Well,” said M. de Guermantes to Swann and myself, “we poor, down-trodden husbands, people laugh at us, but we are of some use all the same. But for me, Oriane would have been going out to dinner in black shoes.” “It′s not unbecoming,” said Swann, “I noticed the black shoes and they didn′t offend me in the least.” “I don′t say you′re wrong,” replied the Duke, “but it looks better to have them to match the dress. Besides, you needn′t worry, she would no sooner have got there than she′d have noticed them, and I should have been obliged to come home and fetch the others. I should have had my dinner at nine o′clock. Good-bye, my children,” he said, thrusting us gently from the door, “get away, before Oriane comes down again. It′s not that she doesn′t like seeing you both. On the contrary, she′s too fond of your company. If she finds you still here she will start talking again, she is tired out already, she′ll reach the dinner-table quite dead. Besides, I tell you frankly, I′m dying of hunger. I had a wretched luncheon this morning when I came from the train. There was the devil of a béarnaise sauce, I admit, but in spite of that I shan′t be at all sorry, not at all sorry to sit down to dinner. Five minutes to eight! Oh, women, women! She′ll give us both indigestion before to-morrow. She is not nearly as strong as people think.” The Duke felt no compunction at speaking thus of his wife′s ailments and his own to a dying man, for the former interested him more, appeared to him more important. And so it was simply from good breeding and good fellowship that, after politely shewing us out, he cried ‘from off stage,′ in a stentorian voice from the porch to Swann, who was already in the courtyard: “You, now, don′t let yourself be taken in by the doctors′ nonsense, damn them. They′re donkeys. You′re as strong as the Pont Neuf. You′ll live to bury us all!”